Je me vengerai - Philippe Delamare - E-Book

Je me vengerai E-Book

Philippe Delamare

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Beschreibung

Cahors, 1955. La ville est accueillante et paisible, mais pas tant que ça. Un assassin y rôde. L’adjudant Michel Portail est sur sa piste, seulement il arrive toujours trop tard et une lettre qui lui est adressée avec la mention « JE ME VENGERAI » est sur toutes les victimes. À la mort de Michel, le tueur n’est pas encore neutralisé. Paul Portail, son fils, prend la relève dans la ville de Brionne entre 2021 et 2022 avec pour objectif d’attraper ce fantôme qui signe régulièrement ses forfaits du même message. Qui est-il et que veut-il ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Attiré par la lecture depuis son enfance, Philippe Delamare est un fan de polars et de science-fiction. Il a longtemps eu envie d’écrire et le fait d’être à la retraite lui a permis de laisser libre cours à son imagination. Dans Je me vengerai, il met en avant les valeurs de ses villes de naissance et de cœur.

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Seitenzahl: 555

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Philippe Delamare

Je me vengerai

Roman

© Lys Bleu Éditions – Philippe Delamare

ISBN : 979-10-377-8081-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Bonjour chers lecteurs (trices).

Attention, nous allons commencer à nous projeter dans ce livre.

Êtes-vous prêts à vous envoler vers d’autres horizons ?

Ce livre est une pure fiction, sorti de mon imagination. Toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé serait purement fortuite. Seules les villes citées et marquées en gras sont réelles, les lieux sont, pour la plupart, inventés. Bonne lecture et peut-être à bientôt.

Chapitre 1

Paul

1

Brionne, petite ville de 4200 habitants, se réveille en ce lundi 4 janvier 2021, sous un ciel maussade. Une petite pluie fine ne cesse de tomber depuis deux jours. Les gens restent chez eux en attendant des jours meilleurs. Pendant les fêtes de Noël, un déluge d’eau s’est abattu sur la ville. Les pompiers, les gendarmes et toutes les forces vives de la ville et des alentours sont intervenus sans relâche pendant quatre jours pour évacuer les maisons les plus à risques. Certains ont été relogés chez d’autres habitants, ou bien ont été évacués vers d’autres villes moins atteintes. Le lac, créé dans les années 1980 a débordé et inondé tous les champs alentour ainsi que les habitations. Jamais de mémoire de Brionnais, pareil évènement ne s’était produit avec autant de violence. Après ce déluge, une accalmie a permis de passer le Nouvel An à peu près tranquillement. Certains faisant la fête, malgré l’interdiction de grand rassemblement à cause de la Covid 19. L’intervention de la gendarmerie ayant mis fin rapidement à ces débordements. D’autres essayaient de panser leurs plaies et de réparer ce qui pouvait l’être. Dans la majorité des têtes des habitants, le moment n’était pas aux réjouissances. L’inondation de la semaine passée était encore trop vive dans les mémoires, la Covid 19 présente partout avec toutes les interdictions du gouvernement, ne prêtait pas à un bon moral.

Il était là, assis dans son canapé, regardant sans la voir une rediffusion d’une course de biathlon, son sport d’hiver préféré, en ressassant ses souvenirs bons et mauvais.

Que pouvait-il en faire ?

La vie est une roue qui tourne inexorablement, sans relâche.

Elle vous apporte de la joie, du malheur, du bonheur, de la fierté et surtout son lot de surprises.

Ce matin n’est pas un matin comme les autres.

Il est fatigué, épuisé. Malgré sa retraite, il avait participé à toutes les opérations de sauvetage. Il n’avait pas attendu que l’on vienne le chercher pour se présenter comme volontaire.

La retraite, tout le monde n’aspire qu’à ça. Mais lorsqu’elle est là, que vous l’avez bien gagnée, que vous reste-t-il à faire à part bayer « aux corneilles » ?

Et puis, après tous les maux de la terre, comme s’il n’y en avait pas assez comme ça, on nous balance la Covid 19 afin de faire du ménage et de renflouer les caisses de retraite.

— Nous, les vieux, les plus visés, que va-t-on devenir ? se demande-t-il.

À 60 ans, je ne suis pas si vieux que ça quand même, mais c’est pourtant ce que lui avait asséné sa petite fille de cinq ans, l’air aussi sérieux que possible.

— Papi, tu es vieux, lui avait-elle dit, juste avant Noël.

On dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Dans quel monde vit-on si maintenant les petits enfants vous jugent de cette manière ? Paul avait eu du mal à le digérer, mais on pardonne facilement aux personnes que l’on aime. Et Paul aimait ses trois petits enfants.

Il en était là de ses réflexions, de ses sombres pensées, quand le téléphone sonna et le tira de sa torpeur.

Encore des pubs, marmonna-t-il et il laissa la sonnerie s’arrêter.

Trente secondes plus tard, nouvelle sonnerie.

— Zut, ce n’est pas vrai, ils ne me foutront pas la paix.

Il se leva péniblement et alla décrocher.

2

— Allo, si c’est pour me vendre quelque chose, j’ai tout ce qu’il me faut et vous pouvez raccrocher en m’oubliant.
— Paul, c’est Max et je n’ai rien d’un vendeur.
— Max ? Comment vas-tu depuis la semaine dernière ? Les dégâts ne sont pas trop importants finalement ?
— Non, ça va, mais je dois dire que ton aide nous a été précieuse.
— Tu parles, je n’ai pas fait grand-chose.
— Tu rigoles ou quoi ? Sans toi, on aurait été encore plus débordés.
— C’était normal, je me devais d’être là. Je ne suis pas encore bon pour la casse.
— Bien sûr que non.
— Tu voulais me demander quelque chose ?
— Oui, je voulais te dire que tu étais invité samedi à un pot organisé par madame le maire pour remercier les bénévoles et que ta présence lui est indispensable.
— Indispensable, mon œil. Ce n’est pas plutôt toi qui aimerais que je sois présent.
— Non, je te promets qu’elle tient absolument à ta présence.
— Si elle tient tant à moi, elle n’a qu’à le demander elle-même.
— Toujours autant tête de mule à ce que je vois. Elle m’a demandé de te prévenir en même temps qu’elle m’a lancé l’invitation. Une lettre d’invitation va être publiée dans la presse et diffusée dans les panneaux d’informations.
— Je ne sais pas si je suis libre samedi.
— Allons, ne fait pas ta tête des mauvais jours, tu sais parfaitement que tu n’as rien de prévu. Tu ronchonnes bien assez comme ça depuis que tu es à la retraite que tu n’as rien à faire.
— Bon d’accord, je viendrais. À quelle heure ta petite sauterie ?
— À 18 heures à la salle des fêtes.
— OK, je serais là. À part ça, rien de particulier ?
— Que veux-tu qu’il y ait ? Tu sais bien que de ce temps-là, il ne se passe pas grand-chose.
— Ouais, c’est sûr.
— Bon, je te souhaite une bonne journée et à samedi, vieux frère.
— Vieux, pas si vieux que ça, lui répondit-il en rigolant et en raccrochant dans la foulée.

Paul se demandait pourquoi sa présence était indispensable. En général, lorsque l’on disait cela à quelqu’un c’était souvent pour remettre une médaille ou autre babiole. Il n’avait pas besoin de ce genre de récompense. À force de cogiter, il se dit qu’il resterait chez lui, portes fermées. Il n’avait aucune envie de se retrouver sur le devant de la scène.

Il se remit devant la télé. Il avait loupé l’arrivée de la course et il revint en arrière.

La semaine passa et Paul avait oublié l’invitation. À 17 h 30, le samedi, une voiture de gendarmerie se gara devant chez lui. Un gendarme en tenue de gala sortit de la voiture et sonna à sa porte. Il alla ouvrir. Max se tenait devant lui, tout sourire.

— Eh bien, tu n’es pas encore prêt ?
— Prêt pour quoi ?
— Ne me dis pas que tu as oublié ?
— Oublier quoi ?
— Mais la cérémonie, bien sûr.
— Quelle cérémonie ?
— Eh, tu as Alzheimer ou tu en fais exprès ?
— Ah oui, je me souviens que tu m’en avais parlé, c’est aujourd’hui ?
— Dans une demi-heure.
— Merde, j’avais complètement zappé.
— Alors, dépêche-toi ou on va être en retard.
— Je n’en ai pas envie.
— Envie ou pas, je t’emmène.
— Tu m’embêtes, je suis bien chez moi.
— Ne fais pas ta tête de mule et viens avec moi. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu ne seras pas prêt.

Voyant que Max mettait sa menace à exécution, Paul alla se changer et le suivit à contrecœur.

— N’oublie pas ton masque.
— Ah c’est vrai, qu’est-ce qu’ils nous font c… avec ce masque.
— Peut-être, mais c’est la règle et elle est faite pour tous.

Paul prit son masque sur le guéridon de l’entrée et ferma sa porte à clef. En sortant, il sentit le froid qui venait de s’installer depuis deux jours après les récents évènements.

Ils arrivèrent à la salle des fêtes un peu avant madame le maire, ainsi, Paul n’eut pas l’occasion de discuter avec beaucoup de monde.

La salle était remplie d’une centaine de personnes, alors que le gouvernement interdisait tout rassemblement de plus de huit personnes. Le préfet, présent pour l’occasion, ainsi que le maire avaient donné leur accord pour cette cérémonie à condition de respecter les règles en vigueur. Masques, éloignement de chaque personne entre elles tant que possible. Toutes mesures sanitaires respectées.

Madame le maire prit la parole en souhaitant la bienvenue à l’assemblée. Elle remercia toutes les personnes présentes et avant de poursuivre son discours, laissa la parole à monsieur le préfet qui salua le courage et l’abnégation de chacun, qui sans leur aide et leur dévouement ne serait pas venu à bout des éléments naturels aussi facilement. Il repassa le micro au maire qui, après quelques paroles de félicitations et de remerciements, appela à monter sur l’estrade à ses côtés, monsieur Paul Portail.

Paul, surpris, ne bougea pas sur le coup. Max qui était resté à ses côtés lui donna un coup de coude dans les côtes, ce qui le ramena sur terre. Il s’avança au milieu des volontaires et monta sur l’estrade, accueilli par le préfet et madame le maire.

Celle-ci le présenta à l’assemblée. Tout le monde connaissait Paul. Il avait été assez longtemps en fonction pour être connu.

— Monsieur Portail, pour l’ensemble de votre carrière et pour le dévouement dont vous avez fait preuve lors des quinze derniers jours, je vous décerne, au nom de la France, la médaille du mérite.

Elle agrafa la médaille sur la poitrine de Paul et lui serra fermement la main, l’accolade traditionnelle étant exclue à cause de la pandémie.

Paul ne sachant quoi dire, la remercia et sur un signe de la main en direction de la salle, quitta l’estrade sous les applaudissements de l’assemblée.

Après avoir remercié chaleureusement toutes les personnes présentes, madame le maire les invita à prendre le verre de l’amitié pour clôturer cette soirée.

Paul se retrouva au centre des conversations et des félicitations de tout un chacun. Il n’avait qu’une envie. S’enfuir et rentrer chez lui. Il ne supportait plus ces effusions de souhaits et autres quolibets que certains n’hésitaient pas à lui dire. Il prit Max par le coude et lui demanda de le raccompagner chez lui. Max, voyant l’état nerveux de Paul, se décida (malgré une forte envie de rester sur place à continuer de boire et manger aux frais de la princesse), de le ramener chez lui.

Arrivé devant chez lui, Max prétexta un coup de fatigue et laissa Paul sur le trottoir. Il fila dare-dare à la salle des fêtes pour reboire un verre ou deux de champagne avant que tout le monde rentre chez soi.

3

Paul entra chez lui, s’aperçut qu’il n’avait pas branché l’alarme, trop surpris par Max et son obsession de l’amener à cette cérémonie. Il se dirigea vers le frigidaire d’où il se servit un grand verre de thé froid qu’il avait préparé dans l’après-midi. Été comme hiver, il adorait cette boisson qui le rafraîchissait plus que tout autre breuvage.

Étant donné l’heure et les petits fours qu’il avait mangés sans vraiment avoir faim, mais pour faire comme tout le monde, il s’installa dans son canapé et alluma la télévision. Comme d’habitude, et à son grand énervement vis-à-vis des médias et autres programmes, il n’y avait rien d’intéressant à l’écran. Il éteignit la télé et prit un livre. Au bout de dix minutes, il s’était endormi sur sa lecture, oubliant même ce qu’il avait essayé de lire. Il se réveilla vers minuit et se jeta sur son lit, ne prenant pas la peine de se dévêtir de peur de ne pas se rendormir. Morphée l’emporta aussitôt dans ses bras bienfaisants.

Le lendemain matin, à son réveil, il se demanda pourquoi il était resté habillé. Quand la mémoire lui revint, il se dit qu’il devait être bien fatigué pour n’avoir pas eu le courage de se déshabiller. Il se leva, se dirigea vers la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Rassasié, il se mit à poil et alla prendre une bonne douche pour lui remettre les idées à l’endroit. Il traîna sa peine toute la matinée. À midi, n’ayant rien préparé à manger, il se fit des œufs au plat accompagnés de chips. Après avoir lavé sa vaisselle, il s’installa dans son canapé, prit son livre, revint aux pages précédentes, ne se rappelant plus de quoi il s’agissait et lu pendant deux heures. Un grand verre de thé glacé lui fit du bien, le remit sur les rails. Il se décida à aller faire quelques courses au supermarché à la sortie de la ville, car son frigo, tout comme le congélateur ou le garde-manger, était vide.

Lorsqu’il revint, chargé comme une bourrique et après avoir tout rangé, il regarda le jeu question pour un champion. Il se fit à manger, et passa le reste de la soirée devant son ordinateur à jouer au solitaire et autres jeux. À 23 heures, il se mit au lit comme tous les soirs et s’endormit rapidement.

Les jours et les nuits se succédèrent à un rythme qui lui paraissait toujours plus rapide.

Un matin de février, alors que le temps était un peu plus clément, mais avec un brouillard à couper au couteau, son téléphone sonna. Comme à son habitude, il grommela contre les pubs, laissa sonner et continua son petit train-train. Trente secondes plus tard, la sonnerie le dérangea de nouveau et comme d’habitude lorsqu’il décrocha, ce fut pour dire qu’il n’avait rien à acheter. Mais ce n’étaient pas des pubs.

— Paul, entendit-il, c’est Max.
— Max, quelle bonne surprise ! Je pensais justement à toi ce matin en me levant.
— En bien, j’espère ?
— Bien sûr, mon vieux, bien sûr.
— Comment vas-tu depuis ta médaille ?
— Ça peut aller, et toi, le boulot ?
— Pas trop mal. La retraite se passe bien, espèce de veinard.
— Je m’ennuie si tu savais.
— C’est normal, il faut que tu t’habitues à ne rien faire. Après tout, ça ne fait que deux mois que tu es parti.
— J’ai l’impression que ça fait des années.
— Ne t’en fais pas, ça passera.
— Ouais, peut-être un jour, mais maintenant que je me retrouve tout seul, la maison me paraît vide. Vous me manquez, le boulot me manque.
— Justement, je t’appelle pour ça. Ça te dirait de reprendre un peu de service ?
— Et comment, bien sûr. Qu’est-ce que je dois faire ?
— J’aimerai, si possible que tu me rendes un petit service.
— Vas-y, je t’écoute.
— Il y a eu un meurtre en ville et je suis en manque de personnel à cause du virus qui va me rendre fou, entre les interpellations, les surveillances, les bagarres, etc. Enfin, tu connais le refrain, je ne vais pas te faire un dessin.
— Oui, bien sûr, je compatis, répondit-il en rigolant intérieurement.
— Son ex 1er adjoint, maintenant commandant de la brigade, était un homme éternellement inquiet pour tout. Mais à sa décharge, c’était un excellent gendarme, apprécié de tous ses hommes et de la hiérarchie en passant par le parquet qui lui faisait confiance dans ses intuitions et son travail irréprochable.
— Donne-moi l’adresse et je pars immédiatement.
— Je voudrais d’abord te voir cinq minutes avant que tu ne commences tes investigations.
— Pourquoi, il y a un problème ?
— Passe à la brigade, je t’expliquerai.
— OK, j’arrive.

À peine avoir raccroché, Paul sauta en l’air en criant de joie. Il allait reprendre du service après deux mois de demi-dépression.

Paul éteignit sa télévision. Celle-ci était allumée en sourdine, juste un bruit de fond pour que la maison paraisse moins vide depuis que sa femme Laura était partie pour un homme plus jeune que lui, mais surtout plus riche et plus présent que lui. Du moins, c’était ce qu’elle prétendait, car ce monsieur était souvent parti par le monde pour gagner toujours plus d’argent. C’est la vie, se dit-il. J’espère pour elle qu’elle a fait le bon choix. Il est vrai que depuis quelque temps, il ne regardait plus son épouse comme avant. Lorsqu’il rentrait à pas d’heure à cause de son boulot, fatigué et fourbu de sa journée à galoper par monts et par vaux après des délinquants de tous poils, il n’avait qu’une envie. Se laisser aller dans son canapé avec un bon verre de whisky.

C’est pourquoi, quand Laura venait se couler près de lui, il devenait de plus en plus réticent, prétextant cette fatigue. Elle respecta son choix une fois, deux fois, dix fois, mais en eut ras le bol au bout d’un moment.

Ils ne se parlaient pratiquement plus, ne faisaient plus l’amour et souvent ne dormaient plus ensemble non plus, car Paul s’endormait souvent dans le canapé et elle ne voulait pas le réveiller. Dans ces moments-là, il était d’une humeur de chien.

Un beau matin, Laura fit ses valises et partit d’abord à l’hôtel le plus proche après quelques jours, elle alla squatter chez sa copine qui lui expliqua au bout d’une quinzaine de jours, qu’elle serait quand même mieux chez elle.

Laura revint à la maison, mais Paul ne voyait pas cela d’un bon œil et le lui fit comprendre. Vexée, Laura refit ses bagages au bout de trois jours de disputes. Elle repartit à l’hôtel, où elle rencontra son millionnaire.

Paul prit ses clefs de voiture, son portable et ses papiers, chercha son arme en se souvenant d’un coup qu’il n’en avait plus. C’est en maugréant qu’il sortit de chez lui, non sans oublier de brancher son alarme, la ville devenant de moins en moins sûre, et de mettre son masque, COVID oblige.

— Satané virus, maugréa-t-il, entre ses dents.

Lorsqu’il mit le nez dehors, le brouillard était toujours aussi épais et cachait tout autour de lui. Il ne voyait même pas son portail qui était à peine à une quarantaine de mètres. Satané brouillard, maugréa-t-il, je vais mettre un temps fou à arriver.

Il avait pris l’habitude de se parler tout seul depuis sa retraite, maugréer et se parler.

Malgré cela, quinze minutes plus tard, il arriva à la caserne où il se gara à sa place habituelle, malgré qu’il n’en ait plus la jouissance. Il entra tranquillement dans le sas de réception où il déclina son identité à un jeune stagiaire qu’il ne connaissait pas.

Celui-ci le fit entrer et après avoir demandé le capitaine avec qui il avait rendez-vous, le stagiaire lui demanda de s’asseoir en attendant.

4

Le commandant Max Lange vint le chercher. C’était un homme d’une cinquantaine d’années qui était arrivé à la caserne 15 ans plus tôt et qui avait gravi les échelons petit à petit, jusqu’à prendre la place de Paul deux mois plus tôt.

— Bonjour, Paul, je ne t’ai pas dérangé au moins ?
— Oh non, comme je te l’ai dit, je m’ennuie fermement.
— Bon, suis-moi, que je t’explique mon problème qui va sûrement devenir le tien pendant un moment si le cœur t’en dit.
— Alors là, pas de problème, je suis ton homme.

Les deux hommes s’installèrent dans le bureau du commandant. Bureau tout simple. Une pièce comme on en trouve dans toutes les gendarmeries de France et de Navarre. Un bureau croulant sous un tas de dossiers, deux chaises pour les visiteurs, une cafetière dans un coin, le sempiternel porte-manteau et un placard archi bourré de papiers de toutes sortes.

— Je vois que tu n’as pas eu le temps de remettre de l’ordre dans le bazar que j’ai laissé.
— Ne m’en parle pas, je suis débordé. J’ai même du mal à m’occuper de mes propres affaires. J’ai demandé une secrétaire à temps plein, mais tu connais comme moi la rapidité de l’administration.
— Rien ne change avec le temps. Bon, tu m’as fait venir pourquoi ?
— Comme je te l’ai dit au téléphone, j’ai un meurtre sur les bras.
— OK, explique.
— Un homme d’une cinquantaine d’années, yeux bleus, type caucasien. J’ai laissé deux jeunes de la BAC sur place en t’attendant.
— Rien d’exceptionnel, pour l’instant.
— J’y viens.
— Impasse du 14 Juillet, ça te dit quelque chose ?
— Bien sûr, j’aurai beaucoup de mal à l’oublier.

5

Impasse du 14 Juillet, le 24 juin 2000

Un homme à terre, penché au-dessus de cet homme, un autre homme avec à la main une scie électrique portable qui venait juste de trancher la gorge de ce pauvre homme.

Lorsque Paul était arrivé, alerté par un voisin qui avait entendu des appels à l’aide, le meurtrier était en train de se délecter du sang de sa pauvre victime.

Paul n’en croyait pas ses yeux et était resté l’espace d’une seconde complètement abasourdi par ce qu’il voyait. Vite remis de ses émotions, il s’est jeté sur ce nécrophage pour le rendre inoffensif.

Une fois menotté et éloigné du cadavre, Paul n’a pu que constater le décès du pauvre malheureux.

Emmené au commissariat, le criminel ne prononça pas un mot et malgré une garde à vue de quarante-huit heures et des tonnes de questions quant à son identité, âge, adresse, etc. personne ne réussit à savoir qui il était, d’où il venait et quel âge il avait. Au vu de ses traits, il devait avoir environ une vingtaine d’années.

Vu la gravité de son geste, il a évidemment été mis en examen et comme rien ni personne ne put en savoir davantage, il fut emprisonné. Cette enquête était restée en travers de la gorge de Paul, car elle n’avait jamais pu être élucidée. Pourquoi cet homme s’en était pris à cette pauvre victime ? Pas pour de l’argent, ce qui était sûr, puisque le cadavre était un SDF.

Peut-être un règlement de compte, Dieu seul le savait. Les seules paroles distinctes que le criminel prononça lors de son procès furent :

« JE ME VENGERAI ».

Délire d’un fou, paroles en l’air, personne n’aurait pu le dire.

Interné à vie dans un hôpital psychiatrique dans le Sud-Ouest de la France, avec impossibilité de sortir, tout le monde l’avait oublié, sauf Paul, qui en faisait encore des cauchemars de temps en temps.

— Pourquoi me demandes-tu ça ?
— Parce que notre cadavre est dans cette rue.
— Et alors, tu crois qu’il y a un rapport ?
— Je n’en sais rien, à toi de le découvrir, et le plus vite possible serait le mieux.
— OK, boss, j’y vais, je cours, je vole.
— Arrête tes conneries, Paul, je suis sérieux. Avec tout ce qui se passe en ce moment, je n’ai pas envie d’avoir tous les journalistes sur le dos, sans compter le maire, le Proc et j’en passe.
— Ne t’en fais pas, je suis déjà parti.

Après avoir fait le tour de son bureau, le capitaine Lange, serra la main de Paul et lui souhaita un bon courage.

6

Paul sortit de la brigade en grimaçant, car il en avait ras le bol de porter ce foutu masque, bien qu’il soit malheureusement obligatoire en société. Le brouillard commençait à se lever et l’on y voyait bien mieux.

Il sortit du parking, non sans avoir dit bonjour et discuté avec deux de ses anciens hommes qui revenaient d’une opération radar mobile. Il prit la direction du centre-ville et tourna à gauche vers la gare où la rue du 14 Juillet était juste après.

Paul s’avança dans l’impasse. Personne. Il n’y avait personne dans cette impasse. Paul arrêta la voiture, descendit et revint au début de l’impasse pour vérifier qu’il ne s’était pas trompé de rue ou si celle-ci avait été débaptisée. Aucune erreur possible, il était bien au bon endroit. Où étaient passés les deux agents ainsi que le cadavre ?

Il prit son téléphone et appela Max. Celui-ci répondit à la deuxième sonnerie.

— Max, tu t’es bien foutu de ma gueule, tu dois bien rigoler, où est la caméra cachée ?
— Qu’est-ce que tu me racontes ?
— Il n’y a rien dans ta rue, pas de cadavre, pas de bleus, rien, que dalle.
— Ce n’est pas possible. Je te dis qu’il y a un macchabée. Tu es sûr que tu es dans la bonne rue ?
— Prends-moi pour une truffe tant que tu y es.
— C’est impossible. Bon, écoute, reste où tu es, j’arrive.

Paul n’eut pas le temps de répondre que Max avait déjà raccroché.

Paul refit le chemin à l’opposé en cherchant des indices. Une grosse tache de sang lui sauta au visage. En passant une première fois, il n’avait rien vu, obnubilé par le nom de la rue. Il s’accroupit pour vérifier que c’était bien du sang en grattant un peu avec son doigt et le porta à ses lèvres. Le goût ferreux du sang lui emplit la gorge. Il avait horreur de ce goût.

Soudain, ses sens furent en alerte. Comme il aimait bien le répéter aux jeunes flics, il faut avoir quatre yeux. Deux devant et deux derrière. Il sentait un danger imminent. Il se retourna brusquement, la main sur son pistolet qui n’existait pas, mais par simple réflexe. Il se retrouva nez à nez avec un gamin d’une dizaine d’années tout au plus.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda le gamin.
— Surpris, Paul n’eut pas de réponse.
— C’est du sang qu’il y a par terre, lui affirma le gamin.
— Comment tu le sais ?
— Il y avait un monsieur mort, là, tout à l’heure.
— Et il est parti où ?
— Un monsieur, très grand, est venu le chercher.
— Tu l’as vu, il t’a dit quelque chose ?
— Non, j’étais caché là, en montrant un tas de caisses hétéroclites qui attendaient d’être enlevées par qui de droit.
— Et comment il l’a emmené ?
— Il avait un gros fourgon noir, avec des vitres noires. C’était une Renault.
— Comment sais-tu que c’était une Renault ?
— Facile avec le logo.
— Bravo bien vu. Il y avait deux jeunes gendarmes avec lui, ils l’ont aidé ?
— Non, je crois qu’il les a tués.
— Comment ça ?
— Quand il est arrivé, il a fait le tour du fourgon et il a assommé la femme et il a tiré sur le mec. Ensuite, il les a mis dans le fourgon, avec le mort et il est parti sans rien dire.
— Tu as vu tout ça et tu n’as pas bougé.
— Ah non, j’avais trop peur.
— Pourquoi tu n’as pas eu peur de moi ?
— Parce que tu n’as pas de cagoule.
— Il avait une cagoule sur le visage ?
— Ouais, on ne voyait que ses yeux.
— Tu as relevé le numéro d’immatriculation ?
— Non, il n’y avait pas de plaque à l’arrière.
— Tu es sûr ?
— Ouais, absolument sûr.
— C’est bien dommage, est-ce que tu te souviens d’autre chose ?
— Il y avait comme un chien collé sur le carreau du côté et un chiffre.
— Quel chiffre, tu te souviens ?
— 46.
— 46, c’est tout.
— Eh bien, bravo, mon gars, tu as été formidable. Comment t’appelles-tu ?
— Lucas Mare, j’habite là-bas en montrant la première maison à l’entrée de l’impasse.
— Tes parents ne sont pas là ?
— Non, ils travaillent.
— Et toi tu n’es pas à l’école ?
— Je ne reprends que demain, la prof n’est pas rentrée de vacances.
— Très bien, je pense que je reviendrai te voir plus tard pour d’autres renseignements, au cas où quelque chose d’autre te revenait.
— Le mec, il a laissé ça avant de partir.
— Lucas lui donna un bout de papier. Une feuille A4 pliée en quatre.
— Où as-tu eu ça ?
— Il l’a laissé là, à côté du sang, mais ça s’était envolé.

Paul déplia la missive et resta sans voix. Une seule phrase écrite avec des morceaux de journaux découpés. Elle disait :

« JE ME VENGERAI ».

Signé : le vengeur, suivi d’un masque tel Zorro.

Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? pensa Paul.

Il n’en croyait pas ses yeux. Ça ne pouvait pas être vrai ni possible. Il était enfermé à vie, sans espoir de sortie, c’était impossible. Paul replia la feuille en 8 et l’enveloppa dans son mouchoir pour éviter trop d’empreintes.

— Lucas, tu vas être obligé de venir avec tes parents pour que l’on prenne tes empreintes pour pouvoir les comparer à celles du tueur.
— Chouette, comme à la télé.
— Oui mon garçon, mais là, on n’est pas à la télé et c’est très sérieux.
— Papa va rentrer dans un quart d’heure, je pourrai venir avec lui.
— OK, on va l’attendre pour lui expliquer ce qui se passe.
— Je vais me faire engueuler.
— Pourquoi, tu n’y es pour rien ?
— Ce n’est pas ça, papa ne veut pas que je joue dans la rue.
— Ne t’inquiète pas, pour une fois il ne te dira rien.

7

Paul n’eut pas le loisir ou le temps de poser une autre question à Lucas, qu’une voiture bleue, toute sirène hurlante déboula dans l’impasse, suivie d’une armada de voitures.

Max s’extirpa de son véhicule d’un bond comme un lion sorti de sa cage.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? Paul, tu m’expliques ?

— C’est bien la bonne rue, n’est-ce pas ?
— Oui et alors, il est où ton macchabée ?
— C’est ce que j’aimerai bien savoir, figure-toi. Il n’y a rien ici, à part une belle tache de sang qui commence à sécher et que tes gars feraient bien de s’occuper le plus vite possible.
— Oui, ça va, on connaît notre boulot.
— Ce n’est pas un reproche, tu le sais bien Max, mais question d’habitude.
— OK, OK, bon alors c’est quoi cette disparition ?
— Ton cadavre a disparu, envolé, dissipé comme un vulgaire fantôme, ainsi que tes deux garde-chiourmes.
— Comment ça, ils ont disparu ? Je leur avais dit de rester sur place jusqu’à ce que quelqu’un prenne la relève et que le légiste vienne faire les constatations.
— Ils ne sont plus là, ils ont été enlevés avec le cadavre.
— Comment ça, enlevé ? Et par qui ?
— Un homme, d’après mon témoin.
— Un témoin ? Tu ne pouvais pas le dire plus tôt.
— Tu ne m’en as pas laissé le temps. Tu débarques avec perte et fracas en polluant la scène de crime comme un simple débutant. Alors, vire-moi tous ces mecs qui n’ont rien à foutre ici et l’on pourra peut-être discuter plus tranquillement.
— Serge, hurla Max. Vire-moi tous ces journalistes et tous ceux qui n’ont rien à voir avec l’enquête sur le champ. Je ne veux plus voir personne à moins de 10 mètres, mettez-moi un cordon de sécurité en place. Bon, Paul qui est ce gamin, en voyant Lucas.
— Notre témoin.
— Quoi, un gosse ?
— Oui et alors ? Il est le seul pour le moment à avoir vu quelque chose et son témoignage est aussi recevable que n’importe lequel.
— Bon, excuse-moi, je suis un peu sur les nerfs.
— Eh bien, arrange-toi pour te calmer parce que ça ne fait que commencer.
— Comment ça ?
— Il est revenu.
— Quoi, mais ce n’est pas possible.
— Et si, il a même signé sa réapparition à moins que ce ne soit un copy cat, 21 ans après, mais cela m’étonnerait.

8

Un brouhaha s’éleva du cordon de sécurité mis en place rapidement après le coup de gueule du commandant. Un homme voulait absolument passer.

— C’est papa, dit Lucas.
— Laissez-le passer, c’est le père du témoin, ordonna Max au jeune gendarme qui le retenait.
— L’homme arriva en courant et Lucas se jeta dans ses bras.
— Tu n’as rien, tu es blessé ? s’enquit le père auprès de son fils.
— Celui-ci lui dit que tout allait bien et qu’il n’avait pas eu peur.
— Bonjour, monsieur, Commandant Max Lange, commandant la brigade de gendarmerie, à qui ai-je affaire ?
— Monsieur Mare, papa d’Ethan, nous habitons juste la maison au début de l’impasse.
— Commandant Paul Portail à la retraite, se présenta Paul.
— Maintenant que les présentations sont faites, reprit Max sur un ton qui ne souffrait pas de répartie, passons aux choses sérieuses. Bien, que faites-vous dans la vie, monsieur Mare ?
— Je suis ingénieur informatique chez IBM.
— Votre femme travaille ?
— Oui, elle a une librairie en ville.
— Parfait, et toi jeune homme, tu n’es pas à l’école ?
— Non, la maîtresse n’est pas rentrée de vacances à cause de l’avion qui est bloqué. Normalement, elle devrait être là demain.
— C’est pour ça qu’aujourd’hui tu joues dans la rue.
— Comment ça, joue dans la rue, repris le père, je croyais t’avoir interdit de jouer dans cette rue.
— Oui, mais il n’y a pas de cour à la maison et en plus il fait beau et il n’y a personne dans la rue, répliqua Lucas, qui se sentait fort à côté du flic qui lui avait dit qu’il était un témoin important.
— On verra ça plus tard, répondit le père.
— Ne le disputez pas trop pour une fois, car grâce à lui on a peut-être une piste sérieuse.

Lucas était aux anges. Non seulement il allait éviter une engueulade et une punition, mais il se retrouvait au centre de l’affaire. Il bomba le torse comme quelqu’un qui vient de faire un super exploit. Son père ne dit plus rien en attendant la suite des évènements.

9

Un homme d’environ trente ans, bien bâti, costume de bonne coupe, cravate assortie, les interrompit en se présentant comme le procureur de la République.

— Bonjour, monsieur le procureur, saluèrent ensemble les trois hommes.
— Procureur Etienne Sapin. Bonjour messieurs. Alors que se passe-t-il ici et où est passé votre cadavre ? On me dit d’intervenir rapidement et il n’y a strictement rien qui justifie ma présence. J’ai bien d’autres chats à fouetter que de me déplacer pour rien.
— Ce n’est pas pour rien, monsieur le procureur, nous avons bien un mort, mais le problème, c’est qu’il a disparu ainsi que les deux vigiles que j’avais laissés pour surveiller en attendant que nous arrivions.
— Comment ça, ils ont disparu tous les trois ?
— Oui, répondit Paul. Enlevé par un homme cagoulé dans un fourgon Renault d’après notre jeune témoin.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Je pense que cela a un rapport avec une très vieille histoire, répondit Paul.
— Expliquez-vous.
— Pas ici, renchérit le commandant à la retraite, ce serait bien trop long et il y a beaucoup trop de monde.
— Bon, je vous attends dans une heure à mon bureau et soyez à l’heure, je déteste attendre.
— Bien, monsieur, le procureur, dit Max.
— Je veux vous voir tous les deux. À tout à l’heure.

Sur ces bonnes paroles, le procureur opéra un demi-tour et rejoignit sa voiture où l’attendait son chauffeur qui jouait avec son téléphone en attendant et qui n’avait pas vu son patron revenir.

— Vous n’avez rien d’autre à faire, Dominique. Allez en route, au palais immédiatement.

Pris en faute, Dominique ne dit rien et ouvrit la portière au procureur avant de s’installer au volant et de filer le plus vite possible pour obéir aux ordres de son patron.

Les deux policiers regardèrent le procureur s’en aller sans pouvoir dire un mot.

— Je crois que ça va être notre fête, dit Max à Paul.
— Je pense que tu as raison.
— Bon, revenons à nos moutons. Monsieur Mare, pouvez-vous venir à la brigade avec votre fils, car nous avons besoin de l’entendre le plus tôt possible tant que ses souvenirs sont intacts ?
— Pas de problème, je vous suis, le temps de prévenir mon épouse.
— Ne lui dites rien de précis pour le moment, juste que vous avez une course à faire avec votre fils.
— Bien, commandant, le temps de donner à manger à Lucas et nous arrivons.

Les deux gendarmes laissèrent le père et le fils rentrer chez eux pour se restaurer, main dans la main, en se demandant comment les choses allaient tourner.

Ils laissèrent le champ libre pour les prélèvements d’empreintes et tout ce qui pourrait servir à l’enquête.

Paul et Max se séparèrent pour rejoindre leur véhicule respectif et rallier le commissariat en attendant d’aller au palais, qui n’était pas très loin du commissariat.

*

Le lendemain matin, la disparition des deux gendarmes et du macchabée faisait les gros titres des journaux quotidiens.

Les Brionnais, en apprenant cette nouvelle, furent tous stupéfaits et n’en croyaient pas leurs yeux et surtout leurs oreilles, les disparitions ayant été évidemment grossies, assorties de toutes sortes d’hypothèses.

Chapitre 2

Michel

1

Une heure après que le procureur leur avait donné rendez-vous, les deux policiers se présentaient au greffier qui les fit entrer immédiatement dans le bureau du procureur. Celui-ci les attendait, une tasse de café à la main.

— Café, messieurs ? demanda-t-il.
— Non merci, répondirent-ils avec un ensemble parfait.
— Bien, asseyez-vous et racontez-moi cette histoire si mystérieuse.

Alors que Paul allait débuter son histoire, le téléphone portable de Max sonna.

Lorsqu’il vit le nom de l’importun, il s’excusa auprès du procureur, mais il devait absolument y aller, devoir oblige.

Le procureur, un peu vexé, ne put faire autrement que de le laisser partir. Paul, resté en tête à tête avec le procureur, commença son histoire, tout en se demandant par quel bout commencer.

Cette histoire commence en 1905.

— En 1905, vous vous moquez de moi ?
— Non, monsieur le procureur, mais pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette histoire, je suis obligé de faire un bond en arrière. Mais rassurez-vous, je ne vais pas vous faire un retour dans le passé.
— Il vaudrait mieux, car je n’ai pas que ça à faire.
— Si vous voulez, je peux la faire plus courte si cela vous dérange vraiment.
— Non, si vous jugez qu’il faut commencer en 1905, allons-y, mais auparavant, laissez-moi trente secondes.

Il décrocha et appela son greffier pour lui demander d’annuler ses rendez-vous de fin de matinée et de ne le déranger sous aucun prétexte. Bon, maintenant que nous allons être tranquilles, je vous en prie, commencez et je vous promets de ne vous interrompre que si vraiment quelque chose m’échappe.

— Merci, monsieur le procureur.

2

Mon histoire commence donc en 1905, année où mon grand-père est né. Ses parents étaient métayers pour un châtelain en Normandie et mon grand-père continua après mon arrière-grand-père à s’occuper de la ferme, car à l’époque il n’y avait pas beaucoup de choix. En 1909, le châtelain, alors âgé de 25 ans, mourût d’un accident de chasse. Le domaine dirigé par la belle-mère de celui-ci, sa mère biologique étant décédée quelques années auparavant. Il s’était remarié avec une jeune femme de 5 ans plus jeune que lui. Seulement avant de partir à la guerre, le châtelain avait eu le temps de mettre son épouse enceinte. Celle-ci accoucha début janvier 1910. N’ayant qu’une seule fille et ne voulant surtout pas en avoir plus et ne pas trahir l’amour qu’elle avait pour son mari, ne se remaria pas, malgré les assiduités d’un jeune comte qui vivait à quelques lieues de là.

Comme tous les enfants curieux de tout, mon grand-père s’aventura un jour dans le château sans y être invité. Il rencontra alors la jeune châtelaine âgée de cinq ans de moins que lui. Les enfants, c’est bien connu, se lient très vite d’amitié, surtout lorsqu’ils sont seuls et personne avec qui jouer. Ce fut donc naturellement qu’ils se mirent à jouer ensemble avec l’assentiment inespéré de madame Mère. Ils grandirent l’un près de l’autre, mais avec la différence de rang.

En 1919, la châtelaine mourut d’une longue maladie en léguant tous ses biens à sa fille, Emeline, qui n’aurait la jouissance qu’a sa majorité et cédant la tutelle à mes arrière-grands-parents et leur descendance au cas où ceux-ci décéderaient avant la majorité d’Emeline. Je ne sais pas si cela était bien légal, mais comme le notaire de l’époque ne dit rien et entérina le testament, le temps suivit son cours.

Cela fit un scandale dans le village, surtout qu’un jeune garçon du nom de Frédéric, âgé, lui, de 12 ans, revendiquait qu’il était le fils illégitime du châtelain. Évidemment, cela fit grand bruit dans les chaumières, mais n’ayant pas de test ADN à l’époque, le garçon fut débouté par devant le tribunal. Frédéric clama partout haut et fort qu’un jour, il se vengerait.

Pour bien comprendre pourquoi Frédéric réclamait la légitimité de sa lignée, il raconta sa triste histoire rapportée par son oncle. Sa mère, d’après elle, aurait été violée la nuit du 14 Juillet pendant le bal, par un homme qu’elle ne connaissait pas. Ce viol qui lui avait fait perdre une partie de sa raison l’avait conduite dans un établissement spécialisé. Or un jour, le châtelain vint visiter cet établissement, et cette femme le reconnut. Elle se jeta dessus comme une furie en l’accusant de viol. Le châtelain bien entendu nia avec force les accusations de cette pauvre femme, qui, bien sûr, à la suite de cette altercation se retrouva enfermée dans un hôpital psychiatrique où elle mit au monde son fils Frédéric, issu de ce viol. Considérée comme folle, Frédéric fut confié à son oncle.

Mes aïeux décédèrent en 1930 de vieillesse et par conséquent, mon grand-père aurait dû être le tuteur légal d’Emeline, mais celle-ci étant arrivée à sa majorité, mon grand-père ne pût l’être.

Emeline qui était loin d’être sotte décida de vendre le château et les terres avoisinantes en gardant pour elle une petite demeure en bordure d’une rivière, située à quatre kilomètres du château.

Mon grand-père, qui avait vécu aussi près que l’on peut être d’Emeline, était évidemment tombé amoureux d’elle et lui demanda sa main. Chose qu’Emeline accepta sur le champ. Ils se marièrent en 1931, après que tous les papiers de succession et de vente furent remplis.

Dans l’ombre de cette idylle, Frédéric surveillait de loin la moindre opportunité de se venger. Lorsque le château fut mis en vente, il s’arrangea avec le notaire qui était son oncle, pour l’acquérir à moindres frais en s’associant avec celui-ci sans que personne ne le sache, le notaire prétextant que les biens avaient été achetés par un riche étranger qui ne viendrait que de temps en temps.

Emeline ne chercha pas à savoir qui cela pouvait bien être.

En 1932, mon père a vu le jour dans ce petit village normand. Ils décidèrent de l’appeler Michel. Mon grand-père, alors âgé de 28 ans, était garde-chasse, en plus de son travail dans l’usine toute proche. Emeline qui avait fait des études et avait obtenu son diplôme était institutrice.

Un beau jour, lors d’une battue, mon grand-père fut tué d’une balle dans le dos. Personne n’avait rien vu, rien entendu évidemment. Les gendarmes interrogèrent tous les participants, mais ne trouvèrent pas le coupable. Parmi les témoins, il y avait Frédéric, et deux hommes qui connaissaient l’histoire de celui-ci, mais ne dirent rien, car Frédéric leur avait fait promettre le silence contre d’éventuelles terribles représailles. Sachant que Frédéric haïssait mon grand-père, personne n’osa parler de quoi que ce soit aux gendarmes de peur de représailles, car on connaissait le caractère mauvais et explosif de celui-ci. Les suspicions allèrent bon train, mais rien n’aboutit.

Un jour qu’il avait trop picolé, Frédéric lâcha une phrase ambiguë « je me suis vengé ». Personne ne releva, mais, seuls ses deux amis se doutaient de quoi il parlait.

Frédéric se maria en 1932, par obligation, ayant engrossé une jeune femme du village. Il devint papa début 1933, d’un fils qu’il appela Pascal. Mon père épousa ma mère en 1952. Ma mère avait un prénom doux comme une brise de printemps, Anne, elle était née en 1934.

En 1953, mon père, alors âgé de 21 ans, fût obligé de changer de travail, car l’usine dût fermer. Mon père, sur les conseils de ma mère, passa l’examen pour entrer dans les forces de l’ordre. Il réussit l’examen haut la main et devint gendarme. Anne était heureuse, son mari avait un vrai et bon métier. Le travail de Michel était routinier, avec très peu de vraies enquêtes ou d’arrestations en tous genres. Après deux vraies enquêtes de cambriolages importants élucidés par Michel, celui-ci prit du galon assez rapidement. Mais Michel avait autre chose en tête. Le temps passa rapidement, Anne s’épanouissant dans son travail.

3

Après deux ans de bons et loyaux services, un beau matin, après en avoir discuté avec ma mère, d’avoir pesé le pour et le contre, Michel se décida à demander sa mutation dans une ville plus importante au soleil. Une opportunité se présenta, non seulement pour lui, mais pour ma mère également, le rectorat cherchant une institutrice dans la même ville. L’aubaine était trop bonne. Ils déménagèrent donc et se retrouvèrent au soleil en juillet 1955.

Pendant ce temps, Frédéric qui ne démordait pas de sa rancœur éduquait son fils dans la haine de mes parents. À force de ressasser, de répéter, Pascal en vint à haïr mes parents également. Quand mes parents ont déménagé, Frédéric obligea son fils à les suivre, sans qu’ils se doutent de quelque chose.

De leur amour, je suis né en juin 1956, sur les bords d’une rivière qui porte le même nom que son département, le LOT. Frédéric et Pascal ont toujours détesté mes parents et me détestent aussi. À cause d’eux, j’ai eu des problèmes lors de deux enquêtes et je pense qu’aujourd’hui cela fera trois.

— Voilà, monsieur le procureur, une partie de mon histoire et le pourquoi du mot retrouvé à côté du cadavre « JE ME VENGERAI » qui ne peut venir que de l’un de ces hommes ou bien des deux. À moi de le ou les retrouver pour leur faire payer et régler définitivement cette histoire qui n’a que trop duré.
— Vous ne me dites pas tout commandant.
— Non, je vous ai pris assez de temps comme cela. Je vous demande juste de me réintégrer en tant que consultant au minimum pour m’occuper de cette affaire.
— Vous savez que vous êtes à la retraite depuis deux mois.
— Oui, et c’est bien pour cela que je vous demande ma réintégration sans pour autant enlever le commandement au commandant Lange.
— Ce que vous me demandez là est contraire au règlement.
— Il y a déjà eu jurisprudence.
— Bon OK, mais je ne veux pas de vagues.
— Il n’y aura pas de problèmes.
— Vous me raconterez la fin de votre histoire au moins.
— Un jour quand tout sera terminé.
— Parfait, alors, bonne journée, commandant, et bon appétit, vu l’heure qu’il est.
— Merci beaucoup, monsieur le procureur, également.

Paul, sorti du bureau en remerciant le greffier en passant, quitta le Palais de Justice et se dirigea vers le restaurant situé de l’autre côté de la rue. Il s’aperçut qu’il avait une grande soif d’avoir tant parlé et une faim de loup.

À peine était-il assis que le greffier du procureur arriva en courant.

— Monsieur Portail, monsieur le procureur aimerait vous voir dès que vous aurez terminé votre repas.
— En quel honneur ?
— Il m’a dit de vous dire que vous n’aviez pas terminé votre histoire et qu’il est impatient d’entendre la suite.
— Je croyais qu’il avait beaucoup de travail ?
— Il a bloqué son après-midi pour vous.
— Vous lui direz que c’est un honneur, mais que j’ai une enquête sur le dos.
— Je vous conseille de lui obéir justement si vous voulez cette enquête.
— Du chantage ?
— Non, monsieur Portail, mais je pense que monsieur le procureur a besoin de se faire une idée plus précise de votre histoire.
— Il a eu le temps de vous dire tout ça ?
— En gros.
— OK, je mange tranquillement tant que je peux en profiter et je viens.
— À très vite, si je peux vous prodiguer un conseil. Bon appétit, commandant.

4

Après avoir commandé une bonne bière pour étancher sa soif, il se contenta d’un steak-frites saignant qu’il savait succulent, venant assez souvent dans cet établissement. Il prit ensuite un café et paya son addition avant d’aller aux toilettes et de repartir au palais, non sans avoir prévenu Max, qu’il était obligé de retourner voir le procureur sous peine de ne pas pouvoir participer à cette enquête.

— C’est du chantage, s’exclama le commandant.
— Je sais, ça y ressemble, mais il veut connaître mon passé par rapport à ce meurtre.
— OK, je t’attends après.
— J’espère qu’il me donnera son feu vert pour pouvoir t’épauler.
— Explique-lui bien que je manque de personnel et que je compte sur toi. En attendant, nous n’avons toujours aucune nouvelle de nos deux jeunes. Ils ont bel et bien disparu sans laisser de traces. J’attends monsieur Mare et son fils qui devaient venir plutôt, mais il a eu un contretemps pour son boulot et ils vont arriver rapidement.
— D’accord, à tout à l’heure.

Paul grimpa les marches du Palais et se dirigea vers le bureau du procureur où le greffier l’attendait et le fit entrer dans le bureau. Le procureur étant en train de terminer son sandwich, s’essuya la bouche vite fait, avala un grand verre d’eau et s’excusa auprès de Paul. Celui-ci lui répondit qu’il n’y avait pas problème et s’installa sur la chaise que le procureur lui indiquait.

Le procureur s’installa derrière son bureau et pria Paul de commencer son aventure.

— Bien, je vous écoute et n’oubliez rien, je suis tout ouïe.
— Merci, monsieur le procureur. Alors, voilà.

5

Retour dans le passé

À la suite de leur mutation pendant l’été 1955, au début du mois de juillet, mes parents déménagèrent à Cahors, ville de douze mille habitants environ. Une ville agréable au Sud-Ouest de la France avec un climat plus doux qu’en Normandie.

Le capitaine de la brigade l’accueillit avec beaucoup de simplicité et de soulagement, car il manquait cruellement d’hommes de terrain.

— Bienvenue dans notre brigade, adjudant (mon père étant monté en grade assez rapidement grâce à ses bonnes notes et sa faculté de résoudre ses enquêtes).
— Merci capitaine, j’espère être à la hauteur de vos espérances.
— Il n’y a pas de raison, vu vos capacités qui vous ont quand même valu un avancement assez rapide.
— Disons que j’ai eu beaucoup de chance.
— Bien, votre déménagement s’est bien passé, votre logement vous convient ?
— Très bien, mon capitaine.
— Et votre femme ne sera pas trop dépaysée ?
— Non, elle a son emploi d’institutrice qui l’attend dans deux mois à la rentrée et elle est impatiente de faire la connaissance de ses collègues également.
— OK, tout va bien dans le meilleur des mondes. Alors ici, on est une petite brigade, tout le monde s’appelle par son prénom et se tutoie, même avec moi. Cela ne te pose pas de problème.
— Non, mon capitaine, mais cela me fait drôle de tutoyer mon supérieur. Je ne suis pas habitué.
— Tu t’y feras. Donc, moi, c’est Robert et toi, si j’en crois ton dossier, on pourra t’appeler Michel, je ne me trompe pas.
— C’est bien ça, mon capitaine. Robert.
— C’est bien, tu as vite compris.
— Maintenant, je vais te présenter tes collègues, ensuite tu pourras prendre place dans ton nouveau bureau et te familiariser avec l’ambiance.

Michel suivit Robert qui lui présenta ses quatre collègues gradés et les gendarmes avec lesquels il devra apprendre à vivre pour les jours et les mois suivants.

Après les présentations, l’emménagement dans son bureau, Michel commença par faire le tour des collègues pour voir les dossiers en cours. Ils n’étaient pas trop nombreux, à part un cambriolage un peu bizarre. Le ou les cambrioleurs avaient pénétré dans un pavillon à la sortie de la ville, avaient cassé une vitre pour y entrer, avaient dévalisé le frigo et pris quelques conserves sans s’occuper des objets de valeur et des tableaux qui, sans être de grandes œuvres, avaient quand même une certaine valeur. Ce qui posait des questions aux gendarmes. Les autres dossiers constituant des délits courants.

— Il n’y a pas plus de problèmes dans cette ville, demanda-t-il à Jacques ?
— Ça dépend des périodes, mais pour l’instant, c’est assez calme.
— Bon, tu peux me montrer tous les dossiers en cours pour que je puisse me mettre au jus.
— Tout est là, lui dit-il en lui montrant une vingtaine de dossiers sur une table dans le coin de son bureau. Michel en prit quatre et retourna dans son bureau pour les étudier.

La matinée s’acheva tranquillement et Michel rejoignit Anne qui était en train de défaire les bagages et essayer de ranger le logement de fonction mis à leur disposition, à sa façon.

— Bonjour, mon amour, tu ne t’es pas trop ennuyé ce matin
— Je crois que je n’ai pas eu beaucoup de temps.
— Je vois, tu as bien travaillé.
— Il faut bien puisque tu ne fais rien, lui dit-elle en rigolant.

Il s’approcha d’elle, la prit dans ses bras et l’embrassa tendrement et amoureusement comme lors de leur premier émoi.

Ils se mirent à table tranquillement et après un repas frugal, Anne n’ayant pas vraiment pris le temps de cuisiner, Michel reprit le chemin de son bureau.

6

Au bout de trois heures, il avait fait le tour de tous les dossiers et au vu des affaires courantes, il se demandait s’il n’aurait pas mieux fait de rester en Normandie.

Tu espérais quoi, se dit-il, on n’est pas dans une super grande ville comme Paris, c’est normal, il faut que je prenne le temps de m’habituer, ça ne peut pas être pire que là-bas.

Il en était là de ses réflexions, quand Robert vint le chercher pour le conduire dans une pièce qui servait de cantine pour les jours de permanence. Un petit buffet y était monté pour lui souhaiter la bienvenue. Michel fut surpris d’un tel accueil, mais on lui répondit que c’était normal et que l’on faisait ça pour arroser les arrivées, les départs, les anniversaires, etc. Ce qui prouvait la bonne ambiance qui régnait dans cette brigade.

Le capitaine prit la parole pour un bref discours de bienvenue et invita ses hommes, comme il avait l’habitude de le dire, à partager ce buffet.

— Je vous remercie beaucoup, cela me touche, répondit Michel, un peu gêné de cet accueil.

Jacques, Yves, René, Guy, ses quatre collègues gradés, Robert, le commandant, les cinq gendarmes de la brigade et les deux stagiaires se regroupèrent auprès de Michel et autour du buffet pour trinquer.

Après ce buffet improvisé, les remerciements à tous, Michel se retira, récupéra sa veste et sortit de la brigade. Il traversa la cour pour retrouver Anne qui avait fini de ranger les cartons. Ils se baladaient, vides, un peu partout.

— C’est à toi de travailler maintenant, moi je vais m’asseoir un peu. Je suis fourbue.
— Repose-toi, je m’en occupe.

Michel se mit au travail et en l’espace d’une demi-heure, le logement avait pris une allure normale.

— Bon, maintenant que l’on est installé, je t’invite au restaurant pour ce soir. Guy, un collègue, m’a dit que le restaurant de la gare était très bien et pas très loin.
— Je suis fatiguée et je n’en peux plus, on ne peut pas remettre ça à demain.
— Si tu veux, mon amour, mais je crois que tu as oublié de faire à manger.
— Mince, c’est vrai, j’étais tellement pris dans mon rangement que je n’y ai pas pensé.
— Raison de plus pour sortir.
— OK, tu as raison. Je prends une douche et je suis à toi.
— Tu veux que je vienne te frotter le dos.
— Non, mais dis donc, petit vicieux, on n’a pas le temps.
— C’était juste pour te taquiner.

7

Après avoir enlevé sa tenue de gendarme et habillé en civil, Michel attendit que son épouse soit prête. Ils descendirent dans la cour où ils croisèrent Robert qui finissait son travail et remontait lui aussi à son appartement de fonction.

— Alors les amoureux, on va visiter la ville.
— Non, nous allons d’abord aller au restaurant, après on verra.
— Très bien, passez une bonne soirée. Si vous allez au restaurant de la gare, je vous conseille le confit de canard. La patronne le fait maison.
— Merci du conseil, commandant, répondit Anne dans un grand sourire.

Bras dessus bras dessous, nos deux tourtereaux prirent la direction de la gare.

Le restaurant était sympathique et la patronne tout autant.

— Bonsoir, madame, monsieur, vous désirez une table à l’intérieur ou préférez-vous dîner à l’extérieur.

La soirée était tellement agréable qu’ils décidèrent de manger dehors.

Après avoir pris un apéritif maison, ils se régalèrent du fameux confit de canard accompagné de petites patates fraîches.

Ils discutèrent de tout et de rien, Michel lui expliqua un peu le fonctionnement de la brigade, de l’obligation de se tutoyer, même avec le capitaine.

— Je pense que pour vous, nos épouses, la règle doit être la même ?
— Je ne sais pas, lui répondit Anne, je n’ai encore vu personne.
— Demain, tu auras tout le temps de faire connaissance.

Anne allait lui répondre, lorsqu’une sensation bizarre lui fit lever les yeux par-dessus l’épaule de Michel.

Au fond de la salle, sur laquelle donnait la terrasse, un homme était assis à une petite table et était en train de la dévisager sans vouloir se cacher. Anne, surprise, baissa les yeux et revint à sa conversation avec Michel.

Au même moment, la patronne apparut pour leur demander comment se passait leur repas.

— C’était parfait, répondit poliment Michel, nous reviendrons.
— Ah, vous êtes de la région ?
— Non, nous venons juste d’emménager.
— Vous venez travailler à Cahors ?
— Oui, répondit Anne, mon mari est gendarme et moi institutrice.
— Merveilleux, un nouveau gendarme ne pourra pas faire de mal en ville. Robert, excusez-moi, le commandant attend cela depuis si longtemps.
— Vous connaissez bien le commandant ?
— Bien sûr, c’est mon beau-frère.
— Voilà pourquoi il nous a suggéré de venir manger chez vous.
— Il me fait de la publicité quand il le peut. Vous prendrez bien un petit digestif pour arroser votre arrivée.
— Nous ne voudrions pas abuser.
— Non, non cela me fait plaisir, et puis le service est pratiquement terminé, je vais trinquer avec vous si ça ne vous dérange pas.
— Pas du tout.

Anne sentit ce regard encore une fois, mais ne dit rien à Michel.

La soirée se termina tranquillement dans une discussion avec la patronne, qui voulait absolument qu’ils l’appellent Martine, comme s’ils se connaissaient de longue date.

En rentrant chez eux, Anne dit à son mari que les gens du Sud-Ouest étaient vraiment sympathiques.

Une fois à leur appartement, ils se déshabillèrent et se mirent au lit où ils firent l’amour sans se préoccuper du bruit qu’ils pouvaient faire. Les murs devaient être épais, car personne ne leur dit rien le lendemain.

Mais avant de s’endormir du sommeil du juste, Anne repensa à cet homme au restaurant.

Elle ne l’avait pas bien vu distinctement, mais elle restait sur une impression bizarre comme le fait d’être persuadée qu’elle avait déjà vu cet homme.

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