L'Enfant à la bouche de silence - Adeline Yzac - E-Book

L'Enfant à la bouche de silence E-Book

Adeline Yzac

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Beschreibung

Adeline Yzac nous fait entrer dans l’univers d’un adolescent sourd et muet

L'histoire poignante de la rencontre de deux enfants, écrite dans un style inégalable.   
La mer Méditerranée. Une île, Malte. 
Une vieille ville, Mdina. 
Un garçon, John-Luis, quatorze ans, sourd-muet. 
L'arrivée de Svetlana, qui vient de fuir un pays en guerre avec sa famille. 
Au-delà du silence, une rencontre… 

Un roman tout en finesse et délicatesse, empreint de poésie et de justesse

EXTRAIT

À Mdina mes yeux voient la mer. La mer, mes yeux la voient de tous les côtés. 
Et le mouvement aussi, ils le voient, mes yeux, de tous les côtés, à Mdina, depuis la plus haute salle de la maison.
 La plus haute salle de la maison, c’est ma chambre. 
Une pièce carrée, qui s’élève au-dessus des terrasses, au-dessus des toits, audessus des monuments, au-dessus de la ville entière.
 Elle est presque aussi haute que la cathédrale Saint-Paul, ma chambre, et elle a quatre fenêtres, une pour chaque horizon. 
Alors, le mouvement et la mer, je les regarde le jour et la nuit, l’été et l’hiver. 
Sans cesse je peux les regarder. Cela fait plus de dix ans que je les regarde. 
Et si je peux les regarder depuis si longtemps, c’est parce que j’habite Mdina, et que Mdina se trouve sur une île, l’île de Malte, et que l’île de Malte se situe au milieu de la mer Méditerranée.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Adeline Yzac est née en Aquitaine. Après une formation universitaire en lettres et linguistique à l’université de Montpellier, elle s’est consacrée à l’écriture. La découverte, dès le lycée, de la littérature espagnole et hispano-américaine sera déterminante dans sa quête d’une écriture à la fois poétique et sociale. Elle désire porter à la lumière, la vie, la mort, les non-dits, les écarts, les interdits, le désir… qui fondent la personne humaine. Elle n’envisage d’abord pas de publication. Ce sont des rencontres qui la conduisent à publier un premier roman pour la jeunesse en 1995. Depuis, elle écrit pour les enfants et les adolescents des contes, des histoires et des romans… et, pour les adultes, des nouvelles et des romans.

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À Amalia, sans qui cette histoire ne serait pas.

CHAPITRE 1

À Mdina mes yeux voient la mer. La mer, mes yeux la voient de tous les côtés.

Et le mouvement aussi, ils le voient, mes yeux, de tous les côtés, à Mdina, depuis la plus haute salle de la maison.

La plus haute salle de la maison, c’est ma chambre. Une pièce carrée, qui s’élève au-dessus des terrasses, au-dessus des toits, audessus des monuments, au-dessus de la ville entière. Elle est presque aussi haute que la cathédrale Saint-Paul, ma chambre, et elle a quatre fenêtres, une pour chaque horizon.

Alors, le mouvement et la mer, je les regarde le jour et la nuit, l’été et l’hiver. Sans cesse je peux les regarder.

Cela fait plus de dix ans que je les regarde.

Et si je peux les regarder depuis si longtemps, c’est parce que j’habite Mdina, et que Mdina se trouve sur une île, l’île de Malte, et que l’île de Malte se situe au milieu de la mer Méditerranée.

Pour regarder la mer et le mouvement, ce que je préfère, c’est me placer au milieu de ma chambre, debout. Certains jours, je pivote sur moi-même pour ne pas les quitter des yeux un seul instant, pour ne jamais les quitter.

En tournant au milieu de la pièce, je trace un rond, je deviens comme l’île, une île je deviens, une île envoûtée qui se balance au milieu de l’eau et du mouvement.

La lumière aussi est partout, même la nuit, même l’hiver. Elle caresse l’île, l’île qui est petite, et qui aime la tendresse de sa lumière.

L’île de Malte, c’est un bateau de rien du tout au milieu de la mer, affirme Mum. C’est un point perdu sur une carte, ajoute-t-elle. Ses mains et ses doigts et son corps entier me répètent cela en insistant devant son visage.

Pareil pour ta chambre, ajoute Dad.

Dad pense que ma chambre est un tout petit coin de rien du tout. Un petit point de rien du tout au-dessus d’une maison de rien du tout.

Moi qui regarde le silence, la mer et la lumière, je sais que les points perdus sont des petites graines, des petites graines de vie qui inventent des herbes à joie, des herbes à grandir.

La maison s’élève entre deux autres bâtisses, un peu coincée, un peu adossée, un peu étroite et maigre, avec une seule pièce par étage, des plafonds très hauts, la cuisine-séjour au rez-de-chaussée, la chambre-bureau de Dad au premier, la salle de bains et les toilettes au deuxième, l’atelier-chambre de Mum au troisième, et mon domaine tout en haut.

Mon domaine.

De chaque côté, au pied de la maison, la rue.

La maison, avec ses façades ocre et son heurtoir-dauphin. La maison, quand je la regarde de loin, quand je l’observe depuis les remparts qui entourent Mdina, je la découvre espiègle et sérieuse à la fois.

Notre maison se prend pour un escalier ! rit quelquefois Dad. C’est une saugrenue, elle songe plus à toucher les étoiles qu’à loger une famille !

Et les mains de Dad signent pour moi ce que ses paroles proclament aux autres.

Elles signent avec véhémence, les mains de Dad.

Ma chambre, au-dessus de Mdina, ma chambre au-dessus de la maison et des toits, c’est une montagne et un phare, une grande ville et des champs qui s’écoulent jusqu’aux plages.

Ma chambre, c’est l’île tout entière, et, au-delà, c’est une mappemonde et une galaxie, et, mieux encore, c’est le vaisseau des inventions et des rêves, c’est la cabine de tous les possibles, c’est l’île aux espoirs, l’île aux bonnes nouvelles.

Les rêves peuvent nicher dans un dé à coudre, ça ne les empêche pas d’être infinis.

CHAPITRE 2

Mum et Dad ont choisi de venir habiter l’île de Malte quand j’avais un peu plus de trois ans.

Ils ont quitté Londres.

Ils sont venus se réfugier ici.

Dad était un grand interprète, cinq langues il connaissait, l’anglais et l’irlandais, le lapon, l’allemand et le russe, des langues de pays de pluie et de neige, des langues de pays où la nuit tombe tôt en hiver, des langues de pays où la nuit dure de longs mois. Dad fréquentait les feux de cheminée, le bridge et les livres, le thé, les petits gâteaux secs, les acteurs, les écrivains, il aimait les conversations qui durent si longtemps qu’elles peuvent traverser des nuits entières.

Mum était chirurgien, ses malades l’appelaient Madame le Médecin aux Doigts d’Or. Ses doigts, des papillons de douceur capables de se glisser dans les fourrés les plus cachés des corps les plus malades, des lutins mécaniciens qui débusquaient les maladies cardiaques et qui le plus souvent les enlevaient. Quand elle n’opérait pas, Mum s’enfonçait dans les brumes de la campagne, elle aimait les longues randonnées à pied, ou bien elle jouait au golf près de Londres, ou alors elle s’enfuyait en secret toute seule à la recherche de vieux châteaux au fond de l’Europe.

On ne choisit pas d’aller habiter sur une île pour rien.

On ne choisit pas de partir vivre à tout jamais sur une miette du monde sans raison.

Rien et la raison, c’est moi, John-Luis, l’enfant têtu, surnommé Jambes Légères.

Mum et Dad s’étaient rencontrés dans une galerie de peinture, ils étaient tombés amoureux, et ils sont toujours amoureux.

Ils se sont mariés et vingt mois après je suis né.

J’étais leur premier bébé, j’ai été le seul.

Presque tout de suite après ma naissance, l’hiver a pris le cœur de Dad, et il l’a étouffé, il l’a jeté dans la cheminée, et il a fait très froid pour Dad, encore plus froid que les froids de Russie et de Laponie, et depuis, il fait toujours très froid en lui, même si Dad est un homme chaleureux.

Alors, l’île perdue, avec le soleil et le ciel bleu, l’île de Malte, c’est devenu sa grande cheminée à consolation à Dad.

Mum, ses mains se sont mises à trembler, elles ne savaient plus aller chercher les maladies dans les corps, elles se perdaient maintenant, et son cœur, son cœur est devenu le malade de Mum et Mum n’a pas su le soigner.