Imely - Lucyko Ydnoguav - E-Book

Imely E-Book

Lucyko Ydnoguav

0,0

Beschreibung

La guerre éclate de tous les côtés, aussi bien sur les continents que dans le coeur de leurs habitants. Construire sur ce qui est trop fragile, voire déjà prêt à s'effondrer, n'est jamais une bonne idée. Des décisions difficiles seront à faire pour faire table rase du passé et qu'un avenir solide puisse être forgé. Entre les complexités familiales, personnelles, les études et les doutes, la vie de ceux que le monde a appris à appeler "Enfants de la Prophétie" ne sera pas de tout repos. Ces chemins séparés seront une rude épreuve pour chacun d'eux, semée d'embûches et de déchirures émotionnelles. Arriveront-ils à supporter le poids de la vérité lorsque celle-ci sera enfin révélée ?

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 1023

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Dédicace

Cette saga me demande beaucoup de temps pour être peaufinée, mais j’espère que l’attente en vaut la peine. Prendre son temps pour réaliser un projet est bien souvent nécessaire, plus encore savoir demander de l’aide pour y parvenir. Encore une fois, j’ai eu la chance d’être entourée par des personnes adorables et admirables pour vous offrir la suite de cette histoire qui me tient à cœur. Sans elles, elle n’aurait jamais pu voir le jour. Je ne les remercierais jamais assez pour ça.

Toutes ces années de travail pour produire ce tome ont été longues et compliquées, mais enrichissantes. Je ne peux que souhaiter la même chose à mon entourage et à ceux qui liront ces pages. Rappelez-vous que nul n’est en droit de critiquer vos loisirs et intérêts quand ceux-ci ne blessent rien ni personne. Chacun devrait être libre d’apprécier ce qui le rend heureux et l’aide à se détendre ; la négativité est déjà bien trop présente en ce monde, préservez-vous.

Sur une note plus détendue, j’ai décidé d’ajouter un petit jeu avec cette série. Certains ne le savent pas encore, mais j’ai dispersé pas mal d’indices sur l’histoire et les légendes d’Imely tout au long de mon roman. Le tome un a ses indices et le tome deux en a désormais également. Mais cela n’est pas le sujet.

Une nouvelle forme vous attend désormais si vous vous sentez assez brave pour relever le défi. Si vous trouvez tous les indices de cette énigme, une surprise se cache sur youtube !

9061-279262-375146-5302-187361-13502-236127-137294-8931720116-29101

Avertissements de contenu:

- Gore

- Crise d'angoisse

- Thème d'anxiété et de dépression

- Mention d'une ancienne agression sexuelle

- Tentative de suicide

- Rejet social

- Mention de maltraitance infantile/négligence

- Deuil et guérison

- Esclavagisme

- Violence et vulgarité

- Dark fantasy

- Racisme

Le site:

Venez découvrir les illustrations des personnages principaux, des différentes races ainsi que les légendes d’Imely sur le site officiel du roman !

Les avertissements de contenu sont également présent dans la partie des informations générales.

(Le lexique est présent à la fin du roman et sur le blog pour faciliter la lecture de tous )

« https://imelyofficiel.wixsite.com/imelyofficiel »

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 1

Gerrorth réussit à ouvrir les yeux malgré les puissants vertiges dont il souffrait. Il avait la nausée et se sentait si désorienté qu’il ne savait plus faire la différence entre douleur et simple engourdissement. Son corps entier l’élançait, sa confusion le faisait paniquer. Une main rassurante, bien que froide, se posa alors sur son front et il entendit une voix qu’il crut reconnaître. Il se calma un peu pour se concentrer et se focaliser sur l’individu penché au-dessus de lui.

Les formes floues s’affinèrent et les couleurs reprirent de la vigueur pour lui permettre de déterminer avec efficacité l’identité de son médecin. D’une voix rugueuse comme affaiblie, il murmura le nom de Finnaë. Son ton légèrement interrogatif traduisait toute sa confusion et suffit à faire comprendre les questions silencieuses afin d’en apprendre plus sur la situation actuelle.

— Ne bouge pas, tu es mal en point. On vient seulement de te stabiliser.

Le Nymphe n’était pas au meilleur de sa forme. Ses traits étaient tirés par la fatigue et il affichait un air bien plus grave que d’habitude. Le Rokath était cependant trop étourdi et délirant pour s’en apercevoir, seule une pensée parvint à se frayer un chemin dans son esprit.

— Katas, parvint-il à formuler avec inquiétude.

— Il va bien, il va bien. Il attend devant la tente.

Finnaë avait à peine fini sa phrase que le dénommé entra en trombe pour s’agenouiller auprès du patient. Katas prit le visage de Gerrorth entre ses mains, le souffle tout aussi court, et plongea son regard dans le sien. Ils se calmèrent progressivement, rassurés de voir l’autre en vie.

Finnaë se recula d’un pas tant l’instant était intense et le faisait se sentir de trop. Il se détendit également en les voyant ainsi réunis, assez pour être en fascination devant la profondeur du lien entre les deux raznas.

Pour répondre aux douces caresses contre ses joues, Gerrorth voulut lever les mains, mais une douleur atroce le foudroya dans son épaule. Il cria et mit sa main gauche sur son côté droit, mais ne perçut que du vide. Choqué, il jeta un regard dessus. C’est alors qu’il remarqua que, son armure retirée, il avait été laissé torse nu et en short long. Son corps entier était couvert de bandages, certains déjà tachés de son sang.

Katas et Finnaë lui recommandèrent du calme, mais il ne les entendait que vaguement, uniquement focalisé sur son bras manquant. Il bredouilla des mots inintelligibles alors qu’il souhaitait des réponses à ce sujet. Le Nymphe s’agenouilla à côté de Katas et appliqua un soin magique pour refermer les points de suture qu’il avait légèrement rouverts en bougeant si soudainement.

— Il y a eu des complications, commença-t-il d’une voix épaisse sous l’émotion alors qu’il résistait aux sanglots qui montaient. Le sol était entièrement piégé. Tout a explosé et tu étais juste à côté d’une mine...

Le mage eut un hoquet incontrôlable, les larmes emplissaient ses yeux, mais il refusa de les lâcher.

— Je suis tellement désolé...

Même s’il était encore sous le choc de la perte de son bras, Gerrorth parvint à s’occuper en priorité de son ami psychologiquement détruit. En réalité, se concentrer sur lui offrait une échappatoire salvatrice à ce qu’il vivait. Il leva sa main gauche et saisit une des siennes pour la serrer avec ferveur. D’un regard, il le remercia pour lui assurer qu’il avait fait de son mieux. Finnaë baissa la tête et se contrôla pour ne pas craquer tout en serrant sa main en retour. Ensuite, il se leva et tapota l’épaule de Katas.

— Tiens-le à l’œil, il ne doit pas bouger. S’il a trop mal, le médecin est juste à côté et pourra lui donner des antidouleurs.

— D’accord, approuva Katas avant de le conseiller. Toi, repose-toi. Tu n’as pas arrêté depuis qu’on a rassemblé les blessés.

Il ne savait pas quoi répondre, car sa culpabilité l’incitait à soigner le plus de monde possible pour se racheter de l’erreur colossale qu’il venait de commettre. Plutôt que de mentir ou de dire quelque chose de travers, il préféra l’ignorer et sortit rapidement.

L’aube pointait à l’horizon et la température commençait lentement, mais sûrement, à monter. Malgré la fumée dense qui envahissait le ciel en provenance du volcan Bathirozâd à une centaine de kilomètres d’eux, une partie du ciel sans nuages était encore visible.

À la suite de l’attaque dévastatrice et des secousses dues aux effondrements des galeries souterraines, une explosion du volcan avait projeté des débris dans les cieux. Heureusement pour eux, la pluie d’éjecta n’était pas allée dans leur direction et était principalement tombée à l’intérieur des terres naines. Cependant, à cause du vent, les cendres allaient bientôt retomber sur leur position et rendre la respiration de tous presque impossible. Les Orcs s’apprêtaient d’ailleurs à partir avant la fin de la journée.

Malgré la météo inquiétante, il ressentit du soulagement hors de l’ambiance oppressante de la tente médicale. Ses jambes menaçaient de se dérober sous lui, il s’assit donc sur une caisse un peu plus loin et se détacha complètement de la réalité.

Les larmes tombaient de ses yeux sans sanglots. Il se sentait si vide à l’intérieur, comme s’il était perdu dans un vaste espace sombre et froid, qu’il ne savait plus s’il était réellement vivant ou non. L’étrange impression vertigineuse d’être à la fois présent et absent le désorientait. Il resta immobile un long moment sans chercher à se défaire de cet état. Ce manque d’émotion était aussi pétrifiant d’angoisse qu’apaisant ; au moins, il ne souffrait plus.

La terre trembla légèrement de nouveau tandis qu’un grondement sourd remontait depuis les entrailles de la terre. Il n’y porta pas attention, ce n’était pas la première fois que ça arrivait depuis la veille. Après son attaque irréfléchie, le sol s’était fendu profondément et la faille s’était étendue en quelques secondes dû aux galeries souterraines présentes dans cette partie du désert. Il ne voulait pas regarder l’étendue des dégâts, bien conscient de la catastrophe qu’il avait causée. Chaque secousse l’enfonçait un peu plus dans sa culpabilité.

Dès qu’il entendit des pas s’approcher de lui, il sursauta et essuya rapidement ses yeux. La dernière chose dont il avait besoin était du jugement des soldats ou d’être surpris par un membre de son groupe. Il estimait ne pas avoir le droit à la moindre compassion ou de se lamenter sur son sort après un acte aussi ignoble.

À sa grande surprise, il découvrit Yegoth, le général orc. Malgré son air naturellement rude, l’inquiétude ressentie pour le jeune homme se lisait dans son regard. Il n’arborait pas cette brutalité caractéristique en étant ainsi isolé de ses soldats. Finnaë soupçonnait qu’il se donnait de grands airs pour impressionner ses troupes et asseoir son autorité.

— Pardon, bredouilla Finnaë en achevant d’essuyer ses joues avec le bord de sa capeline. Vous avez besoin de mes services ?

— Non. Je t’ai vu mal en point, donc je venais m’assurer de ce qu’il se passait. Ton ami va bien ?

Son étonnante gentillesse le désarma quelque peu et lui fit plus de mal que de bien. Mal à l’aise, il se montra distant tout en fixant le sol.

— Il est sorti d’affaire. Isil aussi, d’ailleurs. Elle n’a plus d’énergie, mais rien de grave à signaler. Elle avait une blessure sur le côté de la tête, j’aimerais la soigner plus tard quand j’aurais retrouvé mes forces.

— Et toi ? Rien de cassé ?

Finnaë resta silencieux de longues secondes, l’air vide. Tout était brisé en lui.

— Non, ça va. Torrarh m’a protégé.

Le général ne savait quoi ajouter, conscient qu’il était démoralisé, mais incapable de savoir quoi dire pour lui redonner un peu de courage. Ce fut Finnaë qui, à sa grande surprise, reprit la parole.

— Il n’aurait pas dû, ce que j’ai fait est impardonnable...

Yegoth soupira en se massant la nuque d’une main avant de s’approcher un peu plus et poser une paume rassurante, bien que maladroite, sur son épaule.

— Écoute, petit, les erreurs sont ce qu’elles sont et tu ne pourras jamais vivre sans en commettre une. Celles que tu considéreras grandes un jour paraîtront petites lors d’un autre après en avoir commis une nouvelle. L’important n’est pas là. L’important, c’est l’action.

Confus, Finnaë leva enfin les yeux sur lui.

— Le pardon ne vient que si un acte de rédemption est opéré. Corrige ces mauvais comportements, corrige tes mots, remets-toi sur le droit chemin et restes-y, même si c’est dur.

— Mais, et s’ils ne me pardonnent toujours pas ?

— Je n’ai jamais parlé des autres.

Il le dévisagea avec surprise. Yegoth secoua légèrement son épaule pour appuyer son soutien et ses mots.

— Le pardon doit d’abord être envers toi-même pour être sincère.

Sa gorge se serra comme un étau. Il ne savait pas s’il pourrait un jour se pardonner une telle erreur.

— Et si je n’y arrive pas ? demanda-t-il d’une voix tremblante.

— Reconnaître ta faute sera ce qui te donnera la force de rester sur le droit chemin. Alors, ne fuis pas. N’oublie jamais cette vecca, n’oublie jamais ces vies qui se sont envolées, car c’est le rappel du changement que tu dois opérer. Tu peux changer. Tu peux et tu le dois, afin de bâtir un meilleur avenir.

Il se sentit quelque peu suffoquer alors que les mots de cet homme qui n’était encore qu’un inconnu quelques heures auparavant heurtaient son cœur.

— Comment je peux faire ça ? le questionna-t-il d’une voix étouffée, presque muette par l’émotion et le désarroi.

— Tu n’es pas obligé de le faire seul. Tu as des amis et de la famille, ne l’oublie jamais.

Il baissa les yeux, en proie à une profonde réflexion. Plus calme et raisonné, il se demanda si sa tante et les autres Tillythiams ne pouvaient pas l’aider à surmonter ses démons. Ils étaient ancrés dans son esprit depuis si longtemps qu’il ignorait s’il pouvait vivre sans eux. Malgré leur influence néfaste, ils le soutenaient également dans son quotidien. Ils étaient le poison et l’antidote, les bourreaux, mais aussi les protecteurs. Il avait grandi avec eux, bon gré mal gré, ils étaient une part intégrante de ce qu’il était en ce jour. Il allait devoir repartir de zéro pour se rebâtir proprement.

C’est alors que les paroles de Yegoth eurent soudainement du sens. Il était déjà arrivé au fond du gouffre, à ce point si tragique. Le terrain était en chantier, mais vierge. Se reconstruire serait long, complexe et difficile, mais pas impossible. Il peinait à y croire, toutefois il tenait plus que tout à se racheter.

Il acquiesça avec la tête baissée et ses lèvres aspirées. L’Orc retira sa main et éclaircit sa voix afin de reprendre un peu de prestance. Laisser tant place à la familiarité n’était pas une habitude pour lui et il en était gêné. Que ce garçon soit le fils unique d’un amour perdu l’ouvrait bien plus qu’il l’aurait pensé.

— Le repos est de rigueur pour un esprit éclairé, rejoins donc tes quartiers. Ils sont près de l’infirmerie, non loin du ravitaillement. Tes amis y sont déjà installés.

Finnaë blêmit et se frotta la nuque avec embarras alors que le visage de Torrarh apparaissait dans son esprit. Il ne savait pas comment réagir désormais qu’il avait connaissance de leurs sentiments réciproques. Il craignait cet inconnu et avait peur d’ouvrir son cœur.

— Il est préférable que je reste loin d’eux...

— Je ne sais pas ce qu’il se passe entre toi et ce garçon aux cheveux de feu, mais une chose est sûre, commença Yegoth avant de s’éclaircir la voix à nouveau et de grogner avec agacement. Vous devriez arrêter de battre l’argile !

Finnaë leva vivement son regard surpris sur lui dans un sursaut. — Quoi ? bredouilla-t-il.

— Ce qui est arrivé cette nuit n’était pas assez clair ? La vie est courte, profitez donc de cette occasion. Si tu penses regretter de le laisser entrer dans ta vie, sache que tu auras bien plus de regrets si tu ne le fais pas.

— C’est que, commença à dire Finnaë d’une voix hésitante, il pourrait ne plus vouloir de moi si...

— Si quoi ? Tu éclates un champ de bataille et fends la terre en deux jusqu’à réveiller l’un des trois plus grands volcans du monde ? Tu viens de le faire, gamin, et il n’arrête pas de te chercher partout comme un rongeur chargé de foudre.

L’image mentale qu’il eut le fit pouffer malgré la situation grave.

— Va, ton ami et toi avez déjà tant fait pour nous. Tu mérites un peu de repos avant le départ.

— Mon ami ?

— Ce Rokath qui connaît notre langue. S’il a perdu son bras c’est parce qu’il a protégé un de mes soldats.

Stupéfait d’apprendre un tel acte après tous les mots rudes prononcés envers les Orcs, Finnaë resta bouche bée. Malgré tous ses préjugés et ses idées reçues, Gerrorth n’avait pas hésité à écouter son côté chevaleresque dans le feu de l’action. Cet homme avait un bon fond, il était cependant trop borné pour le montrer plus souvent.

Le commandant le salua d’un geste de la tête et partit, toujours un peu embarrassé après une telle discussion. Il le vit même jeter des coups d’œil aux alentours pour s’assurer que personne ne les avait vus et cela l’amusa.

Ses tourments ne diminuèrent pas, mais il se sentait plus à même d’y faire face. Il se leva et se dirigea vers la tente commune assignée à son groupe. Les Orcs le dévisageaient plus ou moins avec froideur et crainte, il faisait donc de son mieux pour les ignorer en fixant le sol et marchait d’un pas vif.

Sans que cela le surprenne, les couches étaient vides. Après tout, le gouffre qui menaçait de s’élargir, le volcan qui grondait et les soldats blessés demandaient beaucoup d’attention.

Il avait vaguement entendu Isil hurler la perte de sa sœur et réclamer brutalement de l’aide pour aller la chercher. Quant à Torrarh, il savait grâce à des bruits de couloir qu’il courait partout pour aider la cohésion d’équipe et le bon déroulement des opérations. Une équipe d’éclaireurs avait été envoyée pour surveiller le volcan et le gouffre. Une autre s’était divisée pour délivrer des messages par faucons et à pied. Même si la réaction volcanique, visible depuis plusieurs lieues, avait averti les villes les plus proches, aucune aide ne viendrait avant au moins la fin de la vecca actuelle.

Il s’effondra sur un lit de fortune et s’autorisa à fuir ses problèmes le temps de quelques heures. Le sommeil vint en un claquement de doigts, profond et sans rêve. À son réveil, il fut surpris de constater que son corps était encore plus endolori qu’au coucher. Les courbatures semblaient vouloir lui rappeler ce qu’il s’était passé la veille. Il préféra ignorer autant que possible ses sentiments néfastes à ce sujet pour se lever.

C’est alors qu’il remarqua un petit plateau sur lequel étaient disposés de l’eau dans une cruche, un verre en terre cuite et un assortiment de nourriture sèche. Il reconnut les fruits que son groupe avait à disposition pour les longues routes pauvres en denrées alimentaires. Puisqu’Isil devait encore chercher sa sœur et que Katas restait auprès de Gerrorth, il comprit que Torrarh était l’auteur de ce repas. Des rougeurs colorèrent son visage pâle marqué par la fatigue et son cœur s’emballa quelque peu.

Bien qu’il n’eût pas faim en plus de se sentir nauséeux, il se força à manger et boire un peu avant de sortir pour rejoindre la partie médicale du camp. Tout ce qu’il pouvait faire était de soigner les blessés, il ferait donc usage de son don si rare dans ce but.

Passer de tente en tente pour les soins le mit inévitablement face au gouffre gigantesque qui s’étendait jusqu’à perte de vue. Les éclaireurs estimaient la faille longue de plusieurs kilomètres et à la profondeur encore inconnue. Ceux en exploration remontaient les uns après les autres tandis que le camp était graduellement sécurisé et prêt à être quitté. Ils protégeaient les équipements de la prochaine pluie de cendres afin de pouvoir revenir après le cataclysme.

Finnaë se pétrifia à la vue de ce paysage qu’il avait défiguré de ses mains. Les pas qui s’approchèrent de lui le firent sursauter. Le visage de Torrarh empli d’inquiétude le surprit et ne l’aida pas à savoir comment se comporter en sa présence. Mal à l’aise, il baissa les yeux et bredouilla quelques mots.

— Tu as retiré ton armure ?

— Elle était en miettes.

Alors que le fils du feu hésitait à prendre de ses nouvelles, frottant ses mains nerveusement, Finnaë se crispa.

— C’est ma faute. Si je n’avais pas fait ça...

— Une armure est faite pour protéger, Fin. Ce n’est pas grave si elle se brise, elle a fait son job. En plus, pour qu’elle tienne autant face à une onde de choc de ta part, les Orcs ont fait un travail d’orfèvre.

Ce qui était censé être un compliment plongea plus encore le Nymphe dans la culpabilité et il le remarqua rapidement. Torrarh paniqua et s’agita un peu : il humidifiait ses lèvres, changeait de jambe d’appui, frottait sa nuque, tout cela sans oser le regarder trop longtemps.

— Écoute, j’ai parlé avec le général. Il y avait tellement de mines là-dessous que, avec ou sans ton attaque, les galeries se seraient quand même effondrées et ça aurait aussi créé le tremblement de terre qui a réveillé Bathirozâd.

— Mais j’ai pris les gemmes...

— Elles étaient destinées à Krumako-Be et Krumako-No. C’est une histoire compliquée, j’attends que l’on soit tous réunis pour pouvoir en parler avec vous. Dans tous les cas, ce qui se passe aujourd’hui n’aurait jamais pu être évité. Par toi, ou eux, c’était voué à arriver.

Torrarh voulut poser sa main sur son épaule, cependant l’incertitude le fit hésiter au dernier moment. Finnaë fixa le sol en serrant les poings.

— Je suis désolé. Je sais que le dire ne sert à rien, mais promis, je compte me racheter.

— Non, non, je ne t’en veux pas, rétorqua son partenaire qui posa finalement sa main sur lui lorsqu’il comprit que sa distance était ce qui le blessait. On va travailler tous ensemble pour rétablir l’ordre des choses et aucun d’entre nous n’aura à faire de sacrifice pareil, d’accord ? Tu peux compter sur nous.

Ses mots ne créaient aucun écho en Finnaë qui se sentait trop vide pour cela. Le croire était difficile, il ne pouvait s’empêcher de douter de sa sincérité, que tout ceci n’était que des mots doux afin qu’il ne réitère pas son geste. Il resta telle une poupée de chiffon, sans aucune volonté. Torrarh était désemparé et ne savait que dire ou que faire.

— Si tu as besoin de quelque chose, n’hésite pas à nous le demander.

Le Nymphe leva les yeux sur lui et essaya de ressentir quoi que ce soit, mais rien ne vint. Il se sentait encore plus coupable et étrange de ne pouvoir offrir de réponse convenable à cet homme qui s’était déclaré à lui quelques heures auparavant. Pourtant, il l’aimait, il en était certain, mais son corps comme son esprit entier semblaient être éteints.

— Je suis fatigué, souffla-t-il à mi-voix.

Torrarh ouvrit son autre bras pour lui proposer une accolade et il n’hésita pas à l’accepter. Il le serra contre lui, la tête posée sur son épaule et cherchait par tous les moyens à s’ancrer dans la réalité. Malgré son absence émotionnelle, Torrarh l’aidait à garder le cap. Il était cette lumière dans l’obscurité qui lui donnait un espoir indéfectible.

Les bras forts le serrèrent et le pressèrent contre la musculature développée du jeune homme. Son énergie se mêla à la sienne pour dégager son sanctuaire spirituel et stabilisa son aura. Ce fut comme une bouffée d’air frais vivifiante, il parvint à se détendre un peu et penser plus facilement.

— Je ne te laisserais pas tomber, confia Torrarh à son oreille d’une voix chaude et rassurante. C’est promis.

Peut-être que ces paroles étaient irréfléchies, guidées par un amour aveugle devant ses pires défauts. Heureusement, ce même sentiment restait présent dans son cœur. Fragilisé, il s’accrochait désespérément à cette promesse.

— Excusez-moi, dit un soldat orc derrière eux avec hésitation et embarras.

Surpris, les deux jeunes hommes se séparèrent et s’éclaircirent la voix, le rouge aux joues.

— Quoi ? demanda Torrarh, ennuyé.

— Quelqu’un est arrivé au camp et a demandé à vous voir.

— Notre groupe ?

— Non, vous spécifiquement.

Intrigués, Torrarh et Finnaë échangèrent un regard avant de le suivre jusqu’à la tente de commandement principale. Lorsqu’ils arrivèrent à l’intérieur, ils découvrirent Katas et Yegoth discuter avec une femme. Elle avait des cheveux noirs et des yeux rouges ainsi qu’une tenue singulière démontrant son statut de sorcière nomade. Un air sévère était plaqué sur son visage, sa froideur s’exprimait par tous les pores de sa peau. Aucune affection ne pouvait être lue dans le regard qui se posa sur eux.

Torrarh se pétrifia en la reconnaissant tandis que les souvenirs de son enfance remontaient dans sa mémoire. Il bredouilla, sous le choc.

— Mère ?

Gerrorth se réveilla à cause de la douleur. Son razna n’était plus à ses côtés au contraire du médecin orc qui s’occupait de lui depuis le début. Être en sa présence le mit sur ses gardes et très mal à l’aise. L’Orc ne faisait pas d’effort pour se montrer chaleureux et restait penché sur ses fioles à son bureau. La froideur sociale si caractéristique de sa culture découlait dans chacun de ses mots.

— Des douleurs ? Tu viens d’avoir une dose de médicament, alors serre les dents jusqu’à la prochaine. Et je te préviens, je ne te laisserais pas utiliser l’agrafeuse chirurgicale par toi-même comme l’a fait ton amie.

L’Orc souffla malgré tout avec étonnement et admiration sur la résistance à la douleur d’Isil. Cela redonna un maigre sourire à Gerrorth pendant quelques secondes. Il n’était pas surpris qu’elle ait agi si vivement afin que les docteurs la laissent enfin tranquille au sujet de sa blessure. Sa sœur disparue, elle avait d’autres priorités.

— Comme si cette gêne allait m’abattre, cracha Gerrorth.

— Ah, les Rokaths et leur fierté mal placée, soupira le médecin avec agacement en levant les yeux au ciel.

— Les Orcs et leur manie de prendre tout le monde pour des insectes.

— Sauter sur cette mine était complètement stupide.

— Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, mon corps a agi tout seul.

— Moi, je sais parfaitement pourquoi tu l’as fait, persifla l’Orc avant de le fusiller du regard. Être accompagné par les Enfants de la Prophétie n’endormira pas notre vigilance.

— Les Nains viennent d’exploser vos rangs et tu me reproches les conséquences de Sidan ? Accuser un autre alors que l’évidence est sous votre nez, un classique.

L’Orc craqua brusquement et se leva d’un bond pour lancer violemment le torchon à côté de lui sur son ventre. Gerrorth se crispa sous la douleur.

— Sidan est le dernier de nos soucis à l’heure actuelle, et toi comme les autres passeurs savez parfaitement qu’on ne se laissera pas faire !

Il se pencha au-dessus de son patient pétrifié.

— Votre "gentille marchandise" va se rebeller. On compte bien récupérer les nôtres, et paix à l’âme de ceux qui étaient dans les tunnels de Krumako-Be.

Confus, Gerrorth le dévisagea, le souffle court. Il bredouilla une interrogation qui eut le mérite de stopper la fureur du médecin. Ce dernier le fixa un instant d’un air pensif avant de se redresser lentement. Il jeta un bref coup d’œil sur le tatouage du clan rokath présent sur sa cuisse. Ce qu’il parvenait à distinguer après le short long l’intrigua, il tira donc le tissu pour mieux le voir.

Le symbole d’appartenance mêlait celui des montagnes à celui du désert en raison de son changement de village pendant sa jeunesse. Il était né à Rojövê dans les montagnes de Sidikrath, mais avait grandi dans la toundra de Rukrek. De par le fait, les anciens du village avaient donc refusé de lui donner le signe du désert. Il avait dû faire ses preuves dans un monde qui lui rappelait amèrement sa différence. Ce curieux statut n’était en rien commun avec les Rokaths exclus, mais cela n’avait pas empêché Gerrorth d’être traité de la même façon. Il était une personne à la mixité incomprise, une forme d’exotisme à la fois désirée et rejetée par les standards de la société.

L’Orc se redressa et fredonna pensivement. Ses émotions orageuses s’étaient calmées, ce qui rendait la discussion possible. Il ouvrit même la suivante afin d’en apprendre plus sur son patient.

— Tu n’es pas né dans le désert ?

— Non, mon village d’origine est à Sidikrath. J’ai grandi à Sidikrath-No, à la frontière de Krumako, qu’on appelle Rukrek, mais je suis né dans les montagnes.

— Tu étais quoi là-bas ?

— Chasseur. Ma meute a été rattrapée par la malédiction des karapots et j’ai été envoyé à l’avant-poste Sidi-Mako non loin de Krumako-Be en tant que passeur pour commercer avec Morweân.

L’Orc haussa les sourcils avant de rire et retourner à son bureau pour continuer de fabriquer des médicaments. Intrigué et déboussolé par sa réaction, Gerrorth le suivit des yeux avant de tourner la tête dans sa direction.

— Quoi ? demanda-t-il.

— Un enfant si ignorant du monde qui l’entoure, se gaussa le médecin dans sa langue natale.

— Pourquoi ?

— Tu tiens à savoir, très bien, reprit-il en imélien commun avant de se tourner complètement vers lui. Les Nains capturent des Orcs pour les réduire en esclavage depuis des décennies et ce sont les passeurs rokaths qui les leur livrent la plupart du temps.

Le choc s’abattit sur lui qui resta bouche bée. Certes, le clan du désert où il résidait était méfiant à son propos et ne lui avait rien dit sur ce qui se trouvait dans les sacs, mais il s’y était habitué. Il les avait également laissé nourrir une haine dérisoire abreuvée du drama de Sidan envers les Orcs. Réaliser que cela n’était sûrement qu’un moyen de le former à l’obéissance aveugle pour qu’il puisse un jour livrer des esclaves lui donna la nausée.

— Si tu veux en savoir plus, c’est au général que tu devras le demander. Moi, je suis juste médecin, je n’en sais pas plus, donc débrouille-toi.

Il avait naïvement pensé que l’animosité des Orcs à son égard à chaque contact commercial n’était dû qu’au massacre tristement historique. Les membres de Fodjagore qu’il avait côtoyés devaient en réalité le tenir à l’œil pour connaître ses déplacements et être en mesure d’intervenir si des esclaves étaient présents. Leur animosité compréhensible s’expliquait par la recherche désespérée des leurs. Sans le savoir, il avait pu être en face du conjoint angoissé de quelqu’un qui avait été capturé.

Il remit en question toutes ses idées reçues par son éducation ainsi que sa formation. C’était si brutal qu’il en eut des vertiges terribles, au point où il ne pouvait résister à ses nausées plus longtemps.

Alors qu’il vidait le peu de bile au fond de son estomac, l’Orc vint l’aider en apportant un bol et l’essuya par la suite.

Chapitre 2

Un lourd silence s’était installé dans la tente de commandement pendant que Torrarh et sa mère se fixaient. Plus exactement, le jeune homme la détaillait entièrement, aussi confus que sidéré, tandis qu’elle restait immobile. Finnaë ne savait pas comment réagir, principalement à cause d’une puissante migraine foudroyante qui le saisit et paralysa ses pensées. Il grogna d’inconfort en baissant la tête et posa une main sur son front.

Soucieux, Torrarh se tourna aussitôt vers lui, puis il toucha son épaule du bout des doigts.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.

— De la fatigue, je pense. Ça va aller, ce n’est rien, déclara son partenaire qui se redressa avant de s’éclaircir la voix et de croiser étroitement les bras sur sa poitrine.

Bien que le fils du feu pût sentir qu’il cachait la vérité, il accepta son retrait pudique afin de se concentrer sur la prochaine conversation. La prestance de la femme en face d’eux l’intimidait, comme s’il n’était qu’un insecte au pied d’un géant. Katas n’était pas plus à l’aise, son regard inquiet voyageant entre Mal’na et son ami. Il soupçonnait que la conversation précédente en était la cause et cela l’intrigua quelque peu.

La sorcière dévisagea le duo tour à tour avant de prendre la parole et changer de sujet rapidement. Sa voix veloutée était calme et mesurée, cela leur permit de se concentrer sur l’instant présent au milieu de ce chaos général. Une certaine froideur se distinguait à l’intérieur et leur glaçait le sang.

— Les nuages de cendres s’élèvent depuis deux heures. Le vent est désormais dans votre direction, l’évacuation du camp devient une urgence.

— Nous avons encore des blessés graves et des gens qui ont disparu, rétorqua Torrarh d’une petite voix.

— Mourir pour eux ne les aidera en rien. Les Tillythiams vont arriver, elles vont s’occuper de Bathirozâd et des derniers rescapés. Vous devriez prendre les devants et escorter les Orcs.

— Les Nains pourraient revenir et percer les frontières en contournant la faille, argumenta Katas. S’ils arrivent jusqu’au mur avec leurs machines de siège, les Orcs ne pourront peut-être pas les contenir.

— Peut-être n’est pas une assurance, le contredit-elle avec un regard en coin acéré. Une décision doit être prise maintenant et elle nécessite des mages formés. Vous devriez avoir la sagesse de reconnaître lorsqu’il est temps de se retirer. Pour vous comme pour les Nains, le volcan est actuellement une priorité.

Tous savaient à quel point elle avait raison, mais ces paroles réalistes les blessaient profondément. Torrarh regarda à l’extérieur de la tente ouverte, vers la faille, avant de revenir au groupe.

— Je vais faire accélérer les recherches pour Ramilla, mais si nous n’avons rien au moment du départ, nous ne pourrons qu’informer les Tillythiams.

— Mais si elle est encore vivante là-dessous ? demanda Finnaë, soucieux. Isil ne partira jamais sans l’avoir trouvée d’abord.

— Elle s’est effondrée il y a un moment. À force d’utiliser ses dons pendant les recherches, le manque d’énergie l’a rattrapée. J’ai conseillé à l’équipe médicale de frotter sa peau avec du sel, mais c’est reculer pour mieux sauter. Elle a besoin d’eau de mer.

— L’océan n’est pas loin, souffla Katas lorsqu’il comprit ce qu’il avait en tête. Mais on n’y sera pas aussi rapidement qu’elle en aurait besoin.

— Il y a fort à parier qu’Akela se joigne à nous, ce ne sera pas un problème.

— Tout dépendra de son dragon. Il est d’origine froide, les volcans et la cendre dans l’air ce n’est pas ce qui l’encourage à prendre son envol.

— Qu’importent ces hypothèses, intervint Mal’na qui attira les regards sur elle par le fait. Vous aviserez si cela se réalise. Pour le moment, préparez-vous à lever le camp et laisser le champ libre à l’équipe de secours.

Torrarh se massa la nuque, tendu. Il détestait ce plan, mais ils n’avaient que peu de choix possibles au vu de l’urgence actuelle.

— Bon, je ferai de mon mieux pour les recherches dans la faille.

Katas, tu vas aider l’armée à lever le camp ?

— Oui, je me suis déjà engagé auprès du commandant Yegoth, répondit son ami en regardant le dénommé qui lui fit un signe de tête respectueux comme reconnaissant.

— Finnaë ?

— Je vais aider les blessés, stabiliser les cas les plus graves pour qu’on puisse les déplacer sans problème.

Le mage posa ensuite un regard compatissant et assuré sur Katas.

— S’il y a le moindre changement, je vous avertirais.

Rassuré de savoir son razna entre des mains sûres, il lui offrit un petit sourire. Torrarh observa de nouveau sa mère timidement, quelque peu impressionné et hésitant. Malgré tout, il osa la questionner aussi.

— Vous serez sur quel front ?

Le vouvoiement lui était venu naturellement. Il avait peu de souvenirs d’elle. Quand il était enfant, Mal’na avait des responsabilités prenantes en tant qu’archiviste principale. Les membres de son village s’étaient occupés de lui apprendre à lire et écrire ainsi que de le coiffer. Il n’avait donc côtoyé sa mère que le soir lorsqu’ils partageaient le dîner avant de se coucher ; ils ne se connaissaient pas, encore moins avaient-ils une connexion quelconque.

Pourtant, Mal’na était restée présente et avait assisté à chacun de ses tests d’apprentissage de survie dans la nature. Elle l’avait conseillé dans ses choix de tenue et comment apprendre ses leçons. Il se souvenait de la mèche de ses cheveux qu’elle gardait toujours dans l’écrin présent dans sa poche.

Après réflexion et grâce à la maturité acquise au fil des djamns, il la décrirait comme une mère distante et maladroite, mais loin d’être insensible.

— Je suis là pour la cohésion entre les mages et les forces armées. Je viens avertir que les Tillythiams sont en chemin et que vous ne ferez que les gêner en restant ici. Je resterai ici avec l’équipe de secours après votre départ.

Même adulte, son honnêteté rude et sa logique froide le mettaient mal à l’aise.

— Très bien, dit-il pour conclure alors que personne ne savait quoi rétorquer. Allons-y dans ce cas. Bon courage à tous.

Katas et Finnaë acquiescèrent avant qu’ils ne se dispersent à nouveau dans le camp. Torrarh se rendit à l’endroit où Ramilla avait disparu. Un trébuchet se trouvait à cent mètres du gouffre, des cordes attachées à sa structure pour permettre à trois personnes de descendre en rappel. Torrarh saisit la quatrième pour pouvoir s’approcher du bord en toute sécurité, puis il regarda en bas.

Les galeries géantes pouvaient être vues dans les deux pans de roche qui s’étaient séparés d’une cinquantaine de mètres. La lumière naturelle éclairait seulement une partie de la faille tant cette dernière était profonde. Les grondements sourds du volcan se répercutaient depuis les tréfonds de la terre et créaient de légères secousses qui détachaient plus de roches de toute part.

L’endroit était dangereux, instable. Les personnes tombées dans le gouffre à son ouverture pouvaient être n’importe où, compte tenu des nombreuses galeries. D’après les équipes déjà descendues, beaucoup s’étaient même effondrées pendant les recherches, bloquant et tuant les sauveteurs.

Il demanda la localisation de la nappe phréatique que les jumelles avaient utilisée pour séparer les armées. Hélas, suite aux nombreux effondrements, les Orcs ne pouvaient pas lui apporter de réponse. Le lieu devait sûrement être inaccessible à l’heure actuelle et rien ne permettait de déterminer si Ramilla était bien à l’intérieur.

Il attacha la corde à une ceinture de sécurité qu’on lui apporta et descendit à son tour dans l’espoir de trouver une trace de la jeune femme. Pendant les deux heures qui suivirent, il avança avec précaution et essaya de visualiser la chute de son amie pour choisir ses lieux de fouille. Le foulard qu’il avait noué sur le bas de son visage filtrait la majorité de la poussière, mais pas assez pour l’empêcher de tousser. L’envie de crier le nom de la disparue était forte, mais les vibrations de sa voix pourraient fragiliser plus encore les tunnels.

À contrecœur, il accepta de remonter lorsque le cor des Orcs sonna pour la quatrième fois. Il était le dernier à revenir et plusieurs soldats le dévisagèrent avec agacement de les avoir ainsi retardés. Il était désormais en nage, couvert de suie, en plus d’être rongé par l’inquiétude et épuisé. Tout le monde toussait et chacun essayait au mieux de protéger sa bouche avec ses mains ; il était grand temps de partir.

La majorité du camp avait déjà été évacuée. Voir Katas l’attendre lui fit comprendre que Finnaë accompagnait l’équipe médicale où Gerrorth et Isil étaient pris en charge. Le Rokath avait un regard interrogatif et plein d’espoir. Lui répondre sans un mot en secouant tristement la tête déchira son cœur.

Une nouvelle explosion du volcan les fit sursauter. Une coulée de lave dévala le long de la roche, sa lumière perçant l’épaisseur du brouillard de cendres. Tout le monde était terrifié et priait les dieux que les Tillythiams arrivent à temps pour éviter la pire des catastrophes.

Des pas de titan se firent entendre avec un grondement sourd. Ils n’eurent pas à s’interroger bien longtemps sur l’identité de la bête qu’un courant glacial les atteignit. Une voix féminine qu’ils reconnurent comme celle d’Akela les interpella.

— Vous devez partir maintenant, les cendres sont devenues trop denses ici aussi !

— Les mages sont arrivés ? demanda Torrarh entre deux quintes de toux.

— Oui, on a transporté le matériel d’un groupe de quarante personnes. Heureusement qu’elles se sont décidées après votre départ, sinon elles n’auraient jamais été là aussi rapidement.

— Mais ça ferait six veccas de voyage... on n’est partis il n’y a que cinq veccas.

— Elles ont un portail à Fodjagore-Bo, je leur ai fait gagner une vecca en les aidant à partir de ce point. Sous forme miniature, les Fées vont aussi vite que Mekêl, donc ce n’était pas un problème.

— Pourquoi personne ne nous a fait passer par un de ces portails pour venir jusqu’ici, alors ?

— Ils n’étaient pas encore prêts et les mages n’étaient pas sûrs qu’ils le soient à temps.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Ils sembleraient que les Nains avaient deviné votre venu et envoyé des saboteurs. Ils ont tous été appréhendés.

— Fŕadan*...

La fatigue du dragon commençait à se faire ressentir, mais il tenait bon pour accompagner sa dragonnière.

— La reine-mère est elle-même en train de s’occuper du volcan, continua Akela. On pourra revenir quand elles auront terminé de le calmer et de disperser les cendres. Continuez de marcher dans cette direction, les éclaireurs envoient des signaux lumineux avec une lampe pour vous guider.

— Et toi ?

— On m’a dit pour Ramilla, j’irais la chercher avec Mekêl dès qu’il y aura moins de cendres. Il pourra temporairement solidifier les parties les plus à risque avec sa glace.

— La glace va fondre et l’eau va s’infiltrer dans les failles. Ça ne risque pas d’aggraver la situation ?

— La glace magique de Mekêl tient un plus longtemps que celle ordinaire et le flair des dragons est hors norme. Même si ça risque de fragiliser plus encore les galeries, on n’a pas le choix. Ramilla est blessée là-dessous, chaque minute compte. C’est un risque qui en vaut la peine. Peu importe où elle se trouve sous terre, un dragon sera en mesure de la trouver. Je peux vous assurer qu’on va la remonter.

La bête ailée s’agita et piaffa, inquiète à propos du volcan qui alarmait son instinct de survie en plus d’être mal à l’aise à cause de la cendre chaude. Lorsque les flocons gris tombaient sur ses écailles, un bruit d’évaporation se faisait entendre. La brume qui entourait le dragon était à la fois celle de sa glace et celle de la réaction thermique avec l’environnement. Pour chasser la sensation désagréable, Mekêl s’ébrouait un peu en grognant d’inconfort.

Tous comprirent qu’ils n’avaient plus le temps, ils se saluèrent en se souhaitant bonne chance et se séparèrent. Le groupe la laissa s’envoler pour partir en éclaireur dans les terres naines et marcha vite vers leur armée. Rapidement, ils virent une lumière clignoter tranquillement à intervalles réguliers. La suivre leur permit de retrouver les autres Orcs.

À leur arrivée, ils furent accueillis par une ambiance morbide et angoissante en plus de l’agitation nerveuse. Les blessés déliraient à cause de la fièvre et la douleur, si nombreux que Finnaë n’avait pas le temps de s’occuper de tous. Après autant d’efforts, le Nymphe avait plus que largement dépassé ses limites, personne ne savait comment il faisait pour être encore debout. Heureusement, des soigneurs Tillythiams les avaient rejoints et l’accompagnaient. Parmi eux, se trouvaient des chirurgiens qui pouvaient assister les médecins orcs pour les cas les plus délicats.

Une exclamation choquée avant d’être effrayée perça parmi toutes les autres et attira leur attention. Ils se précipitèrent sur place pour découvrir qu’Isil, à court d’énergie, venait de se transformer en Iqua. Elle avait roulé du lit de camp sur le sol et se trouvait désormais allongée sur le côté. Les aiguilles vénéneuses de sa queue avaient fait trois victimes involontaires dans la confusion. La jeune femme était à peine consciente et incapable de réaliser le danger qu’elle représentait. Ils intervinrent en éloignant tout le monde pour établir un périmètre de sécurité. Le visage déformé des Orcs empoisonnés était si horrifique qu’ils détournèrent les yeux.

La possibilité d’une telle transformation leur avait traversé l’esprit, les Fées avaient donc été mises en garde. Pour ne pas détruire sa tenue ou qu’elle ne se blesse en changeant de forme, les médecins avaient déshabillé Isil. Ainsi donc, elle avait été laissée en sousvêtements avec la chemise sans manches qu’elle avait habituellement sous son armure avant d’être couverte d’un drap. Cependant, après avoir déplacé le camp, tout le monde avait baissé sa garde et oublié qu’elle était présente.

— Vous auriez des pierres chargées d’énergie marine ? demanda Torrarh vers une soigneuse fée. Ça ne fera pas tout, mais ça l’aiderait beaucoup.

— Oui, la reine-mère nous a demandé d’en prendre un lot. Nous n’avons pas eu le temps de les lui donner qu’elle a changé de forme.

— Mettez des tissus épais sur sa queue et humidifiez-les. Gardez autant de distance que possible avec ses épines. Même des gants de cuir ne pourront pas vous protéger, alors faites bien attention.

Ils s’exécutèrent avec les deux amis de la jeune femme pour transporter plusieurs tissus et les lâcher au-dessus d’elle sans la toucher. Les risques d’accidents étant désormais considérablement amoindris, ils pouvaient s’approcher afin de poser le sac de pierres dans ses mains. Par la suite, ils déversèrent avec précaution de l’eau sur elle pour imbiber les tissus dans le but de garder ses écailles bien hydratées. Torrarh savait que ce ne serait pas assez pour couper la transformation, mais ils ne pouvaient rien faire de plus pour leur sécurité et le confort de la demi-Iqua.

Ramilla avait disparu en plus d’être très certainement blessée. Qui plus est, le besoin vital de retourner à la mer était urgent pour sa sœur. Personne ne savait vers laquelle se tourner en premier pour lui sauver la vie. Ils espéraient qu’Akela puisse faire un aller-retour sur la côte la plus proche avec la demi-Iqua le temps que les mages fassent leur office.

— Comment on pourra savoir qu’elle aura assez avec ça ? demanda Katas.

— Quand Isil se remettra à appeler sa sœur, je dirais, répondit Torrarh en haussant les épaules.

— Il y a déjà assez de cris comme ça... Il se passe quoi, au juste ?

— C’est la Dame de Gangrène, répondit un blessé dont le bandage était changé par un médecin.

— Qui ça ? le questionna le fils du feu, aussi confus que son ami rokath, néanmoins ce dernier était en mesure de lui répondre.

— C’est une légende. Rien de plus.

— Les blessures vont de pair avec l’infection et la fièvre, expliqua l’Orc précédent. La gangrène gagne le corps et pourrit les chairs, c’est alors que l’on peut entendre le galop d’un kazan décharné. La Dame est vêtue par les lunes, ses pieds et ses mains sont noircis, comme touchés par la maladie, et elle vient pour se repaître du sang infecté des patients. Plus encore ceux amputés.

Torrarh eut un frisson d’horreur à la description affreuse et blêmit considérablement.

— Avant de rendre leur dernier soupir, beaucoup de personnes touchées par une gangrène ont parlé d’une créature féminine, ajouta Katas. Mais rien n’a pu prouver qu’elle existe vraiment.

— Si tu te bases là-dessus, la moitié des choses qu’on a vécues sont normalement impossibles...

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux avec inquiétude avant que Katas ne tourne les talons.

— Je vais voir Gerrorth.

— Je t’appellerai si on a besoin d’aide.

Il regarda son ami partir rapidement et se sentit rassuré de savoir que le Rokath fraîchement amputé ait quelqu’un pour le veiller.

— Donc les cris des blessés, ce serait à cause des hallucinations ? demanda-t-il à la fois à l’Orc et à la Fée médecin.

— Nombreuses sont les créatures qui sévissent dans l’ombre et les rêves, répondit la femme. C’est aussi le rôle des Tillythiams de protéger l’esprit, n’ayez donc crainte, nous empêcherons tout mal d’être fait.

Ses paroles rassurèrent les blessés autour d’elle. Tous les Orcs sans exception montraient une confiance aveugle en la magie des Fées. Un profond respect et une adoration sans pareille découlaient de leur regard.

— Pour Isil, ça va aller ? se renseigna Torrarh auprès de la mage. La blessure à sa tête semble profonde...

— Des agrafes ont été posées maladroitement, visiblement par ellemême, mais elles tiennent sa plaie fermée. Pour le reste, j’ignore combien de temps une personne à moitié Iqua peut tenir hors de l’eau une fois la transformation forcée faite. Sans la dragonnière pour la transporter, nous ne pouvons malheureusement rien faire d’autre pour le moment.

— Je vous la confie. S’il y a le moindre problème, n’hésitez pas à venir me chercher.

— Merci pour votre dévotion, dit-elle en effectuant une courbette légère, mais élégante, typique de son pays.

— Merci de la vôtre.

L’attente était une telle torture qu’il pouvait presque sentir chaque seconde perforer sa peau et l’agiter. Il tourna en rond un long moment tout en proposant son aide ci et là pour s’occuper. Rapidement, il se vit obligé de s’asseoir auprès d’Isil et patienter sans rien faire.

La jeune femme s’affaiblissait et peinait à respirer. Il essuya un peu son visage avec un tissu humide pour lui apporter son soutien. Heureusement, Akela revint après avoir fini de transporter les mages au volcan. L’état de la demi-Iqua ne lui permit pas de prendre une pause, ils s’activèrent donc à sécuriser son transport.

Ils nouèrent des cordages autour du buste d’Isil afin de la tirer sur un drap large. Ensuite, ils le soulevèrent pour la hisser dans une charrette. Le dragon forma de la glace tout autour pour pouvoir la saisir avant de prendre son envol.

Torrarh regarda l’animal s’éloigner de plus en plus jusqu’à n’être qu’un point à l’horizon. Il s’essuya la bouche d’une main, l’estomac noué d’angoisse et les yeux brillants. Néanmoins, savoir son amie en sécurité et entre de bonnes mains le rassura quelque peu.

Une vibration dans le sol surprit tout le monde avant qu’une intense lumière n’apparaisse au-dessus de Bathirozâd. Tous se tournèrent pour la regarder, autant impressionnés par son envergure que sa puissance. L’intense magie déployée pouvait être ressentie jusqu’à eux et tourbillonnait vers les cieux. Les sombres nuages denses se rassemblèrent pour être aspirés par le cyclone lumineux. La montagne se couvrit progressivement de symboles magiques dont la brillance devenait de plus en plus forte. En parallèle, la pression atmosphérique se densifia jusqu’à leur donner la sensation de suffoquer.

La terre trembla de nouveau, si rudement que tout le monde dans le camp perdit momentanément l’équilibre et que plusieurs objets chutèrent. Torrarh commença à s’inquiéter que le volcan continue son éruption, voire que cela n’augmente sa puissance. À sa grande surprise, il n’en était rien. Le cyclone de lumière rentra dans les profondeurs de la montagne pour en calmer le cœur avant que les symboles ne disparaissent. Enfin, les nuages de cendres se virent transformés en poussière d’étoile et dispersés par un vent magique.

Les Orcs s’exclamèrent joyeusement et louangèrent les Tillythiams dans leur langue natale. Les cendres déjà tombées allaient opérer un changement dans l’environnement pendant quelque temps, mais les dégâts seraient bien moindres comparés à une catastrophe volcanique complète.

Des hurlements de dragons retentirent au loin, mais tout le monde les ignora par habitude. Seul Katas perçut le ton d’avertissement et l’urgence. Soucieux, il se leva d’un bond et regarda dans leur direction. Des bêtes ailées prenaient leur envol depuis les dunes pour fuir plus loin dans les terres. Finnaë le rejoignit avec Torrarh lorsqu’ils le virent ainsi, tous deux s’approchant dans son dos.

— Quelque chose ne va pas ? demanda le mage.

— Tu as toujours des migraines et des nausées ?

— Oui, mais j’ai beaucoup usé de ma magie.

— Ne cherche pas plus loin, je sais pourquoi.

Katas se retourna enfin en soulevant son médaillon entre deux griffes, une expression grave sur le visage. La pierre de son pays natal était parcourue de veines violettes, un signe très distinctif qu’ils connaissaient malheureusement que trop bien. Les deux amis blêmirent à leur tour.

Finnaë s’avança de quelques pas tout en activant le sort mineur sur sa vue afin de l’aiguiser. Il scruta l’horizon attentivement avec ses amis pendant une longue minute avant de distinguer du mouvement. Aussitôt, il le pointa du doigt.

— Ils sont là-bas !

— Tu peux estimer leur nombre ? se renseigna Torrarh.

— Je ne suis pas sûr, peut-être autant qu’à Kesu. La plupart ont d’ailleurs la même apparence. S’ils sont maudits aussi, les approcher n’est pas une option...

— Alors, quoi ? les questionna Katas, aussi nerveux qu’inquiet. On doit partir ?

— Tu penses être capable de faire une attaque combinée ? demanda le fils du feu vers le Nymphe.

Finnaë se concentra pour vérifier sa situation énergétique. Il se mordit la lèvre inférieure en s’apercevant que n’importe quelle tentative magique lui ferait atteindre un seuil critique. Sa réaction suffit pour que les deux autres le comprennent. Torrarh se tourna vers une Fée non loin d’eux qui avait tout entendu et attendait leur verdict avec angoisse.

— Il y a des guerriers parmi les mages qui sont venus en renfort ?

— Non, nous ne sommes que des soigneurs et des enchanteurs. Les guerriers sont à nos frontières pour contrer l’armée qui a passé le lac de Femen pour nous attaquer.

— Ce serait la même armée divisée en deux, vous pensez ? suggéra Katas à ses amis.

— C’est peu probable, répondit Finnaë. Même en trois veccas, ils n’auraient pas pu remonter autant dans le pays. Sans parler que... Oh.

Il s’arrêta soudainement lorsqu’il réalisa la potentielle provenance de leurs ennemis. Soucieux et intrigués, ses amis comme la Fée le questionnèrent du regard. Après une brève hésitation, il ouvrit la bouche.

— Ils viennent de la frontière entre Sidikrath et Fodjagore. C’est possible qu’ils soient sortis des ruines de Sidan...

Ce tour sordide de la nécromancienne ne les surprenait pas, mais cela ne les empêcha pas d’être aussi horrifiés que peinés.

— Qui ici aurait des connaissances magiques suffisantes pour contrer la malédiction sur les armées d’ombres ? demanda Torrarh vers la Fée.

— La reine-mère, sûrement, mais l’apaisement de Bathirozâd l’aura épuisée.

— Et parmi les Fées de l’équipe qui nous a accompagnés ? questionna Katas vers le jeune homme aux cheveux rouges qui se mordait les doigts. Ce ne sont pas des guerrières, mais on nous a dit qu’il y avait des enchanteurs. Les malédictions, c’est leur domaine, non ?

— C’est possible, répondit-il avec un peu d’hésitation, laissant Katas éloigner sa main de sa bouche. Ça vaut le coup de leur demander.

Ils se séparèrent brièvement pour questionner les Fées autour d’eux. Aucune d’elles ne pouvait les aider, leurs connaissances en termes d’enchantement s’arrêtaient au domaine médical. Ils apprirent ainsi que les malédictions étaient une branche très particulière dans l’étude magique. Personne dans l’équipe de secours, hormis Mila, n’avait ces capacités. Finnaë se retrouvait donc être le seul à pouvoir se mesurer à une telle magie. Les trois garçons se réunirent donc pour faire le point.

— Et maintenant ? demanda Katas.

— Quelqu’un a peut-être des pierres d’énergie pour que Finnaë puisse se remettre d’aplomb, dit Torrarh.

— Je vais voir celle qui s’est occupée d’Isil, déclara le concerné. C’est elle qui a ces pierres.

— On va préparer ceux qui sont encore capables de tenir une arme, rejoins-nous devant le camp quand tu seras prêt.

Il acquiesça avant de partir au pas de course. Plusieurs fois, il sautilla sur place pour éviter les personnes de justesse et les contourner, ce, jusqu’à trouver la Fée qu’il voulait. La femme était surprise par son entrée, mais l’écouta attentivement avant de chercher dans le stock de ses besaces. Elle parvint à trouver seulement une petite pierre chargée d’énergie végétale, les autres ayant déjà servi pour divers soins. Bien que ce fût peu, cela serait suffisant pour lancer une attaque.

Il accepta la pierre et rejoignit ses amis qu’il chercha parmi tous les Orcs armés qui se réunissaient. Torrarh lui fit un signe de la main en l’appelant, il se rendit donc rapidement à ses côtés.

— Elle n’avait plus grand-chose, ce sont les mêmes pierres dont se servent les médecins. Ça ira ?

— On fera avec.

— T’as besoin de combien de temps ?

— Je vais essayer d’accélérer le processus d’assimilation. Je risque d’être malade, par contre, donc ne reste pas trop près.

Pour être plus à l’aise, Finnaë s’assit en tailleur sur le sol et maintint la pierre entre ses deux paumes. Il s’accouda à ses cuisses et posa son front sur ses mains avant de fermer les yeux. Après un bref instant, Torrarh et les Orcs virent avec stupéfaction l’énergie verte sortir d’entre les mains du Nymphe. Elle tournoya doucement en spirale autour de son corps jusqu’à rentrer à l’intérieur de lui.

La fascination du fils du feu se coupa lorsqu’il vit son partenaire avoir un premier haut-le-cœur. Il réagit et alla vite chercher un seau ou un récipient quelconque. Dès qu’il en eut un, il retourna auprès du mage qui était encore en pleine méditation. Très discrètement, un Orc demanda à Torrarh le temps que ça prendrait, mais il put répondre que par un haussement d’épaules.

Ce qui l’inquiétait le plus était les limites de son ami. Il le connaissait si bien désormais qu’il pouvait deviner à ses réactions et la pâleur de son visage où ses réserves en étaient exactement. Bien que Finnaë ne se plaignît pas, il l’avait vu bouger les épaules et s’étirer le dos plusieurs fois, ce qui signifiait que ses ailes étaient prêtes à sortir.

Il demanda aux soldats de préparer leurs flèches et leurs lames pour pouvoir les enflammer grâce à de l’huile. Torrarh gardait un œil sur le mage ainsi que l’avancée de l’armée d’ombres pendant qu’ils procédaient. L’urgence ressentie lui donnait la sensation de glace acide dans ses veines, un poids colossal pesant dans son estomac.

Finnaë eut un haut-le-cœur plus fort que ceux précédents, ce qui attira son attention. Dès qu’il le vit prêt à vomir, il bondit à ses côtés et lui présenta le seau. Doucement, il caressa le haut de son dos sans passer sur les omoplates pour ne pas éveiller ses douleurs déjà présentes. Le mage se sentit un peu mieux et se redressa en s’essuyant la bouche avec le bord de sa capeline à son épaule. Katas et lui-même portaient encore leur armure au complet, ils étaient bien protégés au contraire de nombreux soldats, dont Torrarh. Il tenait donc à éliminer le plus d’ombres possible pour les protéger.

— Allons-y, dit-il.

Il était encore pâle, mais Torrarh pouvait sentir son énergie être plus stable que quelques minutes plus tôt. Les Orcs étaient toujours méfiants envers le Nymphe, mais par respect, ils ne montrèrent rien et les laissèrent s’avancer au-devant de leur armée.

Pendant qu’ils marchaient, le fils du feu empêcha son ami de trébucher et s’inquiéta aussitôt.

— Tu es sûr que ça va aller ?

— On n’a pas le choix, c’est eux ou nous.

— On ne sait pas encore s’ils sont bien maudits...

— Ils sont beaucoup trop nombreux pour le peu de soldats qu’il reste.

Les trois quarts ont été blessés par ma faute, c’est à moi de réparer ça.

Torrarh savait qu’il ne pourrait pas lui faire entendre raison à ce sujet, il opta donc pour une autre forme de soutien. Il saisit doucement sa main afin que leur regard s’accroche et prononça quelques paroles avec assurance.

— On va réparer ça.

Il tenait à lui faire comprendre qu’il n’était pas seul dans son combat et qu’il pouvait se reposer sur ses amis sans honte ni crainte. Dans les prunelles vert malachite, il devinait son inquiétude, son incertitude, mais également son envie d’y croire. Ses émotions étaient encore éteintes après son effondrement psychologique, cependant, il pouvait encore distinguer cette petite flamme de vie en lui. Bien que cela parût peu, il estimait cette chance comme inestimable : il y avait encore un espoir et Finnaë le saisirait lorsqu’il serait prêt.

— Est-ce que tu peux voir d’ici ce qu’ils sont ?

— Je vais essayer.

Finnaë observa l’horizon grâce à son sort mineur et réussit à mieux distinguer les corps décharnés qui avançaient vers eux. Deux détails lui sautèrent aux yeux et l’un d’eux le fit réagir d’une légère expression décontenancée.

— Quoi ? demanda Torrarh. Ils ne sont pas maudits ?

— Si, mais ce sont des soldats : ces Orcs et ces Rokaths ont tous des armures. Si je me souviens bien, le rapport du massacre de Sidan mentionne un village, il devrait donc y avoir des villageois également, non ?

— Il n’y en a vraiment aucun ?

— Pas un.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire, encore...

— C’est peut-être une armée qui vient d’ailleurs.

— De la frontière où se tenait Sidan ? Non, ce sont forcément eux.

— Le meilleur moyen serait d’en apprendre plus sur les ruines.

— Gardons ça en tête. Pour le moment, on va s’occuper d’eux et sauver autant de gens que possible, d’accord ?