L’Arnacœur - Anthony Boehm Belin - E-Book

L’Arnacœur E-Book

Anthony Boehm-Belin

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Beschreibung

Alice, jeune profileuse en formation, est envoyée sur Belle-Île pour son premier stage. Sur place, elle fait équipe avec Luca, un détective privé aussi froid qu’expérimenté. Très vite, ils se retrouvent lancés dans une course contre la montre : un tueur en série frappe depuis des années sans jamais laisser de trace. Chaque indice les mène plus près du danger, chaque erreur pourrait être fatale. Entre tension, horreur et blessures enfouies, leur enquête les plongera au cœur d’une spirale où la vérité a un goût de désespoir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Anthony Boehm Belin est l’auteur de "L’improbable rencontre" et "L’appel des anges : morceaux de papier". Ce nouvel ouvrage est né au cœur du Jura, un matin de bascule, entre passé et avenir. Une de ces journées où l’on sent qu’une page se tourne – et qu’une autre attend d’être écrite car chaque rencontre est une histoire en devenir, prête à prendre vie par les mots.

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Seitenzahl: 274

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Titre

Anthony Boehm Belin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Arnacœur

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Anthony Boehm Belin

ISBN : 979-10-422-7469-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Épilogue

 

 

 

Envoyé le 19/05/2033, écrit à l’encre rouge

 

Bien, le courage vous est souhaité à la lecture de cette lettre. Comprenez bien que je suis fort aise à l’idée de vous imaginer parcourir mes mots.

 

Vous !

Frappé par la surprise. Pétrifié de stupéfaction. Submergé par l’horreur et dévasté par la tristesse, à la découverte de mon art exprimé.

 

Les émotions sont fascinantes !

 

Admirez et faites donc un peu l’effort d’abstraction de vos larmoyantes réactions, afin de profiter de ce florilège culturel que je vous offre là, tant bien par la manipulation de mes mots que par la photographie, par laquelle une peinture sublime vous touchera en plein cœur.

Admirez l’ampleur du travail et le temps que demande mon art pour parvenir à ce résultat.

Admirez la beauté de la mort, capable de figer l’amour dans chacun des traits de votre défunte perte. Une fille ? Une sœur ? Une cousine ? Une amie ? Une amante ?

 

En tout cas, un sujet parfait, pour l’expression de mon art que je partage avec vous, afin qu’il résonne chez vous, à tout jamais comme l’écho d’un amour pur, préserver dans l’expérience d’une mort radicale, glaciale dont elle seule a le don et la capacité de figer ce sentiment dans l’éternité.

 

La phrase qui, je trouve, sied le mieux à la situation est la suivante :

“Entre l’amour et la mort, il n’y a finalement qu’une lettre de différence”.

 

Grande joie vous est souhaitée tant mes remerciements sont sincères, du fait de la création de votre chose féminine, pièce centrale de mon expression artistique.

 

Ps : Cessez donc de trembler en tenant cette lettre qui incarne à la perfection cette joute verbale entre l’amour et la mort.

Quelle excitation… Est-ce aussi une émotion ?

 

Chaleureusement,

 

Votre bien dévoué meurtrier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous appellerons émotion une chute brusque de la conscience dans le magique.

 

Jean-Paul Sartre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le commencement est beaucoup plus que la moitié de l’objectif.

 

Aristote

 

 

 

 

 

Assise sur une de ces chaises inconfortables, Alice regardait son référent de formation. Elle attendait avec impatience qu’il lui révèle le tenant de sa première mission. La pièce était dénuée de tout élément de décor. Une simple table métallique trônait en son centre. Une vitre sans tain habillait le fond de l’espace. Alice se sentit, le temps d’un instant, en salle d’interrogatoire. Coupable d’être innocente était un sentiment tout à fait particulier. C’est à cet instant qu’elle éprouva l’importance de ne jamais se tromper sur ses accusations, qui pouvaient changer à jamais la vie d’un individu. L’agent spécial Dyos, bedonnant à la calvitie naissante, dissimulait son regard perçant derrière ses lunettes rondes. Il prenait le temps de se servir son café décaféiné. Il venait d’y ajouter ses trois sucrettes et touillait machinalement, tout en tenant sous son bras un dossier papier sur lequel était écrit : « Arnacœur ». Il tira sa chaise et s’installa en face d’Alice.

« Pour commencer, je vais me présenter, je suis Dyos. Tu imagines aisément qu’il s’agit de mon nom de code et tu n’auras que celui-ci pour le moment. »

Sans laisser la possibilité à Alice de répondre, il enchaîna tout en sortant de sa poche un briquet et un paquet de cigarettes fatigué.

« Je ne vais pas te faire l’état des lieux de tous ses meurtres car la méthode est la même pour tous. Je vais te présenter le dernier en date qui remonte à quelques semaines. »

Sur ses mots, il inspira une grande bouffée de sa cigarette tout en sortant les différentes feuilles de son dossier.

« Je te présente la victime numéro 16. En apparence : suicide. Dans les faits, Léo, notre médecin légiste sur cette affaire, nous a fait part de ses retours. La méthode correspond à celle de l’arnacœur. Un tueur en série qui opère depuis des années et tue une fois par an. »

Il présenta la photo à Alice. Elle la prit et l’observa.

« Elle était belle et pleine de vie », pensa Alice, si elle faisait abstraction du fait qu’elle était morte.

« Une balle en pleine tête promet la mort radicale tant attendue par le tueur afin de figer dans la mort les traits significatifs de l’amour. Jusqu’à aujourd’hui, il s’agit des compagnes d’un seul homme, dont l’alibi a toujours été en béton. La consigne est simple : travailler avec un détective privé, qui planche sur cette enquête depuis longtemps afin de découvrir d’autres pistes. »

Alice ne l’écoutait qu’à moitié. Elle venait de plonger au cœur de la photographie.

Elle ne comprenait pas pourquoi, en plus de cette balle en pleine tête, cette jeune femme avait été pendue. Comme si elle avait lu dans ses pensées, Dyos lui répondit :

« D’après Léo, notre médecin légiste, la pendaison est post-mortem et n’est en aucun cas la cause de la mort. Il s’agirait davantage d’un message. »

Malgré les traits de l’amour figé sur le visage de cette défunte, Alice devait reconnaître que cette photo avait quelque chose de dérangeant. La mort ne pouvait avoir d’autres visages que celui de la mort. Le sang qui avait coulé abondamment avait fini par sécher les cheveux de la victime, les rendant gras et raides. La rigidité cadavérique et son teint blafard dégageaient une froideur bien loin de ce que devait être l’amour, pensa Alice, même si elle devait reconnaître que ses émotions étaient bien perceptibles sur son visage.

« Notre médecin, depuis plusieurs années, reste persuadé qu’en plus de l’amour, il y a aussi une imperceptible notion de surprise. Sur le dernier corps, il a réussi à mettre en lumière une certaine tétanie au niveau des pores de la peau du visage. Pour lui, la situation est plus complexe sans réussir à comprendre d’où peut bien venir ce rictus à peine perceptible, lié à l’impact de la balle. »

Alice venait de perdre son regard sur l’arrière de la scène. Un léger haut-le-cœur commença à la saisir. Sur le mur résidaient des vestiges de cervelle auréolés d’une pluie de sang, due à la violence de l’impact de la balle.

« Cela fait bien trop longtemps que ce bâtard nous fait tourner en rond. Aujourd’hui, il est temps de se replonger dans sa sordide histoire. La démêler devient une affaire médiatique et politique. Il en va de la crédibilité des affaires spéciales. Tu pourras me joindre par le biais d’une messagerie sécurisée. Il sortit une mallette qu’il avait précautionneusement positionnée sous la table. Il l’ouvrit en direction d’Alice. Voilà ta nouvelle meilleure amie. Ton arme de service. Elle ainsi que chacune de ses balles ont été enregistrées à ton nom. Tu as des questions ? »

Dyos, pendant tout son laïus, avait terminé sa cigarette et sifflé son café d’une traite.

« Qui dois-je retrouver ? »

« Toutes ses informations t’ont été transmises. Ton départ est imminent et immédiat. Bon courage. »

Sur cette dernière phrase, Dyos prit ses affaires en prenant soin de laisser son dossier sur la table. Il quitta la pièce sans un mot et la laissa seule.

Elle ouvrit le dossier et tomba sur le compte-rendu du médecin légiste.

« Même chose que les précédentes. Aucune trace de lutte. La mort fut rapide et sans souffrance pour la victime. La mise en scène de la pendaison reste un mystère. Elle n’apporte aucune plus-value à la mort elle-même étant post-mortem. Il s’agit, d’après moi, d’une mise en scène et d’un message pour lui-même. J’ai bien reçu ladite lettre. Je me suis permis de l’envoyer à un confrère, spécialisé dans le domaine de l’écriture. Son retour est formel. L’étude dactyle présente une similitude à 99 pour cent. C’est bien la même personne qui l’a rédigée. Il se joue de nous d’autant qu’il est en perpétuelle recherche d’une chose qu’il ne semble pas retrouver. Il y a de grands risques qu’il poursuive ses massacres tant qu’il n’aura pas atteint son but ultime. Mais quel est-il ? L’étude de l’entièreté du corps ne révèle aucune trace de lutte ou de combat. Pas d’ecchymoses ni de traces de griffures. Les ongles sont intacts, ne révélant aucun comportement de défense. La mort a frappé aussi spontanément que la surprise semble à peine perceptible sur leur visage. Les victimes semblent avoir été tirées d’un moment de joie et d’amour intense, sans se douter un seul instant qu’elles allaient en réalité mourir. »

 

Alice referma le dossier qu’elle laissa sur la table. La consigne était claire, aucun document ne peut sortir de cet établissement sans un accord bien spécifique au préalable. Elle partit en direction de sa toute nouvelle mission. Le cœur en émoi et les sens en alerte. Elle était prête.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le couple heureux qui se reconnaît dans l’amour défie l’univers et le temps ; il se suffit, il réalise l’absolu.

 

Simone de Beauvoir

 

 

 

 

 

La lumière blanchâtre et crayeuse que dégageait cette vieille ampoule, suspendue de façon hasardeuse à un câble en PVC blanc apparent, éclairait seulement le fond de la pièce, accentuant cette atmosphère glauque. L’amoncellement de clichés, de punaises, d’aimants et de ficelles de laine rouge, tirées de part et d’autre de ce pan de mur, le condamnait à observer les pires horreurs se croiser, s’entrecouper, se figer et habiller ce décor morbide. En son centre, un grand tableau Velléda était accroché, sur lequel se reflétaient les perpétuels mouvements de cette ampoule fatiguée. Cette dernière tressautait à intervalles irréguliers, plongeant cet espace dans une pénombre angoissante, presque menaçante. Ce tableau blanc avait été choisi, afin d’y annoter toutes les idées qui pouvaient fuser aux moments les plus impromptus ; des informations capitales ; des pistes parfois bonnes souvent fausses ; des noms et bien d’autres notes. Pour autant, ces derniers temps, il avait brillé par sa capacité à être effacé, autant qu’à rendre presque indélébiles des mots qu’il semblait avoir assimilés comme vérité absolue.

« Ou comme seule idée plausible que j’ai eue depuis des mois », grommela Luca.

 

Étrangement agencé, le bureau de ce détective privé, dont la réputation le précédait depuis des années, avait la particularité d’être tout en longueur. De chaque côté de la pièce, sur toute sa profondeur se promenaient d’immenses bibliothèques, surchargées de livres en tous genres. Des encyclopédies, des dictionnaires, des romans policiers, où le duel entre Stephen King, Maxime Chattam et Agatha Christie semblait en constante compétition. Mais aussi des manuscrits plus spécifiques, ou plus sombres sur la criminologie et la psychiatrie, ou traitant de l’ésotérisme, des livres interdits autour de notions occultes, de magie noire, de manipulation et d’influence.

Des livres sur la psychologie humaine, la profondeur complexe des émotions, ou encore attrait aux plus bas instincts primitifs de l’Homme, bien nécessaire à sa propre survie, ainsi qu’à son développement individuel jusqu’à faire société. Des manuscrits et recueils religieux tels que l’Antiphonaire regroupant les chants liturgiques et les partitions grégoriennes nés au cours du VIe siècle ; différents livres profanes ; ou encore la Bible, le Coran, le Tanakh occupaient toutes les hauteurs des deux bibliothèques murales qui se faisaient face. Sur la deuxième étagère, au bout de laquelle la bibliothèque s’incurvait en direction du tableau Velléda, un coin bar mettait en lumière un Lagavulin 16 ans d’âge. Selon Luca, un des meilleurs whiskys écossais, vieilli en fût de chêne pendant 16 ans, aux arômes intenses d’algues marines et de fruits secs, entre notes boisées et tourbées. Luca était accro au goût empyreumatique de fumée de tourbe lié à la libération des phénols après avoir été brûlés. Il était, selon lui, géré à la perfection et permettait toute cette osmose entre le fumé et les fruits secs qui ressortaient délicatement, avec cette impression suave en bouche.

« 43 degrés, il a aussi le mérite de me réchauffer le gosier », pensa Luca en portant une nouvelle fois son verre à sa bouche, tout en restant silencieux.

Le long de la bibliothèque de droite, la porte d’entrée faisait face à une fenêtre aux volets constamment clos, ne laissant filtrer aucun trait de lumière. À l’entrée de cette salle rectangulaire trônait un vieux canapé délabré. Il avait été minutieusement centré afin de faire face, dans la pénombre de l’éclairage blafard du fond de la pièce, à la triste peinture des massacres en série, que représentait chacune des photos épinglées par ordre chronologique.

Une table ronde, en l’honneur des récits légendaires du roi Arthur et de tous ses chevaliers, dont chacun était aussi bon que les autres, avec cette réelle notion d’égalité, accompagnait ce canapé. Sur laquelle avait été gravé « MCL ». Selon Luca, qui avait dégoté cette pépite lors d’un de ses nombreux voyages en Grande-Bretagne, dans le cadre de ses missions, il s’agissait d’un chiffre romain et plus précisément d’une date, soit 1150. D’autant plus plausible qu’il s’agit à cela près de la date de la toute première apparition de la table ronde dans le roman de brut de Robert Wace, moine anglo-normand. Luca, malgré ses réticences à être défini comme passionné, devait reconnaître que tous ces récits légendaires autour du Roi Arthur, d’Uther Pendragon et des chevaliers de la Table ronde le fascinaient.

Un vieux cendrier récupéré d’un reste de coquillage, trouvé sur une plage de Quiberon débordait de restes de cigarettes roulées, de mégots faits sur mesure à l’aide de morceaux de carton Bristol, l’idéal d’après son expérience pour apprécier un bon joint de weed. Un jour, il prendrait le temps d’émietter tous ses restes de cigarettes et récupérer, s’il en reste, des vestiges d’herbe venus se loger trop près du filtre et n’ayant pas été consumé et donc consommé. Fumer le détendait, rouler aussi. Il appréciait tout autant sa mécanique bien huilée, pour préparer son pétard, qu’il fumerait en plusieurs fois dans la soirée. Un petit plateau métallique lui permettait de ne pas perdre de ses produits, là où nombreux sont les consommateurs impatients, à préparer leurs joints n’importe où et, par la force des choses n’importe comment. De cette manière, il avait la satisfaction de consommer de manière propre et organisée. Sa grande feuille aplatie, elle était déjà chargée de la seconde couche de tabac qui recouvrait son cannabis séché après être passée dans son grinder et la première couche de tabac qui tapissait sa feuille à rouler.

Luca hésita une seconde. Son regard se posa sur son téléphone qui vibrait pour la troisième fois en 5 minutes. Il savait ce qui l’attendait lorsqu’il allait décrocher à ce harceleur. Ce voleur de moment, où il allait enfin pouvoir poser son esprit des mille et un tourments qui happaient toujours plus son attention.

« Et merde », prononça-t-il tout en dévissant son grinder noir, afin de récupérer une bonne dose de pollen laissé par de nombreuses années de consommation.

Il saupoudra son joint, tel un cuisinier qui met la dernière touche d’assaisonnement à son repas, afin de le sublimer. De ses mains, il saisit délicatement chacune des extrémités de sa feuille, bloqua son filtre en carton bristol et s’attela à ces mouvements devenus automatiques avec le temps, afin de lui donner la forme souhaitée, avant de sceller le tout à renfort de légers coups de langue lisses et précis.

Il avait comme point d’honneur de ne travailler que sur des affaires encore jamais résolues, voire abandonnées ou classées faute de preuves ou de temps. Il déposa son verre et alluma l’extrémité de son joint qui se consuma. Il inspira fortement tout en fermant les yeux. Goulûment et avec patience, sa bouffée pénétra sa trachée jusqu’à ses poumons. Il recracha la fumée. Elle était épaisse comme il l’aimait. Il la sentait sortir de sa bouche, de ses narines et lui caresser les joues en flirtant avec la commissure de ses lèvres. Luca était fasciné par la complexité aromatique du cannabis, avec presque 200 composés différents pour lui donner son parfum floral que tous lui connaissent. Luca se persuadait de son usage thérapeutique avec un bénéfice secondaire psychotrope non négligeable.

Son téléphone vibra une nouvelle fois. Il décrocha sans prononcer un mot. Au bout du fil, la voix semblait peu assurée mais pas intimidée non plus.

« Luca ? Tu en mets du temps à me répondre. Bref, elle arrive au bac de 17 h sur Belle Île. La Direction générale des Services de l’Intérieur l’a bien missionnée sur l’enquête de l’Arnacœur. Je sais que tu travailles dessus depuis ses débuts. En espérant que vous parveniez à ne pas vous faire envahir… Que cette enquête aux multiples meurtres se déroule aussi bien qu’avec le premier stagiaire DGSI. Et pour l’amour de Dieu. Arrête de fumer ».

Luca Joschua ne répondait pas et ne semblait pas non plus être étonné par les propos de son interlocuteur. Ils se connaissaient depuis longtemps. Ils ne se présentèrent pas et ne se saluèrent pas non plus. Il pensa simplement que Dieu n’avait rien à voir là-dedans.

Il poursuivit son monologue :

« Tes états de fait ne sont pas restés dans l’ombre. La résolution des enquêtes les plus complexes et à répétition ne passe pas inaperçue. Tu as été choisi, sans ton aval évidemment, il y a de ça de nombreuses années pour travailler officiellement sur cette enquête. Nombreuses sont les affaires non résolues. Pour la DGSI, c’est du pain béni d’envoyer leurs nouvelles recrues afin de les observer. Tu seras donc son contact, son parrain. Tu seras son partenaire pour le temps de son tout premier travail comme jeune Profiler, fraîchement diplômée ».

Luca acquiesça sans donner de réponse et raccrocha.

Il savait que la DGSI se plaisait à envoyer leurs premières recrues sur des enquêtes irréalisables, pour analyser et observer le degré de courage. Mais pas que, ils observaient aussi les réactions des nouveaux agents face à la frustration.

Il but d’une traite son reste de whisky, tira une grande bouffée de son joint qu’il déposa sur le cendrier. Il se leva tranquillement en s’étirant les bras vers le haut. Il laissa la lumière du fond allumée qu’il n’éteignait jamais. Attrapa son manteau imperméable d’un marron sombre, qu’il enfila tout en marchant. Il monta dans sa voiture qu’il démarra en même temps que sa portière claquait dans son sillage.

Direction le port du Palais de Belle Île.

La tension monta d’un cran. L’idée d’avoir une partenaire d’enquête le gênait autant qu’il était pressé de la rencontrer. Hors saison, sur l’île, le nombre d’habitants est bien moins conséquent. De ce postulat, tout le monde se connaît rapidement et les possibilités de rencontrer quelqu’un de nouveau deviennent bien plus alléchantes que le désir d’ermitage. Depuis bien longtemps maintenant, Luca ne s’intéressait plus à son apparence, pour autant, elle restait sombre et énigmatique. Il se plongeait à 100 pour cent dans son travail. Résoudre des enquêtes impossibles était devenu sa plus grande addiction. L’Arnacœur, lui, le hantait depuis des années. Depuis qu’il avait commencé à tuer. Depuis que l’enquête était close faute de preuves. Ce fou furieux de meurtrier était de la pire espèce. Il ne laissait absolument rien derrière lui. Aucune preuve. Peut-être que la venue de ce nouveau profil de professionnel, capable de réfléchir comme ces monstres, serait la solution pour enfin remonter jusqu’à cette ordure. À cette pensée, Luca enfonça la pédale d’accélérateur. Le temps pressait. Il ne le savait pas encore, mais le monstre en question allait de nouveau frapper, comme chaque année, sans que personne ne puisse rien y faire. Précisément comme chacune de ses victimes précédentes. Le dossier n’était jamais réellement clos. Mais plus personne ne se penchait sur cette affaire, tant elle était complexe et vide de sens, de preuves.

 

Il activa son téléphone qui afficha un fond d’écran noir sur lequel était écrit l’heure : 16 : 35 et la date du jour : 19.05.2023. Luca le sentait au plus profond de lui, ce monstre était toujours actif. Son téléphone vibra une nouvelle fois. Sur son écran s’afficha papa. Luca décida qu’il lui répondrait plus tard.

Dans son dos, le ciel gris et chargé gagna en obscurité et accompagna ce détective qui accélérait encore en direction du port de Belle-Île. Même lui ignorait qu’aujourd’hui serait le commencement d’un tout. Le début d’un renouveau au bourgeon fragile. À l’éclosion certaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Celui qui ne connaît pas l’Histoire est condamné à la revivre.

 

Karl Marx

 

 

 

 

 

Un énorme signal sonore, apparenté à une dizaine de klaxons de véhicule, hurla dans tout le port-Haliguen de la presqu’île de Quiberon. Il permettait d’alerter du départ d’un bateau comme de son arrivée du port Maria. Le vieux port mythique de pécheur avait évolué en port de plaisance au gré du temps, afin de lui donner l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui.

Alice se souvient être venue à plusieurs reprises à Quiberon avec sa famille lorsqu’elle était plus jeune. De nature curieuse, discrète et spontanée, elle aimait prendre le temps de flâner et de se perdre dans l’immensité désorganisée de ses souvenirs, qui eux, étaient férus de revêtir son quotidien d’un manteau de nostalgie, souvent froissé des interprétations qu’elle y ajoutait.

Debout parmi toute la population qu’accueillait régulièrement le marché du Port-Haliguen, elle se remémorait à quoi il ressemblait à l’époque. Les bateaux, lors des marées basses, s’échouaient dans le port et n’étaient à flot que lorsque celle-ci remontait.

Plus jeune, Alice se suspendait aux murs qui longeaient le port et couraient jusqu’à loin dans l’eau. Elle devait d’abord s’y prendre à plusieurs reprises tant ce dernier était haut et, une fois le rebord attrapé, ses pieds ne touchaient plus le sol. De la force de ses bras d’enfant, elle se tractait pour tenter d’apercevoir quelques instants l’océan, vaste et calme de ce côté de la presqu’île. Des pêcheurs, plus nombreux qu’aujourd’hui, se positionnaient sur un de leurs rochers fétiches. Préparaient leurs affaires de pêche. Ils s’armaient de leurs lancées et de patience. Pendant des heures, ils exerçaient le même mouvement dans l’espoir de remonter du poisson pour le repas du soir. Des habitants, comme les habitués des campings aux alentours, se côtoyaient lors de ce moment de partage. Ils s’échangeaient les restes de poissons récupérés à la criée du petit matin. Des liens d’amitié naissaient au gré des rencontres avant de se terminer autour d’un apéritif. Puis au fur et à mesure du temps, à ce paysage est venu s’ajouter de jeunes bambins qui couraient bruyamment autour de ces vieux pécheurs désabusés, mais satisfaits de voir la vie continuer, malgré l’envie de profiter de ce moment en silence. Des familles se déplaçaient, apaisées, sur les côtes qui rejoignaient le port-Haliguen à Saint-Pierre Quiberon. Le long d’un pittoresque sentier fait de sable serpentait la côte, entouré de verdure, d’arbustes et de rochers. D’un côté, la terre avec ses maisons et ses grands arbres et, de l’autre l’immensité de l’océan qu’offrait la Presqu’île, avec au loin les silhouettes des îles de Houat, Hoedic et de Belle-Île.

Les arômes, bien ancrés au cadre du Port Haliguen, proposaient un doux et agréable cocktail de la pêche du jour, de la marée, des embruns salés et du sable chaud. Les effluves de l’odeur des sapins, des pins, des dunes, des rivages associés aux algues libérant leurs bromophénols, cette odeur significative de poisson, comme moyen défensif, aussi présente dans de nombreux fruits de mer, sublimait à merveille le cadre sans limite de ce lieu, telle une peinture à la profondeur imaginaire.

Alice avait toujours trouvé à ce port une atmosphère bienveillante et chaleureuse malgré les vents, prêt à accueillir sans jugement. Une force presque mystique qui purifiait toute animosité et permettait à chacun de puiser dans une forme d’honnêteté révélée malgré soi. Un besoin ravageur de s’élever par la pensée puis par ses actes. Le chant d’une mouette la tira de ses songes. Elle se souvint des propos de son aïeul qui lui racontait qu’en 1899, le capitaine Dreyfus avait été débarqué sur ce port de l’île du diable, au lieu de celui prévu initialement afin d’éviter les émeutes. Direction son second procès où il fut reconnu coupable une seconde fois.

Pauvre gars, répétait son grand-père à chaque fois qu’il repensait à cette période de l’histoire. Il avait toujours dit respecter les écrivains, depuis que nombreux étaient ceux qui avaient élevé la plume pour faire entendre leurs voix, face à cette injustice historique. Dans sa bibliothèque, il laissait toujours une des œuvres d’Emile Zola en évidence. Alice se rappelait son préféré. Celui qui l’avait le plus marquée : Germinal. Pour son grand-père, cette période de l’histoire agissait comme l’une des pierres fondatrices de l’engagement des intellectuels à l’époque moderne. Paradoxalement au travail des générations précédentes d’hommes de lettres, qui mettaient eux en lumière et s’exprimaient dans le sens du pays et, donc par extension des républiques en place. Il disait souvent que c’était la moindre des choses face à l’horreur injuste que cet homme avait dû endurer. L’antisémitisme n’est pas d’hier et ne naît pas d’Hitler. La bêtise humaine n’est qu’une répétition perpétuelle des ignorants. Alice avait vu ses idées pencher du côté du parti politique de gauche, baignée en partie par le discours de son grand-père, qui avait passé sa vie à lutter pour les prolétaires, dont il faisait lui-même partie pour leur permettre de vivre, plutôt que de survivre, de plus que simplement des ressources du fruit de leur travail acharné.

Alors que l’intensité du silence dans lequel elle avait la capacité de se fondre, perdue dans la contemplation de l’horizon, apaisée par l’enchevêtrement de ses souvenirs qu’elle avait pris le temps de déplier et de ressentir pleinement, le ressac de ses émotions la submergea aussi vite. Le fracas de son anxiété, toujours aussi vif face à la peur de rater son moyen de transport, lui fit oublier quelques minutes les raisons de sa venue ici. Elle reprit ses esprits. Attrapa l’anse de sa valise qu’elle traîna derrière elle. L’écho des roulettes sur ce sol en bitume, caressé par tous ces grains de sable soufflés par le vent, ajoutait un air régulier mais entêtant qui semblait bourdonner aux tympans d’Alice. Elle scanna son billet, remercia le marin qui ne manqua pas de la regarder de haut en bas. Rangea sa valise dans les compartiments presque vides, faute de voyageurs et de touristes en cette saison. Elle déambula rêveuse à la recherche de la meilleure place qu’elle dénicha à la proue du bateau, délimitée par une insignifiante barrière, rongée par le sel et l’éclat des eaux qui éclaboussaient continuellement. Elle positionna ses deux mains sur cette dernière, lorsque le bateau entama son voyage. Penchée par-dessus le vide, elle ferma les yeux et laissa cette gourmande sensation grimper du fond de ses entrailles. L’effet du vent sur son visage, qui lui ébouriffait les cheveux et lui séchait la peau. Vivifiant et puissant à la fois. Elle se sentit soudainement étrangement heureuse et épanouie. Elle resserra son emprise sur la barrière à s’en blanchir les phalanges. Elle voulait crier de plaisir. Hurler ce sentiment qui la taraudait depuis plusieurs minutes. Elle n’était jamais venue sur Belle-Île et était bien trop jeune à l’époque pour en avoir une quelconque habitude, ou même un sens des dangers, comme des possibilités dont regorgeait ce lieu à l’énergie puissante. Pourtant, elle se sentit chez elle. Elle ouvrit les yeux. Le ciel d’une teinte grise ne semblait pas l’inquiéter, ni même entacher son sentiment de plénitude et de bonheur, qu’elle éprouvait depuis presque 30 minutes. Elle n’apercevait presque plus les côtes de la presqu’île de Quiberon, mais pouvait dorénavant observer les falaises grandioses de l’île qui était juste devant elle. Le bruit du ressac des vagues sur toutes ces plages camouflées par d’innombrables criques, accessibles par les terres ou directement par les plages, lorsque la marée était basse, en se faufilant parmi des rochers, qu’il fallait parfois escalader, termina de faire imploser son sentiment de joie, qui ne demandait qu’à s’exprimer. Elle écarta en grand ses deux bras. Elle explosa de joie et s’époumona sans se soucier du regard désapprobateur du peu de passagers présents ni des marins sur ce bateau. Elle ne prêta pas attention non plus aux insulaires qui venaient attendre et chercher certains voyageurs. Des larmes de joie s’échappèrent de ses yeux rieurs.

Alice avait vécu quelques années difficiles sentimentalement. Plongée dans ses études, en passant par une licence en psychologie, puis un master II en criminologie, elle avait été éloignée de son petit ami. Selon elle, il n’était pas en mesure de comprendre son besoin de faire toutes ces études. De surcroît, âgé de 25 ans, immature, à toujours être entouré de ses copains, il n’avait jamais imaginé quitter ce piteux appartement, dans lequel il habitait avec son ami, pour la rejoindre. Pour autant, lorsqu’elle décida de rompre, afin de se focaliser sur son master, il fut aussi présent et lourd qu’il s’était peu investi tout au long de leur relation. Autrement dit, il avait basculé dans une forme de violence assumée par laquelle il s’autorisait à décider à la place d’Alice, qui, elle, n’avait plus le choix que de l’aimer, selon lui. Ne lui laissant même plus le droit de choisir d’être ou non avec lui. Il la harcelait de messages, d’appels, imposait sa présence tôt le matin, à peine réveillée, en bas de chez elle. Il passait presque tous les soirs en voiture dans sa rue. Alice avait fini par avoir peur de lui et appréhendait de sortir de son appartement. Cette mascarade dura presque une année entière où elle oscillait entre la joie de se dire qu’il avait enfin renoncé à être avec elle et cette boule au ventre de voir qu’il ne lâchait pas l’affaire. Il avait cet incroyable don de réécrire l’histoire, afin de la faire passer pour la méchante impatiente, incapable de voir ce à côté de quoi elle passait.

Aujourd’hui sur la proue de son bateau, Alice se souvint de cet égoïste, qui une fois qu’il avait décidé que son deuil était passé, avait cessé de la harceler et était parti s’offrir un voyage, alors qu’il n’avait jamais ni le temps ni les moyens, quand elle lui demandait à minima de s’investir dans leur histoire. Lassée de toujours se croiser et de ne faire qu’avec les miettes d’une relation à laquelle elle ne croyait plus depuis longtemps, Alice avait décidé de reprendre sa vie en main. Seule et indépendante. L’amour et les sentiments attendront La rencontre. Elle était de celle amoureuse de l’amour qui était persuadée de l’existence de cet amour pur, de cette notion d’âme sœur, de ces coups de foudre en un croisement de regard et d’amour sans condition. Alice se plaisait à répéter à son amie les propos que son père lui tenait régulièrement :

« Quand on aime, on ne fait pas des efforts ! »

 

Il était de ses journées où le ciel persistait à rester dans la grisaille. Un soleil discret mais bien présent renforçait cette impression de chaleur un peu écrasante. Alors qu’Alice baissait enfin les bras, elle admira pour la première fois le port du Palais se dessiner devant ses yeux ébahis. Un édifice fortifié, imaginé et construit par Vauban, un ingénieur, architecte militaire, nommé maréchal de France par le roi Louis XIV, au 17e siècle. Il partait des terres et se dirigeait sur les eaux sous forme de remparts. Ils enlaçaient de leurs deux grands bras de roche partant chacun à un sens opposé, tous ces navires venant s’amarrer dans le port de Belle-Île. Alice trouvait ce lieu très poétique, à la rime d’un nouvel air, où le souffle d’un oxygène prospère. La métaphore, du père et de la mère, enlaçant leurs petits à protéger, avant qu’ils ne reprennent les flots, à voguer sur des océans, tantôt calmes, souvent colériques, toujours dangereux. Entre terre et mer, l’accueil éphémère des bateaux protégés par cet ancien fort de pierre, aujourd’hui transformé en musée. Protégés de l’océan capricieux, du vent puissant et contraire. De cette houle incessante, qui s’écrase à l’infini sur la coque de ces bateaux fatigués, fébrile barrage à la misère.