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Delphine Bell considère la littérature comme une quête qui la mène vers son destin et sa lignée généalogique. Avec Inattendu, elle entend apporter de nouvelles pistes de réflexion et de solutions dans une période trouble et… inattendue. À la limite du drôle et du lucide, ce journal intime est une excursion, sous bonne escorte, dans une vie singulière.
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Seitenzahl: 237
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Delphine Bell
Inattendu
Roman
© Lys Bleu Éditions – Delphine Bell
ISBN :979-10-377-5318-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce journal est la suite de Dernière Liberté et retrace les mois de confinement pendant l’épidémie du Coronavirus.
Il reprend mes thèmes favoris : la liberté, le destin, la solidarité et les valeurs familiales.
Est-on vraiment au contrôle de sa vie ?
Décidons-nous de tout ?
Et qui sommes-nous vraiment ?
Le journal fait le balancier entre plusieurs époques, l’une éclairant l’autre.
Ce journal tente aussi de retracer historiquement une période définie.
Sommes-nous vraiment confinés ?
Ou libres ?
Première ou dernière liberté ? Rédactrice en chef des deux webzines ci-dessous, je vous propose un livre personnel qui peut renverser nos certitudes et pensées.
C’est un témoignage unique et parfaitement original : cela peut-il vous alerter ?
Bonne lecture !
Delphine Bell
Je me suis levée très tôt, trop tôt ? Après tout, pour la première fois, je n’ai pas de programme, de listes, rien.
Rien, le néant, il a falloir s’inventer, se regarder en face ?
Peut-être. Qui l’eut cru ? Une forme de guerre, étrange, fantomatique que tout le monde semble accepter. Et que je vais écrire, comme une forme de témoignage historique ? Une parole, que je ne cesse d’expulser, un témoignage que je veux entier.
Je supplie, moi qui ai toujours privilégié l’extérieur, la parole ouverte, le dialogue franc.
Curieusement, je n’ai pas peur, non, j’ai affronté déjà un monstre, celui qui grossissait de façon invisible chez mes parents, peu à peu. Au début, je refusais de voir, de constater, et puis…
Le même coup ne va pas se répéter, non ? Ils ne voient pas cela, et une forme de soulagement s’installe, Comme s’ils avaient prévu leur départ pour ne pas affronter une autre forme de guerre.
La guerre… Macron a utilisé le mot, mais ne le sommes-nous pas depuis longtemps ? Un refus de la fin, de l’impuissance, que la 4d, l’intelligence artificielle n’a pas terrassé ? Je commence ce journal un peu perplexe. Combien de temps ?
Ce fichu temps dont je parle dans mon premier opus, Dernière Liberté, il nous contrôle, lui, le véritable dictateur.
Mon couple m’évoque La cigale et la Fourmi, cher La Fontaine, sommes-nous Mat et moi collapsologues ou juste prévoyants ? Je n’aurai jamais cru qu’un jour, je compterai les pâtes, le riz, l’eau…
Je le fais calmement. Stoïquement. Je pense à eux, que j’ai aimés de façon si intense, et encore, ils ont traversé la guerre en en parlant très peu, ou à mi-mots, comme s’il fallait en avoir honte.
Et je ne rebondissais jamais, au grand jamais.
Silence radio, mais pourquoi ?
Mon incuriosité me fait honte à moi aussi, j’aurais dû poser plus de questions, beaucoup plus, je ne remplirai pas les trous comme cela maintenant.
Je suis seule, avec mon journal, Une épidémie ?
Une épiphanie ?
Épidéphanie…
Le mot est saugrenu.
Chaque matin, je me connecte, curieux mot, non ? Les écrans sont en train de nous sauver un peu, Il ne manquerait plus qu’ils nous lâchent, une nouvelle bâche de l’existence.
Il faut briser les forces du digital, ouvrir les mots.
Sylla se barricade avec sa mère, assez âgée, je prends des nouvelles religieusement, Saby rigole parfois, mais un peu moins.
Je me rends compte que je n’appelle que les amies essentielles, et les collègues, de fausses smilles, de temps en temps, hum oui le fameux essentiel dont parle Macron et que j’ai déjà usé.
Il y a trois ans. À Gustave Roussy. Le dernier dialogue, jusqu’au bout, et que je fais semblant de convoquer parfois.
Je n’ai plus que le toucher de la mémoire, un territoire qui compense un peu ce marasme.
Parfois, je suis curieusement soulagée, comme si je devais affronter ce pan de vie seule, m’épargner une angoisse inutile, laver les vêtements, les ustensiles, se tenir à distance, tout le temps, se poser des questions qui étaient si anodines, repenser sa vie, non mes parents ne méritaient pas cela…
Ont-ils prévu leur coup ?
Ont-ils été si intelligents ? Profiter des trente glorieuses pour éviter la dégradation lente et certaine d’un monde qui n’a pas évité la chute de ses fondations ?
Elle avait un faible sourire, comme si elle anticipait déjà, je la voulais pour moi seule, pour toujours mais…
Mais. L’imprévisible, le signe faible que personne ne prend le temps d’analyser mais qui reviendra comme un boomerang. Maman, tu serais tellement perplexe devant cet inextricable, je garde mes jolis souvenirs, que dis-je ?
Une belle mémoire, que je consigne dans ce carnet, jour après jour.
Et le ciel nous surplombe, d’un bleu inchangé.
Je me lève la première, comme s’il ne fallait pas rater quelque chose, quoi ?
Le bois nous surplombe comme un élément qui ne pliera pas et je semble rassurée. La vie devient un pari journalier alors que les chiffres lugubres nous inondent. Les décès s’accumulent et de façon contrastée, j’aperçois les premiers joggeurs qui tentent de braver le temps.
J’affronte une fois encore la question du temps et de la santé, un poids qui oblige au calme et une presque résignation. Mat montre un visage impassible mais qu’éprouve-t-il vraiment ?
La concentration devient une arme, au bord du gouffre, il faut trouver un juste équilibre. « L’équilibre de la vie » dirait papa, l’air bonhomme, comme un témoignage d’une existence qui a finalement trouvé une conclusion juste.
Aide-moi, mon merveilleux papa, celui qui n’aurait jamais cru que ses enfants se situaient dans une vie à présent quadrillée.
Nous n’avons pas droit à la liberté, papa et maman, vous oui.
Votre dernière liberté.
Nous continuons comme si de rien n’était, Mat travaille, moi j’écris, la routine sauve.
Je me pose une question, une essentielle, où serons-nous ? La semaine prochaine ? L’année prochaine ? Quel temps nous est dévolu ?
Avons-nous encore le temps ?
Fichu temps, sacré temps, tu es si tyrannique… Comment te dompter ?
T’aliéner ?
Le chant des oiseaux est strident, très clair et il règne une nouvelle qualité de silence, presque effrayant. Non, l’humanité est encore là…
Que dirait papa ? Voudrait-il aider les hôpitaux surchargés ? Mais non, papa, tu dois rester confiné dans to Ehpad, mon dieu j’aimerais entendre le son de ta voix.
Peut-être ne comprendrais-tu rien… Je me lève tôt avant tout le monde, comme pour apprécier et déprécier ce temps suspendu, qui nous balance tous. Les nouvelles sont davantage alarmantes, j’ai envie de tout couper, et non…
Je continue, nous continuons. Que diront les manuels dans cinquante ans ? Un virus invisible fait sa loi ? Comme une maladie l’a imposée aussi il ya presque trois ans ? Peu à peu, insidieusement, graduellement, sillonnant notre impuissance.
Mat a l’air parfois déboussolé, et je soupire, j’aurais aimé aussi qu’un simple geste d’hygiène eût pu nous aider il y a un certain temps, bof, maman, ce n’est pas grave, la chimio, eh oui…
Tu peux te laver les mains ! Que ferait-elle d’ailleurs ? Je ne le saurai jamais et je suis pratiquement sereine, je lui évite cet épisode. Enfin, elle a décidé, seule. Ultime liberté, décision, allons-nous l’avoir ?
La main ultime du destin ? Le scénario ressemble à un mauvais film hollywoodien et calque aussi une absence de raisonnement lucide, que pouvons-nous ?
C’est notre heure, dirais-tu peut-être maman, avec ton visage clair et beau, en synthétisant le trésor de ta vie passée. Je suis obligée de m’inventer un faux dialogue que je reconstitue avec netteté, nous allons être sans vous, Mike et moi, un filet de protection solide. Qui comble le vide.
Je le sais, aujourd’hui, je devrais être au Salon du livre, serrant des mains, souriant, fière de souligner des dédicaces, avec mon seul embryon, héritage livresque, ce qu’il me reste. Oui, oui, maman était extraordinaire, oui, elle a fait un drôle de choix, mais peut-être savait elle ce qui nous attendait, non ?
Elle était très intelligente, vous savez, et l’apocalypse ne l’intéressait pas, le néant, le vertige, non merci.
Et nous ? Il nous reste à tracer encore une belle synthèse de nos vies, ah encore merci.
Mille diable mercis, presque 49 ans et j’ai déjà une vision de la guerre invisible en face de moi.
Il faut combattre, certes, mais où est l’ennemi ?
Le Salon du livre m’échappe, mais je me cramponne.
Je suis fière de nous pour l’instant : nous menons notre vie comme si de rien n’était et les journées défilent presque normalement. Mais peut-on dire que tout est normal ?
Les pandémies ont toujours existé, la donnée essentielle est que la modernité a oblitéré une connaissance toujours sous-jacente. Oui, les microbes, les bactéries existent toujours. Papa me parlait toujours de son otite pendant la guerre, qui a laissé des petites séquelles et je n’écoutais pas vraiment. Nous étions parfaitement heureux et c’est cela qui comptait, aucune anicroche ne pouvait s’immiscer.
Nous avons entendu Edgar Morin hier, cent ans !! Il souriait, parlait d’un flot continu et raisonnable, c’est peut-être le secret.
Je soupire, Mat a certainement raison mais cent ans ? Edgar Morin défie toutes les perspectives et tant mieux, Je travaille sur la longévité incroyable de ces gens nés dans les années 20 et qui continuent leur bonhomme de chemin, se posent-ils autant de questions ?
À quoi papa aurait ressemblé à cent ans ?
S’il n’avait pas décidé autrement ?
Et elle ?
Son visage était encore lisse à presque 73 ans, « tu pourrais veiller sur moi » maugrée je parfois le soir de ces journées de confinement. Mais je le sais pertinemment : elle serait si affligée, angoissée, la volonté serait inutile, pourquoi faire ? me dirait-elle certainement.
Bref, Edgar Morin continue à sourire.
Et Mat me propose des activités comme si nous étions en vacances, j’obtempère en silence.
Il faut laver, dégraisser, organiser, s’activer sur ce nouvel emploi du temps qui impose un rythme un peu effroyable.
Et, après, allons-nous nous habituer à une nouvelle forme de liberté ? Allons-nous lui donner une nouvelle définition ?
Vis selon ton propre rythme, me disait-elle, dans nos nombreuses balades, les cheveux au vent.
Oh, maman, tu ne vois pas cela, Si j’avais su…
Le soleil est éclatant chaque jour et il retentit comme une provocation, Saby a déclaré dans un rire un peu angoissé :
Je me demande chaque jour si la situation est bien tangible et réelle, mais je m’applique à ne pas laisser tomber, être forte…
Nous avons un programme bien défini, du télétravail, des horaires de repas comme à la cantine, des échanges différents… Chaque jour, des philosophes nous exhortent à être optimistes, voir une leçon dans chaque expérience mais hier, un premier médecin est mort, retraité, il voulait simplement aider, être utile et tout est allé très vite.
Il était plus jeune que maman. Je ne sais pas s’il a dit d’un ton laconique « J’ai fait le job », maman, ton attitude maintenant évoque un enfant gâté ? Les gens se battent, tu sais, maman et j’aimerais tant pouvoir échanger avec toi. Tu aurais tellement de choses à dire… J’ai beau recréer parfois un espace vital avec toi, je rumine parfois ma colère.
Ici, il n’y a pas de traitement, de vaccin. Tout symbolise une gifle à présent. Mon passé, si précieux, et ce présent, encore protégé, mais cloisonné par les barrières invisibles, le pire. Je dois découvrir une nouvelle force, en moi, autour de moi, car…
Vous êtes invisibles aussi. L’écriture semble vous donner une seconde vie mais vous échappez au pire.
Et moi aussi, je pourrai sourire gentiment.
Bravement.
La bataille continue…
Hier, un brillant médecin a avoué qu’il savait que maintenant, « il allait au front », oui sa vie est risquée… Comment vivre avec une mission certes divine mais dangereuse ?
Ce vocabulaire de guerre me terrifie, le temps joue contre nous et l’inconnu est notre paysage, où serons-nous dans un mois ? Mat et moi nous accrochons à une routine, les repas aux heures fixes, le travail, les films, tiens hier je suis restée scotchée devant le gendarme à Saint-Tropez et tout semblait irréel, cette lente torpeur et insouciance des années soixante, le rire, le soleil…
Tiens, il est encore là aujourd’hui, tel un faux décor.
Un trompe l’ennemi ?
Certains écrivains tiennent aussi leur journal du confinement et éveillent les polémiques, comment associer le badin et le danger ? Vaste question mais surtout, Il faut saisir la vérité, celle des êtres surtout, hors de notre nombril. Peut-être un jour, dans cinquante ans, mille ans, le témoignage de ce que nous vivons éveillera aussi des sentiments étranges, un peu comme moi hier devant Louis de Funès, qui étions nous vraiment ?
Le temps est assassin.
Un mauvais fantassin.
Curieusement, les journées passent vite, Sylla le répète « ceux qui ont une vie intérieure s’en sortent ».
Hum, Sylla, et les autres ? Le privilège de lire, écrire, jardiner reste un dernier rempart. Je pense à ce médecin, le matin, qui ne sait pas où tout cela va le mener. Un héros, celui qui résiste, qui s’affirme, qui se définit par l’extérieur, un mouvement de force qui caractérise l’histoire.
Et nous nageons dedans.
Mon père qui était aussi soignant ne verra pas ce cataclysme, il ne verra pas l’amplitude de vie de ce médecin, seul lui aussi.
Papa, tu sais, la terre tourne mal… Il me disait qu’il me défendrait, qu’il serait là, et puis non, je suis seule.
Enfin, non, ce matin ? Mat m’a donné son masque, allez, tiens, tu seras mieux avec. Je l’ai disposé sur mon visage, avec des gants sur les mains, j’ai vraiment constaté que la situation était pernicieusement incroyable.
Et pas vivable.
Je lui ai opposé un visage plein d’espoir, surtout pas noir. Je ne suis pas exilée ni seule, il a pris le relais.
Je suis certes soulagée mais j’aimerais tellement m’inquiéter pour vous.
Le contraste est absurde entre la situation alarmante des hôpitaux et ce soleil assourdissant, le même qui m’oppressait lorsque il ya trois ans je suis rentrée du Vietnam et que maman commençait à tousser, la même rengaine étouffante, oh ce n’est rien, NON.
Ce n’est pas rien et les sempiternels médecins qui minimisaient l’épidémie nous donnent des leçons de morale sur leur ignorance presque rance.
Oui, j’ai fait une rime, car pour contrer les mauvais souvenirs, les rôles inversés que maman ne supportait plus à la fin, elle qui maîtrisait tout de bout en bout, j’ai décidé, comme un instinct de survie, de participer à un concours de poésie. Elle ne sauvera pas le monde mais le remplira de beauté, celle qui me sauve un peu chaque jour.
La beauté en lutte avec la mortalité…
Et cette mortalité qui ne nous inflige aucune pitié…
Non ? Il faut que je travaille, car le travail, la discipline nous cadrent aussi avec confort. Un poème sur eux, sur elle, qui a fini sa vie sur cette phrase absolue :
Tout est en ordre.
Comme une réponse au futur désordre…
TU as fini en beauté
Moi qui priais sur ta longévité…
Tu nous as imposé ta piété ;
Sans nous préparer…
Oui, je t’aimais
Sans un mais…
Bon, ce sont les premiers jets, j’ai lu que François Cheng, poète préféré de papa, pouvait passer des heures sur une même rime, qui finit en hymne ?
Je m’amuse presque, la poésie est un jeu subtil qui éclaire ma vie l’espace d’un instant, plus que ce soleil étrangleur, joueur, qui me rappelle de mauvaises heures… Je fais des brouillons, je tâtonne, je pense rentrer une version dimanche, pourquoi pas ?
Ce poème sera une tentative de retrouver un dialogue que j’aimerais entamer chaque jour, car si je répète que je suis soulagée qu’ils ne voient pas ce carnage, je suis…
Dans une petite cage. Beaucoup trop sage.
Applaudissements ?
Je ne savais que, seule, sans eux, avec le clapotis derrière de l’ordinateur de Mat, je pouvais retrouver du sens, un sens. Celui qui transcende et anime.
Le temps est à la lenteur, la torpeur, chaque jour je me dis, bien, nous vivons une expérience commune mais incompréhensible. Hier, une adolescente est morte.
Ce virus combat toutes les certitudes, pourquoi elle ? J’ai eu 16 ans aussi, une véritable insouciance offerte et construite par mes parents, impression désagréable que ma vie a été coupée en deux…
Le temps est lâche
Sans relâche
Il construit sa tâche
Comme une vulgaire hache
Tic toc
Toc tic
Il nous surplombe et nous pique…
Je continue mon travail poétique, j’ai besoin d’une lumière, nous ne pouvons ignorer ces vies perdues. Surtout pas, ce journal du confinement n’est un témoignage brut de ce qui se passe :
Qui se souviendra de ce que nous avons vécu ?
Qui comprendra vraiment notre angoisse existentielle ?
La solitude est compacte et sourde, mais je suis entourée, la seule arme.
La solidarité est de mise : étant la plus âgée des deux, Mat insiste pour faire les courses ; je suis face à cet ennemi fantomatique, le temps.
Doublé d’un virus !
Je lui souris faiblement, maman serait tellement soulagée, tu vois, ton mari est formidable, oui, parfois, je fais comme si elle était là. Étrangement là. Elle ne peut pas m’avoir abandonnée comme cela.
Des personnalités partent aussi, comme cela, rapidement, ce virus ne connaît aucune frontière, aucune limite.
Comme ce vulgaire cancer. Sauf, que maman, il y avait un traitement, beaucoup de personnes aimeraient avoir connu ton sort. Les statistiques étaient excellentes.
Zut, flûte, maman, j’ai de la colère aujourd’hui, il fallait juste s’armer de patience, juste cela, mon apaisement récent cède à la rancune. Tu pourrais être là. Les gens qui partent, plus jeunes, plus fragiles, isolés parce que la crise est plus grave, seraient aussi fous de rage.
Il est de bon ton d’échanger des commentaires flatteurs, philosophiques, mais en réalité, nous perdons nos repères, bien pépères. J’ai traversé cela avec leur maladie, qui n’a prévenu personne, et curieusement, leur dernière liberté a été respectée. Ils ont posé leur cadre, d’ailleurs papa l’a ouvert un soir de janvier, ah je suis gonflée de colère aujourd’hui, fallait-il être aussi radicaux ?
J’ai soupiré et envoyé mon poème au concours que j’ai trouvé, un peu comme avant quand je leur envoyais des poésies pour la fête des mères ou des pères, ce bon temps festif, excentrique, compatissant, gratifiant.
Il faut sortir des mauvais sentiments et la poésie élevée…
Déjà quinze jours… Heureusement, nous nous sommes échappés juste avant, pas loin, juste sereins. C’est une drôle d’impression, nous pouvions être entourées de gens, échanger ou pas, rire, nous mouvoir…
La définition de la vraie liberté ? Quelle ambiguïté, nous sommes obligés d’être confinés pour notre liberté… Le temps nous impose son rythme, implacable. Heureusement, j’ai envoyé mon poème, une véritable soupape, je suis soulagée, comme si un peu de beauté subsistait et…
Que nous pouvions la rattraper !
Je travaille beaucoup, je tiens mon webzine, j’écris, et je remplace des collègues trop nombreux et malades dans mon autre poste, je suis ce qu’on appelle une « Slasher », deux ou trois métiers à la fois. Il faut diviser pour régner ? Maman disait avec son joli air mutin, il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier, et du coup…
Je tiens le coup, j’ai même du travail en plus alors que mes amis tombent un à un dans le chômage partiel ou total ; merci maman, encore une fois ! Tu étais si perspicace, pressentais-tu ce marasme ?
Cette phrase résonne dans ma tête chaque matin. Je te vois, découpant des annonces pour moi, me trouvant un poste prestigieux, Delphine tu pourrais envoyer ton CV, Toi maman, Tu étais uniquement concentrée sur tes enfants, ta famille, alors pourquoi es-tu partie, comme cela, comme un coup de vent ?
Je suis étrangement seule maman, cet ennemi invisible qui t’a décapitée toi aussi, mais…
C’est ton choix, absolu, personne n’a le choix à présent. Nous continuerons, avec cette fameuse résilience qui trahit notre patience. Nous avançons avec des limites, des frontières, des haies, ce que tu as contourné joyeusement, indiciblement, tu ne connaîtras jamais cette période. Mat prend des risques, le plus jeune, te rends-tu compte du vocabulaire guerrier que nous utilisons ? L’aurais-je cru un jour ? Nous sommes sidérés, éberlués, presque résignés.
Ce matin, Mat a mis un masque et a dit :
Maman, ce matin, Mat était triste, profondément triste, et…
Il a dix ans de moins que moi.
Il est jeune, maman.
J’ai longtemps marché dans une ville sans âme, sans cœur, ah si stridente d’un silence que je ne connaissais pas. Ce décalage entre une réalité sombre et ce calme insidieux est aberrant.
Hier, j’ai eu droit à mon premier quiproquo de confinement, Mat est allé sérieusement accomplir son devoir de victuailles et j’ai marché dans la ville déserte.
Mine de rien, ce calme est salvateur, Il rassure parfois. Tout d’un coup, je l’ai vu filer dans la voiture, et j’ai couru derrière lui.
Attends-moi… Je suis restée, médusée dans mon incompréhension, où allait-il ? J’ai marché, marché, A-t-il eu assez de ce confinement, lui qui restait droit dans ses principes ? Et si je restais seule, oubliée de tous ? Le soleil était encore glacial par son absurdité, Et je déambulais seule, avec mes souvenirs, maman autrefois admirant les bâtisses de la ville, « l’architecture est belle, non ? » « C’est formidable, ici… »
Et le pire… « Quand je passerai l’arme à gauche, je saurai que tu es bien… », avait-elle dit calmement et assurément.
Quand je passerai l’arme à gauche… Justement, je ne suis pas bien, je cherche, où est-il ? Pourquoi a-t-il pris la voiture ? Je ne suis même plus habituée à la solitude. Se débrouiller seule, ne pas parler tout le temps, donner et demander son avis, ce que Mike fait si bien. Mike que j’appelle tous les jours et qui semble prendre la situation avec recul.
Quel est le mode d’emploi ? Comment être tout le temps forte ? Résolue ? J’avoue que j’en ai assez.
Mat est rentré une heure plus tard, les marchés étaient bondés, il est allé dans une autre ville. Le sac était rempli :
Oui, il ne faut plus sortir, il ne faut plus, la société adepte d’intelligence artificielle bloque sur un virus, et avant c’est un cancer que l’on soigne avec des traitements nauséabonds, Je parlais dans mon premier opus Dernière liberté de cette société du rendement et de la performance qui s’achève dans un éboulement général que plus personne ne maîtrise.
La maîtrise, mes parents l’ont organisé eux aussi, ils ont voulu le dernier mot, leur mot final.
L’aurons-nous ?
Je ne sais pas pourquoi je me lève tôt. Si, lorsque j’écris, j’oublie tout.
« L’écriture est une aventure », disait papa, en riant.
Mon papa, sais-tu qu’ils se battent contre un virus impossible ? Le sais-tu ? Et je te vois déambuler, faiblement, les derniers temps, avec moi.
Oui, papa, au moins, j’ai ces derniers souvenirs de victuaille et de tripaille où pourtant tu évoquais tout le temps sa mémoire, la vôtre. Cette guerre est certes commune mais pernicieuse et je ne suis pas certaine que tu aurais aimé cela.
Aurais-tu même compris ?
Ce que nous même nous ne comprenons pas ?
Il faut que je sois une guerrière, papa.
Pour toi, pour vous…
Le Premier ministre l’a annoncé : nous sommes en dé confinement.
Mais non, ce n’est pas pour maintenant.
Pas de poisson d’avril cette année, Nous l’avons dans le nez.
Non, je ne peux pas devenir amusante, non, je ne dis rien à Mat. Je ne dis rien tout court. Une fois, j’ai fait croire à mon père que j’avais raté mes examens, j’ai un souvenir clair de cette période, j’étais si heureuse de mon succès que j’avais envie d’être rieuse.
Il n’a pas apprécié.
Je me suis excusée tout de go, Il s’occupait tellement de moi, mes études, mes choix.
Et là, je ne sais pas où l’on va… Allo, Delphine ?
Allo, Delphine.
La voix éraillée est partie.
Je me force à avoir une discipline, Mat m’aide beaucoup dans ce sens. Faire un peu comme si de rien n’était, le peut-on ?
Le soleil est toujours glaçant d’aveuglement, une impression réceptive et fausse de savourer un temps, oui mais incertain. Certains clichés reprennent, il faut aller de l’avant, interroger ce nouveau temps, oui mais pourquoi nous est-il tombé dessus ? Il est un rappel cruel de la maladie de maman, un mal intérieur et invisible qui a broyé notre vie mais…
Il y avait un traitement et j’ai pu savoir que sa piété la protégeait de l’ignorance de l’après.
Voilà, il faudrait s’en réjouir. Je balaie les images, elle serait là, tranquille, je m’occuperai d’elle, encore et encore.
Et je ne peux m’empêcher de savourer les images des derniers mois, tranquilles, heureux, savoureux, un faux couperet en guise de rémission.
Comme maintenant ? Vivons-nous une illusion, à échelle planétaire ?
Nous essayons d’enrichir et enjoliver la vie, des gâteaux, des lectures, que sais-je ? Il faut compenser et oublier parfois. Nous sommes en tête à tête depuis 17 jours et nous organisons une équipe performante.
La performance, n’est-ce pas ce que cette société a toujours réclamé ?