L'École des femmes - - Molière - E-Book

L'École des femmes E-Book

Moliere

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Beschreibung

Arnolphe, qui vient de changer son nom en celui, plus aristocratique, de « M. de La Souche », est un homme d'âge mûr qui aimerait jouir du bonheur conjugal ; mais il est hanté par la crainte d'être trompé par une femme. Aussi a-t-il décidé d'épouser sa pupille Agnès, élevée dans l'ignorance, recluse dans un couvent...

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À Madame

Madame,

Je suis le plus embarrassé homme du monde lorsqu’il me faut dédier un livre, et je me trouve si peu fait au style d’épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur qui serait en ma place, trouverait d’abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royale sur le titre de l’École des Femmes et l’offre qu’il vous en ferait. Mais, pour moi, Madame, je vous avoue mon faible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées ; et, quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que Votre Altesse Royale pourrait avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n’est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux ; et, de quelque côté qu’on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l’esprit et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l’âme, qui, si l’on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l’honneur d’approcher de vous : je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez ; cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paraître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes ; et ce sont choses, à mon avis, et d’une trop vaste étendue, et d’un mérite trop relevé, pour les vouloir renfermer dans une épître et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu’il m’est possible, que je suis,

De Votre Altesse Royale,

Madame,

Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,

MOLIÈRE.

Personnages

ARNOLPHE, autrement MONSIEUR DE LA SOUCHE.

AGNÈS, jeune fille innocente élevée par Arnolphe.

HORACE, amant d’Agnès.

ALAIN, paysan, valet d’Arnolphe.

GEORGETTE, paysanne, servante d’Arnolphe.

CHRYSALDE, ami d’Arnolphe.

ENRIQUE, beau-frère de Chrysalde.

ORONTE, père d’Horace et grand ami d’Arnolphe.

UN NOTAIRE.

La scène est dans une place de ville.

Sommaire

Acte premier

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Acte deuxième

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Acte troisième

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Acte quatrième

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Acte cinquième

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Acte premier

Scène I

Chrysalde, Arnolphe.

CHRYSALDE

Vous venez, dites-vous, pour lui donner la main ?

ARNOLPHE

Oui. Je veux terminer la chose dans demain.

CHRYSALDE

Nous sommes ici seuls, et l’on peut, ce me semble,

Sans craindre d’être ouïs, y discourir ensemble.

Voulez-vous qu’en ami je vous ouvre mon cœur ?

Votre dessein, pour vous, me fait trembler de peur ;

Et, de quelque façon que vous tourniez l’affaire,

Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.

ARNOLPHE

Il est vrai, notre ami.

Peut-être que chez vous

Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous ;

Et votre front, je crois, veut que du mariage

Les cornes soient partout l’infaillible apanage.

CHRYSALDE

Ce sont coups du hasard dont on n’est point garant ;

Et bien sot, ce me semble, est le soin qu’on en prend.

Mais quand je crains pour vous, c’est cette raillerie

Dont cent pauvres maris ont souffert la furie :

Car enfin vous savez qu’il n’est grands ni petits

Que de votre critique on ait vus garantis ;

Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,

De faire cent éclats des intrigues secrètes…

ARNOLPHE

Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi

Où l’on ait des maris si patients qu’ici ?

Est-ce qu’on n’en voit pas de toutes les espèces,

Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ?

L’un amasse du bien, dont sa femme fait part

À ceux qui prennent soin de le faire cornard :

L’autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,

Voit faire tous les jours des présents à sa femme,

Et d’aucun soin jaloux n’a l’esprit combattu,

Parce qu’elle lui dit que c’est pour sa vertu.

L’un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères ;

L’autre en toute douceur laisse aller les affaires,

Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,

Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.

L’une, de son galant, en adroite femelle,

Fait fausse confidence à son époux fidèle,

Qui dort en sûreté sur un pareil appas,

Et le plaint, ce galant, des soins qu’il ne perd pas :

L’autre, pour se purger de sa magnificence,

Dit qu’elle gagne au jeu l’argent qu’elle dépense ;

Et le mari benêt, sans songer à quel jeu,

Sur les gains qu’elle fait rend des grâces à Dieu.

Enfin, ce sont partout des sujets de satire ;

Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire ?

Puis-je pas de nos sots ?…

CHRYSALDE

Oui ; mais qui rit d’autrui

Doit craindre qu’en revanche on rie aussi de lui.

J’entends parler le monde, et des gens se délassent

À venir débiter les choses qui se passent ;

Mais, quoi que l’on divulgue aux endroits où je suis,

Jamais on ne m’a vu triompher de ces bruits.

J’y suis assez modeste ; et bien qu’aux occurrences

Je puisse condamner certaines tolérances,

Que mon dessein ne soit de souffrir nullement

Ce que quelques maris souffrent paisiblement,

Pourtant je n’ai jamais affecté de le dire ;

Car enfin il faut craindre un revers de satire,

Et l’on ne doit jamais jurer sur de tels cas

De ce qu’on pourra faire, ou bien ne faire pas.

Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène,

Il serait arrivé quelque disgrâce humaine,

Après mon procédé, je suis presque certain

Qu’on se contentera de s’en rire sous main :

Et peut-être qu’encor j’aurai cet avantage,

Que quelques bonnes gens diront : Que c’est dommage !

Mais de vous, cher compère, il en est autrement ;

Je vous le dis encor, vous risquez diablement.

Comme sur les maris accusés de souffrance

De tout temps votre langue a daubé d’importance,

Qu’on vous a vu contre eux un diable déchaîné,

Vous devez marcher droit pour n’être point berné ;

Et, s’il faut que sur vous on ait la moindre prise,

Gare qu’aux carrefours on ne vous tympanise,

Et…

ARNOLPHE

Mon Dieu ! notre ami, ne vous tourmentez point.

Bien huppé qui pourra m’attraper sur ce point.

Je sais les tours rusés et les subtiles trames

Dont pour nous en planter savent user les femmes,

Et comme on est dupé par leurs dextérités ;

Contre cet accident j’ai pris mes sûretés ;

Et celle que j’épouse a toute l’innocence

Oui peut sauver mon front de maligne influence.

CHRYSALDE

Et que prétendez-vous qu’une sotte, en un mot…

ARNOLPHE

Épouser une sotte est pour n’être point sot.

Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage ;

Mais une femme habile est un mauvais présage ;

Et je sais ce qu’il coûte à de certaines gens

Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.

Moi, j’irais me charger d’une spirituelle

Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle ;

Qui de prose et de vers ferait de doux écrits,

Et que visiteraient marquis et beaux esprits,

Tandis que sous le nom du mari de madame,

Je serais comme un saint que pas un ne réclame !

Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut

Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.

Je prétends que la mienne en clartés peu sublime,

Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;

Et, s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon,

Et qu’on vienne à lui dire à son tour : « Qu’y met-on ? »

Je veux qu’elle réponde : « Une tarte à la crème ; »

En un mot qu’elle soit d’une ignorance extrême :

Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,

De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.

CHRYSALDE

Une femme stupide est donc votre marotte ?

ARNOLPHE

Tant, que j’aimerais mieux une laide bien sotte,

Qu’une femme fort belle avec beaucoup d’esprit.

CHRYSALDE

L’esprit et la beauté…

ARNOLPHE

L’honnêteté suffit.

CHRYSALDE

Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête

Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ?

Outre qu’il est assez ennuyeux, que je crois,

D’avoir toute sa vie une bête avec soi,

Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée

La sûreté d’un front puisse être bien fondée ?

Une femme d’esprit peut trahir son devoir ;

Mais il faut, pour le moins, qu’elle ose le vouloir :

Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire,

Sans en avoir l’envie et sans penser le faire.

ARNOLPHE

À ce bel argument, à ce discours profond,

Ce que Pantagruel à Panurge répond :

Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte,

Prêchez, patrocinez jusqu’à la Pentecôte ;

Vous serez ébahi, quand vous serez au bout,

Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.

CHRYSALDE

Je ne vous dis plus mot.

ARNOLPHE

Chacun a sa méthode.

En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode :

Je me vois riche assez pour pouvoir, que je crois,

Choisir une moitié qui tienne tout de moi,

Et de qui la soumise et pleine dépendance

N’ait à me reprocher aucun bien ni naissance.