Histoire de la Chine jusqu'en 1949 - Encyclopaedia Universalis - E-Book

Histoire de la Chine jusqu'en 1949 E-Book

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Comme les pays du bassin méditerranéen et de l'Europe, la Chine d'aujourd'hui est le point d'aboutissement d'une très longue évolution où les facteurs de continuité ne sont sans doute pas plus significatifs pour l'historien que ceux que l'on rencontre en Occident dans le domaine des institutions, du droit, des traditions culturelles et religieuses...

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ISBN : 9782852299283

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Histoire de la Chine jusqu’en 1949

Introduction

Comme les pays du bassin méditerranéen et de l’Europe, la Chine d’aujourd’hui est le point d’aboutissement d’une très longue évolution où les facteurs de continuité ne sont sans doute pas plus significatifs pour l’historien que ceux que l’on rencontre en Occident dans le domaine des institutions, du droit, des traditions culturelles et religieuses. C’est par étapes que les populations de langue et de culture chinoises se sont fixées dans le vaste espace qui s’étend de la zone équatoriale à la taïga sibérienne et de l’île de Formose au centre même de l’Asie. Par des transformations successives des systèmes politiques et sociaux, des techniques et de l’économie, le visage de la Chine s’est modifié au cours des âges, depuis le Néolithique et la cité-palais de l’âge du Bronze, dans la vallée inférieure du fleuve Jaune du XVIIe au Xe siècle avant J.-C., jusqu’à l’immense Empire autoritaire et paternaliste qui est en voie de décomposition à la fin du XIXe siècle.

Aujourd’hui comme au cours de l’histoire, la Chine reste le plus grand pays de l’Asie. La Corée a fait partie de la Chine pendant quatre siècles, le Vietnam pendant un millénaire. L’influence de la Chine s’est étendue au Japon, elle a pénétré l’Asie centrale, la Mongolie, le Tibet, les pays de l’Asie du Sud-Est (péninsule indochinoise, Indonésie et Philippines). Le monde chinois a été depuis les origines en relation avec les régions situées au sud de l’Oural, la Transoxiane, l’Iran, l’Inde, en contact avec le monde hellénisé, les pays gagnés au bouddhisme puis à l’islam. L’idée d’une Chine fermée sur elle-même ne correspond pas plus aux réalités de l’histoire que celle d’une Chine stagnante et éternelle.

À l’époque archaïque de la cité-palais succède en Chine du Nord celle des principautés nobles, alliées et rivales, entre le IXe et le Ve siècle avant notre ère. On assiste ensuite à la formation d’États militaires centralisés, dont le plus puissant unifie à son profit l’ensemble des pays chinois et fonde le premier type d’empire, celui des Qin et des Han, résultat des profondes transformations qui se sont opérées à partir du Ve siècle (diffusion de la fonte du fer, monnaies métalliques, constitution d’armées de conscrits d’origine paysanne, déclin de l’ancienne noblesse, formation du premier « empire » de la steppe). Après la grande expansion militaire vers l’Asie centrale, la Corée, les provinces de la Chine du Sud et le nord du Vietnam, de la fin du IIIe siècle au milieu du Ier siècle avant J.-C., l’évolution économique et sociale amène, au IIe siècle de notre ère, la ruine du système étatique centralisé, le développement de la puissance des chefs d’armée et des grandes familles, le recul de l’économie urbaine. Des populations d’origine nomade déjà installées en Chine du Nord depuis les environs de l’ère chrétienne, sédentarisées et sinisées, créent au IVe siècle un ensemble de petits royaumes dans la zone riche et peuplée des bassins de la Wei et du fleuve Jaune, cependant que dans la Chine pauvre et coloniale du bassin du Yangzi se succéderont jusqu’à la fin du VIe siècle de faibles dynasties chinoises, dominées par les chefs de guerre et les familles de grands propriétaires fonciers.

Un pouvoir d’origine turco-mongole parvient à unifier la Chine du Nord dans la première moitié du Ve siècle. Combinant les institutions de l’aristocratie nomade et celles qui ont été héritées des empires centralisés des Qin et des Han, cet empire du Nord donnera naissance à ceux des Sui et des Tang qui gardent l’empreinte de cette double origine. Empires du Nord-Ouest ouverts sur l’Asie centrale, les Sui puis les Tang sont des pouvoirs à traditions militaires dont les visées expansionnistes s’étendent jusqu’à l’Iran, à l’Inde du Nord et à la Corée. Mais le pouvoir excessif des chefs d’armée amène un brusque changement au milieu duVIIIe siècle : la division de la Chine en plusieurs unités régionales fondées par des chefs militaires d’humble extraction aboutira, à la fin duXe siècle, à la formation d’un nouveau type d’empire unifié : le pouvoir central n’a plus un fondement régional et aristocratique comme dans l’empire Tang auVIIe siècle, mais il s’appuie sur une armée de mercenaires et un corps de fonctionnaires recrutés par concours, à l’exclusion de tout autre personnel politique. La prépondérance économique et culturelle de la Chine du bas Yangzi qui s’affirme à cette époque n’est pas la seule nouveauté : le progrès des institutions, des sciences, de l’agronomie, des techniques maritimes, la diffusion de l’imprimerie, le développement urbain et l’expansion commerciale donnent à la Chine des Song (XIe-XIIIe s.) un visage bien différent de la Chine guerrière et aristocratique du VIIe siècle. Mais son essor est contemporain de la constitution de grands empires sinisés d’origine nomade sur les confins du Nord-Est et du Nord-Ouest. Ces empires, puis la Chine des Song elle-même, seront envahis par une population plus septentrionale dans le courant du XIIIe siècle : celle des tribus mongoles installées au sud du lac Baïkal. C’est la seule fois au cours de son histoire que la Chine est asservie par des étrangers aussi peu touchés par les influences chinoises.

Cette brève période, à laquelle mettent fin, au milieu du XIVe siècle, des insurrections populaires, est suivie par la formation d’un empire chinois d’un style encore nouveau. Le pouvoir central sous les Ming (1368-1644) est libre de toute entrave et tient l’ensemble de ses agents sous une surveillance étroite. L’empire autoritaire qui assure tout d’abord à la Chine une remarquable expansion économique et politique en Asie et qui connaît à la fin du XVIe siècle un étonnant essor industriel, marchand et intellectuel, sombre dans le chaos provoqué par des difficultés de trésorerie, de terribles luttes de clans au sein de l’administration, et par de grandes rébellions de soldats et de paysans.

Des Toungouses sinisés qui prennent le nom de Mandchous s’emparent des provinces du Nord-Est (la « Mandchourie »), puis envahissent le reste de la Chine en quelques dizaines d’années, lui imposant un dur régime d’exploitation qui s’adoucit vers la fin du XVIIe siècle. Des conditions économiques très favorables, la douceur du régime mandchou, les efforts faits par le pouvoir impérial pour se concilier les élites chinoises, le prestige et la puissance d’un empire qui s’étend sur près de douze millions de kilomètres carrés depuis la mer d’Okhotsk jusqu’au lac Balkhach et aux frontières de l’Inde font du XVIIIe siècle chinois une époque d’euphorie et de prospérité générale. Mais ce vaste empire ne tarde pas à souffrir de sa trop grande extension et d’une croissance démographique qui est sans précédent dans l’histoire du monde. Il est déjà dans une période de déclin quand les importations anglaises d’opium amènent, vers 1820, un renversement de la balance commerciale.

Les enchaînements de l’histoire devaient ensuite, par étapes, faire de ce grand pays, héritier des plus riches traditions techniques et culturelles, l’un des plus pauvres et des plus misérables du monde au début du XXe siècle.

Jacques GERNET

Nos habitudes occidentales ne sont pas d’un grand secours pour définir les étapes de l’évolution de la Chine aux XIXe et XXe siècles. La révolution de 1789, limite conventionnelle entre l’histoire moderne et l’histoire contemporaine pour les historiens français, est manifestement une date dépourvue de sens en Chine. Il en est de même pour la révolution anglaise de 1688, qui constitue pourtant pour les historiens soviétiques la base d’un système de périodisation à caractère universel, applicable même à la Chine ; ils mènent en effet l’histoire « moderne » de ce pays de 1688 à 1917, année considérée comme point de départ de l’histoire contemporaine. Les historiens de Chine populaire ont préféré définir les périodes moderne (jindai) et contemporaine (xiandai) à partir de l’évolution propre de leur pays. Ils font commencer l’histoire moderne en 1840 avec la première guerre de l’opium et l’histoire contemporaine avec le Mouvement du 4 mai (1919).

Certains sinologues contestent vivement ce choix. Les guerres de l’opium ne seraient qu’un événement marginal, un simple « incident de frontières » qui, dans l’immédiat, n’affecte guère l’équilibre chinois ; la crise de l’Empire au XIXe siècle aurait essentiellement des causes internes, et se serait développée de façon continue depuis le règne de Jiaqing (1796-1820) jusqu’à celui de l’impératrice douairière Cixi ; les effets de l’intervention étrangère en Chine ne seraient décisifs qu’à partir de l’extrême fin du XIXe siècle. Le grand mérite de cette thèse, défendue par exemple par J. Gernet, est de mettre l’accent sur les faits de continuité interne, de combattre l’image trop simpliste d’une Chine « stagnante depuis des siècles » et qui retrouve brusquement son dynamisme historique au contact de l’Occident. Il est bon de rappeler aux historiens que la Chine « moderne » d’après les guerres de l’opium affronte – en partie – les mêmes problèmes que la Chine de la dynastie mandchoue (laquelle n’était d’ailleurs pas stagnante) et qu’elle est mue en partie par les mêmes forces historiques. Mais en partie seulement. Car cette continuité n’est pas incompatible avec l’effet de discontinuité provoqué par l’intervention occidentale. Certes, les conséquences de celle-ci n’affecteront que progressivement l’ensemble du territoire chinois et de l’organisme social chinois. Mais dès le milieu du XIXe siècle, la poussée européenne introduit brutalement dans les affaires chinoises un élément nouveau. La révolte des Taiping, pour se limiter à ce seul exemple, est sans doute l’héritière d’une longue tradition de jacqueries égalitaires. Mais elle est en même temps le fruit direct du choc de la Chine avec l’étranger, ce qu’expriment sans équivoque les emprunts des Taiping au christianisme. Avec les guerres de l’opium s’ouvre une nouvelle étape de la longue histoire du peuple chinois.

Jean CHESNEAUX

1. De la fin du Néolithique à l’âge du bronze

• Les cultures néolithiques

Il n’est pas possible de séparer les cultures néolithiques évoluées de la fin du IIIe millénaire des débuts de la civilisation du Bronze qui leur ont succédé dans la vallée du fleuve Jaune (Huanghe). Bien des traits caractéristiques de la civilisation du Bronze sont attestés en effet dès le Néolithique : formes des poteries, construction par damage de la terre, habitations en forme de fosses, divination par le moyen d’os soumis au feu, type des couteaux, etc. Cette continuité semble donner quelque consistance aux anciennes traditions chinoises qui placent avant l’époque Shang ou Yin, contemporaine des débuts du Bronze, une « dynastie » néolithique du nom de Xia. D’autre part, la pluralité des cultures et des ethnies, la complexité des groupements humains et leur évolution constante paraissent être des données qui ne valent pas seulement pour des époques plus proches de nous, mais aussi bien pour ces temps reculés dont nous n’avons que de rares témoins. Les découvertes archéologiques qui se sont multipliées depuis 1950 ont beaucoup enrichi notre connaissance du Néolithique et de l’âge du Bronze en Chine et en Asie orientale. Elles confirment l’existence de trois grands ensembles de cultures néolithiques qui présentent des variations et témoignent d’évolutions différentes, d’avances, de reculs et de phénomènes de synthèse. Elles suggèrent aussi l’action d’influences lointaines confirmées à l’âge du Bronze. La vallée du fleuve Jaune a été en effet en relation au IIe millénaire avec la Russie méridionale et le Proche-Orient à travers le Turkestan, avec la région du lac Baïkal, la Mongolie et la haute vallée de l’Ienisseï ; elle l’a été aussi avec la vallée du Yangzi (fleuve Bleu) et la Chine du Sud, domaine de chasseurs et de pêcheurs mésolithiques dans la région des grands lacs du bassin du Yangzi, d’une part, et le long des côtes du Sud-Est d’autre part. À la zone du millet, qui s’étend en arc de cercle sur plus de 2 000 km entre la région du lœss au nord-ouest (provinces du Gansu, du Shǎnxi et du Shānxi), le bassin inférieur du fleuve Jaune et le sud de la Mandchourie, s’oppose, dans les vallées moyenne et inférieure du Yangzi, un ensemble de cultures caractérisées dès − 5000 par une riziculture déjà évoluée et par la domestication du buffle. C’est dans la province du Henan, où ces trois types de cultures différentes sont entrés en contact, que paraît avoir pris naissance la civilisation du Bronze, et c’est du moins dans cette région que devaient s’établir les capitales de la dynastie des Shang.

• Les Shang (ou Yin)

Ce que nous savons de la civilisation du Bronze nous est connu dans la seconde moitié du IIe millénaire par des traditions écrites postérieures (fragments de légendes et de scénarios de danses rituelles, liste des souverains, etc.) et surtout par les fouilles de sites Shang commencées en 1927 et reprises en 1950. Le site principal, celui de la dernière capitale, occupé du XIVe au XIe siècle, est proche de la ville moderne de Anyang dans le sud-ouest du Henan. C’est là que fut découvert un ensemble étendu de tombes royales et d’établissements humains. D’importantes inscriptions divinatoires sur os et sur écailles de tortue, retrouvées dans ce même site et dont le déchiffrement fut, depuis le début de ce siècle, l’œuvre d’éminents savants chinois, ont permis de compléter les riches données archéologiques fournies par les fouilles. Les caractéristiques de la civilisation des Shang sont : une technique du Bronze qui atteint son apogée à la fin du IIe millénaire, l’usage d’un char à timon attelé de deux chevaux, le développement d’une écriture dont les principes sont déjà ceux de l’écriture chinoise, telle qu’elle sera fixée aux environs de 200 avant J.-C., l’existence de villes murées, une économie où prédomine l’agriculture, mais qui laisse encore une place importante à l’élevage et à la chasse. La société se compose d’une classe noble, constituée par les parents et alliés du roi, et de groupes de statut servile placés sous la dépendance plus ou moins étroite du Palais : agriculteurs, éleveurs, artisans. Alors que le Palais assume toutes les fonctions à la fois – politiques, administratives, militaires, religieuses et économiques –, les nobles mènent auprès du roi ou dans les fiefs dépendant de la capitale une vie consacrée à la guerre, à la chasse, aux activités cultuelles et à l’administration du Palais et des domaines. La vie religieuse est dominée par le culte des ancêtres royaux, véritables maîtres de cette société, qui sont l’objet de sacrifices fastueux. Les grandes tombes royales du site d’Anyang témoignent de l’importance attachée à la vie d’outre-tombe des souverains enterrés avec leurs richesses les plus précieuses, leur char d’apparat et leurs plus proches serviteurs.

On note déjà l’existence d’un corps de spécialistes qui assistent le pouvoir noble dans ses activités administratives et religieuses : scribes, devins, sorciers. L’écriture à base de dessins très stylisés (objets, parties d’objets, gestes, combinaisons de signes simples et signes employés pour leur valeur phonétique), est déjà très évoluée ; deux systèmes de numération sont en usage, l’un décimal, l’autre sexagésimal ; l’art divinatoire, qui se perfectionnera au cours de la période d’Anyang (XIVe-XIe s.), devient une technique complexe et savante, dont les applications sont très étendues (on notera que les inscriptions divinatoires sont conservées à titre d’archives) ; la religion paraît exercer une emprise universelle, et l’année soli-lunaire est jalonnée par des sacrifices très fréquents et prolongés, qui exigent de nombreuses victimes animales (bœufs, moutons et porcs principalement) et parfois humaines. Toutes ces activités expliquent le rôle important des collèges de spécialistes tant de l’écriture que des choses religieuses. C’est dans leur milieu qu’ont pris naissance les plus anciennes traditions écrites qui se développeront sous la dynastie suivante à partir du Xe siècle.

Quels furent les apports extérieurs à la première civilisation du Bronze dans le bassin du fleuve Jaune ? En ce qui concerne la découverte des alliages, elle a fort bien pu être le résultat d’une évolution indépendante à partir des arts du potier (les sites antérieurs au XIVe siècle révèlent une technique du bronze encore rudimentaire). Par ses styles, où la diffusion du décor animalier marque une nette rupture avec les dessins géométriques du Néolithique, par ses techniques (arc composite propre à l’Asie du Nord-Est, architecture, etc.), par ses formes (vase tripode à pieds creux, couteaux, etc.), par les conceptions que laisse entrevoir l’analyse des pratiques religieuses et divinatoires, cette civilisation est profondément originale, originalité qui n’exclut pas l’action d’influences lointaines. Le char ne nous est connu que sous une forme déjà très perfectionnée, et, sans qu’on puisse déterminer dans quel sens ont eu lieu les emprunts, il existe de grandes analogies entre l’art du Bronze de la vallée du fleuve Jaune et ceux de la Sibérie du Sud-Ouest et de la région du lac Baïkal. On notera, d’autre part, une concordance chronologique : c’est à partir du début du IIe millénaire que des populations indo-européennes introduisent l’usage du char dans les vieilles civilisations du Proche-Orient et que s’y diffuse à la même époque la technique du Bronze. Or, ces deux nouveautés semblent être apparues dans la vallée du fleuve Jaune vers la même époque. Il n’y a pas lieu d’exclure a priori l’Asie orientale des vastes phénomènes de diffusion qui touchèrent, avec des décalages de quelques siècles, les autres parties du continent eurasien.

2. Les Zhou occidentaux et l’époque Chunqiu (XIe-VIe s. av. J.-C.)

• Expansion de la civilisation du Bronze

En 1111, suivant la tradition la plus courante, mais plus vraisemblablement dans le courant du XIe siècle, les Shang, qui menaient des guerres difficiles contre les tribus du Shānxi et du Shǎnxi, et surtout contre celles de la vallée de la Huai au sud-est de leur domaine, succombèrent aux assauts d’une cité fondée par des colons Shang au Shǎnxi alors qu’ils étaient en opération dans la région de la Huai. Cette cité, du nom de Zhou, semble avoir subi assez profondément l’influence des populations autochtones et avait fait sans doute alliance avec certaines tribus du Nord-Ouest. Venus d’une région de tout temps propice à l’élevage du cheval, les fondateurs de la nouvelle dynastie développent l’usage du char et font preuve de qualités guerrières qui permettront, aux environs de l’an 1000, une expansion des centres de civilisation du Bronze jusqu’à la vallée du Yangzi et au sud de la Mongolie. Cependant rien ne permet de distinguer les débuts des Zhou de la fin des Shang : styles, techniques artisanales, pratiques religieuses ne paraissent avoir subi aucun changement. Les Zhou gardent en effet à leur service les spécialistes et les artisans des Shang dans les nouvelles capitales de la vallée de la Wei, à l’emplacement de l’actuel Xi’an, et à Luoyi (l’actuel Luoyang, au Henan). De même, la prééminence de la maison royale et la solidarité des clans apparentés et alliés paraissent s’être maintenues au début de l’époque des Zhou. Les traditions des Shang se perpétuent d’ailleurs dans les principautés de Wei et de Song au Henan. Avec le roi Wen, fondateur des Zhou, le roi Wu et son conseiller le duc de Zhou, cette période à laquelle remonte la fondation des principales lignées princières devait être considérée comme une sorte d’âge d’or par les lettrés du pays de Lu au Shandong. Mais à partir de la fin du Xe siècle, des transformations se produisent dans l’ensemble des pays chinois. Les nombreuses cités établies à proximité du cours du fleuve Jaune et dans la Plaine centrale qui couvre les provinces actuelles du Henan, du Hebei, du Shandong occidental et du nord de l’Anhui tendent à se distinguer des cités plus lointaines et plus isolées qui se développèrent dans la vallée de la Wei, au Hubei, dans le moyen et le bas Yangzi. Héritières des traditions de la fin des Shang et du début des Zhou, elles formeront bientôt une confédération de « royaumes du Centre » (Zhong guo) – terme qui deviendra un des noms les plus courants de la Chine – et estiment à demi barbares les cités plus lointaines et plus isolées qui se sont établies dans la vallée de la Wei, dans les régions du moyen et du bas Yangzi où se fait très nettement sentir l’influence des populations autochtones. Les substrats ethniques et culturels apparaissent donc, dès l’expansion de la civilisation du bronze, comme un facteur de différenciation entre les divers pays chinois. D’autre part, la dispersion des cités, leur éloignement de la capitale, leur essor économique et militaire sont la cause d’une évolution d’abord insensible du système politique et social de l’époque des Shang et du début des Zhou : à la domination exclusive du pouvoir royal, détenteur des plus hauts privilèges religieux et de la principale force militaire, va se substituer dès la fin du Xe siècle une forme de cohésion sociale et politique plus complexe. Elle est fondée sur la hiérarchie des cultes familiaux, les alliances matrimoniales, les prérogatives religieuses et politiques. La guerre entre cités, la vendetta, les échanges de biens et de services, les traités tendent à assurer un certain équilibre dans un ensemble de principautés au milieu desquelles le pouvoir royal ne joue bientôt plus qu’un rôle d’arbitre. C’est dans ce contexte humain très particulier, où se confondent les relations familiales et politiques, que s’explique l’importance prise par les conduites rituelles et la science des précédents. À mesure que se développent la puissance et l’indépendance des cités, se constituent une nouvelle société et de nouvelles mœurs : une noblesse jalouse de ses prérogatives et attentive aux questions de protocole, un idéal du guerrier noble, une morale de l’honneur et du prestige.

La maison royale s’affaiblit au début du VIIIe siècle. En 771, les Zhou, chassés de leur capitale occidentale (établie dans la vallée de la Wei) par la poussée de tribus du Nord-Ouest, s’installent de façon définitive au Henan, à l’emplacement de l’actuelle Luoyang. Aussi la période qui commence en 770 est-elle connue sous le nom d’époque des Zhou orientaux (les Zhou seront détruits par le royaume de Qin en 256 avant notre ère). Elle correspond à peu près à la période dite Chunqiu, d’après le nom de la chronique du royaume de Lu qui couvre les années 722-481. À partir de leur transfert au Henan, les Zhou dépendront plus étroitement du soutien des principautés voisines et bientôt de celui des grandes unités régionales qui sont en voie de constitution au Shandong occidental (pays de Qi) et dans la vallée de la Fen au Shānxi (pays de Jin). En effet, par suite de l’extension du domaine chinois et du déclin de la puissance royale, des relations analogues à celles qui unissaient le roi et ses vassaux tendent à s’établir entre les cités les plus puissantes et les principautés voisines. D’autre part, le regain d’activité que manifestent à partir du VIIIe siècle les tribus non chinoises de la Chine du Nord (peut-être sous la pression des populations d’éleveurs nomades de la zone des steppes) devait amener les royaumes de Jin et de Qi à jouer, à l’égard de la maison royale et des principautés de la Plaine centrale, ce rôle de protecteurs que la tradition leur a reconnu en donnant à leurs princes le titre d’hégémon (ba). Ce titre, d’abord accordé au duc Huan de Qi (685-643) puis au duc Wen de Jin (636-628), sera ensuite étendu aux princes assez puissants pour organiser des coalitions : ceux de Qin dans la vallée de la Wei, de Song aux confins du Henan et du Shandong, de Chu dans la vallée du moyen Yangzi et dans le bassin inférieur de la Han au Hubei. Dès la fin du VIIIe siècle et dans le courant du VIIe siècle, certaines cités parviennent donc, en s’associant étroitement ou en englobant de petites principautés, en empiétant sur le territoire des tribus et en s’alliant aux populations autochtones, à étendre leur domaine et à créer, dans certaines régions naturelles, de vastes unités politiques.

L’intervention de ces grands royaumes périphériques de Qi, Jin, Chu et Qin, dans la Plaine centrale aux VIIe et VIe siècles, modifie les rapports établis entre les anciennes principautés chinoises. Ces rapports étaient fondés sur les liens de parenté, une hiérarchie de cultes ancestraux, d’antiques prérogatives conférées par le pouvoir royal. Les nouvelles relations qui tendent à s’instituer sont, au contraire, fonction de la puissance militaire des royaumes et des combinaisons diplomatiques. D’abord contraintes à participer aux coalitions changeantes des grands royaumes, les petites cités de la Plaine centrale perdent peu à peu toute autonomie. Le plus grand nombre d’entre elles disparaît entre le milieu du VIIe et le milieu du VIe siècle. Ces changements d’ordre politique ne sont qu’un des effets d’une crise profonde où sont remis en cause les fondements du pouvoir et de la société noble. On remarque, dans le courant du VIe siècle, une tendance générale à la création d’institutions monarchiques : substitution d’un droit écrit et public aux règles coutumières du passé ; institution du système des impôts en grains qui remplace les anciennes corvées ; extension des circonscriptions administratives d’origine militaire. D’autre part, l’accroissement du nombre des petits nobles sans ressources et en quête de protecteurs amène le développement des