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« Un matin, mon père a décidé de partir, nous laissant… Sans un mot, une trace. Où es-tu, papa ? Qui es-tu vraiment ? Toi, le père magnifique de mon enfance, dévoué, libre aussi. Ce livre est une quête, un roman policier et existentiel sur un père que je cherche encore. Il entrelace les écrits de celui qui fut un passionné de l’écriture et de la littérature. Et il pose une question : les êtres que l’on aime nous échappent-ils ? Possède-t-on vraiment ceux qu’on aime ? Qui est-on vraiment ? Papa est parti mais… Je peux écrire. »
A PROPOS DE L'AUTEURE
Pour
Delphine Bell,
Roi et toi représente une quête qui mène à son destin personnel et à sa lignée généalogique.
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Seitenzahl: 274
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Delphine Bell
Roi et toi
Roman
© Lys Bleu Éditions – Delphine Bell
ISBN :979-10-377-5261-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’exil ne peut exister avec l’écriture, c’est une salvation.
Papa
Rédactrice en chef du site cosmopolite intelligently-fashionable.blogspot.com et coach d’anglais dans de grands groupes, j’ai voulu raconter mon histoire, celle de mes parents.
Ce livre est la suite de Dernière Liberté, le livre consacré à ma mère.
Un matin, mon père a décidé de partir, nous laissant…
Sans un mot, une trace.
Où es-tu papa ?
Qui es-tu vraiment ?
Toi, le père magnifique de mon enfance, dévoué, libre aussi.
Ce livre est une quête, un roman policier et existentiel sur un père que je cherche encore.
Il entrelace les écrits de celui qui fut un passionné de l’écriture et de la littérature.
Et il pose une question : « Les êtres que l’on aime nous échappent-ils ? »
Possède-t-on vraiment ceux qu’on aime ?
Qui est-on vraiment ?
Papa est parti mais… Je peux écrire.
J’écris. Toujours.
Chaque jour…
C’est une mission que je m’octroie avec une grande attention…
Je guette une enquête qui, je l’espère, va tout mettre à nu sous une lumière crue.
Je n’éviterai aucun écueil, même pas le deuil.
Avec comme seule arme l’amour pour vous, je m’infiltre dans ce récit en mettant de côté les poncifs, la peur et le politically correct, si inutiles.
Et peut-être, papa, je te verrai enfin, parfois m’attendant devant notre ancien appartement, sagement, et nous partirons tous les deux, côte à côte comme nous savions si bien le faire.
Le temps ne serait peut-être pas joyeux mais nous oui.
Papa, où es-tu ?
Qui étais-tu ?
Je me lance dans cette cartographie qui me mène là où je ne sais pas, avec maman, sur un chemin stable et méritant.
« Mais où est ton père ? » disais-tu parfois en vacances lorsque nous le cherchions.
Et il surgissait de nulle part, avec un sourire toujours gêné, j’écoutais un concert…
La musique : une donnée de ta vie, elle me manque, de ce temps où nous n’étions pas séparés par une lugubre maison de dépendance, où tu as laissé quelque chose de ton âme, comme tous les autres résidents.
Papa, je suis toujours ta petite fille qui te cherche…
Mais où, où est ton père ?
Ceci est la dernière lettre de maman à papa, le jour de son anniversaire, il était depuis quatre mois en Ephad :
« Nous voilà, toi et moi, comme deux naufragés, mais tenant l’un à l’autre et dans le même bateau, je te sais maintenant en sécurité, au cas où l’avenir viendrait à me manquer, je t’embrasse. »
Mike m’a donné cette lettre un jour, un an après, au fil de ses découvertes, je suis restée tétanisée pendant une journée, Anne, une amie de Mike, mon frère, a été bouleversée aussi et cette communion devant cette dernière lettre sobre mais intense est le début de ce deuxième opus après Dernière Liberté.
Il aurait pu s’intituler deuxième liberté… Ou incompréhensible liberté…
Comme tout cela est étrange…
Papa n’a jamais lu cette lettre, il m’a confié qu’il a raté un dernier appel, sa voix était fluette…
Rêve ? Réalité ?
Je les revois juste, tous les deux, se serrant la main, le dernier Noël. « On va y arriver, cocotte », disait-il, et je n’existais plus, ils se doutaient peut être… Ils étaient un peu perdus, avant une accalmie que je croyais éternelle, peut-être la plus belle période de ma vie, la plus riche et éphémère, ils étaient parvenus jusque-là, mon dieu, un dernier effort…
Mais non.
Papa, qu’as-tu fait ? Pourquoi ? Nous étions si tranquilles.
« Tu verras, quand je ne serai plus là », m’as-tu dit le dernier anniversaire avant ta fuite, le mien, tu marchais tel un jeune homme de plus de 80 ans, c’était ton surnom allègre que tu te donnais parfois…
Oui, je vois.
Je vois très clair, avec un recul presque trop rationnel.
Ce deuxième opus est à la fois une recréation magique de ce que vous nous avez donné à Mike et moi, et une exploration minutieuse de ce que je ne comprends pas, et ce que je ne pourrai accepter.
L’écriture est là, ton plus bel héritage.
Paris, ma ville natale, était pour toi un territoire artistique, et souvent mon frère et moi nous nous y frottions avec joie. Rien n’était improvisé avec toi, mais tout résonne d’un bonheur familial parfait.
Je revois et j’écris tout cela avec délice…
Sans malice.
Ainsi, chaque pixel de ton cerveau est bien là et notre ancienne vie où tout était sur des rails.
Alors, encore, chaque jour, je cherche une solution, je n’arrêterai jamais.
Ma plus belle histoire c’est vous.
Barbara
Pré-chapitre
(J’invente un nouveau concept !)
Je regarde cette femme qui parle, dans une grande émission littéraire. Un visage encore traqué ; oh non…
Il faut que j’appelle Sylla, ma meilleure amie du lycée Fénelon, le visage m’évoque quelque chose.
Mais oui, bien sûr… J’écoute silencieusement le fracas dans ma tête.
Non, ce n’est pas possible.
J’avais tout oublié. Totalement.
L’oubli est une illusion salvatrice.
Le souvenir frappe dans ma tête, une jeune fille que son père attend sagement à la sortie du lycée…
Il va lui offrir un beau livre.
La femme continue ses explications. Elles sont de la même génération. Pratiquement, pourquoi un sentiment bizarre et de mal être m’envahit ?
L’expérience me saute au visage, oui, cet écrivain mauvais et antipathique que son père va intercepter, a-t-il dit un gros mot ?
Il semble inquiet, lui toujours si bonhomme. Il aime la gastronomie et les beaux livres, ce père si attentif, un esprit large, vaste, absorbé par mille choses. « Il faut de la largesse d’esprit », disait-il en riant.
Nous sourions, doucement. Je cligne de l’œil, lui aussi, ne t’inquiète pas papa…
Je suis une grande fille, hein ?
J’essaie…
Un soir de janvier, papa est parti…
Comme cela, personne n’était au courant… Depuis, je cherche, haletante mais jamais perdante.
Le chemin est flou, à la fin, comme il a été lumineux avant, les deux mouvements s’affrontent sans cesse. La sueur froide de la fin que je veux éclaircir ne cachera jamais la dimension affectueuse et heureuse presque spectaculaire qui a été là.
Je n’avais pas besoin d’une dernière intrigue, non…
À mes parents, toujours là
Un amour toujours grand
Je ne veux rien oublier, je suis au cœur de votre vie, ma vie
À vous, vous deux, ma plus belle histoire d’amour
Le musée Grévin
L’obscurité l’entoure. Et elle a peur. Un premier sentiment, pas le plus beau.
Un effroi plutôt.
Elle cherche celui qui l’a accompagnée. Il est là avec elle, toujours là, son père.
Mais papa n’est pas là, il l’a laissée, dans cette chambre froide, lugubre, triste. Un spectacle fantasmagorique et lucide.
La lumière est infernale, crue, aveuglante.
Papa, papa, elle tâtonne, elle cherche sa main, papa s’il te plaît… Tu ne dois pas me laisser.
L’homme de cire est immobile, gris, glacé, il ne bouge pas et elle, elle ne comprend pas. Tous les dimanches, il l’emmène dans un musée, avec son frère, Mike, un brin facétieux, qui bouge dans tous les sens. Toujours.
Ce musée devait être une bonne idée, le musée Grévin.
Le fameux.
Elle les cherche, tous les deux. Sa mère est restée chez eux, elle a hâte de la retrouver.
Elle est seule en face de cet homme cireux et lugubre : il semble dormir.
Dort-il vraiment ?
Qui est-il ? Que fait-il ? Elle est tétanisée. Elle le sera plus tard aussi.
Tout d’un coup, un peu perplexe, il surgit. Une ombre plus claire et affectueuse.
Son père, brun à l’époque, elle le voit avec clarté. Justement, la clarté manque.
Elle s’agrippe à lui, son papa, toujours là, encore là, qui cherche à leur faire plaisir, chaque dimanche. Ce rituel n’appartient qu’à eux.
Son père est gêné, embarrassé :
Il soupire. Il cherche une explication pour sa fille, qu’il a voulue, sur le tard, après ses études de médecine, avec cette très belle femme qui lui est tombée dessus en vacances. Il la cherchait.
Elle le suit, la main dans la main. De jolies couettes que la mère lui a tressées ornent son visage. Elle y a consacré du temps. Chaque matin, sa petite fille doit être la plus jolie. La plus parfaite ?
Il va où Napoléon ?
Papa, il va où ? S’il te plaît, parle-moi…
Des années plus tard, elle a compris, l’indicible, le néant. Mais pour l’instant, ils se serrent la main et Mike le joyeux les rejoint. Il court dans tous les sens.
Une sombre prémonition enfantine l’a saisie et son père l’a sentie. Elle sera là, plus vieille, un jour.
Les ellipses, les silences feront partie de cette histoire folle. Et il faudra déchiffrer et défricher, sans relâche.
Et Mike, lui, sera moins joyeux. La mine préoccupée. Il la regardera, avec une solidarité fraternelle qui n’appartient qu’à lui.
Papa, pourquoi t’es parti ? Pourquoi ? J’essaie de comprendre. Ce livre est pour toi.
Encore mon cadeau, si tu le permets. Je voudrais te retrouver.
Te trouver ?
Elles rentrent toutes les deux. Elles ont ri toute la journée, éclairées de leur amitié récente mais durable. Tout d’un coup, Saby se fige, ses yeux verts lumineux empreints d’une lueur grave :
Saby l’écoute avec attention, et elles prennent le temps, ce fichu temps, pour analyser, critiquer, pointer du doigt, apprécier. Elle connaissait son père, qu’elle opposait parfois au sien, absent et peut-être plus abrupt. Elles cultivent leur nostalgie toutes les deux, évoquer les travers d’une société qu’elles opposent aux années 80, souvenez-vous ?
La ritournelle, chacun fait ce qui lui plaît… Elles assument leur côté ringard, de mon temps, voyez-vous… Elles étaient heureuses dans cette période, les stéréotypes, la famille, l’argent, la famille, étaient si nuancés et sans vulgarité.
Mais il va falloir tenir et surtout finir cette enquête.
Elle réfléchit, elle a perdu la notion du temps, 2019, 2018 ? Elle ne sait plus. Comme lui, à la fin.
Elles se regardent, tout le monde s’interroge, où est parti ce grand médecin retraité ? Pourquoi n’a-t-il pas laissé une explication ? Rien. Pas une trace. Il semblait aimer cette maison de retraite où il écrivait et pratiquait un peu de yoga quand il le pouvait.
Les mots sont péremptoires, abrupts, la réalité sèche. Sa réalité maintenant. Et elle rit, elle ne devrait pas. Saby est si drôle, elle lui a conseillé d’écrire son spectacle, elle peut l’écrire si elle veut. Mais là, Saby se pose des questions. Comme tout le monde, son père a piégé tout le monde.
Ah Bravo. Le rythme s’est accéléré, il part avec une énigme, un peu comme les romans policiers qu’il aimait lui acheter chez des libraires lorsqu’elle était petite. Il a brisé cette petite vie qu’il menait en tant qu’octogénaire veuf dans Paris. Tout ne pouvait pas être si simple et tranquille. Surtout pas.
Elle pense à la meilleure réponse pour son amie, plus jeune qu’elle, donc plus protégée qu’elle. Ses parents sont encore jeunes, enfin, ils sont là.
Son père n’est pas parti.
— Il ne parle pas, mais il sait peut-être, il dit que papa était complexe, peut-être trop…
Saby se tait. Elles ont arrêté de rire, papa aimait rire avec elle, peut-être ne lui en veut-il pas. La vie est belle, disait-il, oui plus vraiment. Mais il convoquait souvent la mémoire de celle qui avait toujours été là. Une chevelure rousse, magnifique, une solidarité épaisse, alors on fait quoi ?
On fait quoi, hein ?
La fatigue l’envahit, un sentiment d’impuissance et de vie entachée.
Elles ont ri toute la journée. Un rire franc sans arrière-pensée, pourtant il a fui.
Elle est envahie d’un sentiment de culpabilité, encore, c’est son lot depuis trois ans alors elle remercie Saby de la faire rire. Papa disait qu’il fallait rigoler mais lui ne rigolait pas du tout à la fin, il était grave, déterminé.
Elle n’a pas encore su voir. Elle en a assez de déchiffrer. Et chiffrer les mois d’absence.
Encore.
Saby est venue avec elle une fois, elles ont marché avec lui, il parlait d’un flot absurde de ses lectures, son nouveau métier d’écrivain… Elle, elle a conservé ses manuscrits qu’il n’a pas emportés. Pourquoi ? Une fois, sa mère a eu les larmes aux yeux en parlant de ses matinées passées à écrire, elle savait. Elle le connaissait par cœur. Il ne lui a jamais échappé. Peut-être est-il parti pour la rejoindre.
Mais où bon sang ? Elle observe son amie avec effroi, elle n’était pas supposée rire. Pas maintenant.
— Tu crois qu’il souffrait ? Il a souffert ?
— Je ne sais pas…
Mat aussi ne sait pas, il est impuissant, elle sait qu’elle lui donne du fil à retordre avec sa famille, sa mère, radicale elle aussi, et à présent lui. Lui qui devait faire semblant. Ou pas. Ses parents sont des énigmes vivantes. Mat le rationnel, l’ingénieur qui a voulu se hisser dans la hiérarchie sociale, il tente de la rassurer mais il a des réponses. Pas là.
Pas dans ce cas-là. Ses parents échappent aux cases, aux poncifs, d’ailleurs il vaut mieux les éviter. Voyons voir, oh il était vraiment vieux lui au moins, il était médecin, il savait, et avoir une femme qui voulait échapper à la chimio, qui l’a refusé, sa dernière liberté, mais oui, bien sûr, une égoïste, non ? Bon, il a bien vécu, non ? On aimerait bien aller jusqu’à cet âge, et puis disparaître comme ça, sans un mot, on fugue à plus de 80 ans ?
Il ne devait pas sagement attendre la mort, non, à plus de 80 ans ?
Les gens autour d’elle parfois lui tendent une réalité sans filtre…
Et la meilleure ? Il l’a fait exprès, pour que vous écriviez, après tout… Non, ce n’est pas possible.
Il n’était pas banal, avec ces mots, toute sa vie et puis…
Plus de mot. Le dernier mot. Le plus vital. Papa ? Un dernier mot, s’il te plaît, où es-tu ? Peux-tu m’éclairer ?
Que s’est-il vraiment passé ?
Pourquoi ce scénario improbable ?
Mike, son frère, est catégorique :
C’est peut-être sa dernière énigme. La plus forte.
La plus libre.
Papa, papa… Il adorait écrire, son plus beau cadeau. Son libre arbitre.
Une forme de ténacité qui défiait le temps.
Un jour, ma mère m’a raconté avec des larmes que sa retraite se déroulait exclusivement avec des cahiers, des notes, beaucoup de travail mais assis sur son fauteuil. Il s’est imaginé un nouveau travail, je trouvais cela plutôt beau et inspiré. Après tout, il avait, selon lui, un sentiment de puissance avec l’écriture.
Que je retrouve aussi, tel père… Ce livre est aussi un hommage à ce qu’il a construit et je vais y insérer ses textes. Mon livre n’est pas une vengeance sur sa non-publication, il en a décidé autrement, mais plutôt un lien avec sa pensée. Ma mère lui disait souvent qu’il pensait trop, a-t-il imaginé aussi sa vie ? En tout cas, écrire représentait pour lui une forme de liberté qu’il ne trouvait plus dans son métier de médecin. Papa liberté si l’on peut dire…
Nous parlions beaucoup de livres, d’idées, dans sa voiture principalement. Je le vois roulant et me déclamant des opinions parfois rigides sur ses lectures, je l’écoutais avec attention, parfois, je constatais que ma mère n’avait pas le même effort, elle se concentrait davantage sur son bien-être, ton père est vieux, a-t-il mangé correctement ? Ton père est vieux, ton père est âgé, la rengaine était implacable, et les derniers temps, je savais que je devais mémoriser cet héritage de paroles et de conseils. Mat aussi l’écoutait avec attention, il évoquait sa culture, son érudition et mon père approuvait, ah oui l’humour ne manquait jamais.
Humour et amour. C’est ce que j’ai eu. Il se plaignait bien sûr de son absence, 2018 et 2019, ce ronron qu’elle provoquait le matin et le soir, une présence indéfectible, là avec son silence quand il écrivait. Elle était là et il pouvait écrire. Et puis, après, tout est devenu compensation. Maman est partie.
Presque trop. Écrire pour boucher les trous et les ignorer, mais ils reviennent bien sûr.
Il parlait beaucoup de l’exil et c’est le sujet de ce texte que je vous présente avant de reprendre ma narration pour comprendre. Mon père a quitté son pays natal et d’ailleurs nous ne savons pas exactement son âge. Le certificat de naissance était peut-être tronqué. Et cette guerre… les derniers temps, je la maudissais ; les maladies sur les routes de 1939, sa mère qui avait eu du nez, ah merci grand-mère, qui avait fui à temps, oui il radotait. Mais la guerre avait son importance.
Mais je veux retrouver le fil de leur histoire, mon histoire que je n’ai pas su voir, trop heureuse certainement.
Le bonheur rend imbécile. Presque idiot.
La maladie ? La mort ? La guerre ? Oui, cela n’avait pas lieu d’être. J’étais jeune, libre et mes parents aussi, nous avions dépassé tout cela.
Du moins, je le croyais.
Jusqu’à l’acte final. Un dénouement… Papa, où as-tu fui ? Où te caches-tu ?
Je me demande, peut-être est-ce une fuite comme pendant la guerre, il a rejoué la scène de son enfance. Il paraît que la vieillesse est une redite de l’enfance, non ?
Il paraît, il paraît… J’en ai assez des analyses stéréotypées que j’entends, et papa était tout sauf stéréotypé.
Oui, merci. Sylla est la seule à comprendre, c’est un acte d’amour, un appel. Il voulait reconnaître son image, son décor, sa réussite qui devenait crépusculaire, le soir de la vie. Il devait certainement paniquer le soir, ne plus la voir, ses rituels, presque maniaques, le lit que l’on prépare, les tasses de café pour le lendemain. Elle était organisée, trop ?
Papa s’en plaignait parfois, il était tout sauf ordonné. Sauf cet acte. La photographie, le dernier repas avec Mike. « Non, je n’ai rien vu venir, personne. »
Mon frère, Mike… Nous restons avec nos interrogations.
Ton fantôme maintenant, ta détermination à partir. Cette vie que tu ne reconnaissais plus, moi aussi d’ailleurs, le socle s’est effrité, celui qu’elle avait construit méticuleusement, des bases solides, cohérentes, jusqu’à…
Ta mère a dit, elle disait… Je n’en pouvais plus, elle nous hantait tous. Mat a affirmé que tu vivais dans tes souvenirs, peut-on fuir par amour ?
Devenais-tu l’exilé de ta propre vie ?
Je dois trouver les mots, je reste avec eux. Les mots restent des armes fatales et polyphoniques, à défaut d’être chroniques.
Les mots s’étaient-ils tus ? Ceux qui t’avaient sauvé autrefois ? Pour ta première fugue, hors de cette maison de retrait qui était devenue une obligation. J’étais calme, placide :
J’ai compris que tu voulais revenir chez toi, tout simplement, moi aussi, sais-tu ? Tout le temps.
Le chagrin m’avait envahie et tu formais toujours ce duo inextinguible, j’écris pour elle, disais-tu.
Moi aussi, papa. Au moins nous avons cela.
Pour vous, vous deux, presque cinquante ans de vie commune réduits à néant par un monstre, le cancer, un enfer. Je vais relire tes textes, ce flot de paroles pour comprendre, expliquer, j’en ai besoin.
Nous ne pouvons pas oublier. Je vais te redonner ton statut d’écrivain, tes mots, pour elle, nous, les mots qui réparent et…
partent, comme toi, un matin. Tu aurais pu me prévenir, elle l’aurait fait, elle. Elle ne serait pas partie comme cela. Jamais. Tu sais cela ?
Elle aurait laissé tout en équilibre.
En ordre, ce mot qui avait sa richesse pour elle. Un socle réel. Une vraie base.
Mais peut-être ce nouvel exil était le dernier. Tu l’as décidé. Choisi. Je n’ai rien pu faire.
Sauf écrire, et réécrire, ce que tu étais. Et qui m’échappe, tu es un héros mystérieux.
Vous avez construit votre propre roman. Et j’ai les bras chargés de cette mission.
Bravo.
Double bravo.
Vous l’avez fait exprès ? Non quand même pas ?
Pour que je prenne mon envol ? Pour que j’invente des mots ? Encore des mots ?
Ce n’était vraiment pas la peine, je préférais ma vie d’avant, discrète mais incroyable.
Papa, maman, vous étiez incroyables, personne ne vous ressemble, félicitations.
Et moi, je fais quoi avec tout cela ?
J’écris, seule, mais j’écris.
Personne ne me donnera d’ordre.
J’introduis ce texte très fort qui retrace une réflexion très profonde de papa sur les mots, et curieusement il a fugué avec une photographie et avant, une valise. Fugué ? Oui, on peut fuguer et fuir à plus de 80 ans.
Papa devenait un enfant, mais vif et surtout aimant avec celle qui n’était plus là et qui l’avait décidé ainsi. Ce texte est beau, profond, complexe, torturé, à son image. Quand maman était encore là, il me parlait de son exil mais comme nous étions légers et insouciants, je ne m’y attardais pas, elle non plus d’ailleurs. Je le répète : le bonheur rend débile, une débilité salvatrice.
Ce bonheur-là m’a manqué, comme un aimant qui ne reviendra jamais.
Une fois un peu par hasard, la femme très perspicace de mon beau-père, que j’apprécie, m’a demandé :
La fameuse Delphine, je la cherche aussi…
Je partais, je voyageais, je construisais ma vie et…
Nous avions nos petits repas père – fille de temps en temps, très souvent avec elle, et nous parlions. Lui, beaucoup, il en avait besoin. Une fois, je suis sortie du restaurant et il clopinait derrière.
J’ai tressailli, quel âge déjà ? 80, peut-être plus ? Je savais qu’un jour, je serais seule, avec mes souvenirs, mais seule, alors j’ai mis une main sur son bras.
Il marchait encore, souriait, mais j’ai vu cette scène funeste ou je ne le verrai plus fièrement m’offrir un bon restaurant. Échanger sincèrement, manger avec goût, parler du futur.
À l’époque où tout était projet et construction, nous y avons toujours cru.
Il n’a pas compris mon geste et a maugrée comme lui savait le faire : il avait un sacré caractère, oh ton père, me disait souvent maman et cela provoquait en moi des rires sincères, ils étaient drôles…
Sauf à la fin.
À la fin, je reste avec ma faim, ce texte, ce doute sur sa décision incompréhensible. Je suis seule, mais il me parle à travers ses textes.
J’ai crié non dans la rue. Encore non.
Mais je n’ai rien choisi, eux oui. Encore oui.
J’ai un peu réécrit ce texte, papa parfois était abscons mais brillant. Je l’ai simplifié, lui qui adorait les concepts alambiqués, comme affirmait ma mère, elle ne comprenait pas toujours ou ne voulait pas.
Elle débordait d’activités, nous ses enfants en priorité, à la fin, elle a dit à Mat, un peu agacée :
Papa adorait se perdre dans les livres, y trouver un sens.
Son sens ?
Je nous revois, dans les librairies de notre enfance, choisissant avec soin un titre ingénieux ; notre prochain sujet de conversation ? Il essayait de coller à mes goûts, mon cher papa, et je revenais, fière, amusée, je ne m’ennuyais jamais.
Merci papa.
C’était un droit, un acquis. Mais un jour, Monica, mon amie du lycée Fénelon, a eu une phrase assassine :
Quoi Monica ? Pas de père ? Un père qui vient te chercher, discuter avec les professeurs, défendre sa fille, l’orienter, la conseiller ?
Un père qui agite la main de loin ?
Rien de tout cela ? Ce n’est pas possible ? L’amour rend naïf, prodigieusement. Il était là, toujours, avec elle, parfois sans elle :
Et parfois, il allumait la fameuse cigarette des années 80, celle qui vous donne un air de liberté, et l’attendait sur notre terrasse.
Tranquillement. Dernière liberté. Elle n’aimait pas le tabac, les dérapages, les excès, elle rentrait et l’ordre régnait. Un ordre serein, aimant, mes chers parents. L’ordre et le désordre. Mais un avec un.
Une maison totale, unie, face au temps et puis…
Rien.
Parfois, je ne la supporte plus, ce ton arbitraire, sec, sans tendresse. M’aime-t-elle vraiment ?
Je crois que je me moque même de la réponse.
En haut de leur immeuble, là-haut, 24e étage, fier, heureux, aimant, je te vois, si clairement, tu étais là, vous étiez là.
Et puis, cette fugue, cette fuite… Tu me faisais rire, tu sais ?
Tu étais si bonhomme, plein d’Alan…
Qui étais-tu vraiment, papa ?
Je te cherche, dans tes textes, dans ton acte, dans ce que tu es, à jamais. Tu m’échappes, tu nous échappes, papa, papa, ceci est mon premier jet afin de comprendre :
Le dernier exil
« Le fait que je ne parlais pas le turc a introduit très tôt un clivage entre l’intérieur et l’extérieur de notre maison. Dès lors, comme un bruit de fond, la langue de la majorité était comme une rumeur, parfois hostile, par rapport à notre famille.
À mon arrivée en France, s’ajoute une opposition, courtoise, entre une langue de la raison et mon dialecte sensoriel et affectif. Comme un idiodialecte qui me déterritorialisait hors de mon pays, le pays d’accueil. Il y avait une langue des affects désormais enterrée dans mon corps et il me fallait intégrer notre particularité dans ce nouvel universel. Pour toujours, lorsque je parle le français, j’entends des lignes mélodiques, un nouveau chant, la traduction d’une ligne qui vient de très loin. Toute petite, mes parents m’avaient parlé de cette civilisation des lumières et pour eux c’était la promesse de la culture pour leur fils. Un fond corporel de rythmes reste engravé en moi, comme un trésor, mais aussi comme des plaies non cicatrisées.
Et quand je vois mes deux enfants, parfaitement bilingues, ils deviennent aussi propriétaires d’une autre langue mais avec moins de douleur. La peau des mots ne les mord pas. Ils sont intacts. Ils ne sont pas des exilés. Jamais. »
(Hum… L’exil s’est tissé autrement, vraiment, comme un rapt de mon ancienne vie, un dialogue coupé qui m’a été soudainement volé et les poncifs « le fameux cycle de la vie » n’y feront rien, an non, ils empirent la réalité de mes sentiments.)
« L’exilé observe sans cesse les changements de notre société, il observe aussi comme une sentinelle les dangers d’une société qui se répètent et qui portent à incandescence. Mais s’observer, c’est être hors de son corps vivant, et donc ne plus posséder les forces qui permettent de rester calme, car on ne peut vivre que si on habite son corps. »
(Premier indice : on ne peut vivre que si on habite son corps ? j’interviens dans ce texte incroyable pour chercher ses propres raisons, ses décisions et celle de maman.)
« Chaque mot que je prononce maintenant est un compromis entre la langue minoritaire et majoritaire. Chaque mot que je prononce résonne sur fond corporel où est enfouie la langue oubliée et qui crie malgré tout.
Un cri sincère ou s’ajoute parfois la honte des parents qui n’oublient pas leur culture d’origine. Et même s’il y a une réelle intégration, ma femme et moi avons de solides carrières, il ya des failles, les fautes d’orthographe, qui montrent que la règle commune parfois s’oublie. Alors la culpabilité veut effacer les origines douteuses, ce qui ne fait qu’empirer le mal. »
« Plus on essaie de fuir une entrave, plus on se fixe un pont noir à blanchir qui absorbe toute l’énergie. »
(Deuxième indice : la fuite efface la culpabilité ? Il voulait retrouver son énergie ? J’essaie de faire simple… Tu as pensé les derniers temps à ce texte merveilleux ? Qu’est-ce que le libre arbitre finalement ? Savoir ce que l’on veut ? Devoir se soumettre à une force supérieure ? Papa sentait-il qu’il allait s’échapper et nous échapper ?)
« Celui qui veut fuir sans être porté par ses lignes vitales s’immobilise, car il porte un poids lourd, encombrant, fait de papiers administratifs, comme un procès qu’il lit avec sa culpabilité. Alors on se punit en s’enfermant dans un réduit hanté par le fantasme des origines, le fantôme de la langue d’origine sort de sa crypte pour venir perturber le discours, ce retour parasite donne naissance à des lapsus. Un accent imprévu qui vient comme un cheveu sur la langue. »
(Interruption de ma part : Papa, où es-tu ? Ce texte sur l’exil est-il un indice de ce qui allait nous attendre ? J’aimerais te serrer dans mes bras et te dire, tu es merveilleux, et tu n’as pas à être coupable, non.)
« Il y a les restes de l’exil à travers les différents pays qui ont jalonné l’émigration, les phonèmes brisés, dispersés, comme des ruines qui doivent être rassemblés pour construire une cohérence. Dès lors, l’exilé est pris dans un tohu-bohu de sons, de bruits d’une horloge déréglée, qui vient sonner les cloches à celui qui croyait qu’il pouvait passer d’un bruit commun sans y être balancé par un rythme premier. »
Il faut retrouver les notes d’une vie passée. (Ben, oui, c’est ce que je fais.)
« Comment s’en sortir ? Il n’y a que la poétique qui peut nous relier à ce nouveau territoire où les humains communiquent entre eux. Alors vivre devient un art qui fait des liaisons avec ceux dont nous voulons partager les rythmes. Il faut jouer de cette étincelle poétique pour sortir de cette embrouille noire qui absorbe toutes les forces vitales. Les mots alors vibrent harmonieusement. Si un tapage assourdit tous mes mots, que me reste-t-il comme liberté que d’en tirer quand même des lignes mélodiques ? »
(Intrusion et interruption : le mot liberté revient sans cesse, encore un indice ? Il voulait échapper à quelque chose ? Il revenait sans cesse au souvenir heureux avec maman ? Ce texte est une tentative d’explication et résume une philosophie de vie.)
« La prise de distance vis-à-vis des difficultés devient un humour thérapeutique, des métaphores puisées dans la circulation fluide de la vie. Reste une douce nostalgie par rapport à la langue maternelle qui n’est pas trahie par ses propres rythmes.
La danse de la vie.
Sa légèreté intrinsèque.
Le passé est réécrit par une nouvelle cartographie, la géo poétique où les peuples ne sont pas damnés par la terre. Le corps vivant devient alors expression. Les rythmes deviennent des ressources, pas comme ces enfants qui parlent à voix basse, sans force pour détacher les mots les uns des autres, sans les goûter avant de les servir à leurs interlocuteurs. »
(Papa parlait toujours très fort, il devenait un peu sourd, mais il voulait se faire entendre, toujours, son dernier acte est le plus grand fracas de sa vie.)
« Sans saveur, les mots sont sans convivialité. Les mots doivent être digérés et gérés. Chacun doit donner une substance aux mots. »