Je reviendrai… - Christophe Jamier - E-Book

Je reviendrai… E-Book

Christophe Jamier

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Beschreibung

En 2025, François, un homme d’une cinquantaine d’années, se réveille brusquement en 1880, piégé dans le corps d’un inconnu de 22 ans. Aucun signe, aucune explication : seulement une époque révolue et une identité qui n’est pas la sienne. Tandis qu’il tente désespérément de retrouver Francine, la femme qu’il aime, une autre réalité se met en place à son insu : son alter ego du XIXe siècle a, lui, pris possession de sa vie contemporaine… et croise la route de Francine, sans connaître leur lien. Dès lors, une question obsédante s’impose : comment franchir à nouveau les frontières du temps ? Qui est vraiment François, et quelle est la nature de ce mystérieux échange ? Coïncidence, manipulation, ou dessein plus vaste encore ? Le temps est-il un piège… ou une seconde chance ? Une odyssée vertigineuse à la croisée des époques, où chaque choix peut bouleverser le passé comme l’avenir.

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Seitenzahl: 239

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Je reviendrai…

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Christophe Jamier

ISBN : 979-10-422-7537-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À toutes celles et tous ceux

qui souhaitent changer d’époque, juste pour voir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si nous devions vivre

dans une époque,

LAQUELLE CHOISIR ?

 

 

 

 

 

 

Un autre monde…

 

 

 

 

J’ai toujours aimé ces matins-là : me réveiller doucement, avec les rayons du soleil qui effleurent mon visage à travers les volets de la chambre, sans ouvrir les paupières. S’ajoutent à ce moment de grâce, à cet instant qui augure une belle journée pleine de promesses, le son de la cloche du village, la volaille qui jacasse, le couinement des cochons, les meuglements des vaches dans les prés, les premiers souffles émis par les naseaux des chevaux, annonciateurs de leurs proches passages cadencés aux sons métalliques de leurs fers qui heurtaient parfois quelques cailloux présents sur la chaussée. Puis les aboiements des chiens stimulés par les émanations giboyeuses réchauffées par l’air matinal.

 

Je pouvais sentir également, au loin, cette douce odeur de fumier, de foin, et de branchages qui se consumaient très certainement depuis la veille…

 

La quiétude matinale, sans stress, si rare.

 

Mais cette foutue migraine arrivée d’un coup dans la nuit gâchait l’instant et me vrillait la tête…

 

 

Volaille qui jacasse, cochons, chevaux, foin, fumier…

C’est quoi ce bordel ?

 

Je tâtonnais le dessus de la table de chevet à proximité du lit sans ouvrir les yeux ni lever ma tête affreusement lourde, afin de me saisir de mon téléphone portable pour identifier l’heure qu’il pouvait être, comme à mon habitude. Sans succès. Sans doute était-il tombé à terre, je verrais plus tard, si cette douleur voulait bien s’apaiser.

 

Je devinais pourtant que l’heure n’était pas si matinale puisque des rayons de soleil traversaient les volets à persiennes de la pièce. Aussi, je décidais d’ouvrir un œil pour apprivoiser mon réveil.

 

Manifestement, je n’étais pas chez moi. Tout ce que je pouvais apercevoir ressemblait davantage au décor de la pièce témoin d’une bicoque d’une époque révolue, et contenant les meubles imposants issus d’une brocante ou d’un antiquaire. Tout respirait une époque sur laquelle le temps n’avait pas eu d’emprise : les murs étaient en torchis de chaux, des poutres apparentes de teinte sombre traversaient la pièce, le sol était couvert de lattes de bois foncé sur lequel se positionnaient quelques tapis que j’imaginais faits main. Une commode basse en bois massif aux éléments chevillés, sur laquelle était disposée une lampe à huile. Le lit sur lequel je me trouvais allongé était haut, en bois massif sculpté avec un sommier couvert d’un édredon de plumes, au pied duquel se trouvait à même le sol un récipient large et évasé avec en son centre un pot à bec. Plus loin, je devinais un coffre sans doute réservé au rangement des linges et des vêtements.

 

Fixées aux murs ou positionnées sur la commode, quelques vieilles photographies en noir et blanc. Des portraits de personnages inquiétants au sourire absent. Également, des crucifix un peu partout, jusque dessus la tête de lit pour l’un d’entre eux, accroché au mur.

 

Putain, qu’est-ce que je fous là !

Je devrais être chez moi…

 

Je devais en effet être chez moi, car la veille était le jour de mon anniversaire, le 55e que je devais fêter avec ma femme Francine. Mais à cette heure matinale, je n’avais plus aucun souvenir de ce 3 mai au soir.

 

La mémoire reviendrait, je n’en doutais pas.

 

Et il y avait certainement une explication, bien entendu.

 

Mais à cet instant, je n’avais qu’une obsession : celle de devoir rentrer chez moi le plus vite possible avant d’être découvert par le propriétaire des lieux. Sans compter que ma femme devait s’inquiéter à mon sujet en ne me voyant pas à ses côtés à son réveil. Elle devait se ronger les sangs. Et la connaissant, elle devait même avoir déjà appelé l’ensemble du corps médical du département, la gendarmerie et la police.

 

Je devais donc la joindre le plus vite possible en retrouvant ce foutu téléphone qui devait certainement être saturé d’appels, de messages et autres notifications que mon sommeil profond m’avait empêché d’entendre.

 

Pour en faciliter la recherche, il me fallait davantage de lumière. Aussi, j’entrepris d’ouvrir les volets avec cette bonne migraine comme nouvelle compagne. Je me levais donc péniblement du lit, j’ouvris la fenêtre à carreaux simple vitrage fixés à l’ossature bois par une sorte de pâte à modeler durcie et dans laquelle on devinait quelques empreintes digitales, vestiges des moyens utilisés pour appliquer le produit.

 

Puis j’ouvris le volet à double battant.

 

Le choc fut si violent que dans un réflexe de recul, je chutais au sol. Mes jambes ne me portaient plus.

 

Assis sur les lames de bois, je suis resté un certain temps, comme ça, dans un état de sidération. Assommé. Ce que je pensais avoir vu un instant dépassait l’entendement, la compréhension.

 

Fébrile, je me relevais doucement en sollicitant des appuis disponibles et me dirigeais à nouveau vers la fenêtre, sans hâte tellement l’appréhension était puissante.

 

Ébahi, je regardais : depuis ce que je devinais être le premier étage du bâtiment qui bordait un chemin de terre battue, je découvris un décor que je ne connaissais pas. La carte postale d’un temps révolu qu’on ne pensait exister qu’en noir et blanc, sauf que là il y avait de la couleur et de la vie. Au bas de la maison, une route en castine ou en terre battue, bordée d’arbres et empruntée pas des charrettes tirées par des bœufs ou plus rarement par des chevaux, et quelques calèches.

 

S’animaient toujours en contrebas des hommes habillés sombres avec des pantalons en toiles ou en laine assez amples et tenus par des bretelles. Leur couvre-chef en feutre ou en paille, des chemises à manches retroussées en coton, des chaussures en cuir robuste ou des bottes, également en cuir ou en caoutchouc.

 

Des femmes à robes ou jupes simples, droites, mais amples, en coton, qui arrivaient jusqu’aux chevilles ou aux pieds, et en chemise simple. Elles portaient également des bottines de cuir aux pieds ou bien des sabots avec des chaussettes de laine ou de coton. Pour la plupart, un tablier attaché à la taille.

 

Le long de cette voie principale, des platanes formaient une haie d’honneur, une rivière coulait avec la présence de lavandières sur une rive, arc boutées sur leur labeur, portants des tabliers, des fichus dans les cheveux ou des chapeaux de paille à bord large. Près d’elles, des brouettes de bois servant au transport du linge. Mais aussi des planches de bois sur lesquelles le linge était frappé et essoré, et des fils sur lesquels le linge blanc et les draps séchaient, profitant ainsi de l’étiage.

 

Une gabarre chargée de tonneaux de vin remontait le courant de la rivière, tractée par des bœufs tireurs en présence d’hommes depuis le chemin de halage.

 

En levant les yeux, un paysage baigné de soleil, herbeux et vallonné dans lequel des ovins et bovins profitaient de l’herbe grasse du printemps. Des haies, des vignes soulignant la topographie des coteaux, ainsi que des fermes çà et là aux cheminées fumantes et assiégées par une basse-cour bruyante. Des noyeraies, des pins, des forêts composées de chênes, de charmes et de marronniers. Plus loin sur la droite, une église avec pour fronton un mur supportant une cloche, au-dessous de laquelle une bretèche en pierre qui servait autrefois au lancé de projectiles à la verticale de l’ennemi.

 

Sonné par le spectacle, achevé par la migraine, je devais comprendre de quoi il retournait, mais pour l’instant j’en revenais à mon téléphone portable sur lequel je devais absolument mettre la main pour joindre les miens. Je me mit donc à genoux, coudes à terre pour observer le dessous du lit, puis sous les quelques meubles présents dans la pièce. Rien. Peut-être entre le sommier et la tête de lit, rien. Sans doute entre la tête de lit et le mur, rien non plus. J’étais dépité…

 

Putain, mais il est où ce con ?

 

Pour moi, il y avait nécessité que quelqu’un tente d’appeler mon téléphone afin de me permettre de le localiser.

 

Et Merde…

 

Je me décidais à descendre afin d’échapper à cet environnement d’un autre temps. Je cherchais du regard mes fringues de la veille, à savoir mon jean, mon tee-shirt, mon pull, mon polaire, mes chaussettes, mon cuir, ma casquette, que j’avais pour habitude de « jeter » au pied du sommier… Plus rien.

 

Je ne vis qu’un chevalet qui proposait des habits curieux : un pantalon informe en toile noire, des chaussettes grises en laine, une chemise blanche en coton avec les avant-bras marqués par plusieurs retroussages de manches, des bretelles et un chapeau de feutre marron. Au pied du chevalet, des sabots de bois et des chaussures en cuir usagées.

 

Je compris que, temporairement, dans l’urgence du moment et pour être « raccord » avec l’environnement que je venais de découvrir, je n’avais pas réellement le choix.

 

Je me saisis donc du pantalon pour l’enfiler quand je vis que je portais en guise de pyjama une chemise longue et informe qui arrivait jusqu’aux genoux.

— ?

 

Une fois débarrassé de ce superbe attribut nocturne masculin, j’enfilais rapidement l’ensemble de ma nouvelle panoplie. Je devais dès lors ressembler à un Amish ou un Mormon. Un miroir, s’il y avait, me permettrait de juger à coup sûr que l’ensemble me mettait en valeur.

 

En l’absence d’un quelconque miroir dans cette pièce qui m’avait servi de chambre pendant la nuit, je décidais de la quitter et de descendre vers le rez-de-chaussée en empruntant un escalier en bois.

 

Ce que je fis jusqu’à tomber nez à nez avec une glace positionnée au milieu de l’escalier. Un miroir facial qui ne permettait pas de considérer le reflet du reste de la silhouette.

 

Les bras m’en tombaient.

Je vis un visage.

LE MIEN.

Mais quand j’avais LA VINGTAINE.

 

L’œil vif, absence de cerne sous les yeux, les lèvres bien dessinées, une peau nette dépourvue de tâche ou de ride, et une chevelure fournie brun foncé, ni éparse ni argentée.

 

Je ne comprenais rien.

 

Pas même si je rêvais ou bien s’il s’agissait d’une réalité dont j’aurais perdu la perception et la continuité temporelle qui s’y rattache. Je commençais à paniquer.

 

Quelle était la vraie réalité en fait ? Celle que j’observais à présent ou bien celle à laquelle je pouvais associer des souvenirs cumulés depuis l’enfance jusqu’au 21e siècle ? Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’avais des souvenirs de l’avenir, mais aucun de l’époque dans laquelle je venais de me réveiller. À quelle époque pouvaient bien évoluer les gens que j’observais désormais ?

 

Je n’en avais aucune idée…

 

J’étais complètement perdu.

 

J’avais bien entendu parlé de la théorie des cordes, selon laquelle il existerait des univers parallèles, coexistants. Ce concept était fortement débattu par les physiciens théoriciens du 21e siècle, car il pouvait expliquer un certain nombre d’énigmes rencontrées à l’échelle quantique.

 

Selon celle-ci, il n’y aurait pas un seul univers, mais plusieurs univers et nous vivrions dans l’un d’entre eux. Et le temps ne s’écoulerait pas forcément également de l’un à l’autre : une heure dans une dimension pourrait avoir pour équivalence de perception de temps écoulé six heures dans une autre…

 

Et si je m’attachais à cette théorie, je ne pouvais pas valablement considérer que ma femme, que mes parents ou bien mes amis n’étaient pas encore nés. Ils étaient tous bien vivants, mais dans une autre dimension, parallèle à la mienne, celle du moment, celle de mon réveil.

 

Mais alors, si je suis ici, à cette époque, où suis-je en 2025 ? Suis-je sur le même plan dimensionnel affecté d’une distorsion temporelle ? Suis-je physiquement présent dans une autre dimension ? Et à quelle date, si je considère cette distorsion de temps perçu ? Mais surtout pourquoi ai-je basculé d’une dimension à l’autre, ou bien glissé vers le passé de la même dimension ? Et quel aura été l’élément déclencheur de cette « migration » ?

 

Mes questions, mes hypothèses, j’en convenais, avaient toutefois un gros défaut principal : c’est que, à ma connaissance, personne n’avait par le passé exprimé en avoir fait l’expérience.

 

Était-il possible que ce que j’avais sous les yeux fût bien la réalité ? MA réalité depuis toujours ? Auquel cas l’année 2025 ne devait être que le songe d’une nuit marquante, accompagnée de son lot de souvenirs fabriqués par le cerveau. Donc, de facto, la théorie du multivers n’en restait qu’une théorie, rien de plus…

 

Et cette foutue migraine qui ne me lâche pas.

 

En attendant que la mémoire ne me revienne dans son entièreté, je devais absolument savoir dans quelle époque je venais de me réveiller.

 

Comment ? Aucune idée…

 

Pour l’heure, je finissais de me diriger vers le rez-de-chaussée afin d’accéder à l’extérieur de la bâtisse.

 

Il n’y avait personne.

 

Je tombais dans une pièce principale qui devait servir de cuisine. Elle était simple et chaleureuse, d’un charme rustique et fonctionnel, avec une douce odeur de cuisine. Au centre, un grand poêle à bois en fonte avec un four intégré certainement utilisé pour rôtir et cuire le pain. Sur la gauche, un évier en pierre avec une pompe à eau manuelle, puis un buffet en bois massif.

 

À proximité du poêle, une grande table en bois faite main et entourée de chaises simples, à l’assise paillée.

 

Il y avait également des ustensiles en métal, en bois et en terre cuite. Des poêles, des casseroles, des cuillères en bois et des plats en céramique.

 

Sur la droite, les murs étaient décorés simplement d’ustensiles accrochés, avec des paniers tressés et des herbes séchées suspendues pour ajouter une touche de parfum et de couleur. Sur la table, des fruits, des légumes et des herbes dans des paniers.

 

Tout respirait la convivialité et la campagne.

 

Je devinais que les habitants de la maison ne devaient pas s’absenter très longtemps puisque le poêle à bois fonctionnait.

 

 

 

 

 

 

2025

La disparition…

 

 

 

 

2025

4 mai – 7 h

 

Francine se réveilla au son du téléphone portable, programmé pour la soumettre à un déferlement de décibels dès 7 heures tous les matins de la semaine travaillée. Elle se redressa sur son lit, mis les pieds au sol puis se leva sans porter son regard sur la gauche du lit double.

 

Elle prit son visage dans ses mains et se massa les tempes, tout en se dirigeant vers la cuisine, les yeux encore mi-clos, empruntant un petit couloir qui distribuait sa chambre, la salle d’eau, un bureau et une buanderie qui pouvait également servir de chambre d’amis.

 

Mécaniquement, elle descendit les deux petites marches reliant la cuisine positionnée légèrement plus bas que le reste des pièces de la maison.

 

Les yeux désormais ouverts, mais le regard vide, elle alluma machinalement le téléviseur, comme tous les matins, connecté sur la chaîne d’infos en continu, comme d’habitude.

 

Telle une automate, elle se prépara un café noir, qu’elle but mollement accoudée à l’îlot central, le regard absent, éteint.

 

Elle tenta de se remémorer les événements de la soirée de la veille organisée pour l’anniversaire de François. Elle considéra très vite qu’elle avait dû abuser de l’alcool plus que de raison, car elle ne se souvenait plus de quoi que ce soit. Et maintenant, un mal de tête violent le lui rappelait amèrement.

 

Il lui semblait avoir quitté la soirée avec lui, peut-être, puis plus rien.

 

Le néant.

 

Plus aucun souvenir…

 

La nuit avait été courte. Trop courte pour attaquer sereinement la journée de travail qui l’attendait aujourd’hui. Elle ne se sentait pas l’énergie nécessaire pour satisfaire la moindre activité nécessitant une certaine concentration. Et de la concentration, de l’énergie, il lui en fallait pour « coller » aux exigences voraces de son poste de responsable des ressources humaines d’une entreprise industrielle de la région.

 

Elle fit une toilette de principe toujours accompagnée de son mal de tête qui ne cessait de lui marteler le crâne. Elle prit un énième cachet d’antalgique puis pénétra à nouveau dans la chambre pour se saisir des vêtements portés la veille et s’habilla. Elle allait partir lorsque machinalement elle regarda son lit : François n’y était pas et, à y regarder de plus près, elle ne put qu’admettre que les draps n’étaient pas froissés.

 

À bin merde alors…

 

Elle sentit un frisson glacial lui parcourir le dos.

 

Le pressentiment que quelque chose d’important, voire de grave, était survenu pour que François ne passe pas la nuit ici.

 

Elle devait se rendre à l’évidence : elle n’avait aucun souvenir de la veille, pas même de François qui n’avait manifestement pas dormi chez eux cette nuit, avec elle, près d’elle, comme toutes les nuits depuis quinze ans. Et il lui était impossible de tenter de le joindre sur son téléphone. Car son portable était là, dans la cuisine, avec elle.

 

Immédiatement, elle tenta de joindre les Urgences de l’hôpital. Au terme de plusieurs tentatives, elle put enfin obtenir de l’opératrice d’accueil qu’elles n’avaient admis aucun « François Cubilier » ce 4 mai et qu’elle n’avait par ailleurs aucune admission à ce nom depuis des semaines.

 

Tant mieux, mais merde !

Qu’est-ce qu’il peut bien foutre ?

 

Dépitée, elle sortit en prenant soin de verrouiller la porte d’entrée. Le soleil commençait à poindre et le temps s’annonçait clément pour la journée. L’heure indiquait 7 h 35 et il était temps de partir travailler. Elle ne voulait pas arriver en retard et soupira à l’idée du temps nécessaire qu’il lui faudrait pour traverser la ville.

 

Elle se dirigea vers sa voiture garée au parking en sous-sol situé juste à côté de la maison, démarra puis elle s’engagea sur l’artère principale qui lui permettait de relier son lieu de travail, à 35 kilomètres de là.

 

 

Avant d’arriver à destination, elle devait gérer les flux urbains, composer avec les passages piétons, les feux rouges, les cyclistes, les motos, les trottinettes, les passages interdits, les artères bouchées sans compter les travaux, les voies de circulation alternées, etc.

 

Des conditions de transport devenues inhumaines pour des villes comme la sienne qui ne comptaient que des voies d’époque médiévale, initialement conçues pour la circulation des piétons, des chevaux ou des charrettes à bœufs.

 

Alors qu’elle était à un feu rouge à patienter, elle observa en guise de distraction les gens qui empruntaient le passage piétons juste devant sa voiture.

 

La faune urbaine était décidément déconcertante : beaucoup de jeunes avec les écouteurs sur les oreilles et les yeux rivés sur leur Smartphone, totalement isolés du reste du monde, inconscients des risques encourus lorsqu’on traverse une rue, même à usage exclusif pour les piétons. Un conducteur distrait, aviné, ou en train de consulter son téléphone qui venait juste de biper, pouvait à tout moment les renverser. Mais les piétons, sûrs de leurs bons droits, en faisaient fit bien souvent.

 

Plus tard, elle manqua de renverser une jeune maman qui se permettait de traverser la rue en dehors des passages piétons avec la poussette de son nouveau-né tenue bras tendus qu’elle devait associer à une assurance anticollision.

 

Regarde-moi ce gros tas en pyjama.

À se demander comment un mec avait bien pu faire

pour engrosser ce poulpe.

 

Elle klaxonna pour se signaler, mais la jeune « maman » que Francine avait toute facilitée à imaginer chez elle, sans boulot, dans une cuisine glauque et sollicitée par une marmaille sale, lui adressa un regard hautain, puis en guise d’excuse, un joli doigt d’honneur…

 

Putain de connasse.

 

Elle l’aurait renversé et c’était elle qui aurait été en délicatesse avec la justice pour « non-maîtrise du véhicule ».

 

Putain de justice à la con…

 

Quelques centaines de mètres plus loin, un autre jeune, la trentaine, derrière son volant et en train de converser allègrement avec son interlocuteur depuis son téléphone portable. Se portant sur la gauche de ce chauffard en puissance, elle le klaxonna, mais reçut un regard outré et méprisant sans compter quelques doigts d’honneur parmi la palette de gestes qu’il avait dégainé ostensiblement.

 

Tête à claques !

 

Francine en avait ras la casquette de subir toutes ces incivilités quotidiennes qui devenaient une norme après avoir été considérées à tort comme banales.

 

Puis lui vint à l’esprit qu’elle avait sans doute mieux à faire que de traverser cette mâchoire urbaine pour se rendre au boulot.

 

Elle décida donc de signaler officiellement la disparition de François auprès des forces de l’ordre, lesquelles, à ne pas en douter, allaient déployer tout leur arsenal et mobiliser tous les hommes à leurs dispositions pour le retrouver.

 

Aussitôt, et gargarisée par cette pensée, elle profita du premier rond-point pour faire demi-tour, sans manquer de klaxonner un jeune mec qui venait de prendre sur sa droite sans clignoteur. Elle reçut en retour les bénédictions d’usage.

 

Et dire que ça vient à peine d’avoir le permis…

 

Elle savait pourtant qu’elle se mettait elle-même en danger au quotidien. Elle avait conscience qu’elle pouvait avoir affaire à des profils peu recommandables, capables du pire. Mais c’était plus fort qu’elle.

 

Francine était une cérébrale de 1,65 m pour 55 kg. Ce n’était pas une femme de terrain. Mais une fois au volant de sa voiture, elle devenait une lionne. Une prédatrice à l’affût du moindre faux pas qu’elle ne manquerait pas de corriger, tel un félin qui identifie une proie dont le comportement se marginalise par rapport à celui du reste du troupeau de gnous.

 

Au bout d’une centaine de mètres, elle parvint à trouver une place devant le commissariat pour garer sa voiture, coupa le contact et appela sa supérieure hiérarchique afin de lui signifier son absence pour la journée. Mais selon cette dernière, elle ne s’attendait pas à la voir puisque Francine était soi-disant en arrêt maladie.

 

Elle gnegneutte la vieille !

 

Après avoir verrouillé son véhicule, elle monta deux par deux les marches du commissariat de la ville.

 

Francine déclina son identité et le motif de son intervention à un interphone. Un agent de police vint à sa rencontre et l’accompagna jusqu’au guichet derrière lequel il se positionna.

 

— Je vous écoute, Madame.
— Bonjour, je viens signaler la disparition de mon mari François Cuvillier.
— « François Cu-vi-llier ». Deux L, c’est bien ça ? demanda-t-il en griffonnant un bout de papier.
— Oui, il a 55 ans depuis hier soir. Il est né le 3 mai 1970, mesure 1,80 m pour un peu plus de 70 kg, a une barbe de trois jours grisonnants, les cheveux rasés…
— Ouh là ! Pas si vite ma petite dame, je ne suis pas Usain Bolt… Ah-ah-ah. Alors, je reprends : « 5-5 a-n-s, 0-3 m-ai 19-70 ». Aïe, mon stylo qui rend l’âme…

 

Francine commençait à bouillir. Ce jeune freluquet devait se croire très spirituel. Ce n’était pas le cas et ce n’était pas le moment. 10 minutes plus tard, il reprit :

 

— Bon, je suis prêt pour le prochain 100 mètres ! Allons dans le vif du sujet, il a disparu depuis quand et dans quelle circonstance ?

 

Francine prit sur elle son envie de lui mettre une baffe, puis expliqua tout ce dont elle se souvenait : euh… le constat de l’absence de François ce matin au réveil alors qu’il devait être présent pour sa fête d’anniversaire la veille. Qu’il devait revenir ce soir-là, après son périple d’une semaine en solitaire qu’il avait souhaité, et enfin le trou noir jusqu’à ce matin où elle avait pu constater que son mari n’avait pas dormi au domicile.

 

— Je ne comprends rien à ce que vous me dites Madame. Vous voulez dire qu’il a disparu depuis hier soir ou depuis ce matin ?
— Franchement, il m’est difficile de le dire. Hem…
— Vous êtes plutôt du genre « bizarre » Madame, si vous voulez mon avis. Vous ne m’aidez pas beaucoup. Bon, pour commencer, que s’est-il passé hier soir ?
— Euh… Je ne sais pas trop Monsieur l’agent. Hum…

Il devait être présent hier soir pour son anniversaire, mais je ne sais pas s’il était là…

— Dites-moi, Madame Cuvillier, habituellement, vous fumez, vous buvez ? Vous voulez que j’écrive que vous ne savez pas du tout où vous étiez ni ce que vous avez fait hier soir, c’est bien ça ?
— C’est exactement ça.
— Ça, quoi ? Que vous fumez et buvez ou bien que vous ne vous souveniez plus de rien ?
— La deuxième, que je ne me souviens de rien. Et je ne sais pas pourquoi. Mais ce matin, je sais qu’au réveil, il n’était pas dans le lit comme à son habitude.
— Peut-être est-il simplement parti au travail pendant que vous tentiez de cuver vos excès de la veille, non ?
— Non ! Déjà, je me lève toujours avant lui, et puis, comme je l’ai dit tout à l’heure, il rentrait d’une excursion d’une semaine.
— Oulala ! J’ai compris ! Pas si vite Madame, aucune raison de vous inquiéter !
— Ah, et pourquoi, s’il vous plaît ?
— Pourquoi « pourquoi » ? Parce que j’ai compris ?
— Non, parce que « Pas si vite, aucune raison de vous inquiéter ».
— Ah, OK… Pour moi, il est en train de dessoûler quelque part après avoir fêté seul son anniversaire. Ou bien, il est possible qu’il ait décidé de faire la fête avec une blondinette. À moins que ça ne soit qu’une disparition volontaire. Après tout, il est majeur…

Si vous voulez mon avis, il sera rentré aujourd’hui ou demain comme si de rien n’était et frais comme un gardon. Mais pour l’instant, je ne peux pas prendre votre déposition en bonne et due forme.

Et soyez rassurée, je conserve mes petites notes sous le coude…

 

Tu peux les conserver où tu veux ducon.

Alors lui, c’est la fine lame de la police !

Et merde, merde, j’ai perdu une heure avec ce tas de nouilles.

Merde ! Il est déjà 9 h 30.

Usain Bolt ! Quelle tanche ce type…

 

Son désir d’homicide volontaire passé, elle décida de rentrer chez elle, pour se poser.

 

 

 

 

 

 

 

2025

Une arrivée brutale…

 

 

 

 

2025

4 mai – 9 h

 

François s’étira de tout son long. Il avait la tête dans un étau. L’alcool ingurgité la veille devait en être responsable. Il avait fêté ses 22 ans avec ses copains, et en présence d’Auguste, son meilleur ami. À son grand regret, la fête aurait été plus complète avec la présence de Fanny, mais son père s’y était opposé. Il n’était pas question que Fanny soit en présence de culs terreux. Aujourd’hui, c’était jour de foire et il devait faire vite, car Auguste devait le prendre chez lui pour l’y accompagner avec sa jument attelée. Fanny y serait très certainement accompagnée de toutes ses amies. Cette perspective lui mettait le cœur en fête. Mais son béguin pour Fanny devait rester secret. Il n’en parlait jamais. À personne.