Involution - Naelle Joris - E-Book

Involution E-Book

Naelle Joris

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Beschreibung

Sur Fallel, une communauté bannie de la Terre tente de construire un monde de la deuxième chance. Or, les Révoltés ont pris le contrôle et détiennent le chef de la Police. Sasha, une jeune recrue, est choisie pour être infiltrée chez les Révoltés. Mais pourquoi elle ? Une mystérieuse note venue du futur révèle son implication. Malgré son appréhension, elle accepte la mission. On lui révèle que des fouilles archéologiques ont mis à jour l'existence d'une civilisation alienne disparue. Tout porte à croire que le chef des Révoltés s'intéresse à leur technologie et surtout à leur compréhension du temps. Que cherche-t-il ? Et qui vraiment cet homme ?

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


À Maman, Seul le cœur sait à quel point il a du chagrin.

Sommaire

CHAPITRE 1 : JOURNAL DE BORD

CHAPITRE 2 : L’HOMME DE LA SITUATION

CHAPITRE 3 : LE CRASH

CHAPITRE 4 : LA TRAQUE

CHAPITRE 5 : TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE

CHAPITRE 6 : CONVOCATION

CHAPITRE 7 : DERNIER JOUR

CHAPITRE 8 : SOUPÇONS

CHAPITRE 9 : JOUR D’EXAMEN

CHAPITRE 10 : LES PÔLES D’UN AIMANT

CHAPITRE 11 : UN SITE PRISÉ

CHAPITRE 12 : DOULEURS

CHAPITRE 13 : VISITES INATTENDUES

CHAPITRE 14 : FILATURE

CHAPITRE 15 : LE DON

CHAPITRE 16 : LE MOT

CHAPITRE 17 : RÉVÉLATIONS

CHAPITRE 18 : DÉCISION

CHAPITRE 19 : TÊTE À TÊTE

CHAPITRE 20 : UN NOUVEAU DÉPART

CHAPITRE 21 : CORPS À CORPS

CHAPITRE 22 : PROBLÈME DE LOGISTIQUE

CHAPITRE 23 : VOL DANS L’ESPACE

CHAPITRE 24 : PRISONNIER

CHAPITRE 25 : SUR DOLMEX

CHAPITRE 26 : CONNEXION

CHAPITRE 27 : INSTALLATION

CHAPITRE 28 : INFILTRATION

CHAPITRE 29 : REPÉRAGE

CHAPITRE 30 : GRAINS DE SABLE

CHAPITRE 31 : TENSIONS

CHAPITRE 32 : VILLE SOUTERRAINE

CHAPITRE 33 : L’OCTAÈDRE

CHAPITRE 34 : REGARDE-MOI DANS LES YEUX

CHAPITRE 35 : LE DÎNER

CHAPITRE 36 : AMOUR TOUJOURS

CHAPITRE 37 : L’EFFET BOOMERANG

CHAPITRE 38 : L’INTRUSE

CHAPITRE 39 : LES FEMMES FRAGILES NE LE SONT QUE D’APPARENCE

CHAPITRE 40 : PARADIGMES DIVERGENTS

CHAPITRE 41 : MISSION SECRÈTE

CHAPITRE 42 : L’ANTI-TEMPS

CHAPITRE 43 : RESET

CHAPITRE 44 : PLANS INTRIQUÉS

CHAPITRE 45 : PAS LE TEMPS !

CHAPITRE 46 : LA REINE

CHAPITRE 47 : À L’ASSAUT !

CHAPITRE 48 : LA FIN

CHAPITRE 49 : SPLEEN

CHAPITRE 50 : L’AMOUR EST PLUS FORT QUE TOUT

CHAPITRE 51 : LES VIVANTS SAVENT QU’ILS MOURRONT

CHAPITRE 52 : CHIASMA

CHAPITRE 53 : LA CHUTE

CHAPITRE 54 : ÉPILOGUE

1 JOURNAL DE BORD

10 mai 3075, jour du départ.

Nous sommes des bannis, des exilés de la Terre. À bord du Troglodyte , nous filons tout droit vers la Constellation du Lion. Nous ne pouvons pas espérer le moindre retour sur Terre, sous peine d’être condamnés à mort. Je reste optimiste, convaincu que notre futur nous appartient. Certes, nos juges se débarrassent de nous, mais ils nous laissent une dernière chance : celle de coloniser une planète inhabitée. Un Eden pour criminels ?

2 L’HOMME DE LA SITUATION

An 32 après colonisation. Constellation du Lion, système solaire Zosma.

Émeric Robery se tourna vers la fenêtre panoramique du Troglodyte . Depuis l’espace, Fallel ressemblait à une pierre de jaspe où se mêlaient l’ocre et le beige. Une langue rocheuse parcourait tout l’équateur. La forêt tropicale dominait la partie sud de la planète. Au nord, les dunes de sable s’étendaient jusqu’au pôle. Ici et là, la mer acide comblait les espaces comme des grands lacs, où les fonds marins, marbrés de brun et de beige, scintillaient à travers l’eau.

Robery jaugea la position de Roseval au sud de la zone aride et à l’extrémité de la forêt tropicale. Roseval était sa ville. Depuis quelques temps, elle n’était plus la ville paisible qu’elle avait été. La paix et la tranquillité avaient fait place à l’injustice et à l’insécurité. La rébellion contre l’autorité prenait de l’ampleur et la corruption devenait une gangrène. Les Révoltés dirigeaient sa ville.

D’un coup de pouce, le ministre fit défiler les pages holographiques de la Charte des Colons . Un des principes rédigés il y a trois décennies, semblait filer hors du temps.

« Nous, les colons du système solaire Zosma, nous n’oublions pas nos origines. Nous nous sommes repentis et nous nous engageons à maintenir la paix en n’outrepassant pas nos droits, en respectant chacun. Nous voulons agir pour le bien de nos enfants. »

La Charte des Colons, enseignée chaque année dans les écoles de Roseval, ne semblait plus avoir de sens aujourd’hui que pour une poignée d’hommes et de femmes attachés à des valeurs morales. Les Révoltés n’approuvaient pas la Charte des Colons , ils imposaient leur propre loi sur Fallel. Beaucoup de gens honorables avaient délaissé la ville pour déménager, soit dans les contrées sauvages de Fallel, soit sur Madrigan, la planète voisine.

Aujourd’hui, les choses allaient changer. En tant que ministre de la ville de Roseval, Émeric Robery prenait au sérieux son engagement énoncé dans la Charte . Il était exclu de laisser faire les Révoltés. Il était temps de prendre des mesures concrètes.

Il consulta l’horloge sur le portique du téléporteur quantique. Le moment était venu de quitter son appartement à bord du Troglodyte pour se rendre à son bureau de Roseval, où l’attendait déjà Paul Reggon, le chef de la Police, son ami et conseiller depuis plus de vingt ans. Il pénétra dans l’antre du téléporteur, se plaça au centre de la plateforme et lança la commande. Un halo de lumière mauve se projeta tout autour de lui. Le rayonnement brilla quelques secondes, puis il ressentit des picotements dans les membres. Vint ensuite cette sensation de flottaison propre au téléporteur. Le halo s‘estompa et Émeric reconnut le sas d’entrée de son bureau.

—Vous êtes pile à l’heure, Monsieur le ministre, dit sa secrétaire d’une voix enjouée. Voici votre breuvage.

—Merci Martasha, fit Émeric Robery, que ferais-je sans vous ?

—Mais rien, Monsieur le ministre, je suis aussi indispensable que l’air que vous respirez ! lança-t-elle en riant. Vos invités sont arrivés.

—Faites patienter le nouveau, je vous prie.

La secrétaire lui sourit avec bienveillance, puis disparut au détour du couloir.

Quand Émeric Robery pénétra dans son bureau, Paul Reggon observait les tours blanches en forme de cône de la ville. Les mains dans les poches, il avait l’air serein. Le ministre décida d’aller droit au but.

—Paul, je ne vais pas y aller par quatre chemins : tu es viré ! dit le ministre en pesant ses mots.

—Comment ? sourit Paul Reggon.

—Tu as bien entendu.

—De quoi parles-tu, Émeric ?

—Tu n’es plus le chef de la Police. À l’heure qu’il est, mes gens ont débarrassé ton bureau et ont fait place nette pour un autre.

—Émeric, tu fais de l’humour maintenant ? rit Paul.

—Non, c’est la vérité. Tu es viré. Nous venons de débattre de la question avec le Conseil de l’Ordre. J’ai demandé le privilège de te l’annoncer.

—Voyons Émeric, qu’est-ce qu’on me reproche ? De ne pas avoir assez de fond pour la lutte contre les Révoltés ? Suis-je un bouc-émissaire ?

—Il ne s’agit pas de ça. Tu es corrompu.

—Quoi ? Jamais !

—Tu as toujours su amadouer ton petit monde, mais je ne suis plus de ceux-là ! Regarde-toi, tu oses me regarder en face et dire que tu es innocent ! Ç’en est trop, nous avons des preuves, Paul. J’aurais dû comprendre il y a longtemps que tu ne voulais pas d’une réforme de la Police, et pour cause, tu es corrompu jusqu’au cou !

—Allons, ces preuves sont fausses !

—Tu continues de nier ? Tes comptes ont été épluchés sur mon ordre, Paul.

—J’ai toujours été transparent, d’ailleurs c’est moi qui t’ai donné l’idée de consulter mes comptes !

—Pas ceux-là, Paul, non pas ceux-là, fit le ministre, en scandant chaque syllabe.

Paul devint blême, il serra les poings tandis que le ministre s’approchait de lui.

—L’équipe d’investigation a fait du beau boulot. Elle a retrouvé la trace numérique de tes autres comptes bien cachés, dit-il en faisant glisser un document holographique au-dessus de son bureau.

—Quels comptes cachés ?

—Cesse de nier Paul, tu me répugnes ! Tu es fini ! hurla le ministre en tapant sur le bureau.

L’autre resta sans bouger, puis sans se départir de son calme apparent, se mit à sourire. Un sourire faux, celui dont les yeux restent figés.

—Émeric, on se connait depuis vingt ans, ça ne s’efface pas comme ça…on peut peut-être s’entendre…

—Alors quoi ? Tu veux me corrompre en plus ? cria le ministre, hors de lui. Je vais te présenter quelqu’un !

Robery s’empara de sa radiocom et ordonna à sa secrétaire de faire entrer le nouveau, ainsi que les gardes. Quand ils pénètrèrent dans la pièce, les deux gardes s’emparèrent de Paul Reggon qui protesta avec virulence. Ils lui attachèrent les poignets dans le dos, puis placèrent un bâillon sur sa bouche. Le nouveau s’approcha.

—Paul, je te présente William, le nouveau commandant en chef de la Police. Il prend ta place à l’instant ! déclara le ministre, en savourant le pouvoir qu’était le sien de décider du destin d’un homme.

Paul Reggon toisa le nouveau. Ils se dévisagèrent un moment. Reggon vociféra quelque chose à travers son bâillon. On pouvait lire dans ses yeux autant de colère que de résignation. Robery prit un ton solennel.

—En accord avec le Conseil de l’Ordre, je te condamne à la prison à perpétuité ! Gardes, emmenez-le !

Le prisonnier se débattit de telle sorte que son bâillon se mit à glisser.

—Les Révoltés vous tueront si vous vous opposez à eux !

—Hors de ma vue ! hurla le ministre.

Les gardes replacèrent le bâillon et trainèrent le traître hors du bureau.

—Qu’en pensez-vous, William ? Il méritait que je lui balance ma droite dans la figure !

—Cela n’aurait pas été digne de vous, Monsieur le ministre, fit William d’un ton assuré.

Robery eut un sourire en coin.

—Il ne l’aurait pas volé. Me trahir moi, c’est intolérable ! William, votre plan doit être mis en place le plus vite possible. Rose-val ne doit plus être sous le contrôle des Révoltés !

—Je suis prêt à déployer toutes les ressources nécessaires pour en finir avec eux.

Le ministre poussa un soupir.

—Par quoi allez-vous commencer ?

—Contrôles d’identité, versements de primes de dénonciation, recrutement massif.

—La tâche est ardue. Comment recruter du personnel alors que nos hommes démissionnent en masse pour leur protection et celle de leur famille ? Vous le savez, nos hommes tombent dans des guets-apens.

— Puisque le Conseil de l’Ordre me donne carte blanche pour venir à bout de cette situation, je veillerai à motiver nos hommes en leur offrant protection et salaire, nettement supérieurs à ce qu’ils attendent. Les Révoltés corrompent nos hommes, eh bien, nous paierons plus chers ceux qui restent loyaux. Mais surtout, je participerai au recrutement personnellement. Je chercherai des hommes et des femmes qui font de leur métier non pas leur travail, mais leur révolte. Celle contre l’abus de pouvoir, l’injustice, et la trahison. Tous bénéficieront de cours de stratégie et de psychologie, ils suivront des stages de survie et profiteront d‘entrainements au combat au sol et dans les airs. La bataille est devenue la guerre, il est temps que les Révoltés sachent que leur proie est devenue leur prédateur !

—J’aime les hommes de votre trempe, William ! Nous vous avons choisi pour votre soif de justice et votre intégrité. Vous êtes un homme d‘action, je ne doute pas une minute du succès de votre plan. Seulement, il existe maintenant un grand risque pour vous. Vous serez dans le collimateur des Révoltés, ils vous traqueront ! Vous ne pourrez plus vivre comme avant, vos déplacements seront confidentiels. Vous devrez aussi protéger votre famille.

—Oui, Monsieur le ministre. J’ai déjà mis ma famille en lieu sûr, ma femme et ma fille ont quitté cette planète. Ma famille ne reviendra que lorsque la paix sera bel et bien instaurée. J’ai l’ambition et la volonté de faire de cette ville un havre de paix pour tous ses citoyens. Les Révoltés doivent savoir qu’ils ne sont plus chez eux.

—Vous devrez alors vous méfier de tout le monde. Les Révoltés ont des yeux et des oreilles partout. Comme vous le savez, même la Police a été infiltrée. Des centaines de dissidents ont accès aux fichiers informatiques de la Police.

—Ils nous ont infiltrés, nous les infiltrerons aussi. J’ai prévu de constituer notre propre réseau d’espions.

Robery s’avança et lui serra la main d’une poigne de fer.

—William, vous êtes l’homme de la situation. Vous êtes notre nouveau commandant en chef, nous comptons sur vous.

—C’est un honneur, Monsieur le ministre.

3 LE CRASH

Zone urbaine de Roseval, quelques mois plus tard.

—Horizon Bleu ici Contrôle . Vous survolez la zone habitée. Trafic dense. Surveillez vos arrières, je détecte les jetcabs des Révoltés dans la zone nord-est.

—Contrôle ici Horizon Bleu, bien reçu. Je les ai repérés, il y en a trois qui se rapprochent de moi, je demande des renforts pour traverser la zone.

—Négatif, votre mission du jour a été modifiée. La surveillance de votre périmètre revient à Brise du Désert . Sortez de cette zone, rectifiez votre altitude à 300 mètres, et passez en communication cryptée.

—Ok, bien reçu. Altitude 300 mètres. Communication cryptée activée.

—Votre nouvelle mission est de vous rendre au quartier général, porte 7 hall 2.

—Porte 7 ? Je dois rejoindre les quartiers du haut commandement ?

—Affirmatif ! Vous allez…

—Attendez, j’ai un jetcab dans l’aile, il me suit de trop près !

L’aéronef battit des ailes pour signifier à l’intrus de lui laisser de l’espace. L’autre s’éloigna un peu, mais revint à la charge et choqua son aile sur la carlingue du jetcab. Tout autour, le trafic ralentit pour laisser passer les deux aéronefs perturbateurs.

—C’est un piège, ils me forcent à changer de trajectoire ! Je vais manœuvrer pour les semer.

L’aéronef virevolta et modifia son cap plusieurs fois. L’un des jetcabs le suivit dans sa course aléatoire.

—Contrôle ici Horizon Bleu, un jetcab me suit, je me dirige vers les plaines. Il va peut-être me lâcher si je m’éloigne.

—Horizon Bleu ici Contrôle , négatif, gardez le cap ! Vous m’entendez ?

Sans attendre, Horizon Bleu poussa les gaz. Le jetcab prit de la hauteur, l’autre le talonnait toujours. Il feignit une descente, l’autre modifia son altitude et se rapprocha plus encore jusqu’à percuter, de son aile, le ventre de l’aéronef. De fortes secousses se firent sentir. La carlingue venait de s‘arracher et le compartiment à hydrazyne se mit à se déverser.

—Je perds du carburant, mon système de navigation ne répond plus. Crash imminent !

—Horizon Bleu, vous êtes dans la zone aride, je suis en train de vous perdre sur mon radar. Après le crash, vous devrez impérativement rejoindre un relais pour nous communiquer votre position !

—Compris !

Sasha De Suza ouvrit péniblement les yeux. Sa tête vibrait dans son casque. Elle décrocha la visière et réussit à l’ôter d’une main. Elle sentit du liquide chaud dans sa bouche, suivit le goût du sang. Le choc lui avait fait méchamment mordre la joue. Une douleur intense tenaillait son bras. Elle déclipsa sa ceinture de sécurité et fit le point. Elle fût rassurée de constater qu’il n’y avait pas eu d’incendie, mais le choc avait ouvert le toit, la vitre avait volé en éclat et le tableau de bord était défoncé. Après quelques tonneaux, le jetcab s’était finalement posé à plat, le nez dans le sable.

Sa tête raisonnait. Elle avait probablement perdu connaissance depuis un moment, car le soleil avait perdu de sa vigueur. Tout autour du site, il n’y avait pas âme qui vive. À l’horizon, la ligne sinueuse des dunes se détachait du ciel mauve. Les deux lunes pointaient leurs croissants enveloppés d’une brume bleue. Un vent d’est commençait à se lever, signe que la nuit allait bientôt tomber. Il ne fallait pas traîner. Elle s’extirpa difficilement de sa cabine. Son bras lui faisait très mal. Elle se laissa glisser le long de la carlingue et sauta pieds joints dans le sable brûlant. Sa main tâtonna le panneau du fuselage, s’arrêta à un renfoncement pour ouvrir une petite trappe sur le côté de l’aile. Elle y plongea la main et attrapa le sac de survie. Elle arracha un morceau de sa combinaison et découvrit son bras meurtri. Du sang avait coulé jusqu’aux doigts. La chair avait été arrachée par endroits, mais, même si la douleur était intense, la blessure n’était que superficielle.

Elle gravit la dune jusqu’à son sommet et repéra la ville de Roseval, à une cinquantaine de kilomètres vers l’ouest. À l’est, la zone aride s’étendait à perte de vue. Plein sud, à une dizaine de kilomètres, un petit nuage de fumée montait de la montagne tropicale. Il s’agissait, sans aucun doute, du jetcab ennemi qui s’était s’écrasé sur les parois rocheuses. Le vent éparpilla rapidement le nuage, mais Sasha eut le temps de mémoriser la zone du crash. Non loin de là, elle repéra un fin trait vertical, assez brillant, autour duquel des vortex de sable semblaient danser. Le relais ! Elle estima la distance à cinq kilomètres à peine.

Elle retourna dans le cockpit et s’empara de la batterie de secours qui servirait à envoyer un signal crypté depuis le relais. Elle affichait une charge réduite de moitié. Cela ne serait pas suffisant pour envoyer un signal depuis cette zone. Ces quelques heures où elle avait perdu connaissance avaient suffi pour décharger la batterie de secours du jetcab. Certains systèmes électroniques avaient dû y puiser avant d’être définitivement hors service, sans doute à cause d’un court-circuit, vu la noirceur du tableau de bord.

Comment faire ? Elle n’avait pas d’autre choix que de récupérer la batterie de l’autre jetcab, en espérant qu’elle ne soit pas détruite. Une fois les deux batteries mises en réseau, la charge serait sans doute suffisante pour envoyer le signal de secours. Seulement, son ennemi avait peut-être survécu au crash. Son travail se limitait à de la surveillance aérienne, elle n’était pas armée, la situation était donc délicate. Elle devait réfléchir à un plan. Elle vérifia le contenu de son sac. Le détecteur magnétothermique était en bon état, il servirait à situer exactement l’épave du jetcab ennemi.

Elle se mit en route vers le relais. Elle marcha quelques kilomètres avant de voir décliner le jour. Les deux lunes éclairaient maintenant la plaine de sable de leurs lueurs bleues. On pouvait encore distinguer quelques buissons épars qui piquetaient le paysage de taches d’un vert grisâtre. Au loin, les dunes que Sasha venait de traverser n’étaient plus qu’une obscure ondulation. La haute antenne du relais pointait vers une grosse étoile brillante.

Elle essuya la sueur de son front avec sa manche. Ses longues mèches brunes étaient collées sur son visage piqué par le sable. Elle sentait son corps faiblir. Son entraînement l’avait préparée à ce genre d‘épreuve, mais une fois l’adrénaline redescendue, elle commençait à ressentir vivement les effets du choc de l’accident. Le dos et la nuque la faisaient souffrir, elle avait les jambes tremblantes et les mollets en feu, sans parler de son bras qui continuait de saigner.

Le vent avait forci et s’était bien rafraîchi. Elle frissonna alors qu’elle arrivait enfin devant le relais. Encore un effort. Elle grimpa l’escalier qui menait à la porte du relais. Un détecteur de mouvement fit s’ouvrir le sas d’entrée. Comme elle s’y attendait, il n’y avait personne. Ces relais n’étaient occupés que rarement, lors-qu’une réparation était nécessaire.

Elle inspecta les lieux et trouva de quoi se soigner et se changer. Une combinaison de maintenance lui allait à peu près. Elle portait le nom de Millan. Ce serait parfait pour sa couverture, au cas où le Révolté la questionnerait sur son identité. Elle passerait pour le dépanneur de service, rien à voir avec la Police de l’Air. Si le Révolté était encore en vie, elle devrait aussi ruser pour obtenir le code de sa batterie, chaque jetcab ayant le sien. À moins de trouver un chargeur ou mieux une batterie neuve dans ce relais. Dans ce cas, elle n’aurait pas à crapahuter dans la montagne pour chercher l’autre batterie. Elle fouilla partout et trouva seulement un mot sous le chassis principal de la console : chargeur en réparation . Elle ragea sur l’imbécile qui n’avait pas pris le soin de s’occuper du problème. Il n’y avait pas d’autre solution, elle devrait se rendre le lendemain sur le site du crash.

Après une nuit agitée, faite de rêves où les gens sont sans visage, elle quitta le relais dès les premières lueurs. Au fur et à mesure de son ascension, l’air devenait bien plus chaud et humide. Le chemin pour parvenir dans les hauteurs était sinueux et fatigant. Après une heure de marche, des roches couvertes de lichens remplaçaient le loess de la plaine, le sol devenant plus dur sous ses pieds. Elle traversa une zone d’éboulis, puis gravit une pente abrupte jusqu’à atteindre la lisière de la montagne tropicale. Elle marcha encore deux bonnes heures avant d‘estimer nécessaire de se restaurer un peu. Tout en engloutissant des galettes protéinées, elle guettait l’horizon. Au loin, des jetcabs sillonnaient une zone trop loin de l’endroit où elle s’était écrasée. Son appareil devait être enseveli par les sables car le vent de la nuit n’avait pas arrêter de souffler. Ils ne pourraient pas la retrouver à moins qu’elle n’envoie ce fichu signal.

Elle observa aux jumelles la paroi rocheuse et repéra un objet brillant, là où les plantes tropicales développaient leur exubérance. Elle grimpa sur un promontoire rocheux, pour déployer son détecteur magnéto-thermique. Elle observa un objet d’une taille conséquente de constitution métallique. Un magnétisme assez faible en émanait, signe carastéristique d’une batterie en état de fonctionner. Elle attrapa ses jumelles à vision renforcée. Le jetcab était coupé en deux, le nez de l’appareil posait sur des lianes enchevêtrées, et était encore soudé à une aile. Elle eut une lueur d’espoir : le tableau de bord pouvait encore être en un seul bloc. Elle scruta la zone alentour. La végétation était brûlée. Juste en dessous, dans l’ombre, elle distingua le reste du jetcab. La queue et le fuselage avaient été broyés et étaient maintenant calcinés. Aucun signe de vie dans les environs. Elle leva les jumelles le long de la paroi rocheuse. Un méli-mélo de lianes et de grandes feuilles de rhododendrons camouflaient l’entrée du cockpit. Au-dessus de l’aéronef, à une vingtaine de mètres environ, elle reconnut des arbres à gnanqis. Une aubaine ! Ces fruits à forte teneur en protéines allaient la ragaillardir. Elle remballa ses affaires et se mit à grimper avec un zèle renouvelé.

La chaleur se faisait de plus en plus écrasante. Des plantes aux feuilles exubérantes offraient une ombre bienvenue. À cette hauteur, la végétation était très dense et se courbait mollement au contact de son corps. Elle progressa plus vite quand un sentier, formé par le passage de wombats, se dessina devant elle. L’appareil ne devait plus être très loin. Après une succession de déclivités, un sol plat débouchait sur une clairière. Le soleil dardait ses rayons. Éblouie, elle mit sa main en visière quand elle se prit les pieds dans ce qu’elle crut être des racines. Dans sa chute, elle sentit un bras la pousser et la plaquer au sol. En quelques secondes, elle se retrouva ventre à terre, les bras de son assaillant enlacés autour de sa taille et son cou, un couteau sur la gorge.

Sasha s’en voulut de s’être faite avoir comme une bleue ! Quelque chose lui avait suggéré la méfiance, mais elle n’avait pas su quoi au juste. À ce moment précis, elle comprit ce qui n’allait pas : les xérus s’étaient tus, ils avaient filé jusqu’à la cime des arbres. Les petits animaux avaient guetté l’intruse, comme l’intrus guettait Sasha, en silence. Bien qu’il la tînt fermement, elle pouvait tenter de se dégager de son agresseur, mais elle garda son sang-froid et resta immobile pour ne pas griller sa couverture. En effet, quelqu’un dont le métier est de dépanner des antennes ignore les techniques de dégagement au corps à corps.

—On dirait que tu n’es pas très futée, ma jolie ! fit l’homme d’une voix grave.

—Je suis de la maintenance, j’ai vu le crash, je suis venue vous aider ! cria-t-elle.

—C’est vrai ce mensonge ? demanda l’homme, en appuyant plus fort sur la carotide avec son couteau.

—Je suis Sasha Millan, dit-elle haletante, je répare les antennes. J’ai amené des médicaments et de la nourriture pour vous.

L’homme ne répondit rien. Sasha sentit le poids de l’homme appuyer sur ses hanches.

La tête maintenue en arrière, elle avait du mal à respirer, son bras blessé lui faisait mal. L’homme approcha son visage près du sien, elle sentit son souffle.

—L’antenne est en panne ? demanda-t-il d’une voix calme.

—Oui, non, je veux dire plus maintenant, elle fonctionne.

—Tu as appelé les secours ?

—Non, mes collègues doivent me reprendre ce soir, c’était prévu comme ça.

—Pourquoi t’as pas appelé les secours ? Et pourquoi tu es venue aujourd’hui plutôt qu’hier ? fit l’homme en haussant le ton.

—J’ai essayé, mais je n’ai plus de batterie ! Et puis vu la fumée, je me suis dit que vous étiez sûrement mort. J’ai hésité à venir, je ne savais pas quoi faire. Je suis venue ce matin vérifier au cas où.

—Ta batterie est déchargée ?

—Oui.

L’homme relâcha la pression. Sasha baissa la tête et remarqua que la jambe de l’homme était enroulée dans un tissu de fortune, tout taché de sang. Il devait avoir des difficultés à se déplacer, voilà pourquoi il n’avait pas pu rejoindre le relais.

—Je vais vous aider à descendre jusqu‘au relais, et de là-bas on appellera les secours, reprit-elle.

L’homme la libéra de son étreinte. Il bascula sur le côté et resta allongé. Sasha s’assit en tailleur, face à lui. Il était plus âgé qu’elle. Ses cheveux châtains, coupés courts, laissaient entrevoir une blessure à la tête et un peu de sang avait séché sur la tempe. Une barbe de deux jours sur sa machoîre carrée lui donnait un air de baroudeur. Ses vêtements étaient souillés, mais malgré cela, il gardait une certaine prestance. Ses yeux marron foncé, perçants et suspicieux, ne la quittaient pas. Sasha soutint son regard et choisit de garder le silence. Trop parler pouvait mettre à mal sa couverture. Il la jaugea un moment, puis sembla se détendre enfin.

—Et l’autre pilote, tu l’as vu ? s’enquit-il.

—Non.

—Tu n’as pas un détecteur de mouvement à ton relais pour repérer les animaux sauvages ?

—Si, mais sa portée est limitée. Et puis, son jetcab s’est écrasé beaucoup plus loin que le vôtre.

—Comment tu le sais ?

—J’ai vu votre accrochage dans le ciel. L’autre est tombé loin dans les dunes.

—Et tu as décidé de venir ici plutôt que dans les dunes parce que c’était moins loin ?

—Oui, de toute façon je ne pouvais pas venir en aide aux deux.

—Logique, concéda l’homme en la dévisageant longuement. Mais, depuis hier, tu aurais quand même pu appeler les secours. C’est stupide de ne pas l’avoir fait.

—Je ne pouvais pas, ma batterie est déchargée.

—Comment ça ? Tu ne l’as pas mise en charge depuis hier ?

—Non, parce que le chargeur est en réparation, personne ne l’a remplacé.

—Tu te fous de moi ?

—Ce n’est pas de ma faute si mon abruti de collègue n’a pas fait son boulot !

—Et toi tu arrives en zone aride avec une batterie déchargée ? C’est quoi ces foutaises ? siffla l’homme en pointant son couteau vers elle.

—Je n’avais pas vérifié son niveau de chargement, parce que j’étais convaincue qu’elle était chargée à bloc. C’est tout, ça arrive !

—C’est vraiment nul !

—Si vous voulez, je m’en vais avec ma bouffe et mes médocs, et je vous laisse sur place !

L’homme poussa un long soupir. Il tenta de se redresser sur les coudes, son visage se crispa de douleur.

—Ok, bon, comment tu m’as dit que tu t’appelais ?

—Sasha Millan.

—Eh bien Sasha Millan, te sens-tu de refaire mon bandage à la jambe ?

—Bien sûr, je vais vous le faire. Vous avez soif ? dit-elle en ouvrant son sac.

—J’ai toute l’eau qu’il faut, répondit-il en désignant un cône rempli d’eau douce, fabriqué avec des grandes feuilles de rhododendron. Par contre, j’ai très faim.

—Prenez ça, c’est froid, mais c’est un repas complet. Si vous avez mal, il y a des antalgiques.

L’homme se jeta sur la nourriture et les comprimés qu’il engloutit en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Sasha se détendit un peu, l’homme avait cru à son histoire. Il baissait la garde. Si elle avait eu des menottes, elle aurait pu le maitriser en moins de deux à ce moment précis. Mais la Police des Airs n’avait jamais équipé ses officiers de menottes ou même d’une quelconque arme. Seuls les officiers au sol en possédaient, et c’était, selon elle, une déplorable erreur. Elle en aurait eu bien besoin maintenant. Ceci dit, elle pensa qu’une fois le relais atteint, il allait être facile de dominer la situation. Sa blessure à la jambe était une aubaine. Elle pourrait monter l’escalier avant lui, s’enfermer à l’intérieur du relais, puis attendre que les renforts débarquent. Il ne pourrait pas aller bien loin.

Il fallait maintenant obtenir sa confiance au point qu’il lui délivre le code de sa batterie. Pour le moment, elle ne savait pas s’il l’avait avec lui, ou bien si elle se trouvait toujours dans le jetcab. Mieux valait ne pas attirer l’attention sur la batterie qui occupait pourtant ses pensées. Elle attendrait qu’il en parle, elle saurait tôt ou tard ce qu’il en était.

—Et vous, c’est quoi votre nom ? fit Sasha, en découpant le bandage de fortune à la jambe.

—Rudy. Rudy Povaron.

—Comment vous êtes sorti de votre aéronef ? J’ai vu que le cockpit est resté accroché à la paroi.

—J’ai rampé sur les lianes.

—Comment avez-vous passé la nuit ?

—À la belle étoile, bien calé sur des branches d’arbres.

—Vous ne devez pas avoir beaucoup dormi.

—En effet.

—Vous avez eu de la chance de ne pas avoir été piqué par des bestioles.

Elle nettoya la plaie à la cuisse. L’homme grimaça.

—Alors, c’est un accident de circulation ? fit-elle, avec un air innocent.

—Ouais, c’est ça.

—C’est vrai que le trafic était dense hier. Vous savez qui est le pilote de l’autre jetcab ?

—Pourquoi ? Tu le sais toi ?

—Non.

—Voyons Mademoiselle Je-Sais-Tout, tu as vu ce qui s’est passé, tu as sûrement dû voir que l’autre jetcab appartenait à la Police !

Sasha eut un mouvement de recul. La franchise de l’homme l’avait surprise. Si elle le titillait, peut-être allait-il se vanter de faire partie des Révoltés et vouloir la rallier à sa cause. C’était là une occasion de gagner sa confiance.

—Ah ces policiers, ils veulent toujours en faire trop, soupira Sasha. Vous survolez la zone des Révoltés et ils veulent tout de suite savoir qui vous êtes, ce que vous faites et pourquoi. Moi, je dis que c’est de l’abus de pouvoir, vous ne pensez pas ?

—Me pose pas de question, ça vaudra mieux, trancha l’homme.

—Ok, fit Sasha en baissant les yeux.

—Il y a combien d’heures de marche jusqu’au relais ? demanda-t-il d’un ton plus posé.

—Cinq heures quand on monte, mais sans doute moins pour la descente. Vous pourrez marcher ?

—Je me le demande. J’ai marché jusqu’aux arbres à gnanqis derrière moi, et j’ai mis une heure pour monter quelques mètres. Mais ça valait le coup, j’ai pu en manger beaucoup hier.

—Je pense que vous pourrez mieux bouger grâce aux médocs. D’après ce que je vois, il n’y a pas de fracture, et votre peau a commencé à cicatriser. Et la tête ça va ? Vous avez saigné.

—C’est superficiel. Il va falloir que tu ailles chercher toi-même la batterie dans mon jetcab.

Sasha sourit intérieurement. Tout vient à point à qui sait attendre.

—Je vois. C’est solide au moins ?

—Il est stabilisé par un paquet de lianes entremêlées.

Elle finit de fixer le bandage et rangea la trousse de secours dans son sac.

—Maintenant, va cueillir des gnanqis, ça nous sera utile pour garder des forces. C’est juste derrière.

—Bonne idée, j’y vais.

Sasha se saisit de son sac à dos.

—Laisse le sac là, le gnanqis vont s’écraser dedans. Prends plutôt mon cône de feuilles, ça peut en contenir un bon stock, et on le calera dans ton sac pour la descente.

Sasha se maitrisa pour ne pas montrer sa réticence. Elle ne voulait pas laisser le sac là, il aurait alors tout loisir de le fouiller et de trouver le détecteur magnéto-thermique, que seuls les agents de police possèdent. Elle s’en voulut de cette erreur, elle aurait dû s’en débarrasser plus bas, dans la montagne.

—Non, je le prends avec moi.

—Pourquoi ?

Il fallut inventer vite fait quelques arguments. Elle ne trouva rien de concluant, mais tenta sa chance.

—J’en aurai peut-être besoin, on ne sait jamais, si je glisse et que je me blesse, ou si j’ai besoin d’un outil pour couper des lianes, ou si j’ai soif…

L’homme ricana.

—Le site est dégagé, aucun risque de glisser. Bois un coup maintenant et dépêche-toi d’en ramasser un max, j’ai pas envie d’être encore ici ce soir.

Si elle insistait pour garder le sac, il allait avoir des soupçons. Elle recula de quelques pas et posa le sac assez loin pour qu’il ne puisse pas l’attraper de là où il était. Puis, elle se dirigea vers les arbres à gnanqis, tout à fait consciente du risque d’être découverte.

4

LA TRAQUE

Après avoir rempli le cône végétal d’une bonne palanquée de fruits, elle redescendit à la clairière. Quand elle leva les yeux à l’endroit où elle avait rencontré Rudy Povaron, elle fut surprise de ne plus y trouver ni l’homme, ni son sac. Elle retint sa respiration. Tous ses sens étaient en alerte. Il avait fouillé son sac, c’était certain ! Il avait dû découvrir son détecteur magnéto-thermique. Elle en était sûre, elle venait d‘être découverte. Elle essaya de réfléchir vite et bien. Il pouvait maintenant se déplacer, les médicaments faisaient leur effet. Où était-il ? Derrière un arbre à l’attendre pour l’égorger ? Rien ne bougeait. Sur le chemin du jetcab pour récupérer la batterie ? Peu probable avec sa jambe blessée. Ou bien avait-il commencé la descente jusqu’au relais ? Sans batterie c’était stupide. Peut-être l’avait-il déjà avec lui ? Dans ce cas, il l’avait menée en bateau dès son arrivée. Avait-il compris tout de suite qu’elle n’était pas un agent de maintenance ? Avec le recul, cela semblait plus logique. Quoi faire à présent ?

Elle entendit un bruit sur le côté. Les feuillages d’un buisson remuaient fortement. Povaron surgit du fourré, s’extirpant difficilement d’un imbroglio de feuilles mêlées de lianes.

—Quoi ? Tu en fais une tête ! J’allais pas me soulager devant toi !

—Ah, fit Sasha, ne sachant plus quoi penser.

—Les antalgiques sont bien efficaces, je ne peux pas marcher très vite, mais pour descendre, c’est toujours plus facile. Au fait, j’ai mis ton sac à l’ombre, c’est mieux pour l’eau qu’il contient.

—Vous avez bu ?

—J’aurais pas dû ?

—Si, bien sûr, souffla Sasha, sentant raidir ses muscles en vue d’un combat au corps à corps.

—Bon, on va chercher la batterie, le jetcab n’est pas loin, dit-il en montrant la direction de la falaise.

—Vous ne préférez pas attendre ici ? fit Sasha en se tenant sur ses gardes. Il faut encore grimper, ça risque de tirailler dans la jambe. Je peux y aller seule.

—Tu as besoin de moi pour te dire comment la débloquer du tableau de bord. Il y a une manipulation spéciale à faire. Passe devant, je te suis.

À court d’argument, Sasha passa devant Povaron, qui, l’effleurant au passage, la mit mal à l’aise. Elle avança d’un pas rapide jusqu’à mettre une certaine distance entre elle et lui. Elle prit une longue inspiration et essaya de se calmer.

Toutes ses déductions étaient erronées. Elle espérait que l’autre ne remarquerait pas sa nervosité. Il avait fouillé dans son sac, c’était une évidence. Dans ce cas, pourquoi n’avait-il rien dit ? Mais savait-il que seule la Police possédait un détecteur magnéto-thermique ? Peut-être qu’il n’en avait jamais vu, et que pour lui, cet appareil faisait partie de la panoplie du dépanneur d’antennes. Si jamais il savait, il était clair qu’il n’avait rien dit pour le moment, car il avait encore besoin d’elle pour grimper dans le jetcab et récupérer la batterie. Et ensuite ? Elle essaya de rentrer dans sa tête. Une fois qu’il aurait la batterie, son objectif allait être d’atteindre le relais et d’appeler ses copains, pour qu’ils le récupèrent vite fait bien fait. Et elle ? La meilleure option était de l’éliminer et de l’enterrer dans le sable pour que la Police ne la retrouve jamais. Cette idée la fit tressaillir. Elle se sentait dépassée. À dire vrai, cet homme dominait la situation. Il lui donnait des ordres pour le soigner, pour cueillir des fruits et pour récupérer la batterie. Elle n’avait jamais son mot à dire. Même son tutoiement montrait son ascendance. Il fallait continuer de le laisser croire qu’il contrôlait la situation. Une fois la batterie en sa possession, elle prendrait ses jambes à son cou. Elle avait assez d’énergie vu la quantité de gnanqis qu’elle avait avalés pendant la cueillette. Des courses de vitesse, elle en avait fait à la pelle durant son entraînement d’agent de police. Elle n’était pas très rapide, mais elle avait développé de l’endurance. Son avantage ici, c’est qu’avec sa blessure à la jambe, lui ne pourrait pas la suivre facilement.

Au bout d’une vingtaine de minutes, ils parvinrent sur le site du crash. Un peu plus en hauteur, un panneau entier de verdure avait été arraché, trace du passage du jetcab lors de sa chute. Quelques mètres en contrebas, le jetcab, tronqué de son arrière-train, piquait du nez. Il semblait stable, retenu par de grosses lianes. L’homme s’assit sur un rocher et tendit sa jambe blessée en serrant les dents. Il avait chaud et transpirait beaucoup. Le soleil cognait fort sur cette partie de montagne dépourvue d’ombre. Sasha ne perdit pas de temps et engagea la descente dans les lianes.

—Tu n’as pas le vertige, au moins ? lança Povaron.

—Je répare des antennes ! Si j’avais le vertige, j’aurais du mal à faire mon métier, expliqua-t-elle, en se tenant fermement aux lianes épaisses.

—Et tu comptes faire ça toute ta vie ?

Sasha comprit qu’il la testait. Il fallait encore garder sa couverture, tant que la batterie n’était pas en sa possession. Elle avait gardé son sac sur le dos, il n’avait rien trouvé à y redire et elle trouvait cela suspect.

—Non, je vise un poste d’expert.

—Expert en quoi ?

—Agent d’expertise en réseaux et antennes, fit-elle, tandis qu’elle s‘éloignait peu à peu.

—L’expertise, c’est bien un travail de bureau ?

—Oui c’est ça, affirma Sasha, en se concentrant sur ses pieds pour ne pas glisser.

—Et tu veux me faire croire que tu aimes t’enfermer entre quatre murs ?

—Quoi ? cria-t-elle, en regardant vers le haut, mais n’y voyant personne.

—Le soleil tape fort, tu as grimpé déjà pas mal depuis le relais. C’est un gros effort, je trouve que tu es endurante. En plus, tu ne te plains jamais. On dirait bien que tu n’as peur de rien, bien que je t’ai menacée avec un couteau dès ton arrivée. Désolé, mais je ne te vois pas travailler dans un bureau.

Sasha fit mine de ne pas entendre. Elle posa un pied sur le fuselage du jetcab et s’assura qu’il ne bougeât pas. Elle grimpa enfin sur le rebord de l’aile qui grinça sous son poids.

—J’y suis ! Qu’est-ce que je fais maintenant ?

—Entre dans le cockpit ! lança-t-il.

Le tableau de bord était fendu, mais tenait encore. La batterie semblait intacte. Sasha eut un sourire de victoire. Elle s’accrocha d’une main au siège du pilote qui pointait vers le vide, et dans cet équilibre fragile, se dépêcha de déclipser la batterie de son habitacle par une manœuvre habile. Elle leva les yeux vers le ciel. En haut de la paroi, l’homme se tenait debout et la regardait. Elle venait de commettre une erreur.

—Je vois que tu n’as pas eu besoin de moi pour extraire la batterie !

—Euh, elle m’est tombée dans les mains, elle ne tenait pas !

—Oh, quelle chance !

—Le cadran me dit d’entrer un code, lançat-elle d’un air innocent.

—15715.

Fébrile, Sasha n’en revenait pas qu’il lui donnât le code aussi facilement. C’est dire qu’il voulait tout de suite connaître la charge de sa batterie. Si elle était insuffisante, inutile de récupérer la batterie, ni même de garder en vie la fille. Elle pensa, qu’avec son couteau, il pouvait tenter de couper les lianes qui la maintenaient en suspension. Elle abandonna cette option après avoir examiné l’épaisseur de celles-ci. Le couteau ordinaire que possédait Povaron ne pouvait qu’y perdre sa lame. Elle composa le code : charge à 88% !

—Alors combien ? cria Povaron.

Sa batterie à lui suffisait pour lancer un signal. Elle décida de lui faire croire le contraire. Il penserait ainsi avoir encore besoin d’elle pour connaître le code de sa batterie. Cela lui permettrait de gagner du temps.

—42% !

—Ok, maintenant remonte vite, Mademoiselle l’agent de police !

Sasha était découverte. Elle se sentit stupide. Il savait et il choisissait de lui dire maintenant. Elle glissa la batterie dans son sac, remonta le long du fuselage et s’accroupit sur les lianes un peu plus haut, pour ne plus bouger. D’en haut, Povaron la dévisageait.

—Et tu comptes faire quoi maintenant ? ricana-t-il.

Elle ne répondit pas. Soit elle faisait encore l’innocente et persistait dans ses mensonges qu’il n’allait plus croire, soit elle filait sur le côté, dans les lianes, pour atteindre l’autre flanc de montagne qui rejoignait le chemin du retour. Malgré la fatigue accumulée et sa blessure au bras, elle choisit la deuxième option.

—Depuis quand tu sais ? lança-t-elle.

—Tu me tutoies maintenant ?

—Pourquoi je me gênerais, puisque tu le fais déjà !

—J’ai compris qui tu étais à la seconde où je t’ai vue arriver à la clairière. Tu ne m’as pas embobiné avec ta combinaison trop grande, et tes chaussures de ville. Ce n’est pas l’idéal pour grimper sur une antenne. Et puis tu es tellement prévisible, si transparente.

—Merci pour le compliment, dit Sasha en s’accrochant, aux branches d’un astronium qui poussait au milieu des lianes.

—Tu es tellement obnubilée par ta mission que tu en as oublié la stratégie psychologique. Pourtant, tu as bien appris ça à l’école de police, non ?

Sasha leva les yeux, l’homme descendait d’un pas rapide vers la clairière. Il s’enfonça dans la végétation et elle ne le vit plus. Elle examina son environnement. Elle allait devoir traverser un large pan de fougères. Un peu plus en bas, de l’autre côté du versant, on devinait un promontoire assez large pour s’y asseoir. Elle pourrait y refaire le bandage de son bras qui saignait à nouveau.

—Toi, tu pilotes comme un pied ! cria-t-elle pour le faire parler et le localiser au son de sa voix.

—Je te signale que j’ai suivi tes manœuvres, c’est toi qui pilotes mal ! répliqua Povaron, d’une voix lointaine.

Sasha comprit qu’il avait atteint la clairière. Il fallait à tout prix qu’elle arrive avant lui au relais. Elle regarda en bas dans le vide. La falaise n’était pas trop abrupte, mais se laisser glisser depuis cette position n’était pas envisageable : des pics de roches se dressaient juste en dessous d’elle, prêts à l‘empaler. Elle n’avait pas le choix. Elle s’agrippa fermement aux fougères qui ne résistèrent pas longtemps à son poids. Elle serra de toutes ses forces les feuilles fragiles et ne réussit qu’à déraciner les plantes sur son passage. Elle dévala rapidement la paroi. En quelques secondes, elle se retrouva pendue à une branche d’astronium. Elle réussit à caler ses pieds et ses bras entre deux branches et grâce à un vigoureux effort, elle se redressa, le souffle court. Elle venait de dévaler au moins vingt mètres de pente. Son visage était en sang, couvert de griffures. Son cœur battait la chamade. Elle ouvrit son sac et chercha à tâtons la bouteille d’eau. Stupeur ! À la place, elle y découvrit des pierres ! Elle fouilla tout son sac, tout avait été remplacé par des pierres, rien que des pierres ! Elle n’avait plus rien, il avait tout pris. Il avait substitué le contenu de son sac, pendant qu’elle cueillait les fruits. De colère, elle poussa un cri de rage. Elle avait sous-estimé son adversaire. Son moral en prit un coup. Elle s’assit au mieux dans les branches et tenta de se concentrer. Son avantage sur lui était de posséder, au moins, la bonne batterie. Lui, ne pouvait rien faire avec sa batterie à elle. À ce stade, elle n’avait pas d’autre choix que de foncer au relais. Elle se débarrassa des pierres et enfila son sac devenu léger comme une plume. Elle entendit un remue-ménage dans les feuilles du contrefort, juste au-dessus d’elle. Il descendait le chemin. Le bras en sang, elle se lança dans les lianes et se concentra sur chaque prise pour avancer plus vite.

—Eh Sasha ! Je me suis demandé pourquoi tu ne m’attaquais pas tout de suite. Je me suis dit « elle attend le bon moment, genre quand je ne vais pas m’y attendre ». Mais en fouillant ton sac, j’ai vu que tu n’avais pas d’arme. J’ai vite repéré que tu n’en avais pas non plus sur toi quand je t’ai plaquée au sol. Comment tu comptais m’éliminer ? En me faisant tomber de la falaise ? Je ne vois que ça. Dans ce cas, je reconnais que tu as du cran, car ton plan était bancal ! C’est fort de vouloir essayer quelque chose vouée à l’échec. Que croyais-tu ? Je suis plus fort et mieux entraîné que toi.

Sasha avait de plus en plus de mal à rester agrippée à cause de l’horrible douleur qui lui traversait le bras. Povaron avait raison, il était plus fort qu’elle, et contrairement à elle, il avait un moral d’acier. Mais quel baratin lui servait-il ? Cet imbécile ne savait pas que la Police des Airs n’armait pas ses agents ? Elle se sentait fortement faiblir. Il fallait ruser.

—Écoute, on n’est pas obligé de s’entretuer ! dit Sasha, alors qu’elle arrivait vers le promontoire rocheux. Tu as une batterie et j’en ai une. On peut prévenir les nôtres et partir chacun de notre côté sans que ni l’un ni l’autre ne soit lésé, qu’en penses-tu ?

—Tu veux encore m’embobiner ? Combien tu es payée pour que tu arrives au bout de ta mission ? Tu veux un combat au corps à corps ? Au couteau c’est ça ? Quel carnage ! Ce serait dommage d’abîmer ton beau visage. En plus, si tu as regardé dans ton sac, tu as dû voir que tu n’as plus ton couteau.

—Ma proposition est sérieuse ! cria-t-elle.

—Désolé ma belle, je n’y crois pas, car je sais bien que tu vas tout faire pour ne pas me laisser repartir d’ici. Dis donc, tu es bien payée au moins ?

—Le soleil doit te taper sur le ciboulot car je ne comprends rien à ce que tu dis, fit Sasha, tout en glissant ses doigts dans une fente de la roche.

—Ce n’est pas tous les jours que tu pars à la traque toute seule, perdue dans la nature, pas vrai ? Tu crois que ta mission vaut le coup, vu la galère dans laquelle tu es ?

—Ma mission est de protéger les citoyens de Roseval !

La paroi rocheuse faisait bien une quinzaine de mètres de large. Elle s’engagea doucement sur le mur vertical en s’assurant de bien caler ses pieds. À cet endroit dépourvu de toute végétation, la chaleur moite enveloppait son corps qui ruisselait de sueur. Les veines de ses tempes martelaient si fort qu’elle craignit de faire un malaise. Si elle ne buvait pas, elle perdrait rapidement connaissance. Son bras lui faisait atrocement mal. Plaquée tout contre la paroi rocheuse brûlante, elle redoubla d’efforts en descendant tant bien que mal le long d’une fissure. Elle sentit alors quelque chose glisser le long de son cou. Elle perçut le sifflement d’une bête juste avant de ressentir une atroce douleur à la nuque. Elle cria de toute sa voix, battant l’air d’une main pour se débarrasser d’un long serpent qui disparut en se faufilant dans la fissure. Déséquilibrée, elle bascula en arrière et chuta de plusieurs mètres jusqu’au promontoire rocheux, où une excroissance l’empêcha de tomber plus bas. Elle hurla de douleur avant de s’évanouir, à bout de force.

5 TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE

—Sasha ? Réveille-toi ! Il faut que tu boives. Sasha ! dit la voix.

Sasha avait la nausée, un mal de crâne inouï, et des douleurs horribles partout dans le corps. Quelqu’un lui donna des comprimés à avaler. Elle ouvrit un œil, tout était trouble. On lui tenait la tête pour qu’elle puisse boire encore, après quoi, elle replongea dans un profond sommeil.

Rudy Povaron reposa la tête de Sasha sur le hamac de fortune, fait de lianes et de feuilles, qu’il avait mis du temps à construire et à accrocher sur le flanc d’un bloc rocheux. Il se leva et regarda les arbres autour de lui. Pendant la descente, il avait repéré un arbre particulier. Il remonta le chemin et s’enfonça dans un fourré de plantes sarmenteuses qui enlacèrent ses jambes au point qu’il dût défricher le passage au couteau. Cela lui prit un certain temps avant d’arriver devant le tronc de ce qu’il reconnut être un hura crepitans . Son large tronc était recouvert d’impressionnantes épines vénéneuses. Ses branches majestueuses portaient des pommes de pin en forme de potiron qui se balançaient au gré du vent. Avec précaution, il cisailla une des épines du tronc. Il en recueillit dans une feuille le latex qui suintait. Il fit cette opération à plusieurs reprises jusqu’à en avoir assez pour accomplir sa tâche. La lumière commençait à baisser, il se dépêcha de retourner au campement.

Étendue sur le lit de feuilles, Sasha était encore inconsciente. Il prit de l’huile trouvée dans la trousse de secours et la mélangea au latex de l’arbre avec un bâton. Il en badigeonna généreusement des feuilles de catuaba, cueillies sur le chemin peu auparavant. Il frictionna énergiquement la nuque de Sasha avec cette mixture, puis enroula les feuilles imbibées autour de son cou. Il dénoua ses cheveux et utilisa son élastique pour maintenir en éventail un gros paquet de feuilles de rhododendrons. Un système de lianes, accrochées sur des troncs de part et d’autre du hamac, lui permit de poser l’éventail de feuilles, au-dessus de celui-ci. Ainsi abrités dans ce cocon, ils resteraient au sec, et plus ou moins à l’abri du vent. Povaron cala son sac à ses pieds et s’allongea aux côtés de la jeune femme. La journée avait été longue, il apprécia ce moment où il pouvait enfin se reposer.

Quelques heures passèrent. Les lunes de Fallel brillaient sur la montagne tropicale dans le bleu de la nuit. Le vent jouait dans les arbres, si bien que les raies de lumière lunaire perçaient dans les moindres interstices de la forêt. Des reflets argentés soulignaient les contours des feuilles et perçaient jusqu’à chatouiller les paupières de Sasha. Le vent balançait le hamac et en soulevait de temps à autre la toiture végétale, laissant s’introduire dans le cocon des moustiques à l’appétit insatiable. Sasha fut réveillée en sursaut par la désagréable aubade des insectes qui vibraient dans ses oreilles. Sa fièvre était tombée, mais son mal de tête persistait. Elle constata que des feuilles gluantes entouraient son cou endolori. Elle voulut s’en débarrasser, mais quand elle remua les bras, elle ressentit une douleur aigüe au poignet. Elle leva un peu la tête et discerna que ses bras étaient maintenus par des tresses de lianes. On l’avait attachée ! Elle pouvait à peine joindre les mains. En tâtonnant par ci par là, elle identifia ce qui devait être le tissu épais d’un bandage. Elle essaya de remuer les doigts et comprit à la douleur que son poignet était fracturé. Elle tenta de soulever les jambes. Le diagnostic n’était pas bon : sa cheville était gonflée et douloureuse. Des lianes bien serrées retenaient ses genoux.

—Arrête de remuer, tu vas nous faire basculer.

Le sang de Sasha ne fit qu’un tour en reconnaissant la voix de son ennemi. Il se tourna vers elle, elle sentit la chaleur de son corps. Elle était sa prisonnière. Son cœur s’emballa, sa respiration se fit plus rapide. La panique l’envahit et elle se débattit de toutes ses forces.

—Calme-toi, murmura Povaron, en lui maintenant les épaules. Je t’ai attachée pour que tu ne t’enfuies pas, mais aussi pour t’éviter de chuter.

Sasha ne bougea plus. Elle respirait fort. Elle essaya de se calmer. S’il avait voulu la tuer, il l’aurait laissée là-bas sur le promontoire rocheux et le venin du serpent aurait fait son travail. Seulement, il lui fallait le code de sa batterie, et pour cela il fallait la maintenir en vie pour qu’elle le lui livre. Autrement dit, sa mort n’était que partie remise. Une fois obtenu le code, il se débarrasserait d’elle. La peur l’envahit. Quelle torture allait-il lui infliger pour qu’elle crache le morceau ? Allait-elle tenir bon ? Il le fallait. Hors de question de laisser faire ce Révolté, elle ne s’était pas engagée dans la Police pour rien, elle savait les difficultés que cela engendrerait. Elle en avait bavé lors de son entraînement, et maintenant il devait lui servir. Son rôle était d’aller au bout de sa mission, peu importe le danger. La situation n’était pas à son avantage, mais tôt ou tard, cet homme commettrait une erreur. Sa faille allait être son salut. À partir de maintenant, elle guetterait l’opportunité de renverser la situation.

—La fièvre est tombée, on dirait, dit-il, en plaçant sa main sur le front de Sasha. J’ai trouvé un hura crepitans un peu plus haut. Le latex a fait son effet.

—C’est vénéneux, dit Sasha, reprenant de l’empire sur elle-même.

—C’est aussi un excellent anti-venin quand on sait l’appliquer, lui répondit-il.

—Je sais.

—Je t’ai sauvé la vie, tu ne me dis pas merci ?

Sasha ne répondit rien.

—On peut maintenant enlever ces feuilles autour de ton cou, dit-il en s’exécutant. Quand j’ai vu les morsures sur ta nuque, j’ai tout de suite aspiré la majorité du venin. Tu étais dans un sale état, mais tu t’en es bien sortie. Une foulure à la cheville et un poignet cassé. Tu as aussi une blessure au bras, mais ça, je crois que c’est le crash qui l’a causé.

Povaron se leva d’un bond tout en pestant contre la horde de moustiques qui faisaient de son corps un copieux repas. Il ôta la toiture du hamac. À travers la brume, Sasha vit les cimes des arbres chatouiller les deux lunes. Il fouilla dans son sac pour en extraire quelques gnanqis, qu’il enfourna dans sa grande bouche. Sasha observa les lieux. Pas moins de cinq cônes faits de feuilles de palmes étaient calés entre des branches d’arbres. L’homme avait pensé à tout, la nuit s’était chargée de lui préparer sa provision d’eau. Il s’empara d’un cône rempli d’eau qu’il but goulûment, après quoi il fit boire Sasha. Il lui donna deux antalgiques et quelques gnanqis qu’elle avala rapidement. Il la détacha et l’aida à descendre du hamac. Elle avait quelques difficultés à poser son pied.

—Ces antalgiques sont puissants, tu pourras poser le pied d’ici peu. Je n’ai pas envie de te porter jusqu’en bas. J’ai eu mon lot hier, quand il a fallu aller te chercher sur la paroi rocheuse et te trimballer sur le chemin pendant deux heures. Les antalgiques qui restent sont pour moi, alors économise tes forces. Il reste encore quelques heures de marche. Le soleil ne va pas tarder à se lever. J’imagine que tu as besoin d’aller au petit coin. Va de ce côté, il y a un fourré assez bas pour que je te garde à l’œil.

Sasha ne se fit pas prier et se cacha derrière le bosquet assez épais pour ne pas mettre à mal sa dignité. Povaron se soulagea lui aussi de l’autre côté du hamac. Elle parcourut du regard le site. Le sac avec la batterie était trop près de lui pour qu’elle puisse l’attraper. De plus, la douleur de sa cheville ne lui permettait pas de dévaler le chemin, du moins, pour le moment. Quand elle eut fini, Povaron remplissait les gourdes de toute l’eau qu’elles purent contenir.

Le vent se tut. Le jour commençait à poindre. Les lueurs des lunes faiblissaient. Les premiers rayons du soleil firent rapidement se lever la légère brume de la forêt. Le chant strident des insectes annonçait le début d’un nouveau jour écrasant de chaleur.

—Allez ! On y va, fit Povaron. Le chemin est de ce côté. Tu passes devant.

Ils empruntèrent la portion du chemin tracé par le passage des bêtes. La chaleur se fit plus intense et les pas plus lourds. Ils progressaient doucement à travers les plantes tropicales, quand une végétation encore plus dense les stoppa net dans leur marche. Sasha ne se souvenait plus si elle avait traversé cet endroit la veille. Tout se ressemblait et la vue n’était pas assez dégagée pour voir quoi que ce soit du panorama. Povaron décida de passer devant pour se frayer un passage au couteau. Sasha se retrouva alors derrière lui et pensa qu’une occasion pareille ne se représenterait plus. Le passage était serré, envahi par de larges feuilles de palmes et de lianes. S’il s’accroupissait pour ouvrir le sac, il ne verrait pas un coup arriver par derrière. Elle hésitait car sa cheville la faisait encore souffrir. Pourtant, quand ils sortiraient de la forêt, il allait certainement la faire marcher à nouveau devant lui jusqu’au relais. Elle n’aurait pas de meilleure opportunité. Il ne fallait plus tergiverser. Elle s’appuya plusieurs fois sur sa cheville et jaugea le degré de douleur à supporter. Cela n’allait pas être facile, mais il en allait de sa vie.

—J’ai faim, dit-elle.

—Désolé, hier j’ai mangé tout ce que tu avais dans ton sac. Il reste seulement des gnanqis. Tu en auras peut-être quand tu m’auras dit le code de ta batterie, car tu sais bien que tu vas me le donner tôt ou tard !

—Il m’en faut vraiment, je ne vais pas pouvoir tenir encore longtemps. Et j’ai très soif.

L’homme se retourna et écarta l’épais feuillage qui pendait entre elle et lui. Il l‘observa un moment. Elle avait la mine déconfite, les cheveux hirsutes, de larges cernes sous les yeux et de la sueur coulait sur son visage couvert de croûtes de sang. Elle boitait toujours et tenait son poignet cassé contre sa poitrine. Elle s’arrêta et soupira longuement. Il ne la lâchait pas des yeux. Sasha pensa qu’il jaugeait son degré de sincérité.

—Ok, je vais t’en donner un peu, souffla-t-il.

Il s’agenouilla pour fouiller dans le sac. Sans attendre, Sasha pris son élan et lui lança un coup de pied à la nuque. L’homme lâcha un gémissement et s’affala brutalement dans les lianes. Il tenta de se redresser, mais elle ne lui en laissa pas le temps en décochant agilement un atémi dans la tempe. Povaron s’écroula face contre terre. Figée, Sasha sentit son cœur battre à tout rompre, sa cheville lui faisait atrocement mal. Il ne bougeait plus. Il fallait agir vite avant qu’il ne reprenne conscience. Elle lui arracha le sac des mains, ainsi que le couteau qu’elle l’avait vu remettre dans sa poche. Il fallait maintenant le lier avec des lianes. L’homme était athlétique et ses mains étaient plus larges que ses cuisses à elle. Elle frissonna à l’idée qu’il puisse l’étrangler. Elle hésitait entre le ligoter ou fuir au plus vite. Elle se ressaisit et maitrisa sa peur pour se concentrer sur ce qui devait être fait. Maintenant qu’elle avait l’avantage sur lui, il fallait à tout prix le conserver.

Elle se remémora ses cours à l’École de Police et constata que la théorie était bien plus facile que la pratique. On lui avait appris à faire des nœuds solides, mais ces lianes humides glissaient et se dénouaient. Elle respira profondément pour gérer au mieux son stress tout en guettant le moindre signe du réveil de Povaron. Ces maudites lianes se tortillaient sur elles-mêmes, il était impossible de lier ses mains. Elle observa la végétation autour d’elle. Il y avait deux sortes de lianes : certaines tombaient en cascade depuis les arbres et étaient glissantes, mais d’autres