Gratte-ciel - Xavier Romon - E-Book

Gratte-ciel E-Book

Xavier Romon

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Beschreibung

Une course contre la montre s'engage pour éviter le pire...

Erwan est un jeune trader plein d’avenir, passionné par les nouvelles technologies, les smart cities et les quartiers connectés. Lorsqu’il est envoyé pour trois ans à Shanghai, c’est pour lui une nouvelle vie qui commence. Mais enfermé dans la tour ultramoderne du World Financial Center à Pudong, où il vit et travaille, il étouffe. Un monde vertical dont il ne sort plus, et dans lequel il dépérit doucement. Jusqu’au soir où il se décide à faire une courte sortie : une visite du temple Houzhai, situé dans un quartier sombre, à quelques stations de métro.
Il n’aurait jamais dû se trouver là. Mauvais endroit, mauvais moment. Erwan est alors entraîné, malgré lui, au cœur d’une entreprise terroriste impitoyable. Le Chemin du Renouveau, un groupe extrémiste aux appuis haut placés et redoutablement organisé, planifie la plus grande attaque que le monde moderne n’ait jamais connue. Les jours sont comptés. Erwan pourra-t-il déjouer ce 11 septembre à la chinoise ?

Au cœur de l'actualité, ce thriller haletant nous entraîne dans les coulisses d'un attentat terroriste !

EXTRAIT

En face se trouvaient les anciens bâtiments du Parti nationaliste, avec leurs grands jardins, transformés depuis quelques décennies en un parc public. Un peu plus loin encore se trouvait le temple Houzhai, un vieux temple bouddhiste dont le bâtiment central datait de plus de deux mille ans. Depuis la rue, on pouvait voir l’entrée du temple, une grande porte aux toits en étages, avec les bords recourbés, typiques de l’architecture chinoise ancienne. Juste derrière se trouvait une pagode octogonale à l’allure majestueuse.
— C’est magnifique, lança Erwan.
— Oui, Houzhai est un des plus vieux édifices de Shanghai. Le temple a été construit en l’an 250, mais la pagode elle-même en l’an 650 avant J.-C., expliqua Yi.
À Shanghai, ville magnifique, multicolore et pleine de diversité, on pouvait côtoyer à la fois les tours les plus modernes, des activités financières et technologiques de pointe, et la spiritualité à l’état brut, dans sa tradition millénaire, avec des bâtiments et des jardins soigneusement entretenus depuis des siècles.
Admiratif, Erwan voulait visiter l’endroit. Il demanda à Yi :
— On dirait qu’il n’y a personne. On peut rentrer ?
— Oui, bien sûr, n’importe qui peut venir prier et se recueillir. Il y a une communauté de moines qui vit ici et entretient le temple. Ils sont de l’ordre de Confucius. Il y a aussi une école, avec des cours donnés aux élèves dont les familles souhaitent une éducation religieuse. L’école existe depuis plus de sept cents ans. Le niveau en est très reconnu en Chine. Il y a aussi des séances de méditation collectives ouvertes au public le soir. Viens, on va voir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de la région parisienne, Xavier Romon est un amateur d’histoire, de voyages et des cultures du monde. Déjà auteur de trois ouvrages salués par la critique, il raconte dans son dernier roman, Gratte-ciel, une aventure contemporaine, entre La Défense et Shanghai, dans l’univers futuriste des tours de grande hauteur. Ici surgit un nouveau monde dans lequel la vie s’organise à la verticale et où tout reste encore possible…

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Toute ressemblance entre les personnages de ce roman et des individus existants est purement fortuite. De même, les situations décrites dans les lieux et les pays mentionnés dans ce roman sont purement fictives.

Présentation de l'auteur

Originaire de la région parisienne, Xavier Romon est un amateur d’histoire, de voyages et des cultures du monde. Déjà auteur de trois ouvrages salués par la critique, il raconte dans son dernier roman, Gratte-ciel, une aventure contemporaine, entre La Défense et Shanghai, dans l’univers futuriste des tours de grande hauteur. Ici surgit un nouveau monde dans lequel la vie s’organise à la verticale et où tout reste encore possible…

Résumé

Erwan est un jeune trader plein d’avenir, passionné par les nouvelles technologies, les smart cities et les quartiers connectés. Lorsqu’il est envoyé pour trois ans à Shanghai, c’est pour lui une nouvelle vie qui commence. Mais enfermé dans la tour ultramoderne du World Financial Center à Pudong, où il vit et travaille, il étouffe. Un monde vertical dont il ne sort plus, et dans lequel il dépérit doucement. Jusqu’au soir où il se décide à faire une courte sortie : une visite du temple Houzhai, situé dans un quartier sombre, à quelques stations de métro.

Il n’aurait jamais dû se trouver là. Mauvais endroit, mauvais moment. Erwan est alors entraîné, malgré lui, au cœur d’une entreprise terroriste impitoyable. Le Chemin du Renouveau, un groupe extrémiste aux appuis haut placés et redoutablement organisé, planifie la plus grande attaque que le monde moderne n’ait jamais connue. Les jours sont comptés. Erwan pourra-t-il déjouer ce 11 septembre à la chinoise ?

Quand les hommes s’entretuentpour un monde meilleur.

CHAPITRE I

Huit heures du matin, début février. Il fait beau sur Paris. Erwan traverse le parvis de La Défense en écoutant à fond la musique de son baladeur. Il pénètre dans la tour CB 22. Cela fait trois ans qu’il travaille comme analyste chez Herring Funds, une grande banque allemande.

Il avait eu la bonne idée de louer un appartement au cœur de Courbevoie, à quinze minutes à pied, ce qui lui permettait d’arriver à l’heure au travail sans se lever trop tôt. De bonne humeur, il lâcha un « bonjour » au vigile black qui surveillait les portiques à l’entrée et passa son badge devant le détecteur. Puis il prit l’ascenseur pour rejoindre son bureau au 35e étage de la tour.

Erwan venait de fêter ses vingt-sept ans. Il avait été embauché dans la banque à la sortie de son école d’ingénieur. Au début, le job lui plaisait bien. Mais il savait qu’il ne ferait pas ça toute sa vie. Il avait d’autres ambitions que de faire de l’Excel à longueur de journée. Il se sentait plutôt attiré par l’architecture, les transports urbains, l’environnement. Les smart cities, la ville futuriste intelligente et connectée, cela le passionnait. Mais ne sachant pas mieux formuler ses désirs, il était décidé à suivre ce qui se présenterait pendant quelques années. Sa première expérience professionnelle dans la banque avait un côté excitant. L’image du métier et les fantasmes qu’il véhiculait l’amusaient, et il n’hésitait pas à en rajouter. Auprès de ses amis, il se disait trader, ce qui amenait systématiquement des questions du genre : « Ah ouais, alors tu peux te faire des sommes fabuleuses sur les bons coups ? » ou encore : « Ah bon, mais c’est risqué ? »

Naturellement, il n’y répondait pas et laissait planer un certain mystère sur ses activités. En réalité, il était toute la journée derrière un écran à manipuler des chiffres, faire des prévisions et passer des ordres, rien de plus.

Les crises financières qui s’étaient succédé ces dernières années, fragilisant l’ensemble du système bancaire, rendaient le job plutôt précaire. Il y avait eu l’affaire Jérôme Kerviel, condamné à cinq ans de prison et au remboursement de 4, 9 milliards d’euros pour avoir entraîné la Société Générale au bord de la faillite. Puis ce fut la crise des sub-primes, la banqueroute de Lehman Brothers et de Merrill Lynch en 2008. Enfin, le chaos des États européens surendettés en 2012, la quasi-faillite de la Grèce en 2015 et les désordres bancaires qui suivirent, achevèrent d’installer une situation instable et dangereuse sur le long terme pour les banques. Erwan savait que son poste était fragile. Et il n’était pas à l’abri d’un faux pas.

Apprécié de sa hiérarchie, le jeune homme faisait son maximum pour être sérieux et efficace. Mais au fond de lui, sans rien en laisser paraître, il ne se sentait plus motivé. Il considérait que l’essentiel était ailleurs. Sortir, voir ses amis, marcher dans Paris, draguer, faire du sport, c’était quand même plus important que ce qu’il faisait à la banque.

Ce matin-là, il avait rendez-vous à onze heures avec son chef Thibaut Vilain pour l’entretien annuel. Un exercice imposé qui l’ennuyait particulièrement. Il n’avait pas grand-chose à lui dire, alors il pensait parler de son intérêt pour un possible changement de poste à l’étranger. Thibaut l’avait évoqué l’année dernière. L’expérience de jeunes collègues partis récemment avait ravivé en lui cette idée de changer d’air.

À cette heure-ci, il n’y avait encore pas grand monde à l’étage. C’est l’avantage d’arriver tôt : pas besoin de faire le tour pour dire bonjour. Une femme de ménage était en train de vider les poubelles de la veille. Elle passait de temps à autre un coup de chiffon au hasard sur certains bureaux, sans déplacer le moindre papier ni le moindre stylo, car telle était la consigne. Erwan se demandait du coup qui était le préposé aux poussières, et au nettoyage des taches sur les meubles et les fauteuils, qu’il ne voyait jamais. Machinalement, il alluma son ordinateur et alla prendre un café à la machine. « Pas beaucoup de mails aujourd’hui… Les cours sont neutres, la journée ne va pas être palpitante… »

La matinée passe très vite en entreprise. L’après-midi beaucoup moins ! Le temps de dire bonjour, de prendre un café, de discuter avec quelques collègues, de lire et de répondre à ses mails, et il est déjà onze heures. L’heure d’aller chez le chef. En tant que membre du club des angoissés chroniques, Erwan était toujours inquiet avant chaque rendez-vous. Il prit l’ascenseur pour monter deux étages, et se retrouva devant le bureau de Thibaut. La petite étiquette marquée « T. Vilain » sur la porte le faisait sourire à chaque fois. Mais pourquoi n’avait-il pas mis son prénom en entier sur l’étiquette ? S’agissait-il d’un mauvais jeu de mots inconscient ?

— Bonjour, Erwan. Comment vas-tu ? lui lança le chef, tout sourire, se levant pour lui serrer vigoureusement la main.

— Très bien, merci, répondit-il en s’asseyant sur le siège que lui désignait Thibaut.

Histoire de masquer sa timidité et de faire bonne figure, Erwan le regardait fixement dans les yeux, avec un sourire niais.

— Félicitations pour tes résultats du mois dernier. Tu as crevé le plafond !

« Quel plafond ? » se demanda intérieurement Erwan. Il leva les yeux en l’air, mais évita de faire la blague douteuse à voix haute et arbora un large sourire en acquiesçant.

— Merci. Oui, j’ai pris de bonnes positions sur les entreprises de services et les assurances au moment où elles se sont redressées. Il faut dire que j’ai la chance d’avoir un bon portefeuille.

— Et tu te sens toujours bien parmi nous, ou tu désires bouger ? demanda Thibaut.

Erwan fut surpris de la question. Thibaut était-il mécontent de quelque chose ? Voulait-on se débarrasser de lui ? Très prudemment, il fit une réponse ambiguë :

— Non, non, je suis bien. Cependant, je reste ouvert aux opportunités à l’étranger. Je pense qu’avec une expérience internationale, par exemple aux États-Unis, je peux acquérir des compétences qui me permettraient d’enrichir véritablement mon parcours.

Ça sonnait complètement langue de bois, mais le langage ampoulé était le mode « communication de base » dans l’entreprise !

Thibaut marqua un silence.

— Hum… Eh bien écoute, il y a peut-être une possibilité… c’est pour notre filiale chinoise à Shanghai. On m’en a parlé récemment. Il y aurait la possibilité d’une expatriation pour leur bureau de trading, sur un portefeuille de client français. Ils ont besoin d’un français. Tu pourrais très bien faire l’affaire.

Erwan n’avait pas du tout prévu cette proposition. Il fit semblant d’être enthousiaste.

— Vraiment, avec plaisir, je suis partant pour un tel poste.

Il parlait de façon automatique. C’était la confusion dans son esprit. Il se disait : « Mais qu’est-ce que je viens de dire ? Qu’est-ce que j’irais faire à Shanghai ? En fait, je n’ai pas envie de bouger, je suis très bien ici… Ils veulent m’écarter ou quoi ? » Se rassurant à l’idée qu’il y aurait beaucoup de candidats et qu’il ne serait sûrement pas choisi, Erwan se ressaisit et écouta Thibaut continuer son discours.

— Ok, je vais faire le nécessaire pour proposer ta candidature, et dès qu’il y a du nouveau, je te préviens.

En redescendant au trente-cinquième, les pensées se bousculaient dans sa tête. Il chercha aussitôt sur Internet des informations sur la filiale de Herring Funds à Shanghai. Et en voyant l’image des tours chinoises qui accueillaient leurs bureaux, il se dit que ça ressemblait beaucoup à La Défense, en plus moderne, en plus dense, en plus vivant. L’idée de changer d’horizon commença à lui plaire un peu plus.

Durant une semaine, il ne pensa plus à la proposition chinoise. Il n’y croyait pas vraiment. Pour lui, Thibaut avait dit cela pour le tester, mais ne mettrait pas les choses en route. Il y avait tellement d’autres jeunes sur les rangs pour un tel poste, qu’il y avait peu de chances que cela tombe sur lui. En attendant, il faisait son boulot comme d’habitude, consciencieusement, sans réfléchir.

Vendredi midi. Erwan était pressé de quitter le bureau. Comme il le faisait régulièrement, il fuyait la cantine de la tour pour aller manger seul un sandwich dehors. En sortant du hall, il aperçut Thibaut qui rentrait d’un pas rapide, un dossier sous le bras.

— Salut, Erwan. Déjà midi ? Tu manges dehors ? Alors bon appétit ! dit Thibaut en filant dans le hall.

Son ton signifiait en fait : « Toi, tu te la coules douce, tu pars à midi, et moi j’enchaîne les réunions. C’est le bout du monde si j’ai le temps pour un plateau-repas… »

Il voulait lui demander des nouvelles, mais trop tard, l’autre avait déjà disparu. C’est en traversant le parvis pour rejoindre le centre commercial qu’il repensa à Shanghai. Il imaginait les jeunes cadres chinois, enfermés dans des bureaux climatisés ultramodernes, passant la journée devant leur écran. Il imaginait une culture stricte et des horaires difficiles. Il ne pourrait certainement pas tenir longtemps dans une ambiance trop sérieuse, sans compter la barrière de la langue. Mais d’un autre côté, c’était l’occasion unique d’une expérience enrichissante. Si ça n’allait pas, il pouvait toujours demander à rentrer au bout de trois ans.

Il ne fallait pas rester à attendre : il devait montrer sa motivation. Il allait en parler de nouveau à son chef, si possible dès la semaine prochaine. Mais pas question de dévoiler quoi que ce soit tant que rien n’était confirmé, ni à ses parents, ni à ses amis, ni bien sûr à ses collègues.

Petit arrêt à la sandwicherie. Erwan commanda comme d’habitude un poulet-crudités et une bouteille d’eau, puis partit manger en flânant dans la galerie commerciale des Quatre Temps. Il avait besoin de s’échapper du boulot le midi et de marcher seul pour se remettre les idées en place. Il était plutôt solitaire dans la vie. Ok, il se forçait à voir des amis le plus souvent possible, mais sans jamais vraiment être à l’aise avec eux. Les idées et le comportement des autres lui semblaient si différents des siens. Il faisait des efforts pour être souriant, positif et faire des blagues, mais aucune construction affective ni sentimentale ne se faisait.

Lui qui rêvait depuis tout petit de l’amour parfait, immédiat et éternel, il se retrouvait toujours à aimer des gens qui n’avaient aucune attirance pour lui. Ou à l’inverse, il était courtisé par telle ou telle secrétaire dont il n’avait rien à faire. Il aurait rêvé de se marier et de fonder une famille, mais comme aucune fille attirante ne se présentait, il trompait sa solitude en fréquentant les lieux de drague ou les sites Internet. L’excitation de goûter aux corps d’inconnus était plus forte que tout. À vingt-cinq ans, il n’avait connu que des plans sans lendemain et se retrouvait désespérément seul. Mais il cachait bien son jeu : tout le monde le croyait très entouré.

Philippe était un de ses rares amis fidèles. Lui aussi toujours seul, il ne parlait jamais de lui. Même en le fréquentant depuis des années, on ne savait rien de sa vie privée ni de ses envies. Erwan l’avait rencontré pendant ses études ; ils suivaient des cours dans la même école. Il ne savait même pas pourquoi ils s’étaient rapprochés. Ils n’avaient pas grand-chose en commun, mais il avait annoncé immédiatement à tout le monde qu’ils seraient amis pour la vie. Et c’est ce qui se produisait. Il l’emmenait partout où il n’avait pas envie de se retrouver seul. Au restaurant, aux concerts, en voyage, Philippe le suivait.

Le sandwich avalé, Erwan alla faire un tour au sous-sol. C’était son rituel. Là où les jeunes de banlieue côtoient les businessmen, où des hommes mariés revenant de faire les courses s’envoient en l’air dans un coin sombre, où toute une faune traîne sans que cela se remarque. Toujours très exigeant quant à la beauté de ses fréquentations, Erwan avait repéré une jeune métisse, la vingtaine, le genre « regard de braise », dont on ne sait si elle va vous sourire ou vous casser la gueule. Il s’approcha, lui fit un regard appuyé, et prit l’escalator qui descendait au parking, tandis qu’elle le suivait de loin.

Le parking fonctionne par étage occupé. En général, seuls les deux étages supérieurs sont utilisés pour se garer, tandis qu’aux sous-sols inférieurs une autre population s’active, dans le noir, derrière les piliers ou dans les escaliers, souvent à plusieurs. Il y avait bien des rondes de police, surtout depuis les attentats, mais le même trafic revenait toujours. Arrivé au niveau -3, sans un mot, Erwan se plaça derrière un des piliers du parking, puis la fille le rejoignit. Étreintes et plaisir étaient au rendez-vous. Erwan quitta son ange de passage en l’embrassant très fort. Puis il sortit du parking pour rejoindre à toute allure son lieu de travail. Il était heureux de cette rencontre. Le délicieux sentiment de faire des choses interdites lui donna de l’énergie pour toute l’après-midi.

CHAPITRE II

Lundi matin, le premier avril. Le radio-réveil se déclencha à sept heures. « … Tension toujours très forte au Moyen-Orient… Plusieurs manifestations ont eu lieu dans les capitales syrienne et jordanienne… » À moitié dans les brumes, Erwan entendait les informations sans les assimiler. « Rien de neuf », pensa-t-il en se levant péniblement et en passant sous la douche. « Le monde va mal. Cela fait des décennies que le Moyen-Orient est une poudrière qui enflamme le monde. Ne perdons pas le moral pour autant ! » Il s’habilla, et partit à huit heures précises.

La concierge était déjà dans sa loge. Il lui lança un petit bonjour tout en pensant : « Qu’est-ce qu’elle m’énerve ! À tout épier sans arrêt… et dire qu’elle est payée pour ça ! »

À vingt-sept ans, Erwan était d’apparence aimable, polie. Timide, il se sentait en marge. Il était irrémédiablement seul, et pourtant les autres adoraient sa compagnie et son humour. Il passait pour un original et un boute-en-train. Pourquoi n’avait-il pas de relation sérieuse, pas d’amis véritables ni d’amour dans sa vie ? Probablement était-il trop exigeant avec les autres, et son perfectionnisme le mettait-il systématiquement en décalage. Mais surtout, il était d’une impatience hors norme et ne laissait aucune chance au temps de s’écouler. Pour lui, tout devait être immédiat, instantané. L’amitié devait naître en une seconde, et il était capable, si cela se présentait, après un simple regard, de déclarer son amour à une femme pour la vie et ne plus jamais la quitter. Sauf que les autres ne fonctionnent pas comme cela. Ils n’entrent que progressivement dans l’intimité et prennent du temps à construire leurs relations. Et donc, un peu comme le surdoué à l’école qui termine dernier de la classe parce que son rythme est trop rapide par rapport à celui aux autres, il se retrouvait à l’écart dans la vie, terriblement seul.

Les conseils des autres l’exaspéraient : « Sors, inscris-toi à des clubs, ne reste pas enfermé », etc. Autant de remarques qui prouvaient qu’ils ne comprenaient rien à sa situation.

L’air frais du matin soufflait sur La Défense. Le casque sur les oreilles, Erwan fit le chemin habituel de l’appartement au bureau. Le morceau en cours, Strictly business d’EPMD, balançait un bon rythme rap sur la reprise de I shot the sheriff et lui donna la pêche pour la journée.

À dix heures, il devait suivre une formation sur le nouveau logiciel P-Form que la société venait d’adopter pour le contrôle des transactions. Il regarda ses mails de la nuit. La filiale chinoise lui envoyait justement le bilan consolidé de leurs placements pour la veille, et il étudia les chiffres d’un peu plus près. Il voulait en parler à Thibaut, et en profiter pour demander des nouvelles de sa mutation. Mais il n’en eut pas le temps. À neuf heures trente, alors qu’il préparait ses affaires pour aller en formation, il reçut un appel de la responsable des Ressources humaines, Ricky Laverky, qui lui demandait de passer dans la matinée. Il lui confirma qu’il passerait à dix heures.

« Merde ! J’aurais dû la voir en fin de journée… Comment faire pour la formation ? » Cette formation était importante. La direction avait insisté pour que tout le monde la suive, et c’était aujourd’hui la dernière session possible. Mais ce que voulait lui dire la responsable RH était sans doute encore plus important. C’était peut-être à propos de son départ pour Shanghai. Y avait-il un problème qu’il n’avait pas prévu ? Il lui restait peu de temps, il appela donc le responsable de formation pour dire qu’il ne viendrait que l’après-midi.

Le département RH était au 11e étage. Erwan frappa au bureau de Ricky Laverky. Malgré son nom très rock’n’roll, Ricky était une petite femme banale, volontaire, d’environ quarante-cinq ans. Elle avait une tête de campagnarde, s’habillait en tailleur court, et portait un collier à grosses boules nacrées du plus bel effet.

Tout sourire, elle le pria d’entrer, puis lui proposa un café. Il accepta par politesse. En allant avec elle à la machine à café, il parla de tout et de rien, attendant qu’elle s’explique sur la raison du rendez-vous. Ce qu’elle fit en rentrant dans son bureau, après l’avoir invité à s’asseoir :

— Erwan, j’ai une très bonne nouvelle pour vous : vous nous quittez !

Il ne répondit rien et la laissa poursuivre.

— Votre demande d’expatriation est acceptée. Thibaut Vilain a réussi à ce que vous soyez choisi pour le poste de responsable de comptes dans notre bureau de Shanghai. Vous vous occuperez du portefeuille des clients français. C’est un poste d’une durée de trois ans, naturellement renouvelable si vous donnez satisfaction. Mais quoi qu’il arrive, vous avez la garantie de retour chez nous. Vous avez beaucoup de chance, c’est une opportunité exceptionnelle. Qu’en pensez-vous ?

Erwan ne fit nullement part des doutes qui l’avaient assailli depuis plusieurs semaines et enchaîna avec enthousiasme :

— Je dois dire, c’est formidable ! Merci ! Mais quelles sont les formalités à accomplir ? Quand pourrai-je commencer ?

— C’est simple, on vous fera un contrat d’expatriation ici, puis les demandes de visa. Tout peut être fait pour démarrer là-bas début septembre. À Shanghai, ils s’occuperont des papiers ; vous serez entièrement pris en charge. Au début, vous serez logé à l’hôtel, et ce sera ensuite à vous de chercher un appartement. Ils vous donneront des adresses d’agences.

— Et pour les conditions financières ? Quel sera mon niveau de salaire ? Y a-t-il des frais qui seront pris en charge ?

Elle fronça les sourcils.

— Alors là, je serai très claire : c’est une expatriation, au même niveau de salaire que celui que vous avez actuellement. Croyez-moi, c’est déjà fortement supérieur au salaire moyen des cadres chinois qui seront vos collègues, donc nous n’en rajouterons pas. Vous aurez un bulletin de salaire chinois, payé en yuans par notre filiale. C’est le siège qui finance, vous continuerez donc à bénéficier des points de retraite en France. Votre salaire, comme pour tous les expatriés, est un équivalent du net que vous avez en France, corrigé de la différence moyenne de niveau de vie avec Shanghai. Nous rajoutons toutes les charges qui sont à payer en Chine. Vous ne perdez rien, vous ne gagnez rien. C’est non négociable.

Elle reprit un léger sourire tout en basculant le haut du corps en arrière dans son fauteuil.

— Par contre, vous aurez de nombreux avantages en tant qu’expatrié. Vous aurez une prime de déménagement qui équivaut à un mois de salaire. Tous les frais d’hôtel et de restauration, tant que vous n’aurez pas votre logement, seront à notre charge. Les frais de recherche et d’installation seront payés par la société.

Erwan, craignant de la froisser de nouveau, osa rajouter d’une petite voix :

— Et pour les impôts ?

— Vous devrez vous acquitter de tous vos impôts en France avant de partir. Si vous avez des difficultés de trésorerie, nous pouvons vous prêter cet argent. Et naturellement, si vous souhaitez rentrer pour les vacances, vous avez droit à un aller et retour en France par avion, au maximum une fois par an.

— Et pour la langue ? Je suppose qu’il faut apprendre le chinois ?

— Ne vous inquiétez pas, là-bas tout se passe en anglais. Mais vous aurez naturellement des cours de chinois sur place, et vous pourrez peu à peu vous débrouiller sans difficulté.

— Ça me va parfaitement. Dès que le contrat est prêt, je le signerai. Si j’ai des questions, je repasse vous voir.

Erwan quitta le bureau de miss Laverky, plein de fierté. Il allait enfin pouvoir annoncer son départ à tout le monde. Certes, il aurait aimé une augmentation de salaire au passage, mais il sentait que l’expérience allait être unique, et que sa soif d’aventure allait être comblée. Il descendit aussitôt dans le bureau de Thibaut, qui par chance était là, pour le remercier et lui dire son enthousiasme.

— Tu verras, tu ne le regretteras pas ! C’est une chance pour ta carrière. Aujourd’hui, il faut avoir travaillé en Chine pour progresser. Moi-même, je regrette de n’en avoir pas eu l’occasion. Alors bonne chance, mon vieux, on reste en contact ! Même là-bas, on continuera à te surveiller ! Donne le meilleur de toi-même, et n’oublie pas que quelque part, tu représentes le siège. Mais tu seras excellent, j’en suis sûr, ce poste est fait pour toi !

Erwan lui serra la main. Il l’ignorait alors, mais c’était la dernière fois qu’il le voyait.

Pendant tout l’été, Erwan se prépara au départ. Le contrat d’expatriation avait été signé très vite par Herring Funds. Les collègues étaient tous au courant et lui demandaient déjà quand il ferait son pot de départ. Il n’avait pas du tout l’intention d’en faire un. Ce genre de cérémonie était pour lui d’un ennui profond.

Il avait averti son propriétaire qu’il partirait le premier septembre. Aucun problème de ce côté-là, il fallait juste récupérer la caution avant le départ. Il avait fait ses vaccinations, et obtenu son visa. Il avait acheté le Lonely Planet de Shanghai – ça pouvait être utile – et se disait que, pour le reste, il fallait partir l’esprit ouvert, prêt à découvrir sur place les endroits intéressants, et vivre l’aventure sans trop anticiper les choses.

Et le grand jour arriva. Il déjeunait chez ses parents le mercredi midi, et son père l’accompagnerait vers dix-sept heures à l’aéroport de Roissy. Il devait prendre le vol Air France de vingt et une heures. Sa mère, toute perturbée par ce départ, avait mis les petits plats dans les grands, et le repas était excellent.

— Combien de temps dure le vol ? demanda son père en se servant un gros morceau de dinde.

— Douze heures environ. J’en profiterai pour me relaxer. J’adore les voyages longs, et surtout les repas à bord. On est là, complètement endormi, et tout à coup les hôtesses vous réveillent en vous apportant un plateau bien chaud. Quel régal !

— Et comment est-ce que ça va se passer là-bas ? Tu logeras où ? demanda sa mère.

— Au début, je serai à l’hôtel, puis ils m’aideront à trouver un logement sur place. Je dois travailler dans une tour hypermoderne du quartier d’affaires. C’est la plus grande tour de Chine, la cinquième au monde. En fait, il y a tout dedans : des bureaux, plusieurs hôtels de luxe, des restaurants, salles de sport, piscine, casino… une vraie ville dans la ville ! J’espère que je serai directement dans un hôtel de la tour, comme ça, pas de métro, pas de voiture, j’irai directement travailler en ascenseur !

Cela fit rire tout le monde, mais sa mère, inquiète, rajouta :

— Surtout, tu nous envoies ton adresse dès que tu arrives là-bas, et tu nous donnes un numéro de téléphone, qu’on sache où te joindre.

— Ne t’inquiète pas, maman, ça se passera très bien. Je vous donnerai de mes nouvelles dès que j’arrive. D’ailleurs, il faudra que vous passiez me voir, ce serait génial ! Vous pourrez venir ?

— Ça m’étonnerait, avec ton père ! répondit-elle.

Voilà typiquement le genre de phrase mystérieuse qui agaçait profondément Erwan. Elle ne savait pas répondre par oui ou par non. C’est elle qui avait peur de venir, et non pas le père qui avait un problème. D’ailleurs elle avait peur de tout, mais sans jamais l’assumer. Une peur qui empêchait tout, restreignait tout, rapetissait tout, sclérosait tout, et qu’elle avait très jeune imprégné à son fils si sensible.

À seize heures, il fallut partir pour l’aéroport. Avec l’aide de son père, il chargea dans la voiture les deux valises qu’il emmenait.

Pendant le trajet en voiture, Erwan regardait la Seine, le Stade de France et les immeubles de banlieue qui défilaient, en se disant que Paris, ça n’était quand même pas mal. Qu’est-ce qui l’attendait là-bas ? Et si c’était à mourir d’ennui ? Il chassa ses appréhensions en se disant que quoi qu’il arrive, il essayerait de vivre comme les autochtones. Il prendrait tout son temps pour découvrir Shanghai et les autres villes de Chine. En aucun cas il ne resterait dans le milieu fermé des expatriés.

Arrivé à Roissy, son père le déposa et lui fit ses adieux. En rentrant dans le hall du terminal, Erwan fit un geste d’au revoir vers la voiture qui s’éloignait. Il se sentit tout à coup très seul, à la fois heureux et inquiet de la nouvelle liberté qui s’annonçait. Il allait devenir un autre homme, dans un autre monde.

Deux heures à tuer avant l’embarquement. Erwan en profita pour se balader. Il flâna dans les boutiques, prit un café au self, et visita les toilettes. Il aimait traîner, observer, et rester à l’affût d’une rencontre originale à faire. Et il ne fut pas déçu.

Dans la salle d’embarquement, où il était allé s’asseoir, il avait en face de lui un couple improbable, dont il s’amusa à écouter la conversation tout en faisant semblant de lire le journal. Il s’agissait d’une femme assez âgée, peut-être la soixantaine, petite et ronde, les cheveux courts, avec de grosses lunettes rouges qui lui couvraient presque la moitié du visage. Une sorte de croisement au féminin entre Jean-Pierre Coffe et Mac Lesggy, parfait pour une soirée déguisée originale ! Elle parlait sans cesse, d’un ton fort et autoritaire. Elle était volubile, passant d’une idée à l’autre, tenant des propos incompréhensibles. Elle cherchait sans cesse des choses dans son sac, prenait puis reposait les journaux placés sur le siège voisin.

Elle était accompagnée d’un jeune homme, semblant avoir entre vingt-cinq et trente ans. Il était fin, habillé de façon classique, pull gris, jean et baskets, et restait d’un calme absolu. Il semblait ne même pas écouter le flot de paroles que la vieille dame lui adressait ni prêter attention à ses gestes brutaux. C’est comme s’il avait l’habitude de les subir et qu’il connaissait par cœur ses propos, estimant qu’il n’était même plus nécessaire de les commenter.

Erwan se demandait ce qu’ils faisaient ensemble. Ils ne se ressemblaient pas du tout, ça ne pouvait donc pas être le fils et la mère. Cela ne pouvait pas être un couple : la différence d’âge était trop grande. Cela ne pouvait pas non plus être le petit-fils, car la différence d’âge était trop faible. Et pourtant ils paraissaient très intimes. Erwan en conclut que c’était son neveu. La femme parlait tellement fort qu’il entendait toute la conversation :

— Oh là là, si elle insiste, je lui expliquerai, moi, qu’elle n’a pas à se mêler des affaires des autres ! Hein ? dit la femme.

Le jeune homme lui répondit juste un « hum », sans même la regarder. Tout en lui saisissant le bras, elle rajouta :

— C’est une incapable ! Si elle voulait vraiment nous aider, elle ne nous demanderait pas sans arrêt de rentrer. Au contraire, elle viendrait avec nous travailler sur le terrain !

— Tu plaisantes ? On est assez grands pour ça, je te l’assure, répondit le jeune homme.

— Tu as raison. On a suffisamment à faire. Nous n’avons pas besoin d’elle. Et toi, occupe-toi de trouver un boulot à Shanghai, tu ne peux pas rester à rien faire pendant que moi je travaille !

L’autre répondit par une moue ; manifestement, il se fichait de ce qu’elle pouvait lui dire. Erwan, intrigué et amusé, continua de les observer discrètement, quand la dame se mit à le regarder et lui adresser la parole :

— Excusez-moi, monsieur, vous attendez le vol pour Shanghai ?

Erwan bredouilla d’un air bête :

— Oui. Vous aussi ?

— Oui, nous habitons là-bas, moi et mon fils. C’est une ville extraordinaire ! Vous connaissez Shanghai ?

— Non, pas du tout. J’y vais pour la première fois. J’ai été muté pour mon travail. J’ai hâte de découvrir, il paraît que c’est très moderne.

— Moderne… oui, c’est moderne, mais enfin vous savez, les gens sont un peu froids. Il y a encore un esprit très particulier, très secret. C’est chacun pour soi. Il y a d’un côté le luxe, les hôtels, les affaires, mais derrière, c’est la misère, la souffrance. Quand on n’est pas privilégié, la vie en Chine est difficile. Maintenant, c’est l’économie qui prime partout, et la population profonde, elle, vit dans des conditions très précaires.

Un peu gêné par ces considérations politiques peu réjouissantes, et en espérant un peu de discrétion, Erwan poursuivit la discussion :

— Et vous-même, qu’est-ce que vous faites comme activité là-bas ?

— Moi je fais des ménages. J’ai été obligée de travailler depuis la mort de mon mari. J’aurais bien voulu que mon fils François trouve un emploi et se fasse une situation, cela m’aurait permis de m’occuper de la maison, mais c’est l’inverse : moi je travaille et lui reste à la maison ! dit-elle en le regardant comme pour lui reprocher une fois de plus sa fainéantise.

Ce dernier leva les yeux au ciel, amusé, comme pour dire : « Ne l’écoutez pas. Elle dit n’importe quoi ! »

Erwan renchérit en s’adressant à lui :

— Mais vous vous plaisez à Shanghai ?

— Ça va, c’est pas mal, répondit François. Et vous, vous êtes dans quoi ?

— Dans la banque. Je suis trader. Je vais rejoindre notre filiale à Shanghai. Je ne ferai pas forcément ça toute ma vie. La finance est un milieu très difficile… mais je verrai bien ; si ça ne va pas là-bas, je reviendrai en France.

Soudain très enthousiaste, la femme lui coupa la parole :

— Ah bon, vous êtres trader ? Tu vois, François, lui au moins il a une situation ! C’est très intéressant. Si cela vous dit, ce serait bien qu’on se voie quand vous serez sur place. Venez dîner avec nous, et nous ferons connaissance ! Mon fils pourra vous montrer les endroits qu’il faut voir à Shanghai. Si vous êtes d’accord, nous pouvons échanger nos adresses, et nous nous rencontrerons d’ici quelque temps.

Méfiant, car il n’avait pas envie de donner ses coordonnées à des inconnus, mais à la fois intrigué et curieux d’en savoir plus sur ces deux personnages, il accepta la proposition :

— Écoutez, c’est avec plaisir. Pour l’instant, je serai logé à l’hôtel, en attendant de trouver autre chose. Il s’agit de l’hôtel Intercontinental, qui se trouve dans la tour du World Financial Center, là où se trouve aussi la banque où je travaille. C’est à Pudong, dans le quartier Lujiazui.

— Le World Financial Center ? Je connais très bien, c’est une des tours récentes de Shanghai. C’est très spécial : elle ressemble à un décapsuleur tout en verre. Alors ça, ils en sont très fiers, les Chinois ! Pudong, et Lujiazui – c’est le centre du quartier d’affaires –, ils n’arrêtent pas de construire. Les immeubles y poussent comme des champignons. Ma société fait du nettoyage pour les bureaux dans ces quartiers-là. Vous verrez, c’est Las Vegas ! Je savais qu’il y avait un hôtel dans la tour juste en face, la Jin Mao, mais s’il y en a un aussi au Financial Center, alors vous serez dans le grand luxe. Ça va être formidable !

Elle étendit soudain sa jambe gauche, retira sa chaussure et la pointa au-dessus de sa tête comme pour regarder s’il n’y avait pas un caillou dedans, et la remit aussitôt à son pied. « Étrange ! » se dit Erwan qui hésitait à prendre ses distances.

— Nous, nous habitons en périphérie nord, dans le quartier Baoshan, à peine à vingt minutes du centre en métro. Je vais vous écrire notre adresse et notre numéro de téléphone, et on essayera de se rencontrer bientôt.

Elle prit alors une feuille et écrivit :

« Édith / François Delarue, Baoyang road 141, building D, Yanghangzhen, Baoshan, Shanghai.

Tel : 312-54732 »

Elle lui tendit alors un papier pour qu’il écrive à son tour son adresse, ce qu’il fit :

« Erwan Jean, hôtel Intercontinental, World Financial Center, Lujiazui, Pudong district, Shanghai. »

Ils s’échangèrent les papiers, puis Erwan, ne voulant pas trop approfondir la discussion, et n’étant pas vraiment sûr qu’il les contacterait un jour, conclut :

— C’est parfait. J’espère qu’on se verra bientôt. Excusez-moi, mais je vais aller prendre un café et faire un peu les boutiques. On se rencontrera certainement à Shanghai. À bientôt !

Il leur fit un sourire, se leva, puis alla flâner dans les boutiques en attendant l’embarquement. Il n’avait pas du tout l’intention d’acheter quoi que ce soit. Les parfums et les chocolats à des prix pareils, ce n’était pas son truc. Il voulait juste les abandonner et prendre un peu de temps seul.

À vingt heures trente précises, une hôtesse annonça : « Les passagers du vol AF 3766 pour Shanghai sont priés de se présenter en porte 6 pour l’embarquement. Merci de présenter votre carte d’embarquement et une pièce d’identité. »

Erwan rejoignit la file d’attente. Il y avait plus de Français que de Chinois dans ce vol. Quand ce fut son tour, il tendit son billet à l’hôtesse, qui lui souhaita un bon vol avec un grand sourire. À nouveau des contrôles de police avant l’embarquement. Les consignes de sécurité, comme dans tous les lieux publics, étaient extrêmes. Vigipirate niveau maximal depuis des mois. Cela faisait au moins cinq fois qu’il s’était fait fouiller depuis son arrivée à l’aéroport. Il traversa la passerelle et pénétra dans l’avion, accueilli par un jeune et élégant steward qui lui indiqua sa place avec une attention et une délicatesse toutes particulières.

Il se cala dans son fauteuil. Il allait pouvoir réfléchir, se relaxer, et se laisser porter, comme un enfant, vers son nouveau destin. Pendant douze heures, il n’y avait plus qu’à lire, à dormir, et à manger. Et il se retrouverait comme par magie dans un autre pays, dans un autre monde, où il allait tout oublier et repartir de zéro.

Un jeune homme gros comme un sumo arriva près de lui, mit son sac dans la soute en écartant tous les autres bagages qui s’y trouvaient, et fit signe de le laisser passer. Erwan se leva et laissa l’homme s’installer à la place voisine, près du hublot. « Mince, je n’ai pas de chance ! J’aurais pu être à côté d’un canon, et je me retrouve avec un obèse. Il va prendre toute la place ! » Puis il se reprit à être tolérant : « Tout le monde a le droit de voyager. Il est peut-être charmant. »

Au décollage, les passagers pouvaient voir Paris du ciel, brillant de mille feux dans la soirée naissante. On apercevait la Seine, la tour Eiffel et la grande roue des Tuileries. Erwan espérait voir La Défense, cette rangée de tours alignées entre deux arcs, mais son voisin lui occultait la vue. Alors il se cala au fond du siège pour se détendre et se laisser porter par l’avion lourd et puissant.

Pendant le vol, à moitié endormi et blotti dans sa couverture, Erwan repensait à l’appartement qu’il laissait à Courbevoie. Il pensait à l’étage 25 de la tour CB 22, à Thibaut et à ses collègues, et à cette vie bien réglée qu’il abandonnait. Qu’allait-il trouver là-bas ? De l’aventure, de l’inattendu, et des rencontres, voilà ce qu’il souhaitait. Ce n’est pas ce qu’on vit qui compte, mais comment on le vit. Même dans l’univers le plus strict et le plus impitoyable, on peut explorer des territoires fantastiques et vivre des moments merveilleux.

Il repensait à la solitude qui le marquait depuis toujours, une véritable obsession. À vingt-sept ans, ne pas être en couple, et ne vivre que des rapports passagers dans les lieux publics, ce n’était pas son idéal. Il aspirait à une vie de couple fidèle, tranquille et qui durerait pour la vie. Il voulait construire sa vie à deux, mais hélas aucune rencontre sérieuse ne s’était jamais présentée à lui.

Il repensait à ses parents, qui le comprenaient si peu, mais avec qui il essayait de garder des rapports cordiaux. « Des rapports cordiaux avec mes parents… Pourquoi pas plutôt des rapports profonds, de l’amour, de la passion ? » Et lui vinrent les images de Papy Rob, son grand-père. Lui, au moins, il l’aimait vraiment.

Robert, le père de sa mère, avait soixante-douze ans. C’était un fort caractère, plein d’humour, et encore très actif pour son âge. Sa femme était morte d’un cancer il y a cinq ans, et depuis, il s’était retiré dans sa maison de Roscanvel, dans le Finistère. Il passait ses journées à s’occuper de la maison et du grand terrain attenant. Il y cultivait des légumes, des fruits, et y élevait des lapins et quelques poules.

Erwan était de loin son petit-fils préféré. Ils s’écrivaient régulièrement. Papy Rob était très fier de sa réussite, et toujours prêt à le conseiller et à l’aider. Erwan se promit, dès qu’il aurait des vacances, de passer le voir en Bretagne pour lui raconter Shanghai. Cela lui permettrait de se ressourcer et de passer des moments au calme.

Au moment où il se voyait au bord de mer, respirant l’air frais du large, marchant sur les rochers couverts de goémons, il sentit la tête de son voisin, qui s’était endormi et ronflait en faisant des bruits bizarres, se pencher dangereusement vers son épaule. « Pas moyen d’être tranquille », pensa-t-il en s’écartant pour éviter que l’autre ne se repose complètement sur lui.

Soudain, les lumières de l’avion s’allumèrent, et les hôtesses apportèrent à manger. Les passagers, à moitié endormis, se redressèrent à l’unisson, se précipitant sur les plateaux-repas. Erwan adorait ces repas d’avion, servis chauds, bien ordonnés dans de petites barquettes. Il prit une bière, et mangea la terrine de légumes qui faisait office d’entrée, le poulet aux pommes de terre, et la part de camembert. Le dessert, une espèce de carré gélatineux au goût de coco, passait très bien avec un café. Il regardait en coin son voisin qui, lui, semblait nettement moins enthousiaste, laissant de côté la moitié des plats sans les finir. Leurs regards se croisèrent et ils se sourirent. Puis quand les hôtesses eurent débarrassé, chacun retourna à ses rêves, essayant de se relaxer pour dormir.

Douze heures plus tard, l’avion commençait sa descente. Fini la nostalgie, Erwan avait maintenant hâte d’arriver et de découvrir sa nouvelle vie. Sur l’écran de la cabine, des images de l’aéroport d’arrivée défilaient. On annonçait une température de 18°C. À travers le hublot, Erwan aperçut l’immensité de la ville qui se rapprochait. Deuxième ville de Chine, avec vingt-trois millions d’habitants, Shanghai est une immense métropole. Vu de haut, cela ressemblait à Paris, ou à Londres : une forêt d’immeubles et de routes qui semblaient s’étendre à perte de vue.

Le steward déclina en français, en anglais, puis en chinois, l’annonce de l’atterrissage : « Mesdames, messieurs, nous allons atterrir dans quelques instants à l’aéroport de Pudong International. Merci de relever votre tablette, votre siège, et de vérifier que votre ceinture est bien attachée. » Erwan ressentait toujours une certaine appréhension à l’atterrissage. Il ferma alors les yeux et se détendit, au moment où l’appareil se posa sur la piste et freina lourdement pour rejoindre le terminal.

Nous étions alors jeudi, quinze heures. Erwan avait pris soin de mettre sa montre à l’heure locale. Il n’était que neuf heures du matin en France. Il récupéra ses bagages et passa sans encombre la douane. Tous ses papiers étaient en règle.

L’aéroport était grouillant de monde. Des tubes blancs bien alignés pendaient au plafond du hall ultramoderne, comme une forêt renversée. Des palmiers et des panneaux publicitaires complétaient le décor. Il décida de chercher tout de suite l’agence bancaire pour retirer de l’argent, puis passa au point d’information pour acheter un plan de la ville.

Pour rejoindre le centre-ville, situé à trente kilomètres environ, il fallait prendre un train de banlieue, dont l’accès était bien signalé. Le « train rapide », nommé Shanghai Maglev, semblait l’étape indispensable. Il prit donc un ticket pour cinquante yuans, environ cinq euros, et se retrouva sur le quai de ce bolide à suspension magnétique. C’était une sorte de TGV tout blanc, ultra-rapide, qui en à peine huit minutes le propulsa, filant comme une étoile au-dessus de la banlieue de Shanghai, à la station de métro de la Long Yang road.

Comparé au niveau des transports parisiens, Erwan se voyait entraîné dans une autre dimension. Il rejoignit alors la ligne 2 du métro, qui cette fois lui paraissait d’un standard proche de celui auquel il était habitué à Paris. Cinq stations plus loin, il descendit à Lujiazui, et se retrouva directement au cœur de Pudong, le quartier qui allait devenir le sien.

Il n’eut pas à chercher longtemps sa destination. En sortant du métro, il eut l’impression d’être à New York. Des immeubles et des tours se dressaient tout autour. Des rues bondées de monde, des publicités partout, et soudain, devant lui, deux immenses gratte-ciel qui se faisaient face apparurent. La première tour était la Jin Mao, un building de 420 mètres de haut, d’un style rappelant celui de l’Empire State Building. Juste à côté se dressait la tour du World Financial Center, encore plus haute, très effilée, avec une ouverture vers le haut évoquant la forme d’un décapsuleur.

De nombreuses tours plus hautes ont été construites depuis, notamment à Dubaï, où le record d’un immeuble de 1000 mètres de haut avait été battu. « Pourquoi ce gigantisme ? » pensa Erwan, fasciné à la fois par la beauté et l’absurdité de ces constructions longilignes. « L’homme veut-il se rapprocher du ciel ? Pourquoi chaque pays fait-il la course à la hauteur, comme s’il s’agissait d’une fierté nationale ? Jusqu’où ira ce jeu absurde ? »

Il repensa à la tour Eiffel. À l’époque de sa construction, c’était la structure la plus haute au monde, mais elle ne mesurait que 300 mètres. Cela ne l’a pas empêchée de devenir une véritable œuvre d’art, avec un charme et une âme indéniables. La tour Eiffel n’avait pas d’utilité particulière autre que celle d’être admirée. Tandis que le building dans lequel il allait vivre était au contraire plein d’activités. Une véritable ville dans la ville. Dans ces nouvelles tours, on trouvait à la fois des bureaux, des hôtels, des commerces, des salles de jeux et des terrasses pour les touristes. On pouvait tout faire sur place sans sortir, et c’est sur cette vague impression d’enfermement qui se répétait en lui, qu’Erwan avança lentement vers la tour.