Insoumission - Aurélie Stromboni Mahler - E-Book

Insoumission E-Book

Aurélie Stromboni Mahler

0,0

Beschreibung

Elle pensait fuir la misère. Elle va entrer dans l’inconnu. Veuve et mère de trois enfants, elle lutte pour maintenir à flot ce qui reste de sa vie. Lorsqu’un couple d’Anglais fortunés lui propose un emploi dans leur manoir isolé, elle y voit une chance inespérée de reprendre pied. Mais derrière les grilles élégantes de la propriété, le silence dissimule bien des secrets. Pourquoi lui est-il strictement interdit d’entrer dans la dépendance attenante à la maison ? Quelles étranges allées et venues s’y produisent chaque samedi soir ? Et surtout, jusqu’où est-elle prête à aller pour découvrir la vérité ? À mesure que le mystère s’épaissit, l’angoisse s’installe. Ce qu’elle va découvrir pourrait bien ébranler tout ce qu’elle pensait savoir… sur les autres, sur elle-même, et sur ce qu’on est capable d’accepter pour survivre.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Aurélie Stromboni Mahler écrit depuis son enfance, inventant déjà des histoires de fantômes, des récits sur l’univers de la drogue et l’horreur. Bercée par les films d’horreur et les séries policières, son style d’écriture s’est naturellement dessiné.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 347

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Aurélie Stromboni Mahler

Insoumission

Roman

© Lys Bleu Éditions – Aurélie Stromboni Mahler

ISBN : 979-10-422-7265-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma sœur Morgane, sans qui aucun des romans de ma vie d’adulte n’aurait pu voir le jour décemment, merci à toi pour toutes ces relectures, corrections, idées de génie… Merci d’avoir été là et de m’avoir soutenue dans ces projets fous.

À mon mari Jérémy, qui continue de m’aimer tout en sachant quel esprit tordu j’ai (mais je suis saine d’esprit hein !)

À toutes les personnes de la communauté BDSM qui m’ont beaucoup aidée à écrire ce livre de manière assez réaliste, pour que je ne raconte pas trop de bêtises sur cette manière de vivre le sexe et la vie en général. Merci d’avoir accepté de partager avec moi vos anecdotes, ressentis et sentiments pour enrichir mes personnages.

Merci à mes lecteurs. À quoi bon écrire des histoires si personne ne les lit ? Merci de supporter mon style d’écriture pas toujours évident à lire (-18 ans, âmes sensibles s’abstenir). Vous êtes aussi tordus que moi et ça fait plaisir !

Merci à vous tous, je vous aime !

PS : Désolée pour toutes les personnes de plus de soixante ans… Vous comprendrez pourquoi…

Le BDSM soft c’est du jeu, le BDSM hard c’est une philosophie du sexe. Le corps au service de l’esprit.

Gordon Brand

Prologue

Samedi soir

Jamais encore on a vu autant de corps nus collés les uns aux autres, autant de peaux caressées, de bouches embrassées, de sexes dressés… Nombre d’actes sexuels ont été commis dans cet endroit, du plus sain au plus dégueulasse, mais pas à ce point-là. Tous les convives sont entassés les uns sur les autres. On peut voir ici et là des mains qui tripotent, des langues qui lèchent, des dents qui mordent… Du sperme et de la mouille envahissent le sol devenu collant sous les pieds nus des participants. L’atmosphère est chaude, l’air est moite. Les corps en sueur changent de partenaire à leur guise. Le plaisir se lit sur la plupart des visages. Une personne lambda serait choquée devant un tel spectacle…

Dans la cage, un « chien » est attaché en laisse, il vient de se chier dessus et sa maîtresse l’oblige à ramasser sa merde avec sa bouche. Il adore ça. Son érection est de plus en plus puissante, au point même où il pourrait jouir sans même se branler.

Sur le lit, un couple fait l’amour. Rien d’anormal, à ceci près que leurs hôtes les regardent. Ils aiment ça, l’exhibition fait partie de leur plaisir. Ils sont beaux, jeunes et bien proportionnés, alors à quoi bon se cacher ? Ils se disent qu’il faut en faire profiter les autres, que tout le monde puisse les admirer, les désirer, les jalouser… Être le centre de l’attention augmente leur plaisir.

Sur la balançoire, une jeune domestique se fait fouetter par un vieux pervers. Tous les fouets y passent. Les lanières en cuir, celles en chaîne… Il prend son pied à la maltraiter comme une prisonnière. La pauvre saigne, ses fesses sont à vif. Elle a mal, terriblement mal, mais elle préfère ne pas y penser. Dans son esprit, elle s’évade et pense aux nombreux billets qui lui seront donnés à la fin de la nuit et à tout ce qu’elle va pouvoir s’offrir avec. Des robes, des chaussures… Elle se voit déjà revêtue de ses trouvailles. Ça l’aide à supporter la douleur. Enfin, un petit peu.

Au bar, un homme boit jusqu’à plus soif. Il en est à son neuvième verre de whisky et commence à avoir la tête qui tourne. Sans prévenir, il vomit tout son dîner sur le barman d’un soir. Le soûlard rit de bon cœur, le jeune homme un peu moins. L’odeur lui donne la nausée, il manque lui aussi de rendre son dernier repas. L’homme ivre s’écroule sur le sol sans que personne n’y fasse attention, personne ne vient à son secours. Il se réveillera dans quelques heures avec un mal de crâne épouvantable et du vomi partout sur son costume de luxe.

Une jeune femme déambule dans toute la pièce avec un plateau de fruits de mer, vêtue uniquement d’un string noir. Sa démarche est étrange. Pas à cause de ses hauts talons, mais plutôt à cause de l’écarteur qu’elle a entre les cuisses. Une sorte de grosse aiguille qui est plantée dans sa chair des deux côtés, juste en dessous de son entrejambe. Des gouttelettes de sang coulent le long de ses jambes fines et parfaites. Elle retient ses larmes et gémissements de douleur. Elle est domestique, et rien ne doit paraître de ses sentiments au cours de ces soirées.

Les domestiques sont là, juste là. Comme des plantes vertes, ou plutôt comme des poupées sexuelles à qui on pourrait faire endurer tout et n’importe quoi. Ils n’ont pas leur mot à dire. Après tout, ce ne sont que des petites gens sans intérêts. Des moins que rien. Imbéciles pour la plupart. C’est ce que pensent les organisateurs des soirées.

Sur leur trône, ils regardent avec attention tout ce qui se passe sous leurs yeux. Ils ne manquent aucun détail, rien ne leur échappe. Ce sont les roi et reine du monde. Les maîtres de cérémonie. C’est ainsi qu’ils prennent leur pied. L’homme ne touche pas sa femme, jamais en public. Mais il donnerait tout pour elle. Elle veut la mort d’une domestique trop aguicheuse ? Elle l’a. Elle veut que son mari se fasse faire une pipe par une autre ? Il accepte. Ce qu’elle veut ce soir n’est pas très différent de d’habitude. Elle veut dominer tout le monde. D’un coup d’un seul, sans même prévenir son mari, elle se lève et hurle avec un accent très anglais et assez fort pour couvrir la musique d’ambiance :

— Mesdames, messieurs, la soirée touche à sa fin.

Tous les convives et domestiques obéissent au doigt et à l’œil. Ils se tournent vers elle, curieux de connaître la suite des évènements. Même le mari est en attente de l’ordre suivant.

— Soumises, soumis, approchez, et baisez-moi les pieds.

Un à un, tous les soumis viennent et exécutent l’ordre de la maîtresse de maison. Toutes les bouches se posent sur les pieds de la femme. Certaines langues font du zèle, au risque de se prendre un coup qui n’arrive pourtant jamais. Une fois tous les soumis passés, elle se relève, regarde ses sujets et leur demande de partir :

— Vous pouvez disposer. Bonne nuit à tous !

Les convives récupèrent leurs affaires personnelles, se rhabillent et s’en vont.

Les domestiques rangent et nettoient sous les yeux pervers du mari. Il peut enfin passer aux choses sérieuses et jouir comme il se doit. Une jeune femme astique une tache tenace juste devant lui, il attrape alors son membre et après un petit moment de va-et-vient, il gicle par terre, juste à côté de la jeune femme.

— Nettoyez-moi ça, c’est répugnant, dit-il en montrant la tache de sperme.

Partie 1

1

Lundi

— Croyez bien que je compatis à son chagrin, au vôtre même, mais je ne peux pas tolérer un tel comportement au sein de mon établissement… Je ne sais que trop bien ce que cela fait de perdre un être proche, un père qui plus est. Mais insulter un professeur et frapper un camarade de classe n’est pas une solution. Je ne renvoie pas Lenny de gaieté de cœur, mais tant que son comportement n’est pas revenu à la normale, je ne veux plus de lui ici. Sans doute serait-il préférable qu’il parle à quelqu’un, qu’il…
— Un psy vous voulez dire ? la coupe Laura, énervée par les propos désobligeants de la directrice.
— Par exemple, oui. Un professionnel serait plus à même de l’aider à régler ses problèmes et ainsi faire son deuil.

Laura soupire. Elle aussi aimerait bien l’insulter là tout de suite.

— Régler ses problèmes ? C’est-à-dire ? Faire revenir son père ? On ne peut pas lui demander de faire son deuil en à peine deux mois… Et ce n’est pas un psy qui coûte la peau du cul qui y changera quelque chose. Lenny est en colère, furieux même. Un chauffard lui a volé son papa, son modèle ! Je veillerai personnellement à ce que son comportement soit irréprochable en classe, qu’il ne fasse plus de vagues et surtout qu’il ne montre absolument pas son chagrin après la disparition de l’homme le plus important de sa vie…

Sur ces mots, Laura se lève et attrape son manteau. La mère de famille fait signe à son fils de la suivre, et il s’exécute.

— Ne le prenez pas comme ça, madame Martin…
— Comment voulez-vous que je le prenne ? siffle Laura entre ses dents.

Furieuse, elle ouvre la porte du bureau avec violence et sort. Elle voudrait claquer la porte, mais la directrice la suit de près. Une fois dans le couloir, Laura se retourne vers elle, les yeux sombres. La tension entre elles est palpable.

— Trois semaines, c’est bien ça ?
— Oui. Deux s’il présente ses excuses par écrit aux personnes qu’il a agressées.

L’adolescent soupire. Qu’on parle de lui comme s’il n’était pas là l’énerve au plus haut point. Il souffle à chaque fin de phrase des deux femmes.

— Je suis là, hein. Si vous avez quelque chose à me demander, vous pouvez me parler directement, vous savez… Je ne suis ni sourd ni débile ! Et je ne présenterai pas d’excuses à ces enfoirés.
— Lenny ! gronde sa mère.
— Voilà ce que j’essaye de vous faire comprendre depuis tout à l’heure. Lenny a une rage en lui qu’il ne parvient pas à contrôler. Malheureusement ce sont les autres qui en pâtissent. J’ai beaucoup d’élèves et je ne peux pas prendre le risque de les mettre en danger…

Laura a honte. Elle aimerait pouvoir aider son fils à aller mieux, mais elle ne sait pas comment faire. Elle a dû gérer tellement de problèmes, financiers ou administratifs et maintenant disciplinaires, qu’elle n’a même pas eu le temps de s’attarder sur ses propres émotions, alors celles de ses enfants n’en parlons même pas. Elle s’excuse auprès de la directrice et s’en va avec son fils.

— Encore toutes mes condoléances madame Martin.

Laura se retourne, les yeux mouillés, et la remercie faussement. Elle sait pertinemment que la femme n’est pas sincère et qu’elle ne désire qu’une seule chose : que le chagrin d’un enfant ne vienne pas entacher la réputation presque parfaite de son établissement.

Le soir venu, toute la famille est autour de la table. L’odeur des pâtes bolognaises en boîte embaume la petite salle à manger. La télévision passe une énième rediffusion d’une sitcom américaine. Les trois enfants mangent leur repas sans même se considérer les uns les autres, obnubilés par l’écran. De vrais zombis, songe Laura, exaspérée par ce qu’elle constate. Quelques bouchées plus tard, la coupure publicitaire arrive enfin et la mère de famille en profite pour engager la conversation avec ses enfants.

— Alors Axel, ton contrôle de maths ? Ça s’est bien passé ?

Le lycéen acquiesce sans grand enthousiasme. La bouche pleine, il peine à articuler à sa mère qu’il a « tout déchiré ». Satisfaite de cette réponse, Laura passe à Charlie :

— Et toi ma puce ? Toujours embêtée par cette petite peste qui te tire les cheveux ?
— Non… J’en ai parlé à la maîtresse et elle l’a punie.
— Elle va te le faire payer demain, ça, c’est sûr, intervient Lenny.

Laura lance un regard noir à son fils avant de rassurer sa jeune fille.

La conversation continue ainsi jusqu’à la reprise de l’épisode. Trois jeunes garçons font bêtise sur bêtise et en font voir de toutes les couleurs à leurs pauvres parents. Lenny tente une plaisanterie :

— Et eux on ne leur dit rien… Ils ne se font pas renvoyer ! Et pourtant ils font bien pire que moi !

Axel, Lenny et Charlie pouffent en chœur. Laura, beaucoup moins. La plaisanterie de son fils ne la fait pas rire du tout. À vrai dire, plus rien ne la fait rire depuis deux mois, depuis que son mari s’est fait percuter par un chauffard ivre mort alors qu’il revenait du travail.

— Ne compare pas une série débile et la vraie vie… Dans la réalité, quand tu as un coup dur, on t’enfonce plus bas que terre. On ne se contente pas de passer à l’épisode suivant comme si rien ne s’était passé.

Sur ces mots, Laura se lève brusquement, range son assiette dans le réfrigérateur pour plus tard et part dans sa chambre avec la première bouteille d’alcool qu’elle trouve. Depuis quelque temps, la boisson est devenue son unique repas.

Dans la salle à manger, les trois enfants entament une nouvelle dispute, se rejetant la faute de la dépression de leur mère des uns aux autres. Enfermée dans le noir, Laura boit une longue gorgée qui lui brûle la langue avec comme bande sonore les hurlements de sa famille déchirée.

— Tout ça, c’est à cause de toi, tu trouves pas mieux que d’te faire virer en ce moment… Comme si elle avait besoin de ça.
— Ta gueule putain, c’est pas ma faute c’est eux qui m’ont cherché ! J’ai fait que m’défendre moi.
— Arrêtez de crier, maman fait dodo.
— Elle fait pas « dodo », elle est encore en train de picoler !
— Lenny, elle est trop petite pour comprendre ça…
— C’est quoi « picoler » Assel ?
— Axel, pas Assel ! T’es débile ou quoi ?
— Lenny ! Tu vas te calmer, putain !

Et ça continue pendant plusieurs minutes. Laura est en pleurs. Elle n’en peut plus. La pauvre femme ne supporte plus ces déferlements de haine entre ses enfants, entre des personnes qui sont censées s’aimer plus que tout au monde. Jamais elle n’aurait imaginé en arriver à un tel point. Comment une telle dérive est-elle possible ?

Les larmes aux yeux et une demi-bouteille plus tard, les paupières de Laura se ferment tout doucement. Au salon, les enfants se sont calmés. Axel emmène sa petite sœur au lit, demande à Lenny de jouer sur sa console en silence et pénètre discrètement dans la chambre de sa mère. L’odeur d’alcool lui pique le nez. Lentement, il s’approche du lit. Tendrement, il dépose un baiser sur le front de sa maman, remet délicatement la couverture sur elle et lui vole la bouteille. En repartant, il ferme la porte de la chambre et se dirige vers la cuisine. Dans un soupir d’épuisement, il vide le reste d’alcool dans l’évier.

— Qu’est-ce que tu fous ? lui demande Lenny, venu se chercher une canette de soda.
— T’en as pas marre d’avoir une mère alcoolique toi ?
— Si… soupire-t-il. Mais avec ce qu’elle a vécu, je la comprends. Si je pouvais picoler, moi aussi je le ferai.
— C’est pas la solution…

Axel ouvre le placard et en sort plusieurs bouteilles qu’il vide aussi dans l’évier. Lenny s’approche et accompagne son frère dans l’espoir de guérison de leur mère. Un début de complicité naît entre eux. Ils vont ensuite se coucher, profiter d’une dernière nuit paisible avant de s’en prendre plein la gueule le lendemain.

Mardi

Comme l’avaient prévu Axel et Lenny, Laura hurle de bon matin. Elle insulte ses garçons de bons à rien, d’irresponsables…

— Vous vous rendez compte de tout l’argent que vous avez foutu à la poubelle ? Vous croyez qu’on est riche à millions ? Des fois, je me demande ce que vous avez dans la tête !
— On essaye juste de te sauver la vie, putain ! Tu crois que picoler comme ça va arranger les choses ? Tu te rends compte de l’exemple que tu donnes à Charlie ? hurle Axel.

Le ton monte entre la mère et son fils. Lenny, plus en retrait, retient ses larmes. Il n’aime pas ce qui est en train de se passer. Tout ça, c’est ma faute, se dit-il.

— Arrêtez putain, fermez vos gueules ! hurle-t-il. Maman, j’suis désolé d’m’être fait virer du collège. J’te promets que j’vais m’calmer. Mais faut vraiment qu’t’arrêtes de boire… J’veux pas d’un zombi comme maman. S’te plaît.

Laura s’effondre. Ses genoux cognent violemment le sol et ses mains retiennent sa tête, camouflant des torrents de larmes. Axel vient rapidement à son secours, la prend dans ses bras et enjoint son frère à faire de même. Lenny les rejoint donc dans un moment de tendresse familiale.

La mère promet du bout des lèvres d’arrêter de boire, dit qu’elle n’est pas alcoolique, pas au point de devoir se faire soigner. Elle va y arriver toute seule, ou avec l’aide de ses enfants en tout cas. Leur amour la rend plus forte. Tous deux promettent d’être là pour elle, de tout faire pour qu’elle arrive à s’en sortir. Pour qu’ils s’en sortent tous. Laura et Lenny pleurent à chaudes larmes, Axel les rejoint.

Au loin, on entend les petits pas de Charlie qui résonnent sur le carrelage.

— Qu’est-ce qui s’passe maman ? Pourquoi vous pleurez tous ? demande-t-elle innocemment, les yeux mi-clos.

Axel se lève et prend sa petite sœur dans les bras, la rassurant comme il le peut. Gaiement, il lui propose de lui préparer son petit déjeuner pendant qu’il invite sa mère à aller prendre une bonne douche bien chaude.

— Pas trop longue, hein. J’voudrais pouvoir me laver moi aussi, lance Lenny d’un air taquin.

La plaisanterie ne plaît pas à Axel qui le foudroie du regard en versant des céréales bon marché dans un bol de lait pour sa petite sœur en marmonnant :

— Te laver, tu parles… C’est pour te branler ouais !
— Ta gueule le fayot !
— Lenny, Axel ! Pas devant Charlie ! gronde faussement la mère de famille qui sait très bien que ce n’est malheureusement pas la première fois que la petite entend ce genre de grossièretés.

Un rire contagieux se propage dans la pièce. L’ambiance se détend peu à peu malgré les tensions permanentes.

Laura se sent mieux.

Laura se sent plus forte, suffisamment pour tenir sa promesse.

Laura espère que tout ira pour le mieux à présent.

2

Mardi

Les morceaux de porcelaine s’éparpillent par centaines sur le sol de la bibliothèque. La moquette de velours emprisonne les éclats blanc et bleu. Il y en a partout, jusque sous le canapé. Margot va mettre des heures à tout ramasser. Heureusement, il n’y avait pas de fleurs dans cet immense vase ancien. Exaspérée, la femme de ménage s’agenouille et commence à ramasser les plus gros morceaux, qu’elle empile dans le creux de sa main. Jurant pour elle-même, elle n’entend pas sa patronne arriver. La porte s’ouvre dans un violent fracas, faisant apparaître une femme folle de rage.

— Mais enfin, que s’est-il passé ? hurle la dame avec un fort accent anglais. What did you do ?

Margot se redresse aussitôt, surprise de voir sa patronne dans la pièce. Elle se relève pour faire face à la femme et lui expliquer comment elle a brisé le vase. Les mots ont du mal à sortir de sa bouche, la pauvre jeune femme bégaye sous la pression :

— Madame Walsh, je… je suis désolée. Je passais… l’aspirateur… et en reculant je me suis cognée dans le guéridon… et le vase est… tombé…

Le visage de madame Walsh vire instantanément au rouge. Sa peau d’ordinaire pâle ressemble à présent à celle d’un diablotin de dessin animé. Elle est aussi écarlate que sa moquette à cinquante euros le mètre carré.

— You are sorry ? Really ? Stupid insolent girl ! hurle-t-elle en postillonnant sur Margot, les poings serrés.
— En français, madame Walsh, please. Je ne parle pas anglais…

La femme au teint écarlate s’arrête net de hurler, avale bruyamment sa salive, prend une profonde inspiration et gifle la jeune domestique de toutes ses forces. Surprise par cette attaque, elle s’effondre au sol, accueillie par la moquette moelleuse et les bouts de porcelaine coupants. Des gouttelettes de sang apparaissent sur les paumes de Margot, elle les regarde avec des yeux humides. Elle aimerait tant ne pas lui faire ce plaisir, ne pas pleurer devant cette femme odieuse, mais la douleur l’emporte sur la force mentale et les larmes coulent. Beaucoup trop vite, beaucoup trop fort. Margot s’en veut de lui montrer ses faiblesses, elle s’était promis de ne jamais craquer devant cette femme, devant cette vipère. Péniblement, elle se relève et fait face à l’Anglaise, le visage crispé.

— Et cela, vous le comprenez ? Ou avez-vous aussi besoin que je vous le traduise… Petite idiote ! Vous rendez-vous compte de ce que vous venez de faire ? Ce vase m’a coûté pas moins de dix mille euros ! Petite sotte que vous êtes… Ah les domestiques, tous aussi unable les uns que les autres…

Margot tient tête à madame Walsh qui balance ses vacheries comme un poème qu’elle récite. Ses mains la font souffrir, les insultes qu’elle reçoit lui font ressentir du mépris, mais elle reste de marbre autant que possible. Au bout de quelques secondes de silence, la jeune femme se décide à présenter des excuses à sa patronne, en jurant qu’elle ne l’a pas fait exprès.

— Encore heureux ! Déjà que vous êtes bête, si en plus vous étiez méchante ce serait un comble ! crache celle-ci au visage de son employée.

C’en est trop pour Margot. La tête baissée, elle quitte la pièce en pleurant. C’est compter sans madame Walsh qui se retourne à s’en donner le vertige et s’époumone sur la pleurnicheuse :

— Où comptez-vous aller comme ça ? Revenez ici, right now ! Qui va nettoyer tout ceci ? Certainement pas moi, petite bonne à rien !

Les larmes débordant des yeux et les joues inondées, Margot fait demi-tour et s’agenouille devant sa patronne. Un à un, elle ramasse les éclats de vase cassé et les jette dans la petite poubelle de bureau, sous le regard noir de l’Anglaise. De petites gouttes de sang tombent sur la moquette, mais personne ne semble s’en apercevoir pour le moment. La respiration saccadée de madame Walsh ne s’atténue pas au fur et à mesure que les fragments de porcelaine disparaissent du sol. Ses doigts tapotent ses bras, plantant presque ses ongles parfaitement manucurés. Son visage ne laisse apercevoir aucune émotion, sa peau étant bien trop tirée par les nombreuses interventions chirurgicales qu’elle a subies. Mais ses yeux, ses fenêtres grandes ouvertes sur son âme noire laissent échapper toute la rage qu’elle ressent en regardant une boniche faire son travail. Cela l’insupporte. Elle a bien mieux à faire de ses journées que d’assister des incapables pendant leurs heures de travail.

Une fois le dernier morceau ramassé, madame Walsh donne un coup de pied dans la poubelle. Les éclats de vase se répandent à nouveau sur le sol.

— Mais…
— Ramassez ! hurle la maîtresse de maison.
— Oui madame Walsh… pleurniche Margot.

De nouveau, la femme de ménage ramasse les débris d’une main et les jette dans la poubelle, qu’elle maintient fermement de l’autre main. Elle ne se fera pas avoir une seconde fois. Tous les morceaux ramassés, la poubelle dans les bras, elle sort de la pièce en regardant ses pieds. Derrière elle, l’Anglaise la suit de près en grinçant des dents.

— Videz-moi ça dans la poubelle extérieure et faites vos valises. Je veux que vous soyez partie avant ce soir, finit-elle par cracher du bout des lèvres.

Margot se retourne brusquement, les larmes aux yeux. Choquée par la nouvelle, elle ne comprend pas cette réaction.

— Quoi ? Mais madame Walsh, j’ai besoin de ce travail, vous ne pouvez pas me faire ça ! Comment je vais finir de payer mes études ?
— Ce n’est pas mon problème… Si vous étiez moins stupide, vous garderiez votre emploi.

Les larmes de Margot ne peuvent s’empêcher de couler. Elle a beau essayer de les retenir depuis tout à l’heure, c’est maintenant impossible. Furieuse contre l’Anglaise, elle jette la poubelle pleine de morceaux de porcelaine par terre et court vers la porte de la demeure en lançant des injures à quiconque veut bien les entendre. Madame Walsh entre dans une rage folle, court vers la jeune femme de ménage et lui attrape violemment les cheveux.

— Espèce de petite ingrate ! Vous allez me ramasser ce merdier, immediately ! hurle-t-elle en poussant la pauvre Margot au milieu des débris coupants.

Entendant tous ces cris insupportables depuis son bureau, monsieur Walsh vient mettre son grain de sel dans cette dispute afin de la faire cesser. L’homme de soixante-trois ans représente à lui seul la beauté et le chic à l’anglaise d’un Jude Law. Son flegme légendaire apaise la situation en un rien de temps :

— Que se passe-t-il, darling ? Qu’est-ce dont tout ce raffut ? demande-t-il avec – lui aussi – un fort accent anglais.

Madame Walsh reprend une respiration normale et explique les faits à son mari, qui lui tient les mains pour la calmer. Au sol, Margot continue de pleurer. Personne ne semble se soucier d’elle, ni de son chagrin, ni de sa douleur.

— Et bien Margot, tout cela est fâcheux…
— Je suis désolée, monsieur Walsh, je ne l’ai pas fait exprès, c’était un accident ! D’habitude je suis toujours prudente, je fais toujours attention. Par pitié, laissez-moi continuer de travailler ici, je ne ferai plus d’erreur, je vous le promets !

Monsieur et madame Walsh chuchotent dans leur coin, la discussion silencieuse semble animée. Ils ne sont visiblement pas d’accord sur la décision à prendre quant à l’avenir de la jeune demoiselle dans leur demeure. Les mots « fool », « whore » ou encore « bitch » sont répétés à plusieurs reprises par madame Walsh. Margot regarde la scène comme si elle n’était pas concernée et attend la décision avec un air absent. Les minutes passent et semblent s’éterniser, rien ne se précise entre les deux Anglais.

Au bout d’une dizaine de minutes insupportablement longues, monsieur Walsh se tourne vers la jeune femme de ménage, le visage sombre.

— I am sorry, Margot mais nous allons devoir en rester là. Je vais vous demander de bien vouloir rassembler vos affaires et quitter notre demeure. Vous avez une heure. Bonne continuation.

La pauvre domestique se relève enfin et attrape les mains de son patron en le suppliant de ne pas la licencier. Elle tente le tout pour le tout, larmes, yeux doux, pleurnicheries, séduction… Mais rien n’y fait, leur décision est prise. Margot doit partir.

— Si vous voulez, il y a sûrement de la place sur le bord de la route Nationale 7. Une jupe courte et de hauts talons vous feraient gagner beaucoup d’argent là-bas… lance madame Walsh sur le ton le plus hautain dont elle est capable.

Margot lui lance un regard noir, elle voudrait la tuer à cet instant. Mais elle n’en fait rien, bien trop gentille pour répondre quoi que ce soit. Ou trop faible d’esprit. Comment peut-on être aussi méchant ? Comment un être humain peut-il traiter un autre être humain de la sorte sans se sentir coupable ? Jamais la jeune femme ne saura répondre à ces questions.

Elle ramasse donc les morceaux de porcelaine, les met dans la poubelle et les jette dans le local extérieur. Quelques dizaines de minutes plus tard, sa valise est prête. La demoiselle n’a pas amassé beaucoup d’effets personnels pendant sa courte période de travail à la demeure des Walsh. Quelques vêtements, deux ou trois paires de chaussures et ses affaires de toilette. Rien de plus.

— Margot ? appelle monsieur Walsh. Vous êtes encore là ?
— Oui. Je m’en vais ne vous en faites pas…
— Non, attendez.

Margot pose sa valise devant la porte et s’approche de son patron.

— Que se passe-t-il, monsieur Walsh ?
— Appelez-moi Richard.
— Très bien, Richard. Que puis-je pour vous ?

L’Anglais passe sa main légèrement ridée dans les cheveux bruns de la jeune femme, les repoussant derrière son oreille. Tous deux se regardent droit dans les yeux, créant une certaine tension sexuelle. Leurs respirations s’accélèrent, leurs bouches s’assèchent, leurs mains deviennent moites… Mais pas pour les mêmes raisons. Margot est gênée, presque apeurée, alors que monsieur Walsh est visiblement très excité.

— Vous n’aviez quand même pas l’intention de partir sans me dire au revoir… murmure-t-il.

Monsieur Walsh, tout émoustillé, ne peut cacher son érection dans son pantalon Givenchy à presque huit cents euros. L’homme attrape délicatement la main de la jeune femme et la colle sur la bosse de son entrejambe. Margot est de plus en plus gênée, la pauvre ne sait plus où regarder.

— Monsieur Walsh… Euh Richard… Qu’est-ce que…
— Cinq cents euros pour vous si vous me faites l’adieu que je mérite. Are you okay ? demande-t-il en imitant une fellation à l’aide de sa propre langue.

Margot n’a pas le temps de réfléchir, elle n’est pas choquée par la proposition que lui fait son patron, ce n’est pas la première fois. Mais ce sera bel et bien la dernière. Une telle somme pourra l’aider à retomber sur ses pieds une fois définitivement licenciée. La domestique ne met pas longtemps à accepter l’offre de l’Anglais.

La jeune femme s’agenouille devant lui après avoir fermé la porte de sa chambre. Elle déboutonne délicatement le pantalon de luxe de monsieur Walsh, descend son slip blanc et attrape l’engin bandé fermement entre ses mains. La bouche grande ouverte, elle accueille le sexe avec ses lèvres et sa langue humide, tout en faisant bien attention de ne pas râper ses dents dessus. Heureusement pour elle, l’Anglais ne tarde pas à jouir. Un inconvénient pour sa femme, mais un avantage pour toutes les autres.

— Thank you Margot. Vous pouvez disposer maintenant, dit-il, en tendant cinq billets verts.

La jeune femme, honteuse, mais satisfaite, prend l’argent et s’en va. Sa valise d’un côté, son sac à main de l’autre, elle part de la demeure des Walsh.

Un nouveau départ l’attend.

Une nouvelle vie.

Loin de cette demeure.

Loin de ces pervers.

3

Mercredi

Laura attend son amie depuis presque une demi-heure. Sa tasse de café est presque vide et sa patience est bien entamée. Après trois SMS envoyés et plusieurs appels passés dans le vide, elle se tâte à partir et rentrer chez elle. La mère de famille a mille et une choses à faire et ne peut pas se permettre de perdre du temps bêtement à attendre une personne qui ne viendra sans doute pas. La machine à laver ne va pas se lancer toute seule, la saleté ne se lavera pas d’elle-même tout comme le désordre ne se rangera pas comme par magie. Et il ne faut pas trop qu’elle compte sur ses trois enfants pour faire toutes ces tâches ménagères…

Laura est énervée contre son amie, elle ne comprend pas pourquoi elle lui a fait faux bond. Elle a intérêt à avoir une bonne excuse ! se dit-elle, avant d’essayer une énième fois de la rappeler. Le bip sonore retentit plusieurs fois avant que Laura entende enfin la voix de son amie lui dire « Allô ».

— Mais qu’est-ce que tu fous bordel ? Ça fait trente minutes que je poirote comme une conne dans le bar… Le serveur arrête pas de me regarder comme si j’allais partir sans payer. Ça doit se voir que je suis pauvre… T’es où là ?
— Ah me gueule pas dessus, hein ! Je suis pas d’humeur, là. J’arrive, je suis en train de me garer. Je t’explique tout après.

La voix de son amie inquiète Laura, elle a l’impression qu’elle est en train de pleurer. La femme s’en veut de lui avoir crié dessus. Patiemment, elle attend que son amie arrive en finissant les quelques gouttes de café qu’il reste dans sa tasse.

— Salut ma belle, désolée du retard… dit-elle en reniflant.
— Salut, Fanny, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu pleures ? demande Laura.

La discussion tourne autour de la récente rupture de la fameuse Fanny avec Grégory – son plan cul du moment dont elle n’était pas censée tomber amoureuse – pendant quelques minutes. Le temps d’essuyer ses larmes et de moucher son nez, la nouvelle célibataire décide de changer de sujet et de parler de quelque chose de plus joyeux. Malheureusement, ni l’une ni l’autre n’a de bonnes nouvelles. La conversation se détourne donc sur le sujet favori de Laura : le décès de son mari et les dettes qu’il lui a laissées.

— Je te jure, je ne sais pas comment je vais faire… Déjà qu’on roulait pas sur l’or avant, mais avec les frais de l’enterrement et son salaire en moins… On est le dix et je suis déjà à découvert. Je dois encore payer l’électricité, la cantine des deux grands et les courses ! Si ça continue comme ça, dans deux mois je suis à la rue ! Des fois, je me dis que je ferais mieux de me jeter du haut d’un immeuble ! Les petits iraient chez leurs grands-parents, ils auraient une meilleure vie que ce que je peux leur proposer…
— Laura ! Ne dis pas des choses comme ça ! Merde, tu fais chier !

Fanny, qui est d’une nature guillerette, ne supporte pas les paroles dépressives de son amie en deuil. Elle aimerait pouvoir lui remonter le moral, mais n’ayant jamais perdu de proches, elle ne sait pas comment faire. Maladroitement, elle tente des blagues et des conseils… Mais rien n’y fait. Laura est de plus en plus mal. Décidée quand même à aider son amie, Fanny fait une dernière tentative de « remontage de moral » :

— J’ai entendu parler d’une offre d’emploi dans la ville voisine. Un couple de bourgeois cherche une femme de ménage à domicile… Tu devrais postuler, apparemment ça paye bien !
— C’est quoi le mauvais côté du bon plan ? s’inquiète Laura.
— Aucune idée. On m’en a juste parlé vite fait hier au travail. La sœur d’un ami d’un collègue à moi travaille là-bas et elle s’y plaît beaucoup ! Logée, nourrie, blanchie ! Ton salaire, c’est juste ton argent de poche ! Tu te remettrais rapidement sur pieds.

Laura réfléchit. Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée… Femme de ménage n’est pas le boulot de ses rêves, mais quand on n’a pas le choix, on prend ce qui vient. Il n’y a pas de sous-métier comme lui répétait souvent sa mère. Après quelques minutes de discussion et réflexion, Laura se décide à en demander plus à Fanny.

— Je demanderai demain à Steven qu’il demande à la sœur de son pote les coordonnées. Je suis sûre que ça va le faire, tu vas t’en sortir, ne t’inquiètes pas… Tout va finir par s’arranger, j’en suis certaine !

Sur cette note d’espoir, Fanny se lève pour payer l’ensemble des consommations et les deux amies se disent au revoir sur le trottoir, frigorifiées par la température hivernale.

— Allez, prend soin de toi ma belle. Tu verras, tout va s’arranger ! Tes amies sont là pour toi, ne l’oublie pas !

Des amies, des vraies, malheureusement Laura n’en a plus beaucoup depuis le décès de son mari. Toutes l’ont abandonnée à son malheur et à sa pauvreté, la laissant seule à essayer de sortir de sa merde. Seule Fanny est là pour elle, enfin quand elle n’est pas occupée à coucher à droite à gauche avec qui veut bien d’elle. La liberté sexuelle de la jeune femme a toujours fasciné Laura, qui n’a toujours connu que son mari qui était son petit ami du collège. Alors voir quelqu’un passer d’un homme à l’autre, en déraillant de temps en temps vers des femmes, son cerveau ne peut pas le comprendre. Elle n’est pas prédisposée à enregistrer ce genre d’information. Et pourtant, depuis le décès de son mari, elle essaye. Elle s’intéresse aux aventures de son amie, lui pose des questions indiscrètes, se demande si elle serait elle aussi capable de faire la même chose après son deuil. Voire même si s’amuser comme ça avec d’autres hommes ne l’aiderait pas à passer à autre chose. Pas à oublier son mari, mais à effacer un peu son chagrin. Après tout, le sexe n’est-il pas qu’un amusement ? Tant qu’aucun sentiment n’entre dans l’équation et qu’aucun cœur n’est brisé, il faut savoir se faire plaisir. C’est l’état d’esprit dans lequel Laura tente de se mettre depuis quelques jours.

Les mains aussi rouges que le bout de son nez, Laura arrive enfin chez elle. Ses enfants l’attendent chacun à leur poste. Axel fait ses devoirs en écoutant de la musique, Lenny joue à la console en faisant semblant d’avoir fait ses devoirs et Charlie lit un livre pour enfant dans lequel elle doit trouver une petite souris qui se cache un peu partout, sous le regard protecteur de son grand frère. C’est le genre de tableau dont Laura a l’habitude. Enfin, plus depuis deux mois. Quelque chose a changé dans le comportement de ses enfants, et elle a bien l’intention de savoir ce qui se cache derrière tout ça.

— Salut les enfants ! Je suis rentrée.
— Maman ! hurle la petite Charlie en courant vers elle pour lui faire un câlin.

Axel retire ses écouteurs pour saluer sa mère et Lenny, avachi sur le canapé, fait un geste de la main au loin. Laura pose son sac à main, se défait de son manteau et de son écharpe et se pose à table avec son aîné et sa petite dernière. Celle-ci lui montre le livre qu’elle a emprunté aujourd’hui à l’école, et lui dit qu’elle trouve toujours la petite souris.

— C’est bien ma puce, tu es trop forte ! la félicite-t-elle.
— Ça va c’est pas compliqué non plus de trouver une putain de souris dans un putain de bouquin pour enfant… Tu veux pas une médaille non plus ? s’énerve Lenny dans son coin.

Laura lance un regard noir à son fils, qui se retourne avec insolence vers sa console de jeu. Elle ne supporte pas que son fils dise des grossièretés, encore moins devant sa jeune sœur de quatre ans. La pauvre petite a bien encore le temps d’en entendre. Une légère remise au point plus tard et l’incident est déjà oublié.

Laura s’affaire à préparer le repas pour toute sa famille. N’ayant ni le temps ni l’argent – ni la motivation d’ailleurs – de cuisiner des produits frais et sains pour la santé de ses enfants, elle réchauffe une boîte de conserve. Des raviolis mélangés à une bonne poignée de gruyère feront bien l’affaire pour un dîner en semaine. C’est bien évidemment compter sans la mauvaise humeur de Lenny, qui râle encore de « manger de la merde ». Charlie s’amuse à faire de longs fils de fromage avant d’avaler son ravioli. Axel mange sans se plaindre, même s’il préférait avoir autre chose dans son assiette. Fort heureusement pour Laura, l’un de ses enfants est suffisamment mature pour comprendre les problèmes qu’elle traverse depuis deux mois et ne pas se plaindre.

— Maman ? Pourquoi on mange encore des raviolis ? demande timidement la petite fille.
— Tu n’aimes pas ça ? rétorque sa maman.
— Si… Mais on en a déjà mangé… une… deux… trois fois, répond-elle en comptant sur ses petits doigts.

Laura se sent soudainement honteuse. Ses joues rougissent et des larmes sont sur le point de couler de ses yeux. Elle aimerait pouvoir offrir mieux à ses enfants, elle voudrait pouvoir lui expliquer ce qui se passe, mais rien ne sort. Aucun mot.

— Y avait une super promo au magasin, répond Axel qui décide de venir au secours de sa mère en voyant la détresse sur son visage. La semaine prochaine, j’crois qu’il y a une promo sur le cassoulet. On va pouvoir péter toute la nuit !
— Oh beurk ! ricane Charlie.
— Arrête de lui mentir, Axel. On est pauvre, c’est tout ! lance méchamment Lenny.

Axel se lève de table, fait le tour et soulève son jeune frère par le col de son t-shirt.

— Tu peux pas fermer ta gueule putain ! On le sait que t’es triste et en colère, on ressent tous la même chose ! Mais on est une famille bordel ! Alors on se serre les coudes…
— Axel ! Lenny ! Ça suffit ! hurle Laura.

Le lycéen lâche son frère, qui tombe mollement sur sa chaise, encore plus énervé. Charlie commence à pleurer dans son coin.

— Vous êtes fiers de vous ? hurle la mère de famille en allant prendre sa fille dans ses bras pour la consoler.

Axel et Lenny s’excusent faussement. Le plus grand continue de manger tandis que le plus jeune s’enfuit dans sa chambre, sans même demander la permission. Laura n’en peut plus, le comportement de son fils dépasse les bornes. Il faut qu’elle fasse quelque chose pour y remédier. Mais quoi ?