Murs - Jacques Vazeille - E-Book

Murs E-Book

Jacques Vazeille

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Beschreibung

Vies de château... Mais dans ce château, ni prince ni princesse. Pas de fantômes non plus. Ceux qui sont là sont bien vivants. Il y a toujours quelqu'un près de la porte, qui attend le visiteur. Il ne le regardera pas, ne lui dira pas bonjour. Pas avant qu'il ne se soit éloigné dans le couloir en tout cas. D'abord sidéré, celui-ci, crispé et inquiet, a déjà compris qu'il est entré dans un monde dont il ignore tous les codes. Ce monde, c'est le monde de l'autisme. Avec ses histoires, ses romans, l'auteur vous invite à en découvrir toute l'étrangeté et toute la richesse. Entrez dans le château. MURS - À la rencontre d'un jeune autiste C'est l'histoire d'une rencontre improbable entre un jeune homme autiste et une gamine pas autiste du tout. Ils se regardent. Ils se parlent. Que voient-ils ? Que comprennent-ils ? Et si la rencontre de l'autre n'était que l'apprentissage de soi-même, le meilleur moyen de faire tomber les murs qui cloisonnent nos certitudes ? Un autre roman, du même auteur, parle du même monde. Son titre : L'ALBUM DE CASSANDRE.

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Seitenzahl: 176

Veröffentlichungsjahr: 2019

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« À tous ces professionnels qui, attentifs, dévoués, inventifs, accompagnent au quotidien ces personnes autistes désarmées et étrangères à notre monde. Admiration et respect. »

C’est une histoire.

Aucun personnage

Dedans,

De cette histoire

Il y a du vrai,

N’existe

Il y a du faux.

Ou n’a existé.

Ce n’est

Ils sont tous réels.

Que du vécu.

Table des matières

MINE

SAMSON

CHEZ MOI

C’EST DIMANCHE

MON MUR

J’AI RENCONTRÉ UN AUTISTE

TU ES DEVENUE FOLLE, MA FILLE

MON PÈRE

LA MERDASSE

MAMAN

J’AI FAIT QUELQUE CHOSE…

DOUZE ANS PLUS TARD

MINE

Aujourd’hui, il n’y a pas classe. Ou plutôt, les profs font la grève. Pas tous, mais beaucoup. Je n’ai pas eu de mal à obtenir l’autorisation de rester à la maison.

« Je ne vois pas l’intérêt de traîner toute la journée dans la cour et dans la salle d’études avec les garçons chahuteurs. Je serai bien mieux ici. Et, en plus, je ferai le ménage. »

Presque trop facile : traîner, garçons chahuteurs ; et hop, l’affaire est dans le sac. Je n’aurais pas dû parler du ménage.

Je ne sais pas ce qui m’a pris de vouloir rester là. En plus, c’est sûr, on aurait bien rigolé. En fait, je ne le savais pas vraiment, je voulais commencer mon cahier. Ce cahier, c’est le vieux qui me l’a offert l’autre Noël. Un cahier avec un cadenas et une clé. C’est écrit dessus, c’est pour les secrets. Tu parles. À Noël dernier, le vieux a offert le même à Line, ma petite sœur. J’ai essayé. Ma clé ouvre son cadenas. Alors, les secrets, bonjour… Ce cahier, je l’avais oublié au fond de mon tiroir. C’est quand j’ai vu le cahier de Line sur son bureau que j’y ai pensé. Elle avait écrit des trucs dedans. Ses copines, celles qu’elle ne quittera jamais, avec lesquelles elle ne se disputera jamais. Son amoureux, enfin, celui qu’elle aime et qui joue au foot avec les autres sans se douter de rien. Sa maîtresse qui sait tant de choses sur tout, même sur le village, son château, son église, alors qu’elle n’est même pas née chez nous. Je l’aimais bien moi aussi cette maîtresse… Enfin, rien que des trucs de gamine.

Bon, c’est décidé, aujourd’hui, je commence mon cahier.

J’ai eu douze ans le mois dernier et je m’appelle Mine. Enfin, tout le monde m’appelle comme ça depuis toujours. Même les profs au collège. Mon vrai nom, c’est Marianne. Marianne Besnard, comme maman. Je suis allée vérifier dans les papiers qu’elle garde dans le tiroir de sa table de nuit : Marianne, fille de Jocelyne Besnard et de… père inconnu. La bonne blague. Elle n’aurait pas connu mon père… Ce qui est sûr, c’est que moi, je ne le connais pas. Avant, elle me disait qu’il était mort. Maintenant, elle ne me dit plus rien. Quand je pose une question, ses lèvres se pincent, ses yeux deviennent plus petits, son front se plisse et elle se met à faire la vaisselle ou à préparer la bouffe du chat. Et elle trouve un truc à me reprocher. On dirait qu’elle m’en veut d’avoir un père inconnu sur mon extrait de naissance. Ce n’est tout de même pas de ma faute si c’est marqué.

À vrai dire, ça ne me gêne pas trop dans ma vie. Quand je suis arrivée au collège, j’ai écrit sur la petite fiche, à la ligne père : « Décédé ». Et personne ne m’a jamais parlé de rien, sans doute parce que je suis plutôt une bonne élève. Enfin, j’aime bien apprendre, et les profs me fichent la paix. Au village, je suis Mine, la fille de Joss, et il ne viendrait à personne l’idée de me parler de mon père ni même de mes parents comme parfois au collège. Et, dans ces cas-là, il suffit de faire celle qui n’a pas fait attention et la vie continue.

C’est marrant ce mot : décédé. Il n’a pas l’air d’un vrai mot. On dirait qu’il a été inventé de toutes pièces pour parler d’autre chose. L’année prochaine, j’écrirai : DCD… Sûr, jamais je n’écrirai : mort. Ils me poseraient plein de questions et je ne saurais pas quoi répondre.

Dans ma vie, j’ai un ami depuis toujours. Il s’appelle Zeus. C’est mon chat. Enfin, il n’a pas toujours été à moi. Et il ne s’est pas toujours appelé comme ça. Avant, on l’appelait « le chat ». Il était tout le temps sur le rebord de la fenêtre quand nous étions à table. Il prenait des poses, comme le sphinx d’Égypte dans mon livre d’histoire, ou comme une espèce de gros hibou roux et poilu sorti d’un dessin animé. Il ne nous quittait pas de ses yeux verts qui transperçaient mon regard. Je voyais bien qu’il savait tout ce que je pensais. C’était le compagnon de mademoiselle Blandine, la vieille dame qui tenait l’épicerie à côté de chez nous. Pour être vieille, elle était vieille. Au moins quatre-vingts ans. Sauf pendant la messe, le dimanche, et les enterrements un peu n’importe quand, sa boutique était toujours ouverte. Avec sa blouse blanche en nylon pour faire moderne, elle se tenait des jours entiers derrière la porte vitrée, regardant la rue, les mains dans le dos. Ce qu’elle devait s’ennuyer ! Le chat était là, couché sur une chaise. Ils ne se parlaient jamais. Quand venait le soir, elle entrouvrait la porte, et le chat, pas bête, venait nous regarder avec ses grands yeux verts, bien installé sur le rebord de la fenêtre, alors que nous étions devant notre assiette. Il y avait toujours une croûte de fromage pour lui. Mademoiselle Blandine mangeait et dormait au fond de sa boutique. C’était pratique. Même le dimanche soir, maman m’envoyait chercher une boîte de concentré de tomates. Elle était toujours là pour la clientèle.

Un jour, mademoiselle Blandine n’a pas ouvert son magasin. Vers midi, le garde champêtre, qui est aussi l’adjoint au maire, est passé par le jardin, derrière la maison. Il a ouvert la porte au docteur avec sa sacoche. Deux jours plus tard, mademoiselle Blandine assistait avec tout le village à son enterrement.

Le soir, le chat, fidèle à ses habitudes, était là. Et tous les jours qui ont suivi… C’était le plus beau et le plus gros chat du village. Toutes les minettes devaient être folles de lui. Il s’en fichait pas mal. Tout ce qui l’intéressait, c’était dormir au soleil et parader, nonchalant et royal, dans les ruelles et les jardins. Tout petit, mademoiselle Blandine l’a emmené chez le vétérinaire. C’est comme ça qu’il est devenu le plus beau et le plus gros chat du village. Mais il n’a jamais servi à rien. Ce n’est pas de chance d’être tombé sur une vieille fille.

Il aimait bien aussi nous regarder par la fenêtre quand nous étions à table, maman, Line et moi. Ce qu’il aimait surtout, c’était ce que nous laissions dans nos assiettes. À la fin du repas, je rassemblais les restes et les posais sur le rebord de la fenêtre. D’abord, il faisait semblant de penser à autre chose. Et puis, tranquille, il raclait méthodiquement tout ce qui pouvait se manger. À la fin de son repas, on aurait pu ranger l’assiette dans le placard.

Après son repas, il restait là, prenant des poses, faisant des mines. Il ne me quittait pas de ses grands yeux verts. Nous avons commencé à devenir amis. Avant, je ne lui parlais pas. Il n’avait pas besoin d’avoir un nom. Un soir, dans ma tête, le chat est devenu Zeus. Je l’ai appelé comme ça, et ça lui a plu. Maintenant qu’il a un nom, il est encore plus beau et plus fier. Tous les soirs, il vient me voir et je lui raconte les histoires du jour. Les miennes, bien sûr ; mais aussi les aventures des chats du village. Je vois bien qu’il s’en passe des choses…

Tiens, parlons un peu d’Emma. Emma, c’est une petite chatte squelettique noire et blanche avec un peu de roux entre les oreilles et sur le cou. Elle tourne toujours dans le coin. Tu sais pourquoi, Zeus ? Ce n’est pas grâce à toi, bien entendu, mais au moins deux fois par an elle a le gros ventre. En général, elle accouche dans la remise. On s’en doute quand on ne la voit plus rôder. C’est le vieux qui la trouve et, à chaque fois, il s’occupe des bébés. Cela ne l’empêche pas de recommencer. Et Zeus, ce gros imbécile, il est toujours aussi content de lui. Emma n’est la chatte de personne, même si, je le vois bien, elle rêve de se marier avec Zeus. Jamais personne ne lui donne à manger. D’abord, elle ne laisse jamais un humain s’approcher d’elle. Plusieurs fois j’ai essayé. Même avec une croûte de fromage dans la main, elle reste au moins à deux mètres. Ce qui ne l’empêche pas de se servir toute seule dès que j’ai tourné le dos. Elle est plutôt affamée, mais elle se méfie trop des humains. Quand on voit comment le vieux traite ses bébés, au fond, elle n’a pas tort.

SAMSON

C’est un jour un peu comme les autres. Je ne préfère pas quand c’est différent. Mon nom est Samson. Depuis toujours on m’appelle comme ça. Aujourd’hui, Samson est en pyjama dans le couloir. Un grand couloir avec une porte au bout et des portes un peu partout. Ma chambre, c’est la troisième porte après le commencement du couloir. La quatrième, c’est le bureau des infirmières. Ce matin, je n’ai pas été sage. J’avais mal quelque part. J’ai cassé un truc. Si tu casses un truc, tu restes en pyjama. Mon pantalon est bleu. Comme mon pyjama. En général, le pantalon, c’est pour aller dehors. Dehors, il n’y a rien pour moi. Bon an mal an, cela va faire environ deux lustres que j’habite dans le couloir, dans ma chambre, dans le bureau des infirmières aussi. Lustre. J’ai trouvé ce mot il y a longtemps dans Le Petit Robert Illustré. Un lustre, ça fait cinq bougies. Quand les infirmières trouvent que j’ai été assez sage, j’ai le droit d’aller au club. Le club, c’est une pièce avec la télévision, des fauteuils, des tables et des chaises, et des livres sur des étagères. Les autres regardent la télé, jouent aux cartes ou aux échecs. Comment peut-on gagner aux échecs, réussir aux échecs ? Je ne comprends pas. Ce qui m’intéresse au club, ce sont les dictionnaires. Je suis le seul à les lire. C’est bien pratique. Et « bon an mal an », ma grand-mère le disait toujours. Je n’ai jamais su ce qu’elle voulait dire avec ça. Et puis, un jour, elle est partie à la maison de retraite. Je ne l’ai jamais revue. Quand je peux, je dis moi aussi « bon an mal an ». Donc, bon an mal an, je suis ici

depuis presque deux lustres. C’est aujourd’hui le 3 027e jour que je passe à l’hôpital. Avant, j’étais chez mon père. Et puis ma mère est revenue. Dans le bureau des infirmières, il y a toujours quelqu’un. Laurence, Géraldine, Marie-Jo, Christelle. Parfois, c’est Gérard ou Thomas. La chef des infirmières, c’est le docteur. On la voit de temps en temps. Quand elle est là, le bureau des infirmières est plein d’infirmières. Je ne peux pas rester, même pour boire un café. Elles disent que c’est la réunion. Des fois, j’ai mal quelque part. Il faut alors que je casse quelque chose. Le matin au réveil surtout. C’est dur, c’est chaud, c’est tendu en bas de mon ventre. Le sexe. Des fois, c’est comme si ça faisait mal. Alors, je casse. Je crie aussi. Le plus fort que je peux. C’est un peu la même chose. Ce matin, les infirmières sont venues dans ma chambre. Il y avait aussi Gérard. Ça a crié. Ça a cogné aussi. Et, maintenant, je suis en pyjama dans le couloir. Aujourd’hui, c’est le 17 février 2002. Un mercredi. Il est 10 h 27. Le docteur et les infirmières m’ont dit que je ne pouvais pas rester là tout le temps. Elles veulent que j’habite ailleurs. Elles ont demandé une place pour moi au Château. Ce n’est pas la première fois qu’elles veulent que je quitte ma chambre et le couloir. Un jour, je suis parti dans un foyer pour adultes, le Volcan. Ma chambre là-bas était différente. Le couloir aussi. Il n’y avait pas de bureau des infirmières. Il y avait une grande salle à manger avec la télévision. Le deuxième jour, je crois, j’ai eu mal quelque part. J’ai cassé la télévision et d’autres choses. Ils m’ont renvoyé ici, dans ma chambre et mon couloir. Une autre fois, elles ont voulu que je parte à la Masse1. Et puis dans une autre Masse. Je suis toujours revenu.

Aujourd’hui, mercredi 17 février 2002, c’est veau et carottes à midi, et crème au chocolat au dessert. Exceptés les dimanches et les jours fériés, c’est le même repas tous les onze jours. Les infirmières m’ont dit qu’après le repas, à 14 h 00, des gens du Château viendraient parler de moi avec le docteur et les infirmières. Elles n’ont pas voulu me dire quand j’irai au Château. Elles ont juste dit que, là-bas, il faudra que je sois sage. Je ne sais pas pourquoi elles ont dit ça. Il est 13 h 11. J’ai le temps de boire un café dans le bureau des infirmières. C’est le meilleur endroit pour voir arriver les gens du Château. À 13 h 54, ils sont là. Un vieux monsieur avec son cartable et deux dames. L’une a les cheveux noirs, l’autre a les cheveux marron. Une infirmière les emmène dans la salle derrière la porte au fond du couloir. Le temps passe. À 14 h 07, le docteur apparaît, accompagnée de l’assistante sociale. Celle-là, on ne la voit presque jamais. C’est le signe que quelque chose va se passer. Suivies de Christelle et Gérard, elles se dirigent vers la salle au fond du couloir. Je ne comprends pas tout ce qui se dit autour de moi, mais j’entends très bien. Si je veux, j’enregistre tout ce que j’entends. Et ça parle dans la salle du fond du couloir. Je ne sais pas pourquoi je dis tout ça. Je parle dans la machine. Un petit appareil, un dictaphone. C’est Ariane qui me l’a confié. Ariane, c’est l’interne. À l’hôpital, les internes sont les personnes qui deviendront docteurs. Et les externes sont les personnes qui deviendront internes. Un jour, Ariane est venue me voir dans ma chambre avec cette petite machine. Elle m’a expliqué qu’elle allait faire sa thèse et que cette thèse parlerait de moi. Pour pouvoir parler de moi, elle a besoin que je parle dans la machine. C’est simple. Je dois appuyer sur le bouton vert et je dis quelque chose. La machine écoute tout et enregistre tout. Chaque lundi, à 18 h 00, l’interne Ariane vient me voir dans ma chambre. Elle tripote les boutons de la machine en me parlant un peu. « Comment ça va ? Qu’as-tu fait aujourd’hui ? » Je la regarde en silence tripoter les boutons. On dirait qu’elle est contente. Elle me rend la machine et elle repart après m’avoir rappelé que je dois toujours garder la machine avec moi. Elle est bizarre Ariane. On dirait qu’elle ne sait pas que je peux fracasser sa machine contre le mur.

Le docteur : Je vous remercie d’être venus pour envisager avec nous le prochain départ de monsieur Samson (là, elle dit mon nom complet, mais ça ne sert à rien. On gardera juste Samson) dans votre établissement. Cela va faire bientôt plus de huit ans qu’il est arrivé dans notre service. Cette situation est intolérable, inadmissible. Il n’a jamais eu sa place chez nous. Ce n’est pas un malade mental comme ceux que nous accueillons tous les jours. C’est un autiste typique.

Le vieux monsieur : Sans doute, mais avec les énormes quantités de neuroleptiques qu’il reçoit chaque jour, la question du diagnostic passe au second plan…

Le docteur : Monsieur (là, elle dit le nom complet du vieux monsieur, mais c’est sans importance), vous mettez en doute mon diagnostic ? Je suis formelle, c’est un autiste de type Kanner. J’en ai vu suffisamment quand j’étais pédopsychiatre. C’est indiscutable. Et si vous pensez qu’il n’a pas besoin de son traitement, je vous souhaite bien du plaisir quand il sera chez vous.

Le vieux monsieur : Là n’est pas la question. D’abord, je suis médecin… pas entomologiste. Ce qui m’intéresse, c’est de soigner les gens, pas de les classer, avec une étiquette à la boutonnière… ou au gros orteil. Ensuite, je vous fais seulement remarquer qu’il y a une différence de taille entre une personne autiste type Kanner ou quelque chose comme ça et une personne autiste avec plus d’un gramme par jour de neuroleptiques divers et variés. Chacun sait que les neuroleptiques modifient profondément la perception du monde, interne comme externe, chez les autistes comme chez les schizophrènes. J’ignore comment vous êtes parvenus à des doses aussi phénoménales. J’espère que nous y réfléchirons un jour ensemble. Il est bien évident que ce serait pure folie de toucher à un tel traitement sans une observation attentive préalable.

Le docteur : L’objet de notre rencontre, c’est l’admission de Samson au Château. C’est de cette question que je veux parler.

La dame aux cheveux noirs : C’est en effet la raison de notre présence.

Et, compte tenu des échecs précédents, nous serons attentifs à ne pas commettre les mêmes erreurs.

Le docteur : Il n’y a eu aucune erreur. Tout simplement, les centres que nous avons sollicités n’ont pas tenu le coup. Si vous ne tenez pas le coup, ça fera un échec de plus. Nous tenons bien le coup nous autres, depuis huit ans. Ce n’est pas compliqué.

Le vieux monsieur : Les moyens d’un service hospitalier public n’ont rien de commun avec les moyens d’un foyer d’accueil. Ceci sur tous les plans : finances, matériel, personnel, surveillance médicale…

Le docteur : Les missions sont aussi différentes.

Le vieux monsieur : En l’occurrence, il s’agit là de tenir le coup, pour reprendre vos mots, en face d’un sujet à la destructivité irrépressible et compulsive, pour vous comme pour les autres.

Cheveux noirs : Voilà ce que nous vous proposons. Je vais venir dans votre service accompagnée de ma collègue (sans doute la dame aux cheveux marron), et nous allons faire connaissance avec monsieur Samson… (encore mon nom complet. Ça ne sert toujours à rien). Quand nous estimerons que c’est possible, il viendra un petit moment au Château comme vous dites. Une fois, deux fois… Ensuite, nous nous reverrons pour faire le point et nous déciderons de la suite.

Le docteur : Tout ça, c’est de la perte de temps. Vous devez l’admettre chez vous au plus vite et tenir le coup. Il n’y a pas d’autre manière de faire…

1 M.A.S. : Maison d’accueil spécialisée

CHEZ MOI

Le meilleur moment de la journée, c’est quand je suis de retour du collège et que Line est encore à l’étude ou au périscolaire comme ils disent. Maman n’est pas revenue de son travail. Seule, je suis seule. J’essaie de ne pas croiser le vieux et je monte direct dans ma chambre, tout en haut. Là, je m’installe sur le radiateur, près de la fenêtre, une jambe sur le rebord, l’autre qui pend. J’ai mon bol de lait et mes corn-flakes. Je les mange craquants et, avec une petite gorgée de lait, je les laisse doucement s’amollir dans ma bouche. C’est bon, et je regarde… En bas, c’est la cour, avec Zeus qui passe, royal, la queue en l’air et les autres chats qui le regardent en rigolant. Sauf Emma qui est amoureuse et qui rêve au soleil dans des poses de starlette. Tiens, le vieux qui ramène sa brouette au hangar et qui s’arrête à la cave. Combien d’arrêts aujourd’hui ? Sûrement pas mal. Il n’est pas cinq heures et il engueule déjà quelqu’un dans sa tête. Il faut convenir qu’il fait chaud et que nous avons tous soif.