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L’ouvrage Identités en contact au Cameroun. Entre marquages, crises et perspectives didactiques rassemble les contributions qui cernent la problématique identitaire en contexte camerounais caractérisé par son extrême diversité tant sur les plans linguistique, culturel, politique, que religieux et tribo-ethnique. Le contact identitaire est favorisé au Cameroun par l’implémentation du vivre-ensemble à travers la politique de l’intégration nationale qui encourage le brassage des peuples, les redéploiements des agents de l’Etat sur le territoire national indépendamment de leurs origines linguistiques, religieuses, tribo-ethniques. Cette politique du vivre-ensemble prôné par les autorités est souvent remise en question par ce que Moirand (2015) appelle la « tyrannie de l’instant » qui permet ainsi aux langues de se délier à travers diverses expressions identitaires. Parmi ces tyrannies de l’instant, figurent la guerre contre la secte Boko Haram, la crise sociopolitique des régions anglophones, l’élection présidentielle de 2018, l’organisation ou non de la 33ème édition de la coupe d’Afrique des Nations ou les tentatives d’agressions ciblées contre certains hommes politiques et leurs leaders. Toutes ces tyrannies de l’instant ont été examinées, sous des angles disciplinaires différents, par les contributeurs qui y ont décelé des contacts identitaires à travers des marquages, des crises multiformes, et bien sûr, ont envisagé des solutions sur l’enseignement des langues et cultures camerounaises pour une dynamique interculturelle harmonieuse et constructive.
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Seitenzahl: 526
Veröffentlichungsjahr: 2022
Sommaire
Introduction à l’ouvrage
I – MARQUAGE IDENTITAIRE
L’interférence linguistique comme marqueur identitaire chez les locuteurs du français au Cameroun
Le marronnage linguistique comme stratégie textuelle de revalorisation des identités en contexte de déterritorialisation
Greetings in Mbəkum: The Case of Some Families
Le « Moi » langagier et identitaire dans la presse écrite camerounaise : cas de la chronique « Au kwatt » du mensuel culturel Mosaïques
II – IDENTITÉS EN CONFLITS
Le français et l’anglais en contact avec les langues et l’ethnicité camerounaises : attitudes linguistiques et identités
Crise de souveraineté (1984 – 2016) et prospective de reconstruction d’un État-fort par l’unité et la cohésion nationale
Campagne électorale et construction discursive des émotions : le cas de CT et LM pendant les campagnes présidentielles et municipales de 2011 et de 2013 au Cameroun
Le français du Cameroun entre création et appropriation
III – PROBLÉMATIQUE DE LA DIDACTIQUE DES LANGUES OFFICIELLES
Official bilingualism in Cameroon: From the official narrative to the facts of bilingual educational language policy
Prolégomènes à la didactisation du vivre ensemble en classes de langues au Cameroun
Le ludique au service de la didactique du FLE en classe anglophone au Cameroun : Du découragement à l’engouement des apprenants
Problématique de l’immersion linguistique dans l’enseignement / apprentissage de la LO2 Chez les élèves déplacés du sous-système éducatif anglophone à Bertoua
IV – VARIA
La dénomination des partis politiques du Sénégal : Analyse linguistique
Africanisation ou indigénisation du roman africain ? Essai de relecture du code littéraire francographique au prisme de l’indigénisme haïtien
Evolution des discours de genre et dynamique de la participation publique des femmes à la gouvernance locale à l’Ouest du Cameroun
Copyright
ibidem-Verlag
Augustin E. Ebongue & Rosalie MaïramaUniversity of Buea & Université de Maroua
Le Cameroun, comme la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, regroupe en son sein des peuples et des populations aux backgrounds linguistiques, culturels, tribo-ethniques voire historiques différents et divers. A cette diversité linguistique endogène s’ajoute la dualité linguistique héritée de l’histoire. D’où les divisions historiques qui viennent de ce que le Cameroun a connu plusieurs histoires coloniales parmi lesquelles les colonisations française et britannique qui ont laissé des traces indélébiles chez les Camerounais et dont les conséquences seront toujours d’actualité. De nombreux clivages naissent sur les bases tribo-ethniques, culturelles, religieuses, linguistiques, historiques, etc. et les identités se forment sur ces mêmes bases. Tout comme les langues, ces identités sont en contact par l’intermédiaire des individus qui les représentent.
Le contact des identités génère diverses formes d’expressions identitaires qui peuvent être des replis et revendications à caractère identitaire, des discours de haine en direction de telle ou telle communauté, des marquages identitaires dans les comportements des groupes d’individus, etc. Le Cameroun connaît toutes ces formes d’expressions des identités. Ces expressions identitaires sont favorisées par des évènements déclencheurs tels que les scrutins électoraux, les frottements entre groupes, les différents conflits entre groupes, les crises sociales, les discours de haine très souvent relayés et amplifiés par les réseaux sociaux.
Les éditeurs scientifiques du présent ouvrage ont voulu construire un lieu de réflexion autour du concept d’identité dans un contexte de diversité tel que celui du Cameroun. D’où la problématique des identités en contact qui ouvre à des questions sociales de première ampleur1.
La réflexion a été orientée sur les identités pour la raison que la majorité des contributions touchaient à la question identitaire dans un contexte caractérisé par la résurgence de la problématique du vivre-ensemble avec la question des replis identitaires, les discours de violence, les revendications à caractère identitaire, etc. Ces expressions plurielles des identités en contact émergent dans un pays où les autorités prônent et promeuvent un vivre-ensemble harmonieux qui, malheureusement, est souvent menacé par le contact mal négocié de ces identités.
Ces différentes expressions identitaires naissent très souvent de ce que Dominique Wolton cité par Moirand2 (2015) appelle la « tyrannie de l’instant » qui déclenche très souvent des discours et réactions à caractère identitaire. Ceux-ci sont eux-mêmes inspirés aussi bien des thèmes que des évènements. Nous avons par exemple des thèmes ou évènements tels que la campagne présidentielle de 2018 qui a vu naître des identitèmes tels que « sardinards », « tontinards », la contestation anglophone survenue en 2016 qui a lui aussi donné naissance à de nombreux marqueurs identitaires tels que « ambazonians » « amba boys », et renforcé l’opposition « anglophone » et « francophone ».
Il faudrait rappeler qu’au-fur-et-à-mesure que la crise prenait de l’ampleur avec les exactions perpétrées sur la population par ceux-là qui étaient affectueusement appelés « amba boys », des termes identifiants tels que « la Republic » qui renvoyait à la partie francophone du Cameroun, « ambazonia », « ambazonians » disparaissent petit à petit des usages. Leur seule évocation créait de la peur sur la population. La logique oppositive des leaders de la contestation consistait à mettre en avant les éventuelles différences pouvant exister entre Camerounais francophones et Camerounais anglophones, des différences héritées par chaque communauté de son maître colon avec pour objectif la nécessité de séparer les deux entités linguistiques soit dans le cadre d’une fédération à deux états, soit dans le cadre d’une sécession. D’ailleurs, la conscience de l’identité, d’après Moirand (2012 : 11 – 17), passe par la différence, la diversité, voire l’extranéité, l’hétérotopie, l’hétérochronie3.
Le contact créé par les différentes diversités favorise discours et réactions à caractère identitaire car l’identité ne s’impose que par rapport à l’autre qui est différent. En cela, la diversité linguistique, tribo-ethnique et culturelle camerounaise, est de nature à développer des discours et réactions identitaires, et devenir par là-même une tyrannie non plus de l’instant, mais une tyrannie permanente. Les dénominations des réseaux sociaux telles que « Sawa », « Ekang », « Nordistes », « BamiPower », « anglophone », « francophone » le prouvent à suffisance.
A ces identitèmes s’ajoutent ceux qui participeraient des identités politiques repérables dans les discours politiques. Le discours politique désigne, d’après Moirand (2012 : 11), soit la parole des hommes et des femmes politiques dans l’exercice de leur fonction soit plus généralement un ensemble de productions discursives ayant trait au politique. Les deux acceptions nous intéressent avec la sortie d’une personnalité politique, Maurice Kamto, qui évoquait le concours pour être Bulu, et les productions discursives telles que « Mrcistes », « Rdpcistes », « Taliban », etc.
La problématique identitaire en contexte camerounais porte sur la dimension collective de l’identité ou tout simplement sur l’identité collective étant donné que le contact identitaire ne se fait pas entre individus, mais plutôt entre les différents groupes en présence : groupes tribo-ethniques, anglophones et francophones, les appartenances politiques, etc.
L’ambition des autorités est de maintenir, au-delà de cette diversité, l’unité, la paix et la cohésion entre citoyens d’un même pays, la stabilité et son intégrité. D’où la promotion et la sauvegarde du vivre-ensemble. La commission nationale du multilinguisme et du multiculturalisme, très souvent baptisée la Commission Musonge, du nom de son Président, avait à cet effet été créée par le Chef de l’Etat pour constituer une force de proposition des solutions et des actions à mener pour un vivre-ensemble harmonieux.
L’ambition du présent ouvrage, face à un tel enjeu et objectif, est d’examiner les modalités du contact des identités et leurs différentes expressions. Cela a été fait sous des angles d’analyse tels que la (socio)linguistique, l’analyse du discours, la didactique, la sociopolitique, etc.
Les contributions réunies dans le cadre de cet ouvrage ont été organisées en trois principaux axes : « Marquages identitaires », « Identités en conflits », « Problématique de la didactique des langues officielles » avec une rubrique « Varia ». Les contributions entrant dans la rubrique « Marquages identitaires » sont celles qui informent sur des identités en construction.
Rosalie Maïrama montre comment, dans un corpus, l’interférence linguistique participe du marquage identitaire chez les locuteurs du français au Cameroun. Son corpus d’étude met en évidence des accents de français qui caractérisent ou identifient les groupes tribo-ethniques dont se compose sa population d’étude. Ces accents qui sont des interférences linguistiques s’accompagnent de certains stéréotypes et préjugés propres à chaque groupe tribo-ethnique au Cameroun.
Amos Kamsu-Souoptetcha s’intéresse à la langue d’écriture de deux écrivaines camerounaises, Calixthe Beyala et Léonora Mianno, dans un contexte de déterritorialisation, pour y scruter le phénomène d’appropriation de langue, le marronnage, dont le but est la revalorisation des identités de leur pays d’origine, le Cameroun.
Divine N. Ndimofor décrit les formes et les rites de salutations dans la communauté Mbekum du Nord-ouest du Cameroun. La communauté Mbekum parle la langue mbekum qui fait partie des langues relevant du Bamiléké-central et se présente comme un dialecte du Ngemba. La connaissance des us et coutumes des groupes en présence est le fondement même de l’approche interculturelle. Cette connaissance de l’autre entraîne son acception dans un contexte de multilinguisme et de multiculturalisme. C’est d’ailleurs l’intérêt de la contribution qui informe sur les rituels de salutation dans une des multiples communautés qui cohabitent au Cameroun.
Aline Boupda-Katehe scrute les marqueurs identitaires dans un corpus de presse du journal Mosaïques dans sa chronique « Au kwatt ». Comme nous l’avons signalé plus haut, la diversité elle-même constitue une « tyrannie de l’instant » puisqu’elle favorise le contact entre les peuples aux backgrounds linguistiques, culturels et tribo-ethniques différents ; la diversité crée des frottements qui entrainent la naissance des préjugés et stéréotypes, des discours identitaires, des moments discursifs. Le contact entre les identités qui trouvent leurs expressions dans l’usage de la langue commune, ici le français pour les francophones, et l’anglais pour les anglophones, détermine leurs origines tribo-ethniques.
Le deuxième axe de l’ouvrage aborde la problématique conflictuelle dans la rubrique « Identités en conflits ». Les contributions décrivant des conflits entre identités en contact y sont réunies.
Augustin E. Ebongue montre que l’extrême diversité linguistique, culturelle et tribo-ethnique qui caractérise le Cameroun a été ramenée par les Camerounais à une dualité linguistique qui masque ainsi les langues et les cultures camerounaises, ses ethnies et tribus au profit du français et l’anglais, deux langues coloniales devenues langues officielles du Cameroun. Plus concrètement, l’auteur de l’article relève une identification et une auto-identification à la langue anglaise par un certain nombre d’attitudes affichées par les Camerounais au quotidien. Alors qu’ils s’identifient à leurs langues natives et à leurs appartenances tribo-ethniques, les francophones identifient leurs compatriotes anglophones à la langue anglaise ; les anglophones s’auto-identifient à l’anglais en se distinguant de leurs compatriotes francophones par leurs origines anglophones. Ces deux phénomènes d’identification et d’auto-identification ont renforcé la division des deux communautés linguistiques et généré des velléités autonomistes et sécessionnistes. La contestation anglophone qui a secoué les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest de 2016 à 2020 le prouve à suffisance.
Charly Ndiapi Fopa voudrait reconstruire un Etat camerounais fort visiblement affaibli par de nombreux fléaux sociaux tels que la guerre contre le Boko Haram dans le Nord, la crise sociale qui secoue les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, les attaques répétées des rebelles centrafricains à l’Est, etc. Ces fléaux pourraient entraîner l’effondrement de l’autorité politique publique. Face à de tels enjeux et menaces sécuritaires avec des acteurs convoquant des stratégies non-conventionnelles (le terrorisme par exemple), l’auteur de l’article propose de convoquer des méthodes innovantes de gestion des conflits : ne plus tuer l’autre et pouvoir franchir les frontières.
Kameni Wendeu et Dongmo Fouefack examinent, dans une approche d’analyse du discours, la construction des émotions dans le discours médiatique camerounais lors des campagnes présidentielle et municipales de 2011 et 2013. Les deux organes de presse choisis sont Cameroun Tribune, média à capitaux publics, et Le Messager, média à capitaux privés. Les auteurs montrent que la construction discursive de l’émotion en période (pré)électorale au Cameroun est dominée par la volonté de Cameroun Tribune de présenter un éthos favorable du candidat du parti au pouvoir, et que chez Le Messager, il est plutôt question de ternir l’image du candidat du parti au pouvoir embellie par Cameroun Tribune.
Pierre Essengue prend part à un vieux débat sur l’existence ou non d’un français d’Afrique dont celui du Cameroun serait un dialecte ou tout au moins une variété. Rejetant le point de vue certains chercheurs qui soutiennent que le français du Cameroun est le produit d’une maitrise insuffisante de la langue et des simples contacts avec les langues camerounaises, l’auteur de l’article soutient plutôt la thèse de l’appropriation normale et logique du français au Cameroun. Il montre ainsi qu’il existe bel et bien un français camerounais. Cet article montre très bien que la diversité n’est pas seulement externe aux langues ; elle est aussi interne aux langues. D’où les notions de variation / variété, hétérogénéité, chères aux linguistiques variationnistes.
Enfin, le dernier axe rassemble les contributions qui proposent des pistes d’enseignement / apprentissage à même de réduire voire d’éliminer les conflits linguistiques et culturels divers nés des identités qui se forment dans des contextes de contacts identitaires.
Antoine Willy Ndzotom Mbakop montre que la politique du bilinguisme officiel implémentée dans les établissements scolaires ne favorise pas la culture d’un bilinguisme officiel individuel. Ceci est dû au fait que la plupart des établissements scolaires bilingues sont concentrés dans les grandes villes au détriment des zones rurales et petites villes. Ces établissements bilingues ne le sont que de nom car ils ne sont que la juxtaposition de deux systèmes monolingues. Ce qui renforce la séparation entre les deux communautés linguistiques, alors que l’adoption du bilinguisme officiel était censée les unir, d’autant plus qu’il s’agit d’un bilinguisme d’unité. L’auteur de l’article se demande s’il ne s’agit pas d’un programme politique qui consiste à maintenir séparées les deux communautés, ou alors d’un échec de la politique du bilinguisme officiel.
Gilbert Daouaga Samari montre la contribution des classes de langue dans la promotion de la politique du vivre-ensemble prônée par les autorités camerounaises. Dans un contexte de contacts divers qui, parfois, constituent des obstacles et des menaces à l’unité, la cohésion et l’intégration nationales défendues à travers la promotion du vivre-ensemble, la contribution des cours de langues dans les établissements scolaires n’est pas à négliger. C’est l’intérêt que vise l’auteur de cet article pour qui les disciplines linguistiques peuvent bien jouer un rôle important dans la promotion du vivre-ensemble en didactisant par exemple ce dernier dans les classes de langues.
Modestine Ngnouatio Tsayem propose, dans une étude, des activités ludiques pour un enseignement / apprentissage efficace du français en direction du public anglophone des établissements secondaires. Car la connaissance de la langue de l’autre est nécessaire dans un contexte de bilinguisme officiel comme celui du Cameroun où la minorité linguistique anglophone éprouve, pour certaines raisons, un désamour pour la langue de la majorité, le français. Parler et communiquer en français pourrait dissiper l’image négative que le Camerounais anglophone a du Camerounais francophone et accepter ce dernier. L’étude et l’expérimentation de l’approche ludique du FLE se sont déroulées dans quelques établissements du département du Fako plus précisément ceux de Buea et Muyuka. Les résultats obtenus de cette expérimentation sont très flatteurs et encourageants.
Cyrille Christal Ondoua-Engon examine les problèmes que rencontrent, à Bertoua à l’Est du Cameroun, dans l’enseignement / apprentissage de la LO2, le français, les élèves anglophones, déplacés de la crise sociopolitique que traversent les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest depuis 2016. Ces apprenants anglophones sont soumis à une immersion linguistique qui tarde cependant à produire des fruits parce qu’ils ne sont pas du tout motivés à apprendre le français, aussi les méthodes d’enseignement utilisées dans l’enseignement du français en direction du public anglophone ne sont pas de nature à faire juguler le manque de motivation des apprenants et l’image négative que ceux-ci ont du français au Cameroun.
La rubrique Varia réunit trois contributions.
Ousmane Diao propose une analyse linguistique de la dénomination des partis politiques du Sénégal. Pour l’auteur (ici-même), son étude constitue la première étape d’une série de réflexions sur la siglaison dans la terminologie politique au Sénégal. Il décrit ainsi les aspects morpho-phoniques, morphosyntaxiques et sémantiques des noms des partis politiques qui animent la vie politique de son pays.
Paul Fonkoua aborde l’indigénisme en contexte africain à travers deux romanciers ouest-africains, Sembène Ousmane et Amadou Hampâté Ba. Il montre la validité d’une lecture indigéniste du roman africain francophone en s’appuyant sur la conception transculturelle du fait littéraire qui part du principe que toute œuvre d’art est un système de signes susceptibles d’être décryptés rigoureusement au travers des influences des autres espaces culturels.
Paule Marie Kougang examine l’évolution des discours de genre et la dynamique de participation des femmes à la gouvernance locale chez les peuples Grassfields de l’Ouest du Cameroun. Les progrès sont notoires notamment dans les discours de genre qui suscitent une participation plus active des femmes à la gouvernance locale. Ces discours prônant la participation et l’implication plus actives des femmes dans la gouvernance locale s’opposent aux discours traditionnalistes qui se veulent conservateurs voire conservatistes.
1 C. Kaufmann (2006), Le Dictionnaire des sciences du langage, Paris, PUF, p. 595.
2 Préface dans A. Richard, F. Hailon et N. Guellil (dirs.) in Questions contemporaines.Le discours politique identitaire dans les médias, Paris, L’Harmattan, 2015.
3 Préface dans A. Richard, F. Hailon et N. Guellil (dirs.) in Questions contemporaines. Le discours politique identitaire dans les médias, Paris, L’Harmattan, 2015.
I – MARQUAGE IDENTITAIRE
Rosalie MaïramaENS-Université de Maroua
Le Cameroun, pays en miniature, regorge d’innombrables richesses parmi lesquelles on compte les langues (officielles et identitaires) qui se côtoient : s’inter influencent mutuellement dans une dynamique incontestable. On observe dans les attitudes des locuteurs le vivre-ensemble qui se manifeste par les actes concrets. La diversité multiculturelle et multiethnique qui caractérise le peuple camerounais présente deux facettes appréhendées selon les circonstances et les situations comme un atout et un problème. La cohabitation pacifique se construit sur les échanges, les mélanges, l’adoption et l’adaptation socioculturelle et linguistique. Par contre, la division résulte des égos, du tribalisme, du favoritisme, des préjugés, des stéréotypes. Ce travail identifie et relève les marques identitaires à connotation tribale à travers les interférences linguistiques appréhendées dans les pratiques langagières des étudiants de l’Université de Maroua. Les enquêtes menées en 2015 auprès d’une centaine de jeunes ont permis de recueillir les données que nous avons analysées grâce aux méthodes d’enquêtes directe et interactive empruntées à la sociolinguistique de Labov 1976. Les aspects phonétique, phonologique et morphosyntaxique ont été minutieusement examinés.
Cameroon, a country in miniature, is host of numerous riches among which languages (official and identity ones), which coexist: influence one another in an unchallengeable dynamism. Togetherness is observed in the attitude of speakers, which is manifest through concrete acts. Multicultural diversity characteristic of the Cameroonian people shows two facets perceived from the perspective of circumstances as an asset or a problem. Peaceful togetherness is built on exchanges, mixtures, adoption and sociocultural and linguistic adaptation. On the contrary, division results from egos, tribalism, favouritism, prejudices, stereotypes. This works identifies and point out identity marks with a tribal connotation in language practices of the students of the University of Maroua. The surveys carried out in 2015 with a hundred of youths allowed us to collect data that were analysed with respect to Labov’s 1976 method borrowed from sociolinguistics. Phonetic, phonological, morphological, and syntactic aspects were carefully examined.
Keywords: Identity marks, language practices, sociolinguistics, diversity, Cameroon
Le multilinguisme camerounais est un atout favorable à l’intégration sociale et culturelle des peuples qui cohabitent malgré les différences d’opinion et de religion qui les opposent. Motivés par le désir du « vivre ensemble », les Camerounais, sans distinction de tribu, de langue et de religion, se partagent naturellement les habitudes alimentaires, vestimentaires, danses patrimoniales, éléments culturels qui marquent leur appartenance ethnique et / ou tribale. Bien que manifestant la volonté d’être ensemble, les marques identitaires, perçues à travers les interférences linguistiques, dévoilent l’appartenance tribale et ethnique des individus dans la société. Les traits linguistiques, qu’on saisit comme des accents qui apparaissent inconsciemment dans les pratiques langagières des locuteurs du français au Cameroun, sont des interférences linguistiques à travers lesquelles les peuples identifiés sont raillés, insultés stigmatisés ou marginalisés. Une interférence entre deux langues peut se produire soit lorsque les deux langues sont parlées dans des territoires très proches de telle sorte que leurs locuteurs se côtoyant fréquemment, finissent par emprunter les traits linguistiques issus de la langue de l’autre pour les intégrer dans la leur, soit par les mélanges codiques, les transferts et les alternances qui sont les indices de la dynamique des langues en contact. À cet effet, les sociolinguistes assimilent les traits linguistiques aux variétés de français marquées par les mélanges codiques, les interférences ou les transferts linguistiques relevés à l’oral par des accents, qui sont manifestés par la substitution des phonèmes, les emprunts lexicaux, les calques, et les structures syntaxiques imbriquées. Dès lors, les interférences linguistiques apparaissent comme des marqueurs de l’identité et de l’identification des locuteurs voire des peuples dans un contexte multilingue où la cohabitation pacifique reste un défi permanent. L’acception ou le rejet de l’autre dépend des facteurs exogènes, des circonstances et / ou des motifs individuels qui peuvent être justifiés ou non. Dans la situation de contact de peuples et de langues, la question de tribalisme demeure, nous l’avons relevée dans ce travail à travers les interférences linguistiques définies par Mounin (1999) comme les changements ou les identifications résultant dans une langue en contact avec une autre langue, du fait du bilinguisme ou du plurilinguisme des locuteurs ; elles apparaissent comme des marqueurs identitaires. Vus sous cet angle, les traits linguistiques mis en évidence ont été étudiés comme des causes de raillerie ou de marginalisation des peuples au Cameroun. D’où la question de réflexion suivante : Dans quelle mesure les interférences linguistiques peuvent-elles être perçues comme des marqueurs identitaires à connotation péjorative ? La réponse à cette question appelle les méthodes d’enquêtes directe et interactive (Labov 1976) fondées sur l’écoute des conversations, l’échange, la discussion avec les étudiants que nous avons ciblés. Les données recueillies sont examinées selon l’approche descriptive dans le but de mettre en relief, les aspects phonologique, morphologique et syntaxique desquels découlent les accents qui sont à l’origine de la discrimination des locuteurs du français dans ce milieu multilingue.
Acquise et innée, la langue maternelle influence l’expression des locuteurs francophones qui de manière inconsciente, parlent le français avec l’accent maternel. De cette façon, les interférences phonologiques apparaissent comme des marques par lesquelles les locuteurs s’identifient et sont identifiés au sein de la société. Les traits phonologiques de la langue maternelle qui apparaissent dans les énoncés des locuteurs sont perçus par les autres comme un indice culturel par lequel le locuteur est identifié et l’accent maternel qu’on appréhende donne lieu à des préjugés, des images pouvant aboutir à la moquerie, à la marginalisation ou à la stigmatisation. Nacer (2018) l’affirme en disant que « la langue est donc plus que le véhicule d’une identité : en tant qu’objet social partagé, elle constitue une dimension spécifique de l’identité collective et elle peut jouer une fonction démarcative. » Ainsi, l’identité linguistique s’exprime et se construit-elle également au moyen des marqueurs identitaires qui, souvent, servent de marqueurs de l’identité linguistique.
Dès lors, les marques identitaires relevées ça et là dans les discours des locuteurs basaá attestent cette assertion dans la mesure où la description phonologique de cette langue montre que les caractéristiques phonétiques et grammaticales communes à beaucoup de langues bantoues, comme les classes nominales, le / b / implosif et un système à tons : ton haut, ton bas, ton bas-haut, ton haut-bas, ton moyen par lequel le locuteur est identifié. On reconnaît ainsi un locuteur bassa par ce trait qui le caractérise ; la substitution du phonème / i / par / u / et le / ǝ / par / e / est saisie comme une interférence linguistique qui dévoile l’identité culturelle. Dès lors, les locuteurs non natifs se font des préjugés et des images qui débouchent sur la moquerie. Pour mettre en évidence l’interférence linguistique dans les énoncés des locuteurs basaá, nous avons relevé quelques exemples que nous voici :
1) Ti né pé pa mé faire ça !
2) Qui mirmire là dehors
3) Moi, jé né pé pas fé ça
Cette substitution de phonèmes justifiée par l’influence des traits linguistiques de la langue maternelle sur le français est parfois reprise par les locuteurs non natifs comme une blague mais qui en réalité frise la moquerie quand on identifie le Basaá par le timbre en référence à la loi (justice) comme pour relever le côté légaliste de l’homme basaá qui ne néglige aucun problème. Biloa (2003) atteste que chez ce locuteur bassa, les sons [u] et [i] substituent respectivement les sons [ə] et [e], comme chez le locuteur peul, cela engendre des modifications phonétique et phonique perceptibles à l’oral. Nous avons constaté pendant notre recherche que la dissonance suscite la curiosité du locuteur non natif qui à travers les interférences linguistiques, identifie socialement et culturellement le locuteur. Ainsi, lorsqu’on parle d’un Basaá, on a à l’idée : mbongo tchobi (repas traditionnel), assiko (danse patrimoniale / culturelle), musong (sorte de maladie reconnue et attribuée à ce peuple) et aussi l’agitation qui le caractérise. Ainsi, basaá ou bassa est classé dans le groupe des langues bantou. La langue basaá est parlée autour de la ville d’Édéa entre Douala et Yaoundé et aussi, minoritairement, dans ces deux capitales, économique et politique (Tabi-Manga 2000).
Ainsi, l’interférence linguistique marquée par un trait phonologique débouche sur les préjugés, les images comme nous l’avons relevé précédemment. Le même constat est fait pour les locuteurs bamiléké.
Les Bamiléké vivent à l’Ouest du Cameroun ; ils font parti, avec les peuples du Nord-ouest et ceux du département du Lebialem au Sud-ouest, du groupe Grassfield. Ce peuple se compose de nombreuses ethnies qui se distinguent par leur langue maternelle. L’interférence phonologique très perceptible marque leurs expressions. En guise d’illustration, considérons les productions mentionnées ci-dessous :
4) Makche vite pour ouvrir la pokte au lieu de rester là à pakler
5) Voilàá làá où on est arrivé
6) Mpoum Mbiya est le président du Cameroun
Les interférences linguistiques qu’on relève dans ces énoncés sont phonologiques (cf. 4) et morphologiques (cf. 5 et 6). Ils pourraient dans une certaine mesure trahir le niveau de connaissance de la langue française du locuteur. Aussi, note-on les interférences phonologiques de la langue maternelle dans les élocutions en situation discursive. Selon Hamers (1997 : 178), « L’interférence se manifeste surtout chez les locuteurs qui ont une connaissance limitée de la langue qu’ils utilisent et prend de moindres proportions à mesure que le bilinguisme s’équilibre ».
Les énoncés portés en exemples corroborent cette affirmation dans la mesure où les locuteurs lettrés font des efforts pour limiter les interférences. Notons que [k] très récurrent, substitut de [r] dans tous les mots où il est supposé se retrouvé, est la manifestation de l’influence de la langue maternelle sur le français, il s’agit de l’interférence phonologique (cf. exemple 4) tandis que l’allongement de la voyelle [a] doublement accentuée (bas et haut) (cf. exemple 5) marque l’accent qui tend à s’alourdir. Ainsi, Baylon (2005 : 102) définit-il l’accent comme « la mise en valeur d’une syllabe dans ce mot, représente pour une langue donnée l’unité accentuelle. Cette unité peut être le monème, le mot ou le syntagme. […] dans les langues à accent mobile, il assure une fonction distinctive ». De même, l’ajout de [m] en début de mot (exemple (6) justifie l’interférence morphologique qui se manifeste par l’adaptation du français à la langue maternelle caractérisée par l’emploi répété des consonnes [p], [t], [k] [m]. Les interférences phonologiques dévoilent l’identité des locuteurs bamiléké dans notre milieu. À cet effet, Chadereaux (2018) parlant de l’appartenance au groupe dit quele mouvement d’attirance est soit une incitation d’un mouvement vers un autre, soit une revendication du droit à être soi ou bien que le soi se construit à travers l’autre, ou encore le regard des autres sur soi fait qu’on est pris par la volonté de vouloir apprendre la langue de l’autre. Tandis que le mouvement de rejet est considéré comme une menace ou le mouvement de protection de soi face à la menace de l’autre ou encore une caricature de l’autre.
Par ailleurs, il démontre qu’une relation paradoxale se fonde sur le fait d’être soi qui est d’abord la perception de l’autre c’est-à-dire l’appartenance à un groupe où on a besoin de l’autre ; on prend conscience de notre différence et en même temps nous nous en méfions soit en prenant conscience de nous-mêmes.
Le regard de l’autre dans notre société est dénigrant du fait des préjugés, des appréhensions et des images négatives qui constituent un obstacle à la cohésion sociale. Dans les situations discursives, les interférences linguistiques sont parfois reprises par les locuteurs qui ne parlent pas la même langue comme une blague, mais qui en réalité cache l’insulte, la moquerie, la provocation. Ce travail met en relief les interférences phonologiques de la langue maternelle, observés comme des marques identitaires. Parlant des Bakossi, ce peuple fait partie de la famille Sawa comme la plupart des peuples de la région du Sud-Ouest à l’exception des Bangwah du Lebialem qui sont des Grassefields et les Bayanguis du département de la Manyu qui sont linguistiquement et culturellement proches des Igbos du Nigéria. Le pidgin english est la langue véhiculaire de ce peuple et l’anglais, la langue officielle. Ils sont identifiables par des traits linguistiques, spécifiquement la consonne [n], abusivement employée dans leurs expressions. Parmi les Bakossi, on s’est particulièrement intéressé aux locuteurs akoose qui parlent le français. Il a été noté la présence de [n] au début de certains mots français non nasalisés ; la nasalisation du mot imposée par la consonne [n] a été justifiée, d’après les enquêtés comme une interférence linguistique de la langue maternelle sur le français. En guise d’illustration, il a été relevé ce qui suit :
7) Je ndanse très bien
8) Il a nvendu le nvin
L’ajout du son consonantique [n] en début de mot illustre à suffisance l’interférence linguistique de la langue akoose sur le français, par conséquent, il est perçu comme une marque de l’identité qui peut déboucher sur les images et les préjugés. Cette caractéristique s’observe chez plusieurs peuples parmi lesquels les Nso.
Les Nso sont originaires de la région du Nord-ouest, leur langue maternelle est le lamso, le pidgin english est la langue véhiculaire à côté du français que les locuteurs adaptent à la substance phonique de leur langue maternelle par la substitution des phonèmes, ce qui entraîne des modifications et par ricochet l’interférence phonologique et morphologique qu’on a mise en évidence dans l’énoncé suivant :
9) Bonyour Monsieur ! Voulez-vous lire le yournal ?
La substitution de [Ʒ] par [j] montre l’influence de la langue lamso sur le français. L’interférence linguistique relevée est perçue comme une marque de l’identité par laquelle le locuteur est géographiquement, linguistiquement et culturellement localisé dans la société. Nos enquêtés affirment qu’il est difficile pour le locuteur de la langue lamso de prononcer [Ʒ] ; il est dans cette situation assimilé aux locuteurs basaá et peul qui prononcent [i] au lieu de [u]. Ces substitutions qui parfois sont perçues comme des difficultés font l’objet de moquerie en milieu jeune engendrant la frustration, la marginalisation et la stigmatisation. À cela, on dit que ce peuple est paresseux, ne pratique pas des travaux champêtres et dépend fortement de Bamenda d’où leur proviennent les vivres.
On note également dans les productions orales des locuteurs Nso qui parlent le lamso, les interférences linguistiques qui sont des marques de l’identité. Par exemple, la suppression d’un ou de plusieurs phonèmes :
10) pin→ pain
11) min→ main
12) amor→ amour
13) volé→ voleur
On remarque que la voyelle sonore, orale [a] (dans les exemples 10 et 11) est supprimée tout comme [u] (dans l’exemple 12). Par contre, [œ] (exemple 13) est substitué par [e]. L’interférence phonologique perçue à travers le transfert des phonèmes de la langue maternelle vers la langue française est une marque de l’identification du locuteur de la langue lamso. Cette interférence linguistique de la langue maternelle vers le français traduit la difficulté du locuteur de la langue lamso à prononcer facilement les sons [œ] et [u] à cause de l’absence de ces sons dans leur langue maternelle.
Dans la même région, on s’est également intéressé aux locuteurs de la langue aghem qui parlent le français ; ce sont les Youm (un peuple de la région du Nord-ouest), qui, comme les peuples précédemment étudiés, sont identifiables par leurs expressions. L’interférence linguistique notée marquée par la substitution de [p] par [b] dans leurs productions permettent de les distinguer. Considérons les exemples ci-dessous :
14) boche→ poche
15) borte→ porte
16) bluie→ pluie
L’emploi abusif du [b] en lieu et place de [p] pourrait s’expliquer par la confusion des deux sons consonantiques qui sont proches sur le plan articulatoire (occlusive, bilabiale, orale, sourde). De même, l’insertion de la glottale [gh] dans certains mots français a une double influence morphologique et phonologique. Les interférences linguistiques observées dans les pratiques langagières de locuteurs Youm sont des traits qui permettent de les identifier comme l’illustrent les exemples suivants :
17) ghichesse→ richesse
18) soughis→ souris
19) ghiz→ riz.
La substitution de [r] par [gh] montre l’influence de la langue maternelle sur la langue seconde à travers l’interférence qui se dévoile dans la langue française. L’emploi abusif de [gh] dans les expressions des locuteurs apparaît comme une difficulté que les locuteurs non natifs récupèrent pour en faire une blague qui cache la moquerie, l’insulte.
On peut retenir à la suite de cette analyse que l’interférence des traits phonologiques de la langue maternelle dans la langue seconde apparaît inconsciemment dans les productions orales des locuteurs ; traduisant ainsi l’influence de la langue maternelle sur la langue étrangère. Étudier les interférences dans les pratiques linguistiques des locuteurs bilingues, c’est faire appel à des éléments linguistiques, socioculturels et psychologiques du locuteur bilingue mais aussi des éléments situationnels dont le milieu, le registre et le style qui en dépendent.
Les interférences qu’on observe comme des accents permettent d’identifier les peuples dans notre milieu. À ce titre, Biloa (2003), parlant des variétés de français au Cameroun ou les accents de français, a étudié le français béti, le français bamiléké, le français basaa, le français nordiste. Ils sont géographiquement, linguistiquement et culturellement localisables. Selon les situations et les circonstances, le locuteur peut être valorisé, apprécié ou bien dévalorisé, méprisé ou insulté. Ainsi, les préjugés, les stéréotypes, les appréhensions sont à l’origine des rapports conflictuels entre les peuples. Dans notre milieu, un locuteur est souvent identifiable par son expression. Par exemple, pour s’adresser à un Bamiléké, on entend dire : « le Nkap est une affaire très sérieuse : 5 FCFA ne cherche pas son frère » tout simplement pour relever le côté capitaliste qui le caractérise, son attachement à l’argent mieux à l’économie. Par contre, Mbengue renvoie à un Douala qu’on identifie comme « un vantard, quelqu’un qui jouit pleinement des plaisirs de la vie », l’éwondo est identifié comme « celui qui aime la vie et qui surtout boit du bon vin ». On dit de ces peuples, contrairement aux Bamiléké, qu’ils ne sont pas des économistes, qu’ils sont dépensiers.
Il ressort de l’analyse précédente que l’interférence phonologique est un indice d’identification des peuples, qui selon les situations peut être appréciative ou dépréciative. Elle est également l’objet de discrimination issue des préjugés à l’égard de l’autre. Ainsi, l’interférence phonologique, bien qu’elle trahisse l’identité du locuteur, modifie morphologiquement le mot qui prend une coloration hybride.
La morphologie du français n’est pas fixe dans notre contexte dans la mesure où il (français) subit l’influence des langues identitaires qui l’empruntent. Par exemple, les mots du français deviennent hybrides dans les pratiques langagières des locuteurs moundang. L’interférence phonologique modifie la structure morphologique du français, comme on peut le voir dans les exemples ci-dessous :
20) kaŋtoŋ→ canton
21) baŋ → banque
22) milioŋ→ million
23) komaŋd{MISSING SYMBOL}→ commande
24) F{MISSING SYMBOL}raŋse→ français
25) miʃioŋner→ missionnaire
26) miʃi→ misson
27) Kalʃi→ caleçon
Comme on peut le voir, les mots du français deviennent hybrides dans les élocutions des locuteurs moundang à cause de l’interférence du trait morphologique. On les reconnait par la forte nasalisation des mots qui est marquée par les substitutions de [n] par [ŋ] et de [s] par [ʃ]. Les moundang sont identifiés comme des personnes lettrées, les blancs du Nord, les vantards. L’apparition des phonèmes moundang en lieu et place des phonèmes français montre l’influence de cette langue sur le français comme on peut l’observer chez le locuteur tupuri.
Les Tupuri vivent au Cameroun précisément dans le Mayo-Kani, le Mayo-Danay et au Tchad à Léré. Pour montrer l’influence de cette langue identitaire sur le français, Balga (2011) a étudié l’apocope définit comme « un changement phonétique qui consiste en la chute d’un ou de plusieurs phonèmes ou syllabes à la fin d’un mot » (Dubois, 2001 : 43). Il a démontré que ce phénomène linguistique se manifeste sur la morphologie des mots français qui intègrent le lexique tupuri. Le locuteur tupuri prononce difficilement les sons [b], [v], [] qu’il substitue respectivement par [p], [f], [a]. Il est reconnaissable dans son élocution non seulement par ces quelques traits linguistiques mais aussi par l’accent qui donne de la mélodie à son expression. Quelques mots sont présentés ci-dessous en guise d’illustration.
28) bouton →piton
29) gouverneur →goformé
30) comment →komà
On peut dire au regard de ces interférences linguistiques que la langue maternelle influence la langue étrangère qui subit des modifications phonologique et morphologique. Ainsi, le locuteur tupuri est-il identifié dans ses expressions par ces traits. Selon les situations et les préjugés, il peut être dénigré, raillé ou insulté. On identifie les Tupuri dans notre milieu par le bâton, ils sont considérés comme les manipulateurs de bâton. Dans l’imaginaire collective, Tupuri renvoie à « force, teint noir foncé, couscous, bâton ».
Les interférences phonologiques et morphologiques mis en relief apparaissent comme des marques de l’identité au même titre que les constructions phrastiques que nous étudions dans les prochaines lignes.
Le transfert des règles syntaxiques de la langue maternelle vers le français est une réalité dans notre contexte, où le mélange de codes engendre l’hybridisme dans la phrase. On remarque par exemple que la détermination zéro s’érige en règle pour les mots français que la langue maternelle emprunte. Autrement dit, les substantifs français (noms communs), s’emploient sans déterminant dans la langue maternelle et le syntagme nominal montre que certaines expressions françaises sont des calques de la langue maternelle. L’absence de déterminant est une réalité pour les langues camerounaises, et on l’a relevée dans les cas d’emprunt où le substantif français apparait dans la langue maternelle dépourvue de l’article.
31) Ewondo : vaa me téléphone→ « donne-moi le téléphone »
32) koege ventilateur→ « allume le ventilateur »
33) Moundang :mo rák goyap→ « mange la goyave »
34) A dáŋ viəlo→ « il pédale le vélo »
L’hybridisme qui caractérise les langues en contact marque l’appropriation du français par les locuteurs natifs qui adaptent les mots empruntés aux règles syntaxiques de leur langue maternelle. La détermination zéro est un phénomène linguistique très récurrent dans les pratiques langagières des locuteurs bilingues coordonnés (français / langue identitaire.)
Les interférences linguistiques de la langue maternelle dans les pratiques langagières des locuteurs francophones illustrent la réalité socioculturelle que le contexte linguistique permet de décrypter. On constate de façon claire, que les mots du français qui rentrent dans la langue maternelle connotent les réalités occidentales que le modernisme impose aux peuples africains. Imbus de leur culture, les locuteurs francophones transposent les traits linguistiques de leur langue en français, modifiant ainsi la structure syntaxique.
Le transfert de code se définit comme le déplacement des règles d’une langue vers une autre par les locuteurs qui en font abusivement usage. On constate très souvent, dans les élocutions des locuteurs, les traits de leur langue maternelle dans le français. Par exemple :
35) Le train passe que ici depuis longtemps
36) Vous restez sauf que dehors
37) Nous on reste que sur ça
L’emploi de « que » dans les expressions des locuteurs francophones bamiléké s’explique, selon nos enquêtes, par l’emphase qu’on porte sur le mot ou sur la phrase. Autrement dit, « que » donne du poids à l’énoncé, parce qu’il permet de focaliser l’attention sur le référent mis en cause. Cette forme, calquée sur le modèle de la langue maternelle, dévoile l’identité du locuteur au même titre que le son [t]. Par exemple :
38) On arrive d’un moment ta l’autre
39) Des personnes qui ont tenvie de venir vers vous
40) Je suis ten train de venir
La liaison abusive avec [t] a été relevée plusieurs fois dans les discours des locuteurs francophones bamiléké. L’introduction de [t] dans chaque phrase tend à se fixer chez certains locuteurs au point d’être observé comme une marque d’identification. Il y a dans chaque langue, des expressions déjà conçues, qui ne subissent pas de modification et qui ont une connotation culturelle.
Par habitude, les locuteurs bilingues coordonnés transposent les expressions figées de leur langue maternelle en français. Selon eux, ces formes expriment mieux leurs idées et même leurs sentiments. On a constaté que les interjections et les expressions figées arrivent spontanément dans les discours des locuteurs francophones, et le mélange de deux langues (français / langue identitaire) connotent l’aspect culturel par lequel on identifie le locuteur. Exemples :
41) Ewondo : Ces enfants-ci be ne dangereux !
42) Fulfulde :Walaï, moi j’aime boire la bouillie / Kaï walaï, tu ne m’as pas annoncé la bonne nouvelle !
Les locuteurs affirment leur identité par l’introduction des expressions de leur langue maternelle dans les discours en français. D’après nos enquêtes, ils le font pour deux raisons : premièrement pour masquer le message et deuxièmement pour exprimer leurs sentiments. Ils affirment que certaines choses se disent mieux en langue maternelle. Ainsi, « l’attitude du locuteur est un facteur important de la description de son bilinguisme » (Mackey, 1976 : 394). La représentation du locuteur envers la langue et ses locuteurs influencera son comportement langagier ; soit lors de l’usage de la langue ou même dans les situations dans lesquelles cette langue est utilisée (quand elle est valorisée ou dévalorisée au sein de la société ou même parmi les membres du groupe d’appartenance). Quelques exemples de l’interférence linguistique, récurrente dans les discours des locuteurs francophones ont été recensés et mis en évidence dans les lignes qui suivent.
43) wόwό, wé, ngwi de→ les Bakossi
44) abai, imuï→ les Nso
45) oh pa loo, ∫∂nu, maa lei, homoo → les Bamiléké
46) ah ka, eh kiée→ les Ewondo
47) mkpak→ les Moundang
48) haï→ les Mousgoum
49) hada→ Les Tupuri
Les interférences linguistiques sont régulières dans les discours des locuteurs bilingues coordonnés ; elles trahissent l’identité culturelle des locuteurs francophones. Les interjections sont les marques distinctives, spécifiques qui apparaissent très souvent dans les productions des locuteurs. Ce sont des indices d’identification qui permettent de localiser les locuteurs en milieu multilingue. Les interjections attirent l’attention des non locuteurs de la langue.
En définitive, la recherche sur les interférences linguistiques perçues comme des marques à connotation tribale a permis d’examiner dans les pratiques langagières des locuteurs camerounais. Selon les situations, les interférences peuvent être à l’origine de l’acception ou du rejet de l’autre. Les interférences phonologiques, morphologiques et syntaxiques relevées dans les élocutions des locuteurs permettent non seulement de les identifier, mais aussi et surtout de les railler, les insulter ou les dévaloriser. Les interférences linguistiques qu’on appréhende comme des traits identitaires permettent également de situer géographiquement et linguistiquement les locuteurs. Dans un contexte imaginaire, les interférences font l’objet d’interprétation allant au-delà de la linguistique pour critiquer la culture qui fait l’objet des préjugés et des clichés dont le but visé est de dévaloriser, marginaliser, stigmatiser ou rejeter, l’autre. Toutefois, les traits linguistiques spécifiques qu’on relève dans les pratiques langagières des locuteurs en situation de contact de langues permettent d’identifier les personnes dans la mesure où ce sont les interférences linguistiques qui apparaissent comme des marques distinctives caractérisant les locuteurs dans un milieu multilingue. Les interférences phonologiques perceptibles influencent indubitablement la morphologie des mots donnant lieu à des néologismes. Ainsi, l’hybridisme constaté sur la morphologie l’est également dans les phrases calquées sur la structure de la langue maternelle. De même, les expressions et les interjections s’assimilent à des traits linguistiques particuliers, lesquels permettent d’identifier les locuteurs dans la société. Nous pouvons donc affirmer que la langue en situation discursive employée dans un contexte multilingue, révèle les réalités socio-anthropologiques qui peuvent faire l’objet d’autres recherches.
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AMOS KAMSU SOUOPTETCHAENS-Université de Maroua
Manifestement, la divergence de statuts du français (langues maternelle, seconde, officielle, privilégiée …) se double de disparités tout aussi évidentes de situations socioculturelles qui affectent l’usage quotidien de la langue et son utilisation littéraire (L. Gauvin, 2004 : 255). Le vécu socio-langagier des écrivains les contraint à dépasser le simple discours ethnographique et, ils énoncent dans un contexte d’hétérogénéité linguistique. Si, c’est en effet dans et par la langue qu’individus et société se déterminent mutuellement, le jaillissement des néonymes dans les productions / reproductions des auteurs camerounais francophones notamment, est généré par le conflit latent entre l’envers et l’endroit de la langue. De la sorte, toute langue vivante intègre un composant néologique, faute duquel elle ne pourrait pas suivre l’évolution de la société, et assurer les besoins de la communauté (M-F. Mortureux, 2008 : 137). Dans cet élan, un grand nombre de romanciers écrivant loin de leurs territoires originels construisent / reconstruisent leurs identités linguistiques. Leurs usages linguistiques hautement influencés par leurs diversités culturelles sont marqués d’une contradictoire filiation : le français français et l’esthétique du divers. Ainsi, quels sont ces identitèmes porteurs de signes de reconnaissance de l’identité linguistique ? Quelles visées discursives voilent ce marronnage ou appropriation de la langue ? L’analyse examine les lieux et territoires d’écriture, les marqueurs linguistiques de l’identité et les formes d’individuation toujours dynamiques et sous-tendues par des indices si souvent usités ataviquement. L’étude porte sur La Plantation et Tels des astres éteints, œuvres respectives des romancières camerounaises déterritorialisés, à savoir Calixthe Beyala et Léonora Mianno.
Mots clés :marronnage, identité linguistique, néonymes, déterritorialisation, diversité culturelle.
La problématique de l’identité, qu’elle soit « ethnique, nationale, supranationale » (H. Marchal, 2012), « individuelle ou collective », « biographique ou immédiate », « contre nature ou contre-réflexive » (J-C. Kaufmann, 2004) ou même « linguistique » (B. Cazabon, 1996) occupe, de plus en plus, une place centrale dans divers champs de recherche. Il devient ainsi difficile de penser à une identité absolue et intangible ; aussi, à en croire A. Arezki (2008 : 191),
« le concept même de l’identité renvoie à une vision sociologique, anthropologique et linguistique de la culture. Il recouvre une réalité très vaste c’est-à-dire définie à la fois en fonction des institutions sociales, des us et des coutumes, mais aussi du mode de vie qui englobe tous les éléments de l’activité humaine. L’identité devient alors ce qui fonde le groupe, ce qui l’unifie, mais aussi ce qui permet à ses membres de définir leur appartenance à ce groupe, de le reconnaître en tant que groupe d’appartenance, de le délimiter et de le distinguer des autres ».
L’enjeu théorique qui émerge de la présente réflexion se donne pour ambition de mettre en évidence les mécanismes linguistiques qui président à la construction des identités linguistiques et personnelles à travers les néonymes utilisés dans le discours littéraire. Rappelons que la néonymie en terminologie est communément appelée la néologie, par divers linguistes. Nous ne nous essayerons pas à une tentative de différenciation conceptuelle, entre néologisme et néonyme, comme l’a fait Dincă (2008). En nous référant aux 10e journées internationales LTT (Lexicologie, Terminologie, Traduction) tenues du 1er au 4 septembre 2015 à l’Université de Strasbourg : « La création lexicale en situation : texte, genres, cultures », nous admettons qu’il s’agit du processus général de création de nouvelles unités lexicales ou sémantiques. Aussi apparaît-il que les discours analysés se particularisent par le fait qu’ils favorisent la création lexicale. Et d’une manière générale, la création d’un mot nouveau doit être conçue comme un événement marquant de la progression et de la cohésion textuelle. C’est même, au regard des travaux et projets autour de la dynamique linguistique (équipe IFA …), une preuve d’enrichissement des langues, ce qui implique leurs transformations et leurs évolutions. Dans ce sens, la création néonymique est une stratégie productive et innovatrice importante dans leur trajectoire incessante de renouvellement. Ceci étant, dans sa structuration et son tissage générique, le texte n’échappe plus aux débats sur la rencontre des imaginaires linguistico-culturels ou sur la co-présence et la co-existence des langues et de la diversité des formes d’expression culturelles. L’objectif de cette réflexion consiste à traiter, à partir des néonymes, de l’identité linguistique des auteurs et non de l’identité collective de leurs communautés respectives. Ainsi, la mobilité et l’abandon du territoire, ne signifient-ils pas une perte dans la construction de l’identité ? Pourquoi et comment les utilisateurs marquent-ils leur(s) identité(s) linguistique(s) ? Qui devient-on, à l’heure de la mobilité, quand on vit dans une langue qu’on s’est appropriée ? Si l’identité linguistique et culturelle existe réellement, dans quelle mesure peut-on relever ses traces dans les discours littéraires ? La créativité verbale participe-t-elle à la construction ou à la déconstruction identitaire ? Quelle(s) serai(en)t la / les conséquence(s) de la quête d’une représentation de soi ? Cette étude s’inscrit dans une approche linguistique et sociolinguistique des faits d’appropriation du français ou marronnage chez Calixthe Beyala et Léonora Mianno. Ce qui nous permettrait de montrer comment le marronnage ou le l’appropriation du français participe de l’expression et inscription des identités des écrivaines dans un contexte de déterritorialisation. La démarche convoquée est descriptive et interprétative. Il y a ainsi lieu de prendre en compte, d’un point de vue sociolinguistique, les causalités externes afin de vérifier l’influence du social sur les comportements linguistiques. Ensuite, l’analyse des diverses formes de néonymes établissent un rapport analogique entre l’identité linguistique et le processus d’individuation. La démarche épistémologique sera sous-tendue par La PlantationetTels des astres éteints, romans respectifs des écrivaines francophones que sont Calixthe Beyala et Léonora Miano.
Un nombre important d’écrivains africains (Hamadou Kourouma, Sembène Ousmane etc.) qui sont bien imprégnés de leurs cultures et très ancrés dans leur environnement social produisent des œuvres dans un contexte de méfiance dictée par la peur de voir disparaitre leur propre culture. L’africanisation de la langue, dans leurs discours, est foncièrement rattachée à l’hétérogénéité socioculturelle et à unatavisme vécu au quotidien. La défense de leur identité africaine, par l’indigénisation linguistique, devient un mécanisme d’auto-défense, une sorte de révolution tranquille, qui s’accompagne d’une émancipation face aux modèles établis. Aussi, le mot-valise « Langagement » dans Langagement. L’écrivain et la langue au Québec (2000), titre d’une étude de Lise Gauvin sur la problématique de la langue chez les auteurs québécois trouve-t-il tout son fondement. L’enracinement culturel des auteurs constitue ipso facto une transposition déterminante, essentielle, exclusive même de leur identité ; une sorte de « droit à la différence » qui permet de résister à l’agression.
Mais, il est possible de distinguer, d’un point de vue sociolinguistique, plusieurs catégories d’auteurs issus de l’immigration africaine en Occident. Pour le cas des émigrés français, après les indépendances, une nouvelle génération d’auteurs apparaît. Celle-ci est composée essentiellement de personnes bilingues et biculturelles venues dans le but de terminer des études. Leur littérature est plutôt subversive. O. Cazenave (2003) parle d’« une nouvelle génération de romanciers africains à Paris ». Aussi considère-t-elle que Calixthe Beyala est rattachable à cette génération ; Leonora Miano s’inscrit dans la même lignée. Dans leurs discours littéraires, l’impact du déplacement est déterminant sur le plan linguistique. C. Innocenti (2011 : 10) le reconnait d’ailleurs lorsqu’il affirme que :
« migration et identité sont […] étroitement liées à la question de la langue. La migration s’accompagne en effet très souvent d’un changement de langue qui n’est évidemment pas sans conséquence sur la pratique de la langue maternelle – dont on connaît la fonction identitaire. La sociolinguistique permet de rendre compte des conséquences de la migration et du plurilinguisme sur les pratiques linguistiques ».
Pour éclairer sur leurs rattachements, les romancières utilisent, de façon fulgurante, les néonymes dans les productions littéraires. Dans la même logique, « de nouvelles normes sont créées, donnant naissance à de nouveaux codes culturels au cours de négociations identitaires », comme le signale G. Vinsonneau (2002 : 15) que reprend H. Marchal (2012 :114). Les normes et les codes linguistiques allusionnées constituent un pan de cette réflexion.
Les procédés linguistiques convoqués dans le corpus sont les néonymes et les néosèmes. Il convient de les étudier sous un double aspect : les opérations ou procédés de formation des lexies nouvelles et les résultats de la créativité lexicale. Considérant le propos de L. Guibert (1975), une différence peut être faite entre la néologie de forme (ou lexicale) et la néologie de sens (ou sémantique). Comme on peut le constater,
« la néologie de forme consiste à fabriquer […] de nouvelles unités ; la néologie de sens consiste à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée en lui conférant un contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors – que ce contenu soit conceptuellement nouveau ou qu’il ait été jusque-là exprimé par un autre signifiant » (J. Dubois et al., 2002 : 373).
Quelques-uns des usages néologiques seront exploités dans la suite de la présente réflexion, en vue de montrer comment les romans du corpus sont une illustration de la dynamique du français.
À partir de la racine d’un mot, d’autres mots sont formés, comme des substantifs, verbes, adjectifs, adverbes : c’est la néologie morphologique (flexion et dérivation), fréquente dans la langue générale. Les possibilités de création de ce type par les écrivaines déterritorialisées sont multiples. Nous nous intéressons aux procédés que sont la dérivation, la composition, l’emprunt, ainsi qu’aux africanismes.
La dérivation est considérée par Dubois et al. (2002 : 136) comme
« l’agglutination d’éléments lexicaux, dont un au moins n’est pas susceptible d’emploi indépendant, en une forme unique. Refaire, malheureux sont des dérivés ; les éléments re-, -eux ne sont pas susceptibles d’emploi indépendant tandis que faire et malheur sont des unités lexicales par elles-mêmes ».
Des lexies nouvelles sont crées à partir d’une racine existante, dans la majorité des cas, par l’adjonction d’affixes à ce radical. Les néonymes sont obtenus par préfixation, suffixation et parasynthèse. Observons cet échantillon :
Intranquille : (in+tranquille) adj. très mobile, agité.
« (…)Ilcompritquec’étaitunefilleintranquilledanslebocald’unefamillesans histoire. » (Beyala, 2005 : 43).
Bêtiseuse : (bêtise+euse) n. f. celle qui aimefaire desbêtises.
« Levoilàquis’avançaitverscettebêtiseuse,enladévisageantavecagressivité. » (Beyala, 2005 : 159).
Phobiquement :(phobique+ment)adv.lefaitdesecomporter,deseconduireavec phobie, aversion ou crainte.
« Depuis la mort deThéodore,elle était devenuephobiquementrébarbativeaux hommes. » (Beyala, 2005 : 204).
Labotomiser : (labotom(ie) +iser) v.intr. combattre.
« C’estainsiquedanssapauvretêted’ex-prostituée-premièredame,desmajorettes quiaiguilletaientaurythmedesfanfaresfurentclasséesparmilesdangersàlabotomiser. » (Beyala, 2005 : 355).
Emboubouté : adj.vêtu d’un boubou.
« Hello !Blues, ditFanny embouboutéeàlamode de parici. » (Beyala, 2005 : 431)
Désalliancer : (dés+alliance+er) v. pron. mettre fin à une alliance.
« (…) Puis, ils se désalliancenten poupées désarticulées, leurs corps en sueur, enlaidis parla paillassemouillée deleurs cheveux. » (Beyala, 2005 : 438).
Tchiper :