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Un ancien turfiste professionnel qui a touché le pactole au Quinté +, empochant ainsi plusieurs millions d'euros, veut aider les autres et surtout ceux qui sont victimes d'erreurs judiciaires. La réalité est parfois plus cruelle que la fiction. De la précarité à l'aisance financière tout est tronqué et le malheureux se heurte à l'absurdité de notre société. N'est pas Zorro qui veut !
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Seitenzahl: 215
Veröffentlichungsjahr: 2017
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A mes grands-parents,
A Pierre,
A Sandrine,
A Maman,
A Jean,
A Marie-Thérèse,
A Laurent, l’étoile qui ne s’éteindra jamais,
A Sébastien, pour son amitié authentique,
A Corinne pour son courage,
On ne pouvait pas appeler Franck
Nelson, une petite frappe. Ce n’était pas non plus un caïd. Juste un voyou. Il effrayait certains, rassurait d’autres et était ignoré par la plus grande majorité du Milieu.
Sa plus belle fulgurance, en matière de banditisme, était le braquage d’une B.N.P. à Marseille. Un hold-up réussi avec brio. Pas de victime. Pas d’otage et 500 000 euros net d’impôts à la clef. Toute la presse en avait parlé.
Malheureusement, une balance parmi ses complices, lâcha le morceau et Franck écopa de 5 ans ferme. Il n’eut pas le temps de planquer le magot et se retrouva toujours aussi sec, côté fraîche : pauvre comme Job.
Pendant sa détention, il rumina longuement sa vengeance. Mais cette attitude ne servit à rien puisque le cafard décéda avant sa sortie.
Après avoir recouvré la liberté, on lui proposa un tas d’insignifiants boulots de réinsertion. Parlant-en de la réinsertion ! Un mot bidon dans le baragouinage de l’univers de la zonzon. Des tafs de peintures, de maçonneries, de bricolages qui devaient déboucher sur un emploi stable. Mais, hélas, rien ne se concrétisait.
Alors Franck alterna les périodes de R.M.I. et petits chantiers.
Cette situation dura pendant plusieurs mois. 16 exactement. Puis cette histoire de meurtre lui tomba sur la couenne. On l’accusa illico presto d’avoir refroidi son beau-père, Henry Norton dit Riton, qu’il ne portait pas dans son cœur. Franck niait farouchement toute implication dans ce drame. Il ne fallait pas confondre dégoût et haine inaliénable. Franck Nelson n’avait jamais commis de crime de sang.
Âgé de 35 ans, il avait une certaine éthique du métier de voyou.
Contrairement aux sauvageons en meutes de ce siècle naissant, il ne se permettait pas tout pour parvenir à ses fins. Une déontologie qui ne subsistait que dans le cortex de vieux brigands de grands chemins.
Pour Franck, on devait s’apitoyer sur une proie à sa taille. Le jeu devait en valoir la chandelle.
Depuis 6 mois, Franck se retrouvait en préventive. Il clamait son innocence mais personne ne l’écoutait. D’ailleurs, il s’était exprimé si fortement qu’il avait pris 15 jours d’isolement !
L’administration des matons lui avait octroyé d’office un baveux. Celui-ci semblait aussi à l’aise qu’un poisson que l’on vient de pêcher et qui se soubresaute l’œil vitreux, la bouche cinglante sur l’herbe, un après-midi d’été. L’avocat, en trois pièces couleur écaille, lui conseilla de plaider coupable pour limiter la casse.
Aussi, Franck l’expédia manu-militari hors de la geôle à coups de pied dans le derche.
Quand il regagna sa cellule et ses deux compagnons de captivité, l’un d’eux, André Tronchet dit Dédé la Tronche, lui proposa de prendre contact avec mes zigs.
Je connaissais Dédé parce qu’il avait fréquenté le même café-PMU que moi.
Tronchet était un escroc qui avait plusieurs condamnations pour recel à son casier. En fait, il était plus bête que méchant. Il ne savait refuser un business même douteux et croyait toujours faire l’affaire du siècle. A certaines périodes de l’année, sa crèche ressemblait à chez Darty !
Dédé rencarda Franck sur mon compte, en lui expliquant que j’étais un ancien turfiste professionnel plein de blé et que je faisais des enquêtes pour les victimes d’injustices.
Pour tout dire, c’était mon souhait le plus cher mais aucune affaire ne m’avait été confiée jusqu’à ce jour ! L’oseille n’était pas ma motivation. J’en avais plus que ma descendance pourrait en dépenser pendant des siècles et des siècles. Amen !
Inconsciemment, je souhaitais certainement être reconnu par la société.
J’appris par la suite, que Franck Nelson, trouva cette idée saugrenue. Pour lui, les dés étaient pipés et il croyait que la justice lui ferait payer ses précédents méfaits.
Toutefois, il rédigea une lettre à mon intention. Il mit en berne sa fierté, qui était l’un de ses principaux défauts, et aligna maladroitement des mots sur le papier quadrillé. Peu sûr de lui, il fit relire son courrier à Paul Lagache, dit Paulo, le plus intellectuel des trois taulards.
Celui-ci était à l’ombre pour fausses factures et délits d’initiés, et passait en jugement très prochainement. Paulo était persuadé de n’être condamné qu’à du sursis et se préparait à demander réparation auprès des tribunaux pour sa peine d’incarcération préventive et abusive !
Après avoir longuement écouté Franck lui narrer ses déboires, Paulo écrivit une lettre chiadée mais ferme. Il n’était pas question de baisser son froc devant quiconque mais d’attirer l’attention.
La missive fut remise au courrier le jour même. Elle me parvint dix jours plus tard…
Quand Franck me vit la première fois au parloir, il me reluqua avec insistance, les yeux mi-clos tel un félin prêt à l’attaque dans la savane. Ce fut moi qui engageai la conversation. Je le mis en confiance en lui parlant de son courrier et de mon intention de l’aider.
Alors il m’avoua qu’il était surpris par mon allure. Il s’attendait à un gugus vêtu en complet trois-pièces, un attaché-case et une paire de gants en cuir véritable et une Rolls Royce garée sur le parking des visiteurs de la maison d’arrêt avec chauffeur.
Après cette mise au point, il ne s’encombra pas en palabres et entra directement dans le vif du sujet : Henry Norton, son beau-père avait été refroidi par deux bastos de gros calibres.
En pleine poire. Il était l’accusé numéro 1. Jocelyne, sa mère et la femme de Henry, était encore sous le choc. Elle venait le visiter chaque semaine.
Riton et Franck n’avaient jamais pu s’encadrer. Ils étaient comme chien et chat. À de nombreuses reprises, ils faillirent se maraver la tronche mais l’intervention de Jocelyne avait calmé les esprits.
Pour Franck, l’école n’avait jamais été sa tasse de thé et c’était pour cette raison qu’il n’avait aucun diplôme en poche.
C’était regrettable puisqu’il faisait ce qu’il voulait de ses paluches et obtenir un C.A.P. en apprentissage aurait été à sa portée.
Riton avait un fils d’un premier mariage, Ryan. Il avait deux ans de moins que Franck. Ces derniers s’entendaient comme larrons en foire. Jocelyne ne fit jamais de différence entre les deux garçons et éleva Ryan comme son propre fils.
Aujourd’hui, Ryan était ingénieur en informatique et avait suivi un cursus universitaire long et sinueux. Franck s’était fichu souvent de lui. Pas pour le décourager mais pour blaguer.
- Tu sais, tu seras obligé de te marier avec une prof au minimum parce que tu as trop de connaissances et une femme de ménage ne pourra jamais te comprendre !
Riton était fier de la réussite de son rejeton et ne se gênait pas pour le placer dans une conversation.
Entre Franck et Ryan, une authentique fraternité s’était bâtie. Franck acceptait Ryan et l’appelait mon frère. Par contre, il refusait catégoriquement l’autorité de Riton et la considérait comme illégitime.
Même si son géniteur les avait abandonnés sa mère et lui à sa naissance, il lui portait plus d’affection qu’à Henry Norton.
Franck savait que Ryan avait une frousse maladive de son père alors il prenait tout sur lui quand son frangin faisait une incartade.
Quand il fumait en cachette dans sa chambre ou lorsqu’il faisait le mur et allait voir les filles. Franck jouait le rôle de coupable.
Le dimanche matin, c’était le réveil à huit heures pour tout le monde. Sept heures la semaine. C’était le règlement imposé par Riton. Seul, Ryan avait la permission de midi, le Jour du Seigneur. D’ailleurs, souvent, Riton narguait Franck en lui disant : Seuls, les braves ont droit au repos.
D’ailleurs Riton avait eu droit au repos éternel !
Franck n’ajouta pas un mot de plus et se retira en cellule.
Devant mon petit noir matinal, au comptoir de Le rouge est mis, je méditais sur l’histoire de Franck Nelson. C’était vrai que j’étais amateur de polars et d’intrigues policières, mais entre une passion et entrer dans la peau d’un enquêteur, il y avait une marge. A cette minute, je compris que cette mission m’effrayait. Pourtant, j’avais donné ma parole. Et la parole dans ma Corrèze profonde, c’était sacré ! Jadis quand deux paysans concluaient une affaire, ils se serraient la pogne et cette poignée de dextres valait plus cher qu’une signature en bas d’un contrat ! En clair, je m’étais engagé auprès de Franck Nelson et il n’était pas question de revenir sur cette promesse.
Je doutais de mes capacités et cela n’était pas la première fois que cela m’arrivait.
Quelques heures avant de cocher les chiffres 3. 7. 2. 4. 8. au Quinté + qui me rapportèrent le pactole, j’avais hésité longuement.
La veille dans la nuit, j’avais rêvé de ces chiffres et une voix m’intimait l’ordre de miser 100 fois sur eux. Je pris alors cinq tickets de quinté et misai 20 fois sur chacun d’eux. Le destin fit le reste. Il les plaça dans l’ordre d’arrivée que j’avais coché. Résultat des courses : 12 millions d’euros cash ! Deux toquards s’étaient glissés parmi les gagnants. Personne ne s’était risqué sur leurs casaques. Mon intuition avait vu juste.
Avant toute chose, je pris la décision de m’informer sur le meurtre de Henry Norton.
- Dis-moi Robert, ton fils est dans les parages ?
- Ouais. Attends, je l’appelle. Xavier, tu peux venir !
Aussitôt un gamin mince apparut de derrière le zinc. Il portait un tee-shirt de South Park et des lunettes cerclées à la John Lennon.
- Xav, tu peux me rancarder sur une affaire criminelle. L’assassinat de Henry Norton dit Riton qui a eu lieu, il y a 6 mois dis-je simplement.
- Cela ne me dit rien mais je vais interroger ma bécane. A plus Alors il disparut.
À l'étage, Xavier avait aménagé une pièce, spécialement consacrée à sa passion : l’informatique. À 20 ans, il tripatouillait de l’électronique depuis 5 ans déjà et dépeçait toutes les unités centrales qu’il trouvait. Il m’avait expliqué que la technologie évoluait si rapidement que tous les six mois, il était contraint de jeter un œil dans les entrailles des ordis.
Trente minutes plus tard, il réapparut avec une brochure à spirale d'une dizaine de pages.
- Voici, ce que j’ai pu glaner. Je t’ai rajouté les numéros de téléphones fixes et portables de tous les intervenants de l’affaire.
- Merci !
- Ne soit pas surpris ! Il y a une paye que j’ai forcé les mystères de protection de France Télécom et des autres sociétés de téléphonie. Du gâteau ! D’ailleurs, il faut que je fasse une mise à jour pour ce trimestre !
Sur la documentation, tu as les articles des journalistes régionaux qui se sont penchés sur le meurtre. En dernière page, je t’ai fait une synthèse.
Excité d’en apprendre davantage sur Franck Nelson et sa famille, je rentrai chez moi et mis Les noces de Figaro sur ma platine laser. Mozart était entré dans ma vie alors que ma femme et mon fils en étaient sortis. Enfin, concernant ce dernier, nous nous voyions pendant les week-end et les vacances scolaires.
Une complicité certaine s’était établie entre nous. A 9 ans, Simon me faisait découvrir un monde moderne dont j’ignorai tout.
Sarah, ma compagne, m’avait quittée parce qu’elle ne supportait plus mes errances sur les champs de courses.
À la naissance de Simon, j’avais décidé de me consacrer à ma danseuse dévorante : les courses de chevaux, pourtant incompatibles avec la vie de famille.
Le soir où Sarah m’appela pour m’apprendre qu’elle ne rentrerait pas avec Simon, j’en restai le sifflet coupé. Il était 23 H 00, je revenais de l’hippodrome.
Quand je traversai l’appartement, je constatai qu’effectivement tous les placards avaient été vidés. Le plus douloureux et impressionnant fut l’absence de Simon. Je redoutai sa chambre déserte de sa présence mais remplie de certains de ses jouets. Son odeur y planait encore. Ce que j’avais attendu depuis plusieurs mois, arriva enfin : la séparation de mon couple. Ce dernier périclitait depuis un certain temps et la lâcheté m’empêchait de rompre.
Sarah, elle, trouva la force.
Ce fut, ce jour-là que j’ouvris pour la première fois, cette intégrale de Mozart que Sarah m’avait offerte à Noël, six mois plus tôt.
- J’espère qu’elle t’inspirera pour tes prochains quintés ! plaisanta Sarah, ce 25 décembre là, pour cacher sa lassitude qui grandissait face à mes obsessions des jeux de dadas.
Pour tout dire, la musique classique me gonfla sévère jusqu’à l’âge adulte. Dès le début de ma scolarité, mes profs avaient tenté de nous inculquer les notions élémentaires du classique à mes petits camarades et à moi-même, en nous faisant écouter les grands compositeurs des siècles passés. Mais en vain.
Et puis un jour, on a besoin de réconfort et de bande originale pour notre existence, la grande musique s’impose à vous alors.
Ce soir-là, en épluchant le dossier préparé par Xavier, Ludwig Amadeus m’aida à y voir plus clair.
Le lendemain, je me rendis au commissariat de pour y rencontrer le commissaire Philippe Bouvard, homonyme de l’animateur caustique des Grosses Têtes, écrivain et diariste hors pair, qui avait couvert l’affaire du meurtre de Henry Norton.
Je dus batailler ferme pour arriver jusqu’à son burlingue. Il daigna me recevoir mais à la condition que j’expose clairement et brièvement l’objet de ma visite.
C’était une réalité. Ce Philippe Bouvard ne possédait aucun point commun avec la célébrité. Grand, maigre comme un clou, avec un tarin à la Gainsbourg, il effrayait son interlocuteur quand il fronçait les sourcils à la Emmanuel Chain !
- Alors, que me voulez-vous ? s’agaça Bouvard. Mes collègues m’ont dit que vous vouliez absolument me rencontrer.
Je suis là ! Vous avez cinq minutes. Soit 300 secondes. Top, c’est parti !
- Je suis Marc Montgibaud. Je suis…suis.
Enfin, j’enquête sur le meurtre de Henry Norton, à la demande de Franck Nelson et je voudrais…
- Cela, ne m’étonne pas ! C’est l’auteur de ce crapuleux assassinat avec préméditation ! me coupa le flic en s’étendant de tout son long sur son siège pivotant.
Vous êtes un privé ?
- Non. Pourrais-je obtenir une copie de…
- On croit rêver ! Votre client, enfin, Franck Nelson a été incarcéré à la suite de la longue investigation que j’ai menée en fin d’année dernière. Pourquoi trahirais-je le secret professionnel alors que vous n’êtes qu’un citoyen lambda ? Mon vieux, pliez vos gaules et déguerpissez d’ici !
Aussitôt, je compris que je ne tirerai rien de cet imbécile armé et regrettai que ce dernier n’ait point l’humour de son paronyme célèbre.
Pas démonté pour autant, je roulai en direction de chez madame Jocelyne Norton, jeune veuve. Maintes et maintes fois réparé, mon tricycle semblait accepter les quelques dizaines de bornes que je lui obligeai à parcourir sans fléchir.
La bâtisse, en meulière qu’occupait Jocelyne, était absolument propre et entretenue. Le ravalement semblait être récent. Cette maison se situait dans un quartier résidentiel.
En cette période hivernale, plusieurs hellébores ou roses de Noël s’épanouissaient dans le jardin.
Une mini-barrière de bois officiait comme portail. Aucune sonnette ou interphone n’étaient à la disposition d’un visiteur éventuel. Au-dessus de la fente de la boîte aux lettres était inscrit sur un carton pas de pub.
Sans gêne, je frappai à la porte d’entrée, équipée d’un verre cathédrale en son centre. Immédiatement, je vis une ombre éclore à l’intérieur.
La porte s’ouvrit sur un entrebâilleur.
- Que puisse-je faire pour vous ?
m’interrogea une femme.
- Je me présente Marc Montgibaud et je voudrais parler à madame Jocelyne Norton.
- Je n’ai besoin de rien…
- Je viens concernant le décès de votre mari.
Subitement, la quinquagénaire finissante se pétrifia sur place.
- J’espère que je ne vous ai pas choqué.
J’ai été envoyé par votre fils Franck. Mais peut-être, souhaitez-vous que je repasse ?
- Vous voulez de l’argent ? Parce que n’y comptez pas ! Franck est innocent, je le sais. Mais je n’y peux rien. Entre ses quatre murs, il doit perdre la boule et c’est pour cela qu’il vous a engagé par désespoir.
- Non, madame Norton parce que je travaille gratuitement. Cela peut paraître fou mais c’est vrai.
Jocelyne me dévisagea de la tête aux pieds, hésita un instant puis ferma la porte, dégagea le cran de sûreté puis m’ouvrit.
- Entrez, je vous en prie.
Jocelyne était une fine femme, coquette, approchant de la soixantaine, rouge à lèvres et mascara à outrance. Avec une splendide chevelure peroxydée blonde qui allait avec. En se déplaçant dans le vestibule, elle me fit partager son parfum en pleine truffe.
L’intérieur de la maison était classique mais spacieux. Je constatais qu’une personne inspirée avait apporté une touche à la décoration.
Avec l’accord de Jocelyne, je pris place sur un canapé moelleux en forme de L. La maîtresse de maison me fixa en allumant une cigarette.
- Vous savez depuis le…départ de Riton, c’était le surnom de mon mari, ma vie est un véritable enfer. Il s’occupait de tout dans la maison. Nous nous complétions parfaitement. Je suis plutôt gestionnaire et procédurière.
Pour en venir à Franck, je sais qu’il est innocent.
- Justement, je veux vous aider. Je vais reprendre l’enquête à zéro. Faites-moi confiance !
- Mais à quoi cela va-t-il servir ? Le procès est prévu pour dans un mois et la justice est persuadée de la culpabilité de mon fils. En plus, nous n’avons pas les moyens de nous payer un avocat convenable.
- Pour les questions d’oseille, d’argent, pardon ! Je m’en occupe.
- Et en quel honneur ?
- Mon côté Robin des Bois, sans doute ?
- Ne vous fichez pas de moi. Rien n’est gratuit dans la vie.
- J’ai une dette envers le destin. Mais si vous refusez que je vous aide, je n’insisterai pas. Seulement, vous l’expliquerez à Franck qui y croit lui.
- D’accord, d’accord !
- Pour commencer, racontez-moi votre vie de famille et les fréquentations de monsieur Henry Norton.
Jocelyne décroisa ses gambettes et alluma une autre tige. A cet instant, elle se mit à me déballer toute son histoire. J’étais persuadé qu’au fond d’elle, cela lui faisait du bien. Une sorte de catharsis.
Elle débuta son récit par les journalistes qui leur étaient tombés dessus à bras raccourcis. C’est dingue ce qu’un article dans un journal régional peut déclencher comme catastrophe soupira-t-elle en expectorant la fumée de sa cigarette. Elle perdit beaucoup d’amis ou plutôt de connaissances. Pour certains, connaîtrent une famille à problèmes, c’est une tare pour leur intégrité. Leur conscience leur ordonne d’abandonner ces malheureux à leur sort et à continuer à vivre de manière exemplaire ironisa-t-elle les yeux mouillés.
D’après elle, Franck et Riton ne s’aimaient pas mais pas au point de s’entretuer. Henry disait souvent que Franck finirait par se soumettre à son autorité. Il voulait juste du respect. Qu’il soit reconnu comme le mari de Jocelyne.
Mais Franck était obtus.
Pourtant leur rencontre avait débuté sous de bons auspices avant que la famille recomposée ne se rassemble. Franck appréciait le côté jovial, inventif et original de Riton. Ce dernier lui apprit un tas de bricoles comme confectionner des objets inutiles en bois ou en papier.
Réparer une cassette audio ou vidéo qui s’était rompue en passant du vernis à ongle sur la bande magnétique. C’était le pied pour un gamin de 13 ans.
Ryan participait également à ces jeux ludiques mais c’était l’intérieur des transistors et des télévisions qui l’intéressait le plus.
Tout changea dans leur rapport, quand Riton et Jocelyne décidèrent de crécher ensemble.
Jusqu’alors, Henry et Ryan louaient un appartement en ville. Dans un quartier mal famé. Henry était au chômage depuis un an. Décorateur d’intérieur, il s’était blessé à la paluche et son tôlier du moment l’avait remercié crapuleusement.
Pour dire la vérité, Riton et son fils vivotaient. Ryan était orphelin de mère.
Cette dernière, Joy avait été l’une des premières parachutistes professionnelles en France. Malheureusement, un saut lui coûta ses jambes. Paraplégique, elle se noya dans sa piscine privée, une journée d’été. Comme Henry et Joy vivaient à la colle, les parents de cette dernière qui n’appréciaient guère sa compagnie en profitèrent pour le déloger de la propriété acquise par leur fille. Ryan suivit son père et coupa les ponts avec ses grands-vioques. Henry vécut très douloureusement cette situation mais fit en sorte que son rejeton ne manque de rien.
Franck renâclait face à cette cohabitation avec Riton et Ryan. Un week-end par-ci, un week-end par-là, le satisfaisait amplement.
Ce fut dans ce climat d’austérité déclaré que les nouveaux venus squattèrent dans la maison de famille dont Jocelyne avait hérité de ses parents. Rapidement, Riton s’imposa comme le chef de famille et les premières embrouilles fusèrent entre Franck et lui. Franck tentait de s’absenter le plus possible de la maison pour échapper à cette ambiance trop oppressante et partait se réfugier chez sa tante Gwladys. Ce ne dura qu’un temps puisqu’elle finit par mettre les choses aux points et ne voulut plus entrer dans leurs salades familiales et conseilla à Franck de regagner ses pénates.
Gwladys était la sœur de Jocelyne. Elles étaient inexorablement complices et complémentaires. Elles se disaient tout.
Le jour où Riton demanda la main de Jocelyne, Gwladys alerta sa sœur sur les bizarres intentions de son prétendant.
Jocelyne la rassura en lui disant que Riton bossait et que sa fraîche entreprise de décoration était florissante. C’était grâce à son salaire que la famille subsistait.
Jocelyne ne touchait que quelques centaines d’euros pour les heures de ménage qu’elle effectuait chez des rupins.
Une rente d’assurance vie venait arrondir ses entrées d’argent mensuelles.
Jocelyne me sortit une photographie de la cérémonie civile de son mariage. Les seules tronches présentes étaient des amis du couple, à l’exception de Gwladys.
Tout ce petit monde semblait ravi sauf Franck qui tirait assurément une gueule longue comme une descente de lit en évitant l’objectif. Le cliché avait déjà 7 ans.
Quand la jeune veuve me proposa de visionner la vidéo de l’événement, je refusai. Cela ne m’aurait apporté rien de plus. Je la remerciai de sa loyale collaboration et m’empressai de la cuisiner sur les fréquentations professionnelles et amicales de Riton.
Après leur mariage, l’attitude de Riton changea radicalement. Il rentrait à des heures indues et se saoulait avec ses potes ou des types du bâtiment Chez Camille, un estaminet du centre-ville. Face à cette situation, Jocelyne mit illico presto son veto et tout rentra dans l’ordre.
L’infarctus du myocarde dont Riton fut victime quelque temps après, le conforta dans son choix de rester éloigné de Chez Camille. Il mit ce temps à profit pour mettre à jour la paperasse de sa société.
Après son décès, la police financière n’eut aucune peine à contrôler ses registres et a constaté que son affaire était excédentaire. Aucune créance non-payée ou de problèmes avec la loi. Nada de rabe pour le fisc.
Aujourd’hui, c’était l’un de ses commis, Guillaume Lamy, qui dirigeait la boîte en attendant le procès. Il reprendrait certainement l’enseigne après le jugement.
Maintenant, Jocelyne pleurait sans retenue. Elle me dit que les seuls défauts de Riton, était sa gentillesse…et la bouteille. L’une et l’autre ne faisant pas bon ménage. Parfois, saoul, il promettait la lune à certains de ses clients et le lendemain, sobre, il se rendait compte de la bêtise de ses délires. Alors, il accomplissait pour eux, gratos des travaux d’intérieur, pour se laver de sa honte.
L’alcool pouvait le transformer en un véritable démon. Il était capable de détruire ce qu’il avait mis longtemps à créer. En une seconde, il devenait une tornade incontrôlable. L’ivresse fut la cause de fréquentes disputes avec Franck.
Il faut dire que l’adolescent s’appliquait vicieusement à titiller son beau-père quand il était éthyliquement avancé. Cela aboutissait inexorablement à des drames et des injures.
Jocelyne fit également les frais de l’alcoolisme de son mari. Celui-ci lui envoyait des objets à la tronche et l’injuriait copieusement mais juste en l’absence de Franck. Jocelyne taisait ces violences à son fils parce qu’il n’aurait pas hésité à commettre un meurtre pour la venger. Mais uniquement dans ce cas-là.
Sans aucune préméditation. Sur un coup de sang.
Quand je l’interrogeai sur l’emploi du temps de Franck, le soir du dézingage de Riton, elle resta évasive.
D’après elle, il trafiquait on ne sait quoi avec quelques acolytes mais ne voulait pas les balancer. C’était une question d’éthique.
Je m’enquis alors de l’état de santé de Ryan et de la manière dont il avait encaissé le coup de la mort de son daron.
D’après Jocelyne, il ne laissait rien transparaître et vivait toujours dans son appart’ en centre-ville avec sa copine Kyoko depuis plusieurs années.
Il étudiait avec acharnement pour créer une boîte d’informatique et de jeux, tout en travaillant comme ingénieur. Jocelyne avait très peu de contacts avec lui. Il était distant depuis son départ du cocon familial. Cependant, il venait manger tous les 15 jours, le dimanche avec sa compagne, comme il le faisait avant la disparition de Riton. Son couple était très calme et posé. Jamais un mot plus haut que l’autre.
Jocelyne était certaine que Ryan et Franck se voyaient en cachette.
A la fin de la conversation, le cendar était noyé par les filtres orangés à points blancs. Jocelyne semblait soulager d’avoir vidé son sac. Elle me remercia de l’avoir écouté.
Se faire larguer, cela donne une sensation de vertige comme si vous vous trouviez au bord d’un précipice et que vous étiez inexorablement attirés par le fond sombre et opaque.
Pourtant, on vous avait prévenus du danger, mais comme toujours vous n’en avez fait qu’à votre trogne et voilà, le résultat ! Au plus profond de vous-même, vous saviez que cela arriverait et vous attendiez !
On pense que l’on ne sera jamais plus le même, que la part d’âme que l’on a donné à l’autre, on le récupérera jamais. On n’a plus de goût, d’enthousiasme, plus rien : game over.
Depuis des mois, Sarah me faisait comprendre qu’elle en avait assez de gratter pour payer tout parce que j'étais dans mon monde, de s’occuper seule de Simon, de casser la croûte seule, de sortir seule ou d’attendre que je rentre des champs de courses.
Pour moi, plus rien ne comptait à part les chevaux. J’en rêvais même la nuit. Je ne dormais que quelques heures et hop, je remettais ça, direction l’hippodrome après le réveil de Simon.