Un autre regard - Dr Philippe Bouthier - E-Book

Un autre regard E-Book

Dr Philippe Bouthier

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Beschreibung

« Ma petite fille, maintenant que tu as 10 ans, que tu deviens une grande et belle jeune fille, mon devoir de père est de te faire découvrir les plaisirs de l’amour. Ce sera notre secret, ton cadeau pour tes 10 ans, approche-toi… »
Colombe est initiée aux choses de l’amour par son père. Page après page, elle prend son envol, se révolte et réclame justice…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Dr Philippe Bouthier, médecin généraliste en Bourgogne, a été confronté à des problèmes de violences intrafamiliales. Avec Un autre regard, il souhaite dénoncer ce fléau bien trop présent en société.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Ähnliche


Dr

Philippe Bouthier

Un autre regard

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dr Philippe Bouthier

ISBN : 979-10-377-5659-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toutes les Colombe(s)

Ce roman, cinquante pour cent classique, prend un virage fictif dans sa seconde partie et surprendra le lecteur !

Préface

Philippe Bouthier a été médecin – mais cesse-t-on de l’être lorsqu’on a appris à écouter d’abord les plaintes et aussi les confidences de ses patients – et aussi ancien acteur dans la vie civile et la protection de l’enfance dès les années 80, période de balbutiements dans la découverte de la voix de l’enfant, devenu sujet dont la parole pouvait être entendue en dehors de sa famille.

Il reprend ici les thèmes qui lui sont chers en mettant en scène deux familles qui ont un point commun : à leur tête, un « père » qui soumet sa famille à son plaisir. Plaisir sexuel ou plaisir de complétude. Une fille devenue objet sexuel, une femme formatée.

Il tente d’imaginer les bases d’une justice différente, plus réactive, plus prompte à reconnaître les coupables.

Une victime non entendue, discréditée, dont le prédateur n’est pas reconnu coupable est-elle condamnée à subir encore et encore, voire à provoquer, des situations où elle se met en grand danger, pour que la vérité éclate au grand jour.

Moi-même, psychologue clinicienne, thérapeute d’enfants et d’adolescents, j’ai rencontré ces victimes indéniables mais non reconnues, même après jugement, dont la conduite provocante, violente, déviante n’était que deux interpellations permanentes : « Puisqu’il n’est pas coupable, pourquoi le serais-je ? Si je le suis déjà, qu’importe de l’être encore. Rejugez-moi, rejugez-le, car s’il n’est pas coupable, alors je le suis. »

À une femme violentée, malmenée et rejetée par les représentants de la loi, il ne reste pas d’autres ressources que de se cacher, s’isoler, se briser, pour ne pas céder à son désir de vengeance en détruisant ce monstre-bourreau qu’est devenu son compagnon de vie.

Premier roman, où l’on perçoit le souhait de l’auteur de faire changer la réponse que la société apporte à ces deux délits majeurs.

Françoise Lejeune

Prologue

TGV

Le TGV n° 6145, à destination de Paris-gare-de-Lyon, va partir. Attention à la fermeture automatique des portes. Nous vous rappelons que, pour être valables, vos titres de transport doivent être compostés. Les personnes venues accompagner les voyageurs ne doivent pas monter dans le train. Attention. Ce TGV dessert les gares d’Avignon, Lyon-Part-Dieu, Le-Creusot-TGV et Paris-gare-de-Lyon, son terminus.

Une fois ces litanies prononcées par un micro nasillard de la gare Marseille-Saint-Charles, les derniers voyageurs, sans se préoccuper de leurs places réservées, s’engouffrent dans le premier wagon venu. C’est ainsi que va la vie, pressée, telle la vitesse d’un TGV. Dans la voiture 14, les deux carrés de quatre places, au centre de la rame, sont occupés par deux familles, apparemment bien différentes. L’une ressemblant à s’y méprendre à la famille « Groseille », l’autre, a priori, monoparentale, plus sophistiquée et distante.

Les parents Monteiro, Guiseppe et Marcelle, ferrailleurs et forains à Saint-Ouen, revenaient d’un séjour en Camargue avec leurs deux enfants, ils ne tardèrent à leur fondre dessus, leur indiquant, d’une voix vulgaire, de bien se tenir et surtout de se taire, pour ne pas déranger les autres voyageurs.

« Alors, tu te tiens bien, la Colombe, tu es avachie sur ton siège ; bon sang, redresse-toi ou je t’en colle une ! » vociféra sa belle-mère. « Ça va, lâche-moi », répondit la jeune fille qui, à presque dix-huit ans, avait plutôt le profil d’une femme, silhouette en tout point en harmonie avec son âge.

« Et toi, Christophe, baisse l’son de ta radio, t’vas/vas foutre le bazar dans l’wa… wag… wagon, comme t’l’as, t’l’as fait en Ca… Ca… Camargue », lâcha son père handicapé, depuis sa jeune enfance, par un bégaiement rebelle à toute rééducation orthophonique.

De l’autre côté du couloir était installée la famille Bernard qui venait de passer ses vacances à Gigaro, près de Saint-Tropez. Elle y possédait une propriété. Arnaud, père inquiet, arborant un flamboyant tee-shirt rouge, paraissait bienveillant. Il essayait de « driver », tant bien que mal, ses trois enfants turbulents, Capucine, Aurore et Clément, des jumeaux d’une douzaine d’années, quant à Capucine, elle devait avoir quinze ans.

Arnaud Bernard, cadre à Paris, vivait seul, depuis son éloignement contraint d’avec son épouse Anne-Laure. Grande et belle femme, elle a malheureusement sombré, il y a environ deux années, dans une sévère maladie bipolaire, la rendant incapable de poursuivre l’éducation de leurs trois enfants. Arnaud avait d’ailleurs dû se résoudre à lui faire intégrer un hébergement spécialisé.

Il aurait pu se méfier dans la mesure où les antécédents familiaux de son épouse comptaient des cas de maladies mentales. L’amour rend aveugle, pensait-il souvent pour se rassurer.

Il s’est vu contraint d’embaucher une femme de confiance pour assurer la garde de ses enfants, en dehors des heures scolaires. Enfin, garder était un bien grand mot, les trois ados acceptaient mal la présence de cette Suzanne, femme dévouée, certes, mais qui n’avait, selon eux, aucun droit à suppléer leur mère. Suzanne avait également la charge de préparer le dîner, dans la mesure où Arnaud rentrait souvent tard, accaparé par son travail.

Rapidement, les enfants Monteiro et Bernard entrèrent en contact, partageant leurs connaissances et préférences, sur la musique, la drague, les parents, les profs, l’école…

La conversation s’animait. Il y avait une nette différence d’approche. Le ton et les décibels de leurs jeunes voix aiguës montaient, au point d’incommoder certains voyageurs qui ne se privaient pas de faire des réflexions acerbes en direction de ces cinq ados et de leurs parents !

Seule Colombe se tenait quelque peu en retrait de ces échanges, les yeux dans le vague… visiblement préoccupée par un problème qui lui appartenait.

Les parents dirent alors, à leurs enfants, de la mettre en sourdine. Lassés de ces remarques, les quatre ados préférèrent alors se plonger en silence qui sur sa tablette, qui sur sa console, qui sur son IPAD.

Une seule était restée calme, indifférente à ce qui se passait, le regard alternativement fixé sur ses ongles et sur Arnaud, assis en diagonale, face à elle. C’était Colombe !

Arnaud mit un certain temps à s’apercevoir de ce manège, préoccupé qu’il était par la tenue et le retour au calme de ses enfants. Il s’adonnait à son passe-temps favori, la lecture, qui lui permettait de gommer ses soucis familiaux et professionnels.

Au bout d’un certain temps, alors qu’il jetait un coup d’œil, circulaire pour savoir si tout était calme dans les deux carrés, il se rendit compte que la jeune fille le fixait d’un air perdu et triste, croisant et décroisant les jambes ; bref, elle cherchait manifestement à attirer son attention.

Arnaud, feignant de ne pas voir et ne voulant rien remarquer, se replongea dans son livre, troublé par le comportement de la jeune fille.

Toutefois, Colombe, la mine proche du « S.O.S., fille en péril » persistait, posant ses yeux insistants sur ceux d’Arnaud, ne sachant que faire pour attirer son attention.

Il se rendait bien compte du plausible trouble interrogatif, exprimé par le regard de cette jeune ado, tout en ne sachant que faire. Lui répondre du regard ou par la parole eût été certainement mal vécu et mal interprété par ses parents. Aussi, après mûre réflexion, préféra-t-il faire celui qui n’a rien vu, bref jouer les Ponce Pilate. Certes, il n’en était pas fier, mais que faire d’autre ?

Il ferma les yeux, pour ne pas voir, pour s’échapper vers d’autres rives, pensant à sa femme qu’il se reprochait d’avoir abandonnée, à ses enfants qu’il laissait trop souvent seuls, face à leurs problèmes d’ados. Il aurait dû consacrer plus de temps à les écouter, les comprendre, les aider, mais il y avait ce travail qui lui mangeait l’essentiel de son temps, même les week-ends !

En même temps, il ne pouvait s’extraire du regard insistant que lui lançait cette jeune adolescente.

Avignon, Lyon, Le Creusot, qu’il est donc long et ennuyeux ce trajet. Arnaud, devant s’obliger à détourner son attention, se concentra uniquement sur ses enfants, tantôt dormant, tantôt fixés sur leurs portables, tablettes et autres…

« Dans quelques minutes, votre TGV arrivera à Paris-gare-de-Lyon, son terminus. Veuillez faire attention à ne rien oublier à votre place. Veuillez ne descendre du train qu’après arrêt complet. La SNCF a été heureuse de vous accueillir à bord de ce TGV et vous souhaite une agréable soirée. »

Aussitôt, les voyageurs se levèrent et c’est ainsi que les familles Monteiro et Bernard se quittèrent, après s’être saluées. C’est à cet instant qu’Arnaud Bernard sentit un frottement contre lui, il se retourna et entendit la jeune fille, qui, pendant ce long voyage, l’avait constamment fixé du regard, lui susurrer d’une voix chevrotante, à peine audible : « à l’aide ! »

« Pourquoi m’appelle-t-elle au secours ? Je ne sais rien d’elle, je ne peux rien pour elle, je ne connais ni son nom ni son adresse ! »

Cette situation l’avait particulièrement mis mal à l’aise, se sentant quelque peu lâche de ne pas y avoir prêté attention. Vite, il se reprit, rassembla ses enfants, et héla un taxi pour les conduire tous les quatre, boulevard Malesherbes (beau quartier, rouge au Monopoly) où ils habitaient un hôtel particulier.

Dans le même temps, la famille Monteiro regagnait son modeste HLM de Saint-Ouen, après un épuisant trajet en métro, grevé par plusieurs changements et le port de lourds et encombrants bagages.

La famille Monteiro

Guiseppe et Marcelle, les parents, Colombe et Christophe leurs enfants, composent donc cette famille, peu à l’aise financièrement, mais extraordinairement soudée affectivement, peut-être trop.

Paraphrasant Jacques Brel : « chez ces gens-là, Monsieur… on tire le diable par la queue », en effet, être forains ne nourrissait guère son monde ; le père travaillait dans une casse, la mère vendait, dans les fêtes foraines et autres attractions publiques, chouchous, berlingots et autres friandises… Tout cela ne rapportait que peu d’argent « chez ces gens-là, Monsieur… »

Cependant, le couple Monteiro arrondissait ses fins de mois en s’adonnant à de petits trafics en tous genres, excepté le trafic de drogues. Ils le considéraient comme contraire aux valeurs de leur famille. C’est ainsi qu’ils arrivaient à assurer l’éducation de Christophe et Colombe.

Il s’agissait d’un couple recomposé ; en effet, dans un premier temps, Guiseppe avait épousé Ingrid, professeur de Français, d’origine Suédoise. L’union avait duré 10 ans, brisée par tant de différence de culture. De ce mariage était née Colombe, dont le premier héritage lui a été transmis par sa mère : beauté et parfaite maîtrise des langues Italienne et Française.

Guiseppe s’était remarié avec Marcelle, femme austère et sans charme. De cette nouvelle alliance était né Christophe.

À la rentrée, Christophe, seize ans, devait être scolarisé au C.F.A. de Saint-Ouen, où il allait suivre, pendant deux années, une formation de menuisier-ébéniste. Malheureusement, pour lui, c’était un garçon d’aspect terne et sans charme particulier au regard de sa demi-sœur.

En fait, à cette époque, c’était la génération Black, Blanc, Beur. Malgré son profil banal, le jeune homme avait trouvé un certain bagou pour draguer les filles, qu’elles soient B. B. ou B.

Nul, il l’était au collège et c’est ainsi qu’après une troisième pour le moins poussive, il a été orienté vers un métier manuel, pouvant lui offrir une carrière professionnelle intéressante.

Colombe, quant à elle, presque dix-huit ans, allait entrer en 2e année d’apprentissage de coiffure, métier où certainement elle devrait réussir tant elle était motivée. Elle bénéficiait par ailleurs d’un délicat physique. Dans son visage harmonieux se côtoyaient des yeux bleus cristallins, vifs et espiègles et un nez au contour parfait, comme s’ils avaient été dessinés, par un artiste de talent. Son visage était rehaussé d’une magnifique chevelure blonde et bouclée, que n’aurait pas reniée Brigitte Bardot. Une généreuse mais délicate poitrine et un ventre parfaitement plat étaient appuyés sur de fines jambes au galbe esthétique à nul autre pareil.

Elle aurait pu se présenter à un concours de miss. On lui avait fait plusieurs propositions dans ce sens, mais elle avait toujours décliné.

Dotée d’un tel physique, Colombe était souvent sollicitée par des copains, et même des hommes d’âge mûr, pour vivre avec eux une aventure sentimentale, voire uniquement sexuelle, mais elle n’avait jamais donné suite.

Elle était constamment triste, le regard absent, tournant la tête au passage des hommes. Elle refusait aussi, plus ou moins consciemment, que les copains qu’elle connaissait pourtant bien, lui parlent. C’était encore plus flagrant lorsqu’il s’agissait d’un inconnu. Colombe paraissait souffrir d’un mal mystérieux… Peut-être une déception amoureuse… En fait, personne ne le savait.

Depuis mars, ses résultats scolaires étaient en nette baisse. Ses enseignants l’avaient tous remarquée ; ils ne comprenaient pas. Colombe, excellente élève au premier trimestre, ne travaillait plus. Elle était souvent absente sans motifs. Aussi, le médecin scolaire décida-t-il de la voir, sans oublier de prévenir, en premier lieu, ses parents.

La famille Bernard

Arnaud Bernard, originaire d’Auxerre, avait poursuivi ses études post-bac, à l’école des arts et métiers de Cluny. Il en était sorti ingénieur « gadzart » et avait immédiatement été embauché par une grande entreprise, basée à la défense. Il y occupait un important poste de direction.

Il connaissait Anne-Laure, depuis les années lycée, lui plutôt scientifique, elle plutôt littéraire. Dès leur première rencontre, les deux étudiants eurent un véritable coup de foudre, à tel point que, malgré leur jeune âge, ils s’unirent de façon aussi rapide que l’éclair avec la bénédiction de leurs parents respectifs.

Tout d’abord, ce fut Capucine qui se pointa, adorable frimousse comblant de félicité ses parents. Il n’y avait rien de plus beau qu’un enfant né de l’amour. Tous deux, étant eux-mêmes des jumeaux, ils ne furent pas étonnés quand le médecin deux ans plus tard, leur annonça une grossesse gémellaire. C’est ainsi qu’ils éclatèrent de joie, s’embrassant sous les yeux du médecin médusé !

Ils vécurent, à nouveau, neuf mois de bonheur absolu, invitant, à chaque instant, la petite Capucine à partager leur joie. Arnaud fit même l’effort d’être plus souvent présent aux côtés d’Anne-Laure, en se libérant plus tôt de son travail le soir. Heureuse période, au terme de laquelle la famille accueillit deux jumeaux, Aurore et Clément.

Puis, le drame se fit jour progressivement. Le mal d’Anne-Laure commença par une tendance dépressive, rebelle aux différents traitements prescrits par les plus grandes signatures de la psychiatrie parisienne. C’est alors que le diagnostic tomba cruel et implacable : bipolarité sévère avec bouffées délirantes, pouvant être dangereuses pour l’entourage. Arnaud, pour qui être séparé de sa femme était mission impossible, tenta – et ce, malgré l’avis des spécialistes – de la garder avec lui.

Ayant pris plusieurs jours de congé pour s’assurer du comportement de son épouse, il se rendit compte que les excès d’agressivité pluriquotidiens, de délires et/ou d’hallucinations devenaient incompatibles avec son maintien à domicile. C’est la mort dans l’âme qu’il dut se résoudre à la placer (non, il n’aimait pas ce mot), à l’orienter vers un centre spécialisé.

Arnaud Bernard était donc, de ce fait, actuellement seul pour éduquer ses trois enfants, Capucine, l’aînée rebelle, Aurore et Clément, les jumeaux qu’ils avaient tant désirés avec Anne-Laure. Arnaud culpabilisait, se reprochait, à s’en rendre malade, d’avoir abandonné comme un lâche son épouse ; mais que pouvait-il faire d’autre ?

« Tu étais obligé », lui disaient ses amis, « tu ne pouvais faire autrement pour tes enfants ». De tels arguments suffisaient, à peine, à le rassurer.

C’est ainsi qu’il engagea Suzanne, pour s’occuper des enfants, durant ses trop longues absences professionnelles ; Suzanne, une voisine d’une soixantaine d’années, veuve, avait la charge de veiller à ce que les enfants rentrent à l’heure, fassent leurs devoirs et de « tenir » la maison… Bref, Suzanne était employée à temps plein, logeait même boulevard Malesherbes, où elle disposait de la chambre d’amis.

Malgré la résolution satisfaisante des contingences matérielles, Arnaud se demandait, sans cesse, s’il avait fait le bon choix pour Anne-Laure. C’était devenu une véritable obsession, quelque peu atténuée par le soutien d’amis compréhensifs et respectueux de ses choix.

Colombe

Un an plus tôt…

Colombe avait vécu un parcours scolaire, pour le moins chaotique. Ici, son histoire commença à prendre tout son sens. En effet, alors âgée de 16 ans, après une classe de troisième douloureuse pour elle et ses enseignants, elle passa le brevet des collèges, examen qu’elle réussit miraculeusement, à la grande surprise de tous. Le principal comme les enseignants l’avaient étiquetée jusque-là « élément perturbateur, irrécupérable ».

Colombe avait trompé son monde en se mettant d’arrache-pied au travail, trois mois avant l’examen, discrètement mais efficacement, si bien qu’elle franchit l’obstacle du brevet avec succès.

La raison de ce déclic ?

C’était sa propre décision quoi que puissent en penser ses parents. Elle voulait mettre à profit sa beauté et son élégance au bénéfice d’autres femmes, en suivant une formation de coiffeuse au C.F.A. de Saint-Ouen.

Lors de son inscription, dans cet établissement fin juin, il y avait maintenant plus d’un an, elle ressentit une intense euphorie à l’idée de sculpter la coiffure de ses futures clientes pour leur offrir une image conforme à leur personnalité.

Colombe ne se doutait alors pas que cette formation prendrait le profil d’un chemin verglacé sur lequel elle allait chuter dans un premier temps, pour rebondir dans un second… En cause, les vacances d’été qu’elle allait vivre avec ses parents et son frère Christophe.

L’été des 17 ans de Colombe

Au mois d’août, comme chaque année, la famille Monteiro partait en vacances, dans un camping de Camargue, où elle retrouvait des connaissances devenues progressivement des amis.

Les parents appréciaient tout particulièrement cette période de repos, leur permettant de retrouver des complices, maintenant de longue date, avec lesquels ils partageaient autant de souvenirs d’amitié que de connivences bâties sur des opérations et machinations, à la limite (chut !) de la légalité. La fête était reine, les grillades, l’alcool, la musique, la danse, les embrassades, la drague, les infidélités…

En pleine adolescence, Colombe appréciait peu ces réjouissances. Elle s’en tenait à l’écart, ce qui ne l’empêchait pas pour autant d’être sollicitée par les jeunes de son âge… Dans ces instants, une angoisse terrible se lisait sur son visage.

Elle ne semblait pas seulement avoir peur des jeunes, mais aussi de son père alcoolisé, lorsqu’il rentrait tard, la nuit, dans la caravane.

Elle avait bien quelques amies filles avec lesquelles elle discutait souvent. Dans ce contexte, Colombe se sentait très à l’aise menant la discussion, mais, dès que les autres déviaient sur des histoires de petits amis, la jeune fille s’éclipsait. Pourquoi ? Pourquoi ce malaise ? Colombe le savait-elle, elle-même ?

Quoiqu’il en soit, elle se sentait soulagée, heureuse quand les préparatifs du retour se précisaient, et quasiment euphorique, trépignant intérieurement de bonheur quand la famille se rendait à la gare Marseille-Saint-Charles pour regagner Paris.

Le C.F.A.

Colombe n’était pas très enthousiaste à l’idée de la rentrée au C.F.A. Durant sa première année d’apprentissage, elle avait connu beaucoup de difficultés à s’intégrer dans le milieu étudiant.

Sous de futiles prétextes, elle s’absentait souvent, trop souvent… En fait, la jeune fille semblait préoccupée par un problème, dont la nature échappait à ses professeurs. Ne sachant plus quoi faire, ils se tournèrent vers le médecin du C.F.A.

Bien que consciente de ses avantages physiques, qu’elle jugeait importants dans cette profession, Colombe craignait de ne pas être à la hauteur de ses ambitions. Elle n’était plus sûre d’elle, c’était une évidence. L’espace d’un été, ses certitudes du mois de juin dernier s’étaient envolées. Pourquoi ?

Beaucoup de théories, peu de pratiques, telles avaient été les grandes lignes de cette première année d’apprentissage jusqu’à maintenant. Après quelques semaines de cours, Colombe, terriblement déçue par le caractère qu’elle jugeait « insipide » de cette formation, s’absenta de plus en plus fréquemment. La direction s’en inquiéta et lui infligea plusieurs rappels à l’ordre, la menaçant de sanctions plus sévères si elle persistait dans ses égarements.

Dans un premier temps, Colombe corrigea son tir d’absentéisme, craignant par-dessus tout que ses parents en soient tenus informés.

Les vacances de Noël

Les vacances de Noël débarquèrent tel le radeau de la méduse, d’un ennui incommensurable sur le modèle des dernières vacances estivales. Bien sûr, il y eut Noël et son triste réveillon… essayant de relier Colombe et Christophe avec leurs parents, lien éphémère et marques d’affection utopiques entre ces quatre personnes.

Quant au réveillon du jour de l’an ! Il était de tradition que la famille Monteiro participe à cette fête dans une grande et impersonnelle salle d’Argenteuil. Colombe appréhendait, plus que tout, cette soirée. Sa beauté, incongrue dans ce milieu, faisait office de provocation ! Constamment sollicitée par des amis de son père, elle refusait toute invitation à danser…

Au terme de ces insipides vacances, c’est, presque joyeuse, qu’elle reprit le chemin du C.F.A., bien que sa motivation pour ces études ne soit pas plus rapide qu’une voiture en panne, tant elle était déçue par leur essence.

Elle qui s’attendait à de la pratique capillaire, à des stages de formation en salon de coiffure, n’avait droit qu’à de la théorie sur la structure du cheveu, des conseils comptables sur une hypothétique gestion d’un salon et les langues, Anglais et autres. Quel pensum !

La direction, ayant assuré aux étudiants que le deuxième semestre serait plus l’occasion de travailler pratiquement, Colombe se promit de jouer le jeu. Elle se fondit, plus qu’elle ne l’avait fait jusqu’à maintenant, dans un travail assidu. Elle voulait réussir ses études.

Déception et chute

Dotée de ces bonnes intentions, Colombe – en ce début janvier – reprit avec entrain le chemin du C.F.A. Dynamisme intensifié à l’idée de retrouver de solides amies, en qui elle avait placé son entière confiance. Évacuer par la parole les difficultés qui étaient siennes était pour elle une nécessité impérative, seule capable de libérer sa conscience.

Le directeur du département coiffure accueillit avec chaleur l’ensemble de ses étudiants, pour la plupart des filles. Après leur avoir présenté ses meilleurs vœux pour cette année nouvelle, il enchaîna par un fort,

« Je compte sur vous, sur votre dynamisme. Je suis certain de ne pas être déçu par vos talents créatifs, demandés par cet art qu’est la coiffure. Ces prochains mois vous ouvriront les portes de cette virtuosité ayant comme essentielle ambition, celle de donner du bonheur aux personnes que vous coifferez ».

« Ouf » pensa Colombe, « Quel délire verbal ! Nous verrons bien… »

Les jours suivants, le discours du directeur s’avéra être en fait une mascarade mensongère. Rien de positif à l’horizon.

En effet, pas ou peu de changement dans la formation. Tout au plus, deux fois par semaine, initiation aux techniques du ciseau et du peigne, uniquement sur des chevelures de mannequins.

Au terme du deuxième trimestre, Colombe résista à la déception en prenant la tête d’une fronde, lui attirant de ce fait l’irritation du corps professoral. Aussi, fut-elle convoquée, par le directeur, dont elle reçut un premier avertissement. Tous redoutaient son attitude rebelle et les risques induits sur ses camarades, qu’elle entraînait sur une mauvaise pente.

L’entretien de Colombe avec le médecin scolaire

Colombe était donc dans une situation scolaire inquiétante, résultats en nette baisse, absences injustifiées de plus en plus fréquentes. Le directeur l’orienta vers le médecin scolaire de l’établissement, espérant que ce dernier arriverait à décrypter le ou les problèmes de la jeune fille.

Aussi, ne fut-elle pas surprise, à la réception, quelques jours plus tard, de la convocation chez le médecin scolaire pour la rentrée. « Ce n’est pas de ma faute » estima-t-elle, « le vrai coupable, c’est… »

Le médecin la reçut. C’était une femme assez jeune, dont le visage inspirait la bienveillance et la confiance. Cependant, Colombe, dès son entrée dans le bureau, resta sur ses gardes, marquant son obstruction en baissant la tête. Le médecin, la docteur Florence Pinaton, consciente de l’embarras de la jeune fille, tenta de la rassurer :

« Colombe, s’il vous plaît, mettez-vous à l’aise. Vous n’êtes pas devant un tribunal, mais je suis amenée, par la direction, à vous voir, simplement pour évoquer avec vous la ou les causes de la spectaculaire chute de vos résultats, conjuguée avec des absences de plus en plus fréquentes. Enfin, vous auriez une mauvaise influence sur vos camarades, les invitant à contester l’autorité.

Vous pouvez me parler ici en toute confidentialité, étant moi-même tenue par le secret professionnel, vos paroles et les révélations que vous pourrez m’exprimer ne sortiront pas d’ici. Je vous l’assure, aussi je vous écoute. »

Pendant ces propos, Colombe réfléchissait sur l’orientation de sa réponse, il n’était pas question de révéler la vérité, elle devait trouver autre chose, mais quoi ? Après un court silence, elle répondit :

« Oh, Madame, je suis très contente de vous rencontrer, pour vous révéler le secret qui m’empoisonne la vie depuis plusieurs mois. »

Le docteur Pinaton reprit doucement : « Parlez, je vous écoute. »

« Bien. Voilà Madame, j’ai une chose à vous dire, ce n’est pas facile, mais je vais essayer. Je n’aime pas du tout la façon dont se déroule cette formation. J’ai l’impression de perdre mon temps ! Je n’imaginais pas du tout la manière dont se passeraient ces études. Depuis longtemps, je rêve d’être coiffeuse pour dames, afin de me mettre au service de la beauté et de l’élégance de femmes comme moi ou plus âgées, vous comprenez ? Or, je vous avoue être terriblement déçue par l’enseignement que nous recevons, de la théorie si peu de pratique. Je ne suis pas la seule à penser ça en classe. »

Elle n’exprimait qu’une impatience bien légitime. Rassurée par le fait que le problème de Colombe fut aussi banal, le médecin enchaîna :

« Voilà qui a le mérite d’être clair, Colombe, je vous rassure tout de suite et une solution à votre problème se profile à l’horizon ; en effet, en septembre, soit à la prochaine rentrée scolaire, vous choisirez votre stage professionnel et serez alors plongée dans la rivière créative que vous avez choisie, cela vous convient-il ? La formation surtout théorique, que vous suivez cette année, est essentielle pour votre avenir. »

« Je ne suis qu’à moitié d’accord avec vous, Madame, parce qu’il faudra que je patiente encore un trimestre, trois mois, c’est long, Madame. »

« Vous n’avez pas le choix ! » répondit sèchement Florence Pinaton.

« Étant donné les circonstances, je me vois dans l’obligation de m’entretenir rapidement avec vos parents. Au revoir, Mademoiselle. »

Puis, les deux femmes se séparèrent, Colombe tournant les talons, sans même avoir pris le temps de saluer le médecin.

Florence Pinaton se reprocha aussitôt son emportement, qu’elle estima indigne de l’éthique de tout médecin. En fait, elle se sentait mal à l’aise face à cette jeune fille. Elle ne lui disait certainement pas la vérité sur sa situation. Un instant, une idée lui traversa l’esprit, si improbable et cruelle qu’elle s’empressa de la chasser !

« Bravo, j’ai bien tenu ma langue et, comme ce ne sera pas l’intérêt des parents de dire la vérité, je suis tranquille » se dit Colombe, pensant toutefois à son irrésistible impatience de parler à quelqu’un, mais à qui ?

À qui ? Elle n’avait personne à qui se confier dans son entourage, ni famille ni amis. Alors que faire ? Les fausses révélations, qu’elle venait de tenir au médecin, l’avaient, dans un premier temps, rassurée sur ses capacités à masquer cette vérité, mais l’avaient aussi perturbée ; ne venait-elle pas de perdre, là, l’unique occasion de… ?

La convocation des parents Monteiro, chez le médecin scolaire

Dès le surlendemain, les époux Monteiro reçurent une lettre leur précisant de se rendre vendredi, dans une semaine, auprès du médecin scolaire, pour parler de leur fille. Ils furent désagréablement surpris. Qu’avait pu faire Colombe pour justifier une telle convocation ?

Guiseppe et Marcelle Monteiro se présentèrent au service de médecine scolaire, certains que le médecin leur avait demandé de venir pour évoquer l’avenir de Colombe. Aussi, tombèrent-ils des nues, quand ils apprirent la récente et catastrophique baisse de résultats scolaires de leur fille et son absentéisme récurrent. Marcelle demanda aussitôt à son mari, d’une voix forte, mais néanmoins assurée, s’il avait remarqué quelque chose, ajoutant que, pour sa part, elle n’avait rien constaté de nouveau ou d’anormal.

Guiseppe acquiesça, rajoutant que leur travail ne leur permettait, que rarement, de surveiller les allées et venues de leur fille. D’ailleurs, à bientôt dix-huit ans, elle était assez grande pour se prendre en charge toute seule. Avouant tout de même, quelque peu inquiet d’apprendre que sa fille séchait souvent les cours, il conclut que c’était certainement une affaire sentimentale qui était à l’origine de son actuelle situation. C’est du moins ce que son épouse traduit au médecin pour gommer les paroles difficilement exprimées par son mari.

« Ah, les chagrins d’amour », dirent-ils ensemble !

La médecin resta un moment perplexe à l’écoute de ces explications. Elle fit part aux parents de son trouble et de ses interrogations, eu égard aux problèmes de Colombe.

Elle insista sur le fait que son flair professionnel lui dictait de poursuivre les investigations, à peu près certaine que l’attitude de la jeune fille cachait quelque chose de plus grave qu’une simple déception amoureuse.

Les parents restèrent cois. Ils répondirent qu’ils ne voyaient rien, absolument rien qui puisse expliquer le comportement de leur fille, ajoutant que, certes, ils ne roulaient pas sur l’or, mais qu’ils formaient, avec leur fils Christophe, une famille unie et respectable. Ils conclurent que leur origine modeste ne pouvait permettre, à quiconque de mettre en doute leurs paroles.

À cet instant seulement, le médecin se remémora l’hypothèse qui lui avait traversé l’esprit lors de sa première rencontre avec Colombe. Elle se dit qu’elle n’était peut-être pas si loin de la vérité, aussi, enchaîna-t-elle :

« Compte tenu des éléments en ma possession, et pour compléter le dossier, je vais faire procéder à une enquête sociale. Cela nous permettra de mieux comprendre l’origine de cette période perturbée qui nous inquiète tous. »

« Pourquoi vouloir déclencher une enquête, à notre encontre ? » s’agacèrent Guiseppe et Marcelle.

La médecin conclut, en précisant que des professionnels, plus avertis qu’elle, allaient certainement trouver, ce que, tous les trois, ils souhaitaient pour aider Colombe à se construire un avenir serein et responsable.

Sur ce, les Monteiro, mécontents de la tournure des événements, prirent à peine le temps de saluer le médecin, et tournant la tête, ils claquèrent la porte, comme s’ils tentaient de se sauver…

Les semaines passent

Les semaines se succédèrent, des vacances de Pâques à l’été…

Se côtoyèrent discussions et violentes altercations avec des parents, qui rejetaient, sur leur fille, la responsabilité des soupçons exprimés à leur égard par le médecin scolaire. Colombe se contentait de répondre par un silence, exprimant ainsi, en subliminal, une profonde solitude.

Toutefois, quelque peu rassurée par ce que lui avait dit le médecin scolaire, à savoir que les stages pratiques allaient débuter en septembre, Colombe se promit de ne plus se faire remarquer par des absences répétitives et de se remettre au travail. C’est ce qu’elle fit au troisième trimestre. Aussi bien la direction, les enseignants que le médecin scolaire furent quasi impressionnés par le changement radical du comportement de Colombe. Ils en conclurent qu’elle avait eu un passage à vide. De ce fait, aucune enquête sociale ne fut déclenchée.

Fin juin, les étudiantes durent choisir, pour la rentrée de septembre un lieu de stage, Colombe choisit avec son amie Céleste la maison de convalescence les Iris, dans le septième arrondissement de Paris. Certes, cette adresse était assez éloignée de Saint-Ouen ; elles étudièrent les lignes de métro y conduisant, et constatèrent qu’il fallait environ trois quarts d’heure pour s’y rendre. Elles furent heureuses et fières de la chance qui leur était donnée de faire leurs preuves dans ce quartier, un des plus chics de la capitale.

Rassurée par cette nouvelle aventure qui se profilait à l’horizon, c’est le cœur léger et confiant en l’avenir, que débutèrent les vacances estivales. Cette euphorie d’un jour se révéla rapidement n’être que de façade, dans la mesure où Colombe n’était guère enthousiaste à l’idée de ces deux mois de vacances. Et quelles vacances ! En juillet, elle se trouverait seule avec son frère Christophe, et en août, comme d’habitude en Camargue.

Seule, elle était seule, en fait pas mécontente que son frère sorte la plupart du temps avec des copains, souvent plus avec des copines ; d’autre part, elle était plutôt satisfaite de voir ses parents absents, absorbés qu’ils étaient, en cette période estivale, par leur métier de forains.

Colombe mettait à profit cette quasi-quarantaine, pour s’adonner à ses deux passe-temps favoris : le farniente et la lecture. Le farniente ? Elle dormait profondément, comme une souche, dit-on, cependant, son sommeil était régulièrement peuplé de cauchemars, dont elle avait honte, ne voulant pas les mémoriser ; heureusement, il y avait dans le même temps, ces rêves où elle se voyait en princesse modèle, aimée, tendre chimère… Le lit ? Une fois réveillée, s’assurant que ses parents étaient partis, elle retournait se coucher, avide de paix, gourmande d’un cessez-le-feu définitif.

La lecture ? Pour elle, moyen d’évasion, la transportait dans les airs, pour la faire atterrir sur un horizon serein, où tout était calme et volupté. Colombe avait besoin de ces instants, où elle s’imaginait vivre dans une autre famille, dans un autre monde, dans un autre milieu, qu’elle espérait côtoyer prochainement.

Elle pensait souvent à la triple peine qu’elle devrait subir au mois d’août, celle de vivre en caravane en Camargue, celle de supporter ses parents, celle d’être parmi ceux qui ne voyaient en elle qu’une jolie fille à posséder. Et c’est l’esprit lourd de ces angoisses que Colombe se résolut à suivre en TGV parents et frère, direction Marseille. À cet instant, elle ne se doutait pas qu’un petit « à l’aide » prononcé à un inconnu sur le chemin du retour allait changer son existence.

À l’aide

C’est ce petit vocable timidement sorti de ses tripes, alors que, dans un même temps, elle n’osait regarder franchement l’homme à qui s’adressait cette supplique. Il ne l’avait peut-être pas entendu. Ou s’il l’avait fait, qu’est-ce qu’un homme de cette stature, entouré de trois enfants qu’il avait du mal à maîtriser, pourrait donner suite aux deux mots prononcés par une gamine : « à l’aide » ?

C’était sans compter sur la ténacité de Colombe, pour qui cette opportunité ne pouvait ni ne devait rester lettre morte !

« C’est un signe du destin », se dit-elle, se promettant de tout faire pour retrouver cet homme, ce père de famille en qui elle avait, certes aveuglement, confiance, mais son instinct, sa subtilité, sa finesse de femme lui dictaient de mettre son espoir dans cet homme, inconnu d’elle, mais qu’elle sentait déjà si proche de son âme, à qui elle pourrait parler, elle pourrait révéler… C’était bien dans ce tee-shirt rouge que résidait l’espoir fou, son espoir insensé.

Elle pensait qu’il habitait Paris ou à proximité, en banlieue ? Mais comment le retrouver parmi des millions de personnes ?

Mission impossible ? Non, Colombe ne pouvait l’accepter. Sa douloureuse histoire décuplant son énergie, elle se rendit en priorité à la gare de Lyon au service des réservations, afin de savoir, s’il y avait encore une quelconque trace de leur voyage. Elle expliqua bien la date, l’heure, la destination du TGV, le fait que les deux familles voyageaient dans des carrés contigus, mais rien n’y fit, l’employé n’a rien voulu ou pu lui dire. Première démarche, premier échec, premiers doutes. Toutefois dans la vie de galère qui était la sienne, ces dernières années, elle avait appris à se battre avec une farouche énergie, pour tenir tête à son père, à sa complice de belle-mère, pour tenter d’amorcer dès lors une vie libre. Comment puis-je retrouver cet homme ?

Cette nuit fut peuplée de cauchemars où grondait le tonnerre se fracassant sur sa situation familiale, en alternance avec de délicieux spots où elle retrouvait Dieu sait par quel miracle l’homme au tee-shirt rouge ? Colombe finit par s’endormir, épuisée.

Elle se réveilla tôt, 6 h du matin, l’horizon s’éclaircit peu à peu, septembre pointait son nez. Colombe était en forme ou du moins, le paraissait-elle un court instant, car la réalité, dont elle s’était échappée, seulement quelques heures, cette nuit, la rattrapa vite ! Chercher et trouver cet homme au tee-shirt rouge avec une inscription AL, ce père de famille paraissant attentif et généreux, sera désormais son obsession de l’après-midi. Elle avait décidé de ne pas aller en cours, ses professeurs en seraient surpris, mais elle n’en avait cure ! L’essentiel de cette journée devait être consacré à retrouver cet homme.

Sa tentative de la veille, à la gare de Lyon, avait lamentablement échoué. Elle, ne connaissant ni son nom ni son adresse, comment allait-elle pouvoir retrouver cet homme qu’elle considérait comme providentiel ? Avait-il entendu le « à l’aide » qu’elle lui avait lancé discrètement à la sortie du train ? S’il l’avait entendu, l’avait-il pour autant gardé en mémoire ? Si oui, chercherait-il à la retrouver ?

Elle ne possédait aucune réponse précise à ses interrogations, uniquement des suppositions, si, si… Elle se souvint subitement que sur le maillot rouge de l’inconnu figurait une tour Eiffel, accompagnée d’une inscription AL... elle ne se souvenait plus bien, elle avait beau fouillé dans sa mémoire, en vain…

Le seul ami, sur lequel elle pouvait compter, s’appelait monsieur Google. Aussitôt arrivée à Saint-Ouen, elle se rua sur son ordinateur. Fébrilement, elle ouvrit internet et tapa dans le moteur de recherche : tee-shirt rouge avec tour Eiffel et mention AL. Elle passa une bonne heure à éplucher les différents sites où elle trouvait bien des tee-shirts rouges, agrémentés d’une tour Eiffel, mais aucun avec l’inscription AL… Décidément ne pouvant compter sur Google, elle ne perdit pas son temps à interroger Monsieur Hulot, Mister Bean… Le soir, elle descendit – à contrecœur – dîner avec ses parents et son frère. Elle se garda bien d’évoquer son emploi du temps de la journée, affirmant au contraire que tout s’était bien passé au C.F.A. Dès la fin du repas, épuisée, elle se jeta sur son lit et plongea rapidement dans les bras de Morphée.

Les Iris

Le lendemain devait être sa première journée de stage aux Iris. Enfin, elle pourrait mettre toute son énergie et son talent au service des résidentes de cette maison de soins psychiatriques, dans le 7e arrondissement. Ce quartier est considéré comme plutôt guindé. Comme elle venait d’une banlieue quelque peu remuante, pour ne pas en dire plus, c’est avec une certaine appréhension que Colombe, accompagnée de son amie Céleste, se présenta à la clinique les Iris.

La directrice les reçut avec beaucoup d’empathie, leur précisant que l’établissement comptait trente-deux résidentes, seulement des femmes étiquetées bipolaires graves. Elle rajouta qu’il était important de les inciter à soigner le plus possible leur aspect physique.

Elle les conduisit au salon de coiffure où se tenaient deux fauteuils. Elle ajouta d’un timbre sec qu’elles commençaient demain. « Soyez habillées d’une manière plus avenante, moins négligée qu’aujourd’hui. »

Colombe et Céleste se demandèrent en sortant, si elles allaient être à la hauteur, mais comme toutes deux étaient souriantes et sympathiques, elles conclurent, avec une satisfaction non feinte, qu’elles devraient être à la hauteur !

Sur le chemin du retour au C.F.A., Colombe se répétait, pour s’en convaincre, que ce stage lui permettrait enfin de côtoyer un monde plus en harmonie avec elle. Son jeune âge devrait apporter gaieté et fraîcheur dans cet univers morose ; elle en était certaine.

Elle rentra chez elle, dîna avec ses parents, tout en les ignorant superbement ; elle allait maintenant fréquenter un autre monde, peut-être pourra-t-elle enfin s’échapper de son triste quotidien ! Elle avait moins peur, une lueur d’espoir éclairait son magnifique regard !

Le lendemain…

Ce mardi, à neuf heures précises, Colombe et Céleste se présentèrent à la porte des Iris, se dirigeant immédiatement vers le salon que leur avait montré, la veille, la directrice. Deux résidentes ne tardèrent pas à cogner à la porte, ce qui fit bondir les deux jeunes filles, pourtant habituées aux bruits, dans leurs familles respectives, mais en ce lieu… !

Une infirmière, qui se trouvait à proximité, leur dit qu’elles ne devaient pas en être étonnées. Les personnes, accueillies ici, souffraient de troubles bipolaires sévères, se traduisant par une humeur pathologiquement fluctuante, conjuguant des phases d’euphorie avec des périodes de profonde dépression et, de ce fait, n’avaient pas toujours conscience de la réalité du quotidien.

Rassurées, Colombe et Céleste coiffèrent toute la matinée plusieurs résidentes, toutes ravies que l’on s’occupe d’elles. De concert, les deux jeunes filles pensèrent qu’il suffisait d’un peu d’attention et de chaleur humaine pour agrémenter leur quotidien et leur redonner une vie sereine.

Tous les matins, de 9 h à midi, elles coiffaient les dames, dont certaines venaient même, plusieurs fois par semaine, juste pour un coup de peigne. Elles venaient en priorité, pour avoir un contact extérieur, pour parler et se sentir moins seules. Une certaine Anne-Laure s’était particulièrement attachée à Colombe, lui parlant de son mari, de ses enfants qu’elle ne voyait plus ou si peu. Beaucoup de résidentes étaient en effet, quelque peu abandonnées, par leur famille.

Le personnel de la maison, directrice en tête, venait se faire sculpter leur chevelure, tant le talent des deux jeunes filles était reconnu de tous. Colombe en était même venue à chasser de son esprit l’homme au tee-shirt rouge.

Colombe, dévalorisée jusqu’à maintenant, par ses parents, appréciait tout particulièrement le superbe accueil que lui réservaient les pensionnaires et le personnel des Iris, ce qui lui redonnait confiance en elle. C’est alors qu’elle vécut un événement extraordinaire, qu’elle n’attendait plus…

Anne-Laure et Arnaud

C’était quelques jours avant Toussaint, Colombe peignait comme souvent Anne-Laure, quand elle se trouva quasi-tétanisée. Elle en laissa tomber le sèche-cheveux ; elle avait reconnu l’homme du TGV, à qui elle avait susurré un petit « à l’aide ». L’inconnu se présenta :

« Arnaud Bernard, je suis l’époux de Madame. »

L’homme, s’étant aperçu du trouble de Colombe, lui dit simplement qu’il viendrait dans une semaine, chercher sa femme, pour passer le week-end de Toussaint en famille. Il était venu aujourd’hui pour s’assurer qu’elle serait bien coiffée pour l’occasion. Il remarqua, avec satisfaction, que la jeune coiffeuse faisait un excellent travail, ce dont il la remercia, et partit, non sans avoir oublié d’embrasser son épouse.

Il était midi, juste le temps de repartir à Saint-Ouen. Colombe choisit de s’arrêter dans un bistrot voisin où elle avala un sandwich, accompagné de deux cafés, ce qui lui permit de classer ce trop-plein d’émotions.

Le hasard venait de lui sourire, enfin ! se dit-elle, en parlant toute seule, ce qui ne manqua pas d’intriguer ses voisins, mais qu’importe, elle était soulagée, heureuse, elle venait de reconnaître le père de famille du TGV. Il avait dit qu’il reviendrait, dans quelques jours, chercher sa femme, avant le déjeuner de midi ; elle tenait absolument à le rencontrer à cette occasion, mais comment l’aborder ?

Maintenant, elle connaissait son nom, Bernard, le mari de Anne-Laure Bernard. Tout l’après-midi, Colombe réfléchit comment contacter cet homme, sans qu’il se méprenne sur ces intentions ? Lui demander de parler avec lui, devant sa femme, comme cela, de but en blanc ! Impossible ! il n’en aurait certainement rien à faire d’une gamine d’à peine dix-huit ans. Alors, pourquoi ne pas lui écrire une lettre qu’elle donnerait au bureau d’accueil des Iris, en demandant à la secrétaire de la lui remettre ? Pourquoi pas ? En en prenant connaissance, il chercherait peut-être à la rencontrer !

C’est ainsi que Colombe, le cœur gonflé d’un fol espoir, regagna Saint-Ouen, décidant de sécher les cours cet après-midi-là, pour se consacrer entièrement à la rédaction de cette lettre. Franchissant la porte de l’appartement, elle ne prit même pas le temps de saluer ses parents, en congé ce jour. Étonnés de la voir rentrer si tôt, ils lui demandèrent pourquoi ? Ils n’eurent comme unique réponse, que le claquement de la porte de sa chambre, dans laquelle Colombe s’enferma.

La lettre

Assise devant son ordinateur, la tête entre ses mains fébriles, la poitrine serrée par l’angoisse, Colombe se demandait comment allait-elle faire. Par quoi commencer ? Enfin, elle se proposa de tenter d’écrire sur son ordinateur. Comme ceci, elle pourrait corriger et ensuite la recopier, à la main, de sa fine écriture. Elle commença :

Colombe Monteiro à Monsieur Bernard,

Je vous ai reconnu hier, alors que je coiffais votre femme aux Iris. Pour votre part, vous ne m’avez certainement pas remise. Je suis la jeune fille, qui vous a regardé avec insistance dans le TGV, lorsque je revenais de Camargue, fin août avec mes parents et mon frère, vous étiez dans le carré d’à côté, avec vos enfants.

À la descente du train, à Paris, je vous ai glissé un petit « à l’aide ». L’avez-vous entendu, vous en souvenez-vous ?

Pendant le voyage, je vous avais vu si attentif, si prévenant, auprès de vos enfants, que j’ai tout de suite pensé, que – pour moi – il était regrettable de ne pas avoir un père, comme vous.

Si je me suis permis de vous lancer un S.O.S., c’est que je vis actuellement une situation très difficile pour moi. Je ne pourrai certainement pas m’en sortir seule. J’ai tout de suite senti dans votre regard, une capacité à comprendre les problèmes des autres, une évidente compassion vis-à-vis de votre prochain. 

Colombe posa un moment la souris, relut son texte posément, en fut assez fière et s’offrit une « pause cigarette » en effet, elle fumait occasionnellement pour compenser. Elle reprit :

Vous voudrez bien excuser mon indiscrétion à votre égard ; je vous avoue vivre une situation atroce, résidant dans le fait, que… Mais, je ne peux vous le raconter, il faudrait que je puisse vous en parler de vive voix.

Je vous remercie de me dire quand je pourrai vous rencontrer aux Iris ou ailleurs, comme vous le déciderez…

Le lendemain, Colombe remit la lettre, qu’elle avait pris grand soin de recopier de sa fine écriture, à la secrétaire, lui disant qu’elle devait absolument la donner à Monsieur Bernard. C’était très urgent, qu’il fallait impérativement qu’il en prît connaissance vite, très vite…

« Du calme, du calme, ma Petite », lui assura la secrétaire. « Je vous assure, dès que je verrai Monsieur Bernard, je la lui remettrai, mais il faut que vous sachiez qu’il ne vient pas souvent, ayez confiance, ma petite, dès que je le verrai… »

« Oui, merci, Madame. » répondit Colombe, « Monsieur Bernard m’a dit hier qu’il viendrait chercher sa femme pour Toussaint ; alors, c’est pour bientôt, merci, Madame, merci. »

Et la jeune fille, tout à la fois rassurée et confiante, retourna travailler.

Attente et espoir

Pour Colombe, vacances de Toussaint au C.F.A. mais, par contre, pas de trêve aux Iris, ce qui lui permit de rester quotidiennement en contact avec la secrétaire qu’elle finit même par harceler, lui demandant, sans cesse, si elle n’avait pas de lettre de Monsieur Bernard à son intention. Colombe finit par douter de l’honnêteté de l’employée ; avait-elle bien remis le précieux pli à son destinataire ?

Elle rencontrait quasi-quotidiennement Anne-Laure Bernard, n’osant pas lui demander des nouvelles de son mari. Les jours passent, mais toujours rien, pas de réponse ! Colombe osa bien, une fois, lui demander des informations. Ce, à quoi, Anne-Laure lui répondit, sèchement, que ce n’étaient pas ses affaires, ajoutant : 

« De toute manière, il m’intéresse peu, il me délaisse, me fuit, m’empêche de voir mes enfants, m’enferme ici. Croyez bien, Colombe, je ne suis pas folle, j’ai toute ma tête, je vois bien ce qui se passe derrière mon dos, je me vengerai ! »

Cette tirade laissa Colombe coite. Elle ne répondit pas, perdue dans ses pensées. Elle dut s’asseoir un moment, sonnée par la révélation que venait de lui faire Anne-Laure. Et si elle avait fait fausse route avec Monsieur Bernard, en fait un parfait inconnu pour elle. Et si ?

Colombe ne voulait pas avouer s’être trompée, elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas ; elle avait mis tous ses espoirs, toute sa vie, oui, toute sa malheureuse vie, dans les mains d’un homme s’avérant maintenant énigmatique pour elle ! Et pourtant, l’avenir proche lui enseignera qu’elle se trompait. Colombe ne recevait pourtant pas l’appel tant espéré.

Elle était toutefois rassurée par le fait que, dans quelques jours, elle aurait 18 ans, la majorité ! À cette pensée, son visage s’illumina d’un délicieux sourire prémonitoire, car le surlendemain…

Ce 30 octobre

Comme d’habitude, debout sept heures quinze, douche, petit déjeuner vite avalé, métro direction le 7e arrondissement. Elle dispose de trois quarts d’heure pour faire le trajet, deux changements de métro, puis sept minutes à pied ; c’est juste, mais ça passe !

Cependant, ce matin, elle sera en retard, pourquoi ? Alors qu’elle vient de quitter le métro, son portable sonne. Son cœur se met à s’accélérer follement dans sa poitrine ; et, si c’était lui ? Colombe décrocha fébrilement : « allo ? »

« Bonjour, Arnaud Bernard à l’appareil, j’ai bien reçu votre lettre qui m’a profondément troublé. Vous y décrivez votre situation, de façon énigmatique. Nous devons en parler de vive voix, comme vous le proposez. »

Colombe, flageolante sur ses jambes, eut de la peine à répondre, d’un ton bouleversé et à peine audible : « Ah, oui ! »

Arnaud Bernard voulut la rassurer, en lui disant

« Je vous propose de nous rencontrer, demain, à la maison à 18 h. Vous pourrez également faire connaissance de mon aînée Capucine, elle devrait avoir sensiblement le même âge que vous.

Oui, j’oubliais de vous dire, nous habitons 523 boulevard Malesherbes, c’est possible pour vous ? » conclut-il

« Oui, oui, bien sûr, Monsieur », répondit-elle, elle eut de la peine à raccrocher.

Enfin, se dit-elle. Enfin, je vais peut-être voir le bout du tunnel. Cependant, un doute subsiste après ce que lui avait révélé Anne-Laure Bernard, pas plus tard que la veille. Elle courut aux Iris, tenta de rattraper son retard mais n’arriva qu’à neuf heures vingt. Deux personnes attendaient dans le salon d’attente, Céleste en coiffait une, Colombe, toute guillerette, s’occupa de l’autre résidente. Cette dernière lui avoua, dans un langage brouillé, qu’elle était très contente que ce soit Colombe qui s’occupe d’elle. Décidément, elle avait la cote !

L’année se terminait plutôt bien pour elle. L’appel de Monsieur Bernard en début de matinée, la satisfaction exprimée à son égard à l’instant par une cliente. Depuis bien longtemps, elle ne s’était sentie aussi bien !

Quelques jours plus tard…

Cette nuit, Colombe n’arriva pas à dormir. Son sommeil était haché entre cauchemars et rêves. Finalement, elle s’endormit, se réveilla en trombe, enfila rapidement un pantalon, se précipita dans le métro et arriva à neuf heures précises aux Iris, tellement préoccupée par son rendez-vous du soir, qu’elle en avait la tête ailleurs. Elle fit de nombreux impairs, coiffant mal ses clientes qui, heureusement, perdues dans leurs problèmes, ne s’en aperçurent pas. Céleste le remarqua bien, le lui dit, n’obtenant aucune réponse ! Qu’elle fut longue, cette matinée !

Midi enfin venu, elle regagna Saint-Ouen, pour se doucher, s’habiller à son avantage, se maquiller, enfin se faire belle pour se présenter sous son meilleur jour, boulevard Malesherbes et manqua volontairement ses cours au C.F.A.

Elle s’allongea un court moment. À dix-sept heures précises, après avoir laissé un mot informant ses parents, qu’elle rentrerait certainement tard – elle courut jusqu’au métro et se retrouva bientôt à l’adresse indiquée. Elle chercha le 523, mais il y avait un 523 bis. Colombe, paniquée à l’idée d’être en retard, consulta, avec angoisse, les noms inscrits sur les interphones, pas de Bernard, du 523 bis, pas plus. Paralysée par la hantise de ne rien trouver, elle poursuivit sa recherche elle finit par trouver au 523 ter, un hôtel particulier, si impressionnant pour elle, qu’un instant, elle n’osa pas sonner. Colombe se reprit, il était 18 h 10. En retard de 10 minutes, voilà qui commençait bien !

Suzanne – l’employée de maison – vint lui ouvrir, Colombe se présenta et dit qu’elle avait rendez-vous avec Monsieur Bernard, ce que Suzanne savait.

Elle lui proposa, en attendant Monsieur, de rejoindre sa fille Capucine, dans sa chambre. C’est ainsi que Colombe fit connaissance de la fille aînée de la famille, sensiblement du même âge. Elle lui fit tout d’abord une moue fort antipathique, signifiant en subliminal – que venait faire cette intruse dans sa chambre – ? Elle, qui mettait à profit l’absence de son père pour écouter de la musique – ce que l’autorité paternelle condamnait ! Un lourd silence s’installa entre les deux jeunes filles.

Heureusement, Monsieur Bernard rentra peu après. Suzanne lui dit que la jeune fille était arrivée, elle attendait dans la chambre de Capucine. Il frappa à la porte de sa fille et entra.

Colombe Monteiro et Arnaud Bernard

Après avoir salué Colombe, d’un ton chaleureux, il se dirigea, avec la jeune fille, vers son bureau et la conversation s’engagea :