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Après plus de quarante ans de grande stabilité politique, l'Italie est entrée, depuis la fin des années 1980, dans une ère de bouleversements sans équivalent en Europe. Sous la pression des événements internationaux et de ses propres déficiences, c'est en effet tout le modèle économique et …
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Seitenzahl: 137
Veröffentlichungsjahr: 2017
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ISBN : 9782852298767
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Après plus de quarante ans de grande stabilité politique, l’Italie est entrée, depuis la fin des années 1980, dans une ère de bouleversements sans équivalent en Europe. Sous la pression des événements internationaux et de ses propres déficiences, c’est en effet tout le modèle économique et politique italien qui s’écroule. Un modèle qu’on peut dire né à Yalta et mort à Berlin, dans la mesure où l’Italie, pays de frontière du bloc occidental, abritant le plus fort parti communiste d’Occident, a été plus que d’autres conditionnée par l’environnement international. Le système mis en place dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale a été défini par différents termes : démocratie inachevée, démocratie contractuelle, bipartisme imparfait. Il reposait en effet sur l’hégémonie de deux partis, la Démocratie chrétienne au gouvernement, le Parti communiste dans l’opposition, deux partis qui ne pouvaient que s’opposer en temps normal ou s’associer en période exceptionnelle (1943-1947, 1976-1979), mais non alterner au pouvoir. L’absence d’alternance est ainsi une des caractéristiques essentielles de ce système dont la logique, à la longue, a produit des facteurs négatifs tels que l’inamovibilité de la classe dirigeante, l’habitude du compromis permanent et de la négociation d’accords obscurs entre états-majors partisans, y compris entre la majorité et l’opposition. Surtout, elle a entraîné la dégénérescence du rôle des partis politiques. D’agents indispensables du débat démocratique, ceux-ci sont peu à peu devenus les colonisateurs de l’État, occupant tous les centres de pouvoir susceptible de leur procurer les moyens – argent et emplois – d’alimenter un consensus qui ne se satisfaisait pas seulement d’incitations idéologiques. Cette évolution a créé en Italie un État-parti, avec ses corollaires de corruption et d’irresponsabilité, en particulier en matière de finances publiques.
Ce sont les bases mêmes de ce modèle qui ont été sapées à la fin des années 1980 par l’effondrement du communisme international et le déferlement de la crise monétaire et économique. La chute du Mur de Berlin a précipité la disparition du Parti communiste italien, qui avait réussi jusqu’au milieu des années 1980 à conserver une forte audience électorale (plus du tiers des votants), mais connaissait depuis 1985 un déclin accéléré. Proposé en novembre 1989 et entériné au congrès de Rimini en janvier 1991, son remplacement par le Parti démocratique de la gauche modifie toutes les données du système politique. L’écroulement du pilier communiste ne peut en effet laisser intact le pilier catholique, dont la solidité était étroitement corrélée avec sa fonction anticommuniste. Sans cette justification, l’unité politique des catholiques, en contradiction avec la sécularisation croissante de la société italienne, apparaît de plus en plus anachronique. Le Parti socialiste, de son côté, ne peut plus prétendre représenter seul le socialisme réformiste.
C’est donc sur un système politique fragilisé que s’abattent, au début de 1992, les révélations sur l’ampleur de la corruption et l’étroitesse des liens entre le monde politique et la Mafia. La quasi-totalité de la classe dirigeante, politique et économique, et le Parti socialiste tout entier sont emportés par la tempête. La Démocratie chrétienne n’espère sauver une partie de son patrimoine que par un retour aux sources, reprenant le vieux nom de Parti populaire. Le Parti démocratique de la gauche, qui n’a pu éviter une scission des communistes orthodoxes, ne recueille guère plus de la moitié de l’héritage électoral du P.C.I., même s’il peut espérer constituer le noyau dur d’une gauche rénovée. En revanche, de nouvelles formations émergent et sont portées par le déferlement de la protestation populaire. La Ligue lombarde remporte un triomphe en Italie du Nord, sur un programme essentiellement négatif : contre le gouvernement central, corrompu et gaspilleur, contre le Midi, gouffre des finances publiques, alimentées par les régions du Nord, et surtout contre les partis traditionnels. À côté de la Ligue, d’autres mouvements, en particulier les Populaires pour la réforme de Mario Segni, s’efforcent de donner naissance à de nouvelles agrégations, transgressant les vieilles frontières partisanes.
Sur les ruines de l’ancien système politique, un nouveau système est ainsi, difficilement, en train de se former en Italie. La clé de voûte en est l’adoption d’un mode de scrutin majoritaire qui, remplaçant la représentation proportionnelle, devrait, enfin, instaurer cette alternance au pouvoir tant souhaitée par tous les réformistes.
L’Italie libérée le 25 avril 1945 de l’occupation allemande et du régime fasciste semblait présenter tous les caractères prérévolutionnaires : une situation économique et sociale désastreuse (chômage, pénurie, inflation galopante), une aspiration à de profonds changements après vingt ans de dictature, une forte présence sociale et culturelle du Parti communiste.
En réalité, de nombreux obstacles internes et internationaux limitent les possibilités de transformation radicale. La Résistance a été le fait d’une élite bourgeoise et ouvrière de l’Italie du Nord, les grandes masses paysannes, surtout celles de l’Italie du Sud, étant restées à l’écart. Et le « vent du Nord », face aux pesanteurs sociales et culturelles de l’Italie profonde, se révèle vite impuissant à faire place nette à une Italie nouvelle. On le voit lors du référendum institutionnel du 2 juin 1946 lorsque la république ne l’emporte que par 12 718 641 voix contre 10 718 502 à la monarchie, majoritaire dans toutes les provinces au sud de Rome, sauf une, Trapani.
Mais l’obstacle majeur est d’ordre international. La péninsule fait partie du bloc occidental qui se forme dès la fin de la guerre. Et les Anglo-Saxons, dont les troupes occupent le pays jusqu’à la signature du traité de paix, sont bien décidés à s’opposer, au besoin par la force, à toute tentative subversive. De son côté, l’U.R.S.S. n’a pas l’intention d’apporter le moindre soutien armé à l’établissement d’une démocratie populaire hors de sa zone d’influence (l’exemple grec le montre clairement).
Le Parti communiste a vite compris cette double hypothèque qui pèse sur un changement radical. Son chef, Palmiro Togliatti, rentré en Italie le 27 mars 1944, écarte d’emblée toute action révolutionnaire et mise sur une conquête légale du pouvoir, au prix de compromis qui ne seront pas toujours bien compris de la base ou des intellectuels. Le ton est donné dès le lendemain de son retour par la décision, très controversée, de participer au gouvernement royal du maréchal Badoglio, qui vient d’ailleurs d’être reconnu par l’U.R.S.S. Ce qu’on a appelé la svolta (la volte-face) de Salerne participe ainsi d’une stratégie générale visant à faire du Parti communiste un acteur décisif du jeu politique en maintenant aussi longtemps que possible l’unité antifasciste des Comités de libération nationale. En même temps, Togliatti s’attache à renforcer l’insertion sociale d’une formation qu’il a profondément réorganisée, transformant un petit parti léniniste en grand parti de masse. Dès 1946, les adhérents dépassent le million, tandis que s’étend le contrôle communiste sur l’ancien réseau socialiste des coopératives, des maisons du peuple et du syndicat unitaire, la C.G.I.L. (Confédération italienne du travail) Il y a là des moyens d’assurer l’hégémonie du P.C.I. sur la gauche italienne et, en cas de victoire électorale de celle-ci, d’imposer le régime souhaité par le parti.
Dans la désorganisation et le discrédit des forces de droite, l’obstacle majeur à cette stratégie vient de la Démocratie chrétienne (D.C.), seul parti modéré à disposer d’une organisation et de cadres, fournis largement par les mouvements catholiques. Elle a aussi un leader de premier plan, Alcide De Gasperi, qui ne tarde pas à s’imposer sur le plan intérieur comme sur le plan international.
Tendue vers l’objectif prioritaire d’éviter l’isolement avant les premières élections législatives, la gauche va laisser les modérés imposer une stratégie de restauration qui passe par trois étapes décisives : l’accession en décembre 1945 d’Alcide De Gasperi à la tête d’un gouvernement tripartite (démocrates-chrétiens, socialistes et communistes), inaugurant une pratique qui allait devenir la règle de la démocratie italienne jusqu’en 1981 ; le renvoi des premières élections législatives qui, tenues dans la foulée de la Libération, auraient sans doute donné la victoire à la gauche unie ; le recours au référendum pour le choix entre république et monarchie, qui permet à la D.C. de ne pas prendre parti sur un sujet qui divise profondément son électorat.
Ces années de transition marquent aussi l’effacement progressif des éléments de changement déjà introduits ou en projet : élimination des préfets politiques nommés à la Libération, non-légalisation des conseils de gestion dans les entreprises, fin rapide de l’épuration avec la loi d’amnistie de juin 1946 et abandon des deux projets économiques majeurs proposés par le Comité de libération nationale (échange de la monnaie et impôt sur le patrimoine).
Les premières élections politiques, celles de l’Assemblée constituante, le 2 juin 1946, confirment l’affirmation de trois partis de masse, communiste, socialiste et démocrate-chrétien et le déclin du parti de notables qui avait dominé la politique italienne du Risorgimento au fascisme, le Parti libéral. Avec 35,2 p. 100 des suffrages, la D.C. est consacrée premier parti italien et leader du bloc modéré. Mais c’est un leadership encore fragile. Il est menacé à droite par l’émergence d’un parti nouveau, l’Uomo qualunque, et à gauche par le succès du bloc socialo-communiste (39,6 p. 100), majoritaire dans le Nord et qui peut espérer s’implanter dans un Sud où il est encore très faible, à la faveur des fortes tensions sociales qui s’y manifestent. Sans racines profondes dans le pays, la D.C. dépend pour sa survie de l’appui que lui accordent les forces économiques, et surtout l’Église. Mais cet appui est de plus en plus subordonné à la rupture de l’alliance du parti catholique avec les partis de gauche. La collaboration devient chaque jour plus difficile dans le climat de guerre froide qui envahit la péninsule et alors que se multiplient les grèves et les occupations de terre, alimentant l’inflation et la fuite des capitaux. Si Alcide De Gasperi retarde jusqu’en mai 1947 le moment de la rupture, c’est non seulement parce qu’il craint une forte réaction sociale, mais parce qu’il souhaite associer tous les partis à la signature du traité de paix et à la rédaction de la Constitution. Signé le 10 février 1947 et ratifié le 31 juillet par l’Assemblée constituante, le traité que l’Italie n’avait pas été admise à discuter imposait en effet des sacrifices dont le gouvernement ne souhaitait pas endosser seul la responsabilité. Les plus graves sont les amputations territoriales : les îles du Dodécanèse, l’Istrie (avec un statut provisoire pour le territoire libre de Trieste sous administration militaire anglo-américaine au Nord, yougoslave au Sud), les communes de Tende, La Brigue et Moncenisio, toutes les colonies. Seule la frontière avec l’Autriche ne connaît pas de rectification grâce à l’accord De Gasperi-Grüber de septembre 1946 fondé sur la promesse italienne d’une large autonomie à la région germanophone du Trentin-Haut-Adige.
La solidarité des partis antifascistes est encore plus décisive pour donner à l’Italie sa charte fondamentale, bien que les philosophies politiques des différentes formations soient fort éloignées les unes des autres. Les libéraux se satisfont du rétablissement d’un régime parlementaire, alors que communistes et socialistes veulent créer de nouvelles structures économiques et sociales et que les démocrates-chrétiens sont partagés entre une gauche marquée par le personnalisme et le solidarisme chrétien et une droite conservatrice proche des libéraux.
Fruit d’un compromis entre radicaux et modérés, la Constitution italienne laisse une large marge à des interprétations diverses, dépendant des futurs rapports de forces politiques. Cela d’autant plus que la mise en œuvre des éléments les plus novateurs (régionalisation, cour constitutionnelle, référendum) est renvoyée à la compétence de la loi ordinaire. Constitution rigide (une majorité des deux tiers est nécessaire à sa modification, et les lois ordinaires sont soumises au contrôle d’une cour constitutionnelle), elle associe les principes d’un régime parlementaire libéral représentatif bicaméral à ceux d’une démocratie sociale laissant une place importante à l’initiative populaire (législative et référendaire) et affirmant l’existence de droits sociaux (droit au travail, intervention de l’État dans l’économie, etc.). Ce compromis a été facilement négocié dans la mesure où, pour les modérés, il s’agissait de promesses futures plutôt que de règles immédiates et que, pour les parties de gauche, la préoccupation essentielle était la légitimation que leur conférait le statut de pères fondateurs de la république. Même l’épineuse question des rapports de l’Église et de l’État a pu se résoudre, le 24 mars 1947, avec le vote du célèbre article 7 introduisant les accords de Latran dans le texte constitutionnel, grâce à l’apport des voix communistes.
Cette importante concession obtenue, la voie semble ouverte à une rupture encouragée de surcroît par trois événements : la scission socialiste, le voyage d’Alcide De Gasperi aux États-Unis et les élections siciliennes. Le contraste toujours vif au sein du P.S.I.U.P. (Partito socialista italiano di Unita proletaria) entre partisans et adversaires d’une union étroite avec le Parti communiste débouche en janvier 1947 sur la scission du palais Barberini. L’aile droite, dirigée par Giuseppe Saragat, donne naissance au Parti social-démocrate qui, s’il n’entame guère la base du P.S.I.U.P., est importante politiquement. Cela marque le déclin du socialisme italien, voué pour des décennies au destin de force subalterne et offre à Alcide De Gasperi une caution à gauche, lui permettant d’échapper à la pression trop forte de la droite, y compris celle de son propre parti.
L’obtention d’un prêt de 100 millions de dollars nécessaire à une économie au bord de la faillite, lors du voyage du chef du gouvernement aux États-Unis du 5 au 9 janvier 1947, n’est sans doute pas conditionnée par la promesse de mettre fin au tripartisme mais permet à De Gasperi de montrer que seule une politique pro-occidentale peut sauver l’Italie de la ruine.
L’élément déterminant a été le résultat des élections siciliennes d’avril 1947. Rendue responsable de l’incapacité du gouvernement à faire face à la difficile situation économique, la D.C. tombe en effet de 35,6 à 20,5 p. 100, tandis que le Bloc du peuple (P.C.I. et P.S.I.U.P.) passe de 21,5 à 30,4 p. 100. De Gasperi en tire la conclusion le 12 mai : il démissionne et forme un gouvernement minoritaire démocrate-chrétien avec la participation de quelques techniciens indépendants, dont l’économiste libéral, Luigi Einaudi, nommé ministre des Finances et du Trésor. La réussite de l’opération est due à la fois à l’absence de réaction d’une gauche surprise et surtout persuadée que l’échec de la politique économique assurera sa victoire aux élections législatives et à l’efficacité des mesures prises par Luigi Einaudi : l’inflation est bloquée, la lire sauvée et la spéculation stoppée par le retour de la confiance. Le test des élections municipales de Rome le 12 octobre 1947 est clair : la D.C. double son score de 1946 tandis que la gauche perd quatre points.
À la fin de l’année 1947, la période transitoire est donc révolue. Les hésitations et les ambiguïtés s’effacent au profit de choix nets. Dans un monde coupé en deux par la guerre froide, la factice unité antifasciste laisse la place à une alliance centriste. En décembre 1947, De Gasperi réussit en effet à obtenir l’entrée au gouvernement des sociaux-démocrates et des républicains, rééquilibrant ainsi vers la gauche une situation bouleversée par la rupture de mai.
L’importance de l’enjeu explique l’intense mobilisation et le taux élevé de participation (92,3 p. 100 des inscrits) qui marquent la première élection législative italienne en avril 1948. L’Église et le monde catholique, par l’intermédiaire de comités civiques créés pour l’occasion, s’engagent à fond dans la bataille électorale en faveur de la Démocratie chrétienne. À gauche, la décision de présenter des listes uniques renforce la cohésion du Bloc du peuple, mais provoque dans les rangs socialistes de nouvelles défections qui bénéficient aux sociaux-démocrates. L’intervention des grandes puissances contribue également à dramatiser la consultation et à en faire un véritable choix de société. Pour la gauche, le « coup de Prague » et l’adoption, sous la pression soviétique, de la lutte contre le plan Marshall comme thème majeur de la campagne électorale sont des éléments négatifs. La D.C., en revanche, tire profit de l’indispensable aide économique américaine et de la déclaration alliée de mars 1948 en faveur d’un retour de Trieste à l’Italie.