Hors connexion - Vol 1 - Damien Scolari - E-Book

Hors connexion - Vol 1 E-Book

Damien Scolari

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Beschreibung

Jean-Baptiste s’efforce de se tenir à l’écart des nouvelles dramatiques qui nous assaillent continuellement, espérant se préserver des tragédies de notre ère. Mais est-il réellement possible de vivre en dehors de son temps ? À ses dépens, il découvrira que parfois les événements d’une époque se mêlent à l’amour et au mystère, nous entraînant ainsi dans des aventures insoupçonnées.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Damien Scolari utilise des formes et genres littéraires variés pour explorer les paradigmes et les limites de notre époque. Après la parution d’un recueil de nouvelles intitulé "La poésie porte toujours des talons" aux éditions le Lys Bleu en 2020, il propose "Hors connexion – Vol I – En mode avion". Dans ce roman, il interroge la relation entre la légèreté de l’amour et la lourdeur écrasante du XXI siècle.

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Seitenzahl: 184

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Damien Scolari

Hors connexion

Vol I

En mode avion

Roman

© Lys Bleu Éditions – Damien Scolari

ISBN : 979-10-422-3974-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Premier mouvement

Chemtrails

1

Tout commença comme ça : un ami m’appela pour me demander si j’avais vu le temps qu’il faisait. Je lui répondis que non, je n’avais pas encore ouvert mes fenêtres. Les stores de mon appartement étaient encore fermés. Il ajouta que la matinée était belle et me demanda si je voulais qu’on aille se poser au bord de mer. Je lui répondis « pourquoi pas ». Il me répondit : « parfait ! Castel plage dans deux heures ». Alors peu après avoir raccroché j’ouvris les stores et levai la tête vers le ciel : oui, c’était vrai. Pierre avait bien raison. Il faisait très beau, le ciel était bleu et le soleil rayonnait. C’était un jour à aller voir les chemtrails et les avions décoller.

Deux heures plus tard, je me retrouvai à Castel plage. On s’installa sur les galets comme à nos habitudes. On s’amusait à s’imaginer la destination des avions. Ça ne paraît pas grand-chose comme ça, mais ça nous faisait du bien. En tout cas, ça valait mieux que d’angoisser en écoutant les actualités. Et même si parfois un avion prenait la direction de l’Italie, on se disait qu’il pouvait partir en Afrique ou aux États-Unis. On s’en foutait bien de là où il allait vraiment, l’important c’était de respirer et de voyager.

Je demandai à Pierre si un jour il avait voulu piloter un de ces engins ou si ça lui aurait plu. Il me répondit que non, jamais. Il n’avait jamais eu l’idée de devenir pilote. À dire vrai, moi non plus. Je ne m’étais même jamais posé cette question. Pourtant j’en ai passé des heures à en regarder décoller. À Nice c’est facile, de la plage, on les voit décoller, atterrir, diffuser leurs traces blanches dans le ciel bleu. Et quand on est un peu rêveurs comme nous et qu’on regarde l’horizon, on peut se perdre dans leurs traces et voyager avec elles.

Ce n’est pas pour rien que je tiens à faire débuter cette histoire ce jour-là et que je vous parle de cette plage. Vous comprendrez par la suite qu’elle n’est pas une plage comme les autres. Avec Pierre, on allait souvent à Castel regarder les avions décoller et ainsi se perdre dans les chemtrails. Plus tard, j’y amenai Luce. Mais cet après-midi-là est tout particulièrement important, car quelque chose en moi se débloqua. Je ne sus pas de suite ce que c’était, mais je le sentis. Je sus qu’un jour ou l’autre je me retrouverai dans un de ces longs courriers et je sentis que cela allait arriver plus vite que prévu. Avec le recul, en y repensant aujourd’hui, c’est une évidence, c’est ce jour-là que tout a commencé, sur cette plage, sous ces chemtrails.

J’en frissonne encore.

Je regardais Pierre à côté de moi qui s’amusait à empiler des galets les uns sur les autres. Je souriais, détendu, en me demandant si lui aussi il ressentit cette même sensation. Mais j’en doute. Les galets tombaient, Pierre persistait. Sa construction s’effondrait toujours au bout de trois, quatre galets empilés. Il essayait, ça tombait, il ressayait, ça retombait.

Voilà. Oui, voilà comment tout a commencé : une question sur le temps, des avions qui passent, la mer, quelques cigarettes et des galets qui tombent. Un petit rien qui se débloque en mon for intérieur, une envie de voyage ou de départ ou d’évasion. Mais jamais, jamais, je n’aurais cru qu’il allait se passer ce qui allait se passer par la suite. C’était inenvisageable.

Il faisait beau. Le temps passait doucement, mais rapidement à la fois, comme toujours. La mer était bleue. Et Pierre respirait fortement en fumant sa cigarette, comme toujours. Il me regardait avec des yeux pétillants. Je le regardai sans savoir si mes yeux brillaient autant que les siens. Et l’après-midi passa, à son rythme.

2

Maintenant me voilà dans un de ces avions, accompagné d’autres passagers que je déteste déjà. À peine a-t-on décollé, ils me dérangent. J’ai encore l’odeur de la mer qui me colle à la peau et dans les oreilles le son des vagues. Assis sur mon siège, je transpire, j’étouffe et ça me gratte. Mais elle est avec moi. Toujours là. Et je pense à elle.

Je change dix mille fois de positions. Je ne suis pas bien placé, je suis mal assis et en plus côté couloir. Si je tourne bien la tête, j’arrive à voir à travers le hublot, mais ça me tord le cou et la douleur m’empêche de me plonger dans le ciel convenablement. Je ne peux pas poser ma tête sur le plastique qui entoure le hublot pour passer tout le trajet dans les nuages. Non. Impossible. Il y a aussi cette femme à côté de moi qui ne fait que bâiller, mais qui ne s’endort pas. J’ai envie de lui dire : « mais dors putain ! ». Seulement, je me retiens, je mime l’indifférence, je ne la regarde même pas. J’attends. Je ne peux pas tendre les jambes. J’ai mal aux fesses. J’ai envie de marcher, de courir, de hurler ou tout simplement de parler à quelqu’un de quelque chose.

Quand j’étais sur la plage à regarder les avions partir, je ne pensais jamais à la durée du vol, au confort des passagers. Je pensais seulement à partir, partir, voilà tout. Partir ? Y a-t-il une mauvaise raison pour partir ? Mais il est vrai que maintenant une certaine réalité me revient. Et je ne sais même pas pour combien de temps je suis là. Je passerai pour un imbécile à demander : « Excusez-moi, mais où allons-nous ? Ah… d’accord… Il nous reste combien de temps ? ». Non. Je m’embrouille. Je divague. En réalité, je sais trop bien pourquoi je suis là. J’essaie de me mentir. Malheureusement, ça ne marche pas. Malheureusement, je n’ai rien oublié.

3

Quelques jours après nos rêveries de voyage avec Pierre j’appris que mon contrat n’était pas renouvelé. Je perçus cela comme un signe en cohérence avec mon ressenti sur la plage de Castel et mon envie de voyage. J’envisageai d’utiliser mon chômage pour partir. Je me dis : « tu regardes toujours les avions décoller, faudrait bien qu’un jour tu en prennes un, c’est le moment ! ». Non pas que je n’avais jamais pris l’avion, mais je n’avais jamais pris le temps de faire de longs courriers. Je n’étais jamais parti à des dizaines de milliers de kilomètres de chez moi. Autour de moi, j’entendais des gens qui parlaient de la Thaïlande, de l’Australie, du Canada. Ces pays ne me tentaient pas. Je sentais l’odeur du départ sans destination précise, mais j’étais loin de me douter que j’allais me retrouver dans cet avion, assis sur ce siège pour une telle destination. J’avais une seule certitude que ce boulot n’était pas le boulot de mes rêves et je n’étais pas triste qu’on ne me renouvelle pas. J’étais jeune et célibataire. Rien ne me retenait. Je me demandais même pourquoi je m’étais autant impliqué dans un travail qui ne me convenait pas.

Le soir même après avoir entendu mon patron m’avouer sa décision, je sortis marcher prendre l’air et savourer les prémisses de ma nouvelle vie. Je repensais à ces années laborieuses à bosser sans passion. Je pensais à cette ex que j’avais aimée, mais je l’avais aimée trop tard. Je repensais à une ancienne amie que j’avais aussi aimée, mais en secret, celle-ci je l’avais aimée trop tôt et sans le dire. Elle m’avoua ses sentiments bien plus tard.

Il faisait froid. J’entrais dans un bar. Il faisait sombre. La lumière était orange, l’ampoule était aussi vieille que le bar et le patron du bar. Il n’y avait pas grand monde. J’étais las. Je naviguais de story en story sur Insta en commandant une bière. Je laissais défiler des vidéos de voyage, puis quand j’en eus marre, je pris le temps de répondre aux gens à qui je n’avais pas voulu répondre sur le moment.

Il y avait un couple à côté de moi qui s’envoyait des fleurs, à grands coups de « je t’aime, moi aussi, et pour toujours et pour tout le temps et c’est comme-ci qu’on s’aime, et non c’est comme ça… ». J’écoutais pour passer le temps.

Ma bière finie, je ne voulus pas rentrer de suite. J’avançais quelques mètres et au moment où je m’allumais une cigarette je croisai Salomé avec qui j’avais eu une aventure quelques mois auparavant. Cette aventure n’avait rien donné. Elle marchait seule. Je ne pouvais pas la louper, elle non plus. Une fois à ses côtés je feins de ne pas la voir, mais elle m’accosta :

— Jean-Baptiste !
— Oui, ai-je dit sans pouvoir dire autre chose.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Elle me sourit.
— Rien, et toi ?
— Je rentrais chez moi, me dit-elle, tu veux monter ?

Je consentis sans grande envie. Je savais qu’elle habitait dans cette rue. Je la suivis. On ne parla pas de grand-chose. Elle me regardait avec nonchalance. Elle lâchait ses bras ballants, elle marchait doucement, très doucement, les jambes fragiles. Ses jambes étaient nues et blanches. Elle avait un tatouage sur la cuisse. Son short s’arrêtait en haut des fesses. Pourtant, il faisait véritablement frais, presque froid. Elle portait une chemise à demi ouverte, mais elle n’avait pas assez de poitrine pour que cela fasse vulgaire. Et elle recouvrait le tout d’une longue veste demi saison de Miss Sixty. On arriva en bas de chez elle. Elle ouvrit la porte, se retourna vers moi et me dévisagea en plissant ses petits yeux. Je ne dis rien. On alla dans le salon. Il était sombre, peu de meubles, un canapé, un fauteuil, une table basse et dans un coin, une télévision. Rien n’avait changé depuis la dernière fois où j’étais venu. Elle s’allongea sur le canapé et s’alluma une cigarette. Elle fumait sans rien dire. On voyait la fumée, épaisse et grise, monter vers le plafond dans l’obscurité. Je m’assis sur le fauteuil, je regardai ses jambes. Je ne savais pas ce que je faisais là. Je restai assis sur le fauteuil en silence, elle se leva, me servit un verre de vin. Elle s’en servit un dans la foulée. On le but en silence. Je sentais la sueur perler sur mon front et des gouttes de sueur ruisseler dans mon dos. Un peu comme maintenant. Ma chemise se collait à ma peau et ma peau se collait à ma chemise, le tout se collait au cuir du fauteuil. Elle vivait avec son chauffage allumé à fond. Je lui fis la remarque, elle me dit que le thermostat était cassé. Elle ne pouvait plus régler la température. Elle rit et se mit sur son téléphone.

Elle balançait ses jambes de haut en bas, ses ombres se projetaient sur les murs. Avec la faible lumière du salon, on ne pouvait pas distinguer la couleur de la peinture. Elle les balançait. Elle fumait. De temps en temps, elle me jetait des regards. Je la fixais, je fixais ses jambes en restant assis. J’en avais trop passé des moments comme ça avec Salomé. Les silences offerts par les smartphones. Parfois, Salomé m’envoyait un message pour me parler alors que nous étions dans la même pièce. Je posai mon verre sur la table, il tomba et se cassa. Elle ne dit rien. Elle se leva et alla m’en chercher un autre. Elle transpirait elle aussi. Je voyais sa frange coller à son front. Elle me servit et me tendit mon nouveau verre puis elle reprit son smartphone et se remit à naviguer sur Insta. Après avoir vu plusieurs posts de recettes ou de restaurants, elle me demanda si j’avais faim. Je me suis dit que c’en était trop pour moi. Je bus mon verre, puis me levai. Elle se figea, surprise, et m’interrogea du regard comme pour demander si quelque chose clochait. On resta un moment comme ça, à se regarder. Je voulus l’embrasser, car elle était très belle, mais je voulais de la passion. Elle me prit par la main. Je la lâchai, elle se laissa faire, elle ne voulut pas me la reprendre. Puis il faisait chaud, je ne pouvais plus rester dans ce four. Je l’embrassai machinalement sur le front. Elle me dit : « d’accord » de sa petite voix et je partis.

Une fois dans la rue j’eus un léger frisson. Il me traversa le corps. Je compris que ce qui nous empêchait de vivre quelque chose entre Salomé et moi était l’ennui ou alors Instagram. On s’ennuyait ensemble et selon moi, à cause des réseaux sociaux. Une légère tristesse me monta aux yeux. J’hésitai un instant à retourner chez elle afin de ne pas dormir tout seul. Je respirai profondément. À l’époque, j’avais peur de ne pas trouver quelqu’un qui me corresponde. Maintenant, je m’en contrefiche. À l’époque, je me sentais vieux jeu, je n’avais pas encore croisé la route de Luce ni envisagé son existence. Et cela faisait longtemps que je n’avais pas partagé quelque chose de profond avec quelqu’un. Cela dit, je ne pouvais pas empêcher Salomé de rencontrer quelqu’un qui lui corresponde plus que moi. C’est pourquoi lourdement cafardeux, je rentrai chez moi, tout seul, et m’endormis en matant des stories.

4

Je regarde le couloir de l’avion qui sépare les rangées de sièges. Il y a toujours cette femme à côté de moi. Elle s’est enfin endormie avec un bandeau sur les yeux. Jamais je ne réussis à porter quelque chose de pareil et encore moins à dormir avec. Dans cet avion trop souvent, il y a des perturbations. Elles me font sursauter et ça me sort de ma rêverie. Je garde la tête tournée pour bien voir le ciel.

Il fait chaud. Je n’ose pas regarder l’heure pour ne pas penser aux nombres de temps qu’il me reste à tenir comme ça. Cette femme à côté de moi ronfle. J’ai cette envie qui me démange de lui dire que la pauvre, elle n’est pas gâtée par la vie, mais elle peut tout de même penser aux autres. Comment puis-je voyager à côté d’une femme qui ronfle autant ? Je suis tellement en colère. En plus, j’ai peur que l’avion s’écrase, explose en vol, atterrisse dans une explosion, qu’un terroriste s’en empare et nous prenne tous en otage pour le détourner. J’ai le cœur qui s’emballe. Je respire. J’essaie de me calmer doucement. Il faut toujours que je m’imagine tout un tas de trucs qui ensuite me font paniquer. C’est assez chiant.

« Il se passe trop de choses dans ta tête, me disait souvent Luce, c’est agaçant ! ». Elle est avec moi dans cet avion, mais elle me manque en même temps. Toute ma vie, elle va me manquer terriblement. J’ai envie de me lever, de partir aux chiottes pour crier, hurler, pleurer. J’essaie de me contenir. Ce n’est pas facile. Je sens tout mon corps trembler et ces ronflements m’emmerdent. Je suis terriblement en colère.

5

Le lendemain de cette drôle de soirée, je me réveillai avec un mal de crâne pas possible, sûrement à cause de la piquette bue la veille au soir. Il pleuvait. Je restai au lit. Mon patron ne me donnait plus de travail en attendant la fin de mon contrat. Je n’avais rien à faire. Marc m’appela pour me rappeler de venir le soutenir le soir même chez un de ses amis. « Tu te souviens, elle y sera, me dit-il ». Pour Marc, c’était l’argument choc. Je ne pouvais pas refuser d’y aller. Elle, c’était évidemment son ex. Il culpabilisait de m’avoir invité alors avant de monter à l’appartement où se déroulait la soirée, il tentait de me rassurer, du genre :

— Ça ne te dérange pas de venir ?
— Non, lui dis-je.
— Tu sais bien que j’y vais pour elle.
— Oui.
— Tu ne vas pas m’en vouloir ?
— De quoi ?
— Bon ça va alors, sinon on n’y va pas.

Et en plus, il me prenait pour un idiot. Me croyait-il réellement assez dupe pour le penser capable de ne pas y aller alors qu’il y avait son ex ! Le croyait-il du moins, car le comble, c’est que lorsque nous ouvrîmes la porte de chez Nathan, son ami, il s’aperçut de suite qu’elle n’y était pas. Il me tapa dans le dos comme pour me dire tristement : « c’est comme ça ». Je compris rapidement qu’il allait passer la soirée dans son coin. Je comprenais sa déception. C’était elle qui lui avait proposé de venir. J’étais avec lui quand il reçut le message. Son visage devint violet comme à chaque fois qu’il recevait un message d’elle. Il n’en démordra jamais de cette femme. Elle l’avait aimé. Il l’aimait encore. Ils étaient restés un moment ensemble. Elle l’avait trompé. Il l’avait trompée. Ils se trompaient par rivalité amoureuse, par vengeance de la vengeance de la toute première fois. Sans même se rappeler qui avait commencé. Durant leur relation, ils ne supportaient pas, chacun à leur façon, d’avoir pu vivre l’un sans l’autre. Ils se vengeaient mutuellement d’avoir un passé sans l’autre. Il y a des couples comme ça, des couples qui se mettent trop vite ensemble, car trop vite amoureux et qui ne savent pas quoi faire quand ils sont ensemble si ce n’est se faire mal : tu as mal ? Oui. Tu pleures ? Oui. Alors c’est que tu m’aimes ? Oui. Un truc dans le genre.

Sauf qu’un soir elle ne rentra pas. Elle ne voulut pas rentrer. Elle dormit chez un autre. Alors Marc vint chez moi, saoul et pleurant que la vie ne valait rien. Je lui dis qu’il avait raison et qu’il ne pouvait pas y faire grand-chose. Le monde tourne plus vite que nous, jamais nous ne pourrons être à l’heure du monde. Mais Marc a la tête dure, alors il s’entêtait, il persistait. Je crois que dans le fond, il n’avait pas le choix. Il l’aimait et l’aime encore d’un amour chevaleresque.

Ce soir-là, chez moi, c’était leur soir de trop. Il voulait oublier la vie parce que sa femme venait de découcher chez un autre. Il ressassait. Je voulus le couper dans son discours larmoyant et je lui dis :

— Alors, tu veux faire quoi ?
— Je veux la tuer.
— Je me doute, mais sinon ?
— Je veux le tuer lui aussi.
— Oui ça aussi je m’en doute, mais encore. Tu veux faire quoi maintenant ?
— Je l’aime, tu sais.
— Oui, je sais. Mais ne me dis pas que tu veux la reconquérir.

Il ne m’écoutait pas. Et je crois bien que là non plus, il n’avait pas le choix. Il l’aimait et la voulait pour lui. Il me posa la question fatidique que tout le monde se pose dans ces moments-là.

— Tu crois qu’elle m’aime encore ?

Je ne pouvais que lui répondre :

— Non.

C’est bien ce que je pensais. Je ne pouvais pas lui dire autre chose. Il releva sa tête engourdie et rouge vers la mienne sûrement dans le même état. Je m’allumais une cigarette pour gagner du temps. Mais je ne pouvais vraiment pas dire autre chose.

— Pourquoi tu me dis ça ? me demanda-t-il, les yeux rouges.
— Parce que tu me le demandes, lui dis-je presque en chuchotant.
— Et alors ?
— Elle a dormi chez lui, Marc, tu te rends compte ?
— Et alors ?
— Elle a brisé une règle. Elle s’est réveillée chez lui, elle a dormi avec lui, tu comprends ? Dis-moi que tu comprends.
— Et alors ?
— Dis-moi que tu comprends. Vas-y.
— Non.

Je ne sais pas vous, mais j’ai toujours pensé que baiser sans dormir avec la personne et baiser et dormir avec étaient deux choses distinctes. Bien distinctes. En tout cas, il ne voulait pas comprendre. Je ne voulais pas plus le blesser. J’arrêtais là.

Il me rappela quelques jours après pour me dire qu’elle l’avait quitté parce qu’elle avait l’autre mec dans la peau. Elle lui dit qu’elle ne voulait plus jouer à ce jeu. « Mais quel jeu ? me demanda-t-il. Quel jeu ? » Mais il savait très bien lequel. Elle finit par se mettre en couple avec l’autre type. Et depuis elle est avec, mais ils continuent de se parler. Marc est pris dans le cercle infini d’un amour impossible, mais qui ne se tarit pas. Il y a des gens qui s’aiment et qui ne peuvent pas vivre ensemble. C’est comme ça. Son nom à elle : Enora.

Et pour revenir à nos moutons : c’est plusieurs mois après qu’Enora alors en couple avec son nouveau mec envoya un message à Marc pour lui annoncer qu’elle serait à cette soirée. Ça faisait longtemps qu’il ne l’avait pas revue et il l’aimait encore. Vous comprenez donc que je n’avais vraiment pas le choix d’y aller. Sachant qu’à cette époque toutes les femmes qu’il fréquentait depuis sa séparation lui reprochaient de ne pas s’investir : « Marc, tu ne sais plus t’attacher ou alors tu es encore attaché à quelqu’un. ». Il me demandait souvent des conseils et je lui répondais toujours : « arrête de me demander ce genre de trucs, tu sais bien que je suis pire que toi ». Il se moquait de moi, mais finissait toujours par m’embarquer dans ses plans foireux comme ce soir-là.