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Pour être à l’abri, Cassy fuit sa famille et s’installe dans un coin isolé. Elle pense être un ange de la mort et imagine que cet exil évitera à son entourage d’en souffrir. Elle fait la connaissance d’Aïden, un grand brun ténébreux, et son univers déjà bien compliqué bascule. Cette rencontre est-elle le fruit d’un hasard dont seule la nature détient le secret ? Quelque temps après, il lui avoue que sa vie est en danger et l’invite à fuir avec lui. Seulement, comment se fier à ce parfait inconnu qui lui annonce qu’elle est la future dirigeante d’un autre monde et qu’il est sur Terre pour la protéger ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Passionnée de lecture en tout genre, Manon Haley décide de se lancer dans cette belle aventure qu’est l’écriture avec sa toute première saga urban fantasy. C’est ainsi qu’est né l’univers d’Hallasta éditée en 2021 sous quatre tomes. En juin 2022, le premier tome de sa dystopie Le monde des Cloathiens est publié suivi du second en févier 2023. Avec L’appel de la lumière qui est un one shot en fantasy, elle immerge dans un nouveau monde où la mort n’est pas une fin en soi.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
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Manon Haley
L’appel de la lumière
Roman
© Lys Bleu Éditions – Manon Haley
ISBN : 979-10-377-8702-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nous déambulons dans les rues de la ville, riant aux éclats. Elle est toujours si pleine de vie qu’il est impossible de ne pas être en forme quand je suis avec elle. Je tiens fermement sa petite main dans la mienne. Mon attention est soudainement attirée par un objet qui scintille dans une vitrine. Un fin collier en forme de goutte d’eau me tape dans l’œil. Je me penche pour mieux l’observer, alors que je sens sa paume s’échapper. Je me relève pour lui dire de ne pas s’éloigner, quand ma vision se brouille et qu’un hurlement déchirant s’échappe de ma gorge.
Je me réveille en sursaut, comme chaque nuit depuis des mois. Mes joues sont imbibées de larmes. Mon cœur affolé peine à ralentir son rythme. De la sueur coule le long de ma colonne vertébrale alors que je me suis redressée dans mon grand lit. Je soupire de frustration en essuyant mes sanglots avec mon drap encore baigné de transpiration. Quand est-ce que ce cauchemar va-t-il cesser de me hanter ? Même les médicaments du médecin ne suffisent plus pour m’aider à sommeiller une nuit complète. Je me lève, car malgré qu’il ne soit que trois heures du matin, je sais que je ne me rendormirai pas de sitôt.
J’entre dans la grande salle d’eau attenante à ma chambre. J’ai besoin d’une bonne douche fraîche avec cette chaleur écrasante. Je dois penser à faire réparer la climatisation de mon chalet. Je ne tiendrai pas tout l’été sous cette canicule accablante. Les moustiques rendent inenvisageable l’ouverture des fenêtres. Étant née à Little Rock en Arkansas, j’y suis pourtant habituée, mais je ne suis pas aussi bien équipée que nous l’étions dans notre magnifique manoir. La nostalgie me gagne à repenser à ma ville natale qui m’est si chère, à nos randonnées en famille à Pinnacle Montain dès que nous avions du temps. Je nous revois tous les six sur nos vélos à nous promener sur les sentiers de Two Rivers Park.
Je chasse ces idées de ma tête. Le passé appartient au passé. Je m’installe dans mon bureau et allume mon ordinateur. Autant utiliser à bon escient mon temps. Je me connecte au réseau local et ouvre ma boîte mail. J’ai beau avoir travaillé jusqu’à vingt-trois heures, mon chef a trouvé le moyen de répondre à mes courriels. Il semblerait que quelqu’un ait tenté de s’introduire sur nos serveurs, il y a une heure. Je suis surprise de ne pas avoir reçu d’alertes sur mon téléphone. C’est la deuxième fois en moins de deux semaines. J’attrape mon portable professionnel et constate qu’il est déchargé. Mon chef doit être en rogne d’être sans retour immédiat de ma part. D’autant plus que je n’ai pas de téléphone fixe dans cette maisonnette. C’était pourtant notre accord lorsque j’ai pris le poste. Je travaille de chez moi, mais je reste constamment joignable jour et nuit, même quand je suis en congé. Je suis responsable de la sécurité informatique d’une grosse société agroalimentaire basée à Montréal. Durant mon entretien, je lui ai expliqué ma situation particulière. Bien évidemment, j’ai dû mentir et prétendre fuir un ex-petit ami violent d’où la nécessité de vivre loin des grandes villes. Par chance, c’est un ancien camarade qui m’a pistonnée sur ce poste et quand j’ai commencé mes premières missions il a tout de suite été conquis par mon travail.
Quatre heures plus tard, je bâille et la fatigue me gagne de nouveau. Le soleil est déjà levé. Je me redresse et m’étire de tout mon long. Je souris en relisant une dernière fois l’email que je vais renvoyer à mon chef. Mon français est bien meilleur qu’à mon arrivée, mais je préfère prendre mon temps pour bien vérifier l’orthographe et la grammaire de mes conclusions. J’ai débarqué il y a neuf mois au Québec et mes connaissances dans cette langue se sont tout de même bien améliorées. Ma grand-mère maternelle a toujours pris plaisir à m’apprendre ce langage que j’affectionne tant. J’ai souvent rêvé d’aller découvrir la France, notamment le sud du pays dont elle est originaire. Elle a grandi à Marseille. Elle a rencontré mon grand-père durant ses études dans une société d’aéronautique à Little Rock. Il était son responsable de stage. Ce fut un réel coup de foudre. Pour rester à ses côtes, elle a décidé de s’installer seule dans ce pays qui lui était pourtant inconnu. Mes parents n’ont jamais pris le temps de nous emmener en voyage en France et je l’ai toujours regretté. Ma grand-mère a rapidement perdu tous ses proches et n’avait donc plus vraiment de raison de s’y rendre. Mais j’ai constaté qu’une certaine nostalgie la gagnait au fil des années.
Je m’aperçois alors qu’il manque la pièce jointe à mon courrier, signe que je suis fatiguée. Mon supérieur ne va pas être déçu. Je n’ai eu aucun mal à remonter la piste de notre fauteur de trouble. Je commence à me poser des questions à son sujet, car l’historique de sa vie, que j’ai retracé grâce à son numéro de sécurité sociale, est étrange. En tout cas, avec les renforts que j’ai ajoutés une nouvelle fois à notre système, il ne viendra plus fouiller dans nos archives. Je me demande pourquoi il s’intéressait tant à la liste du personnel. La photo montre un vieil homme d’une soixantaine d’années. J’ai reconstitué toute sa vie jusqu’à ses trente ans, ses anciennes adresses, la fréquentation de ses écoles, ses études, ses premiers emplois, puis plus rien, comme s’il avait disparu. J’ai tout noté dans le dossier. Mon responsable décidera s’il souhaite envoyer les informations à la police. Quant à moi, le sujet est clos, je suis prête à passer au suivant. En attendant, je peux retourner dormir. Au préalable, je rallume mon téléphone maintenant qu’il est assez rechargé pour que je puisse rester joignable.
J’ai l’esprit encore embrumé de sommeil. Il ne pouvait pas patienter un peu avant de me rappeler, grogné-je intérieurement.
Il est clair que ce n’est pas lui qui est concerné. Pour ma part, j’aurais été bien embêtée s’il m’avait trouvée. Je n’ai pas subi toute cette souffrance pour qu’un abruti me retrouve en s’amusant à récupérer les données du serveur de la société pour laquelle je travaille. D’un autre côté, est-ce que disparaître de cette façon était la solution ? Avais-je besoin de changer d’identité ? Je ne dois plus penser à cette histoire. J’ai décidé de reprendre ma vie à zéro, loin de tout et de tout le monde. Je dois juste me faire à l’idée que mon existence se résumera à vivre en solitaire.
Je sors sur la terrasse en bois pour plonger un peu dans le lac. J’attrape ma serviette posée en boule sur la chaise longue. La canicule bat son plein depuis déjà dix jours. Il fait plus de 33 °C alors qu’il est à peine 10 h du matin. J’essuie la sueur qui perle de mes tempes pour suivre les contours de mon visage. J’apprécie de pouvoir aller me revigorer dans l’eau bien fraîche à n’importe quel moment de la journée. D’ici la fin du mois de juillet, l’eau sera aussi chaude que celle de notre piscine à Little Rock. Je retire mon tee-shirt et mon short et plonge d’un mouvement souple pour m’enfoncer dans les profondeurs du lac. Je suis seule au monde et uniquement le bruit de l’eau me parvient aux oreilles ainsi que le froissement des ailes des oiseaux qui passent près de moi. Je nage pendant une vingtaine de minutes. Je savoure la quiétude des lieux. Je m’allonge sur le dos et ferme les yeux. Je me laisse bercer par les mouvements des vaguelettes que j’ai moi-même provoqués. Je bats légèrement des bras pour ne pas couler. Je respire l’air frais et cette odeur bien spécifique qui caractérisent ce lac, et ses algues.
Après m’être séchée, je me badigeonne de crème solaire et me pose sur le ponton. Je profite encore de cette pause avant d’entamer le prochain projet qui m’attend. Je regarde l’autre maison qui s’étend au loin, seul logement à des kilomètres à la ronde. L’agent immobilier m’a assuré qu’elle n’était pas habitée. J’ai pourtant l’impression d’y avoir discerné de la lumière hier soir. Je ne suis pas sûre, car elle est tout de même sur la rive d’en face à plus de deux kilomètres de la mienne. Je chasse cette idée de mon esprit et repose ma tête au sol. Qu’est-ce que cela changerait de toute façon ? Je ne serais pas plus en danger si je n’étais plus seule.
Déjà une heure que je me dore au soleil, je réalise qu’il est temps pour moi de me remettre à la tâche. J’entre dans la cuisine et ouvre le placard dans l’espoir de trouver un biscuit à grignoter. Ce dernier, hormis de m’offrir des céréales datant de mon arrivée et une boîte de conserve d’une soupe douteuse, est complètement vide. Mon ventre crie famine, je n’ai pas pris de petit-déjeuner et je commence à le ressentir. Je me dirige alors vers le réfrigérateur sans plus d’espoir. Là encore, excepté une vieille bouteille de lait et un morceau de beurre, il n’y a rien à manger. Je vais devoir me contenter d’un café pour le moment et j’irai faire les courses en début d’après-midi. Je dois me bouger les fesses. Les trente kilomètres qui me séparent de la prochaine ville ne seront pas si longs à effectuer. Je vais en profiter pour remplir un charriot complet. Ma tasse fumante à la main, je m’installe derrière mon écran. Je parcours mes emails des yeux avant de m’attarder sur celui de mon chef qui date de moins d’une heure. Il souhaite que je planche sur un nouveau système informatique qu’une société vient de lui présenter pour protéger notre réseau. Il veut mon avis et savoir si je pouvais le modifier par la suite et l’améliorer en cas de besoin. Je lui réponds que je vais dans un premier temps me renseigner sur eux avant de découvrir l’offre qu’ils nous proposent. Celui que nous utilisons n’est pas des plus fiables, je dois le reconnaître et je dois constamment lui apporter des correctifs, ce que j’ai encore dû faire cette nuit.
N’ayant rien de vraiment urgent, je prends mes clés de voiture et file sur les routes désertes de la campagne québécoise, vers la ville la plus proche à Forestville. Je mets la radio à fond et chante sur un refrain de musique country. Le problème d’être si loin de tout, c’est que je ne capte que des émissions un peu vieillottes pour rester polie. Je suis encore étonnée que mon opérateur téléphonique ait trouvé une solution pour que je puisse avoir accès à internet. Après quarante-cinq minutes de trajet, je me gare enfin sur le parking de la supérette. Je me rue sur les gâteaux sucrés en tout genre. Sans ma dose de glucose par jour, je perds en énergie. Bon, d’accord j’exagère, j’adore tout simplement tout ce qui contient du sucre. Au moment où je m’apprête à tourner dans l’allée des produits frais, je percute un jeune homme brutalement. Le pauvre se prend mon charriot dans la hanche. Je me sens si bête.
Quand je croise son regard, mon cœur s’emballe. Ce type est à tomber. Il a des yeux noisette pétillants de vie, des cheveux noirs qui lui descendent un peu trop bas sur le front, une mâchoire carrée et une légère barbe de trois jours qui le rendent extrêmement sexy. Il est immense et son tee-shirt moulant laisse deviner une musculature entretenue. Ce n’est pas qu’il ressemble à tous ces superbes acteurs de cinéma, dont toutes les midinettes sont raides dingues, non, mais il a juste un charme et un magnétisme incroyables. Bon d’accord, il a également un corps de rêve, je dois l’admettre. Je remarque alors qu’il est plus vieux que je l’imaginais aux premiers abords. Il a la trentaine bien tassée, je pense. Qu’est-ce qu’un homme comme lui fabrique dans une ville aussi perdue ? Je dois me secouer sinon il va me prendre pour une folle à le reluquer de cette façon. Mes hormones sont soudainement en ébullition.
Je sais que mon français est bien meilleur qu’auparavant et que mon accent américain a presque disparu. Comment a-t-il réussi à deviner que je ne venais pas d’ici ? Est-ce que je deviens complètement paranoïaque ? Je suis ridicule.
Même si ma nature me protège de la chaleur, je sens tout de même quelque peu les effets de ces fortes températures. Je sors sur le balcon avec mon café à la main. Pas le meilleur des remèdes avec ce temps, mais d’un autre côté, c’est la seule boisson que je tolère. L’eau de ce monde est imbuvable. Je ne me lasse pas de la vue sur cet océan d’eau presque sans fin. La maison que je loue pour cette nouvelle mission est un chalet isolé au bord d’un grand lac. Le jardin donne accès à un petit ponton qui me permet de me rafraîchir dès que je suis de retour le soir. Je n’ai pas encore trouvé ma cible. Je n’ai que son nom Cassidy. Mon maître me l’a donné avant de partir en me disant qu’il m’enverrait les détails par email ou par intercommunication par la suite et m’a indiqué dans quelle zone je devais loger. J’espère toujours avoir de ses nouvelles. Je ne sais même pas s’il s’agit d’une adulte ou d’une enfant. En attendant, je passe mon temps à parcourir les alentours afin de bien connaître les lieux. J’ai bien sympathisé avec l’un des autochtones du coin, un certain Diego. En réalité, il est mon voisin et il est d’origine portugaise. Il est venu s’installer au Québec il y a déjà plusieurs années. Il habite l’une des rares maisons près du lac. Il loge sur une petite île au milieu de cette étendue d’eau, mais plus au nord. J’ai remarqué aussi qu’il y avait de la lumière dans le chalet face au mien à plus d’un kilomètre. Les personnes qui y vivent sont très discrètes, je ne les entends jamais. Je me demande pourquoi mon maître m’a envoyé dans un endroit si isolé.
Je m’échauffe avant d’effectuer ma course qui va bien durer deux bonnes heures. Je vais en profiter pour effectuer un tour du côté de la rive est, histoire de dire bonjour à mes voisins. Si j’avais découvert leur existence plus tôt, je me serais attardé de ce côté bien avant. Je ne suis là que depuis un mois et j’ai besoin de connaître tous mes potentiels adversaires. Ensuite, j’irai piquer un plongeon chez Diego, afin de lui demander s’il serait partant pour une partie de pêche. J’apprécie de revenir régulièrement sur Terre et de revivre les joyeuses réminiscences de mon ancienne vie. J’avais beau y exercer un métier stressant et prenant, j’aimais ma vie telle qu’elle était. La pêche me permettait de me relaxer avec mon père quand j’en avais le temps. Cette vie me semble si loin de celle que je mène aujourd’hui, même si elle n’est pas si différente. Je continue de protéger les gens, tout comme je le faisais en tant que flic. Je suis l’une des rares âmes de notre monde à me souvenir de mon existence antérieure, c’est certainement ce qui m’a permis d’être un Skyddande. Cette fonction me permet de passer d’une planète à une autre en reprenant ma forme humaine. J’effectue des missions au gré des demandes des chefs des différents royaumes, mais je travaille plus particulièrement pour Arius. Il dirige tous ceux d’Aötröm, la planète sur laquelle je vis désormais.
J’enfile des habits adaptés et me lance dans une course tranquille à travers les bois qui longent le lac. À mon retour, il m’a fallu de nombreuses années pour maîtriser ma vitesse. Maintenant, mon rythme est rapide, mais peut paraître encore normal pour un grand sportif. J’arrive en quelques foulées devant la petite chaumière. Elle ressemble fortement à la mienne en mieux entretenue et un brin plus féminin. Il n’y a qu’à voir ces rideaux blancs et roses aux fenêtres, les innombrables plantes sur le porche et la balancelle à la couleur parme. Une voiture est garée en face de la maison. Je m’approche et grimpe les quelques marches qui mènent à l’entrée. Je frappe à plusieurs reprises avant que la porte ne s’ouvre, à ma grande surprise, sur l’inconnue du supermarché de cet après-midi.
Elle semble soudainement méfiante.
Elle n’aime manifestement pas que l’on envahisse son espace personnel. Elle semblait plus chaleureuse dans la boutique.
Ses yeux vert clair lancent des éclairs de colère. J’essaie de lui exposer mon plus beau sourire pour la détendre un peu.
Elle ne me semble pas être une menace, mais une simple voisine qui cherche la tranquillité. Je décide de ne pas accaparer plus son temps. Je l’ai assez perturbée comme ça. Je reste un peu perplexe devant autant de méfiance et d’une telle animosité. Que lui est-il arrivé pour qu’elle soit si craintive ?
Je remets mon casque dans mes oreilles et rebrousse chemin.
Une fois chez moi, j’enlève mes fringues trempées de sueur pour ne garder que mon caleçon. Je me jette directement dans le lac. Je fais quelques brasses avant de partir en crawl en direction de l’îlot. Mon corps musclé et ma condition non humaine me permettent de glisser rapidement sur l’eau afin d’atteindre ma cible en moins d’une quinzaine de minutes. J’use de mes dons pour ne pas m’exploser les pieds sur les fonds rocailleux en arrivant près du bord. Le ponton se trouve de l’autre côté de l’île. Je me secoue un peu, et utilise mon énergie pour me sécher. Je récupère des habits que j’avais caché dans un sac plastique dissimulé entre deux gros rochers que je connais désormais par cœur. Je pourrais également user de mes dons pour me mettre des vêtements, mais je préfère rester dans la discrétion.
Je n’en reviens pas des journées caniculaires qui se succèdent les unes après les autres. Mon corps se recouvre, pour la seconde fois, en quelques minutes, d’un léger voile de transpiration, chose qui ne m’était jamais arrivée par le passé. Nous devons atteindre une nouvelle fois les 46 degrés Celsius aujourd’hui. Cette planète se dérègle, je vais devoir en informer mon maître. Si Diego accepte mon invitation pour aller pêcher, nous allons devoir encore attendre quelques heures avant de pouvoir nous y rendre à la fraîche. Son organisme ne supportera pas de rester sous cette chaleur écrasante. Je frappe fortement à sa porte en entendant le volume sonore de sa platine. La musique latino doit résonner dans toute sa vaste bâtisse. Il me faut un peu d’insistance pour qu’il vienne enfin ouvrir. Sous ses airs de tombeur avec son look de surfeur, ce type est d’une gentillesse incroyable à l’âme pure. Il est toujours de bonne humeur. J’apprécie sa compagnie et sa culture nous permet de débattre sur des sujets qui intéressent peu de gens. Je suis un grand fan de sciences médicales et adore parler de découvertes novatrices réalisées sur des maladies considérées jusqu’ici incurables. Le corps humain me fascine et je suis content d’avoir un ami féru lui aussi de tout ce qui a trait à la science que ce soit sur le domaine médical que sur les nouvelles technologies en général.
Je finis par ouvrir la porte qui n’est pas fermée à clé. Je crie le nom de mon camarade pour essayer de couvrir le son de sa musique. Il m’enjoint de venir dans la cuisine. Je traverse son grand salon baigné de lumière qui me replonge dans les années quatre-vingt, période à laquelle je suis décédé. Il a récupéré d’anciens meubles qui ne sont pas assortis les uns aux autres pour remplir l’espace. Même si tout y est désordonné, la pièce est cosy et sent bon le vieux cuir. J’affectionne beaucoup les instants passés dans cette pièce le soir à boire un whisky avant de rentrer me coucher dans mon lit à baldaquin qui pourrait très bien convenir à une fillette de dix ans. Je ne sais pas qui a décoré la mienne, mais toutes les chambres ont un côté enfantin avec de vieilles tapisseries à fleurs sur les murs et des couvre-lits en laine rose. L’intérieur et l’extérieur de mon chalet sont diamétralement opposés, c’est vraiment très étrange. Le seul avantage de cette baraque est son emplacement isolé qui me permet d’utiliser mes pouvoirs à ma guise pour tenter de localiser cette Cassidy en attendant de recevoir plus d’informations de la part de l’ancien. Pour Diego, je suis un écrivain en manque d’inspiration qui se prend une retraite dans un coin tranquille et bucolique.
Je lui décoche un sourire de triomphe.
Diego, même s’il s’intéresse à tout, est en réalité entomologiste. Il a repris ses études sur un coup de tête après un tour du monde. Le voilà à trente-cinq ans à finir une thèse sur la recherche de l’habitat naturel des cicindèles des galets, un insecte très rare dans la région.
Je ressens son aura vibrer de bienveillance.
En réalité, je ne me suis même pas posé la question. Je hausse les épaules avant de répondre.
Je souris, parce que je connais déjà les penchants de Diego pour les hommes. Il a été honnête dès le début pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre nous. Je l’en ai remercié, car je me doute à quel point cela n’a pas dû être évident pour lui malgré son apparente tranquillité. Il sait que nous ne jouons pas dans la même catégorie, mais alors pas du tout, puisque je ne touche pas aux humains, mais je ne lui ai évidemment pas dit en ces termes. Il en a déduit que j’aimais les femmes, ce qui était bien le cas par le passé. Maintenant, je me concentre essentiellement sur mes missions. L’amour n’est plus quelque chose qui me travaille ou m’intéresse. Je veux seulement satisfaire l’ancien et si possible grimper dans la hiérarchie de notre monde.
De combien était la probabilité que la personne que je heurte dans la supérette d’un coin aussi paumé soit mon voisin ? Je ne suis pas particulièrement superstitieuse à penser qu’il y a des signes partout, mais depuis tous les évènements survenus dans ma vie ces derniers temps, je commence à me méfier de tout et tout le monde. J’essaie de suivre mon instinct, chose dont je ne me préoccupais jamais auparavant. Si je l’avais fait, est-ce que tous ces drames auraient pu être évités ? Est-ce que j’aurais pu la sauver ? Elle me manque terriblement, mes parents et mes deux frères jumeaux également. Je ne regrette pourtant pas mon choix. Ils auraient fini comme elle. J’en ai l’intime conviction au fond de mon être.
Je m’installe confortablement à mon bureau pour reprendre mon travail. Mes yeux se fixent sur un point dans l’eau à l’horizon. Je vois des vaguelettes se former et une silhouette avancer rapidement. Elle s’enfonce dans le milieu du lac en direction d’une petite île. Est-ce le bel Aïden qui nage de façon si fluide à une vitesse plutôt surprenante ? Je refuse de m’attarder sur la question et me reconcentre sur mon dernier email. Je reprends avec attention ma tâche. Il me faut uniquement quelques secondes pour être de nouveau entièrement opérationnelle. Je m’arrête seulement pour boire quelques gorgées de la tasse de thé que je me suis préparée. Vanille caramel, mon parfum préféré ! Je reste ainsi de nombreuses heures sans m’apercevoir que le temps passe. Heureusement que j’ai trouvé cet emploi que j’apprécie plutôt bien. Mon téléphone se met soudainement à sonner. Je n’ai pas l’habitude d’être appelée sur mon portable personnel dont peu de gens en ont le numéro voir presque personne. J’hésite donc à décrocher.
Pierre Gabriel déteste son prénom depuis sa tendre enfance, il n’utilise que ses initiales, PG. Ses parents adoraient la France, comme beaucoup d’Américains et ont donc déniché celui-ci sur une vieille liste sur internet. Quelle idée ! Je lui accorde que c’est loin d’être à la mode dans notre pays. Nous nous sommes tous habitués à son surnom. Je le connais depuis que j’ai cinq ans. Nous n’étions pas les meilleurs amis du monde, mais nos études dans le secondaire puis à la fac nous ont beaucoup rapprochés. Nous avons, tous les deux, été envoyés par nos parents dans le lycée privé de la ville et non celui du secteur. Quand tu te retrouves seule dans un nouveau système, tu as tendance à te rapprocher des têtes connues. Au final, nous avions plus de points en commun que nous le pensions. Il avait un look un peu Old School quand nous étions jeunes, mais en grandissant il a complètement changé. Ses cheveux longs frisés sont désormais courts. Il a troqué ses anciennes chemises à carreaux pour des tee-shirts qui mettent en valeur sa musculature bien dessinée grâce aux heures de musculation pratiquées par semaine. Je reconnais qu’il est plutôt pas mal. Nous nous connaissons trop bien maintenant pour envisager une relation entre nous. Par contre, j’ai toujours pu compter sur lui. Il m’a aidé à disparaître lorsque j’en ai eu besoin et ne m’a jamais trahie alors que je ne lui ai jamais révélé mon secret. Quand je suis arrivée en pleurs après le décès de ma petite sœur, il m’a consolée pendant des heures puis m’a laissée dérouler mon plan. Deux jours après, je me trouvais dans l’avion sous le nom de Cassidy Jonson. Adieu, à l’ancienne Cassidy Wallace.
Il reprend avec un ton plus sérieux.
Je suis terrorisée à l’idée de le mettre en danger lui aussi. J’ai déjà tant perdu.
J’ai demandé à PG de prendre soin de ma famille de loin, qu’il s’assure que les jumeaux ne fassent pas n’importe quoi.
Je sais parfaitement qu’il n’est pas du genre intrusif dans la vie des gens en temps normal et qu’il ne le fait que pour moi. Je souris lorsque je l’imagine en train d’écouter mes frères se quereller pour des âneries. Puis en repensant à ces deux-là, le visage de ma sœur me revient en mémoire. Ils se ressemblaient tellement tous les trois, comme si moi j’étais l’intruse de la famille avec mes cheveux châtain foncé et mes yeux verts alors que tous étaient blond cendré aux yeux bleus, tout comme mon père. La seule différence est qu’il a de grandes prunelles marron. Ma mère est une belle blonde platine au regard bleu comme l’océan.
Je mange un plat en conserve tout prêt et me jette la tête la première dans l’eau. Je repense aux dernières paroles prononcées par PG au sujet de ma responsabilité. Il a raison. Il n’y a pas uniquement que le souci de vouloir protéger les gens que j’aime, mais également ce sentiment de culpabilité qui me ronge les entrailles. Je n’aurais jamais dû lâcher sa main ce jour-là. Tout aurait pu être différent. Nous étions si proches et mon monde s’est écroulé soudainement sous mes yeux. Elle était tout pour moi. Notre écart d’âge nous avait beaucoup rapprochés. Après les jumeaux, mes parents ne voulaient plus d’autre enfant, mais Lola a pointé le bout de son nez sans prévenir alors que ma mère avait déjà quarante ans. Je m’en suis constamment occupée afin de l’aider, car elle travaillait beaucoup. Avant que je la quitte pour la fac, nous étions toujours ensemble. Malgré son jeune âge, elle était très affectée par mon départ à l’université, même si je rentrais régulièrement pour les voir, pour la retrouver.
Je parcours les profondeurs des eaux troubles durant plusieurs minutes. Je n’ai jamais compris d’où me venait cette faculté, mais je suis si bien dessous, que je préfère éviter de me poser trop de questions pour le moment. De toute façon, tout est flou en ce qui me concerne. Lorsque mes pieds atteignent le sol, je m’assure que personne ne me voit aux alentours et laisse jaillir ce flot de lumière entre mes mains. Aujourd’hui, mon humeur est morose alors que les filaments sont d’un violet foncé. Ils virevoltent sous l’eau en tous sens. Les flots scintillent étrangement dans la nuit qui commence à tomber. Les fils filent à vive allure pour s’étendre au loin, comme s’ils avaient leur propre conscience et réalisaient l’étendue du lac. J’ai l’impression qu’ils cherchent à se l’approprier. Je ferme les yeux et me concentre pour les refluer un peu. Je ne veux pas qu’ils soient visibles de la maison de mon voisin. Ils reviennent comme s’ils comprenaient ma demande. En réalité, je n’arrive pas vraiment à contrôler ce don. Je n’ai aucune idée de ce dont il s’agit puisqu’aucun autre membre de ma famille n’a la capacité de pouvoir faire jaillir de ses mains des filaments lumineux dont la teinte change légèrement selon l’humeur. Du moins, aucune personne de mon entourage ne m’en a jamais parlé ou encore, tout comme moi l’a toujours tu. En tout cas, ces fils ne servent à rien, alors je ne vois pas pourquoi ils existent. Tout ce que je sais c’est que je ressens le besoin de les faire sortir régulièrement, comme si une énergie intense allait exploser à l’intérieur de moi. Jusqu’à présent, j’ai pu les contenir sans trop de difficultés, mais jusqu’à quand ? Heureusement, ils sont à proprement parler inoffensifs.
Néanmoins, les seules fois où j’ai eu le malheur de les exposer par erreur à quelqu’un de proche, il est décédé peu de temps après. Certains parlent de coïncidences, moi je commence à en douter fortement. Il y a d’abord eu une copine en primaire avec laquelle je jouais dans ma chambre un mercredi après-midi. Je n’avais que sept ans et n’avais pas réellement conscience de ce que je faisais alors je lui ai montré ce dont j’étais capable. Nous étions très proches. Chelsea m’a regardée avec admiration. Elle était si fière d’être amie avec une sorcière selon ses termes. Je ne l’ai plus revue. Elle s’est noyée dans sa piscine le soir même. Elle savait pourtant nager. Ensuite, il y a eu Tim, mon petit copain au lycée. Nous sortions ensemble depuis un mois. Nous nous étions disputés pour une histoire débile de soirée entre amis. Nous nous trouvions derrière le gymnase et là sans que je les contrôle des filaments violet limite rouge ont jailli de mes mains. Je les ai tout de suite rappelés à moi, seulement il était déjà trop tard. Il m’a observé la bouche ouverte comme si j’étais une extraterrestre. Je pensais qu’il allait me rejeter ce qui n’a pas été le cas. Je me suis écroulée en sanglots et il s’est jeté sur moi pour me serrer dans ses bras. Nous nous connaissions depuis tellement d’années et nous étions si soudés… Deux jours plus tard, il faisait une overdose alors qu’il n’a jamais pris de drogue de son existence. Et puis il y a eu Lola, ma douce Lola. Ma petite sœur avec laquelle je me sentais si proche. Elle était si jeune, si pleine de vie. Il a fallu qu’elle accoure dans ma chambre ce soir-là au moment où je faisais ressortir cette énergie de mon corps. J’avais besoin de l’évacuer. Mon année à l’université avait été particulièrement stressante et je venais tout juste de finir mes examens. Elle a déboulé telle une furie tout heureuse de me voir revenir au bercail. Sur le coup, je me suis énervée, mais elle était si fière de partager mon secret que je me suis calmée instantanément. Elle était si enjouée en me voyant manipuler cette énergie. Elle voulait devenir, comme moi, une super héroïne. Nous avons passé toute la nuit à jouer ensemble. Elle était la première à y toucher. Elle disait que c’était comme effleurer une douce flamme un peu chaude, mais pas trop. Elle ressentait également de légers picotements. Elle était si joyeuse, si contente de connaître ce mystère. Elle était adorable avec ses cheveux blonds toujours tressés. Puis le lendemain, nous sommes allés nous promener dans le centre-ville. J’ai eu juste dix secondes d’inattention. Elle ne s’éloignait jamais, pourquoi ce jour-là a-t-elle lâché ma main pour aller se jeter sous les roues de cette voiture ? C’est tellement injuste. Elle avait toujours été une petite fille joviale, serviable et attachante. Elle n’avait que six ans. Elle ne méritait pas de mourir si jeune. Je ne crois plus aux coïncidences. Tous ces morts qui n’avaient pas de raison d’être n’ont aucune logique. Je m’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours. Je le sens au fond de mon être que tout est lié, mais pourquoi ?
La pêche a été bonne. Je dois dire que ce lac regorge de magnifiques spécimens. Nous avons peu discuté avec Diego, c’était reposant. J’aime son calme et sa discrétion. Est-ce que nous serons amenés à nous recroiser dans le monde d’Aötröm ? Dans quel royaume finira-t-il ? De toute façon quel intérêt de me poser la question puisqu’il ne se souviendra de rien ? Je me sens parfois seul. Vivre entre deux planètes m’empêche de créer des liens avec qui que ce soit. La vie à Aötröm avec tous ses complots est devenue compliquée. Je ne comprends pas comment Arius arrive à rester si calme. La situation est pourtant critique. Je suis sûr qu’un coup d’éclat va finir par lui tomber dessus et malgré sa puissance, je ne suis pas convaincu qu’il en sortira vainqueur.
Je me réveille au milieu de la nuit. Comme d’habitude, le temps est dégagé et les températures encore élevées. Je n’ai besoin que de quelques heures de sommeil alors je dois toujours trouver des occupations avant que le jour se lève. Souvent, je m’installe sur le ponton avec mon ordinateur pour travailler sous les étoiles. Je n’ai hélas pas beaucoup avancé sur mes recherches et Arius ne semble pas l’avoir identifié non plus de son côté. Nous piétinons et pourtant si quelqu’un la retrouve avant nous, les conséquences pour notre monde et pour celui des humains pourraient être catastrophiques. Je ne saisis pas pourquoi nous ne captons pas son aura. Est-ce que quelqu’un l’aurait récupérée et la dissimulerait pour le moment ? Contrôle-t-elle déjà son énergie et arrive-t-elle à la camoufler ? Je me pose dix mille questions à son sujet. Si seulement, Arius pouvait au moins recouvrer ses notes sur son âge. Comment a-t-il pu égarer une partie des éléments la concernant ?
J’ai trop d’énergie en moi. Je dois me dépenser un peu. Même si je suis dans un coin tranquille, je risquerais d’attirer l’attention sur moi rien qu’en la faisant jaillir. Je ne dois le faire qu’en cas de nécessité absolue. À la place, je vais aller courir quelques kilomètres. La chaleur reste moins étouffante qu’en pleine journée. J’enfile mon short par-dessus mon boxer, chausse chaussettes et chaussures et m’envole pour une course. Une légère brise glisse sur mon torse nu. Elle me permet de ne pas transpirer à grosses gouttes. Je marche à courtes foulées et m’imprègne des senteurs de fleurs qui m’entourent. Mon odorat plus développé qu’un humain m’offre le plaisir de sentir avec précision tout ce qui est plus ou moins loin de moi. Je hume notamment le fort parfum des petits gibiers qui s’enfuient pour se cacher au moment où je saute par-dessus un ruisseau. J’essaie de garder une allure normale malgré que je sois tenté d’avancer plus vite. Je sais que je ne risque pas de tomber sur d’autres coureurs, mais je ne veux pas prendre l’habitude d’oublier où je vis. Je ferme les yeux et cède la place à mes autres sens. Je peux réussir à effectuer un parcours complet les yeux fermés. Je projette mon énergie un peu comme de l’écholocation. Je la laisse jaillir juste assez pour qu’elle ne soit pas détectable. Il faut bien évidemment des années d’entraînement.
Je me demande ce qu’il en est de cette Cassidy. Elle est si spéciale que son énergie doit également être active. Comment a-t-elle réagi quand elle a découvert qu’elle possédait cette particularité ? À quel stade de développement en est-elle ? J’ai tellement hâte de la rencontrer. Elle est la future maîtresse d’Aötröm. Le successeur d’Arius est attendu depuis de nombreuses années maintenant. Beaucoup sont morts trop tôt et non pas pu atteindre le royaume de la lumière, Kevyt. Leur destinée en a alors été modifiée. Voilà pourquoi Cassidy est si importante. L’ancien ne veut plus assumer son rôle. Normalement, son règne ne doit pas durer plus de dix siècles et pourtant il en est à son quatorzième.
Je vis sur une planète qui se nomme Aötröm. Notre monde a un fonctionnement archaïque qui est loin d’être simple. Il se compose de six royaumes dont mon maître est à la tête de tous, mais particulièrement de celui de « Kevyt », le royaume de la lumière. À leur naissance, les Aötrömiens sont dès leur première semaine de vie, envoyés dans un corps humain fécondé. C’est une étape indispensable de notre vie pour déterminer dans quel royaume nous vivrons par la suite sur Aötröm. Chaque territoire à son propre dirigeant, comme Arius pour « Kevyt », qui gère son royaume à sa façon et aide les nouvelles âmes à développer au mieux leur potentiel. À leur mort sur terre, les âmes retournent dans notre monde vivre pleinement leur véritable vie. Leur passage sur Terre est une sorte d’épreuve comme l’est le bac pour entrer à la faculté pour les étudiants français. Selon la vie qu’elles ont eue, elles vont automatiquement dans l’un des royaumes. À « Kevyt » sont accueillies les âmes fortes et courageuses, plutôt puissantes, ce que ne supporte pas Orion, un homme que j’exècre par-dessus tout. Il dirige le territoire d’« Ivania » qui accueille les âmes noircies par la rage et la colère. Les âmes qui sont dans le territoire de « Nouria », ne sont pas complètes et n’atteignent jamais leur plein potentiel. Théodore reçoit sur « Nouria » les jeunes âmes, celles mortes bien trop jeunes qui ne pourront hélas jamais atteindre leur plein potentiel. À « Vulma » sont recueillies les âmes blessées, malheureuses, souvent mortes par suicide. À « Lutopia », Cylian aide les âmes décédées brutalement à retrouver le chemin vers la vie. Elles sont mortes accidentellement et sont complètement déboussolées. Elles ont un lourd chemin à parcourir comme de jeunes enfants. Même si elles ont perdu la mémoire, elles ont un traumatisme que personne ne peut contrôler sauf avec le temps. Puis nous avons le dernier royaume qui est très étendu « Izadora », celui des âmes neutres qui ont vécu tranquillement sur terre sans histoire, en paix et qui poursuivent ainsi la même vie sur Aötröm. Nous ne savons pas vraiment pourquoi notre monde fonctionne ainsi. Tout remonte à des millénaires. Il est impossible de passer d’un royaume à un autre ou de se mélanger. Il est juste possible de faire du troc.
« Kevyt » est donc celui qui dirige tous les royaumes. Tous les dix siècles, le maître laisse sa place à l’un de ses descendants. Il est le seul à connaître son existence. Le problème est que les héritiers de l’ancien sont très puissants, donc tous les maîtres tentent de les recruter dans le monde des humains où ils ont encore un destin indéterminé. Avant Cassidy, Arius a eu trois enfants. Les deux premiers ont été tués par accident alors qu’ils n’étaient que des bambins et ont donc atterri dans le royaume des jeunes âmes qui reste neutre dans les conflits. Il ne l’a pas montré, mais je sais que ça a été un déchirement pour lui et sa femme. Elle n’a hélas jamais son mot à dire sur la question, comme si elle n’existait pas. La place du conjoint chez les dirigeants ne représente rien.
Le dernier descendant a été corrompu avant d’être assassiné. Il est maintenant dans l’armée d’Orion. Ce dernier, même s’il ne l’a pas encore dit clairement au précédent conseil, veut prendre le siège d’Arius. Nous le soupçonnons d’être responsable de la mort des deux premiers enfants d’Arius. Je crois qu’il souhaitait les récupérer, mais que ses protecteurs ont mal géré leur mission. Il est évident qu’il renforce son rang au fil des siècles. Il désire tuer Arius, je pense, et gouverner Aötröm à sa manière. Il n’est pas le seul qui convoitise la place de l’ancien. Alexie aimerait également le voir tomber. Il ne supporte pas son rôle au sein de la communauté. Il dirige le royaume de « Vulma ». Il tente de soutirer des âmes solides capables de se remettre de ce qu’elles ont vécu sur la planète des humains. Il n’a pas intégré qu’il devrait plutôt guider celles qui peuplent son territoire, au lieu d’essayer d’en trouver de nouvelles plus fortes. Même à « Izadora », où les âmes y sont calmes et sans histoire, Dana commence à subir la pression d’Orion et risque de se rallier à lui. Je ne sens pas bien l’issue de cette histoire.
Je ne comprendrais jamais ce besoin de se battre et de jouer avec les hommes pour accroître son royaume et son pouvoir sur notre monde. Arius me racontait que tout n’avait pas toujours été ainsi. Il y a des siècles de cela, tout fonctionnait à merveille. Chacun avait un rôle à tenir et qui était déterminant pour une bonne cohésion au sein de la communauté. Tout n’était pas parfait puisque chaque parent ne pouvait pas savoir ce qu’il adviendrait de son enfant à sa naissance et que les couples extraroyaumes étaient déjà interdits. Il y avait des choses à modifier, mais ils vivaient en paix sans influencer le monde des humains. Ils suivaient leur destinée. Avec le temps, ils ont décidé d’intervenir dans le déroulement des choix des hommes. Désormais, c’est l’anarchie. J’ai accepté cette nouvelle mission, car j’ai l’espoir que cette âme reconsidère tout. Selon Arius, elle est particulièrement puissante. Il a senti la force de son aura dès qu’elle est née. Il imagine qu’elle est celle qui va tout changer. Bref, elle est certainement notre dernière chance.
Je cours depuis deux bonnes heures, et sans m’en rendre compte, j’ai déjà fait le tour du lac. Je n’ai pas du tout respecté ma vitesse de déplacement, trop perdu dans mes pensées. Je regarde autour de moi, et écoute les bruits alentour. À part des animaux, je ne discerne aucun son. Puis je tends l’oreille quand je crois distinguer des gémissements à des centaines de mètres. Je m’approche pour essayer de comprendre de quoi il s’agit. Je réalise que je suis devant la maison de ma voisine. Les lamentations se transforment au même instant en hurlement de frayeur. Je me jette sur la poignée qui est à ma grande surprise verrouillée. Je pensais que les gens du coin ne fermaient pas leur porte à clé. J’hésite du coup à forcer l’entrée, surtout que les cris ont cessé.
J’attends quelques secondes, puis décide de rebrousser chemin. Je n’ai effectué que quelques pas quand un nouveau hurlement me parvient aux oreilles. Je défonce la porte. Elle vole à travers la pièce. Je cours en direction du bruit entendu. Je déboule dans sa chambre sans même frapper. Elle est allongée sur son lit, les paupières closes, le souffle rapide. Son corps est agité, tout comme ses yeux sous ses pupilles. Je n’ai aucun mal à la voir clairement dans le noir. Ses cheveux bruns au carré lui collent au visage. Elle ne porte qu’un petit short gris ainsi qu’un débardeur blanc presque transparent. Je me sens soudainement idiot d’avoir pénétré ainsi chez cette jeune fille. Un nouveau cri déchirant brise le silence. Des larmes ruissellent sur ses joues. Habituellement, je serai reparti sans me poser de question, mais la fragilité de cette femme me pousse à la protéger. Je ne pourrais expliquer ce sentiment de protection qui m’envahit en la regardant. Je m’assois sur le lit et tente de la réveiller avec délicatesse. Elle a beau avoir le corps dégoulinant de sueur, c’est une odeur de jasmin qui émane d’elle.
Aucune réponse, elle continue à pleurer toutes les larmes de son corps. Que lui est-il arrivé de si dramatique pour qu’elle en soit traumatisée si violemment dans son sommeil ? Je sursaute quand son corps se redresse et qu’elle s’éveille en s’essuyant les yeux. Elle me regarde avec curiosité avant de réaliser que je ne suis pas un rêve. Elle saute du lit et se colle au mur.
Je me dirige vers la porte, appuie sur l’interrupteur. Elle cligne des yeux à plusieurs reprises. Je reste surpris qu’elle n’ait pas l’air plus effrayée. D’un autre côté, elle voit bien que je suis en tenue de sport et que je ne lui ai pas menti sur ce point. Je me demande ce qu’il se trame dans sa tête. Elle se détache du mur et m’observe avec suspicion.
Elle détourne le regard, signe qu’elle doit au moins en avoir une petite idée.
Elle ne semble pourtant pas gênée du tout par sa nudité.
J’ai l’impression de discerner une pointe de déception dans sa voix. Pourquoi recherche-t-elle tant la solitude ? Qu’est-ce qui pousse une si jeune femme à s’éloigner autant de la civilisation ? J’aime bien percer les mystères et elle me semble en être un intéressant. En attendant de trouver des informations sur ma fameuse mission, je vais essayer d’en apprendre davantage sur cette charmante Cassy. Je vais tenter de deviner dans quel royaume elle atterrira, même si sa mort peut être déterminante.
Elle semble hésiter à vouloir poursuivre ses questions, referme la bouche à plusieurs reprises. Pour ma part, j’ai bien envie d’en savoir davantage sur elle.
Nous nous dirigeons dans mon salon. J’allume toutes les lumières sur mon passage. J’ai un sourire amusé et lève les sourcils quand je vois ma porte d’entrée qui a traversé la pièce et est venue s’encastrer dans mon canapé.
Il hausse les épaules et me dit qu’il n’a pas senti sa force.
Je devrais être effrayée à l’idée d’avoir un inconnu chez moi et pourtant je ressens au fond de moi que je peux lui faire confiance. L’énergie que j’éprouve en moi quand je libère mes filaments crépite dans mon organisme à son contact. Elle me guide vers lui. Je ne saurais expliquer ni pourquoi ni comment je le sais. C’est l’instinct ou alors il possède un don similaire au mien. Serait-il possible que je ne sois pas la seule au monde à éprouver cette étrange sensation d’avoir besoin de faire jaillir des fibres de son corps ? Peut-être est-ce une manière de me rassurer, mais cela pourrait aussi justifier l’état de ma porte. Même si je n’ai jamais trouvé d’utilité à cette énergie, certaines personnes doivent bien savoir comment la manipuler. Une chose est sûre, je sens une connexion avec cet homme et pas d’ordre charnel, mais bien liée à nos énergies. J’ai besoin d’en apprendre davantage sur lui.
Je ne pense pas que du canapé, il puisse percevoir mes réactions.
À première vue, sous ses airs de gros durs, il ne vit pas bien la solitude. J’imagine du coup qu’il n’a personne dans sa vie. Je suis à moitié surprise puisqu’il vient de dire qu’il se déplaçait régulièrement pour son métier. D’un autre côté, des hommes aussi mignons ne courent pas les rues. Les prétendantes ne doivent pas manquer à l’appel. Je remplis deux tasses fumantes et reviens auprès de lui. Ses yeux m’observent avec une intensité qui me met un peu mal à l’aise. Je détourne le regard et me concentre sur mon mug. Il a pris place dans le canapé en tissu blanc, alors que je me suis posée dans la chaise en rotin à bascule. J’adore m’y installer pour lire un bon livre. En général, je le déplace pour qu’il soit face au lac.