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"Histoires à mourir" est une œuvre fascinante, une compilation d’écrits aux genres multiples, mais unis par un élément commun : la présence d’un narrateur omniscient, personnification même de la mort. Tissant habilement une boucle temporelle, chaque récit se fond dans le suivant, avec une cohérence stupéfiante. Du portrait saisissant de Bonnie Parker et Clyde Barrow à des explorations poétiques, policières et fantastiques, l’ouvrage se présente comme un patchwork envoûtant où les protagonistes du premier récit ressurgissent à la fin, donnant naissance à un cycle perpétuel. Serez-vous prêt à franchir les frontières de l’invisible et à vous plonger dans un univers où le destin et le temps se confondent, vous entraînant dans une aventure aussi palpitante qu’inquiétante ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marc Lisle, après une scolarité tumultueuse et un accident de longue durée, se consacre à l’écriture d’une histoire qui le hante. Animateur d’un atelier littéraire, il se réjouit des succès de ses élèves. Encouragé par ses proches, il publie "Histoires à mourir".
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Seitenzahl: 283
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Marc Lisle
Histoires à mourir
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Marc Lisle
ISBN : 979-10-422-8051-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Introduction
Le temps… avez-vous imaginé dans un recoin de votre esprit que ce concept ne soit qu’une illusion induite par une éducation dite rationnelle, mais, qui n’a en réalité, pas de fondement. Tenez, prenons l’exemple de l’absurdité de la vie. Je dis absurde, car, tel qu’on vous l’enseigne, il vous faudrait traverser toute une vie pour emmagasiner une somme incroyable d’informations pour, en finalité, les renvoyer au néant. N’est-ce pas absurde ? Je vais vous révéler un secret. En réalité, il en est tout autre. Vous traversé la vie en glanant de la peine, de la joie, de l’amour, des larmes, des enseignements, des découvertes pour, en finalité… venir me les confier. À moi, celle que vous appelez La MORT. Laissez-moi vous raconter quelques-unes de ces histoires qui m’ont tellement enseigné. La première est celle d’un couple qui vivait comme des justiciers…
Il fait chaud ! Je baisse la vitre de la Ford pour que l’air me rafraîchisse un peu tout en m’éventant avec la carte routière que je tenais sur mes genoux. La brise induite par le courant d’air me donne une illusion de fraîcheur. Je jette un coup d’œil sur ma toute nouvelle montre-bracelet, il est neuf heures moins cinq.
— C’est vrai qu’elle est chouettos c’te nouvelle montre !
Je tourne ostensiblement mon poignet pour admirer le dernier petit cadeau de mon amoureux et, surtout, pour le distraire de sa conduite. Je le vois qui me regarde du coin de l’œil avec un petit sourire narquois. Comme il est beau mon homme avec son trilby blanc sur la tête.
— Je savais qu’elle te plairait ! me dit-il, sûrement pour amorcer la conversation.
— Tu sais toujours ce qui va me plaire, mon amour.
Il détourne rapidement la tête de la route et m’envoie un baiser. Je fais mine de l’attraper au vol pour le déposer sur ma bouche. Une nouvelle bouffée de chaleur m’incite à dégrafer trois boutons de mon chemisier.
— Tu ne trouves pas qu’il fait chaud ?
— Oh oui, très chaud Bébé. Ne va pas plus loin parce que la température risque de monter à des degrés insupportables.
Plaisante mon amoureux en lorgnant mon décolleté à présent largement ouvert.
— Non, mais sans rire, je trouve que c’est suffocant cette chaleur.
— Nous sommes en Louisiane… Tu as oublié ? Eh oui, tu as raison, même pour la Louisiane, il fait très chaud pour un mois de mai. Tu veux que j’accélère un peu pour te faire plus de vent ?
— Non… merci mon amour. C’est juste que je trouve qu’il fait particulièrement chaud ce matin, voilà tout. Je trouve que c’est bizarre. On aurait peut-être dû attendre demain ou après-demain pour ce… rendez-vous. Il aurait peut-être fait moins chaud.
— Mais enfin Bébé, c’est ridicule ! On ne repousse pas un rendez-vous comme ça ! On avait dit mercredi, et mercredi… c’est aujourd’hui !
— Tu as raison mon chéri, oubli ce que je viens de dire… je sais pas pourquoi, je suis pas trop dans mon assiette. Je me sens… bizarre.
— C’est ton mauvais rêve qui te tracasse ?
— Peut-être… Je sais pas… Laisse tomber, ça va me passer.
*
* *
À une vingtaine de kilomètres de là, à la sortie d’Arcadia, sur la petite route qui mène à la paroisse de Bienville, six hommes sont affairés autour du camion d’Iverson T. Methvin.
— Dites Monsieur Hamer, je me tiens où ?
— Restez sur la route à côté de votre camion, Methvin… avec votre roue démontée par terre. Cela paraîtra plus naturel.
Iverson Methvin acquiesce et, manivelle de cric en main, il va se poster vers l’avant de son camion, juste à côté de l’aile gauche pour être bien visible des véhicules qui arriveraient en face.
— Frank, je crois que notre rendez-vous est manqué… Ça fait des heures qu’on poireaute ici et personne n’est arrivé sur cette foutue route. Je crois qu’on devrait rentrer. Et puis, il commence vraiment à faire chaud. Et je me fais bouffer par ces saloperies de moustiques !
— Du calme Ben. Si Methvin a accepté de jouer le jeu, c’est que c’est du sérieux ! Tout sera réglé avant midi… crois-moi ! Et, je ne suis pas en reste moi non plus avec les moustiques.
— Pffffff, ouais, mais les gars en ont marre Frank !
Les quatre autres coéquipiers assermentés qui constituent le reste de l’équipe que Frank avait trié sur le volet s’étaient regroupés sur le bas-côté de la route. Bob se ventilait avec son chapeau tandis que Ted et Henderson fumaient une cigarette en écoutant blaguer le dernier compère de la troupe.
— Aller les gars, éteignez-moi ces cigarettes, ça pourrait nous faire repérer. Soyez patient et retournez à vos postes… Ted, Oakley et Bob de ce côté. Ben et Henderson avec moi. Et restez tranquille !
*
* *
Au même moment, à moins de 10 kilomètres de Frank et son équipe, dans la Ford V8 modèle 18, une petite frimousse féminine plisse les lèvres dans un air insatisfait.
— Hooo chéri, j’ai la fringale !
— Ben… mange un morceau. On a les sandwiches de chez Ma Canfield… On s’est arrêté exprès pour ça, tout à l’heure. Tu n’as qu’à prendre le mien si tu veux. Et moi, si j’ai faim, tout à l’heure, eh ben… On pourra certainement retourner chez Ma après notre petite affaire… Non ?
— Tu as raison mon amour. Tu trouves toujours une solution… Je t’aime.
Je me retourne et m’agenouille tout en me penchant sur le dossier de mon siège. Ma jupe remonte un peu sur mes cuisses, je suis consciente que mon amoureux doit avoir une belle vue sur mon derrière. Pendant que je fouille et pioche dans notre panier à pique-nique posé sur la banquette arrière de la voiture, je sens une main inquisitrice remonter de la pliure de mon genou vers le haut de ma cuisse. Je fais mine de protester en remuant mon postérieur tout en tirant un gros sandwich carré entouré d’une serviette à carreaux rouge et blanc. En sortant celui-ci, j’aperçois dans le panier, mon carnet à poème et me souviens que je n’ai pas parlé à mon chéri de mon dernier texte. Je me saisis de celui-ci avec la ferme intention de lui en faire lecture.
— Tu as fini de gigoter Bébé ? Je n’arrive pas à me concentrer sur la route avec tes gesticulations frauduleuses. Ma main n’arrive pas à tenir en place.
— Ah, c’est donc cela que je sens sur l’arrière de ma cuisse ! Je croyais que c’était une bête !
Mon amoureux ricane de ma plaisanterie et me pince la fesse en ajoutant :
— Tiens, v’la que la bête te mord le derrière !
— Ah oui, c’était une morsure ? On aurait pu davantage croire à une caresse peut-être… Non ? Bon, ça y est, j’ai fini. J’ai attrapé un sandwich…
Je me rassieds, presque à regret, correctement dans mon siège. Je pose sur mes genoux et lisse ma carte routière qui était un peu chiffonnée puis, par-dessus, mon précieux carnet à poèmes. Je dégage avidement la serviette qui recouvre mon sandwich. Mon estomac grogne, la salive emplie ma bouche. Je croque férocement dans le premier morceau découvert et analyse la saveur…
— Cheddar et beurre de cacahuète ! Et j’ai aussi attrapé mon carnet à poèmes. Tu veux que je te lise mon dernier ?
— Ah oui Bébé, j’adore comme tu écris. Tu sais que tu aurais pu être Poétesse ou écrivain… Ce n’est pas pareil d’ailleurs ?
— Si, lui répondis-je en fermant les yeux, comblée de bonheur par la grosse bouchée de sandwich que je viens d’avaler.
Je me laisse un instant bercer par l’air tiède qui entre par la fenêtre de la Ford. Je croque avidement dans mon encas. Le pain et le fromage au beurre de cacahuète ravissent mes papilles. Je rouvre les yeux et admire un court moment la luxuriance de la flore qui borde notre route. Je suis heureuse. J’aime tellement la vie que nous menons avec mon amoureux. J’avale la dernière bouchée de mon sandwich et ouvre mon carnet pour faire lecture de mes derniers écrits à mon chéri. Je jette encore un coup d’œil sur ma montre, il est 9 h 13. Tiens, comme dans mon rêve !
— Bon, tu es prêt mon amour ? Je vais commencer à lire…
— Attends Bébé, il y a un camion arrêté sur le bas-côté. On dirait le camion du père Methvin. Mais oui, c’est bien lui… on dirait qu’il a crevé. Attends, je ralentis… Putain, c’est quoi ce traqu…
À une trentaine de mètres de la Ford, tandis qu’Iverson Methvin se jette au sol, Ted Hinton, Prentis Oakley, Bob Alcorn, Benjamin Gault, Henderson Jordan et Frank Hamer surgissent des fourrés de part et d’autre de la route. Prentis tire le premier et décharge sa Remington. Ils est tout de suite suivit par ses camarades qui font cracher sans état d’âme leurs Thompson automatiques et leurs fusils à pompe sur la Ford V8 modèle 18 qui en même temps semble réduire sa vitesse, puis ré accélérer vers les hommes de loi. Comme aux ralentis, Iverson Methvin voit très clairement une rafale atteindre le chauffeur de la Ford en pleine tête. La voiture se perce de partout. Des éclats de verre sautent dans tous les sens. Le véhicule oblique lentement sur la gauche pour finir le nez blotti dans les fourrés. Elle s’immobilise dans l’herbe. Les coups de feu emplissent de leur vacarme toute la campagne avoisinante. Des bouts de métal, de tissus, de carburant, giclent de toutes parts de la carcasse assassinée. Les armes à feu continuent leurs aboiements de mort jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de munition. Puis, finalement, les déflagrations se taisent. Un long hurlement plaintif s’élève de la voiture et retombe dans le silence et la fumée aux odeurs de poudre, de carburant, de sang. L’équipe de Frank est immobile, arme toujours au poing. Ils sont suspendus, dans l’attente peut-être d’un mouvement, d’un mot. Frank s’avance d’un pas déterminé vers la voiture tout en se saisissant de son révolver qui était resté à sa ceinture. D’un geste sûr, il lève le bras et vide son barillet sur les deux corps inertes et ensanglantés affalés dans la Ford criblée de balles. Puis il ponctue avec un ton laconique :
— C’est terminé les gars !
Son air est grave. Methvin est encore allongé au sol. Son audition est voilée, certainement abîmée par les explosions fracassantes des armes à feu aux gueules encore fumantes. Lentement, il se relève, hébété, incrédule. Jamais il n’aurait pensé que cela aurait pu se produire ainsi. Il avait accepté de servir d’appât pour sauver son fils. Mais deux vies avaient été nécessaires pour cela. Peut-être ne se le pardonnerait-il jamais. Gault bouge alors de sa retraite et s’approche pour dépasser Frank, colt encore à la main. Puis, d’un geste nerveux, il ouvre brusquement la portière passager. Une très jolie jeune femme blonde glisse au bas de l’ouverture. Elle semble expirer un dernier souffle. Son bras se déroule et sa main lâche un carnet épargné par les giclés d’hémoglobines. Une carte routière et un sandwich à moitié dévoré tombent au sol.
— Ils sont morts Frank… Ils sont morts tous les deux.
Le père Methvin, bouche entrouverte, regarde halluciné les corps sans vies des deux jeunes gens. Ils étaient à peine plus vieux que son fils, pense-t-il. Benjamin jette un coup d’œil sur le gars au volant, il n’est pas beau à voir. Puis son regard inspecte la jeune femme. Il se baisse, ramasse le carnet qui vient de glisser de sa main. Ces yeux se posent perplexes sur l’écriture soignée qu’il décrypte. Machinalement, à voix basse, entre ses dents, il commence à marmonner. Il s’interrompt, lève la tête et lance à ses camarades justiciers :
— Eh les gars je viens de ramasser un carnet que la fille tenait, écoutez ça :
Vous avez lu l’histoire de Jesse James ;
Comment il vécut, comme il est mort ;
Ça vous a plus, hein, vous en d’mandez encore ;
Eh bien, écoutez l’histoire de… Bonnie and Clyde.
Fin
Pas mal, comme fin, non ? Perso, j’ai adoré la brutalité du contraste entre romantisme et massacre à l’arme à feu. Mais bon, tout est affaire de goût. Je laisse à votre appréciation d’exprimer ou non votre approbation.
L’histoire suivante est plus poétique. Elle est empreinte d’art et, si nous en revenons à une espèce de notion de temps, elle ressemble à une vision d’éternité. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir…
Il est des choses, à la fin d’une vie usée par le temps, qui ouvrent les portes d’un espoir d’éternité l’espace d’un instant. Je suis un vieil homme qui a vu tant de choses, que mes yeux brûlés de chagrin refusent aujourd’hui d’en accepter davantage. Certains trouveront cela triste de vieillir en perdant des facultés essentielles à leur confort de vie, pourtant, cette perte est en réalité un bienfait. Si je peine à me déplacer, c’est parce que ma destinée n’est pas ailleurs. Et si ma vue est si basse, c’est pour voir avec le cœur chaque individu qui passe. Je me plais, vers la fin du printemps, par les jours de grand soleil, quand celui-ci vers 17 h a chauffé la rue, à m’installer à tâtons, à l’extérieur, sur un fauteuil de toile pliable, attendant de capter quelque merveille. Posé là, plaqué au mur de mon logis, sur le trottoir. Je goûte encore, de mon front et de mes joues, la tiède couleur de l’astre du jour descendant. Je tends l’oreille, et le piaillement d’un oiseau, le bruissement du vent dans des ramures lointaines, les murmures des passants rythment le temps qui s’écoule. Sur mon trottoir, le bâtiment qui jouxte ma porte est occupé depuis peu par un cours de danse. Le professeur qui loue les lieux doit être un jeune homme sensible et poli, empli de la grâce de ceux qui pratiquent l’art du geste. Il ne manque jamais de me saluer et me demande souvent si la musique ne me dérange pas. Comment le pourrait-elle ? Elle est la voix de la rêverie et de l’enchantement. Elle est l’onde qui fait se mouvoir les cœurs vers les rythmes les plus endiablés ou bien les langueurs des sanglots les plus tristes. Elle est l’expression de tous sentiments, la voix qui raconte l’indicible. Je réponds alors qu’au contraire de me déranger, elle enjolive ma fin de journée. Il me remercie et glisse vers la porte d’à côté que j’entends tinter puisqu’une clochette y est accrochée. Il ne faut pas attendre bien longtemps pour distinguer parmi les bruits de la ville, l’arrivée par petits groupes, des jeunes gens qui conversent avec enthousiasme des progrès qu’ils ont faits ou des difficultés qu’ils éprouvent à exécuter telle ou telle technique. La danse est un art précis et précieux. Des bonjours me sont lancés de part et d’autre un peu à la manière dont on jette des fleurs au toréador après une corrida. Je leur réponds d’un signe de ma main ridée et livide. Juste un geste pour que ma voix éraillée ne brise pas l’harmonie de ces fluettes tonalités en majorité féminines. La clochette tinte et tinte encore jusqu’à se taire et faire place à un sourd brouhaha puis, silence… et la musique démarre. Je reste là à écouter les : un, deux, trois, des cours des plus jeunes et les musiques à tendance jazz ou plus syncopée de chorégraphies plus dynamiques. Je reste sur mon trottoir jusqu’à ce que la fraîcheur humide de la tombée du jour ne m’avertisse d’une heure trop tardive. Alors, j’attrape ma canne blanche, je me lève, plie mon fauteuil et rentre dans mon antre de vieux monsieur égratigné par la vie, mais égaillé par cet interlude musical. Ainsi les jours s’écoulent et se suivent dans leur ronde routinière et rassurante. Puis, d’une manière incroyable, ce matin, au dixième coup du clocher de l’église toute proche, je ressens comme une énergie toute neuve éclore en mon intérieur. Je n’ai jamais connu de sensation identique. Je me sens prêt à prendre une sorte de nouveau départ, comme une envie de liberté adolescente. L’atmosphère est déjà tiède. Pourtant, ma fenêtre est ouverte. Mes mains froissées, posées sur le rebord de l’huisserie, se cramponnent à celle-ci avec fermeté et vigueur. J’inspire à pleins poumons. L’air embaume les feuilles vertes et naissantes. Une touche de fragrance de mimosa me ramène à mes premiers émois olfactifs. Je décide, puisque la météo s’y prête et mon énergie m’y invite, de briser l’absurde loi de la sortie de fin de journée et de m’accorder en cette radieuse journée une escapade matinale. Ma canne blanche précède mes pas. Cela n’est qu’une habitude. Mes jambes connaissent par cœur le sentier qui mène à ma porte. Au passage, ma main gauche agrippe le fauteuil de toile pliant qui me sert d’assise et je franchis triomphant le seuil de ma porte pour m’installer sur le trottoir. L’air est doux. Des oiseaux gazouillent de toutes parts et se mêlent aux autres bruits de la ville. Dans le lointain, un coup de klaxon. À deux rues d’ici, tout au plus, une moto s’affole d’un râle long et rauque. Puis, soudain, tout proche, je décèle la tonalité cristalline d’une voix toute féminine. C’est la première fois que je l’entends. Je devine une jeune femme belle et bien faite. Celle-ci accompagne les pas du jeune professeur que mon oreille aguerrie a reconnus. Le timbre de sa voix vient, tout de suite après, confirmer la justesse de mon analyse phonique. Il est doux d’entendre l’harmonie de leurs pas. Leur déplacement est synchrone, il traduit tout un échange de beauté et de finesse. Je les devine s’effleurant du bout des yeux. Il y a de la magie qui les enveloppe lorsqu’ils sont ensemble. On pourrait presque entendre leurs cœurs dialoguer et déjà proposer la chorégraphie d’une complicité pleine d’espoir. Ils me saluent tous deux au passage et lui me précise qu’il va donner un cours privé individuel. J’acquiesce d’un hochement de tête accompagné d’un sourire. La clochette donne le signal de leur entrée dans la salle. J’attends, anxieux, pressé d’entendre ce qui ne saurait tarder à démarrer. Je suis suspendue dans le temps, comme je l’étais enfant à la veillée de Noël. Et, d’un coup, la musique effleure mon oreille, et le cours débute. Mon cœur bat la chamade. J’imagine le corps parfait et gracile de la jeune femme glisser sur le parquet de bois. Le professeur fait une remarque à son élève, et c’est là que le miracle se produit. Par-dessus la musique, comme un voltigeur virtuose, le rire de la jeune femme explose et agrippe mon âme pour la faire s’envoler vers des cimes oubliées. Elle a le rire espiègle d’une enfant dont les éclats de joies et d’innocences s’accrochent au coin de votre cœur comme la neige enlumine, la cime des sapins. Il jaillit de sa gorge comme les fraîches myriades d’un torrent pour vous éclabousser de bonheur et vous rendre votre jeunesse. Alors, je sens mon âme vibrer encore plus fort. Je virevolte dans une fanfare de joie et me sens transporté auprès de ce rire incarné. Il m’enveloppe de ses bras de tendresse, me redonne vigueur et passion, et m’emporte dans une danse d’éternité vers les cimes d’une nouvelle destinée.
— Professeur… Le vieux monsieur, dehors. Il a glissé de son fauteuil de toile…
Le jeune professeur sort rapidement de la salle et s’agenouille auprès du vieux monsieur sur le trottoir. Un court instant plus tard, il se relève, attrape son téléphone et après un interminable dialogue, il raccroche et se dirige vers sa salle de danse. La jeune femme est restée derrière la baie vitrée, les mains jointes devant la bouche, comme si elle désirait formuler une prière qui refuserait de naître de ses lèvres. Le professeur entre dans son école tandis que des badauds convergent vers le trottoir au miracle. Il s’avance doucement, tête légèrement baissée, regard sérieux, lèvres pincées. Il attire calmement son élève au creux de ses bras. Les yeux de la jeune femme luisent d’émotions. Il approche ses lèvres de son oreille et lui chuchote :
— Je suis désolé, c’est fini.
Fin
Toutes les fins de vies ne se ressemblent malheureusement pas. Celle-ci arrive toute en douceur et poésie. Je vous souhaite de vivre… ou plutôt, de mourir dans de telles conditions.
Il existe, dans cette temporalité, un divertissement que l’on appelle cinéma. La prochaine histoire se déroule dans ce milieu où, la réalité se trouve souvent fantasmée et le fantasme prend corps en réalité…
— Embrasse-moi…
Ces mots, elles les avaient soufflés. Sa gorge serrée n’avait su expulser aucun autre son. Juste un souffle ténu qu’il n’avait pas perçu. Il était là. De dos à elle. Les yeux mis clos. La fumée de sa cigarette montait une odeur diffuse de bien-être autour de lui. Elle ne voyait que l’arrière de sa tête abandonnée aux confortables moelleux du dossier de cuir d’un des deux fauteuils qui ornaient leur chambre à coucher. Les deux doigts qui étreignaient nonchalamment la cigarette débordaient à peine par le côté. La longueur de la cendre attestait de la durée extatique de la pose. Elle s’approcha, presque à toucher le canapé, et d’une voix désincarnée, elle lança à nouveau :
— Embrasse-moi.
Cette fois, des yeux surpris s’écarquillèrent au son de la voix. Dans un geste rapide, il fit presque volte-face. Son peignoir mal ajusté laissa entrevoir sa nudité et la longue cendre s’effondra comme une tour de Babel sur l’accoudoir du fauteuil.
— Marthe… Tu es rentrée ? Je ne pensais pas que tu serais là si tôt…
Le ton de sa voix étonnamment fort sonnait comme un dialogue de vaudeville.
— Excuse-moi, je n’ai pas fait de bruit. Tu étais si drôle dans ton fauteuil… Je ne t’ai pas fait peur au moins ?
— Peur ? Non, surpris tout au plus. Tu devais rester à Venise jusqu’à jeudi.
— Oui, je sais. Mais les films les plus importants avaient tous été projetés… et le jury, de toute façon, avait déjà fait son choix… Ils n’avaient pas besoin d’une vieille actrice comme moi.
— Mais tu n’es pas une vieille actrice ! Tu es Marthe… L’actrice aux trois Césars… Oscarisée deux fois !
— Ouais… qui s’en souvient ?
— Moi ma chérie, moi je m’en souviens ! Ton public, tes fans !
Les yeux de Marthe suppliaient tandis que sa bouche prononçait encore :
— Embrasse-moi.
Le regard de Pascal parcourut le visage puis le corps de Marthe sans un mot. Elle sentit une nouvelle vague de désespoir s’emparer d’elle.
— Tu as laissé tes bagages à l’entrée ?
— Cela fait combien de temps Pascal ?
— Combien de temps que quoi ?
— Que tu me joues la comédie, que tu me mens… que tu me trompes ?
— Mais enfin Marthe, je ne vois pas de quoi tu…
— Je t’en prie, arrête ! Épargne-moi le cliché du mari qui fuit ses responsabilités. Je ne suis pas tombée de la dernière pluie. C’est sûrement à cause de ça d’ailleurs… de notre différence d’âge. Il y a quinze ans, tu étais subjugué par la star qui crevait l’écran et s’attardait sur le jeune auteur que tu étais. Aujourd’hui, tu es le grand scénariste Pascal Darrant qui traîne sa vieille actrice Marthe Moraud ! Tu n’as jamais rien compris Pascal… je suis tombée amoureuse de toi, je t’aime.
— Mais tu me fais quoi là ? Tu me rejoues une de tes scènes mémorables ? Le festival de Venise t’a inspiré ? C’est quoi cette paranoïa ?
— Ah oui, voilà, je vais plaider pour un accès de folie votre honneur ! … Pascal, quand je suis arrivée j’ai entendu tes soupirs d’extases mêlés aux siens depuis le hall d’entrée, en bas. J’ai attendu que cela cesse et j’ai pleuré. Puis j’ai attendu encore pour voir si vous descendiez tous les deux. Comme rien de plus ne se passait, je me suis décidée à monter. Je n’aurai pas l’indécence de te faire un scandale ni d’ouvrir la porte de la salle de bain pour découvrir qui se cache derrière. D’ailleurs, je sais pertinemment qui se trouve dans cette pièce. Elle te violait du regard lors de la première de « Surprends-moi » ton dernier grand succès.
— Je ne vois pas du tout de quoi tu me parles… Tu déraisonnes !
— Sophie Delagarde, la jeune coqueluche du public et des producteurs ! Mon pauvre chéri… tu es vraiment un idiot.
— Marthe, tu as bu ?
— Oui, c’est certainement cela qui me fait déduire que notre lit en désordre à quatorze heures trente-six est un aveu sur ton infidélité… C’est fini Pascal. Je te quitte. Nous nous reverrons avec nos avocats.
Dans un soupir, il ferma les yeux et enfouit son visage dans sa main tout en secouant la tête. Le claquement de la porte d’entrée le fit sortir de cette pose. Marthe était partie, disparue comme elle était apparue, comme un tour de passe-passe. Il se redressa tout en rajustant son peignoir et ses pas l’emportèrent vers la salle de bain. Il poussa la porte et esquissa un sourire.
— Sophie… Embrasse-moi !
La jeune femme entourée d’une serviette de bain s’avança vers Pascal. Elle prit le visage de son amant à deux mains. La serviette tomba mollement au sol, révélant ainsi son anatomie. Puis, elle lui prodigua un long baiser langoureux. La porte claqua à nouveau et tout se passa très vite. Sophie ne put voir que le canon d’un pistolet tenu par une main gantée s’avancer vers son visage, juste au-dessus de l’épaule de Pascal. Puis, plus rien. Pascal ne comprit rien du tout. Une détonation épouvantable venait de lui déchirer les tympans, son visage avait été maculé d’une constellation de gouttelettes rouges et chaudes. Sophie lui glissa d’entre les bras comme une poupée de chiffon pour s’effondrer à ses pieds, tout comme la serviette de bain l’avait fait un instant plus tôt. Il se retourna vivement et ses yeux ébahis découvrirent, Marthe. Sa bouche s’agrandit démesurément à mesure que la stupeur le gagnait. Marthe fourra avec une précision diabolique le canon brûlant de son Walter ppk dans le gosier de son futur défunt mari et pressa la détente. Une éruption de cervelle à la sauce hémoglobine jaillit du sommet du crâne de Pascal puis il s’effondra à son tour sur le corps de sa maîtresse. Marthe s’agenouilla, plaça son arme dans la main de Pascal et poussa le canon de l’arme dans la bouche de celui qui fut son mari. Elle se releva, contempla le tableau avec un petit rictus satisfait et pensa :
— Eh ben, voilà ! Alea jacta est, comme aurait prononcé Jules.
Marthe hotta ses gants pour les enfouir dans la poche intérieure de son manteau puis s’empara de son portable et composa le numéro de police secours.
— Allo… Allo, c’est… C’est mon mari… je… crois qu’il est mort…
Marthe explosa en sanglots.
— Madame, madame, calmez-vous. Donnez-moi votre nom s’il vous plaît.
— Marthe Moraud.
— Votre adresse…
— 206 rue du château… C’est le manoir Moraud… Il a tué sa maîtresse et il… et il… Il s’est suicidé…
Marthe explosa à nouveau dans une épouvantable et bruyante salve de sanglots dont elle avait le secret.
— Madame… madame, madame parlez-moi. Une brigade ainsi qu’une ambulance ne vont pas tarder à arriver à votre domicile. Madame, vous êtes toujours là ?
— Oooooh, mon dieu, c’était prémonitoire… La palme d’or, à Venise… Le film… c’était… Le baiser de la mort.
— Allo… Allo… Je crois qu’on a Coupé !
Fin
J’adore le cinéma ! Il est souvent si proche de la réalité, que je pourrais presque en tirer de vraies aventures.
Pour l’histoire suivante… Eh bien, elle est, ma foi, assez banale. Mais elle révèle, somme toute, les mécanismes de la transmission. Pour être plus clair, il pourrait s’agir d’un héritage non matériel. Comme s’il était question de relayer la flamme olympique, mais… éteinte.
Le paysage défilait, monotone, au travers des vitres de la voiture. Une succession d’arbres faisaient alterner ombres et lumières à un rythme effréné. En un sens, cela lui rappelait les dernières fois, si lointaines à présent, où elle était venue lui rendre visite. Elle avait, à l’époque, coutume de prendre le train et la vision hypnotique des arbres la ramenait à la cadence sonore du train : tadam, tadam, tadam… cette musique des rails résonnait encore comme le battement d’un cœur ; de son cœur qu’elle avait toujours retenu de s’emballer lorsqu’elle l’apercevait, sourire jusqu’aux oreilles, cherchant du regard la silhouette de sa progéniture parmi le flot humain que vomissait le train. Puis, elle redoutait sa joie à « lui » qui éclatait quand il la serrait dans ses bras et que s’ensuivaient de gros baisers d’enfants. Des baisers qui claquaient comme des chewing-gums sur les joues et qui la mettaient si mal alaise. Ce souvenir ambigu s’effaça quand son œil capta la signalétique autoroutière. Le panneau annonçant l’entrée d’agglomération : Gujan-Mestras. Une nouvelle hémorragie d’images de sensations et d’émotions fit irruption à la surface de sa conscience. C’était ici qu’elle avait vu le jour. Ses premiers cris avaient résonné dans le service maternité de l’hôpital Jean Hameau à La Teste-de-Buch, mais son sens visuel s’était affiné dans un petit appartement de l’avenue Pierre Corneille à Gujan-Mestras. L’appartement mitoyen était enchâssé dans une oasis de verdure au milieu de grands pins majestueux ondoyants au rythme des alizés. Si, effectivement, la vue semble primordiale chez l’humain, l’odorat n’en est pas moins un sens à négliger. L’olfaction possède une capacité de mémoire bien supérieure aux autres sens. Elle remonte souvent aux premiers émois de l’individu. À cet instant précis, c’est cette mémoire primordiale qui lui revient en pleine face : l’odeur de son enfance, puis celle plus ténue, du souvenir de la douceur de sa peau, d’une silhouette massive qui la berçait lorsque ses cris de bébé sortaient à plein poumon de sa bouche. Comme tous les nourrissons, l’odeur de la mère nourricière était un repère comme un phare dans une tempête. Mais pour elle qui fut abandonnée affectivement par celle qui lui avait donné le jour, une substitution essentielle s’était opérée dans sa prime enfance. Elle n’avait pas gardé, dans sa mémoire consciente, le souvenir des bras maternels qui la souleva de son lit pour la déposer sans ménagement dans ceux de son père. Ni, non plus, aucun souvenir de la phrase qui s’en suivait :
— Tiens, t’as qu’a t’en occuper de ta fille ! Puisqu’elle est plus importante que moi maintenant ! Elle a fait caca… t’as plus qu’à la changer. Moi, je peux pas… ça me dégoûte, je crois que je vais dégueuler si je fais ça une nouvelle fois !
Au fil des semaines, puis des mois, les seules personnes que son odorat détecta, lorsque la détresse l’envahissait, furent sa grand-mère paternelle et son père. C’est lui qui, le matin de bonne heure, avant de partir au boulot, lui donnait la première tétée. C’est lui qui, dès qu’il rentrait de sa journée de travail, la serrait dans ses bras d’homme pour l’étouffer de son amour puis, la changeait et lui donnait le bain. Il était devenu son quotidien, son repère, son soleil. Il lui donnait sans compter tout l’amour qu’il tenait en réserve et même plus encore. La vie paraissait avoir comblé les carences d’une mère qui ne savait que prendre et n’avait jamais appris à donner. Prendre, pour sa mère, c’était une loi. Au bout de deux ans et demi de cette complicité fusionnelle père/fille, la mère décida de prendre, le « contrôle ». Puisqu’elle n’arrivait plus à être l’exclusivité primordiale de son mari, elle décida de prendre un amant. Puis, un avocat et enfin, une gardienne pour sa fille. Toutes les années qui suivirent ne furent que détresse, vide d’amour, pleurs puis apprentissage de la dissimulation, du mensonge, du calcul. L’éducation, perfusée par la mère, s’encra dans les racines de son âme comme un cancer. À l’envol de sa vie de femme, les certitudes d’amour que sa prime enfance avait fait éclore semblaient éteintes à jamais. Lors d’un séjour de vacances chez son père, un incident par une chaude soirée d’août fit voler en éclat le dernier lien qui les unissait. Il essaya de lui parler comme on parle à une femme raisonnable, mais l’impact du discours paternel ne fit qu’envenimer la situation. Elle décida de ne plus retourner chez son père, ni de lui donner de nouvelles. Après tout, c’est lui qui avait porté un jugement sur sa vie ! Les obligations matérielles l’emportèrent dans un tourbillon d’études, de travail, de responsabilités. Et les années passèrent sans que le remords ne s’insinue dans le calcul de cette vie dépourvue d’amour désintéressé. La mère continua à prendre