Karim et le président - Dr Philippe Bouthier - E-Book

Karim et le président E-Book

Dr Philippe Bouthier

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Beschreibung

Puis il se plonge dans ses manuels de droit, cherchant avec avidité les chapitres ayant trait aux drogues et à leurs trafics. Fatigué, il se couche un instant et pense à son avenir. Sa décision est prise : il sera avocat spécialisé en matière de stupéfiants. Il défendra aussi bien les trafiquants que les victimes de ce terrible et tragique fléau. Il est soulagé, il assumera son choix pour venir en aide à la société et il en est fier !


À PROPOS DE L'AUTEUR


Le Dr Philippe Bouthier, médecin généraliste en Bourgogne, s’est investi pendant de nombreuses années dans la lutte contre les toxicomanies et leur prévention. Avec Karim et le président, il propose la légalisation d’un cannabis récréatif dont la concentration en T.H.C. ne dépasserait pas 10 %…

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Seitenzahl: 461

Veröffentlichungsjahr: 2022

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© Lys Bleu Éditions – Dr Philippe Bouthier

ISBN :979-10-377-5717-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

Si le grain ne meurt…

Il est, dans la vie, des êtres, hommes ou femmes, femmes ou hommes qui, par une force intérieure, croient en une idée. Le Dr Philippe Bouthier est de ceux-là.

Médecin généraliste à Le Creusot (71), à l’empathie évidente, apprécié de ses patients, toujours par monts et par vaux, tôt, le matin et tard le soir, ce médecin, observateur avisé de la société d’alors, a voulu s’attaquer à un autre mal émergeant : l’extension inquiétante, chez les jeunes, de l’usage des drogues.

Il a co-créé avec madame Michèle Queune, dans les années 80, l’ADEP (Association Drogues Entraide et Prévention) : constitution d’une petite équipe (j’en faisais partie), stage de formation à Paris pour les volontaires, informations dans les collèges, lycées, foyers, universités, soirées à thèmes. Projet de création d’un centre d’accueil, aussitôt torpillé par un « ami » !

Toute action innovante passe souvent par des houles contraires, entre sac et ressac, entre crasse et sacre… Bref, nombreuses actions originales et diversifiées. L’équipe est même allée interviewer Florent Pagny ; j’ai moi-même fait écrire, jouer et filmer des scénettes par mes élèves.

Mais les drames de la vie ont fait que l’association, qui cherchait déjà son second souffle, s’est disloquée et a disparu.

Quatre décennies, plus tard, en cette année 2022, le Dr Philippe Bouthier, fidèle à son projet initial, exprime, par le personnage principal de cette fiction : ses certitudes, son analyse et ses propositions concernant l’usage de la drogue, à savoir : la légalisation du cannabis récréatif avec un T.H.C. concentré à 10 % au maximum, avec pour corollaire, l’affaiblissement des trafics si lucratifs. Obligation impérative de s’attaquer aux causes, qu’elles soient d’origine sociale, économique, éducative, résidentielle, que pointe, à juste titre, l’auteur, par la voix de son personnage.

Rester fidèles à ses convictions, tout en tenant compte des inéluctables évolutions, voilà un gage de constance et de sincérité que nous présente la plume de ce médecin.

Et, dans le combat contre ce fléau individuel et social, qu’est l’usage de drogues, plus de voix s’élèveront, plus de réponses seront trouvées et de solutions apportées, et assurément, celle du Dr Philippe Bouthier est l’une de ces voix singulières.

 

Si le grain ne meurt…

 

Claude Thomas,

ancien vice-président de l’ADEP

 

 

 

 

 

 

1

 

 

 

Pelé, Maradona, Messi, autant de prestigieux noms de footballeurs se bousculent dans sa tête. Karim n’arrive pas à classer ces génies du ballon rond, non en fonction de la notoriété, mais selon l’infini talent avec lequel ils illuminaient les stades.

 

Cette énigme le fait vaciller et l’oblige à attraper un réverbère l’aidant à retrouver sa stabilité. Pourquoi se pose-t-il, à cet instant, cette question ? Il ne sait pas, lui qui n’est pourtant pas un fan de football. En fait, il doit être perturbé par la mort de Maradona. Il a fait la une des journaux à l’époque de son décès. Il mit fin à cette interrogation, estimant que ce doit être, sa façon à lui, de faire le deuil de cette icône planétaire.

 

Ses pensées s’échappent sur d’autres rives. Il a décidé de quitter Sidi-Bou-Saïd, bourg touristique, proche de Tunis, où il habite dans une famille d’accueil. Il a tout juste douze ans. Il a perdu ses parents, il y a déjà longtemps, dans un accident de voiture, tous les deux morts sur le coup. Il n’en a qu’un vague souvenir. Il avait seulement trois ans, lui a-t-on dit. Il n’avait pas de famille. De ce fait, il a été placé chez les Aïchar, couple sans enfant, chez qui il vit depuis neuf ans.

 

Le foot avait laissé place à son avenir de pré-adolescent. Quel rapport entre lui et ces stars ? Peut-être une envie de gloire, non plutôt une reconnaissance de lui-même, lui qui vivait dans cette petite ville. À cet instant, la lumière jaillit. Bien sûr c’était évident, Maradona était issu d’un quartier pauvre des environs de Buenos Aires. Lui, il s’était forgé une immense image, grâce à son brio.

 

Il avait tout juste douze ans, il souhaitait calquer son avenir sur celui de son idole. Pour cela, il devait absolument quitter son pays pour cultiver un horizon conforme à ses souhaits, en accord avec ses espoirs. Il le devait, il le pouvait…

Pour mener à bien ses projets, il réfléchit aux meilleurs moyens d’y parvenir. Il veut gagner la France, apprendre cette langue magique à son esprit, dont il connaissait quelques bribes, néanmoins insuffisantes, pour intégrer une classe de sixième, correspondant à son âge.

 

À ces pensées, il stresse. En effet, il considère comme un crime de quitter ses parents d’adoption, eux qui l’aiment tant.

Ses idées s’entrechoquent dans son esprit ; comme toujours il a du mal à se décider.

 

Il rentre chez lui, les pensées encombrées de doutes. Il a décidé d’en parler ce soir à ses parents. Ils sont à la maison et c’est la tête basse, envahie d’hésitations, qu’il ose les affronter. Affronter était bien le mot, tant les Aïchar s’étaient attachés à ce jeune garçon qu’ils considéraient et qu’ils affectionnaient comme leur propre fils.

 

Ses hésitations, mêlées d’un fol espoir, le laissent dans un premier temps silencieux. Puis ce fut d’un timbre apaisant et serein, se voulant complice, qu’il se risque :

 

« Voilà, les parents : je vais rentrer en sixième et je veux partir en France. » Il avait osé ! il tourne la tête, inquiet de la réponse. « Il n’en est pas question, tu comprends ? Il n’en est pas question, tu es maintenant notre fils et tu dois rester ici, avec nous, est-ce que tu comprends ? »

« Mais… » se hasarde le jeune garçon. « Il n’y a pas de mais, tu resteras ici, ne t’avise pas à t’en aller et puis, vas te coucher, le sujet est clos. »

 

L’échange bref et sévère, sans appel aux yeux du garçon, le renforce dans son projet de quitter cette maison pour gagner la France, l’eldorado, où il veut continuer ses études.

 

Mais, comment parvenir à ses desseins ? Comment concrétiser ses espoirs fous ? Il n’a pas d’argent, pas de famille à qui en demander. Il sait bien qu’il y a des passeurs. Mais comment les convaincre de l’emmener alors qu’il n’a rien pour les payer ? En plus, ils seront certainement réticents, en raison de son jeune âge ? Il sait aussi que, dans le port de Bizerte, il y a des escrocs. Comment faire pour trouver un passeur honnête et compréhensible qui accepterait de l’emmener ?

 

Il attendit le lendemain pour…

Lundi 5 juillet, Karim se lève tôt, prend ses quelques affaires, le peu de dinars en sa possession, et se glisse à pas feutrés hors de la maison. Il se retrouve dehors et n’eut pas d’autres solutions que de faire du stop pour se rendre à Bizerte.

 

Il est six heures du matin. Peu de voitures, aucune ne consent à le prendre. Pendant près d’une heure, il marche le long de la côte, brandissant à chaque passage de voiture, une pancarte où est inscrite en Arabe sa destination, Bizerte.

 

Finalement, une auto s’arrête ? C’est un homme, accompagné d’un adolescent d’une quinzaine d’années, qui accepte de l’emmener. Il s’y rend d’ailleurs pour déposer son jeune passager qui doit embarquer pour l’Italie.

 

Karim rebondit alors en ces termes :

 

« Monsieur, s’il vous plaît, je veux aussi aller en Italie, puis en France. Dites-moi, s’il vous plaît, comment je dois faire ? Je n’ai pas beaucoup d’argent, monsieur, comment je dois faire ? »

 

« T’inquiète, mon garçon. Brahim va aussi en Italie ; tu n’auras qu’à le suivre, il t’expliquera. Lui aussi n’a que quelques dinars. »

 

L’homme les dépose au port, en leur souhaitant bonne chance.

 

C’est alors que Brahim, ignorant Karim court, court… Ce dernier a du mal à le suivre, il y arrive toutefois ; essoufflé il demande à son aîné de l’aider, de quelle manière pouvait-on se rendre en Italie ?

 

« Ça dépend de l’argent que tu as », lui répondit Brahim.

« 12 dinars, c’est suffisant hein ? »

« Tu te fous de moi, avec ça, tu trouveras seulement un bateau pneumatique qui te conduira à Pantelleria ou Lampedusa. Estime-toi heureux d’y arriver vivant, maintenant lâche-moi. » 

 

Karim est envahi d’un grand vide, il se met à douter. Brahim lui a fait peur. Que voulait-il dire par – sois heureux d’y arriver vivant – ? De plus, n’ayant pas mangé depuis la veille, il commence à avoir faim ! Il trouve un morceau de pain pour quelques piécettes.

 

Ne voulant pas renoncer à ses projets, il marche vers le port…

 

Il remarque aussitôt une petite embarcation, où se pressent, collés les uns aux autres, une cinquantaine de personnes. Ses yeux observent les environs, il remarque un homme à l’air sévère. Il semble diriger les personnes qui veulent monter à bord. Le cœur gonflé d’un fol espoir, il l’aborde :

 

« S’il vous plaît, monsieur, ce bateau va en Italie ? »

« Oui, p’tit bonhomme, qu’est-ce que tu veux ? »

« J’veux aller en Italie, j’peux monter ? »

« T’as d’l’argent, c’et 5000 dinars la traversée jusqu’en Italie et c’est, encore pas sûr qu’on y arrive ; ça dépend du temps, tu comprends p’tit ? »

« J’ai un peu plus que 10 dinars, oh M’sieur, s’il vous plaît prenez-moi, s’il vous plaît, une petite place, j’suis pas gros, je me ferai petit dans le bateau, tout petit, oh monsieur, s’il vous plaît. »

 

« Assez parlé, petit, le canot est complet, il n’y a pas de place pour toi. Allez, dégage ! »

 

Karim, désespéré, est prêt à abandonner quand il aperçoit dans le bateau un jeune de son âge. Alors poussé par sa ténacité, il revient à la charge. À force de le harceler, il finit par convaincre le passeur.

 

« Ça va, tu te mets à l’avant, mais je te préviens, c’est la pire place du bateau, là où on prend des paquets d’eau en pleine figure, là où on a le plus de risques de tomber à l’eau et de se noyer ; t’as compris ? Allez, monte ? »

 

Karim, d’une part, paniqué par ce qu’on venait de lui dire, d’autre part, prêt à accepter tous les risques pour gagner la France, prend rapidement sa place, s’en remet au destin.

 

Peu de temps après, le bateau pneumatique lève l’ancre. La mer est forte, le ciel orageux. Accroché à une corde à l’avant, Karim a peur. Cette angoisse est atténuée par ses rêves d’accoster en Italie, puis de gagner la France.

Ce canot, surchargé par la cinquantaine de passagers à son bord, s’enfonce dans les vagues, tangue, manque à tout moment de chavirer.

 

Karim silencieux, serre les dents en priant son Dieu. Conscient qu’il n’est pas maître de la situation, il veut cependant garder confiance. C’est alors qu’une lame impressionnante emporte deux passagers par-dessus bord. Il entendit seulement des cris à peine audibles, couverts par le grondement des flots, venant se fracasser sur la frêle embarcation.

 

Un quart d’heure plus tard, un calme précaire est revenu, la mer se fait moins agressive. Karim a une soudaine frayeur. Il y a une odeur suffocante d’essence, faisant tousser les passagers. Tous tournent aussitôt les yeux vers celui qu’ils considéraient être le capitaine, puisque maniant la barre du canot. Ces effluves de gasoil proviennent certainement d’une fuite des bidons entreposés à l’arrière ! Le propriétaire, lui aussi inquiet de cet exode de carburant, risquant d’enflammer le canot, les jette par-dessus bord, d’un geste brusque.

 

Dans un premier temps, les passagers sont rassurés. Mais cela ne dura pas car ils paniquèrent vite à l’idée de ne pas avoir assez de gasoil pour gagner les côtes italiennes.

 

Karim met à profit une relative amnistie météorologique pour sombrer dans un profond sommeil. En effet, la veille, il n’avait pratiquement pas dormi.

Un choc le réveille brusquement, accompagné d’une étrange impression d’être propulsé vers l’avant. Tout de suite, il comprend. L’embarcation de fortune vient de s’échouer sur une plage. Autour de lui, la cinquantaine de passagers regarde, hébétée, les alentours. Que se passe-t-il ? où sont-ils ?

 

Le passeur leur dit, ou plutôt leur crie :

 

« N’ayez pas peur, nous sommes en panne de gasoil, sur l’île de Pantelleria, à environ cinquante miles marins de la Tunisie. Je vais en chercher au port. Cela me prendra bien deux heures. Il est midi, vous aurez moins chaud qu’en pleine mer. Avant de partir, je vous avais dit d’emporter de quoi manger, à tout à l’heure. Tâchez de vous reposer en attendant », et l’homme disparaît.

 

Karim a faim. Il a repéré un jeune couple qui lui paraît sympathique. Il s’approche et poliment leur demande s’ils auraient quelque chose à manger. La femme a pitié de ce jeune garçon, seul de surcroît ; elle lui offre du fromage et du pain. Il remercie, engloutit le tout et tente de raconter son histoire.

 

Alors il parle, parle… un vrai moulin à paroles, angoissé de se retrouver seul, parmi des inconnus, loin de tout. Elle s’appelle Inaya. Elle le rassure en lui disant qu’à son âge, il a su faire preuve d’un grand courage pour prendre cette décision.

 

Rasséréné, Karim s’allonge sur le sable encore chaud. Après avoir mangé le peu qu’ils avaient, la plupart de ses voisins s’étaient assoupis, leur sieste altérée par un vent soufflant particulièrement fort.

 

Ils attendent des heures. Le passeur ne revient toujours pas. Ils commencent à s’inquiéter d’avoir été victimes d’une escroquerie, orchestrée par un corsaire malhonnête. L’obscurité tombe, toujours personne ! Le ventre creux, ils essaient de dormir !

 

La nuit s’éloigne, les premières lueurs du jour émergent avec un soleil, léchant de ses premiers rayons, le corps de ces hommes et de ces femmes, décidés à fuir la dictature islamique. Karim se rend vite compte qu’il est le seul enfant parmi ces réfugiés. Il a néanmoins confiance, il sourit…

 

Le passeur, chargé de deux bidons de gasoil, apparaît enfin. Il remplit le réservoir. Il rassemble la troupe tout en les informant qu’ils seront pris en charge, à l’île de Lampedusa, par un ferry italien pour les conduire en Sicile. Il termine en précisant que ce matin, la mer est calme et la météo plutôt favorable.

 

Karim regagne l’avant du canot, cherchant à ne pas se faire remarquer. Le moteur tousse avant de s’exprimer franchement pour prendre la mer. Tout est calme à bord, l’eau est lisse tel un lac. Une demi-heure plus tard, des cris sortent les passagers de leur torpeur. Une bagarre a éclaté entre trois hommes. Ils ont sorti des couteaux et se frappent méchamment. Vite, le corps de l’un d’entre eux gît dans une mare de sang. Il est mort. Sa dépouille est alors jetée par-dessus bord sous l’œil médusé de tous, n’osant rien dire de peur de…

 

Il faut croire que ce meurtre ne plut pas aux flots. Le ciel s’assombrit brusquement, des vagues monstrueuses envahissent l’embarcation. Ce fut l’affolement général. Chacun tente de s’accrocher à son voisin d’infortune. À l’avant du bateau, Karim occupe une place à risque. Il est accroché à sa corde. Il reçoit des paquets d’eau en pleine figure, il tangue, manquant à plusieurs reprises de lâcher le filin le raccrochant à la vie, mais, il tient, s’accroche à ce fol espoir de rester en vie, de ne pas sombrer, malgré les éléments déchaînés. À un moment, l’embarcation gîte à quarante degrés, précipitant plusieurs ombres dans la fureur de la tempête. Mais, il tient !

 

Le calme est long à revenir, instants précaires interrompus par des gémissements, des hurlements, signant un épuisement collectif. Karim est terrorisé, quasi tétanisé, son corps engourdi s’échappe, par la pensée, de ce monde cruel.

Enfin ! Le passeur crie à voix forte qu’on accoste à Lampedusa. L’île se profile à l’horizon, la plage est occupée par une multitude de tentes, parmi lesquelles grouille une foule considérable, d’où s’échappent gémissements, éclats de voix, hurlements…

 

Tous, se précipitent vers la plus grande tente, où ils espèrent recueillir des informations ; où sont-ils ? qu’allaient-ils devenir ? Manger est la préoccupation essentielle de chacun. Attendre d’autres passeurs pour rejoindre les côtes italiennes ? Il faudra patienter, des centaines de personnes attendent… Quelques vivres sont néanmoins distribués.

 

À cet instant, Karim est envahi d’un terrible désespoir. Que fais-je là, au milieu de tous ces gens ? Attendant quoi ? Un ferry, comme l’a dit le passeur ; ça l’étonnerait. Je vais toutefois aller demander pour avoir quelques précisions. Il s’approche d’un groupe et pose les questions qui le tracassent. Il interroge des individus fatigués. Il insiste… un homme finit par lui répondre :

 

« Oh, p’tit gars, tu t’es perdu ? Il n’y a pas de ferry pour l’Italie ; la seule chose que tu as à faire maintenant, c’est d’attendre un bateau voulant bien te prendre. Cela peut demander plusieurs jours. Essaie de trouver une tente qui t’accepte. »

 

Submergé par l’émotion, il ne peut s’empêcher de pleurer, après tout, il n’a que douze ans ! Ce passage à vide dure quelques minutes ; c’est alors que le jeune garçon se redresse, sèche ses larmes et avise qu’il était utopique de tabler sur cet environnement pour s’en sortir. Continuer la traversée dans de telles conditions lui paraît impossible, il a eu la peur de sa vie.

Son jeune âge peut lui servir. Il doit le mettre à profit pour sensibiliser des gens bienveillants qui auraient pitié de lui et voudraient bien l’aider. Il demande où est le port.

 

« À deux kilomètres environ, en suivant la plage », lui répond-on. C’est la fin de matinée, il ne fait pas trop chaud. Il court jusqu’au port.

 

Je ne sais pas où je suis. Ah si, à Lampedusa, le monsieur qui nous a permis d’embarquer hier nous l’a dit. C’est encore en Tunisie ou déjà en Italie ? Je ne sais pas, il faut absolument que j’achète une carte pour savoir où je suis. Voilà une boutique où je trouverai peut-être une carte, mais je n’ai pas beaucoup d’argent…

 

Karim entre dans le magasin ; il y trouve bien une carte de l’Europe du Sud, sort ses dinars pour payer, c’est alors que la vendeuse lui dit :

 

« Eh bien, petit, tu es en Italie. On ne prend pas les dinars, mais des euros. »

« M’dame, j’sais pas ce qu’c’est les eu… j’n’ai que quelques dinars ; s’il vous plaît, madame, j’dois absolument rapporter cette carte à mon grand frère, sinon il me battra, oh madame ! »

 

La vendeuse, émue, lui donne la carte en lui disant de dire à son grand frère que ce n’était pas bien d’envoyer à sa place son petit frère pour faire les commissions.

 

Karim, ne connaissant que quelques mots d’italien, ne comprend rien de ce que lui a dit la vendeuse. Basta, se dit-il, il avait sa carte. Il s’assit sur un banc pour la consulter.

 

 Je suis à Lampedusa, je suis déjà en Italie, c’est déjà ça. Cherchant où se situait cette ville, il scrute avec attention la carte mais ne trouve pas !

 

Angoissé, il retourne dans la boutique, pour demander où il est ?

 

« Ah, petit ; regarde, Lampedusa est là, c’est une île, pas étonnant que tu ne trouves pas. Qu’est-ce que tu fais tout seul ici ? Va vite retrouver ton grand frère. »

 

Il retourne sur son banc, à l’abri des regards.

Comment je fais pour aller en France ? Continuer dans ces espèces de barcasses, c’est trop dangereux. 

 

Karim poursuivit ses observations. Il voit sur la carte Paris. Il connaît, c’est la capitale de la France. Il l’a appris à l’école. À cette évocation, il frissonne, il est pris de tremblements. Il se calme et réfléchit à haute voix : c’est loin, comment y aller ? Comment faire ? 

 

Jetant un œil aux alentours, il voit de nombreux bateaux, des gros, des petits ! Bien sûr, il est dans un port ! il repère un énorme cargo avec cette inscription – Le Havre. C’était un nom français, certainement au bord de la mer. Mais où ? La carte bien sûr ! D’un regard il fait un tour rapide des côtes françaises et trouve enfin.

 

 Je dois absolument monter dans ce bateau, mais je n’ai pas d’argent. Je ne sais pas quand il part. Je ne sais pas combien de temps il met pour arrive. Je ne sais comment faire ?

 

Il prend sa tête entre les mains et pleure parce qu’il est seul. Il regrette même d’être parti, mais Paris, cette ville à la consonance magique… à cette seule pensée, il reprend espoir, se relève, et même, sourit en regardant ce gros bateau. Sa confiance revient. Il pense à Maradona, qui, lui aussi…

 

Un homme s’assied à côté de lui, il lui demande alors, avec un ton moqueur et un accent mi-arabe, mi-italien :

 

« Mon garçon, qu’est-ce que tu fais-là, tu as perdu ta maman ? »

 

« M’sieur, ma maman est morte, il y a longtemps. Comme vous le voyez, je suis seul, j’veux aller en France. Je viens de Tunis et pour arriver, j’ai pris un canot. Il y avait beaucoup de monde sur le bateau, trop, beaucoup se sont noyés, en tombant à l’eau. J’sais que j’suis sur une île ; j’veux pas reprendre de p’tit bateau, j’ai trop peur, M’sieur. Comment j’peux faire, hein M’sieur ? »

 

« Tu vois le gros bateau, là, tu vois ? Eh, bien, t’as une sacrée chance, parce qu’il va en France, au Havre. Il part ce soir et comme t’as une bonne bouille et qu’te me semble pas bête, j’vais d’mander au cap’taine qu’je connais bien, s’il peut t’prendre avec lui. Hein, t’entends, hein, t’pourrais m’dire merci, hein. »

Et l’homme disparut un petit quart d’heure, pour revenir la mine réjouie :

 

« T’as une sacrée veine, p’tit car le cap’taine cherche justement un moussaillon pour nettoyer l’cargo qui transporte d’caisses d’marchandises jusqu’en France. Allez, vas vite, mon p’tit gars, l’captaine t’attend, allez vas vite. »

 

Bouleversé, Karim se jeta dans les bras de l’homme, hoquetant des :

 

« Merci, oh merci, M’sieur ! »

 

Sans plus tarder, sa petite carcasse court jusqu’au gros bateau, dont on entend les sirènes, preuve qu’il est sur le départ.

 

Karim monte à bord. Il croise des marins, surpris de le voir là. Gêné le garçon leur répond qu’il allait voir le capitaine.

 

« Eh, gamin, tu es sûr de ne pas avoir rendez-vous avec le pape, pendant que tu y’es, allez, fous le camp, dégage ! »

 

« Mais, je dois… »

« Hors d’ici, on te dit ! »

 

Désespéré, Karim, poussé manu militari hors du bateau, se retrouva sur le banc qu’il a quitté il y a un instant. Ce n’est pas possible, se dit-il en reniflant. Puis, tel un ressort, il bondit et se propulse vers le bateau, se faufile sur la passerelle avec d’infinies précautions pour que personne ne le remarque. Chut ! à pas de loup, il se fraie un passage entre les énormes containers, derrière lesquels il se cache. Youpi ! Personne ne l’a vu !

 

Tapi dans le silence et l’ombre, il attend, en fait il attend, il ne sait quoi ? Des heures, maintenant, il fait nuit, il a faim, il a un peu froid. Soudain, le son des sirènes retentit, marquant le signal du départ. En effet, les moteurs ronflent, le bateau s’agite, on est parti.

 

« Maintenant que je suis à bord, il faut absolument que je me tienne tranquille jusqu’à demain matin. Comme ça, ils ne pourront pas me débarquer. »

Plutôt satisfait de ses décisions (pour le gosse de douze ans que je suis, je me débrouille pas mal) ! puis, il s’allonge à même le sol, se recroqueville et se prépare à rester dans cette position, espérant que les heures qui viennent ne soient pas trop longues, son ventre gargouille… Cette nuit, il ne dormira presque pas. Il attend les premières lueurs du jour pour se manifester.

 

Il se met debout, s’étire, se dirige vers ce qu’il estime être une cabine, située sur le pont supérieur. Il frappe, un grognement lui répond, avec un mélange d’arabe, d’italien, de français ; en fait un espéranto, avant la lettre. Des paroles incompréhensibles pour Karim suivent, il comprit seulement : « Entre, vas-y entre… c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? »

 

L’homme, devant son lavabo, la figure recouverte de mousse à raser, le coupe-chou à la main, se fige, en voyant entrer dans sa cabine, un gamin d’une douzaine d’années.

« Dieu ! C’est pas possible ! Qu’est-ce tu fais là, p’tit avorton ? C’est pas un bateau de croisière. Dis-moi d’abord comment t’es monté ? »

 

Et, joignant le geste à la parole, il attrape Karim par le collet, le soulève jusqu’à sa figure et lui hurle dans les oreilles – il y a quelque chose de comique dans cette scène, imaginez !

 

« Tu vas me répondre et vite, j’attends ! »

« Ben, M’sieur, voilà », et Karim de lui raconter toute son épopée… Une pâleur impressionnante l’envahit, il transpire abondamment et tombe.

 

L’homme – en fait, le capitaine – l’allonge aussitôt sur son lit, lui tapote les joues, se précipite sur le téléphone, appelle son second pour lui demander de lui apporter au plus vite, du sucre. Il essuie la mousse à raser restée sur son visage, s’assied à côté du garçon qui respire calmement tout en transpirant abondamment.

 

Le second arrive, le capitaine fait fondre le sucre, dans un peu d’eau, lui soulève la tête, lui donne à boire cette mixture. Karim râle, il est toujours dans les vapes. Il ordonne à son second de rester pour le surveiller.

 

L’officier le secoue doucement, le jeune garçon émerge et dit d’une voix pâteuse :

 

« Qu’est-ce qui se passe ? Où je suis ? Oh monsieur, aidez-moi, j’ai peur, je suis perdu ! »

« Rassure-toi, petit, je ne sais pas comment tu es arrivé là. On s’expliquera plus tard, pour l’instant, je vais te chercher à manger, tu dois avoir faim, non ? »

 

« Oui, M’sieur, ça fait deux jours qu’j’ai pas mangé, M’sieur, merci M’sieur. »

 

L’homme sort, revient quelques minutes plus tard avec un sandwich et un yaourt ;

 

« Mange, mon garçon ! » Karim engloutit, plutôt qu’il ne mange. Il remarque bien qu’il y a du jambon, interdit par sa religion, mais, basta ! Ses couleurs reviennent. L’officier lui demande alors :

 

« Tu sais que tu es un passager clandestin et, à ce titre, je devrai te débarquer dans le prochain port. Nous n’aurons pas le temps, nous sommes en retard sur notre feuille de route ; aussi, avec le capitaine, nous avons décidé de te garder à bord, mais avant que nous arrivions au Havre, demain, tu devras nettoyer le pont. D’accord, moussaillon ? »

 

Karim remercie, lave le pont pendant des heures, il est fatigué ; c’est un travail pénible pour un petit garçon ; le capitaine le félicite.

Il pleure à la fois de bonheur et d’inquiétude, quand il voit les côtes se profiler à l’horizon. Ce doit être la France. Youpi, j’y suis arrivé ! pense-t-il.

 

 

 

 

 

2

 

 

 

C’est en effet le port du Havre. Le bateau accoste, le capitaine, généreux lui glisse un billet de vingt euros en lui souhaitant bonne chance.

 

Karim consulte la carte, pour rejoindre Paris. Il doit passer par Rouen. Comment ? Par le train, en car ou en stop ? Il a du mal à se décider. Il a peur du stop parce qu’il est petit. Le train, ce doit être cher, alors il espère que, comme en Tunisie, le car ce n’est pas cher. Il doit aller à la gare, demande son chemin à un inconnu et si c’est loin ?

 

L’homme lui répond qu’un tram à huit cents mètres le mènera à la gare. C’est quoi un tram ? Le quidam lui explique. Il se retrouve à la gare, repère le bus pour Paris, demande un billet, pour lui, ce sera dix euros. Ouf, il lui en reste dix ; un pécule pour affronter la capitale !

 

Il fait nuit quand le car arrive à Paris, à la gare d’Austerlitz, comme a dit le chauffeur. Il est totalement perdu, il ne sait pas où aller ? Il repère une flèche où est inscrit – accueil – il se dit qu’il peut toujours y tenter sa chance. Il rencontre une gentille dame et lui explique sa situation. Après l’avoir écouté attentivement, elle lui indique un foyer pour migrants qui l’accueillera. Elle lui précise que c’est à côté, lui donne l’adresse, c’est gratuit. Il y trouvera à manger, ce qui le rassure. Elle conclut en disant que c’est rare de voir un enfant si jeune, et seul, demander de tels renseignements. Elle finit par lui souhaiter bonne chance avec un sourire de compassion.

 

Karim se dit que, jusqu’à maintenant, il ne s’est pas trop mal débrouillé ; il a mis bien peu de temps pour faire le trajet Tunis-Paris. Il repère vite qu’il y a de nombreux étrangers dans le quartier. Il leur présente son papier où est inscrite l’adresse du foyer. Après de multiples demandes infructueuses, il trouve enfin un homme aimable qui le conduit à l’adresse indiquée. Il le remercie chaleureusement tout en ouvrant la porte du foyer. Il ressent un choc en voyant de nombreuses silhouettes couchées à même le sol, ça sent mauvais, il y a du bruit, il est prêt à repartir, quand une main se pose sur son épaule :

« Eh, petit, tu parais perdu, d’où viens-tu ? Que viens-tu faire ici ? Que veux-tu ? »

 

Karim lui explique rapidement son périple. L’autre a pitié de lui. Il lui demande de rester coucher. « Ne fais pas attention au capharnaüm de cette pièce, les chambres réservées aux enfants, à l’étage, sont plus calmes. Je t’emmène. Il est tard, il est temps de te coucher, demain, on y verra plus clair sur ta situation. »

 

Il se trouve maintenant dans une chambre d’une dizaine de lits ; ça sent la fumée et une drôle d’odeur, il constate que ce sont des plus grands que lui, il se fait chambrer par des « tiens, tiens, de la chair fraîche », il se glisse sous sa couverture. Aussitôt, un grand vient s’allonger à côté de lui, le caresse, il se met à pleurer, à hurler, et bondit du lit. L’autre prend peur, il s’en va. Karim retourne se coucher. Épuisé par ces derniers jours, bien qu’il ne soit pas totalement rassuré, il ne tarde pas à s’endormir.

 

Il se réveille tôt, se frotte les yeux pour voir, dans la lumière du jour naissant, des corps affalés en travers des lits. Un bruit infernal de ronflements envahit la pièce, il descend au rez-de-chaussée, c’est encore pire, une odeur âcre le fait tousser, lui pique les yeux. Il ouvre la porte pour respirer l’air frais, il a décidé de quitter en vitesse ce lieu infâme et repoussant de saleté.

 

Il est tout juste six heures, il ne sait où aller, erre dans des rues s’animant peu à peu. Il est au pied d’un immeuble qui lui parut impressionnant, arrête un passant pour lui demander où il se trouve. « Devant la mairie », lui répond l’autre.

 

Il sait qu’il pourra y trouver de l’aide. La mairie ouvre à neuf heures. Il ose s’asseoir à la terrasse d’un bar, il lui reste assez pour commander un café et un croissant, pense-t-il ; voyant sa petite mine, le barman ne le fait pas payer.

Il remercie et va s’asseoir sur les marches de l’escalier de la mairie. Les gens sont étonnés de voir ce petit garçon en ce lieu. Certains lui donnent une pièce, il remercie par un large sourire. La porte de la mairie s’ouvre, il se précipite à l’intérieur, regarde l’immensité des lieux, ne sait à qui parler, repère un banc sur lequel il s’assied et attend, quoi ? il ne le sait pas, un miracle ?

 

Il reste là plus d’une heure, il est transparent, personne ne le remarque… Alors, il décide de bouger, il se lève, s’approche du guichet, attend son tour qui vient enfin, tout de go, il dit :

 

« Bonjour, M’dame – il est poli, lui –, j’ai douze ans, j’arrive tout droit de Tunisie, je ne connais personne ici, je n’ai pas d’argent, je ne sais pas où dormir ni où manger, aidez-moi M’dame. » La réceptionniste de lui répondre :

 

«  Écoute-moi bien, mon p’tit gars, je vais te donner l’adresse d’un foyer qui t’accueillera. »

« Oh, non m’dame, j’viens déjà d’y passer cette nuit, c’est pas pour moi, il y a trop de grands qui m’veulent du mal, j’veux pas y retourner, oh, m’dame, c’est vrai, j’veux pas y retourner ! »

 

Émue par la détresse de ce petit garçon, l’employée lui répond :

 

« Écoute, je téléphone à l’instant à l’assistante sociale et tu verras avec elle. »

 

Le téléphone raccroché, elle lui indiqua qu’il était attendu par l’assistante sociale au 3ème étage, bureau 304, lui disant en guise d’au revoir : 

« Salut, p’tit bonhomme et bonne chance ! »

 

Karim grimpe, il n’ose pas prendre l’ascenseur. Aussi, il arriva au troisième étage, essoufflé, les jambes flageolantes ; il frappe à la porte, une voix douce lui dit d’entrer.

Une jeune femme, paraissant sympathique, l’invite à s’asseoir et lui demande ce qu’un petit garçon, apparemment étranger, fait ici. Karim, las de répéter son histoire, s’exécute en reniflant ;

 

  « Tu es courageux, mon bonhomme, ton audace mérite que l’on t’aide ; c’est pourquoi je vais essayer de te trouver une famille acceptant de t’accueillir. Je vais téléphoner, ça risque d’être long. Je m’en occupe, tu vas m’attendre dans le couloir. Tiens, voilà une bande dessinée qui t’aidera à comprendre le français. Au fait, tu connais cette langue ? » 

« Un peu, m’dame. »

 

Et Karim patiente une nouvelle fois.

 

Il avait une BD dans les mains et commença à déchiffrer. Pendant sa lecture, plusieurs personnes furent reçues par l’assistante sociale. Il commence à désespérer, il entend des éclats de voix, entrecoupés de communications téléphoniques. Une jeune femme arrive, s’assied à côté de lui, le regarde avec insistance. Il est gêné, rougit et veut se faire tout petit, la femme insiste sans lui dire un mot, elle paraît elle aussi troublée, tourne la tête, tous les deux fixent leurs pieds…

 

L’assistante sociale ouvre la porte de son bureau, raccompagne un de ses protégés et leur dit d’entrer. Ils se lèvent, s’asseyent et écoutent :

 

« Voilà Karim, je te présente Aline Picard, qui a accepté de te prendre chez elle, qu’en penses-tu ? »

 

Le môme et la jeune femme, s’étant déjà largement dévisagés dans le couloir, éclatent de rire, en se regardant avec un sourire déjà complice.

 

« Comme je suis contente, Karim, si tu savais ? Tu es une chance pour moi qui ne peut avoir d’enfant, tu es un vrai don du ciel ! Oh, mon garçon, comme je suis contente ! »

 

L’assistante sociale poursuivit :

« Bon, je vois que le courant passe déjà bien entre vous. Voilà qui est de bon augure pour la suite. Maintenant, je vous invite à remplir les papiers nécessaires pour officialiser cet hébergement. »

Et, tous trois signèrent plusieurs documents, Karim doit même s’inventer une signature, c’était la première fois.

 

Il est 13 h 30, madame Picard et Karim ont faim. Ils s’arrêtent dans une brasserie, Aline commande pour Karim un coca – ses yeux pétillent de bonheur ; bien sûr, il y a du Coca en Tunisie, mais ses parents refusaient qu’il en boive ! – . Aline demande qu’on leur serve deux jambon-beurre et deux mousses au chocolat.

 

Il lui raconte son histoire et lui retrace son épouvantable voyage. Il lui sourit, il veut rire.

Elle lui dit qu’elle n’a jamais pu avoir d’enfant, qu’elle habite Argenteuil, où elle est employée de mairie. Elle finit en l’embrassant et le serre dans ses bras, lui répétant qu’ils seront très heureux ensemble. Le serveur les regarde, à la fois stupéfait et satisfait de les voir heureux, dans un quartier où ne brille pourtant pas l’euphorie…

 

Ils prennent le métro, Karim écarquille les yeux, un train sous terre ! Beaucoup de monde, il reste debout pendant le trajet, s’accrochant à une poignée. Un homme galant a laissé sa place assise à Aline, elle lui sourit ; c’est une habitude chez elle, de remercier par un sourire.

 

Il pense à ce qui lui arrive, elle a l’air si gentille, déjà il l’aime, il va s’en sortir ; à cet instant, il pense à son idole, Diego qui lui aussi a connu… Il est bousculé par un jeune déguingandé qui lui enfonce son coude dans le ventre. Il a mal, il se penche en avant. Aline remarque cette séquence, se lève, va vers le grand, lui demande pourquoi… ? À son tour, elle est frappée, son nez saigne, elle crie, les gens se détournent !

 

« Argenteuil », entendent-ils au micro. Ils descendent du métro, ils sont entourés de jeunes à l’allure bizarre. Il y a des Français mais aussi beaucoup d’Arabes, comme dans son pays. Il est curieux, tout en ressentant une certaine anxiété. Aline remarque son trouble, elle veut le rassurer en passant son bras sur son épaule, il est tout de même un peu inquiet, surtout quand il voit une bande se battre, il distingue des lames de couteau ; maintenant, il a vraiment peur, il se serre contre Aline…

 

Elle tente de le calmer, lui dit qu’elle habite une banlieue remuante. Lui qui pensait… Mais c’est comme en Tunisie ! il est déçu. Il pensait que la France, c’était autre chose…

De loin, elle lui montre le groupe d’immeubles où elle habite, où désormais ils vivront. Il est impressionné par la taille des tours et des barres ; ce n’est pas comme à Tunis.

 

Naïvement, il demande s’il y a des ascenseurs. Ce serait une première pour lui, depuis qu’il en entend parler, il est impatient, il presse le pas. Aline lui demande de ralentir, elle est essoufflée, il ralentit.

 

Ils arrivent au pied de la tour et entrent. Aline prend son courrier dans une boîte aux lettres qui ne ferme pas. Ils se dirigent vers l’ascenseur, il est occupé, c’est rouge. Ils attendent, plusieurs personnes se pressent derrière eux, on se bouscule. Il est en panne ! des « encore, y’en a marre » fusent. Ils se décident à monter à pied ; pas de chance, elle habite au 6ème étage !

 

Aline ouvre, Karim est émerveillé, l’appartement est coquet, il y a une grande télé, un canapé, des fauteuils comme il n’en jamais vu… Elle lui montre sa chambre, il remarque tout de suite qu’il aura sa télé à lui, incroyable ! Il la remercie et se serre contre elle ; il l’embrasse, il est euphorique, il nage dans le bonheur ; il a bien fait de s’en aller. Bien sûr, il a pris d’énormes risques, ce voyage il veut l’oublier, mais maintenant il a gagné.

 

Elle lui propose de se reposer un peu, ce qu’il accepte. Il n’a quasiment pas dormi depuis quatre nuits. Il lui demande quand même comment on ouvre la télé, lui, veut une chaîne musicale. Il se serre encore contre elle, il se couche, rapidement et s’endort, bercé par la musique.

Le lendemain, il se réveille, se lève et va dans le salon où il retrouve Aline, il s’assied dans un fauteuil, la regarde fixement, attendant qu’elle lui parle. Elle ne tarde pas :

 

« Eh bien, mon garçon, tu as meilleure mine qu’en arrivant. On voit que tu as dormi. Viens, on va prendre notre petit-déjeuner, on parlera autour d’un café ? » Ils s’installent confortablement entre confitures, pain et tasses fumantes.

 

« Maintenant, je vais comment va se dérouler ta nouvelle vie en France ? »

 

Karim dit oui de la tête ; aussitôt, la jeune femme embraie :

 

« Tu vois, bonhomme, ici c’est la cité Nelson Mandela, nous sommes dans la ville d’Argenteuil, à côté de Paris. Je te préviens tout de suite, ce quartier n’a pas la réputation d’être calme ; il y a beaucoup de chômage et des bandes de jeunes, violents, traînent dans les rues et les caves. Il y a aussi beaucoup de trafics de drogues. Mais ne prends pas peur ; les gens qui se tiennent tranquilles comme nous n’ont aucun problème, d’accord ? »

 

« Oui, madame, à Tunis, il y a aussi beaucoup de drogues, avec des gens qui sont violents. Avec mes parents, on allait souvent chez mon tonton, qui habitait la banlieue et mes parents m’ont toujours dit que ce n’était pas bon la drogue ; j’y ai jamais touché. Ah si, un jour, un grand m’a obligé de fumer, je ne sais pas quoi, mais je me souviens que c’était dégoûtant. Pouah ! »

 

 « Je suis avec toi, jusqu’à la fin du mois, je reprends le travail le 1er août. Nous avons trois semaines pour prendre ensemble nos marques, pour te faire visiter le quartier, pour faire tes papiers officiels ; ça devrait être facile, vu que je travaille à la mairie, pour t’inscrire à l’école ; au fait, où en es-tu de tes études ? »

 

« Je viens de terminer ma classe de CM2 en Tunisie et devait renter en sixième ; je me débrouille bien en maths et suis assez bon en langues ; j’aimerais beaucoup apprendre le français, M’dame. »

 

« Bien, mon garçon, après avoir fait tes papiers, nous irons t’inscrire au collège d’Argenteuil. D’ici là, il faut absolument que tu perfectionnes ton français. Pour t’aider, je connais un étudiant qui te donnera des cours de soutien. »

 

« M’dame, qu’est-ce que ça veut dire perfect…ionner et sout… tien ? »

 

« Je vais t’expliquer, mais avant tout, je te demande de ne pas m’appeler madame, mais Aline, ce sera plus simple, d’accord ? »

 

« Oui, bien sûr, M’dame. Oh pardon, Aline ! »

 

« Maintenant, allons faire des courses, ce qui me permettra de te montrer le quartier. »

 

Tous deux descendent les six étages à pied, l’ascenseur étant toujours en panne, et gagnent le supermarché le plus proche. En chemin, Karim est impressionné par l’environnement ; des poubelles débordantes de détritus, des voitures brûlées, de la saleté partout, des clochards plus nombreux qu’à Tunis… Où était-il ? Il commence à regretter son pays… Aline s’en rend compte. Ils s’arrêtent, s’asseyent sur un banc, elle explique, elle trace la vérité du quartier ; il l’écoute, il semble comprendre. Elle lui dit que demain, ils iront à Paris pour qu’il découvre la capitale française sous tous ses aspects. Puis ils poursuivent leur chemin jusqu’au supermarché. 

 

« Tu ne dois pas manger de porc, hein ? »

 

« En principe, non, mais je m’en fiche ; maintenant, je veux faire comme les Français. »

 

« Tu pousses le chariot, à moi de le remplir, qu’est-ce qui te ferait plaisir ? »

 

« Oh, M’dame, oh, pardon Aline ! j’aime tout, surtout les merguez avec des frites ! »

 

Et tous deux remplissent le caddy, esquissant des pas de danse entre les rayons ; ça, oui, ça non, non ! ce qui ne manque pas d’ahurir les autres clients. Aline et Karim n’en ont cure ; ils sont tellement heureux !

À la caisse, ils se font bousculer, ils ne disent rien, de peur… Karim se dit que la vie semble pire ici qu’en Tunisie. Il remarque de nombreux profils semblables au sien, en plus grand, bien sûr. Il est inquiet, il se promet d’en parler ce soir à Aline.

 

Ils rentrent chez eux. Dans l’entrée, des cris fusent, un homme et une femme se disputent, ils en viennent aux mains. Il regarde Aline qui passe sans regarder, il ne comprend pas !

 

Elle prépare le dîner, elle veut lui faire une surprise. Elle cuisine une pizza et une mousse au chocolat. Ça sent bon, il est content. Elle lui demande de mettre la table, lui indique où sont les assiettes et les couverts ; il est tout heureux de rendre service.

« À table, c’est prêt ! »

 

Elle apporte la pizza, chez lui, il n’en avait jamais vu d’aussi belle. Que c’est bon pense-t-il ; ils mangent en silence, trop vite peut-être car Karim s’étouffe, il a avalé trop vite ! Elle lui remplit son verre d’eau, il boit, cela passe !

« Alors, Karim, que penses-tu de cette première journée ? »

 

« Ben, M’dame, pardon, Aline, quand on est sorti, j’ai eu un peu peur, déjà hier dans le métro, aujourd’hui dans l’entrée et à la caisse du magasin. J’sais pas pourquoi, mais j’ai la frousse. »

 

« Je sais, mon garçon ; il est vrai que la cité n’est pas réputée pour sa tranquillité, je le sais, mais soit certain que c’est moi qui ai choisi d’habiter ici et ce, pour une raison simple ; ne pas laisser le gouvernement de la cité aux voyous que tu as pu croiser tout à l’heure. Tu n’as rien à craindre, sois-en certain car je te protégerai à tout moment et les violents qui polluent le quartier me connaissent bien. Dès lundi, je te présenterai à leur chef ; ils te respecteront quand ils sauront que c’est moi qui t’élève. D’ailleurs, si un jour tu es embêté dans la rue ou dans un immeuble, donne mon nom et ils te laisseront en paix ; ils me connaissent sous le nom de madame Aline ; tu as compris ? »

 

Karim, rassuré par ce discours, voulut même plaisanter, en répliquant :

 

« Si je comprends bien, vous êtes ici une dame, déguisée en chef, ou un chef, déguisé en dame ? »

 

Aline, soufflée et émue par la pertinence d’une telle répartie, venant d’un gamin de douze ans, se dit en elle-même que décidément ce garçon est sacrément intelligent, et astucieux. Elle éclata de rire.

 

« Bien répondu, Karim ; je suis pratiquement certaine que tu iras loin dans la vie ! »

« J’vais aller où, dans la vie ? »

« Tu iras loin, ce qui veut dire que tu réussiras ; je suis confiante. »

 

Soulagé par la réponse que lui avait faite Aline, concernant le quartier, tout en étant curieux de sa confiance en sa réussite dans la vie, Karim sourit.

 

« Bien », lui répondit-elle ; « aimes-tu la musique, le foot ou d’autres sports, les consoles, bref, dis-moi tout ce que tu aimes ? »

 

« Oui, m’dame Aline, j’adore le foot, j’ai une idole qui vient de mourir. »

 

Et il tourna la tête pour qu’on ne le vît pas retenir ses larmes.

Respectant le chagrin du jeune garçon, Aline garda le silence, ils se regardèrent, Karim comprend et il poursuit :

 

« C’est Diego Maradona, c’est le meilleur joueur de foot de tous les temps et il est mort il y a quelques mois. C’est mon modèle, car comme moi, il est né pauvre, j’espère pouvoir suivre son exemple. »

 

« Tu joues au foot, alors ? »

« Pas spécialement, M’dame Aline ; j’aime les joueurs, je voudrais être comme eux, pas sur un terrain, mais dans la vie, vous comprenez, hein ? »

 

Ahurie par la qualité et la sincérité de ces mots, signant à coup sûr, une intelligence supérieure, Aline en resta coite un moment. Le garçon gêné par ce silence pesant la fixa du regard en lui demandant s’il avait dit quelque chose, qu’il n’aurait pas dû.

 

« Non, non, Karim, je réfléchissais à ce que l’on pourrait faire demain, tu aimes les musées ? »

« Les quoi ? »

« Ce sont des endroits, où l’on trouve des peintures très belles et très célèbres ; tu penses que ça pourrait te plaire ? »

« J’sais pas, M’dame ; j’suis là pour connaître des choses que je n’ai pas pu voir en Tunisie ; alors, pourquoi pas ? »

« Bon, je te propose pour demain d’aller au musée d’ORSAY et de nous arrêter dans un Mac Do, pour manger un hamburger et boire du coca ! »

 

« Oh, merci, M’dame Aline, vivement demain ! »

« Demain sera un autre jour, Karim ; maintenant, allons nous coucher ! »

 

Et, aussi bien l’un que l’autre, ravis de leur première soirée, ils se quittèrent, non sans s’être embrassés mille et mille fois.

Ce soir, Aline et Karim ont du mal à trouver le sommeil ou même dormir, surtout Karim, se voyant déjà…

 

Le lendemain, tous deux, à la fois épuisés et euphoriques, après la discussion de la veille, se réveillent tard. Ils se lèvent, déjeunent dans une ambiance de connivence partagée, quittent l’appartement, direction musée d’Orsay. À la sortie de l’immeuble, ils croisent un grand costaud, grognant à leur passage. Aline s’approche, en disant :

 

« Ahmed, du calme s’il te plaît, je te présente Karim, douze ans, qui va vivre chez moi. Alors, laisse-le tranquille, tu as compris ? Ne l’embarque pas dans tes sales trafics ! Sinon… »

 

Karim, surpris par l’aplomb d’Aline, relève la tête, fixe avec sévérité Ahmed, en esquissant un sourire impertinent !

Après une courte marche, ils atteignent le métro, plutôt calme, on est dimanche !

« Prochaine station : gare d’Orsay », annonce un micro nasillard.

 

 

 

 

 

3

 

 

 

Aline et Karim se retrouvent bientôt au musée. Le garçon est émerveillé ; avant, il n’avait jamais mis les pieds dans un musée. Des tableaux partout, il serre la main d’Aline ; il est si impressionné qu’il en est au bord des larmes ; que c’est beau !

 

Son émotion la trouble, à son tour, elle est bouleversée par cette réaction poignante de sincérité, de vérité et pourquoi ne pas le dire, de naïveté ? Il a seulement douze ans et déjà ! elle lui parle des impressionnistes, lui montre les tableaux de Renoir, Manet, Monet… Ils s’arrêtent longtemps devant les toiles, les étudient, semblent les disséquer…

 

Aline est frappée par cette attitude, alliant à la fois un esprit étonnant et curieux ; il n’a que douze ans ! Elle ne peut s’empêcher de l’embrasser. Il parcourt les allées, il a faim de beauté, il s’arrête longuement devant les tableaux de grands maîtres de l’impressionnisme ; pour lui, c’est nouveau, c’est magique !

 

Il est 16 heures, quand ils quittent le musée, après plus de trois heures de visite. Pourtant, grande amatrice de musées, elle ne souvient pas d’être restée aussi longtemps dans l’un d’entre eux ; il a fallu qu’un gamin de douze ans… Ils se tiennent par la main, gambadent, rient, ils sont heureux ; surtout Karim qui se souvenait de son récent voyage, épopée de tous les dangers et maintenant… Il n’a fallu que quelques jours pour que sa vie bascule, il a du mal à le croire, ce n’est pas possible…

 

Une brasserie, ils rentrent, il n’a pas faim, elle commande pour lui un hamburger et du coca, pour elle, ce sera pizza et bière sans alcool. Ils mangent en silence, chacun perdu dans ses pensées ; lui encore, ébloui par ce musée, elle ne peut s’empêcher de réfléchir qu’elle était avec un garçon au profil atypique, peut-être un surdoué…

 

« Alors, Karim, tu es bien tranquille, peut-être trop, ça ne t’a pas plu ce matin ? »

« Ah si, M’dame, on peut y retourner ? » Terrassée par la surprise, d’entendre une telle demande, Aline réfléchit rapidement, avant d’esquisser cette réponse :

« Une autre fois, mon garçon, il y a encore tant de choses, à découvrir à Paris, tu sais ? »

 

Karim baisse la tête, il n’est pas content, il a du mal à le cacher, il hausse les épaules. Elle le remarque et lui dit qu’elle comprend son impatience. Ils y retourneront, ils vont rentrer à la maison. Elle lui proposera de jouer aux cartes ; au fait, les cartes, tu connais ?

 

Maintenant, il a une autre idole, après Maradona et son ballon, ce sera Renoir et son tableau – Les baigneuses – ; il est resté plusieurs minutes devant elles… Il en parle à Aline qui maintenant comprend, qu’elle se trouve face à un garçon bien plus mûr que son âge. Sera-t-elle à la hauteur pour l’élever ? Un moment, elle en doute…

 

Leur retour à Argenteuil se passe sans encombre, jusqu’à la sortie du métro, où une rixe oppose deux bandes rivales, devant des passants immobiles, quasi tétanisés, qui ont peur de cette violence qui dure… Aline et Karim se statufient. Immobiles, ils ne veulent pas regarder. Le calme revient, ils poursuivent leur route et arrivent enfin chez eux.

 

Comme convenu, elle propose de jouer aux cartes, il ne connaît pas, elle insiste, il tourne les talons. Elle est ennuyée. Elle se demande ce qui pourrait lui plaire ? Elle a une idée soudaine ; pourquoi pas le cinéma ? Elle lui propose, il bondit de joie, il en a été privé en Tunisie, ses parents ne voulaient pas, alors maintenant à Paris, c’est génial.

 

Elle lui laisse choisir un film (pour son âge, bien sûr !), il désigne du doigt l’affiche : « Astérix aux Jeux olympiques » ; elle dit que c’est une super idée ; ils doivent attendre une demi-heure, ils avalent des pop-corn, comme s’ils avaient faim.

 

Pendant la séance, heureusement, ils ne sont pas nombreux dans la salle car il rit très fort à chaque exploit des héros, comme s’il s’identifiait à eux, il est joyeux, il jubile. Le film est terminé, il voudrait qu’il continue encore ! Aline le ramène à la raison et à la maison. Épuisé, il s’affale sur le canapé, rêvant des exploits de sa nouvelle idole : Astérix. Décidément, ça fait beaucoup pour une journée ; à son tableau de chasse des héros, il en a trouvé deux nouveaux aujourd’hui, Renoir et Astérix…

 

Aline se repose aussi, ils se regardent, éclatent de rire. Elle lui dit alors que s’il a aimé Astérix, il aimera certainement le comte de Montecristo, dont elle a le DVD ; ils regarderont ce soir. Quelle journée, se dit-il, Renoir, Astérix et le comte, ce soir, trois idoles de plus en une journée ; à quand la fin ?

 

Ils dînent frugalement, ni l’un ni l’autre n’ont faim. Ils sont impatients, en fait surtout lui, de rencontrer à la télé, celui pourra être sa nouvelle idole. Si c’est le cas, ça ferait quatre mais il remarque qu’il n’y a que des hommes ; il faut absolument qu’à l’avenir, il trouve des femmes !

 

Le DVD se met en route. Aline n’a pas menti, il se moule rapidement dans l’image de son nouveau héros, son évasion, il adore, sa revanche, il l’admire. Avant d’aller se coucher, il lui dit affectueusement :

 

« Vous savez, M’dame Aline, de toute ma vie, c’est la première fois que je passe une aussi bonne journée. Je viens de trouver aujourd’hui trois nouvelles idoles ; Renoir, Astérix et le comte, je voudrais devenir aussi fort et intelligent qu’eux, vous m’aiderez, M’dame Aline ? »

 

« Bien sûr, mon garçon, tu peux compter sur moi ; qu’allons-nous faire demain ? Ah, oui ! nous irons à la mairie pour tes papiers, également te présenter aux autres caïds du quartier, ensuite, je te montrerai le collège où tu seras à la rentrée prochaine ; et puis, on fera tout ce qu’il nous plaît, après tout, on est en vacances ; allez, bonne nuit Karim. »

 

Ils font tout, comme prévu : la mairie sans problème, le collège, bof ! les caïds, il n’aime pas, ils ont de drôles d’air !

 

Juillet se termine ; grâce aux cours de français, que lui donne l’étudiant, il fait de gros progrès surtout en grammaire et en élocution. Son soutien lui dit qu’il pourra suivre une 6ème sans problème ; il est soulagé !