Guide du négociateur stratégique - Christophe Caupenne - E-Book

Guide du négociateur stratégique E-Book

Christophe Caupenne

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  • Herausgeber: Mardaga
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

Nous sommes tous des négociateurs ! Chef d’entreprise, parent, manager d’équipe ou représentant commercial, nous négocions tous les jours. Alors, comment s’assurer de négocier efficacement ? Quels sont les trucs à connaître ? Comment les appliquer au quotidien ?

Christophe Caupenne, ancien négociateur en chef du RAID, a fait face à nombre de situations où négocier stratégiquement est une question de vie ou de mort. Dans ce guide, mis à jour, il partage les techniques utilisées quotidiennement par les plus grands professionnels et spécialistes de la négociation. S’appuyant sur des exemples concrets issus de sa pratique, il permet à tout un chacun d’utiliser les principes de la négociation stratégique dans sa vie quotidienne, professionnelle comme personnelle.

Le manuel indispensable pour maîtriser l’art de la négociation stratégique !


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Christophe Caupenne est un ancien commandant du RAID, chef du groupe de gestion de crise et négociation. Aujourd’hui à la tête d’un cabinet de consultance en négociation, gestion d’équipe et sûreté, il est également expert auprès des entreprises et des médias sur les questions de sécurité, terrorisme, contre-manipulation et négociation.

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Seitenzahl: 273

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Guide du négociateur stratégique

Christophe Caupenne

Guide du négociateur stratégique

Le témoignage exclusif d’un ancien commandant du RAID, chef du groupe de gestion de crise et négociation

Préface

Votre vie se scinde en deux parties : vos études et le reste. D’elles dérivent deux grands problèmes qu’il faut résoudre si vous voulez réaliser vos objectifs, vos rêves. Ce livre de Christophe vous en donne les clés.

Premier problème : dans vos études, on vous apprend que, si vous travaillez bien, vous aurez de bonnes notes, parce que vous l’aurez mérité ; donc vous aurez accès à la classe supérieure, parce que vous l’aurez mérité ; vous irez dans un bon collège, puis un bon lycée et vous aurez votre baccalauréat avec mention, parce que vous l’aurez mérité ; puis, évidemment, de bonnes études supérieures et enfin vous obtiendrez le premier job de vos rêves… Tout ça parce que vous le méritez : nous sommes dans l’école du mérite.

Pourtant, dès que vous sortez du monde des études, vous n’obtenez plus ce que vous « êtes en droit d’exiger, parce que vous le méritez ». Non, tout ce que vous obtenez, c’est ce que vous êtes capable de négocier :nous sommes alors dans l’école de la vie, où l’on apprend très vite que quasiment rien n’est dû, mais que presque tout est négocié.

Or, rarement dans nos études on nous apprend à négocier « dans la vraie vie ». Il y a bien des cours de négociation de contrats commerciaux, d’accords bilatéraux entre États ou encore des simulations de négociations internationales. Mais on peine trop souvent à appliquer concrètement ce qu’on y apprend. On est en droit de se demander pourquoi. Serait-ce parce que l’art de négocier serait in fine une compétence qui reposerait sur un talent inné, plus que sur un apprentissage méthodique ? Après tout, il y a bien « ceux qui sont forts en maths » et « ceux qui sont forts en français ». Pourquoi la négociation serait-elle différente ? Au fond, peut-être est-il plus confortable d’en arriver à la conclusion que certains sont forts en négociation comme d’autres sont forts en calcul mental ? On ne se l’explique pas. Et puis, les enfants négocient déjà dès leur plus jeune âge : plus de temps de loisirs, plus de sucreries, moins de devoirs de vacances ! De même, ne sommes-nous pas tous tout le temps en train de négocier ? Dans le cadre familial pour le choix de l’activité du dimanche ; pour l’achat de sa résidence principale ;pour la vente de sa voiture, ou encore pour le cadeau de Noël de belle-maman, même s’il est revendu sur Internet dès le lendemain du réveillon.

Et c’est là que se situe notre second problème : nous avons tous une préconception plus ou moins claire de ce qu’est la négociation. Que l’on en ait une approche enthousiaste ou dédaigneuse, nous tombons trop facilement dans l’auto-­expertise (plus peut-être que pour n’importe quel autre sujet). Une bonne opération dans l’achat d’une cafetière italienne des années 1950 aux puces et, hop !, nous voilà devenus négociateurs experts. Et si en plus notre métier nous amène à négocier régulièrement, alors là, c’est sûr, nous en savons long sur ce savoir-faire clé !

Et c’est peut-être vrai. D’ailleurs, si vous avez ce livre entre les mains, c’est que vous êtes assez compétent sur le sujet pour comprendre que vous pouvez encore et toujours vous améliorer, car plus nous avançons dans la connaissance d’un sujet, plus nous réalisons l’étendue de notre ignorance. Pour les dédaigneux qui n’aiment pas négocier et prennent des postures rigides, ce qui est amusant, c’est qu’ils négocient quand même sans le savoir.

En fait, comme le dit Stuart Diamond, professeur de négociation à Wharton et auteur du best-seller Getting More, la question n’est pas de savoir si vous négociez ou pas. La question est de savoir si vous négociez bien ou mal.

D’ailleurs, la prochaine fois que vous croiserez un spécialiste autoproclamé de la négociation, demandez-lui si ses compétences seraient suffisantes pour aller négocier la libération d’un otage, en le récupérant entier et bien entendu vivant à coup sûr.

Combien de personnes ont été exposées à des négociations où l’enjeu est ultime, où l’on parle de la vie ou la mort d’une ou plusieurs personnes, y compris la sienne ?

Combien de personnes ont-elles la compétence réelle de traiter avec assurance et méthode ce type de négociation à haute tension ?

Christophe Caupenne est une de ces personnes rares, discrètes et efficaces, mais un maître en la matière. Et je ne dis pas cela uniquement parce qu’il a participé, pendant ses onze ans au RAID, à plus de 350 interventions, mais aussi parce qu’il a théorisé, travaillé, compilé tout ce que les sciences humaines nous apprennent en méthode d’influence, théorie de l’esprit, psychologie de la confiance, interaction avec des personnalités difficiles, gestion du stress, etc., pour les appliquer avec succès dans les situations les plus sensibles.

Et depuis huit ans, je croise Christophe qui met en œuvre ces savoir-faire avec succès dans le monde de l’entreprise.

Je vous souhaite que ce petit guide de négociation devienne pour vous, comme il l’est pour moi, une bible à con­server à portée de main et à utiliser chaque jour de votre nouvelle vie !

Merci, Christophe, pour ce partage. C’est une grande richesse qui contribuera à nous rendre tous un peu meilleurs, et qui sait, à contribuer à un monde un peu plus apaisé.

Frédéric Bonneton

CEO MCR Groupe Expert Label de Négociation FOR ONE Auteur de La Négociation Émotionnelle, Éditions Kawa, 2017.

Préambule

La nature nous a créés avec la faculté de tout désirer et l’impuissance de tout obtenir.

Nicolas Machiavel

L’influence est une quête insatiable qui obsède et passionne. De tout temps, les hommes ont tenté d’amener leurs congénères à suivre leurs préconisations, à obéir à leurs ordres, ou à soumettre leurs volontés à des principes supérieurs dictés par une élite ou une idéologie. Parfois pour leur bien, par exemple lorsqu’il fallait mettre en garde contre des périls qui pouvaient mettre à mal des modèles sociétaux comme la démocratie, d’autres fois pour garantir ou obtenir le pouvoir, quel qu’en fût le dessein. Qu’elle soit à motivation bienveillante, ou encore religieuse, politique, ou de domination pure, l’influence a toujours été un objectif majeur des relations humaines. C’est sur elle que se sont maintenus les plus grands empires hérités de guerres de conquête, ou de positions économiques dominantes. Tous les rois et sou­verains de l’histoire ont cherché à en connaître la recette. Aujourd’hui encore, chacun tente de connaître les secrets de ses algorithmes cachés, avec l’avidité d’un chercheur de pépites sur le filon d’orpaillage des sciences humaines.

Dans les unités d’élite françaises comme le RAID ou le GIGN, la recherche de résolution pacifique des crises criminelles, ou domestiques, s’est également basée sur la quête des outils d’influence, celle-là même qui permettrait de dissuader un forcené de poursuivre son combat, ou un criminel de tuer ses otages. Le « suprême enjeu », celui de préserver la vie d’une victime, ou d’interpeller le mouton noir égaré sur le chemin du chaos1, m’a poussé à développer une méthode subtile et pragmatique autour d’un certain nombre de clés d’influence, au service de la Police Nationale Française, durant plus de 11 ans, et à créer un cursus universitaire (master 2) ultra spécialisé et confidentiel2, passant par l’ensemble des connaissances en sciences humaines. Ce sont ces techniques et outils que je mets aujourd’hui à disposition des entreprises, de leurs dirigeants et de toutes les structures qui souhaitent acquérir des clés de performance en matière de négociation complexe. Ce sont donc trente-cinq ans de pratiques sur la négociation, dans la police puis dans le privé, que ce guide évoque de façon utilitaire, notamment sur des aspects qui sont très peu évoqués, comme la psychologie de l’influence ou les biais cognitifs relationnels.

Mais vous pourriez vous dire : à quoi bon lire ce petit guide qui tente de nous éclairer sur un florilège de conseils pratiques ? Vous, dans votre quotidien, vous n’avez pas à sauver des otages et encore moins à sauver le monde les armes à la main. Tout juste vous faut-il avoir les moyens de muscler votre EBITDA3, ou de réussir un joli coup commercial tout en préservant une bonne relation avec vos partenaires ou clients du moment. Tout juste vous faut-il également éviter l’échec d’une transaction où vous auriez fait de mauvais choix personnels, qui attenteraient à votre crédibilité, ou votre réputation.

Alors ?

Influencer pour dissuader, pour éviter de perdre, ou pour dominer : peu importe la finalité, tant qu’on en maîtrise la méthode. Voilà l’enjeu ! Les clés d’efficacité ne sont pas réservées qu’aux négociateurs d’élite. Elles sont universelles, autant méthodologiques que basées sur de fines connaissances psychologiques ou comportementales. Elles peuvent servir à tous et notamment dans le monde de l’entreprise, où « le marché et les transactions » deviennent particulièrement exigeants et complexes.

Ce petit guide est fait pour vous, car il vous parle de votre quotidien en matière de négociation et va à l’essentiel de ce qu’il faut connaître pour performer dans la vie de tous les jours. Il privilégie le pragmatisme, car vous n’êtes pas forcément rompus à ces méthodes d’aïkido intellectuel et verbal.

Les encarts que vous trouverez tout au long du chapitre 1 constituent le récit d’une affaire criminelle qui nous sert de fil rouge. Cela va permettre de mettre en évidence plusieurs concepts et éléments à prendre impérativement en compte.

On le sait tous, une entreprise, un projet, c’est toujours une alchimie mettant en œuvre de l’humain, de l’audace et un art subtil de commandement pour donner du sens aux ambitions. Mais rien ne se passe jamais sans une étape déterminante de négociations, afin de faire adhérer, ou de neutraliser, les sceptiques ou les détracteurs.

Bienvenue dans le monde subtil de l’influence.

1. Ainsi pourrait-on décrire toute personne qui s’aventurerait malgré elle, ou volontairement, sur le chemin de la délinquance ou de la criminalité.

2. Ouvert uniquement aux négociateurs des forces d’intervention Police (RAID, BRI) et co-bâti avec mes homologues du GIGN, qui l’ont également validé dans le cursus d’expertise de la gendarmerie.

3. « Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization » (EBITDA) désigne, dans le monde de la finance et des entreprises, le bénéfice avant que n’en soient soustraits les intérêts, les impôts et taxes, les dotations aux amortissements et certaines provisions. En français, on parle aussi de « bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement » (BAIIDA).

Introduction

Pour bien négocier, il faut s’engager totalement dans l’action, avec sincérité et curiosité, car nul n’arrive à influencer sans conviction ni enthousiasme. Il faut aimer la joute,l’affrontement intellectuel, même s’ils restent cachés dans les tréfonds de notre sagesse apparente et dans notre stratégie intime.

Je vous fais une confidence. En 2000, dans mes jeunes années de négociateur en chef du RAID, je me suis souvent demandé – en arrivant sur une situation de crise – ce qu’il pouvait y avoir de différent entre la manière de négocier des policiers « primo-intervenants » et ma méthode à moi, arrivant en fin de course pour résoudre l’affaire, alors même que tout semblait avoir été tenté par lesdits prédécesseurs. Arriver après le passage infructueux de ces gens-là peut paraître un challenge insurmontable. Ces « primo-intervenants » ont souvent négocié durant plusieurs heures pour tenter d’obtenir la sortie du malfaiteur, la dépose de son fusil et la libération de son otage, mais rien n’y fait ; l’individu reste verrouillé dans un jusqu’au-boutisme incompréhensible qui peut conduire à sa perte. Faute de résultats, les primo-intervenants se rési­gnent à appeler la cavalerie… et le RAID arrive, comme solution ultime pour résoudre l’impasse de la crise.

Dans 80 % des cas, nous arrivons malgré tout à obtenir la reddition de l’individu. Nous pourrions alors penser que la simple arrivée sur place de l’unité d’élite de la police et l’évocation de son nom, telle la foudre de Zeus, est suffisamment impressionnante pour que l’individu en crise recouvre un semblant de lucidité, ou une poussée d’angoisse salvatrice, voire que cela réveille son instinct de survie et sa raison. Il faut reconnaître que le déploiement très impressionnant des multiples moyens d’intervention du RAID pourrait à lui seul impressionner quiconque de sain d’esprit. Or, dans la réalité, ces choses-là ne jouent que très peu dès lors qu’une personne agressive est dans une logique de combat ou de jusqu’au-boutisme. D’une part, parce que la plupart du temps, la personne retranchée ne voit pas réellement le déploiement de notre dispositif ; nous gardons ainsi l’effet de surprise. Mais d’autre part, parce que dès lors qu’un individu décide de prendre des gens en otage et de menacer quiconque tenterait une approche, il n’y a que peu d’espoir que la simple vue d’une unité d’intervention change chez lui sa détermination et suffise à lui faire rendre les armes. C’est SON jour J, l’échéance funeste de son drame personnel, le grand rendez-­vous avec son destin. Le sentiment qui prédomine alors, la plupart du temps, c’est : « finissons-en de cette impasse. Autant mourir les armes à la main. »

Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris ce qui faisait notre succès quasi systématique4 : les premiers policiers utilisent leur intelligence, le sacro-saint Code pénal, les articles dissuasifs sur les violences volontaires ou la prise d’otages, l’aggravation du port d’arme ou de son usage, mais aussi et surtout leur bon sens de policier, leur rationalité d’homme ou de femme, et pour certains leur charisme, afin de soumettre la volonté de l’homme par la logique et la raison, et ainsi tenter de le convaincre de déposer ses armes et de libérer les otages.

Mais toutes ces choses rationnelles ne fonctionnent pas, car une personne verrouillée sur une impasse cognitive n’est plus accessible à ladite raison. C’est peine perdue de tenter de la faire rentrer dans le droit chemin, car elle est dans une impasse existentielle qui est l’aboutissement d’un long processus de frustration, de colère, de dégoût et de haine. Tout doit s’arrêter de sa vie d’avant et se transformer en une renaissance totale, ou plutôt en une mort assumée (ce qui est aussi une manière de sortir de cette impasse ; certains sortent du traumatisme par un plongeon dans la folie).

Or, lorsque les négociateurs d’unités d’intervention arrivent,après une phase minutieuse de renseignement sur la situation, le contexte, l’environnement, les caractéristiques de l’auteur et de sa victime – leurs liens éventuels –, la présence ou non de modificateur comportemental (alcool, drogue, médicaments), la nature des armes et leur utilisation – ou non – depuis le début de la crise, le possible élément déclencheur de cette situation, etc., ils prennent alors attache avec le criminel, avec le seul objectif de s’intéresser à lui et à ce qui a déclenché cette situation de siège.

Ce qui est important, dans l’immédiat, c’est de comprendre ce qu’il se passe ici et maintenant, dans ce huis clos terrifiant. Pourquoi cette prise d’otages ? Pourquoi aujourd’hui ? Pour­quoi de cette manière ? Qu’est-ce qui n’a pas marché dans les modes de résolution de crise précédents ? Etc. Et ensuite, dans un second temps, nous proposons notre aide afin de trouver quelque chose d’utile à faire pour l’individu et pour favoriser la résolution de l’événement. Nous faisons montre de bienveillance curieuse à son égard et c’est ça qui fonctionne à coup sûr : le fait de s’intéresser sincèrement à l’autre, de tenter de se mettre à sa place, d’écouter son histoire sans chercher à critiquer, à juger, ou à le raisonner.

4. 80 % de taux de résolution par la négociation, en 2011.

CHAPITRE 1Les étapes d’une négociation

1. Chacun sa vision du monde

J’ai quitté mon psychanalyste quand j’ai compris qu’il était guéri.

Woody Allen

Pour s’imposer comme un bon interlocuteur, il faut commencer par comprendre la vision du monde de notre interlocuteur.« Si j’étais à sa place, qu’est-ce que je penserais ? »C’est lepremier indicateur de respect que va percevoir la personneretranchée :le fait que l’on soit capable de comprendre sa position et peut-être d’en admettre la légitimité. Et pour comprendre son schéma de pensées et son référentiel du moment, rien de tel que l’écoute et le respect du temps adverse, notamment afin d’obtenir une résignation.

Une crise fait passer par des phases successives antagonistes ou cyclothymiques : la personne fulmine de colère, puis se morfond parfois en désespoir, puis connaît un sursaut de révolte, puis une phase de doute, etc. Offrir du temps à l’autre est un formidable outil d’influence, car c’est le second respect qu’on peut lui apporter : laisser faire les choses selon le cycle naturel des émotions humaines. Et cela passe par l’écoute. Si vous observez la devise portée sur le blason des négociateurs du RAID, vous y trouverez la phrase« L’écoute est notre arme ». C’est dire la portée de son usage. Écouter un inter­locuteur vous évite de commettre des impairs et d’être à contresens de la réalité présente. En lui laissant exprimer au maximum ses idées, ses préoccupations, ses obsessions, ses désirs, ses besoins, vous donnez la possibilité de mieux comprendre votre interlocuteur, ce qui l’anime, là où il veut aller et ce que sont ses intentions profondes ou ses stratégies.

2. Le renseignement en amont

Je vais vous raconter une des affaires5 vécues au RAID, afin de m’en servir comme fil rouge dans ce premier chapitre du livre. L’idée est de vous éclairer sur certains concepts que l’on retrouve dans toutes négociations, de façon quasi universelle, quel que soit le sujet, ou le milieu professionnel.

Cela se passait à Argenteuil en 2002, ville du département du Val-d’Oise, en proche banlieue de Paris. L’homme (nous l’appellerons « Omar » afin de masquer son identité réelle) avait 68 ans, était Nord-Africain et habitait une petite maisonnette de ce faubourg dit « difficile ». On utilise cet euphémisme pour parler de la grisaille sociale de certains quartiers dont on cherche à minimiser la réalité d’une pauvreté chronique et qui rappellent sans cesse le passé ouvrier de certaines communes du nord parisien. Il habitait une horrible maisonnette dressée au centre d’une cour enclavée, haute et droite comme une petite tour de guet, avec un escalier bétonné extérieur d’une quinzaine de marches qui menaient à l’unique porte de l’habitation exiguë de type T2, constituée d’une cuisine et d’une chambre-salon. Au rez-de-chaussée était situé un autre appartement, pour l’occasion vidé de son occupant. Omar était en conflit avec son bailleur et un ordre d’expulsion avait été prononcé par un tribunal, l’obligeant à quitter rapidement les lieux. Le délai de retournement était écoulé, l’expulsion devenait effective et comme à l’accoutumée, l’exécution était réalisée par un commissaire de police territorialement compétent, accompagné d’un serrurier (l’homme de l’art) afin de pallier un refus éventuel de l’occupant d’ouvrir sa porte. On appelle cette procédure le « concours de la force publique » à une mesure judiciaire d’instance, un terme bien générique pour signifier que l’on fait faire à la police un travail en marge de ses missions régaliennes, mais nécessaire car aboutissant souvent à des accès de violence conflictuelle entre bailleur et résident. Le caractère acariâtre du locataire des lieux, Omar, était malheureusement bien connu du commissariat local. Cet ancien combattant harki algérien s’était retrouvé exilé en banlieue parisienne, suite à la fuite de ses congénères et de lui-même, à l’annonce de l’indépendance algérienne du 5 juillet 1962. Il habitait alors la Casbah, cet enchevêtrement de courtes venelles étroites et d’escaliers traversant la colline d’Alger. La survie en Algérie était devenue impossible pour lui, car les combattants de la révolution traquaient les traîtres berbères qui s’étaient vendus « au service du colonisateur français », comme ils le revendiquaient à l’époque. Omar s’était donc exilé sur une terre qui n’était pas la sienne, en attendant des jours meilleurs… qui n’étaient jamais venus. Omar estimait que la France avait une dette inextinguible à son égard, mais que lui seul semblait en avoir conscience. Chez lui, le ressentiment et la colère avaient remplacé la peur et le déshonneur. Omar ressassait son acrimonie à tout bout de champ, notamment lorsqu’il se trouvait en présence de policiers, ou de toute autorité administrative ou judiciaire qu’il lui fut amené de croiser. Il se revendiquait être un fils de « prince guerrier berbère », une facétie que nul ne se sentait de contrarier, mais qui provoquait quelques moqueries plus ou moins discrètes chez ses interlocuteurs. Les relations avec les forces de l’ordre n’étaient que provocations et agressivités, mâtinées d’un dédain réciproque que chaque incident aggravait. Pour Omar, l’expulsion de ce tragique jour de 2002 était l’ultime preuve de l’offense de la France à son égard. Il ne se laisserait plus faire, cette fois-ci. Son baroud d’honneur serait un ultime combat à mort… car à quoi bon survivre, lui qui avait déjà un pied dans la fosse commune des oubliés de la décolonisation ? À quoi bon tenter de surnager de déchéance en déchéance, après une telle trahison ? La goutte d’eau venait d’atterrir violemment sur le front colérique du harki. Il avait signifié son refus de partir de son logement et juré « qu’on verrait ce qu’on verrait, si on cherchait à l’expulser »… L’expérience montre qu’il faut toujours prendre un combattant désabusé au sérieux, notamment lorsqu’il semble vouloir mener son ultime Camerone6.Un jeune commissaire de police, « en vertu des pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi » (selon l’expression consacrée), avec un serrurier et deux autres policiers locaux de son commissariat, avait été mandaté pour lui signifier son expulsion catégorique de ces lieux et pour faire appliquer la mesure sur le champ. Tous venaient d’arriver sur place et les sommations d’usage avaient été faites afin de se faire ouvrir la porte. Omar ne répondait à aucune des injonctions qui lui étaient faites. Il était tapi à l’étage de cette maisonnette enclavée entre les hauts murs d’enceinte d’immeubles adjacents. Il était aux aguets, tous les muscles tendus vers la porte. Il attendait comme un combattant tapi dans son oued, l’œil plein de haine et de détermination, que l’ennemi du moment franchisse l’ultime rempart de la porte d’entrée. Sur ordre du commissaire, celle-ci s’ouvrit grâce au travail d’orfèvre du serrurier. Le courageux commissaire s’apprêtait alors à passer le chambranle, lorsqu’un coup de fusil à pompe le stoppa net dans son élan, venant cribler de chevrotine mortelle son gilet pare-balles, trouant les lisières plus fines des attaches latérales du Kevlar et perforant son buste à plusieurs endroits. L’irrémédiable venait de se produire… L’impasse était alors totale. Omar venait de tenter de tuer un représentant de la loi. Le serrurier et les autres policiers eurent tout juste le temps de tirer le commissaire agonisant en contrebas des marches, afin de le soustraire à un second tir mortel. Les renforts étaient appelés. Le siège de la maisonnette d’Argenteuil venait de commencer. Le RAID fut aussitôt appelé pour prendre en charge la gestion de cette crise avec ce forcené jusqu’au-boutiste qui s’était retranché derrière les persiennes des volets de son unique fenêtre. Une situation que l’on pourrait qualifier de « classique » pour l’unité d’élite. Le souvenir de cette affaire est encore vivace dans ma mémoire. Je revois la scène. Je suis alors dans l’équipe d’alerte qui se rend sur les lieux et j’ai avec moi mes autres collègues de la cellule négociation. Notre lourd convoi s’arrête devant un camion du SAMU dans lequel le commissaire mortellement touché a été médicalisé en urgence. Des traces de sang linéaires jonchent les marches du véhicule de secours. Le bilan médical n’est guère engageant. Les médecins sont pessimistes sur son état, mais ils s’affairent à le maintenir en vie. L’émotion nous saisit dans les tripes et une sourde colère commence à se lire sur les visages de tous les opérateurs du RAID qui se préparent à l’action. En s’équipant de leur matériel de protection balistique et de leurs fusils d’assaut, les claquements de culasses ne laissent aucun doute sur la combativité qui sera la leur, en réponse à la folle détermination homicidaire du forcené. Ceux qui ne connaissent pas la parfaite maîtrise des Raiders auraient pu se dire : « ça va chauffer » ! Nous récoltons les premières informations utiles afin d’intervenir et le tableau général est complexe : il s’agit d’un ex-­combattant harki, souffrant de troubles du comportement qui nécessitent qu’il prenne des médicaments puissants pour stabiliser son humeur. Et là, l’homme est manifestement en crise. Il est certainement en« rupture de traitement », nous dit le médecin-urgentiste du RAID, ce qui veut dire qu’il ne prend plus ses neuroleptiques et qu’il est sujet à des phases délirantes où son jugement est partiellement altéré. La tentative d’expulsion d’aujourd’hui est la goutte d’eau qui vient de faire déborder son psychisme valétudinaire. Toute gestion de crise passe par la nécessité de comprendre la dynamique complexe qui se joue devant nous. Tous les détails peuvent avoir une importance. Tous peuvent contenir un élément propice à une résolution pacifique. Et pour ça, il va falloir chercher à communiquer, donc à écouter ce que la personne va vouloir nous dire.

Toute bonne négociation passe par un minutieux travail derenseignement et d’analyseen amont, afin de connaître le maximum de détails sur le contexte, les protagonistes, la chronologie des faits, les menaces, etc. Cela permet d’éviter les sujets scabreux, les erreurs de stratégie de communi­cation, ou l’improvisation dangereuse. L’avantage du big data actuel est justement que l’on trouve une masse colossale d’informations sur Internet et les réseaux sociaux.

Dans la vie de tous les jours, quelle que soit la nature de la négociation à venir, la quête en amont d’informations disponibles, tant dans l’entourage de vos futurs interlocuteurs, que dans les données issues d’Internet, permet d’apprendre des éléments utiles sur l’ensemble des protagonistes et/ou sur leurs centres d’intérêt, ou caractères, ou sur les motivations de vos futurs interlocuteurs. Négliger ce travail de renseignement est une faute importante et l’on voit trop souvent des négociateurs commerciaux se rendre compte, a posteriori, d’informations déterminantes qui étaient en réalité disponibles et qui leur auraient été fort utiles s’ils les avaient eues pour la phase de préparation de leur stratégie.

Le manque de temps en est la cause principale. Mais pas seulement. C’est surtout une mauvaise habitude (notamment d’influence méditerranéenne) que de miser principalement sur l’agir, plutôt que sur la préparation. Nous sommes un peuple du langage. Le nôtre est riche d’une sémantique précise, évolutive, conceptuelle. Pendant trop longtemps, dans les entreprises, la transmission du savoir passait uniquement par le bouche-à-oreille, par l’apprentissage empirique sur le terrain. Cela change depuis quelques années, mais il y a encore beaucoup trop de métiers où l’oralité est la règle. Nous agissons donc beaucoup par spontanéité, par intuition, par réaction et non par rigueur d’anticipation. C’est d’ailleurs bien le reproche principal qui nous est fait, à nous Français, dans notre manière de nous préparer aux crises futures. Les pays germanisants ne comprennent pas pourquoi nous ne mettons pas les moyens au service de l’anticipation des crises. Ils nous reprochent souvent d’être en réaction plutôt qu’en proaction. Le travail de renseignement systématique réalisé dans les unités spéciales françaises vient contrarier ces critiques. Sans information, pas de « juste » stratégie, car cela laisserait trop de part au hasard et à la chance… et ça, le RAID ne peut pas se le permettre.

3. La planification

Il nous faut maintenant rejoindre rapidement la zone du drame, là où s’est retranché Omar, à l’étage de sa maisonnette. Nous empruntons un dédale de couloirs étroits, en suivant les coulures de sang coagulé qui balisent le trajet vers la courette intérieure. Nous arrivons au niveau de l’immeuble enclavé où Omar est retranché. Il fait sombre. Tout paraît d’un gris immensément triste. Gris, mais aussi rouge-noirâtre du sang qui coule sur les marches, comme seul indice du drame qui s’est joué auparavant. Les volets d’Omar sont clos. Sous ses fenêtres, à ma grande surprise, deux policiers du commissariat d’Argenteuil tentent de le raisonner, à la voix. Ils essayent de négocier la dépose de son arme et sa sortie sans heurts. Je me dis aussitôt qu’ils sont inconscients du danger, car ils sont exposés sans aucune défense possible, livrés à eux-mêmes et à la folie possible du forcené. Comme Omar ne répond pas à son téléphone et que les deux commandants le connaissent, ils sont venus se placer sous son unique fenêtre et font un quasi-monologue pour tenter de le convaincre de se rendre. Ils pensent sincèrement pouvoir y arriver. J’écoute ce qu’ils racontent et grimace. Je fais le point avec mon équipe à partir de tous les indices comportementaux et contextuels recensés sur Omar, sa personnalité et son psychisme jusqu’au-boutiste du moment. Le diagnostic semble désespéré. Cet ancien combattant, qui n’a dès lors plus rien à perdre que son honneur, doit penser qu’il a rendez-­vous avec sa mort certaine. Il veut seulement partir les armes à la main, fièrement, comme le combattant qu’il n’a jamais cessé d’être dans sa tête. C’est sa seule identité sociale : il est un « ancien combattant français d’Algérie ». À défaut d’être devenu autre chose, il brandit ce statut comme une dérisoire médaille. Il attend derrière ses persiennes closes, échangeant quelques mots avec les policiers d’Argenteuil. Personne ne peut discerner ce qu’il fait derrière ses volets. Cette situation nous inquiète. Le groupe d’assaut se positionne à l’entrée de la courette, les snipers sur les murs et toits adjacents, ainsi qu’aux fenêtres des maisons qui surplombent la scène ; l’équipe effraction se met en place en support de la colonne d’assaut qui attend, impassible, un ordre d’attaque ; le médecin-urgentiste du RAID se tient en léger retrait derrière un opérateur avec bouclier balistique, tout son matériel de soins prêt à être déballé ; les chiens d’assaut sont mis sous tension entre les jambes de leurs conducteurs cynotechniques. Tous sont positionnés et prêts à l’action. À partir de maintenant, le « top intervention » pourra être donné à tout moment. À partir de maintenant, je vais pouvoir débuter ma partition de négociateur. Le Chef d’unité, Jean Gustave Paulmier, un excellent patron du RAID issu du terrain implacable de la Police Judiciaire, proche de ses hommes et éminemment professionnel, nous donne l’instruction de commencer la tentative de prise de contact. Omar ne répondant nullement au téléphone, il va falloir s’approcher des deux officiers du commissariat d’Argenteuil pour les évincer gentiment, leur demander d’aller se mettre à l’abri, afin de me laisser poursuivre seul les négociations. Car vous l’avez compris, c’est moi qui vais devoir aller me jeter dans la gueule du loup et tenter d’approcher mes collègues. Je dois reprendre à mon compte leurs échanges avec le forcené. Or, les deux commandants d’Argenteuil sont persuadés qu’ils peuvent convaincre Omar de se rendre, si on leur en laisse le temps. Ils ne voient pas d’un bon œil l’appel qui a été fait au RAID. Ceci nous pose un souci supplémentaire, car lorsque nous écoutons la nature de leurs échanges avec le forcené, on se rend vite compte qu’ils tournent en bou­cle sans résultat. Ils sont indiscutablement pleins de bonne volonté et de courage ; il en faut d’ailleurs pour se tenir ainsi, vulnérables, sous les fenêtres d’un type qui vient de tirer à bout portant sur leur patron. D’aucuns diront que c’est un courage incroyable, d’autres, que c’est de l’inconscience. Personne ne leur a demandé de prendre de tels risques. C’est en ça que le métier de policier est si particulier et ingrat, car les règles d’intervention ne sont jamais toutes écrites en amont et souvent, le terrain commande des actions que les manuels réprou­vent. Seuls le pragmatisme et la prudence sont censés commander. Il faut sans cesse s’adapter aux originalités de la situation et au profil des personnes en crise. Le maître mot reste seulement : « essaye de bien faire, quitte à déroger aux règles de sécurité ». C’est ce que tentent de faire les deux officiers d’Argenteuil, courageusement. Dans cette configuration, il n’y a qu’une option possible pour reprendre la main sur la situation : malheureusement, il va falloir que j’aille sous les fenêtres rejoindre les deux policiers, chose que je n’aurais jamais faite en temps normal, vu le danger que cela allait représenter. Avec mon équipe, nous calons en amont la stratégie progressive que je vais tenter de déployer, car la réussite d’une affaire passe toujours par une série d’étapes qui, toutes, doivent conduire à la résolution pacifique de la crise :• Tout d’abord, trouver une excuse valable pour m’approcher, donc arriver à m’imposer sur place, à côté des deux policiers d’Argenteuil primo-intervenants. Rien ne dit qu’Omar me laissera approcher et rien ne dit que ma posture, mes paroles, ma personne permettront que je me fasse accepter d’emblée. Omar peut me tirer dessus sans sommation. Il peut refuser ma présence, ce qui m’obligerait à repartir. C’est une action sans filet de sécurité qu’il va falloir amorcer et surtout, je n’aurai pas de seconde chance, en cas d’échec de cette initiative.• Si l’étape 1 fonctionne, je devrai trouver le moyen de me substituer intelligemment aux deux primo-intervenants, sans autoritarisme maladroit, et reprendre à mon compte l’exclusivité de la communication avec Omar. Il faudra alors que j’applique les techniques d’influence séquentielles qui sont les nôtres. Cela consistera à franchir, pas à pas, chaque résistance du forcené, afin de l’amener à stabiliser son psychisme et à sortir de sa logique de bête traquée.•