L'authentique guide impérial de Feng Shui & d'Astrologie Chinoise - Thomas F. Aylward - E-Book

L'authentique guide impérial de Feng Shui & d'Astrologie Chinoise E-Book

Thomas F. Aylward

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  • Herausgeber: IFS
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2014
Beschreibung

Deux anciennes disciplines se retrouvent dans un guide unique faisant autorité, toute première traduction d’un texte classique chinois.
Au 3e siècle AEC, l’état chinois a adopté l’Art de la Prévision et du Positionnement comme orthodoxie impériale. À partir de ce moment-là et jusqu’à son effondrement en 1911, la cour impériale a constamment employé des devins professionnels et approuvé les textes officiels relatifs à leur activité. La raison en est simple : les Chinois croyaient que l’univers communiquait son évaluation des agissements de l’empereur par le biais de présages célestes et terrestres, des présages que seuls les Maîtres de l’Art de la Prévision et du Positionnement étaient capables d’interpréter.
De nos jours, le Feng Shui (l’art du positionnement) et l’astrologie chinoise (la science des prédictions) ont conquis l’imagination populaire, mais dans la foulée, ces disciplines classiques ont été édulcorées au point parfois de ne plus être reconnaissables. Aujourd’hui, un véritable érudit de la langue, de la littérature et de la philosophie chinoises les a restaurées dans ce remarquable ouvrage, dans cette première et seule traduction authentique du traité chinois d’origine sur l’Art de la Prévision et du Positionnement.
Intellectuellement conforme et fidèle à l’œuvre originale et pourtant écrit de façon à être accessible au lecteur lambda comme au spécialiste, ce Guide Impérial :
- révèle le lien organique entre le feng shui et l’astrologie, lien négligé par la plupart des autres livres traitant de ces deux disciplines ;
- éclaire les aspects les plus complexes des théories du feng shui et de l’astrologie dans une langue accessible et un style clair et imagé ;
- introduit les concepts essentiels de la cosmologie chinoise : le yin et le yang, les cinq mouvements, les dix troncs célestes, les douze branches terrestres, les vingt-- quatre nœuds saisonniers et les soixante-quatre hexagrammes ;
- explique comment ces symboles se relient à la pensée chinoise traditionnelle et la signification qu’ils prennent dans notre monde moderne.

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À propos de l’auteur

Thomas Aylward étudie les langues et cultures asiatiques depuis 1988. Il a obtenu sa licence en 1992 à l’Université de Pennsylvanie et sa maîtrise en 1998 à l’Université de l’Indiana. Actuellement, il termine son PhD à l’université de Sydney. Sa thèse, qui étudie l’engagement impérial dans le feng shui sous la dynastie des Qing (1644-1911), est l’aboutissement de ses recherches antérieures sur le Traité dont il présente la traduction dans cet ouvrage.

À mon mentor, le Professeur Robert Eno, de l’Université de Pennsylvanie, qui, par son coup de fil inattendu à ce jeune diplômé hésitant que j’étais alors à Taïwan, m’a convaincu de poursuivre mes études de chinois classique et a ainsi, de multiples façons, contribué à changer le cours de ma vie.

REMERCIEMENTS

Pour commencer, je voudrais remercier la personne dont l’aide a considérablement contribué à ce que ce livre voit le jour, ma femme, Kanokpan Lao-Araya. Sans aucun doute c’est son amour et ses encouragements qui ont m’ont soutenu tout au long de cette aventure mais, plus fondamentalement encore, c’est elle qui a travaillé et a gagné notre pain afin de soutenir mon implication dans un projet qui a consommé toutes mes énergies sans aucune promesse de retour financier immédiat. J’aimerais également remercier mon fils Francis et ma fille Nora qui ont tous les deux patiemment accepté que je sois souvent absent de la maison et que je ne puisse que très rarement partager leurs jeux. Je vous aimerais toujours tous les trois et je vous suis reconnaissant de votre soutien.

J’aimerais remercier le Professeur Richard Smith de Rice University, au Texas, qui a relu et commenté mon chapitre d’introduction. Le Dr Smith a généreusement et sans hésitation accepté de m’aider alors que je n’appartenais pas officiellement au monde universitaire traditionnel et que je ne l’avais même encore jamais rencontré. Ce dévouement altruiste pour faire avancer la recherche malgré les lourdes tâches d’enseignement et de recherche auxquelles lui-même devait faire face incarne la caractéristique la plus méritoire de cet enseignant et érudit. Les commentaires du Dr Smith ont été nombreux et inestimables et m’ont grandement aidé à améliorer la précision de mon Introduction.

Mon ancien camarade de classe et ami Donald Durfee s’est également porté volontaire pour revoir mon Introduction. Grâce à son expérience professionnelle dans l’édition, il a pu me faire des remarques éclairées sur mon style et sa concision, ce qui m’ont aidé à condenser ma prose et à rendre cette Introduction plus facilement compréhensible pour le lecteur lambda. Don a revu et commenté mon manuscrit bénévolement tout en travaillant à temps plein comme écrivain et rédacteur en chef et en élevant, avec sa femme, deux jeunes enfants. Je lui suis très reconnaissant de cette contribution.

Je dois des remerciements tout particuliers à ma graphiste de sœur, Tara Guild, qui a créé avec maestria toutes les illustrations de cet ouvrage. La tâche était particulièrement délicate en raison des illustrations qui figuraient dans le livre d’origine et qui étaient toutes annotées en chinois, langue qu’elle n’a jamais étudiée. Si l’on pense qu’elle a aussi été obligée de créer ces illustrations en ne correspondant avec moi, pour une bonne moitié de l’ouvrage, que par internet interposé, je suis ébahi par la qualité de ce qu’elle a réussi à faire.

Enfin, j’aimerais exprimer ma profonde reconnaissance à Michael Mann et Penny Stopa, de chez Watkins Publishing, pour l’aide permanente et la patience inépuisable dont ils ont fait preuve envers cet écrivain totalement novice dans le domaine de l’édition professionnelle. Je suis également extrêmement reconnaissant à Shelagh Boyd qui a assumé avec beaucoup de soin le travail éditorial de mon manuscrit et m’a évité de commettre de nombreuses erreurs sur un sujet pourtant plus nouveau pour elle que pour moi. Toute erreur qui pourrait subsister est donc à mettre au compte de ma seule responsabilité.

Hanoi, Vietnam Janvier 2006

Avant-propos

Beaucoup d’inepties ont été écrites sur la pratique chinoise connue sous le nom de feng shui (littéralement « vent et eau », également traduit par « géomancie », « organisation de l’espace », etc.). Mais le livre de M. Aylward, je suis heureux de le dire, ne tombe pas dans cette catégorie d’ouvrages. Bien au contraire, il fournit une explication extrêmement valable des principes sophistiqués sur lesquels repose et a toujours reposé ce phénomène social qui va grandissant (et s’étend bien au-delà de nos frontières). Bien plus que cela, L’authentique guide impérial de feng shui et d’astrologie chinoise nous éclaire utilement sur la vaste palette de croyances et pratiques reposant sur la cosmologie qui ont toujours été au cœur de la culture chinoise (et des cultures japonaise, coréenne et vietnamienne) depuis des centaines, voire des milliers d’années.

Comme M. Aylward le dit lui-même dans son Introduction soigneusement peaufinée, bon nombre des idées contenues dans le Xieji bianfang shu soit découlent de ce grand classique chinois ancien qu’est le I Ching, Le livre des transformations, soit lui sont très intimement associées. Il n’est pas exagéré de dire que Le livre des transformations est le seul livre à avoir cette importance extrême dans toute la tradition culturelle chinoise. Étant apparu en Chine il y a environ 3000 ans sous forme d’un texte de divination occulte, le I Ching a finalement atteint le statut de « grand classique » en 136 AEC et, comme pour les autres « classiques » des principales civilisations, que ce soit en Orient ou en Occident, le I Ching a eu un effet profond sur la culture chinoise dans la totalité de l’ère impériale (de 136 AEC à 1912) dans des domaines aussi divers que le langage, la philosophie, la religion, les arts, la littérature, la politique, la vie sociale, les mathématiques, les sciences et la médecine.

Voici une description du Le livre des transformations par l’un des plus grands intellectuels chinois, Wang Fuzhi (1619-1692) :

[Le I Ching est] la manifestation de la Voie Céleste, la forme non exprimée de la nature et le coffret des accomplissements sages. Le yin et le yang, le mouvement et l’immobilité, l’obscurité et la lumière, la contraction et l’expansion, tout lui est inhérent. C’est l’esprit qui opère en lui, c’est la subtilité raffinée des rituels et de la musique qu’il conserve en lui, c’est l’utilité suprême de l’humanité et de la conduite juste qui en découlent, et c’est le calcul de l’ordre et du désordre des choses, de la bonne et de la mauvaise fortune, de la vie et de la mort, qui se mettent au diapason avec lui.

Voilà ce que ceux qui ont publié cette grande compilation de la littérature chinoise du 18e siècle connue sous le nom de Siku quanshu (Collection Complète des Quatre Trésors) ont à en dire : « Le chemin du Livre des transformations est long et large. Il englobe chaque chose, y compris l’astronomie, la géographie, la musique, l’art militaire, l’étude des cycles, les calculs numériques et même l’alchimie ».

Comment alors, peut-on se demander, L’authentique guide impérial de feng shui et d’astrologie chinoise a-t-il pu éclairer d’un jour nouveau le I Ching et son héritage culturel ? Si nous regardons avec soin les parties du Xieji bianfang shu qui ont été traduites par M. Aylward, nous trouvons des présentations complètes et éclairantes de pratiquement chaque concept majeur associé à ce classique énigmatique, depuis le yin et le yang, les Cinq Mouvements, les Huit Trigrammes et les Soixante-Quatre Hexagrammes, jusqu’à la Carte du Fleuve Jaune, le Diagramme de la Rivière Luo, les Dix Troncs Célestes, les Douze Branches Terrestres et les Vingt-Huit Loges Lunaires. Qui plus est, le Xieji bianfang shu révèle avec une clarté remarquable la façon dont ces variables cosmiques entrent en interaction les unes avec les autres et se rattachent aux saisons, aux directions, aux notes de musique, aux signes du zodiaque et ainsi de suite.

Pendant plus de 2000 ans, les érudits et les devins professionnels chinois, y compris, bien évidemment, les grands maîtres du feng shui, ont employé des systèmes d’interprétations reposant sur ces variables pour comprendre la nature du monde phénoménal et le schéma des changements de l’univers liés au passé, présent et futur. Ce système de corrélations, présenté à loisir dans le Xieji bianfang shu comprend les Éléments des Troncs Jia (najia), les Éléments Mélodiques (nayin), les Huit Palais (bagong) et les configurations des trigrammes et hexagrammes comme les séquences du Ciel Antérieur (xiantian) et du Ciel Postérieur (houtian). Parmi toutes les personnes associées à la création ou au perfectionnement de ces systèmes, on peut citer des personnages célèbres et influents de l’histoire chinoise comme Dong Zhongshu (environ 179–104 AEC), Jing Fang (77–37 AEC), Guan Lu (environ 210–256), Chen Tuan (mort en 989), Shao Yong (1011–1077), Lai Zhide (1525–1604), Fang Yizhi (1611–1671) et Jiang Yong (1681–1762).

Voilà ce que Jiang avait à dire sur les corrélations cosmiques :

La Carte du Fleuve Jaune, le Diagramme de la Rivière Luo, les trigrammes et les hexagrammes et leurs traits proviennent tous de la même source, [reflètent] des courants traditionnels et sont en interaction mutuelle, c’est pourquoi des concepts comme le gougu [système traditionnel de triangulation] et le chengfang [« carrés magiques »] en mathématiques, les cinq sons et les six notes [wuyin liulü] en musique, les positions des Sept Corps Célestes [qiyao] en astrologie [tianwen], le système des Éléments des Troncs Jia et des Éléments Mélodiques des Spécialistes des Cinq Mouvements, les consonnes sonores et pures en phonétique, les Principes et les Souffles Viraux de la boussole des géomanciens, les méthodes doushou et qimen des experts dans la stratégie du « choix des jours », et même les fondements et les principes de la médecine, y compris les Cinq Mouvements et les six « souffles » du ciel et les veines du corps humain, tous émanent de la Carte du Fleuve Jaune, du diagramme de la Rivière Luo, des trigrammes, des hexagrammes et des traits.

Jiang poursuit en prétendant que les degrés de la sphère céleste, les signes astrologiques et les Vingt-quatre Nœuds Saisonniers trouvent leur origine dans la Carte du Fleuve Jaune et le diagramme de la Rivière Luo. Il en va de même pour les harmoniques mathématiques et le diapason, qui, d’après Jiang, étaient en lien avec les unités standard de longueur, de capacité, de poids et même de monnaie.

Avec la chute de la dynastie des Qing, en 1912, ce mode de vision du monde fondé sur la cosmologie a perdu la faveur de nombreux intellectuels chinois, en partie parce qu’il avait perdu toute vertu aux yeux de la République « moderne ». Pourtant, encore de nos jours, ces concepts imprègnent toujours les almanachs populaires, les pratiques divinatoires populaires et la médecine traditionnelle chinoise. En fait, une récente étude menée par l’Ethnology Research Institute de l’Academia Sinica à Taïwan a montré que 83 % des familles taïwanaises possédaient au moins un exemplaire d’almanachs de type traditionnel. Parmi les personnes interrogées, 69 % ont déclaré que ces almanachs étaient « totalement indispensables » ou « indispensables » à la conduite de leurs affaires et seulement 19 % les considèrent comme « pas tellement indispensables ». Bien qu’à l’heure actuelle je n’aie pas de chiffres de comparaison pour ce qui se passe à Hong Kong, je suis prêt à parier que le nombre d’almanachs détenus, de même que le pourcentage des propriétaires de ceux-ci les trouvant indispensables à leur vie quotidienne est au moins aussi élevé. Je soupçonne que, dans ces deux endroits, on pourrait trouver des niveaux de croyance similaires pour ce qui est de la pratique du feng shui.

C’est pourquoi L’authentique guide impérial de feng shui et d’astrologie chinoise constitue non seulement une fenêtre inestimable ouverte sur le passé, mais nous permet également de comprendre plus pleinement la persévérance remarquable de ces croyances et pratiques dont nous avons hérité. Je félicite M. Aylward pour la réalisation de cet ouvrage.

Richard J. Smith Rice University

PREMIÈRE PARTIE INTRODUCTION DE L’AUTEUR-TRADUCTEUR

CHAPITRE 1 L’importance de la cosmologie, des calendriers et de la divination dans la Chine impériale

L’art de la divination n’est peut-être pas unique en Chine, mais il est difficile d’imaginer la Chine sans celui-ci. Pendant plus de 2000 ans, cet art traditionnel a été fortement imbriqué dans le tissu politique et social chinois. Les empereurs chinois l’employaient pour déterminer quand déclarer la guerre ou faire la paix. La population chinoise y avait recours pour choisir quand planter et récolter ou pour prévoir des événements importants comme un mariage ou des funérailles. Des millions de personnes continuent encore à ce jour à pratiquer cet art.

L’une des plus importantes formes de divination en Chine est faite d’un mélange d’astrologie et de géomancie que j’appelle « l’art de prévoir et de positionner ». Cet art repose sur la croyance que l’objectif de l’existence humaine est d’agir en harmonie avec l’écoulement du temps et de se positionner symétriquement au sein de l’immobilité de l’espace. Un exemple simple de ceci est de savoir qu’il faut planter au printemps et récolter à l’automne, et orienter sa maison au sud pour qu’elle absorbe la chaleur du soleil. Selon les praticiens de cet art, en étudiant les mouvements des étoiles et des planètes ainsi que les schémas des caractéristiques physiques de la terre, nous pouvons découvrir quand et où agir en toute circonstance.

C’est au cours du 3e siècle AEC que l’état chinois a adopté l’art de prévoir et de positionner et en a fait une orthodoxie impériale. Depuis la constitution de l’empire, en 221 AEC, et jusqu’à son effondrement en 1911, l’état a continuellement employé des devins professionnels et a approuvé les textes officiels traitant de leur art. Il y avait une raison simple pour justifier cet intérêt de l’état : les Chinois croyaient que l’univers communiquait son jugement quant aux agissements de l’empereur par l’intermédiaire de présages astraux et terrestres, des présages que les personnes passées maîtres dans l’art de prévoir et de positionner avaient pour qualité d’interpréter. En conséquence, il était dans l’intérêt de l’empereur de contrôler soigneusement la production des textes traitant de cet art, de même que ses outils, plus particulièrement les calendriers et la boussole.

Pendant toute l’ère impériale, l’état a continuellement systématisé et modifié des aspects de cette orthodoxie afin de servir les intérêts impériaux. En particulier, l’état a incorporé les avancées en astrologie faites en Occident aux 9e et 18e siècles à la suite de l’arrivée en Chine respectivement des bouddhistes indiens et des missionnaires européens. Ces avancées en astronomie ont à leur tour influencé l’astrologie chinoise. Mais dans le même temps, les théories populaires sur le cosmos et les pratiques divinatoires se sont développées dans le peuple et ont, un temps, concurrencé et contredit les enseignements orthodoxes. L’état a alors contrôlé ces traditions non orthodoxes, incorporant les éléments qui servaient son intérêt et en bannissant d’autres. En conséquence, la version que la fin de l’empire a donnée de la cosmologie orthodoxe et de la divination officielle était le produit d’une longue dialectique entre partisans officiels et partisans populaires de ces idées et de ces pratiques.

C’est au cours de la dynastie des Qing (1644-1911) que l’empereur Qianlong (qui a régné de 1736 à 1795) a eu le dernier mot officiel de ce dialogue qui a duré plus de 2 000 ans. En 1740, l’empereur a commandé le Traité sur l’harmonisation des temps et la différenciation des directions (que désormais je nommerai simplement « Traité ») afin de réconcilier les avis divergents des spécialistes quant à la bonne méthode du choix des heures et des orientations. En publiant cet ouvrage, l’empereur a satisfait une obligation importante, celle d’actualiser les pratiques liées au calendrier et à la géographie à partir d’un héritage chapeauté par l’état. Au-delà de cela, ce Traité s’intègre dans une initiative littéraire plus vaste que l’Empereur Qianlong avait commandée et qui visait à rassembler, évaluer, cataloguer et conserver tout livre important jamais écrit en Chine.

L’empereur a dévolu la tâche de compiler ce traité à des officiels lettrés du Bureau de l’astronomie, qui dépendait du très puissant Conseil des Rites. Pour compiler ce Traité, ces officiels ont commencé par résumer les grandes lignes fondamentales de la cosmologie officielle. Ils ont également essayé d’incorporer tout document important jamais écrit sur l’art de prévoir et de positionner, et ont décrété de façon autoritaire quelles étaient les méthodes qui étaient correctes. C’est pourquoi le texte final du Traité a fini par être considéré comme le manuel de référence de ceux qui pratiquaient la divination et qui confectionnaient les calendriers. Par la suite, aucun des six empereurs de Chine qui ont suivi n’a jamais tenté une telle prouesse. L’effondrement des Qing, en 1911, a marqué la fin du financement officiel par l’état de l’art de la prévision et du positionnement et de la cosmologie traditionnelle en Chine. En conséquence, ce Traité est unanimement considéré, à la fois par les érudits et par les praticiens de cet art de prévoir et de positionner, comme le summum de la cosmologie de la fin de l’empire.

L’art chinois de prévoir et de positionner a façonné le cœur même de la culture et de la philosophie traditionnelles. Contrairement à ce qui se passait en Occident, en Chine, la divination n’était pas considérée comme relevant du surnaturel ou de la superstition. On estimait que les informations que cet art apportait provenaient de l’univers même de la nature et non d’une puissance transcendante. Qui plus est, cet art de prévoir et de positionner a joué un rôle à part entière dans l’orthodoxie gouvernementale. Si la bureaucratie impériale interdisait effectivement les pratiques divinatoires, interdisant d’utiliser des almanachs non officiels, l’objectif n’était pas tant d’éliminer la superstition ou l’hétérodoxie. Au contraire, le trône s’inquiétait plutôt de se réserver à lui seul le droit de s’engager dans ces pratiques qu’il sanctionnait par ailleurs. Les aspects interdits de cet art de prévoir et de positionner n’étaient pas en eux-mêmes illicites, ils étaient plutôt une prérogative impériale.

Tout au cours de l’histoire de la Chine, l’art de prévoir et de positionner n’a jamais été considéré comme un simple rituel de cour dépourvu d’âme, mais il avait sa place dans pratiquement tous les aspects de la vie. Avant de consentir à un mariage arrangé, les parents comparaient (certains le font encore) les Huit Caractères de l’heure de naissance du promis et de la promise pour voir s’ils allaient bien ensemble. On consultait les devins pour avoir des conseils sur la santé, qu’elle soit physique ou mentale. Les paysans consultaient les almanachs pour connaître les dates favorables pour planter et récolter. Les généraux cherchaient des conseils similaires sur le moment propice pour affronter l’ennemi. Le livre des transformations (I Ching), qui a fourni une bonne partie des sources de cet art, était le manuel suprême de divination. C’était un texte central dans le canon confucéen et il était grandement vénéré à la fois comme livre de philosophie et comme oracle. De nombreuses personnes faisant partie de l’élite de la Chine consultaient quotidiennement Le livre des transformations. Le langage et les métaphores de ce livre totalement unique peuvent se retrouver dans toute la littérature et l’art chinois. Considérant la force et la primauté de la passion traditionnelle pour la divination en Chine, il est à peine surprenant que le Traité sur l’harmonisation des temps et la différenciation des directions ait occupé la place prépondérante qu’il avait.

Cet ouvrage est une traduction de l’avant-propos et des chapitres introductifs de ce Traité. L’avant-propos résume l’histoire de l’art de prévoir et de positionner, et décrit l’importance de cette tradition pour l’époque de ceux qui l’ont compilé, c’est-à-dire l’Empire chinois du 18e siècle. Le premier chapitre introductif définit les théories fondamentales de la cosmologie et de la divination liée au temps et à l’espace ; il résume ensuite les méthodes pour choisir les dates favorables. Le deuxième chapitre introductif résume les méthodes pour choisir les positions et les orientations auspicieuses. Ces chapitres comblent le fossé entre les théories cosmologiques générales, comme le yin et le yang, les Cinq Mouvements et les huit trigrammes, et les pratiques divinatoires spécifiques de choix de date et d’orientation. Peu de livres disponibles en anglais ou en français évoquent ce lien important.

Cette traduction ne couvre que les deux premiers chapitres du Traité, c’est-à-dire à peu près 15 % de l’œuvre complète. Le premier chapitre aborde les principes primordiaux de la cosmologie de même que les principes spécifiques qui gouvernent les déterminants chronologiques, autrement dit divins, de la destinée. Le deuxième chapitre décrit les déterminants spatiaux, autrement dit terrestres, de la destinée. Le reste du Traité est fait de cartes destinées à aider les spécialistes à situer correctement les dieux et les démons du temps et de l’espace dans les pages quotidiennes des almanachs.

Aperçu de la cosmologie chinoise

Pour comprendre pleinement l’art de prévoir et de positionner, nous devons envisager celui-ci dans le contexte de la cosmologie traditionnelle chinoise. La cosmologie est un système de connaissances qui décrit l’ordre de l’univers en termes des principaux objets physiques constitutifs et de processus temporels. Elle s’efforce de décrire comment l’univers est né, comment il s’est structuré, et comment il fonctionne. Avant que l’empire ne soit institué, pendant la période classique de la philosophie chinoise, il existait déjà plusieurs versions différentes de la cosmologie. Mais pendant les première et deuxième dynasties impériales, celle des Qin (221 AEC-206 AEC) et celle des Han (206 AEC-220 EC), l’état avait reconnu une cosmologie officielle qui était une synthèse de plusieurs systèmes antérieurs. À partir de ce moment-là, l’art divinatoire officiel consistant à prévoir et positionner a été inextricablement lié aux théories de cette synthèse cosmologique orthodoxe.

Ce qui suit est un résumé de la cosmologie primitive la plus complète, apparue dans le Huainanzi, qui date de la deuxième moitié du 2e siècle AEC. Dans un temps avant le temps, tout était chaos. Du chaos sont nés l’espace et le temps. L’espace et le temps ont produit le souffle de la vie (le Qi). Ce souffle vital s’est séparé ; la partie qui était pure et lumineuse est montée et a d’abord formé le ciel, après quoi, l’agrégation de ce qui était lourd et opaque a formé la terre. Le ciel et la terre ont engendré le yang et le yin. Le yang et le yin ont engendré les quatre saisons. Les quatre saisons ont engendré d’innombrables choses (c’est-à-dire tout ce qui est sur la terre). Le souffle vital chaud du yang s’est rassemblé pour engendrer le feu. L’essence du feu est devenue le soleil. Le souffle vital froid du yin s’est rassemblé pour engendrer l’eau. L’essence de l’eau est devenue la lune. Ce qui restait des essences du soleil et de la lune a engendré les étoiles. Le ciel a reçu le soleil, la lune, les étoiles et les planètes. La terre a reçu la pluie, les inondations, la poussière et la saleté. Une fois la civilisation formée, deux êtres mythiques, Gong Gong et Zhuan Xu, se bagarrèrent pour devenir empereur. Dans leur combat, ils s’écrasèrent contre le Mont Buzhou, le pilier nord-ouest des huit piliers qui maintenaient le ciel au-dessus de la terre, et l’ébranlèrent. En conséquence, le ciel se pencha vers le nord-ouest, et à sa suite, le soleil, la lune, les étoiles et les planètes. De même, la terre s’enfonça vers le sud-est et les eaux et la terre prirent cette même direction. Il s’ensuivit une inondation gigantesque.

Cette cosmologie est faite de trois phases : le chaos, la formation d’un cosmos parfait et la perturbation de cet ordre cosmique parfait. Le temps historique commence avec cette dernière phase et l’acte de perturbation représente la cause de l’imperfection de notre univers et, en conséquence, le problème quintessentiel de l’existence humaine. Pratiquement, l’histoire de ce combat mythique explique la principale asymétrie astronomique, c’est-à-dire le fait que l’axe de la terre soit incliné. C’est à cause de cette inclinaison que l’orbite du soleil au milieu des étoiles fixes du ciel (l’écliptique) diffère du plan de l’équateur terrestre projeté sur le dôme des étoiles (l’équateur céleste). Nous pouvons supposer que les astronomes de l’ancien temps étaient considérablement troublés par cette asymétrie et cette non-coïncidence de l’écliptique et de l’équateur. Ils croyaient que le soleil aurait dû emprunter le même chemin dans le ciel que celui qui était tracé par l’équateur céleste. La grande inondation cataclysmique de la mythologie chinoise est, elle aussi, attribuée à ce même événement.

Cette catastrophe n’a pas eu qu’une signification astronomique abstraite. En fait, c’est cette non-coïncidence même de l’écliptique et de l’équateur qui définit les solstices et les équinoxes, et donc les quatre saisons. Le point le plus éloigné atteint par le soleil, en dessous de l’équateur, est le solstice d’hiver. Dans l’hémisphère nord, le point le plus éloigné est le solstice d’été. Les points où le soleil traverse l’équateur sont les équinoxes de printemps et d’automne. Ironie du sort, la cosmologie semble dire que les quatre saisons sont nées avant cette grande bataille. Mais ce qu’il est important de tirer de cette histoire est que les partisans de cette cosmologie avaient parfaitement compris que cette asymétrie astronomique posait un vrai problème, que ce mythe a cherché à expliquer.

Ce que l’histoire ne dit pas clairement, nous pouvons le déduire de la mythologie chinoise, à savoir que la société des hommes existait avant ce combat cosmique. L’opposant Zhuan Xu occupe une place dans le tableau des empereurs chinois mythiques. Il fit suite aux inventeurs des outils de la civilisation, comme Shen Nong et Fu Xi, et il fut le troisième empereur après le premier postulant légendaire à ce titre, le célèbre Huang Di ou L’Empereur Jaune. Après la mort du propre successeur de Zhuan Xu, la charge a été transmise à l’Empereur Yao, le premier des légendaires empereurs confucéens. Nous voyons là qu’on estimait qu’un âge d’or de la civilisation avait précédé cette grande bataille. La destruction du pilier céleste nord-ouest a eu de nombreuses ramifications. La déviation de l’axe terrestre qui en a découlé a sans aucun doute créé de nouveaux défis aux calendriers qui reposaient sur l’astronomie. L’invasion des terres par les eaux a aussi exigé une réponse herculéenne de la part de l’humanité. Tels étaient les défis qu’ont confronté et surmonté les empereurs légendaires Yao, Shun et Yü : réformer le calendrier et réguler le cours de l’eau. Leurs actions en tant qu’empereurs ont, pour un temps, rétabli l’harmonieux équilibre primordial entre le ciel et la terre, c’est-à-dire l’équilibre entre le temps et l’espace.

De cette histoire chinoise de la genèse, nous pouvons en tirer un modèle schématique de la cosmologie. Au début, il y avait le chaos. De ce chaos sont nés l’espace et le temps, qui constituaient les deux seuls éléments de l’univers, mais qui étaient inséparables. Chaque composante de ce couple a engendré une longue série de corrélats. Le temps a engendré le souffle vital pur et brillant, le ciel, le yang, le feu, le soleil et ainsi de suite. L’espace a engendré le souffle vital lourd et turbide, la terre, le yin, l’eau, la lune, etc. La coexistence harmonieuse du yang et du yin a aussi engendré les saisons et diverses choses, les fleurs et la faune de l’univers. Les hommes avaient leur place dans cet univers ordonné, mais, par la faute de l’homme, ce parfait équilibre entre le temps harmonieux du ciel et l’espace symétrique de la terre a été perturbé d’une manière extrêmement physique, sans toutefois être complètement détruit.

Si certains thèmes de ce mythe chinois rappellent des éléments de la cosmologie occidentale, les différences n’en sont que plus frappantes. Dans la cosmologie chinoise, nous voyons que l’accent est mis sur l’immanence plutôt que la transcendance. Il n’y a pas de créateur divin existant en dehors du système cosmique. L’univers qu’il décrit est physique. Il se développe à partir d’une graine et toutes ses parties sont formées comme par division cellulaire ou copulation. L’acte qui crée le dilemme de l’homme affecte non seulement l’homme, mais aussi chaque élément du cosmos. La faute, dans cet acte, n’a pas été la désobéissance à une loi divine transcendante qui a fait que l’homme a été chassé du paradis. Le problème a plutôt été que l’homme a perturbé un état naturel d’ordre dont il faisait partie et auquel il avait participé. L’entité suprême, dans cette cosmologie, est l’univers lui-même. L’homme n’est pas isolé du reste du cosmos, et donc son action endommage effectivement et physiquement le ciel et la terre. Il n’est pas chassé du paradis, mais son acte fait que le paradis perd sa perfection. À la suite de cela, à la fois l’homme et le cosmos ont pour toujours été obligés de vivre dans le chaos que l’homme avait créé, c’est-à-dire une cosmologie éminemment consciente de son environnement. Entre parenthèses, cette grande calamité a été perpétrée par les hommes, et la seule femme qui y ait joué un rôle dans cette cosmologie est la déesse Nuwa qui a effectivement réparé les dommages faits au pilier par ces deux mâles qui se combattaient.

La cosmogonie du Huainanzi décrit un processus dans lequel les concepts abstraits inséparables d’espace et de temps ont produit un souffle vital concret qui, lui, est divisible. Le souffle vital se scinde en deux et donne le ciel et la terre qui, à leur tour, engendrent le yang et le yin. Ces processus de division suivis par une reproduction ou de reproduction suivie par une division vont se répéter jusqu’à ce que le cosmos ordonné soit complètement formé. À chaque étape de ce processus, le cosmos se reproduit lui-même sous forme de microcosmes toujours plus petits. Plus les concepts abstraits indissociables d’espace et de temps sont manifestes, plus les concepts de ciel et de terre, de yin et de yang, sont concrets. Le yin et le yang soit se fondent pour donner un nouveau microcosme qui va contenir des aspects des deux parents, soit se multiplient eux-mêmes chacun de leur côté. Mais chaque fois que l’un engendre individuellement quelque chose de nouveau, sa contrepartie engendre aussi une nouvelle entité, de sorte que ces deux nouveaux produits, pris ensemble, forment un microcosme équilibré. On peut donner en exemple le feu yang, qui produit le soleil, qui est lui-même équilibré par l’eau yin produite par la lune.

Chaque microcosme de l’univers est soit spatial (terre/yin) soit temporel (ciel/yang), mais, dans une parfaite symétrie, chaque microcosme temporel est lié à sa contrepartie spatiale. Par exemple, le yin et le yang engendrent les quatre saisons (temps) : l’automne et l’hiver, qui sont yin, et le printemps et l’été, qui sont yang. Dans l’espace, ces quatre saisons sont en corrélation avec les quatre directions. L’ouest et le nord, étant yin, sont associés respectivement à l’automne et à l’hiver. L’est et le sud, étant yang, sont associés respectivement au printemps et à l’été.

Selon une métaphore du Huainanzi, les composantes de ces divers microcosmes qui sont de la même classe cosmique se stimulent et se répondent mutuellement (gan ying), telles les racines et les branches d’une plante. Ce lien est hiérarchique. Les racines correspondent avec le haut de la hiérarchie et les branches avec le bas. Le ciel est la racine du yang et la terre la racine des aspects yin de chaque microcosme. Comme toutes les choses d’un même genre sont connectées entre elles, une influence sur une chose d’un certain genre dans un microcosme particulier va affecter toutes les choses de ce genre dans chaque autre microcosme. Toutefois, les influences sur les racines ont tendance à avoir des répercussions plus fortes sur les branches qu’inversement. Au sein de chaque microcosme, il doit y avoir un équilibre entre le yin et le yang. C’est pourquoi les rythmes réguliers des temps du ciel doivent s’équilibrer avec les dimensions symétriques des directions de la terre. Si jamais la lune prenait l’ascendance sur le soleil, alors ce déséquilibre au détriment du yang affecterait négativement chaque manifestation du yang dans l’univers.

Mettre en corrélation le cosmos et le corps humain en tant que microcosme a fourni une autre façon d’interpréter chacune des productions de microcosmes engendrés pendant la gestation cosmique. La tête, étant ronde et au sommet du corps, a été mise en relation avec le ciel. Les pieds, en dessous, ont été mis en relation avec la terre (il faut imaginer les deux pieds légèrement écartés, parallèles l’un à l’autre pour former un carré). Le cœur, pour les Chinois le centre à la fois de la pensée et des émotions, correspondait aux étoiles circumpolaires, et plus particulièrement à la Grande Louchei. Les yeux étaient en relation avec le soleil et la lune, et ainsi de suite. Quelques-unes des plus anciennes histoires de la cosmogonie décrivent même la formation de l’univers comme provenant de parties du géant primordial, Pan Gu. Voyant le corps tel un modèle essentiel doué d’ubiquité dont les organes étaient reliés aux autres parties de l’univers, les penseurs chinois ont pu établir, dans chaque microcosme, des corrélations entre le grand cosmos et le moi.

Au cœur de ces corrélations, nous voyons que ce même souffle vital façonne et anime à la fois le cosmos et le corps. Dans son aspect dynamique, ce souffle vital circule dans le corps tel un système sanguin invisible. De la même façon, le souffle vital du ciel circule dans les déplacements des corps célestes. Dans la terre, il parcourt les paysages comme un réseau de rivières souterraines, parfois affleurant à la surface, à d’autres moments s’enfonçant dans ses profondeurs. La médecine traditionnelle chinoise étudie la circulation idéale et les blocages de ce souffle vital dans le corps. Les pratiques médicales taoïstes cherchent à coordonner la circulation de ce souffle vital dans le corps humain de chacun avec le souffle vital des corps célestes. L’astrologie chinoise étudie la circulation de ce souffle vital dans les mouvements des étoiles et des planètes, et l’art du feng shui examine la circulation du souffle vital à la surface de la terre.

Au niveau de la société, le corps politique constituait aussi un microcosme important. L’empereur était associé au pôle céleste, l’axe du ciel. Pour prolonger cette analogie céleste, l’impératrice et divers ministres proches correspondaient aux étoiles situées près du pôle. Les étoiles de la région circumpolaire, qui restent en permanence au-dessus de l’horizon, constituaient le palais de l’empereur. Les étoiles situées sur la ligne de l’équateur céleste correspondaient aux régions de l’empire qui se trouvaient dans les quatre directions cardinales. En mettant en corrélation les divers microcosmes, les cosmologues de la Chine ancienne n’ont pas oublié l’institution qui la plus importante de la culture chinoise, la famille. Ainsi, le père et la mère correspondaient aux pôles célestes que sont l’empereur du pays et le cœur dans le corps.

La correspondance entre le cosmos et le corps est allée jusqu’à importer la cosmologie, bien au-delà du palais impérial, jusqu’à chaque être humain. En vérité, l’empereur était à la société ce que le pôle céleste était pour le reste des cieux. Mais au sein de chaque être humain, le cœur lui aussi était vu comme en parfaite corrélation avec l’axe du ciel. Ainsi, au niveau céleste, les étoiles du pôle gouvernaient le déplacement du dôme céleste. Au niveau de la société, l’empereur gouvernait le peuple. Au niveau familial, le père gouvernait la famille. Au niveau personnel, le cœur/l’esprit humain gouvernait la personne. En conséquence, l’obligation impériale de respecter les temps célestes et les directions terrestres s’est étendue à chaque être humain, sans exception.

Si l’on ne prenait en compte que la division de l’univers en yin et en yang, ce système pourrait sembler difficile à appréhender, mais les cosmologues ont appliqué plusieurs autres systèmes de catégorisation. Après le yin et le yang, le groupe qui est le plus important est celui connu comme les Cinq Mouvements. Les quatre directions et le centre sont corrélés aux Cinq Mouvements et ainsi, parallèlement, avec les quatre saisons et une cinquième supplémentaire (voir plus bas). Au fur et à mesure que l’on a divisé l’univers en parties de plus en plus complexes, des groupes de catégories plus fines sont apparus. Au-delà du yin-yang et des Cinq Mouvements, on a eu des groupes de huit (trigrammes), de douze (constellations astrologiques), de vingt-quatre (nœuds solaires et directions spatiales), etc. En compliquant ainsi les choses quasiment à l’infini, les divers groupes de catégories ont également été corrélés de multiples façons les uns avec les autres.

Laissant de côté cette liste étourdissante de catégories, tournons-nous maintenant vers la question de la place de l’homme dans le grand cosmos. Les anciens cosmologues croyaient que l’homme avait une position de pivot dans l’univers, se trouvant exactement entre les deux grandes sphères cosmiques que sont le ciel et la terre. L’humanité était considérée comme la plus importante au sein des innombrables choses qui se déplaçaient sous le parapluie rond des temps célestes et reposaient sur l’étendue carrée de l’espace terrestre. L’homme le plus important de tous était l’empereur, appelé Fils du Ciel. Au sein du microcosme de la société humaine, l’empereur se trouvait au centre. Il correspondait au pôle céleste des cieux, point qui est fixe dans le ciel et autour duquel tourne tout le reste du dôme stellaire. Le temps était défini par rapport aux révolutions, en sens inverse des aiguilles d’une montre, du soleil, de la lune et des planètes, et des révolutions, dans le sens des aiguilles d’une montre, des signes du zodiaque et des loges lunaires. En tant qu’axe de tous ces déplacements, le pôle céleste fournissait le point de référence ultime de toutes les mesures de temps. Il est intéressant de voir que l’axe de la terre ne passait pas par le centre de ce pays qui se nomme lui-même l’Empire du Milieu, autrement dit la Chine, mais passait par les monts Kunlun, quelque part à l’ouest, au nord-ouest ou au nord.1

Traditionnellement, les Chinois expliquaient la relation entre les trois royaumes du cosmos par analogie avec le caractère désignant le « roi » (wang), qui contient trois traits horizontaux parallèles reliés en leur centre par un trait vertical. Les trois traits horizontaux étaient dits représenter le ciel, la terre et l’homme, et le trait vertical était assimilé au monarque. Selon la théorie politique du Mandat céleste, lorsque le dirigeant suprême occupait son trône et se comportait en accord avec ce que lui dictait le ciel, l’univers jouissait d’un état d’harmonie et la dynastie était florissante. Selon le même principe, si l’empereur ne se comportait pas correctement, cela engendrait le chaos dans l’univers et l’effondrement de la dynastie. En tant que plan intermédiaire entre le ciel et la terre, l’humanité jouait un rôle vital dans le cosmos. La fonction de l’homme était de s’accorder et de participer à l’équilibre cosmique entre les mouvements célestes réguliers et l’immobilité symétrique de la terre. En tant qu’axe parcourant les royaumes du ciel, de la terre et de l’humanité, l’empereur était là pour assurer l’ordre à la fois dans le microcosme de la société humaine et au sein des trois royaumes du macrocosme.

Du temps mythique au temps historique

Les légendaires empereurs Yao, Shun et Yü ont établi les normes pour tous les empereurs qui ont suivi concernant le respect des temps célestes et des directions terrestres. Dans le récit de l’histoire de leur règne, racontée dans le Classique des documents (Shang shu), nous voyons que chaque empereur, lors de son accession au trône, a nommé des ministres pour actualiser les mesures du temps et sont allés personnellement, ou ont envoyé des messagers, surveiller ce domaine. Le lecteur contemporain peut considérer ces efforts comme des fins rationnelles qui ne sont pas à remettre en cause, mais pour comprendre totalement les actions de ces empereurs, nous devons envisager la façon dont ils avaient l’intention d’utiliser ces informations.

Depuis le début de l’histoire de la Chine, actualiser le calendrier a été considéré comme l’un des actes impériaux les plus importants.2 Dans une vaste société agraire, une mise à jour correcte du calendrier est de la plus haute importance car cela permet que les champs soient ensemencés et récoltés au bon moment. Lorsque la structure politique décentralisée de la Chine ancienne a été remplacée par une structure bureaucratique plus centralisée, un calendrier bien réglé est devenu encore plus important car il permettait à l’état de coordonner les actions bureaucratiques. D’un point de vue religieux, un calendrier précis permettait aussi à l’état de programmer des rituels aux moments opportuns. S’occuper correctement du calendrier a fait beaucoup pour la légitimation du pouvoir de l’état.

Outre faciliter les fonctions agricoles, bureaucratiques et rituelles du gouvernement chinois, les calendriers étaient intimement liés à la pratique de la divination. Nous avons la preuve de cette association dans les plus anciennes traces écrites de la Chine ancienne, les os d’oracle de la dynastie des Shang (environ 1500-1045 AEC). Sur certains de ces os d’oracle étaient inscrites des questions posées aux esprits ancestraux sur le moment favorable pour accomplir une certaine action. La préoccupation implicite dans ces questions laisse déjà entrevoir ce qui allait devenir une doctrine centrale de la philosophie de Confucius, adoptée comme doctrine officielle sous la dynastie des Han (206 AEC-220 EC). Ce concept peut être rendu en français par l’expression « moment opportun  » et il renvoie au fait d’être capable de faire la bonne action au bon moment.3 En Chine, depuis les tout premiers temps, permettre aux individus d’acquérir cette vertu du « moment opportun » était l’une des principales fonctions de la divination, comme en attestent les inscriptions des os d’oracle. Afin de prédire le moment opportun pour toute conduite, les devins s’aidaient des calendriers, qui étaient l’un de leurs principaux outils.

L’application la plus importante des connaissances du calendrier et de la géographie est peut-être celle qui relève du domaine des pratiques rituelles. Pendant la formation de la cosmologie officielle, divers textes rituels circulaient, qui décrivaient la conduite que l’empereur devait tenir pour les douze mois de l’année, autrement dit le chapitre du Livre des rites (Liji) sur « l’Ordonnancement des mois » (Yue ling). À la base, les idées principales de ces textes étaient toujours les mêmes. L’empereur possède un ensemble de neuf chambres disposées comme une grille de jeu du morpion. Chaque mois de l’année, l’empereur occupe une autre chambre. Pour certains, il y a trois chambres qu’il occupe chacune deux mois consécutifs, pour d’autres, il occupe la chambre centrale le dernier mois de chaque saison. Lorsqu’il passe d’une chambre à l’autre, l’empereur adopte en fait une conduite conforme aux Cinq Mouvements déterminée en fonction du mois en question. Certaines règles à observer restent les mêmes pour trois mois chaque année, alors que les autres changent tous les mois. L’empereur choisit des vêtements, des véhicules, des céréales, des viandes, des sacrifices, des comportements, etc. en accord avec ces règles rituelles.

En observant ces décrets mensuels, l’empereur imite le déplacement réglé comme une horloge du manche de la Grande Louche, un des plus importants groupements d’étoiles de l’astrologie chinoise. Chaque mois, l’aiguille de la Grande Louche désigne l’une des douze différentes directions à la surface de la terre. Parce que la Grande Louche est l’une des constellations circumpolaires qui ne passent jamais en dessous de l’horizon dans les latitudes septentrionales, elle est associée à l’axe de la terre et avec l’empereur, l’axe des hommes. En se déplaçant d’une chambre à l’autre et en demeurant pendant un mois dans la même chambre, l’empereur suit harmonieusement le déplacement temporel des constellations célestes et reste au repos, en accord avec l’immobilité spatiale des directions de la terre. Le ciel reste constamment en mouvement (yang) alors que la terre reste éternellement immobile (yin). Entre les deux, l’empereur, alternativement, bouge et reste au repos. En associant mouvement et immobilité, l’empereur, en fait, unit et équilibre la dynamique ou le temps du ciel, et l’immobilité ou l’espace de la terre. Son comportement rituel n’est pas simplement une imitation du ciel et de la terre, il est une condition nécessaire à leur coexistence harmonieuse.

Ces divers rituels que l’empereur respecte ainsi chaque mois agissent et se répercutent non seulement sur les forces cosmiques yin et yang, mais aussi sur les Cinq Mouvements, les Douze Branches Terrestres (c’est-à-dire les douze directions), etc. Selon ces diverses catégories, différents états émotionnels et différents types d’activités sont appropriés pour chacune des quatre ou cinq saisons, et pour chacun des douze mois de l’année. Le printemps est l’époque des semailles et c’est pourquoi il est alors bon de se montrer gentil et d’accorder des faveurs. Par contre, l’automne est le moment de la récolte, aussi l’empereur doit-il être sévère et exécuter les châtiments, et conduire des expéditions militaires punitives. On croyait avec ferveur qu’accomplir une action qui n’était pas en accord avec ce que dictait la saison allait nuire à l’ordre cosmique et appeler sur soi une réaction négative. Cette forme de raisonnement est parfois décrite comme la « magie par similitude ».

Selon la cosmologie chinoise, c’est la nature qui indique ce qui fait qu’un certain moment ou une certaine orientation est approprié pour une action spécifique. L’accent est moins mis sur le fait qu’une action soit absolument bonne ou mauvaise, mais plutôt sur ce qui est le moment ou le lieu relativement approprié pour une action. Si une action est en harmonie avec les exigences des différentes catégories (le yin-yang, les Cinq Mouvements, etc.) qui correspondent à un certain point dans le cycle du temps, alors ce moment est approprié. Si cette action prend place également à un endroit qui correspond aux catégories applicables à l’espace, alors cet endroit est également approprié.

Sous-jacent à ce système cosmique complet et l’animant, il y a le souffle vital, ou Qi, qui provient à la fois de l’énergie et de la matière. Comme c’est lui qui a formé le ciel et la terre, le yin et le yang, et tout le reste de l’univers, ce souffle vital est le milieu grâce auquel les parties associées de chaque microcosme transmettent leurs stimuli et réponses mutuelles. Le souffle vital constitue à la fois la forme matérielle et le principe animé des choses et des événements et ainsi, le système de corrélations de l’univers comprend à la fois ce qui est animé et ce qui est inanimé. On prend en compte non seulement les êtres vivants qui traversent le temps (l’évolution dans le temps représente le yang et le ciel), mais aussi les objets inanimés qui sont dans l’espace (l’immobilité dans l’espace représente le yin et la terre). Cette façon de voir l’univers est totalement différente des traditions occidentales.

Comprendre la façon dont les Chinois voient la relation entre l’animé et l’inanimé nous aide à comprendre pourquoi ce n’est pas uniquement le moment des actions qui compte, mais aussi leur lieu et leur orientation dans l’espace. Cela aide aussi à expliquer pourquoi les Chinois accordent autant d’importance au moment des funérailles et à l’emplacement des tombes. Le souffle vital concerne non seulement les vivants, mais aussi les morts (de toute évidence, le choix du mot « vital » dans la traduction semble bizarre ici, mais il reflète une contradiction apparente que l’on trouve aussi dans le terme chinois). Les membres d’une même famille partagent tous une grande partie du même souffle vital. Lorsqu’un parent meurt, ses restes inanimés conservent une partie de ce souffle vital qui va continuer à habiter ses survivants. C’est pourquoi la façon dont nous traitons et enterrons les restes d’un parent va affecter le souffle vital du défunt et, par conséquent, va aussi affecter notre propre souffle vital et notre propre vie.

Bien qu’à la fois ce qui est animé (le yang, le mouvement, le temps) et ce qui est inanimé (le yin, l’immobilité, l’espace) soient importants dans l’art de prévoir et de positionner, le temps a clairement pris le dessus sur l’espace. Dans la cosmologie que nous avons présentée, le souffle vital est produit par l’espace-temps. La nature de l’espace et du temps, de l’immobilité et du mouvement, est inhérente à la totalité du souffle vital. Lorsque le souffle vital lui-même s’est divisé pour former le ciel et la terre, c’est le ciel, l’aspect temporel, qui le premier a réussi à se développer complètement. Étant premier, le ciel et, par extension, le yang, ont été considérés comme supérieurs à la terre et au yin et prédominants par rapport à ceux-ci. En pratique, cette prédominance du temps sur l’espace s’est manifestée dans le fait que c’est l’écoulement du temps qui détermine la direction qui va être favorable ou défavorable. L’on pourrait dire que c’est le mouvement du temps qui provoque un changement heureux ou malheureux dans ce qui relève de l’espace.

La tradition orthodoxe nous dit aussi que le processus de division du souffle vital n’est jamais complet ou absolu. En conséquence, au sein du souffle vital céleste, il y a toujours un aspect du souffle vital terrestre, et inversement. Comme le reste de l’univers a été formé par des répliques perpétuelles de ce processus, toute chose contient en elle une partie du matériau génétique de son contraire. Qui plus est, comme les choses d’un même genre trouvent une harmonie entre elles, l’aspect yin du ciel trouve une harmonie avec la terre, et l’aspect yang de la terre trouve une harmonie avec le ciel. C’est pourquoi, bien que le yang (le temps) prenne le pas sur le yin (l’espace), les deux, dans un sens, sont génétiquement liés et chacun doit trouver une harmonie avec cette partie de lui-même qui est inhérente à son contraire.

C’est l’écho harmonieux, parmi les diverses divisions du temps et de l’espace, qui gouverne l’art de prévoir et de positionner. Comme nous l’avons vu, parmi les saisons de l’année, l’automne et l’hiver sont yin, mais le printemps et l’été sont yang. Dans l’espace d’une journée, la période allant de midi à minuit est yin, et celle de minuit à midi est yang. Pour ce qui est de l’espace, l’ouest et le nord sont yin, alors que l’est et le sud sont yang. Pour déterminer quand et où accomplir une action précise, il faut prendre en compte la catégorie de laquelle relève cette action et ensuite faire correspondre cette catégorie au moment et lieu appropriés. Accorder des récompenses est une action yang, et donc associée au jour, au printemps et à l’est. Punir des crimes est une action yin, et donc associée à la nuit, à l’automne et à l’ouest. De cet exemple très général, nous voyons que ce sont les mouvements du temps qui déterminent quelle va être la bonne direction pour une action donnée.

Ce qui rend l’art de prévoir et de positionner bien plus complexe que l’exemple que nous venons de donner est à la fois la diversité des catégories à prendre en compte et la complexité de la mesure chinoise du temps. Nous avons déjà mentionné le nombre des catégories cosmiques, à savoir le yin et le yang, les Cinq Mouvements, les huit trigrammes, etc., et nous les décrirons en détail plus loin. De nombreux lecteurs ont déjà entendu dire que le concept de temps était un concept linéaire, mais que les Chinois concevaient le temps comme quelque chose de cyclique. Pour vrai que cela soit, cette affirmation traduit à peine la véritable complexité du système chinois. Très tôt dans l’ère impériale, les Chinois ont employé quatre cycles différents pour estimer le temps. Chaque cycle utilisait une séquence de 60 unités (le cycle sexagésimal, voir ci-dessous), mais la durée des unités de chaque cycle était variable. Chacun des quatre cycles permettait d’identifier les années, les mois, les jours et les heures. Les périodes du cycle sexagésimal étaient elles-mêmes composées d’un élément pris dans chacun de deux cycles différents, l’un de ces cycles comportant dix unités (les Troncs Célestes) et l’autre douze (les Branches Terrestres). Chacun des Troncs Célestes et chacune des Branches Terrestres étaient classés comme yin ou comme yang. Les troncs et les branches étaient également individuellement associés aux Cinq Mouvements et à d’autres catégories. De plus, les unités composées du cycle sexagésimal avaient aussi leurs propres correspondances avec les diverses catégories de la cosmologie.

En présence de ce système divinatoire extrêmement complexe, le Chinois moyen avait deux ressources importantes à sa disposition. Tout d’abord, il y avait la règle générale qui veut que les unités les plus vastes l’emportent sur des unités plus petites, ce qui aidait grandement à simplifier les choses. Par exemple, il était bon de planter au printemps en dirigeant ses prières vers l’est et de récolter en automne en dirigeant ses prières vers l’ouest, et tout le monde savait qu’il était généralement auspicieux d’orienter sa maison au sud. Ensuite, il y avait le fait que lorsque les choses devenaient plus délicates, l’on pouvait toujours s’en remettre à un almanach bien pratique ou consulter un expert dans l’art de prévoir et de positionner. Les informations fournies par l’almanach ou l’expert permettaient aux gens de trouver des exceptions minimes aux règles générales en profitant des complexités impressionnantes inhérentes au système. Ainsi, s’il était nécessaire de couper des arbres ou de punir des criminels au printemps (actions qu’il convient d’accomplir en automne), on pouvait trouver un moment et une orientation corrects pour pouvoir quand même accomplir celles-ci.

Les experts et les almanachs pouvaient indiquer les exceptions aux règles générales saisonnières et directionnelles en prenant en compte des cycles de temps plus petits, comme les mois, les jours et les heures, et d’autres directions dans l’espace, en les subdivisant en huit, douze ou vingt-quatre. Ces microcycles du temps et des divisions directionnelles influencent et modifient les conditions générales qui régissent les prévisions et les positionnements qui découlent des quatre saisons de l’année et des quatre points cardinaux. Pour qu’un expert puisse déterminer avec précision ce qui convient, il est nécessaire d’envisager et de concilier toutes les corrélations cosmiques des cycles du temps et des divisions de l’espace. Dans cette Introduction, le chapitre qui suit va dévoiler les détails des rouages de cet art.

i La Grande Louche est également appelée Grande Ourse, Grand Chariot ou Grande Cuillère (NdT).

CHAPITRE 2 Comprendre l’art de prévoir et de positionner

L’art de prévoir et de positionner décrit dans le Traité associe des aspects de l’astrologie et de la géomancie, ce que confirme le titre même de cet ouvrage qui, en chinois, est xie-ji bianfang shu (shu signifiant tout simplement livre). Les verbes xie et bian, que j’ai traduits respectivement par « harmoniser » et « différencier » indiquent l’acte de commencer par rassembler des éléments dispersés et ensuite de les ordonner, autrement dit de les « rectifier ». Dans ce cas, les choses qui ont été rectifiées sont les traditions divinatoires liées aux deux éléments nominaux de la phrase, ji et fang, ou « périodes de temps » et « directions ». L’introduction impériale et la structure globale de cette œuvre montrent clairement que ces termes renvoient à l’art d’organiser les actions et les objets dans le temps et dans l’espace de façon à obtenir le maximum de bénéfices des rythmes naturels de l’univers.

Le type d’astrologie et de feng shui décrit dans le Traité est remarquable par ses formules. Toute proclamation divinatoire basée sur le Traité découle uniquement de l’application méthodique de lois explicitement définies dans le texte. Cela contraste fortement avec d’autres systèmes divinatoires en vigueur à la fois en Chine et en Occident que l’on peut décrire comme « intuitifs ». Les systèmes divinatoires intuitifs basaient leurs recommandations sur le pouvoir énigmatique de l’esprit du devin. Bien que l’on ait pu prouver l’existence d’un intérêt pour la prévision et le positionnement dès la dynastie des Shang, ce n’est pas avant la dynastie des Zhou (1045-256 AEC) que l’astrologie et le feng shui ont adopté des formes liées aux règles illustrées par le Traité. Les formes naissantes de l’art de prévoir et de positionner étaient très intuitives. Même si certaines traditions astrologiques occidentales peuvent aussi être dites légalistes, la théorie du temps sur laquelle elles reposent les différencie de l’art chinois de prévoir et de positionner. Ces deux traditions partent de l’idée que les prédictions sur le caractère auspicieux d’un moment peuvent se calculer de façon méthodique, mais l’astrologie occidentale pose l’hypothèse d’un temps continu et linéaire. Comme nous l’avons vu, la cosmologie chinoise, elle, pose l’hypothèse d’un écoulement du temps qui est plus répétitif que progressif.

En Occident, l’astrologie est généralement comprise comme l’art d’étudier les déplacements du soleil, de la lune et des planètes dans les signes du zodiaque de façon à prédire les effets que ces déplacements peuvent avoir sur la vie des hommes. Bien que cela décrive avec précision certains aspects de cet art chinois, le lecteur ne doit pas oublier qu’en Chine, l’astrologie comporte des éléments supplémentaires importants que l’on ne retrouve pas dans l’astrologie occidentale. La géomancie renvoie à l’art de la divination grâce aux signes émis par la terre, pratique qui n’existe pas en Occident et qui est extrêmement obscure. Comme l’art chinois de la géomancie qu’est le feng shui est devenu de plus en plus populaire en Occident, c’est le terme de feng shui plutôt que de géomancie que nous utiliserons dans cet ouvrage.

Les origines de l’astrologie chinoise et du feng shui se trouvent au plus profond de la tradition populaire de la Chine antique. L’habitude de consulter les ancêtres et les dieux pour choisir les jours favorables aux actions royales est attestée dans les plus anciennes traces écrites en Chine, les inscriptions sur les os d’oracle datant de la dynastie des Sang (plus de 1 000 ans AEC). Ces inscriptions sont une preuve de la coutume de divination des jours fastes, mais la nature de cette forme primitive de divination est significativement différente de l’astrologie décrite dans le présent ouvrage. Sous la dynastie des Shang, pratiquer la divination pour choisir le moment approprié reposait sur l’humeur de l’entité spirituelle et l’interprétation intuitive du devin. Par contre, le système complètement structuré du choix d’un moment que décrit le Traité est quelque chose de systématique, régi par des lois et prévisible.

Les origines de ce système astrologique chinois soumis à des règles et, bien entendu, du feng shui coïncide en gros avec la naissance de l’empire chinois. Ce système diffère quelque peu de l’astrologie occidentale qui, peut-on dire, met l’accent sur la nature unique et éternellement changeante des phénomènes célestes qui déterminent le destin d’une personne. L’astrologie chinoise, quant à elle, a tendance à insister sur le fait que le flux des forces cosmiques dans le temps produit un cycle régulier et prévisible de chance et de malchance que les gens peuvent connaître, et avec lequel nous avons l’obligation morale de nous mettre à l’unisson. Les éléments de cette compréhension de l’univers ont été énoncés par les philosophes chinois au cours de la deuxième moitié de la dynastie des Zhou (1045-256 AEC) et ont été adoptés plus tard de façon plus officielle comme orthodoxie gouvernementale sous les Han (206 AEC-220 EC).

Bien que l’on puisse avancer que les schémas réguliers observables sur les sites funéraires de la dynastie des Shang suggèrent une croyance chinoise naissante dans la signification de la manière d’agencer les tombes, les prototypes de cette forme impériale tardive du feng shui ne sont pas clairement attestés avant la dynastie des Zhou. Toutefois, l’important concept feng shui de Taisui, étoiles directement opposées à Jupiter, qui est décrit de façon exhaustive dans le Traité, est déjà évoqué dans le Huainanzi (milieu du deuxième siècle AEC). Le Huainanzi affirme principalement que c’est un bon présage que d’avoir la direction du Taisui derrière soi et un mauvais présage de l’avoir devant soi. De la même façon, on considère comme un bon présage de se trouver à l’endroit que le Taisui vient de quitter et un mauvais présage d’être à l’endroit vers lequel le Taisui se dirige. Ce concept montre que le déplacement d’un corps céleste était considéré comme produisant une force en un point de la surface de la terre qui pouvait être soit bénéfique soit maléfique en fonction de la façon dont la personne était orientée par rapport à la direction considérée.

Les méthodes de positionnement, ou feng shui