Histoire de Juliette - Ligaran - E-Book

Histoire de Juliette E-Book

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Extrait : "Ce fut au couvent de Panthemont que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de cette abbaye, et vous savez que c'était de son sein que sortaient depuis bien des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de Paris. Euphrosine, cette jeune personne dont je voulus suivre les traces, qui, logée dans le voisinage de mes parents, s'était évadée de la maison paternelle, pour se jeter dans le libertinage, avait été ma compagne..."À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran : Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : ● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. ● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Juliette, ou les prospérités du vice

Ce fut au couvent de Panthemont que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de cette abbaye, et vous savez que c’était de son sein que sortaient depuis bien des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de Paris. Euphrosine, cette jeune personne dont je voulus suivre les traces, qui, logée dans le voisinage de mes parents, s’était évadée de la maison paternelle, pour se jeter dans le libertinage, avait été ma compagne dans ce couvent ; et comme c’est d’elle et d’une religieuse de ses amies que j’avais reçu les premiers principes de cette morale, qu’on est surpris de me voir aussi jeune dans les récita que vient de vous faire ma sœur, je dois, ce me semble, avant tout, vous entretenir de l’une et de l’autre… vous rendre un compte exact de ces premiers instants de ma vie, où séduite, corrompue par ces deux sirènes, le germe de tous les vices naquit au fond de mon cœur.

La religieuse dont il s’agit, s’appelait madame Delbène ; elle était abbesse de la maison depuis cinq ans, et atteignait sa trentième année, lorsque je fis connaissance avec elle. Il était impossible d’être plus jolie ; faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt, et la taille des grâces ; victime de l’ambition, la jeune Delbène avait été mise à douze ans dans un cloître, afin de rendre plus riche un frère aîné qu’elle détestait. Enfermée dans l’âge où les passions commencent à s’exprimer, quoique Delbène n’eût encore fait aucun choix, aimant le monde et les hommes en général, ce n’avait pas été sans s’immoler elle-même, sans triompher des plus rudes combats qu’elle s’était enfin déterminée à l’obéissance. Très avancée pour son âge, ayant lu tous les philosophes, ayant prodigieusement réfléchi, Delbène, en se condamnant à la retraite, s’était ménagée deux ou trois amies. On venait la voir, on la consolait ; et comme elle était Fort riche, l’on continuait de lui fournir tous les livres et toutes les douceurs qu’elle pouvait désirer, même celles qui devaient le plus allumer une imagination… déjà fort vive, et que n’attiédissait pas la retraite.

Pour Euphrosine, elle avait quinze ans lorsque je me liai avec elle et elle était depuis dix-huit mois l’élève de madame Delbène, quand l’une et l’autre me proposèrent d’entrer dans leur société, le jour où je venais d’atteindre ma treizième année. Euphrosine était brune, grande pour son Âge, fort mince, de très jolis yeux, beaucoup d’esprit et de vivacité, mais moins jolie, bien moins intéressante que notre supérieure.

Je n’ai pas besoin de vous dire que le penchant à la volupté est, dans des femmes recluses, l’unique mobile de leur intimité ; ce n’est pas la vertu qui les lie, c’est le foutre ; on plaît à celle qui bande pour nous, on devient l’amie de celle qui nous branle. Douée du tempérament le plus actif, dès l’âge de neuf ans, j’avais accoutumé mes doigts à répondre aux désirs de ma tête, et je n’aspirais depuis cet âge, qu’au bonheur de trouver l’occasion de m’instruire et de me plonger dans une carrière dont la nature précoce m’ouvrait déjà les portes avec autant de complaisance. Euphrosine et Delbène m’offrirent bientôt ce que je cherchais. La supérieure, qui voulait entreprendre mon éducation, m’invita un jour à déjeuner… Euphrosine s’y trouvait, il faisait une chaleur incroyable, et cette excessive ardeur du soleil leur servit d’excuse à l’une et à l’autre sur le désordre où je les trouvai ; il était tel, qu’à cela près d’une chemise de gaze, que retenait simplement un gros nœud de ruban rose, elles étaient en vérité presque nues.

Depuis que vous êtes entrée dans cette maison, me dit madame Delbène, en me baisant assez négligemment sur le front, j’ai toujours désiré de vous connaître intimement. Vous êtes très jolie, vous m’avez l’air d’avoir de l’esprit, et les jeunes personnes qui vous ressemblent ont des droits bien certains sur moi… Vous rougissez, petit ange, je vous le défends ; la pudeur est une chimère ; unique résultat des mœurs et de l’éducation ; c’est ce qu’on appelle un mode d’habitude ; la nature ayant créé l’homme et la femme nus, il est impossible qu’elle leur ait donné en même temps de l’aversion ou de la honte pour paraître tels. Si l’homme avait toujours suivi les principes de la nature, il ne connaîtrait pas la pudeur, fatale vérité qui prouve, ma chère enfant, qu’il y a de certaines vertus qui n’ont d’autre berceau que l’oubli total des lois de la nature ; quelle entorse on donnerait à la morale chrétienne, en scrutant ainsi tous les principes qui la composent. Mais nous jaserons de tout cela. Aujourd’hui parlons d’autre chose, et déshabillez-vous comme nous ; puis s’approchant de moi, les deux friponnes, en riant, m’eurent bientôt mise dans le même état qu’elles. Les baisers de madame Delbène prirent alors un caractère tout différent… Qu’elle est jolie ma Juliette, s’écria-t-elle avec admiration ! comme sa délicieuse petite gorge commence à bondir ! Euphrosine, elle l’a plus grosse que toi… et cependant à peine treize ans, les doigts de notre charmante supérieure chatouillaient les fraises de mon sein, et sa langue frétillait dans ma bouche, elle s’aperçut bientôt que ses caresses agissaient sur mes sens avec un tel empire, que j’étais prête à me trouver mal ; oh ! foutre, dit-elle, ne se contenant plus et me surprenant par l’énergie de ses expressions… Sacredieu, quel tempérament ! Mes amies ne nous gênons plus, au diable tout ce qui voile encore à nos yeux des attraits que la nature ne nous créât point pour être cachés ; et jetant aussitôt loin d’elle les gazes qui l’enveloppaient, elle parut à nos regards belle comme la Vénus qui fixa l’hommage des Grecs. Il était impossible d’être mieux faite, d’avoir une peau plus blanche… plus douce… des formes plus belles et mieux prononcées ; Euphrosine qui l’imita presque tout de suite, ne m’offrit pas autant de charmes ; elle n’était pas aussi grasse que madame Delbène ; un peu plus brune, peut-être devait-elle plaire moins généralement ; mais quels yeux ! que d’esprit ! Émue de tant d’attraits, vivement sollicitée par les deux femmes qui les possédaient, de renoncer comme elles à tous les freins de la pudeur, vous croyez bien que je me rendis : au sein de la plus tendre ivresse la Delbène m’emporte sur son lit et me dévore de baisers ; un moment, dit-elle tout en feu ; un instant mes bonnes amies, mettons un peu d’ordre à nos plaisirs ; on n’en jouit qu’en les fixant. À ces mots elle m’étend les jambes écartées, et se couchant sur le lit à plat-ventre, sa tête entre mes cuisses, elle me gamahuche pendant qu’offrant à ma compagne les plus belles fesses qu’il soit possible de voir, elle reçoit des doigts de cette jolie petite fille, les mêmes services que sa langue me rend. Euphrosine instruite de ce qui convenait à Delbène entremêlait ses pollutions de vigoureuses claques sur le derrière, dont l’effet me parut certain sur le physique de notre aimable institutrice ; vivement électrisée par le libertinage, la putain dévorait le foutre qu’elle faisait à chaque instant jaillir de mon petit con. Quelquefois elle s’interrompait pour me regarder… pour m’observer dans le plaisir. Qu’elle est belle, s’écriait la tribade !… Oh sacredieu qu’elle est intéressante ; secoue-moi, Euphrosine, branle-moi, mon amour, je veux mourir enivrée de son foutre ! Changeons, varions tout cela, s’écriait-elle le moment d’après, chère Euphrosine ; tu dois m’en vouloir ; je ne pense pas à te rendre tous les plaisirs que tu me donnes… Attendez, mes petits anges, je vais vous branler tous les deux à la fois. Elle nous place sur le lit, à côté l’une de l’autre ; par ses conseils nos mains se croisent, nous nous polluons réciproquement, sa langue s’introduit d’abord dans l’intérieur du con d’Euphrosine, et de chacune de ses mains elle nous chatouille le trou du cul ; elle quitte quelquefois le con de ma compagne, pour venir pomper le mien, et recevant ainsi chacune trois plaisirs à la fois, vous jugez si nous déchargions ; au bout de quelques instants la friponne nous retourne, nous lui présentions nos fesses, elle nous branlait en dessous en nous gamahuchant l’anus. Elle louait nos culs, elle les claquait et nous faisait mourir de plaisir, se relevant de là comme une bacchante, rendez-moi tout ce que je vous fais, disait-elle, branlez-moi toutes les deux, je serai dans tes bras, Juliette, je baiserai ta bouche, nos langues se refouleront… se presseront… se suceront ; tu m’enfonceras ce godemiché dans la matrice, poursuit-elle, en m’en donnant un ; et toi, mon Euphrosine, tu te chargeras du soin de mon cul, tu me le branleras avec ce petit étui ; infiniment plus étroit que mon con, c’est tout ce qu’il lui faut… Toi, ma poule, continue-t-elle en me baisant, tu n’abandonneras pas mon clitoris, c’est le véritable siège du plaisir dans les femmes, frotte-le jusqu’à l’égratigner, je suis dure… je suis épuisée, il me faut des choses fortes ; je veux me distiller en foutre avec vous, je veux décharger vingt fois de suite si je le puis. Oh dieu ! comme nous lui rendîmes ce qu’elle nous prêtait ; il est impossible de travailler avec plus d’ardeur à donner du plaisir à une femme… impossible d’en trouver une qui le goûtât mieux. Nous nous remîmes.

Mon ange, me dit cette charmante créature, je ne puis t’exprimer le plaisir que j’ai d’avoir fait connaissance avec toi ; tu es une fille délicieuse, je vais t’associer à tous mes plaisirs, et tu verras qu’il est possible d’en goûter de bien vifs, quoiqu’on soit privé de la société des hommes. Demande à Euphrosine si elle est contente de moi. – Oh mon amour, que mes baisers te le prouvent, dit notre jeune amie, en se précipitant sûr le sein de Delbène, c’est à toi que je dois la connaissance de mon être ; tu as formé mon esprit, tu l’as dégagé des stupides préjugés de l’enfance ; c’est par toi seule que j’existe au monde ; ah que Juliette est heureuse, si tu daignes prendre d’elle les mêmes soins ; oui, répondit madame Delbène, oui, je veux me charger de son éducation, je veux dissiper dans elle, comme je l’ai fait dans toi, ces infâmes prestiges religieux qui troublent toute la félicité de la vie, je veux la ramener aux principes de la nature, et lui faire voir que toutes les fables dont on a fasciné son esprit, ne sont faites que pour le mépris. Déjeunons, mes amies, restaurons-nous ; lorsqu’on a beaucoup déchargé, il faut réparer ce qu’on a perdu : un repas délicieux que nous fîmes nues, nous rendit bientôt les forces nécessaires pour recommencer. Nous nous rebranlâmes… nous nous replongeâmes toutes trois par mille nouvelles postures dans les derniers excès de la lubricité ; changeant à tout moment de rôles, quelquefois nous étions les épouses de celles dont nous redevenions l’instant d’après les maris, et trompant ainsi la nature, nous la forçâmes un jour entier à couronner de ses voluptés les plus douces, tous les outrages dont nous l’accablions.

Un mois se passa de la sorte, au bout duquel Euphrosine, la tête perdue de libertinage, quitta le couvent et sa famille, pour se jeter dans tous les désordres du putanisme et de la crapule. Elle revint nous voir, elle nous fit le tableau de sa situation, et trop corrompues nous-mêmes pour trouver du mal au parti qu’elle prenait, nous nous gardâmes bien de la plaindre ou de la détourner. Elle a bien, fait, me disait madame Delbène ; j’ai voulu cent fois me jeter dans la même carrière, et je l’eusse fait infailliblement, si le goût des hommes l’eût emporté chez moi sur l’extrême amour que j’ai pour les femmes ; mais, ma chère Juliette, le ciel en me destinant à une clôture éternelle, m’a créée assez heureuse pour ne désirer que très médiocrement toute autre sorte de plaisir, que ceux que me permet cette retraite ; celui que les femmes se procurent entre elles est si délicieux, que je n’aspire à presque rien au-delà ; je comprends pourtant qu’on aime les hommes ; j’entends à merveille qu’on fasse tout pour s’en procurer… Je conçois tout sur l’article du libertinage… Qui sait même si je n’ai pas été beaucoup au-dessus de ce que peut saisir l’imagination.

Les premiers principes de ma philosophie, Juliette, continua madame Delbène qui s’attachait plus particulièrement à moi depuis la perte d’Euphrosine, sont de braver l’opinion, publique ; tu n’imagines pas à quel point, ma chère, je me moque de tout ce qu’on peut dire de moi. Et que peut faire au bonheur, je t’en prie, cette opinion de l’imbécile vulgaire ? Elle ne nous affecte qu’en raison de notre sensibilité ; mais si, à force de sagesse et de réflexion nous sommes parvenues à émousser cette sensibilité, au point de ne plus sentir ses effets, même dans les choses qui nous touchent le plus, il deviendra parfaitement impossible que l’opinion, bonne ou mauvaise des autres, puisse rien faire à notre félicité. Ce n’est qu’en nous seules que doit consister cette félicité, elle ne dépend que de notre conscience, et peut-être encore un peu plus de nos opinions sur lesquelles seules doivent être étayées les sûres inspirations de la conscience ; car la conscience ; poursuivait cette femme remplie d’esprit, n’est pas une chose uniforme ; elle est presque toujours le résultat des mœurs et de l’influence des climats, puisqu’il est de fait que les Chinois, par exemple, ne répugnent nullement à des actions qui nous feraient frémir en France. Si donc cet organe flexible peut se prêter à des extrêmes, seulement en raison du degré de latitude, il est donc de la vraie sagesse d’adopter un milieu raisonnable entre des extravagances et des chimères, et de se faire des opinions compatibles à la fois et aux penchants qu’on a reçus de la nature, et aux lois du gouvernement qu’on habite ; et ces opinions doivent créer notre conscience. Voilà pourquoi l’on ne saurait travailler trop jeune à adopter la philosophie qu’on veut suivre, puisqu’elle seule forme notre conscience, et que c’est à notre conscience à régler toutes les actions de notre vie. – Quoi, dis-je à madame Delbène, vous avez porté cette indifférence au point de vous moquer de votre réputation ! – Absolument, ma chère ; j’avoue même que je jouis intérieurement beaucoup plus, de la conviction où je suis, que cette réputation est mauvaise, que je n’aurais de plaisir à la savoir bonne. Oh Juliette ! retiens bien ceci, la réputation est un bien de nulle valeur, il ne nous dédommage jamais des sacrifices que nous lui faisons ; celle qui est jalouse de sa gloire, éprouve autant de tourments que celle qui la néglige ; l’une craint toujours que ce bien précieux, ne lui échappe l’autre frémit de son insouciance. S’il est donc autant d’épines dans la carrière de la vertu que dans celle du vice, d’où vient se tourmenter autant sur le choix, et d’où vient ne pas s’en rapporter pleinement à la nature, sur celui qu’elle nous suggère ! – Mais en adoptant ces maximes, objectai-je à madame Delbène, j’aurais peur de briser trop de freins. – En vérité, ma chère, me répandit-elle, j’aimerais autant que tu me dises que tu craindrais d’avoir trop de plaisir. Et quels sont-ils donc ces freins ! osons les envisager de sang-froid… des conventions humaines presque toujours promulguées sans la sanction des membres de la société, détestées par notre cœur… contradictoires au bon sens… conventions absurdes, qui n’ont de réalité qu’aux yeux des sots qui veulent bien s’y soumettre, et qui ne sont que des objets de mépris, aux yeux de la sagesse et de la raison… Nous jaserons sur tout cela, je te l’ai dit, ma chère, je t’entreprends, ta candeur et ta naïveté me prouvent que tu as grand besoin d’un guide dans la carrière épineuse de la vie, et c’est moi qui t’en servirai.

Rien n’était effectivement plus délabré que la réputation de madame Delbène ; une religieuse à laquelle j’étais particulièrement recommandée, fâchée de mes liaisons avec l’abbesse, m’avertit que c’était une femme perdue ; elle avait gangrené presque toutes les pensionnaires du couvent, et plus de quinze ou seize avaient déjà, par ses conseils, pris le même parti qu’Euphrosine. C’était, m’assurait-on, une femme sans foi, ni loi, ni religion, affichant impudemment ses principes, et contre laquelle on aurait déjà vigoureusement sévi, sans son crédit et sa naissance. Je me moquais de ces exhortations ; un seul baiser de la Delbène, un seul de ses conseils avait plus d’empire sur moi, que toutes les armes qu’on pouvait employer pour m’en séparer ; eût-elle dû m’entraîner dans le précipice, il me semblait que j’eusse mieux aimé me perdre avec elle, que de m’illustrer avec une autre. Oh, mes amis ! il est une sorte de perversité délicieuse à nourrir ; entraînés vers elle par la nature… si la froide raison nous en éloigne un moment, la main des voluptés nous y replace, et nous ne pouvons plus nous en écarter.

Mais notre aimable supérieure ne tarda, pas à me faire voir que je ne la fixais pas toute seule, et je m’aperçus bientôt que d’autres partageaient des plaisirs, où le libertinage avait plus de part que la délicatesse.

Viens demain goûter avec moi, me dit-elle un jour ; Elisabeth, Flavie, madame de Volmar et sainte-Elme seront de la partie, nous serons six en tout ; je veux que nous fassions des choses inconcevables. – Comment, dis-je, tu t’amuses donc avec toutes ces femmes ? – Assurément. Eh quoi, tu t’imagines que je m’en tiens là ? Il y a trente religieuses dans cette maison, vingt-deux m’ont passé par les mains ; il y a dix-huit novices, une seule m’est encore inconnue ; vous êtes soixante pensionnaires, trois seulement m’ont résisté ; à mesure qu’il en paraît une nouvelle, il faut que je l’aye, je ne lui donne pas plus de huit jours de réflexions. Oh Juliette, Juliette, mon libertinage est une épidémie, il faut qu’il corrompe tout ce qui m’entoure ; il est très heureux pour la société que je m’en tienne à cette douce façon de faire le mal ; avec mes penchants et mes principes, j’en adopterais peut-être une qui serait bien plus fatale aux hommes. – Eh ! que ferais-tu, ma bonne ? – Que sais-je ; ignores-tu que les effets d’une imagination aussi dépravée que la mienne, sont comme les flots impétueux d’un fleuve qui se déborde, la nature veut qu’il fasse du dégât, et il en fait, n’importe comment ; ne mettrais-tu pas, dis-je à mon institutrice, sur le compte de la nature ce qui ne doit être que sur celui de la dépravation ? Écoute-moi, mon ange, me dit la supérieure, il n’est pas tard, nos amies ne doivent se rendre ici que sur les six heures, je veux répondre, avant qu’elles n’arrivent, à tes frivoles objections. Nous nous assîmes :

Comme nous ne connaissons les inspirations de la nature, me dit madame Delbène, que par ce sens intime que nous appelons conscience ; c’est en analysant ce qu’est la conscience, que nous pourrons approfondir avec sagesse ce que sont les mouvements de la nature, qui fatiguent, tourmentent ou font jouir cette conscience.

On appelle conscience, ma chère Juliette, cette espèce de voix intérieure qui s’élève en nous à l’infraction d’une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être, définition bien simple, et qui fait voir du premier coup d’œil que cette conscience n’est l’ouvrage que du préjugé reçu par l’éducation, tellement que tout ce qu’on interdit à l’enfant, lui cause des remords, dès qu’il l’enfreint, et qu’il conserve ses remords jusqu’à ce que le préjugé vaincu, lui ait démontré qu’il n’y avait aucun mal réel dans la chose défendue.

Ainsi la conscience est purement et simplement l’ouvrage, ou des préjugés qu’on nous inspire, ou des principes que nous nous formons. Cela est si vrai, qu’il est très possible de se former avec des principes nerveux une conscience qui nous tracassera, qui nous affligera, toutes les fois que nous n’aurons pas remplis, dans toute leur étendue, les projets d’amusements, même vicieux… même criminels, que nous nous étions promis d’exécuter pour notre satisfaction ; de là, naît cette autre sorte de conscience qui, dans un homme au-dessus de tous les préjugés, s’élève contre lui, quand par des démarches fausses, il a pris pour arriver au bonheur, une route contraire à celle qui devait naturellement l’y conduire ; ainsi, d’après les principes que nous nous sommes faits, nous pouvons donc également nous repentir, ou d’avoir fait trop de mal, ou de n’en avoir pas fait assez. Mais prenons le mot dans l’acception la plus simple et la plus commune ; alors le remords, c’est-à-dire l’organe de cette voix intérieure que nous venons d’appeler conscience, est une faiblesse parfaitement inutile, et dont nous devons étouffer l’empire, avec toute la vigueur dont nous sommes capables ; car le remords, encore une fois, n’est que l’ouvrage du préjugé produit par la crainte de ce qui peut nous arriver après avoir fait une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être, sans examiner si elle est mal ou bien ; ôtez le châtiment, changez l’opinion, anéantissez la loi, déclimatisez le sujet, le crime restera toujours, et l’individu n’aura pourtant plus de remords. Le remords n’est donc plus qu’une réminiscence fâcheuse, résultative des lois et des coutumes adoptées, mais nullement dépendante de l’espèce du délit. Eh ! si cela n’était pas ainsi, parviendrait-on à l’étouffer ? Et n’est-il pas pourtant bien certain qu’on y réussit, même dans les choses de la plus grande conséquence, en raisons des progrès de son esprit, et de la manière dont on travaille à l’extinction de ses préjugés : en sorte qu’à mesure que ces préjugés s’effacent par l’âge, ou que l’habitude des actions qui nous effrayaient, parvient à endurcir la conscience, le remords qui n’était que l’effet de la faiblesse de cette conscience, s’anéantit bientôt tout à fait, et qu’on arrive ainsi tant qu’on veut, aux excès les plus effrayants. Mais m’objectera-t-on peut-être, l’espèce de délit doit donner plus ou moins de violence au remords ; sans doute, parce que le préjugé d’un grand crime est plus fort que celui d’un petit… la punition de la loi plus sévère ; mais sachez détruire également tous les préjugés, sachez mettre tous les crimes au même rang, et vous convainquant bientôt de leur égalité, vous saurez modeler sur eux le remords, et comme vous aurez appris à braver le remords du plus faible, vous apprendrez bientôt à vaincre le repentir du plus fort, et à les commettre tous avec un égal sang-froid… avec une semblable indifférence ; ce qui fait, ma chère Juliette, que l’on éprouve du remords après une mauvaise action, c’est que l’on est persuadé du système de la liberté, et l’on se dit : que je suis malheureux de n’avoir pas agi différemment ! Mais si l’on voulait bien se persuader que ce système de la liberté est une chimère, et que nous sommes poussés à tout ce que nous faisons, par une force plus puissante que nous ; si l’on voulait être convaincu que tout est utile dans le monde, et que le crime dont on se repent est devenu aussi nécessaire à la nature, que la guerre, la peste ou la famine, dont elle désole périodiquement les empires, infiniment plus tranquilles sur toutes les actions de notre vie, nous ne concevrions même pas le remords, et ma chère Juliette ne me dirait pas que j’ai tort de mettre sur le compte de la nature, ce qui ne doit être que sur celui de ma dépravation.

Tous les effets moraux, poursuivit madame Delbène, tiennent à des causes physiques, auxquelles ils sont irrésistiblement enchaînés, c’est le son qui résulte du choc de la baguette sur la peau du tambour ; point de cause physique, c’est-à-dire point de choc, et nécessairement point d’effet moral, c’est-à-dire, point de son ; de certaines dispositions de nos organes, le fluide nerval plus ou moins irrité par la nature, des atomes que nous respirons… par l’espèce ou la quantité de particules nitreuses contenues dans les aliments que nous prenons, par le cours des humeurs, et par mille autres causes externes, déterminent un homme au crime ou à la vertu, et souvent dans le même jour, à l’un et à l’autre ; voilà le choc de la baguette, le résultat du vice ou de la vertu ; cent louis volés dans la poche de mon voisin, ou donnés de la mienne à un malheureux, voilà l’effet du choc, ou le son. Sommes-nous maîtres de ces seconds effets quand les premières causes les nécessitent ! Le tambour peut-il être frappé sans qu’il en résulte un son ! Et pouvons-nous nous opposer à ce choc, quand il est lui-même le résultat de choses si étrangères à nous, et si dépendantes de notre organisation. Il y a donc de la folie, de l’extravagance, et à ne pas faire tout ce que bon nous semble, et à nous repentir de ce que nous avons fait. Le remords n’est donc d’après cela, qu’une faiblesse pusillanime, que nous devons vaincre autant que cela peut dépendre de nous, par la réflexion, le raisonnement et l’habitude. Quel changement, d’ailleurs, le remords peut-il apporter à ce que l’on a fait ? Il n’en peut diminuer le mal, puisqu’il ne vient jamais qu’après l’action commise ; il empêche bien rarement de la commettre encore, et n’est donc par conséquent bon à rien. Après que le mal est commis, il arrive nécessairement deux choses : ou il est puni, ou il ne l’est pas. Dans cette seconde hypothèse, le remords serait assurément d’une bêtise affreuse ; car à quoi servirait-il de se repentir d’une action de quelque nature qu’elle pût être, qui nous aurait apporté une satisfaction très complète, et qui n’aurait eu aucune suite fâcheuse. Se repentir dans un tel cas, du mal que cette action aurait pu faire au prochain, serait l’aimer mieux que soi, et il est parfaitement ridicule de se faire un chagrin de la peine des autres, quand cette peine nous a fait plaisir, quand elle nous a servis, chatouillés, délectés, en quelque sens que ce puisse être. Conséquemment dans ce cas-ci, le remords ne saurait avoir lieu ; si l’action est découverte, et qu’elle soit punie, alors, si l’on veut bien s’examiner, on reconnaîtra que ce n’est pas du mal arrivé au prochain par notre action que l’on se repent, mais de la maladresse que l’on a eue en le commettant, de manière à ce qu’elle ait pu être découverte, et alors il faut se livrer sans doute aux réflexions produites par le regret de cette maladresse… seulement pour en recueillir plus de prudence, si la punition vous laisse vivre. Mais ces réflexions ne sont pas des remords, car le remords réel est la douleur produite par celle qu’on a occasionnée aux autres, et les réflexions dont nous parlons, ne sont que les effets de la douleur produite par le mal que l’on s’est fait à soi-même, ce qui fait voir l’extrême différence qui existe entre l’un et l’autre de ces sentiments, et en même temps l’utilité de l’un, et le ridicule de l’autre.

Quand nous nous sommes livrés à une mauvaise action, de quelqu’atrocité qu’elle puisse être, que la satisfaction qu’elle vous a donnée, ou le profit que nous en avons recueilli nous console amplement du mal qui en a rejailli sur notre prochain. Avant que de commettre cette action, nous avons bien prévu le mal qu’en ressentiraient les autres ; cette pensée ne nous a pourtant point arrêtés ; au contraire, le plus souvent elle nous a fait plaisir ; lui permettre plus de force après l’action commise, ou une manière différente de nous agiter est la plus grande sottise que l’on puisse faire. Si cette action influe sur le malheur de notre vie, parce qu’elle a été découverte, appliquons tout notre esprit à démêler, à combiner les causes qui ont pu la faire découvrir ; et sans nous repentir d’une chose qu’il n’a pas été en nous de pouvoir arranger autrement, mettons tout en œuvre pour ne pas manquer de prudence à l’avenir, tirons du malheur qui a pu nous arriver de cette faute, l’expérience nécessaire à améliorer nos moyens et nous assurer dorénavant l’impunité au moyen de l’épaisseur des voiles que nous jetterons sur l’involontaire dérèglement de notre conduite. Mais, par de vains et inutiles remords, n’entreprenons point d’extirper les principes, car cette mauvaise conduite, cette dépravation, ces égarements vicieux, criminels ou atroces nous ont plu, nous ont délectés, et nous ne devons pas nous priver d’une chose agréable. Ce serait ici la folie d’un homme qui, parce qu’un grand dîner lui aurait fait mal, voudrait à l’avenir se priver à jamais de ce repas.

La véritable sagesse, ma chère Juliette, ne consiste pas à réprimer ses vices, parce que les vices constituant presque l’unique bonheur de notre vie, ce serait devenir soi-même son bourreau, que de les vouloir réprimer, mais elle consiste à s’y livrer avec un tel mystère, avec des précautions si étendues, qu’on ne puisse jamais être surpris, Qu’on ne craigne point par là d’en diminuer les délices ; le mystère ajoute au plaisir. Une telle conduite d’ailleurs, assure l’impunité, et l’impunité n’est-elle pas le plus délicieux aliment des débauches !

Après t’avoir appris à régler le remords né de la douleur d’avoir fait le mal trop à découvert, il est essentiel, ma chère amie, que je t’indique à présent la manière d’éteindre totalement en soi cette voix confuse qui, dans le calme des passions, vient encore quelquefois réclamer contre les égarements où elles nous ont portés ; or, cette manière est aussi sûre que douce, puisqu’elle ne consiste qu’à renouveler si souvent ce qui nous a donné des remords, que l’habitude ou de commettre cette action ou de la combiner énerve entièrement toute possibilité d’en pouvoir former des regrets. Cette habitude, en anéantissant la préjugé, en contraignant notre âme à se mouvoir souvent de la manière et dans la situation qui primitivement la gênait, finit par lui rendre le nouvel état adopté, facile et même délicieux ; l’orgueil vient à l’appui, non seulement on a fait une chose que personne n’oserait faite, mais on s’y est même si bien accoutumé, qu’on ne peut plus exister sans cette chose, voilà ; d’abord une jouissance. L’action commise en produit une autre, et qui doute que cette multiplication de plaisirs n’accoutume bien promptement une âme à se plier à la manière d’être qu’elle doit acquérir, quelque pénible qu’ait pu lui sembler en commençant, la situation forcée où cette action la contraignit.

N’éprouvons-nous pas ce que je te dis dans tous les prétendus crimes où la volupté préside ! pourquoi ne se repent-on jamais d’un crime de libertinage ? parce que le libertinage devient très promptement une habitude ; il en pourrait être de même de tous les autres égarements ; tous peuvent, comme la lubricité, se changer aisément en coutume, et tous peuvent, comme la luxure, exciter dans le fluide nerval un chatouillement qui ressemblant beaucoup à cette passion, peut devenir aussi délicieux qu’elle et, par conséquent, comme elle, se métamorphoser en besoin.

Ô Juliette, si tu veux, comme moi, vivre heureuse dans le crime… et j’en commets beaucoup, ma chère… Si tu veux, dis-je, y trouver le même bonheur que moi, tâche de t’en faire, avec le temps, une si douce habitude, qu’il te devienne comme impossible de pouvoir exister sans le commettre ; et que toutes les convenances humaines te paraissent si ridicules, que ton âme flexible, et malgré cela nerveuse, se trouve imperceptiblement accoutumée à se faire des vices de toutes les vertus humaines et des vertus de tous les crimes : alors un nouvel univers semblera se créer à tes regards, un feu dévorant et délicieux se glissera dans tes nerfs, il embrasera ce fluide électrique dans lequel réside le principe de la vie : assez heureuse pour vivre dans un monde dont ma triste destinée m’exile, chaque jour tu formeras de nouveaux projets, et chaque jour leur exécution te comblera d’une volupté sensuelle qui ne sera connue que de toi ; tous les êtres qui t’entoureront te paraîtront autant de victimes dévouées par le sort à la perversité de ton cœur ; plus de liens, plus de chaînes, tout disparaîtra promptement sous le flambeau de tes désirs, aucune voix ne s’élèvera plus dans ton âme pour énerver l’organe de leur impétuosité, nuls préjugés ne militeront plus en leur faveur, tout sera dissipé par la sagesse, et tu arriveras insensiblement aux derniers excès de la perversité par un chemin couvert de fleurs ; c’est alors que tu reconnaîtras la faiblesse de ce qu’on t’offrait autrefois comme des inspirations de la nature ; quand tu auras badiné quelques années avec ce que les sots appellent ses lois, quand, pour te familiariser avec leur infraction, tu te seras plu à les pulvériser toutes, tu verras la mutine, ravie d’avoir été violée, s’assouplissant sous tes désirs nerveux, venir d’elle-même s’offrir à tes fers… te présenter les mains pour que tu la captives ; devenue ton esclave, au lieu d’être ta souveraine, elle enseignera finement à ton cœur la façon de l’outrager encore mieux, comme si elle se plaisait dans l’avilissement, et comme si ce n’était réellement qu’en t’indiquant de l’insulter à l’excès, qu’elle eût l’art de te mieux réduire à ses lois. Ne résiste jamais quand tu en seras là ; insatiable dans ses vues sur toi, dès que tu auras trouvé le moyen de la saisir, elle te conduira pas à pas d’écarts en écarts ; le dernier commis ne sera jamais qu’un acheminement à celui par lequel elle se prépara à se soumettre à toi de nouveau ; telle que la prostituée de Sibaris, qui se livre sous toutes les formes, et prend toutes les figures pour exciter les désirs du voluptueux qui la paie, elle t’apprendra de même cent façons de la vaincre, et tout cela pour t’enchaîner plus sûrement à son tour. Mais une seule résistance, je te le répète, une seule te ferait perdre tout le fruit des dernières chûtes ; tu ne connaîtras rien si tu n’as pas tout connu, et si tu es assez timide pour t’arrêter avec elle, elle t’échappera pour jamais ; prends garde surtout à la religion, rien ne te détournera du bon chemin ; comme ses inspirations dangereuses, semblable à l’hydre dont les têtes renaissent à mesure qu’on les coupe, elle te fatiguera sans cesse, si tu n’as le plus grand soin d’en anéantir perpétuellement les principes. Je crains que les idées bizarres de ce dieu fantastique dont on empoisonna ton enfance, ne reviennent troubler ton imagination au milieu de ses plus divins écarts : ô Juliette, oublie-là, méprise-là, l’idée de ce Dieu vain et ridicule ; son existence est une ombre que dissipe à l’instant le plus faible effort de l’esprit, et tu ne seras jamais tranquille tant que cette odieuse chimère n’aura pas perdu sur ton âme toutes les facultés que lui, donna l’erreur. Nourris-toi sans cesse des grands principes de Spinosa, de Vanini, de l’auteur du système de la nature, nous les étudierons, nous les analyserons ensemble, je t’ai promis de profondes discussions sur ce sujet, je te tiendrai parole, nous nous remplirons toutes deux de l’esprit de ces sages principes. S’il te survient encore des doutes, tu me les communiqueras, je te tranquilliserai, aussi ferme que moi, tu m’imiteras bientôt, et comme moi, tu ne prononceras plus le nom de cet infâme Dieu que pour le blasphémer et le haïr. L’idée d’une telle chimère est, je l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme ; je l’excuse dans tous ses écarts, je le plains de toutes ses faiblesses, mais je ne puis lui passer l’érection d’un tel monstre, je ne lui pardonne pas de s’être forgé lui-même tes fers religieux qui l’ont accablé si violemment, et d’être venu présenter lui-même le col sous le joug honteux qu’avait préparé sa bêtise. Je ne finirais pas, Juliette, s’il fallait me livrer à toute l’horreur que m’inspire l’exécrable système de l’existence d’un Dieu ; mon sang bouillonne à son nom seul, il me semble voir autour de moi, quand je l’entends prononcer, les ombres palpitantes de tous les malheureux que cette abominable opinion a détruits sur la surface du globe ; elles m’invoquent, elles me conjurent d’employer tout ce que j’ai pu recevoir de forces ou de talent, pour extirper de l’âme de mes semblables, l’idée du dégoûtant fantôme qui les fit périr sur la terre.

Ici, madame Delbène me demanda où j’en étais sur ces choses-là. Je n’ai point encore fait ma première communion, lui dis-je. – Ah ! tant mieux, me répondit-elle en m’embrassant ; va, mon ange, je t’éviterai cette idolâtrie ; à l’égard de la confession, réponds, lorsqu’on t’en parlera, que tu n’es pas préparée. La mère des novices est mon amie, elle dépend de moi, je te recommanderai à elle, et tu n’en seras point tracassée. Quant à la messe, malgré nous il faut y paraître ; mais tiens, vois-tu cette jolie petite collection de livres, me dit-elle en me montrant une trentaine de volumes reliés en maroquin rouge, je te prêterai ces ouvrages, et leur lecture, pendant l’abominable sacrifice, te consolera de l’obligation d’en être témoin. Ô mon amie, dis-je à madame Delbène, que d’obligations je t’aurai ! mon cœur et mon esprit avaient devancé tes conseils… non sur la morale, tu viens de me dire des choses trop fortes et trop neuves pour qu’elles se fussent déjà présentées à moi ; mais je ne t’avais pas attendue pour détester, comme toi, la religion ; et ce n’était qu’avec le plus extrême dégoût que j’en remplissais les affreux devoirs. Que de plaisirs tu me fais en me promettant d’étendre mes lumières. Hélas ! n’ayant rien entendu dire sur ces objets superstitieux, tous les frais de ma petite impiété ne sont encore dus qu’à la nature. – Ah ! suis ces inspirations, mon ange… voilà celles qui ne te tromperont jamais. – Sais-tu, poursuivis-je, que tout ce que tu viens de m’apprendre est bien fort, et qu’il est rare d’être instruite à ce point à ton âge. Me permets-tu de le dire, ma bonne ! Il est difficile que la conscience soit au degré où tu peins la tienne, sans quelques actions très extraordinaires ; et comment, pardonne à ma question, comment dans ton intérieur as-tu en l’occasion des délits capables de t’endurcir à ce point. – Un jour tu sauras tout cela, me répondit la supérieure en se levant. – Eh pourquoi ces retards ?… crains-tu ! – Oui, de te faire horreur. – Jamais, jamais. – Et, la compagnie qui se fit entendre empêcha Delbène de m’éclaircir sur ce que je brûlais de savoir. Chut, chut, me dit-elle, pensons au plaisir maintenant… Baise-moi, Juliette ; je te promets ma confiance un jour ; mais nos amies paraissent, il faut que je vous les peigne.

Madame de Volmar venait de prendre le voile, il y avait environ six mois. À peine âgée de vingt ans, grande, mince, élancée, fort blanche, les cheveux châtains, et le plus beau corps possible ; Volmar, douée de tant de charmes, était avec raison une des élèves les plus chéries de madame Delbène, et après elle la plus libertine de toutes les femmes qui allaient assister à nos orgies.

Ste. Elme était une novice de dix-sept ans, d’une figure charmante, très animée, de beaux yeux, une gorge moulée, et l’ensemble excessivement voluptueux. Elisabeth et Flavie étaient deux pensionnaires, dont la première avait à peine treize ans, la seconde seize. La figure d’Elisabeth était fine, des traits fort délicats, des formes agréables et déjà prononcées. Pour Flavie, c’était bien la plus céleste figure qu’il fût possible de voir au monde : on n’avait point un plus joli rire, de plus belles dents, de plus beaux cheveux. On ne possédait point une plus belle taille, une peau plus douce et plus fraîche. Ah ! mes amis, si j’avais la déesse des fleurs à peindre, je ne choisirais pas d’autre modèle.

Les premiers compliments ne furent pas longs ; toutes sachant bien la cause de leur réunion, ne tardèrent pas à en venir au fait ; mais leurs propos, je l’avoue, m’étonnèrent. On ne saisit pas, au milieu même d’un bordel, tous ceux du libertinage, avec l’aisance et la facilité de ces jeunes personnes ; et rien n’était plaisant comme le contraste de leur modestie, de leur retenue dans le monde, et de leur énergique indécence dans ces assemblées luxurieuses.

Delbène, dit madame de Volmar en entrant, je te défie de me faire décharger aujourd’hui ; je suis épuisée, ma chère ; j’ai passé la nuit avec Fontenille… J’adore cette petite friponne ; de ma vie je ne fus mieux branlée… je n’ai jamais versé tant de Foutre, avec tant d’abondance… avec tant de délices. Oh ma bonne, nous avons fait des choses ! – Incroyables, n’est-ce pas ! dit Delbène. Eh bien, je veux que nous en fassions ce soir de mille fois plus extraordinaires. – Oh foutre, dépêchons-nous donc, dit Ste. -Elme ; je bande, moi ; je ne suis pas comme Volmar, j’ai couché seule ; et se troussant, tiens, vois mon con… vois comme il a besoin de secours. – Un moment, dit la supérieure ; ceci est une cérémonie de réception. J’admets Juliette dans notre société, il faut qu’elle remplisse les formalités d’usage, – Qui ! Juliette ? dit étourdiment Flavie qui ne m’avait point encore aperçu ; ah ! je connais à peine cette jolie fille… Tu te branles donc, mon cœur, continua-t-elle en venant me baiser sur la bouche… tu es donc libertine… tu es donc tribade comme nous, et la friponne, sans plus de préliminaires, me prit le con et la gorge à la fois. Laisse-la donc, dit Volmar, qui, me troussant par derrière, examinait mes fesses ; laisse-la donc, il faut qu’elle soit reçue, avant que nous ne nous en servions. Tiens, Delbène, dit Elisabeth, regarde donc Volmar qui baise le cul de Juliette ; elle la prend pour un petit garçon, la garce veut l’enculer : (Et remarquez que c’était la plus jeune qui parlait ainsi.) Ne sais-tu pas, dit Ste. -Elme, que Volmar est un homme ; elle a un clitoris de trois pouces, et destinée à outrager la nature, quelque soit le sexe qu’elle adopte, il faut que la putain soit tour à tour tribade ou bougre ; elle n’y connaît pas de milieu. Puis s’approchant elle-même et m’examinant de tous côtés, attendu que Flavie montrait mon devant et Volmar mon derrière, il est certain, poursuivit-elle, que la petite coquine est bien faite, et je jure qu’avant la fin du jour je saurai le goût de son foutre. Un moment donc, un moment, mesdemoiselles, dit Delbène, en cherchant à rétablir l’ordre… Eh sacredieu, presse-toi, dit Ste. -Elme, je bande. Qu’attends-tu donc pour commencer ? Faut-il que nous fassions nos prières avant que de nous branler le con ? À bas les robes, mes amies… Et dans l’instant vous eussiez vu six jeunes filles plus belles que le jour s’admirer… se caresser nues, et former entre elles les groupes les plus agréables et les plus variés. Oh ! pour à présent, reprit Delbène avec autorité, vous ne pouvez me refuser un peu d’ordre… Écoutez-moi : Juliette va s’étendre sur ce lit, et vous irez, chacune à votre tour, goûter le plaisir qui vous conviendra le mieux avec elle ; moi, bien en face de l’opération, je vous prendre toutes à mesure que vous la quitterez, et les luxures commencées avec Juliette s’achèveront sur moi ; mais je ne me presserai point, mon foutre n’éjaculera que quand je vous aurai toutes les cinq sur le corps.

L’extrême vénération que l’on avait pour les ordres de la supérieure fit mettre à leur exécution la ponctualité la plus entière. Toutes ces créatures étant fort libertines, peut-être ne serez-vous pas fâchés d’entendre ce que chacune exigea de moi. Comme elles arrivaient par rang d’âge, Elisabeth passa la première ; la jolie friponne m’examina partout ; et après m’avoir couverte de baisers, elle s’entrelaça dans mes cuisses, se frotta sur moi, et nous nous pâmâmes toutes deux. Flavie vint après ; elle y mit plus de recherches. Après mille délicieux préliminaires, nous nous couchâmes en sens inverse l’une sur l’autre, et de nos langues frétillantes, nous fîmes jaillir des torrents de foutre. Ste. -Elme approche, elle s’étend sur le lit, me fait asseoir sur son visage ; et pendant que son nez branle le trou de mon cul, sa langue s’enfonce dans mon con ; courbée sur elle par mon attitude, je puis le gamahucher de même : je le fais ; mes doigts chatouillent son cul, et cinq éjaculations de suite me prouvent que le besoin qu’elle annonçait n’était pas illusoire. Je le lui rendis complètement ; jamais encore je n’avais été plus voluptueusement sucée. Volmar ne veut que mes fesses, elle les dévore de baisers, et préparant la voie étroite avec sa langue de rose, la libertine se colle sur moi, m’enfonce son clitoris dans le cul, se secoue longtemps, retourne ma tête, baise ardemment ma bouche, suce ma langue et me branle en m’enculant. La gueuse ne s’en tient pas là ; m’armant d’un godmiché qu’elle-même fixe le long de mes reins, elle se présente à mes coups ; et les dirigeant au derrière, la coquine est sodomisée ; je la branlais, elle pensa mourir de plaisir.

Après cette dernière incursion, je fus prendre le poste qui m’attendait sur le corps de la Delbène. Voici comme la putain disposa le groupe.

Elisabeth, sur le dos ; était établie au bord du lit. Delbène étendue dans ses bras, s’en faisait branler le clitoris. Flavie à genoux, les jambes sous le lit, la tête à la hauteur du con de la supérieure, la gamahuchait et lui pressait les cuisses. Au-dessus d’Elisabeth Ste. -Elme, le cul sur le visage de cette dernière, présentait en plein son con aux baisers de Delbène, que Volmar enculait de son clitoris brûlant. On m’attendait pour compléter le groupe, mise un peu courbée auprès de Ste. -Elme, j’offrais à lécher à l’envers ce que celle-ci faisait gamahucher par devant Delbène passant avec inconstance et rapidité du con de Ste. -Elme au trou de mon cul, léchait, pompait ardemment l’un et l’autre, et se remuant avec l’agilité la plus incroyable sous les doigts d’Elisabeth, sous la langue de Flavie et sous le clitoris de Volmar, la tribade n’était pas une minute sans répandre des torrents de foutre.

Oh, sacredieu, dit Delbène, en se retirant de là, rouge comme une bacchante, double dieu, comme j’ai déchargé. N’importe, suivons nos opérations ; que chacune de vous maintenant se place sur le lit ; Juliette exigera d’elle, tour à tour, ce qui lui conviendra, vous serez contraintes à vous y prêter ; mais comme elle est encore bien neuve, je la conseillerai, le groupe se formera sur elle ensuite, comme il vient de se former sur moi, et nous ferons éjaculer son foutre jusqu’à ce qu’elle demande grâce.

Elisabeth est la première offerte à mon libertinage. Place-la, me dit Delbène qui me conseillait, de manière à ce que tu puisses baiser sa jolie petite bouche pendant qu’elle te branlera, et pour que tu sois chatouillée de partout, je vais, pendant toute la séance, me charger du trou de ton cul. Flavie remplace Elisabeth. Je te recommande les jolis tétons de cette petite fille, me dit l’abbesse, suce-les-lui pendant qu’elle te chatouille : à cause des goûts de Volmar, il faut que tu lui enfonces ta langue dans le cul, pendant que, courbée sur toi, la friponne te gamahuchera… Pour Ste. -Elme, poursuivit la supérieure, sais-tu ce que j’en ferais ; je m’arrangerais de manière à pouvoir lui sucer à la fois le cul et le con pendant qu’elle te le rendrait… Et quant à moi, commande, ma mie, je suis à tes ordres. Échauffée de ce que j’avais vu faire à Volmar, je veux t’enculer, dis-je, avec ce godmiché ; fais, ma bonne, fais, me répond humblement Delbène, en se présentant à mes coups, voilà mon cul, je te le livre ; eh bien ! dis-je, en sodomisant mon institutrice, puisque le groupe doit s’arranger sur moi, qu’il commence tout de suite. Chère Volmar, continuai-je, que ton clitoris rende à mon cul ce que je fais à celui de Delbène, tu ne saurais croire à quel point mon tempérament s’irrite de cette manière de jouir ; de chacune de mes mains, je voudrais branler Elisabeth et Ste. -Elme pendant que je sucerais le con de Flavie ; les ordres de la supérieure étant de m’épuiser, je n’eus la peine de rien dire, les situations varièrent sept fois, et sept fois mon foutre coula dans leurs bras.

Les plaisirs de la table succédèrent à ceux de l’amour : une superbe collation nous attendait ; différentes sortes de vins ou de liqueurs ayant vivement échauffées nos têtes, on se remit au libertinage ; trois groupes se dessinèrent. Ste. -Elme, Delbène et Volmar, comme les plus âgées, se choisirent chacune une branleuse ; par hasard ou par prédilection, Delbène ne me manqua pas ; Elisabeth était devenue le choix de Ste. -Elme, et Flavie celui de Volmar. Les groupes étaient arrangés de manière à ce que chacun jouissait de la vue des plaisirs de l’autre. On n’a pas d’idée de ce que nous fîmes. Oh ? comme Ste. -Elme était délicieuse ! Ardemment passionnées l’une pour l’autre, nous nous branlâmes toutes deux jusqu’à extinction. Il ne fut rien que nous n’imaginâmes, rien que nous ne fîmes ; enfin, tout se remêla, et les deux dernières heures de cette voluptueuse débauche furent si lascives, que dans aucun, bordel peut-être il ne se commit tant de luxures.

Une chose m’avait paru singulière, c’était l’extrême ménagement qu’on avait pour le pucelage des pensionnaires. On n’observait pas sans doute les mêmes lois vis-à-vis de celles dont les vœux étaient prononcés ; mais on respectait à un point que je ne pouvais comprendre, celles qui se destinaient au monde ; leur honneur y tient, me dit d’Elbene, que j’interrogeai sur cette réserve : nous voulons bien nous amuser de ces jeunes filles, mais pourquoi les perdre ? Pourquoi leur faire détester les moments qu’elles ont passés près de nous ! Non, nous avons cette vertu, et quelques corrompues que tu nous supposes, nous ne compromettons jamais nos amies. Ces procédés me parurent superbes, mais créée par la nature, pour l’emporter de scélératesse un jour sur tout ce qui devait m’entourer, le désir de flétrir une de mes compagnes, m’échauffa dès ce moment la tête pour le moins autant que celui d’être flétrie moi-même.

Delbène s’aperçut bientôt que je lui préférais Ste. -Elme ; j’adorais effectivement cette charmante fille ; il m’était impossible de la quitter ; mais comme elle était infiniment moins spirituelle que la supérieure, un penchant naturel me ramenait invinciblement vers celle-ci. Avec la passion dont je te vois dévorée pour dépuceler une fille ou pour l’être, me dit un jour cette charmante femme, je ne doute pas que Ste. -Elme ou ne t’ait accordés ces plaisirs ou ne te les promette bientôt. Il n’y a sûrement point de risque avec elle, puisqu’elle est destinée à passer, comme moi, ses jours dans le cloître ; mais Juliette, si elle t’en faisait autant, tu ne trouverais jamais à te marier, et que de malheurs pourraient devenir les suites de cette faute ; cependant, écoute-moi, mon ange, tu sais que je t’adore, fais-moi le sacrifice de Ste. -Elme, et je te satisfais à l’instant sur tous les plaisirs que tu souhaites. Tu choisiras dans le couvent celle dont tu voudras cueillir les prémices, et ce sera moi qui flétrirai les tiens… les déchirements… les blessures, tranquillise-toi, j’arrangerai tout. Mais ceci sont de grands mystères ; pour y être initiée, il faut ta parole sacrée que dès ce moment-ci tu ne parleras plus à Ste. -Elme, autrement je ne mets point de bornes à ma vengeance. Aimant trop cette charmante fille pour la compromettre, brûlant d’ailleurs de goûter les plaisirs qu’on me faisait espérer, si je renonçais à elle, je promis tout. Eh bien ! me dit Delbène au bout d’un mois d’épreuve, ton choix est-il fait ! Qui veux-tu dépuceler ! Et ici, mes amis, vous ne devineriez de la vie sur quel objet mon imagination libertine s’arrêtait avec complaisance ! Sur cette fille que voilà sous vos yeux… Sur ma sœur. Mais madame Delbène la connaissait trop bien pour ne pas me détourner de ce projet. Eh bien ! dis-je, donne-moi Laurette ; son enfance… (à peine avait-elle dix ans), sa jolie petite mine éveillée, l’éclat de sa naissance, tout m’irritait… tout m’enflammait pour elle ; et la supérieure y Voyant d’autant moins d’obstacles que cette jeune orpheline n’avait pour protecteur au couvent qu’un vieil oncle demeurant à cent lieues de Paris, m’assura que je pourrais regarder comme déjà sacrifiée la victime qu’immolaient d’avance mes perfides désirs.

Le jour était pris, lorsque Delbène m’ayant fait venir la veille pour passer la nuit dans ses bras, remit la conversation sur les matières religieuses.

Je crains, me dit-elle, que tu n’ailles trop vite, mon enfant ; ton cœur, trompé par ton esprit, n’est pas encore au point où je le voudrais. Ces infamies superstitieuses te gênent toujours, je le parierais ; écoute, Juliette, prête-moi toute ton attention, et tâche qu’à l’avenir ton libertinage, étayé sur d’excellents principes, puisse, avec effronterie, comme chez moi, se porter à tous les excès sans remords.

Le premier dogme qui s’offre à moi, lorsqu’on me parle de religion, est celui de l’existence d’un Dieu ; comme il est la base de tout l’édifice, c’est par son examen que je dois raisonnablement commencer.

Ô Juliette ! n’en doutons pas, ce n’est qu’aux bornes de notre esprit qu’est due la chimère d’un Dieu ; ne sachant à qui attribuer ce que nous voyons, dans l’extrême impossibilité d’expliquer les inintelligibles mystères de la nature, nous avons gratuitement placé au-dessus d’elle un être revêtu du pouvoir de produire tous les effets dont les causes nous étaient inconnues.

Cet abominable fantôme ne fut pas plutôt envisagé comme l’auteur de la nature, qu’il fallut bien le voir également comme celui du bien et du mal ; l’habitude de regarder ces opinions comme vraies, et la commodité que l’on y trouvait pour satisfaire à la fois la paresse et la curiosité, firent promptement donner à cette fable le même degré de croyance qu’à une démonstration géométrique, et la persuasion devint si vive… l’habitude si forte, qu’on eut besoin de toute sa raison pour se préserver de l’extérieur. De l’extravagance qui admet un Dieu, à celle qui le fait adorer, il ne devait y avoir qu’un pas ; rien de plus simple que d’implorer ce que l’on craignait ; rien que de très naturel au procédé qui Fait fumer l’encens sur les autels de l’individu magique que l’on fait à la fois le moteur et le dispensateur de tout. On le croyait méchant, parce que de très méchants effets résultaient de la nécessité des lois de la nature ; pour l’apaiser, il fallait des victimes, de là les jeûnes, les macérations, les pénitences, et toutes les autres imbécillités, fruits résultatifs de la crainte des uns et de la fourberie des autres ; ou, si tu l’aimes mieux, effets constants de la faiblesse des hommes, puisqu’il est certain que partout où il y en aura, se trouveront aussi des dieux enfantés par la terreur de ces hommes, et des hommages rendus à ces dieux, résultat nécessaire de l’extravagance qui les érige. Ne doutons pas, rua chère amie, que cette opinion de l’existence et du pouvoir d’un Dieu dispensateur des biens et des maux, ne soit la base de toutes les religions de la terre. Mais laquelle préférer de toutes ces traditions ! Toutes allèguent des révélations faites en leur faveur, toutes citent des livres, ouvrages de leurs dieux, et toutes veulent exclusivement l’emporter l’une sur l’autre. Pour m’éclairer dans ce choix difficile, je n’ai que ma raison pour guide, et dès qu’à son flambeau, j’examine toutes ces prétentions, toutes ces fables, je ne vois plus qu’un tas d’extravagances et de platitudes qui m’impatientent et me révoltent.

Après avoir rapidement parcouru les absurdes idées de tous les peuples sur cette importante matière, je m’arrête enfin à ce qu’en pensent les juifs et les chrétiens ; les premiers me parlent d’un Dieu, mais ils ne m’en expliquent rien, ils ne m’en donnent aucune idée, et je ne vois sur la nature du Dieu de ce peuple, que des allégories puériles, indignes de la majesté de l’Être dans lequel on veut que j’admette le créateur de l’univers ; ce n’est qu’avec des contradictions révoltantes que le législateur de cette nation me parle de son Dieu, et les traits sous lesquels il me le peint, sont bien plus propres à me le faire détester que servir. Voyant que c’est ce Dieu même qui parle dans les livres qu’on me cite pour me l’expliquer, je me demande comment il est possible qu’un Dieu ait pu donner de sa personne des notions si propres à le faire mépriser des hommes ! Cette réflexion me détermine à étudier ces livres avec plus de soin ; que deviens-je, lorsque je ne puis m’empêcher de voir, en les examinant, que non seulement ils ne peuvent être dictés par l’esprit d’un Dieu, mais qu’ils sont même écrits très longtemps après l’existence de celui qui ose affirmer les avoir transmis d’après Dieu même ! Eh ! voilà donc comme on me trompe, m’écriai-je au bout de mes recherches ; ces livres saints qu’on veut me donner comme l’ouvrage d’un Dieu, ne sont plus que celui de quelques charlatans imbéciles, et je n’y vois, au lieu de traces divines, que le résultat de la bêtise et de la fourberie ; et, en effet, quelle plus lourde ineptie que celle d’offrir partout dans ces livres, un peuple favori du souverain qu’il vient de se forger, annonçant à toutes les nations que ce n’est qu’à lui que Dieu parla, que ce ne fut qu’à son sort qu’il pût s’intéresser ; que ce n’est que pour lui qu’il dérange le cours des astres, qu’il sépare les mers, qu’il épaissit la rosée, comme s’il n’eût pas été bien plus facile à ce Dieu de pénétrer les cœurs, d’éclairer les esprits, que de déranger le cours de la nature, et comme si cette prédilection en faveur d’un petit peuple obscur, abject, ignoré, pouvait convenir à la majesté suprême de l’être auquel vous voulez que j’accorde la faculté d’avoir créé l’univers ; mais quelque soit l’envie que j’aurais d’acquiescer à ce que ces livres absurdes m’apprennent, je demande si le silence universel de tous les historiens des nations voisines, sur les faits extraordinaires qui y sont consignés, ne devait pas suffire à me faire révoquer en doute les merveilles qu’ils m’annoncent ; que dois-je penser, je vous prie, lorsque c’est dans le sein du peuple même qui m’entretient si fastueusement de son dieu que je trouve le plus d’incrédules ! Quoi, ce dieu comble son peuple de faveurs et de miracles, et ce peuple chéri ne croit pas à son dieu ! Quoi, ce dieu tonne sur le haut d’une montagne avec l’appareil le plus imposant, il dicte sur cette montagne des lois sublimes au législateur de ce peuple qui dans la plaine doute de lui, et des idoles s’élèvent dans cette plaine pour narguer le Dieu législateur, tonnant sur la montagne ; il meurt enfin, cet homme singulier ! qui vient d’offrir aux juifs un Dieu si magnifique, il expire, un miracle accompagne sa mort ; tant de motifs vont pénétrer sans doute de la majesté de ce dieu, le peuple témoin de sa grandeur, que ne doivent point admettre les descendais de ceux qui ont tout vu. Mais plus incrédules que leurs pères, l’idolâtrie culbute en peu d’années les autels chancelants du dieu de Moïse, et les malheureux juifs opprimés, ne se souviennent de la chimère de leurs ancêtres que quand ils recouvrent leur liberté ; de nouveaux chefs leur en parlent alors, malheureusement les promesses qu’ils leur font ne s’accordent pas avec les évènements : les juifs, selon ces nouveaux chefs, devaient être heureux tant qu’ils seraient fidèles au Dieu de Moïse ; jamais ils ne le respectèrent davantage, et jamais le malheur ne les opprimât plus durement. Exposés à la colère des successeurs d’Alexandre, ils n’échappent aux fers de ceux-ci que pour retomber sous ceux des Romains, qui, las enfin de leur perpétuelle révolte, culbutent leur temple et les dispersent ; et voilà donc comment leur Dieu les sert ! Voilà comme ce Dieu, qui les aimé, qui ne trouble qu’en leur faveur l’ordre sacré de la nature, voilà comme il les traite, voilà comme il leur tient, ce qu’il leur a promis.

Ce ne sera donc plus chez les juifs que je chercherai le Dieu puissant de l’univers ; ne rencontrant chez cette méprisable nation qu’un fantôme dégoûtant né de l’imagination exaltée de quelques ambitieux, j’abhorrerai le Dieu méprisable offert par la scélératesse, et je jetterai les yeux sur les chrétiens.

Que de nouvelles absurdités se présentent ici ! Ce ne sont plus les livres d’un fou sur une montagne qui doivent me servir de règle ; le Dieu dont il s’agit maintenant s’annonce, par un ambassadeur bien plus noble, et le bâtard de Marie