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Vies de château... Mais dans ce château, ni prince ni princesse. Pas de fantôme non plus. Ceux qui sont là sont bien vivants. Il y a toujours quelqu'un près de la porte, qui attend le visiteur. Il ne le regardera pas, ne lui dira pas bonjour. Pas avant qu'il ne se soit éloigné dans le couloir en tout cas. D'abord sidéré, celui-ci, crispé et inquiet, a déjà compris qu'il est entré dans un monde dont il ignore tous les codes. Ce monde, c'est le monde de l'autisme. Avec ses histoires, ses romans, l'auteur vous invite à en découvrir toute l'étrangeté et toute la richesse. Entrez dans le château. L'ALBUM DE CASSANDRE Son titre l'indique. Ce récit est construit sur le modèle d'un album photographique. Un de ces albums dans lesquels on rassemble les instants de vie d'un enfant dès sa naissance et que l'on exhume un jour ou l'autre pour feuilleter nos souvenirs. Il n'y a pas d'histoire à proprement parler. Celle-ci se déroule et se construit cependant, à partir ce ces instantanés que notre imaginaire se charge de relier les uns aux autres. Cassandre est-elle autiste ? Ne l'est-elle pas ? Au fond cette question est sans importance. Cassandre est une personne avec ses terreurs, ses joies, ses souffrances... Il y a certainement un moyen d'aller à sa rencontre. Un autre roman, du même auteur, parle du même monde. Son titre : MURS.
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Seitenzahl: 138
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Douleur et plaisir
Sont nos sensations.
Souffrance et jouissance
Nous font exister.
Il y a chez elle,
Quelque chose,
Que je connais,
En moi.
Mais quoi ?
À Cassandre, à Samson, à toutes celles et tous ceux qui leur ressemblent. À leurs parents, à leurs proches qui assument l’impensable.
À Marie.
Le Château, 9 mai 2016
Lyon, printemps 1995
Printemps 1995
Le 13 octobre 1995
13 octobre 1996
Eté 1998
Lyon, été 1998
Novembre 1998
Janvier 1999
Mai 99
Lyon, décembre 1999
Lyon, janvier 2002
Février 2002
Juillet 2002
Septembre 2002
Septembre 2002
Le soir
Octobre 2002
Octobre 2002
Décembre 2004
Juillet
Janvier
Décembre 2007
Septembre 2008
Octobre 2008
Avril 2011
Le Château, premier jour
La salle à manger
Le Château
Le Château
Le Château, printemps 2015
Le Château
Le Château
Le Château
Le Château
Le Château
Samedi soir
Le Château
Le Château
Ce Samson m’énerve. Il m’énerve vraiment.
Il raconte partout que, quand j’étais petite, j’ai dévoré ma maman et mon petit frère. D’abord, c’était il y a longtemps. Je ne me souviens pas bien. En plus je n’ai jamais eu de petit frère. Peut être, c’était ma sœur jumelle. Mes parents m’ont dit qu’elle n’a pas survécu. Survécu ? A quoi ? En tout cas, ils étaient très tristes. Heureusement j’étais là, moi, la survivante. Très vite, je suis devenue un beau bébé. Et je le suis restée. Enfin, c’est ce qu’ils disent. Moi, je ne me rends pas bien compte. Dans ma vie, j’ai vu pas mal de bébés. C’est petit. Ca braille ou ça dort, et ça ne sent pas bon.
Je ne sais pas pourquoi il dit ça. Pourtant, il me plait bien Samson. Dans le foyer, c’est le plus intéressant de tous. En un instant, il peut mettre les tables et les chaises de la salle à manger sens dessus dessous. On ne sait jamais quand ça va arriver. Toujours sans prévenir. C’est bien. Ca libère. Quand il est arrivé au foyer, il n’avait pas peur. Moi, j’ai peur tout le temps. Je n’arrive pas à savoir ce qui va se passer. Quand je suis dans ma chambre, il n’y a que mon lit et moi. C’est plus supportable. Je peux hurler tranquillement.
Maman ! Maman ! Là, je sais. Au bout d’un moment quelqu’un arrive. « Qu’est ce qu’il y a, Cassandre ? Tu casses les oreilles de tout le monde ». Le plus fort que je peux, Maman ! Maman ! Le quelqu’un insiste. Il élève la voix. On est deux à brailler. J’aime bien. Et le quelqu’un finit par se fatiguer. Pas moi. Le quelqu’un s’en va. Je n’ai encore rien dit. Pas besoin. Il finit toujours par s’en aller. Maman ! Maman ! J’essaie de chanter, mais personne ne m’a jamais appris. Dans le ventre, le calme revient… Quand je me réveille, je n’ai plus envie de crier. Alors, je fais pipi. Ca aussi, j’aime bien.
Au Château, on nous appelle les résidents. En plus des résidents, il y a toujours quelqu’un. Ils sont plusieurs, pas toujours les mêmes. Des garçons, des filles. Ils parlent beaucoup ensemble, même quand ils font quelque chose. Chaque fois qu’un quelqu’un me parle, il me veut quelque chose. Manger, se lever, faire caca ou pipi, sortir… Moi, je ne sais pas ce que je veux. Ou plutôt je veux qu’il se taise. C’est là que ça part. « Dégage ! » Si c’est trop près, je crache un coup. Quand il approche encore, j’attrape les couilles ou les seins. C’est selon. Je n’y arrive pas souvent. Il se méfie trop. Et c’est toujours la même chose. Il crie. Je préfère quand ça crie. Je n’aime pas quand ça parle.
N’empêche, un jour, ce Samson, je le tuerai.
Mais qu’est ce qu’elle fabrique ? Nous avions rendez vous à moins le quart, et il est bientôt sept heures et quart. Elle sait pourtant bien que le mercredi, c’est andouillette, et qu’il n’y en a pas pour tout le monde. Dans cinq minutes, le resto U nous servira des steacks hachés ultra cuits et dégueulasses. Ses cours terminaient à cinq heures. A tous les coups, elle est rentrée chez nous et elle s’est endormie. Bon, je prends la file et elle me rejoindra. Ou bien je la retrouverai à l’appartement. Elle en sera quitte pour absorber un kebab. Encore une chance que ce soir, je n’aille pas bosser au bar. Vivement que mon mémoire soit terminé, et après, la belle vie. Chercheur d’emploi ! J’aurai peut être une chance chez Vinci où j’ai fait mon stage. Ils m’ont mis une super note en tout cas. Ce serait pas mal. Franck Lebon, assistant au marketing immobilier. Une belle carte de visite… pour commencer.
Chouette ! Il reste des andouillettes. Et même des frites. Peut être qu’il y aura du rab. Ce resto U, c’est le plus pourri de la ville. Mais dans l’assiette, quand on connaît les habitudes, et si on n’est pas en retard, c’est de la gastronomie.
Bon Lydie ne viendra pas. C’est sûr, elle dort. Pour son mémoire, elle est encore plus charrette que moi. Bientôt on ne comptera plus les nuits blanches. Et le jogging au parc… tintin. Elle n’avait pas besoin aussi de choisir un sujet aussi compliqué, avec une bibliographie démente. En plus elle devra faire semblant d’avoir tout lu. Alors un petit somme, elle a bien le droit. Et puis, qui dort dîne.
L’andouillette, extra comme d’habitude. Mais le dessert, pas terrible. Je me suis rabattu sur une banane… farineuse. Bon, un petit café chez mes potes au bar, et à la maison.
Elle est là, recroquevillée dans le fauteuil.
« Lydie, qu’est ce qu’il y a ? Tu es malade ?
– Regarde. »
Je regarde, et je ne vois rien. Que son visage fermé et tendu.
« Regarde sur la table »
En effet, sur la table, il y a un truc. Une espèce de petit chevalet avec un miroir et un tube. Dans le tube, très distinctement, et reflété par le miroir un joli petit rond bleu…
Ca y est, j’atterris. « Tu es enceinte ? Merde alors ! »
Pendant une seconde, son regard me tue. Et elle fond en larmes.
« Mais ce n’est pas possible. Qu’est ce qu’on va faire ?
– … »
Son silence finit de me tuer.
« … ».
Dans ma tête, c’est tout blanc.
« Demain j’irai à la pharmacie et on refera le test. Tu as peut être fait une fausse manœuvre…
– Demain, j’irai chez le médecin. Je sais bien ce que je ressens, et ce n’est pas toi qui me diras si je suis enceinte ou pas. »
J’essaie de dire quelque chose, mais rien ne vient. C’est tout collé dans ma tête. Et j’ai l’impression qu’elle me déteste. Comme si c’était de ma faute. C’est vrai. J’y suis un peu pour quelque chose.
Quand nous avons décidé de vivre ensemble, la question d’un enfant ne se posait pas. Nous étions bien. Nous étions heureux. Dans la même école de commerce, dans la même promotion, avec les mêmes goûts, les mêmes envies. Elle en gestion, moi en marketing. Lydie est douce et belle. Très vite, je n’ai plus regardé qu’elle. En fait, c’est elle qui était à la manœuvre. Et quand elle l’a décidé, je suis tombé comme un fruit mûr… dans ses bras.
Le temps glissait tout seul. Aucune aspérité. Notre envie d’être ensemble effaçait tous les petits obstacles du quotidien. Après les cours, nous nous retrouvions. Quelques emplettes en traînant un peu. Et le soir, selon l’humeur ou la nécessité, ciné, bouquins, balade en ville ou travail, toujours tous les deux. Et toujours amour. Comme nous étions bien ! Et la foudre nous tombe dessus. Notre vie était un rêve. D’un seul coup elle est devenue La Vie. J’ai peur. Je suis en plomb.
Il a bien dit qu’il faudra faire un dosage hormonal pour vérifier, mais il ne m’a laissé aucun doute. Je suis enceinte. Enceinte de Franck. Franck Lebon, mon compagnon d’études, d’amour, de jeux, de vie. Au fond, il n’y a rien d’étonnant à tout ça. C’est juste qu’on pensait à autre chose. Les stages, le mémoire, nous surtout… Le vent est frais ce matin. Les arbres commencent à bourgeonner au soleil pâle de ce printemps débutant. Au fait, nous aussi on bourgeonne. Il devrait arriver fin octobre, début novembre. Et en septembre, je passerai les entretiens d’embauche, enceinte jusqu’aux yeux. Sûr que ça va aboutir. Quelle galère. Qu’est ce qu’ils ont tous à marcher si vite dans la rue ? S’ils ont un train à prendre, la gare, ce n’est pas par là. Je crois qu’un petit café me ferait du bien.
Il m’a bien plu, ce médecin. Discret, pas inquisiteur. « Et votre compagnon, il est au courant ? » Rien d’autre. Pas de « Qu’est ce que vous comptez faire ? ». Rien que les bonnes questions. Celles qui ont des réponses.
Encore un petit café. Ce n’est pas interdit dans mon état. Déjà, je ne fume pas. Je ne bois presque pas de vin… Arrête Lydie, tu commences à m’énerver. Tu n’es pas ma mère. D’abord, je fais comme j’ai envie. Et puis, je ne sens rien de particulier. Peut être les seins un peu tendus sous le tee shirt. Pas mal dans la glace du bistrot. Du côté du ventre, rien. Evidemment ça ne va pas durer. Adieu la taille de guêpe.
Tout de même, dans le registre des catastrophes, nous ne pouvions pas faire mieux. Dans un an ou deux, pourquoi pas. Mais maintenant…
Au début, on utilisait les préservatifs. Et on s’est dit que je pourrais prendre la pilule. Oui, mais entre dire et faire, le temps a passé. Et crac. C’est bien fait pour nous. On a été trop cons.
Pour nous les choses étaient simples. Le diplôme en poche, on cherche un job. Celui des deux qui a les meilleures perspectives de travail entraîne l’autre. Et vive la vie. Et maintenant. Bobonne à la maison, les couches, les biberons, le ménage, la cuisine. Merde alors.
«– C’est décidé. Je ne veux pas le garder. Cet enfant, je ne le veux pas. Il s’est imposé à moi sans me demander mon avis. Je ne suis pas du tout prête à faire un bébé. Je suis bien trop jeune.
– Mais nous n’en avons pas parlé encore…
– Et nous faisons quoi en ce moment ?
– Nous ne parlons pas. Tu me dis ta décision. J’imagine que tu as beaucoup réfléchi à tout ça. Mais figure toi que moi aussi, je ne fais qu’y penser…
– J’ai 23 ans. J’ai bossé comme une malade pour décrocher ce diplôme. Et maintenant que je n’ai plus qu’à tendre la main, je vais faire carrière dans les biberons et les casseroles ! Pas question.
– Tendre la main ! Je te rappelle que tu as un mémoire de 150 pages à pondre.
– Pondre ! Essaie de trouver un autre mot.
– Excuse moi. C’est parti tout seul. Je n’ai aucune envie d’être drôle. Nous sommes au début de notre vie ensemble. Jamais nous n’avons véritablement parlé de l’avenir, de notre vie ensemble justement. Nous n’avons jamais évoqué l’idée de faire une famille, d’avoir des enfants…
– Mais nous étions étudiants. Etudiant, c’est ce qui vient juste après lycéen.
– Et un petit peu avant, c’était bébé. Justement, pour le coup, bébé il y a. Ou il va bientôt y avoir.
– Si on veut. Seulement si on veut… Si je veux.
– Minute ! J’ai tout de même mon mot à dire.
– A dire, oui. Mais c’est moi qui fais… ou qui ne fais pas.
Ce fœtus n’a même pas un mois. Ca ne me plaît pas trop, mais si nous décidons vite…
– En somme tu me mets le couteau sous la gorge. J’ai besoin de réfléchir, de réfléchir à la vie que nous avons envie de faire. Lydie, il faut qu’on parle encore. Directrice administrative et financière de la société Machin, c’est une belle carte de visite, d’accord. Mais être heureux, heureux ensemble, ça ne serait pas mal non plus. Tu ne crois pas ?
– Oui, mais le bonheur pour moi, c’est aussi être quelqu’un. Pas la femme d’untel, pas la mère de chose et truc. Déjà que je suis la fille de mon père…
– Les parents, parlons en. Qu’est ce qu’on va leur dire ?
– Mais rien. Rien du tout. Ils ne sont pas concernés.
D’ailleurs, tu es le premier à râler quand ils nous demandent pour quand est le mariage. Alors…
– Tu as sans doute raison. Pardonne-moi. Je suis un peu perdu. Il nous arrive un drôle de truc quand même. Je n’arrive pas à y croire…
– Tu ne savais pas que c’est comme ça qu’on fait les bébés ! Un peu normal tout de même que ça arrive, tu ne trouves pas ?
– Moque toi de moi, maintenant si tu veux. Depuis le début, tu décides toujours de tout. Et moi, brave pomme, je suis le mouvement. Je n’ai jamais voix au chapitre. L’appartement, c’est toi qui l’as choisi…
– Dis moi que tu n’étais pas d’accord. Tu n’arrêtais pas de me dire que tu voulais être avec moi. Et rappelle-toi comme tu étais content qu’on ait trouvé ce petit nid.
– Et pourquoi tu n’as pas pris la pilule ?
– Et voilà, c’est de ma faute. Je n’avais qu’à prendre la pilule. Et pour les hommes, il n’y a pas une pilule qu’ils pourraient prendre ? Là, j’en ai marre, marre, marre.
– Tu as raison. De toute façon, maintenant, c’est trop tard. Tiens, je vais me servir un whisky. J’espère que ça va me calmer.
– Il n’y a pas un truc à boire pour moi aussi ? J’ai besoin de quelque chose qui me fasse du bien.
– Choisis toi-même. D’habitude, tu n’aimes pas les apéritifs.
– Je boirais bien un verre de vin, peut être même deux.
– Du vin ? On n’en a pas. Si tu veux je vais en acheter une bouteille.
– C’est ça. Va acheter une bouteille ».
La décision est prise. Ce bébé, nous ne le garderons pas. Ca a été dur et difficile. Nous avons parlé, parlé et parlé toute la nuit. J’ai vraiment compris combien Lydie était essentielle dans ma vie, combien j’avais besoin d’elle.
Hier encore, nous étions deux gamins qui se laissaient porter par les évènements sans penser à rien d’autre que le plaisir d’être ensemble. En fait, j’étais bien plus gamin qu’elle. Pour moi tout était facile comme dans un rêve. Le plaisir de jouer, d’apprendre, comprendre, courir, boire et manger, faire l’amour… Juste être ensemble. Comme la vie était simple et limpide. Mais voilà, vivre, c’est aussi écrire une histoire, notre histoire. Et envisager notre avenir. C’est évident désormais, un jour, nous aurons un enfant. Mais pas maintenant. Je l’ai découvert cette nuit. Lydie le savait déjà. La preuve, elle a sorti de son sac les coordonnées du Planning Familial et la date du rendez vous.
Je m’occuperai de tout. Je serai là à ses côtés. A partir de maintenant nous ne serons plus ensemble comme avant. Il faut que je trouve quelque chose pour marquer l’évènement. Pourquoi pas une petite bouffe ? D’abord, réfléchir au menu. Un repas léger, mais un repas d’exception. Peut être un plateau de fruits de mer avec une bonne bouteille, un blanc de Provence, sec et fruité à la fois. Ou alors des queues de langoustes et un foie gras et du Champagne. Non. Ce serait un repas de fête. Aujourd’hui, ce n’est pas la fête, c’est juste un jour pas comme les autres.
Aujourd’hui, je sais que Lydie est la femme que j’aime. Aujourd’hui, nous célébrons le commencement de notre couple. C’est aussi la fin d’une petite vie facile et sans souci qui ne demandait qu’à continuer. Goethe, je crois que c’est lui, a écrit quelque chose qui ressemble à ça : « Sterb und werde. Meurs et deviens ». Papa, maman ! Enfin j’existe. Je ne suis plus le petit garçon qui va faire son jogging au Parc après l’école. Je suis un homme. L’homme de Lydie.
Ce sera plateau de fruits de mer, avec beaucoup d’huîtres. Et j’irai faire un tour chez le caviste avant de passer à la pharmacie.