Jésus - Henri Barbusse - E-Book

Jésus E-Book

Henri Barbusse

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Beschreibung

Alors, les nuages noirs du rêve deviennent clairs au milieu : c’est la petite fenêtre carrée qui se crée, par laquelle on voit le village énorme. Mes yeux fabriquent les choses. Dans la chambre qui est à côté de celle où je suis, et qui est plus grande que celle où je suis, je vois ma mère qui nettoie l’âtre, à genoux. Je suis Jésus fils de Marie.
Si je vois ma mère sur la terre de l’autre chambre, c’est qu’il n’y a pas de porte. Chez nous, c’est si petit qu’elle m’entendrait en ce moment, même si je lui parlais bas. Mais je ne bouge pas avant d’être beaucoup réveillé. Ni avant de voir chacune des bosses de notre gros mur gris, et la lourde cruche rouge assise sur le rebord de la fenêtre. Ni de compter mes vêtements posés sur le coffre.

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HENRI BARBUSSE

Jésus

1927

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385741037

J’ai vu Jésus, moi aussi. Il s’est démontré à moi dans la beauté de la précision. Je l’aime ; je le sens contre mon cœur, et je le disputerai aux autres, s’il le faut.

Jésus

CHAPITRE PREMIER

1. — La bonne nouvelle de Jésus, fils de Marie.

2. — Il y eut un homme nommé Matthieu, et un, nommé Jean, qui, dit-on, le virent et qui en parlèrent. Il y eut Luc et Marc qui, dit-on, en entendirent parler par Simon Pierre, et en parlèrent. Il y en eut d’autres, qui en parlèrent, après l’avoir vu, ou sans l’avoir vu. Les paroles restent ; mais les choses ne sont pas certaines.

3. — Maintenant, c’est lui qui parle à travers le monde de paroles qui furent dites sur lui.

4. — Car il n’y a qu’une vérité, et elle nous appartient à tous.

5. — Tous les matins je m’éveille dans le petit coin de la maison, où l’on m’a mis pour dormir, parce que je suis un enfant.

6. — Je suis souvent, en me réveillant, mêlé aux nuages d’un rêve, et je me dis : Voyons, qui suis-je ?

7. — Alors, les nuages noirs du rêve deviennent clairs au milieu : c’est la petite fenêtre carrée qui se crée, par laquelle on voit le village énorme. Mes yeux fabriquent les choses. Dans la chambre qui est à côté de celle où je suis, et qui est plus grande que celle où je suis, je vois ma mère qui nettoie l’âtre, à genoux. Je suis Jésus fils de Marie.

8. — Si je vois ma mère sur la terre de l’autre chambre, c’est qu’il n’y a pas de porte. Chez nous, c’est si petit qu’elle m’entendrait en ce moment, même si je lui parlais bas. Mais je ne bouge pas avant d’être beaucoup réveillé. Ni avant de voir chacune des bosses de notre gros mur gris, et la lourde cruche rouge assise sur le rebord de la fenêtre. Ni de compter mes vêtements posés sur le coffre.

9. — Je ne peux pas aller dehors comme je le voudrais, maintenant que le matin m’a fait renaître, parce que je suis menuisier à côté de mon père. A peine ai-je fini de manger, et il y a encore dans l’air le bruit fait ensemble par l’écuelle et par moi, que je vais travailler à côté de mon père. C’est dans une cour. Mon père me dit : Tiens, fais ceci ou cela, comme moi. Alors, ce qu’il fait facilement et bien, moi je le fais durement et mal, et il en sera ainsi tant que je n’aurai pas sa grandeur.

10. — Mais il me dit souvent : Va dehors. Il me dit cela à cause de mon âge.

11. — Je vais devant moi dans les plaines et les vallées pierreuses, et vers les montagnes qui s’en vont toujours, me devançant à pas de géants.

12. — Les monts par delà la mer, tout noirs et brillants de bitume où le soleil arrache du blanc par poignées, me forcent à les contempler, et ce sont les plus grandes choses qui soient.

13. — D’où je viens, où je vais, et que suis-je ? Je ne sais pas. Mais au désordre des grandes pierres et des forêts, je préfère les jardins posés comme des images ; les cultures pensantes ; la pauvre terre qui est toute rangée dans son ventre.

14. — Et je préfère les maisons aux jardins, et je reviens toujours là où il y a des maisons.

15. — Les choses du village me racontent sans cesse : Nous sommes telles. Des rues rocheuses, (nous avons beau être mortes, le temps qui passe nous tue), des carrés gris, avec des palmes dessus. La fontaine d’eau, sa pierre blanche qui baigne dans l’eau et qui devient dans l’eau une masse de petits cailloux blancs. Autour, voici : des cris d’enfants qui font le travail de leurs jeux, et des femmes aux voiles bleus dont le soleil lave si bien le bleu que c’est des linges de ciel. Et sur le sol clair, le soleil pose, comme une foule de mains, les feuilles noires du grand figuier, le grand figuier rond qui fait une tête au village. Parfois, une maison, entre les maisons, s’emplit de bruit et remue toute (sauf ses murs) sous sa palme, et on dit : Jémuel est mort, ou bien on dit : Tsohar se marie. Mais de loin, la maison où se passe quelque chose est parfaitement calme. Voilà.

16. — Il me vient au cœur de retourner chez nous. La maison de mon pain.

17. — Notre maison a beaucoup servi.

18. — Chez nous ma mère besogne toujours. Elle se hâte en soupirant, chez nous, alourdie par sa mission de mère, à cause que la maisonnée retombe sur elle et qu’elle aime ce retombement, et que les heures des repas la poussent et que le dur nettoyage la heurte de toutes parts.

19. — Ma mère, l’obscure, me montra un jour l’étable, murmurant : c’est là que tu es né.

20. — Là, une nuit. La paille, la terre, et dans le noir, là-haut, des étoiles.

21. — Ma mère, elle soupire, elle s’assoit, lasse, courbe.

22. — Son front noir ridé sous l’étoffe noire, sa figure juive, ses doigts de pied poudreux.

23. — Son sang qui coule, qui coule, dans ses veines.

24. — Mon père est très vieux. Parfois, sa tête remue toute seule, et il économise beaucoup ses paroles. Il veut surtout qu’on soit propre, et qu’on use la saleté, car il dit que la propreté est un grand commencement. Il est menuisier depuis des temps immenses. Il est tellement menuisier que ses mains sont en bois.

25. — Et je préfère les pauvres aux hommes.

26. — Un jour un vieil homme, venant d’une montagne, et allant à une autre montagne (car les hommes, eux, atteignent les montagnes), a pris l’hospitalité chez nous, avant de passer outre. J’ai trouvé qu’il était plus grand que nous. C’est lui qui apporte tout autour le secret des hommes qu’on ne connaît pas, et que pourtant, on connaît. Et là où il s’est assis, dehors, devant la porte, ce fut la place d’un temple.

27. — Il était si horrible qu’il était laid. Son ombre était sale. Il ne savait pas parler.

28. — Son âme était paralytique, faute de mots.

29. — Les mots n’étaient que dans ses yeux et dans ses grimaces.

30. — Et l’on voyait le prix des paroles par le trou qu’elles faisaient.

31. — Mais je me penche, parmi tous les êtres, sur les animaux.

32. — Je le dis parce que cela est.

33. — J’ai plongé mes regards en eux avant d’oser les lever à ma hauteur sur les figures des enfants et des hommes.

34. — Le matin, ils ont faim, et réclament.

35. — Ils disent des choses évidentes. Ils sont notre vérité enfant. Ils sont des justes.

36. — Et debout entre le soleil et la crèche (et un bouquet de paille par terre brûle de soleil), je parle à l’âne, disant : tu es quelqu’un de très pauvre, couleur de cendre. Tu avances la tête, et le bout de ton museau est un nègre. Tu es posé sur de petites pattes et tu n’as que des talons. Ta peau est usée jusqu’à la corde, qui remue parfois toute sur ton dos et sur le ballon de ton ventre, comme s’il y avait une main dessous. Nous sommes aussi ignorants l’un que l’autre. Mais mon ignorance à moi est épaisse, la tienne, transparente.

37. — Nous aussi, nous demandons. Mais nous, qui savons trop de choses, nous ne savons pas bien quoi nous demandons.

38. — Ici-bas, nous les riches, vous les pauvres. Mais nous sommes pauvres de notre richesse. Vous êtes riches de votre pauvreté.

39. — Et l’âne regardait ma main qui allait vers sa tête, et il était gêné, parce qu’il n’avait pas de main. Et son péché c’était de ne pas parler.

40. — Le vieil homme que j’ai dit, si on se rappelle, qui venait de la montagne et qui assit chez nous la plante de son pied, avant de passer outre, avait un chien pour le guider, car ses yeux pouvaient à peine s’ouvrir dans les débris de sa figure.

41. — Un vieux chien dont la peau était rouillée, qui était tout vêtu de boules de poussière, et qui ne possédait rien d’autre sur la terre que ce mauvais manteau. Il regardait l’homme, et le trouvait parfait. C’était le porteur d’une unique image.

42. — Mon regard a aimé ce chien plus que cet homme. Car on ne sait pas l’homme, mais on voit le chien.

43. — Et ayant vu qu’il est blessé au côté et saigne, je le comprends plus fort, tout d’un coup. En dedans, j’ai mieux saigné. Il y a eu notre blessure, lorsque je me suis approché et qu’il m’a regardé : Pour me parler, tu te mets à genoux.

44. — Je ne fais rien devant lui qui s’est jeté là, vieux comme les pierres et jeune comme la vie. Je ne fais rien, et pourtant, comprendre, c’est faire quelque chose.

45. — Et ici, devant les petites maisons posées au loin l’une sur l’autre, ce pauvre agneau façonné rien qu’avec le blanc qu’il y a.

46. — Et la sauterelle qui dit : La terre vous lance en l’air.

47. — Et tout petit oiseau ayant des ailes.

48. — Qui dit : L’azur est épais.

49. — Et qui est une sonnette.

50. — L’animal est net devant la vie, comme l’homme l’est seulement devant la mort.

51. — Puisque, comme je l’ai dit, notre ignorance est faite avec la nuit, la leur avec le jour.

52. — Heureux les simples d’esprit. Le royaume des cieux est à eux.

CHAPITRE II

1. — Et je préfère le soir au jour.

2. — Le soir efface entre nous tous, les choses du dessus. Il ôte les barrières qu’on voit, et la mauvaise richesse des heures et tous les couvercles du jour. Il est quelque chose de moins. J’aime mieux le soir : la lumière pauvre.

3. — Qui restitue.

4. — Le soir pudique montre la vérité. Et les cœurs qu’on a sont placés à même dans l’ombre.

5. — Cette présence sans couleur est une apparition plus forte que le buisson ardent qu’a vu sur la montagne le Père de nos pères.

6. — Quand Moïse, tout tremblant d’abord, n’osa considérer ce que c’était.

7. — Et si on m’a dit dans la lumière du jour : adore ceci ou cela, je me réponds parfois, quand l’ombre est venue laver le jour à côté de moi : Non. Parce que je vois que ceci ou cela n’est pas vrai.

8. — Comme je rentrais au jour tombant, chez mon père et ma mère, je vis se dresser pas loin de ma porte un garçon qui avait environ mon âge, et qui était maigre et dépouillé.

9. — Il me demanda : Tu aimes tes parents par dessus tout ? Je répondis oui. Il cria : Non !

10. — Et il sembla que nous nous soyons heurtés jusqu’aux racines extraordinaires qu’on a dans la terre. Puis il disparut. Il n’avait été que celui qui a dit non.

11. — Après, je sus que c’était Jean fils de Zacharie.

12. — Or dans la chambre du soir nous étions là.

13. — Et je voyais encore à peu près la tête hochante de mon père et les épaules de ma mère pliées sous la pesante journée.

14. — Comme on ne pouvait plus rien faire d’utile dans cette chambre, on parlait inutilement. Mes parents parlaient des voisins, et des voisins des voisins, et de tous les gens du village. Et ils les critiquaient ou les jalousaient, disant : Thadée a fait cela, et voilà ce qu’a fait Saphira. Pourquoi ne le ferions-nous pas ?

15. — Et je vis bien que les familles, ce sont des étroites conjurations qui sont les unes contre les autres, et qu’il s’y enfouit la graine de la lutte et de l’envie.

16. — Et voilà que la nuit noircissait la porte de la chambre. La nuit, en vérité, ouvrait cette porte en la mélangeant à tout. Et par cette porte ouverte, il me semblait que je sortais de la maison et que je m’en allais vers tous les autres : ceux des espaces et des temps.

17. — Mon père, ma mère, ce n’est probablement pas vous la vraie famille que j’ai. Il y a dehors, là-bas, des gens qui sont plus mes parents que vous autres, et qui ne sont pas encore mes parents. Je ne suis pas venu vers vous. Celui-là est mon frère, qui marche vers moi. Et essaie d’être mon frère, avant d’avoir un nom. Quand je dis : Mon frère, je l’appelle, au loin.

18. — Tout vient-il de moi, même ma parenté ?

19. — Le lendemain, j’ai cherché Jean Zacharie, pour le remercier. S’il n’avait pas parlé, je n’aurais pas osé croire ce que je croyais.

CHAPITRE III

1. — Le Liseur qui est debout au milieu des écoliers, sur la place, déploie le long de son livre toute la science et tous les événements, comme une foule de tout petits jouets, sur la place.

2. — Il faut que les enfants apprennent le monde, chaque enfant étant le messie d’un homme.

3. — Et le grand figuier regarde sans regarder, et, d’autre part, marche par terre avec son ombre.

4. — Le Liseur est donc tel qu’un montreur de poupées qu’il fait remuer.

5. — Il explique qu’il n’y a guère ici-bas que le peuple hébreu, et qu’étudier la science d’un autre peuple, c’est plus coupable que d’élever des cochons.

6. — Il est tellement juif qu’il en est malade.

7. — Déployant la Loi, il fait répéter aux écoliers : Caphtor, Kittim, Ophir.

8. — Et les écoliers répètent ces mots, pour les apprendre et apprendre à lire, dix fois, vingt fois de suite.

9. — Or, un homme romain, qui était ami des Juifs, parce que c’était un homme de bien, quoique romain, s’approcha, sa face très propre en avant, et dit : Qu’est-ce que c’est que ça ?

10. — Le maître des écoliers répondit dignement : C’est des villes qui sont très loin.

11. — Le seigneur romain affirma : Elles ne furent jamais nulle part.

12. — Pour toute réponse, le Liseur les lui montra du doigt, qui étaient sur le Livre.

13. — Son doigt me montra, à moi, qu’il y a une maigre idole des lettres.

14. — Car on écrit ce qu’on croit. Puis on croit ce qui est écrit. La parole est une créature qui n’a qu’un temps, et meurt comme tout ce qui vit. Et les livres sont les cimetières des voix.

15. — Les mots écrits sont brûlés.

16. — Et la vérité, qui a besoin des mots, les aime, mais les mots haïssent la vérité.

17. — Et son doigt me montra aussi que les livres qui racontent la grande histoire du malheur des hommes, et ceux qui les lisent tout haut, enseignent les petites choses, et non les grandes.

18. — Les petites choses, savoir : les rois qui furent ou ne furent pas, ou ne furent plus, et les villes qui passèrent comme les fleuves, et les noms qui passèrent comme le vent, de l’inconnu à l’inconnu.

19. — Et non les grandes, à savoir que partout et toujours, l’homme est l’homme, pareillement.

 

CHAPITRE IV

1. — Dans la synagogue se lèvent ceux qui savent parler.

2. — Moi, je suis petit, et ne sais que parler bas.

3. — Mais je sais déjà écouter avec autorité.

4. — Et assis, je baisse la tête pour écouter, voyant sur mon genou ma main qui est blessée à un doigt à cause d’un coup de varlope.

5. — Puis, plus haut, je vois ce que j’entends.

6. — Dehors, on ne voyait les hommes juifs et les femmes juives que par leur couleur, leur œil qui roule et leurs gros doigts. Ici, on voit le dedans de la race.

7. — La vertu du croyant est d’avoir peur de Dieu.

8. — Et nous qui sommes réunis là, nous sommes tous couronnés et serrés ensemble par la peur de Dieu.

9. — On parle. Je pense aux grands jours de Néhémie.

10. — Car c’est là l’endroit où j’aime le mieux aller dans notre histoire.

11. — Quand la petite troupe des compagnons d’Esdras vint de Babylone à Jérusalem, et trouva que la génération du Temple avait oublié la Loi, et quand Esdras désespéré confessa devant le peuple le péché commun, et qu’Israël se repentit tout entier, et se refit tout entier, et recommença sa destinée sur les ruines de son bonheur impie ;

12. — Ce recommencement fut dur et grand. Et pourtant, dans la joie de l’accomplir, Jérusalem pendant sept jours s’habilla de feuillages. Les tabernacles en branches d’olivier, de myrte et de palmier, s’élevaient partout : sur le toit des maisons, dans les cours, sur le parvis du Temple.

13. — Car Israël a un grand pouvoir de repentance et de redressement.

14. — Et un éternel printemps dans ses entrailles.

15. — Il tombe dans le péché, mais il est de taille à en sortir.

16. — Et ses remords sont impitoyables.

17. — Et il est, par là, une rectitude au milieu des peuples.

18. — Et maintenant, nous sommes aussi à une heure grave de notre drame commun.

19. — De tous côtés, aujourd’hui, la grande nouvelle retentit :

20. — Les jours sont proches. Le vieux monde va mourir la mort.

21. — Et ils disent que c’est l’achèvement des temps et l’heure de la Révolution, et qu’il va éclater dans les crépuscules de la terre, l’arc-en-ciel de justice.

22. — Et, levant la tête, ils vivent la consolation d’Israël.

23. — Car l’Eternel rugira de Sion, et le Dieu de justice enverra bouleverser les royaumes de la terre dont la gloire est du Démon, et fera une grande diminution sur la terre. Cela nous fut annoncé en préceptes d’anges.

24. — Car en bas, (disent-ils), il y a l’abîme, puis le cachot des morts, puis la terre où passent les hommes, puis l’air, et le firmament sillonnés par Satan et ses Princes, puis sept cieux inouïs, peuplés de millions d’anges, et des Puissances et Dominations, autour des sept trônes. Or, du plus haut du septième ciel se détachera le Messie, fragment incandescent du seul Trône, qui tombera jusque sur la terre, puis remontera en lumière à travers le Plérôme universel.

25. — Le Messie céleste aura une faux, et la terre sera moissonnée. Il poursuivra le coupable : S’il se noie dans la mer, dit le Seigneur, je mandaterai le monstre pour le repêcher ; s’il se mêle aux hommes, je mandaterai l’épée pour sa gorge ; s’il monte au ciel, je l’en ferai descendre ; s’il descend au tombeau, je l’en tirerai dehors.

26. — Les royaumes s’écouleront. Ceux qui domineront les nations les feront hurler. Les cieux passeront. Et toutes les îles s’enfuiront, et les montagnes ne seront plus trouvées. Ce sera un jour d’exaspération et d’angoisse, où le soleil noircira, où les cavaliers et les fantômes se heurteront dans le ciel et les hautes nuées. Car ce jour-là, la terre rendra son dépôt de morts et les enfers rendront ce qu’ils doivent.

27. — Et le héros de la Révolution mettra une ère nouvelle où Israël sera élevé par-dessus les aigles. Et les étoiles brilleront sept fois plus sur les justes, et l’Eternel traitera avec nous un traité de bonheur.

28. — Tel est le rêve que fait notre peuple (car les images que fait un peuple sont comme les rêves que fait un homme, avec des morceaux de lui-même).

29. — Nous dont les espérances se sont l’une après l’autre cassées, nous sommes le peuple de l’espérance, le peuple-homme.

30. — Le malheur nous a faits ce que nous sommes, à n’en plus finir.

31. — Et voilà ce que nous crions, nous qui dormons encore !

32. — Dans les rues où je passe pour retourner à la maison, le soleil couchant se met en long. Les gens pensent à la Révolution.

33. — Et l’un dit : Tu crois qu’elle vient, cette Révolution ? Et l’autre dit : Il paraît que c’est pour demain.

34. — Et tous regardent au fond du ciel le soleil, palais de justice du monde.

35. — Mais chacun s’occupe aussi de son affaire de travail et de famille. Car on a à la fois plusieurs espoirs, qui diffèrent par la distance.

36. — Et en traversant la place où était l’école des écoliers, j’entendis ceux-ci, lesquels avaient peur et avaient sommeil sous leur maître, (car ils clignaient de l’œil et ils bâillaient) répéter ensemble : Caphtor, Kittim, Ophir.

37. — Car on vit dans les minutes, goutte à goutte.

38. — Et autour du grand figuier de la place, il y a devant chaque porte un figuier de taille moyenne.

39. — Dont les fruits sont tièdes comme la main.

40. — C’est chacun de ces figuiers qui entre dans la famille de chacun.

41. — Un soir entre les soirs, un soir que personne ne recueillera et qui sera perdu, en m’endormant, je me demande : Qu’est-ce que je voudrais ?

42. — J’ai dans l’esprit un soulèvement qui ressemble à la Révolution.

43. — Le grand abîme de mes pères crie en moi.

44. — On est fait pour faire quelque chose de juste.

45. — On est fait pour défaire ce qui est injuste.