L’énigme aux yeux verts - Tome 1 - Jean Decier - E-Book

L’énigme aux yeux verts - Tome 1 E-Book

Jean Decier

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Beschreibung

L’énigme aux yeux verts dévoile le parcours tragique de huit amis d’enfance, ainsi que de leurs familles et proches, confrontés à une histoire bouleversante à l’aube de leurs vingt ans. À travers les chapitres de ce livre, vous serez plongés dans l’après-guerre, explorant la complexité des âmes et des esprits. Suivez des femmes et des hommes exceptionnels qui luttent pour échapper à la monotonie de la vie quotidienne.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Decier s’est consacré à l’écriture de romans à une période avancée de sa vie. Après avoir expérimenté l’univers de l’anticipation à travers "Les aventures de Pénélope", son premier livre, il décide d’explorer la romance avec L’énigme aux yeux verts, une saga familiale inédite.

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Seitenzahl: 546

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jean Decier

L’énigme aux yeux verts

Tome I

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Decier

ISBN : 979-10-422-0292-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le mot de l’auteur

Cette fiction très ordinaire se déroule dans cette nouvelle France des années cinquante. Elle est consciencieusement rapportée par l’auteur au début des années 2020, dans un polar relatant les déboires d’une société de nantis se croyant supérieure.

En accord avec tous les protagonistes présents lors de cette ultime mascarade, j’ai décidé en mon âme et conscience, après mûres réflexions au travers d’une vie remplie d’une richesse incroyable, de relater la vie sentimentale, le côté intime et bourgeois d’un homme accompagné d’une famille redoutable. Ce garçon se nommait Charlie Colonage. Malheureusement, ne faisant plus partie de votre monde, il ne pourra jamais lire ces lignes. Rendons grâce à Dieu de bien vouloir le prendre avec ses apôtres, paix à son âme.

Cette surprenante saga fera deviser certaines personnes jalouses d’un fabuleux et impénétrable secret. Tant pis pour elles. Elles ne sauront jamais la vérité cachée dans ce manuscrit. En écrivant ces lignes, tranquillement avec des mots choisis, je vais essayer de vous faire découvrir et partager, tout le long de ces deux volumes, la romance d’un homme et de quelques autres personnes ayant partagé sa vie tumultueuse. Il se trouve, grâce à ma plume, pour l’éternité dans cette œuvre cathédrale et à la fois magistrale ! Elle sera tout naturellement édifiée rien que pour lui, pour l’éternité. Ce fut la moindre des choses que de le remercier de cette façon de m’avoir fait passer, pendant douze heures d’affilée, une succession d’histoires presque romantiques. Dans cette minuscule chambre 122, j’ai passé un inoubliable moment en sa compagnie et je ne suis pas près de l’oublier. La fin sera spectaculaire dans une approche délicieusement miraculeuse. Charlie, entouré de tous ses amis et amies ainsi que de votre serviteur, dégustera en notre compagnie l’ultime et amère pilule qui sent bon la trahison fatale venant d’une intouchable Juliette Barbant. Ne la ratez pas, c’est sublime et à la fois angoissant de découvrir sur sa face cachée un authentique mystère aux yeux verts. Je l’ai décidé et conçu ainsi, je ne regrette rien. Après cet ouvrage, il y aura une suite plus dense, toujours aussi spectaculaire, quasi prodigieuse, plongée dans nos temps incertains et pas si originaux que ça.

Cette remarquable tranche de vie, concernant une destinée incontestablement invérifiable, confirmée par cette terrible assemblée générale familiale italienne du 14/03/23, me sera relatée par JM Karak. Jean-Michel, journaliste d’investigation de haut vol, en sera le seul à dissiper mes doutes. Ce gars, ami d’enfance, complice intime de Charlie, me sera d’un réel secours pour terminer cette titanesque entreprise autobiographique de deux familles d’après-guerres. Avec Carla, Inès, Jeannette, Abel JMK et notre adorable Barbara, nommée pour la circonstance, chargée d’une communication raisonnée, tous les sept, nous devrons faire des miracles pour ne pas enterrer ou, au pire, occire définitivement la mémoire de Charlie Colonage. Bonne lecture !

Chapitre 1

Mortelle invitation

Les préparatifs pour un somptueux bal des maudits

Le commandant à la barre de l’Express côtier faisant la navette entre Bergen et Knivskjellodden par 71,10’ de latitude nord, nous remettait en cabine, le 28 janvier tôt le matin, en mains propres, le pli urgent frappé du sceau norvégien. Comme l’exigeait la procédure à bord d’un bateau de ce type naviguant en pleine guerre froide, la dépêche étant décachetée, il ne restait plus qu’à l’ouvrir et en consulter son contenu. L’amiral ne comprenant pas du tout le français, il fut possible de le lire à haute voix par le second du bord. Nous étions loin d’être des espions, que de simples touristes en mode oisif ! En train de me raser, d’ajuster mes moustaches devant la glace, je scotchais le papier, le parcourais devant l’officier. La climatisation ayant rendu l’âme, il faisait, dans notre cabine 357, une chaleur difficilement supportable. Barbara, en très petite tenue, se montrait sans complaisance devant les deux gradés, médusés, restés au garde-à-vous, cette muse dénudée les intéressait bien plus que le message.

Nous étions conviés au mariage de deux de nos amis les plus proches : Charlie et Carla. Le télégramme expédié en mode « urgent » nous demandait de rendre réponse sous 48 heures et de donner notre accord pour servir de témoins. Cette manière de faire qui reflétait tout à fait l’esprit de Carla ne nous surprenait pas du tout. Femme précieuse toujours sur le qui-vive, au moment d’écrire son papier, elle devait se trouver incontestablement en mode stimulus extrême, incapable de refréner ses ardeurs d’une Cendrillon ayant trouvé enfin la pierre précieuse. Les places étaient comptées : pas plus de 202 invités. Assurément, triée sur le volet, la crème des bobos rive gauche, d’après le message, se pressait déjà au portillon pour assister à la plus grande fête privée donnée sur la Côte d’Azur.

— Nous serons les seuls fermiers à y participer ?

— Et alors ! Moi, je veux assister au mariage de Charlie.

Le commandant aux quatre barrettes cerclées d’or fin, rassuré de la teneur du message, tout en nous invitant à dîner le soir même à sa table, nous saluait, nous souhaitait une bonne journée à bord de sa chaudière à graisses. Donnée sur catalogue en papier glacé comme étant le plus beau paquebot des Mers du Nord, il nous décevait comme étant un rustique caboteur allant de port en port. Avec Barbara, nous n’avions pas d’autre choix que d’accepter cette invitation pour le 14 juillet suivant. D’après les mots et phrases rudement bien écrites, que je devinais être de la patte de Carla, cela promettait d’être d’enfer. Je m’en doutais un peu, Charlie, depuis son retour de son service national, comme attaché de presse du régiment d’infanterie dans les bureaux de Baden-Baden, voulait lui passer absolument la bague au doigt à l’occasion d’une fête mémorable. Oublié depuis pas mal de temps dans un bureau de ce colonel à Stetten AKM, Charlie souffrait le martyre de ne pouvoir conclure une bonne fois pour toutes avec cette jeune et charmante princesse italienne, future reine du chocolat noir. Charlie venait d’avoir 22 ans. Dix-huit longs mois entrecoupés de 6 permissions courtes les avaient momentanément séparés. Ces deux oiseaux comptaient bien se rattraper. Carla frôlait ses 24 printemps. Jeunes et beaux, ils aimaient les voyages lointains. Et surtout, quand ils seront de retour, ils adoreront trafiquer ce bon chocolat noir produit dans leur usine du Périgord. Tout en relisant les modalités d’une fête s’annonçant grandiose, je pensais que le maire de Saint-Tropez, monsieur Dantesque ne pouvait qu’applaudir et se féliciter d’accueillir dans son fief les singuliers désirs d’un couple de parvenus venus par hasard s’unir par les liens du mariage dans son rustique et inconnu village de bord de mer. Sur un air de tango argentin, dans une invraisemblable villa louée par le couple de futurs mariés, perchée sur les contreforts de Saint-Tropez, d’une superficie égale à celle de la galerie des Glaces de Versailles, nous devrions vivre des heures époustouflantes magiques et à la fois truculentes en découvrant toute cette crème de la bourgeoisie parisienne.

Barbara en mourait déjà d’envie. Elle commandait déjà dans sa tête ses parures et surtout ses futures belles chaussures spécialement équipées pour son infirmité. Dans la demi-heure qui suivit, les rdv chez son coiffeur de Cierp, son manucure chez la belle Inès, la tournée des grands magasins de Tarbes furent consciencieusement notés sur son agenda, sorte de carnet rose ressorti tout exprès de son sac Hermès.

À notre retour, le délicat carton d’invitation déposé dans la boîte à lettres de notre appartement du seizième nous confirmait que nous avions accepté l’invitation. Les modalités suivaient. Décoré des armes de la famille italienne, ce message nous détaillait les futures soixante-douze heures de liesse, le programme suivait, ce fut alléchant.

— Vous êtes donc, mes chers amis, cordialement invités à notre union dans la villa Mandala de Saint-Tropez. Sur les hauteurs de Ramatuelle, vous aurez, depuis vos chambres, la plus belle des perspectives sur la Méditerranée. Aucune tenue spécifique ne sera exigée pour nos invités, uniquement de la bonne humeur et une joie de vivre intensément, avec les mariés, ces trois journées extraordinaires. Pour ce qui est du protocole, comme nous vous en avions suggéré le soir de nos fiançailles du 4 décembre au Costa Rica, nous vous invitons à être nos témoins pour la cérémonie qui se déroulera dans la mairie du village de Saint-Tropez.

Suivait une première liste d’invités avec, comme principal convive : le Vicomte de Paris, accompagné de madame l’archiduchesse de Beynac sur Nièvre. Une ribambelle de demoiselles du faubourg Saint-Martin complétait l’organigramme. Des connaissances de Bagnières et de ses villages alentour complétaient la liste. Que du beau monde !

J’y sentais aussi la patte de Charlie. Carla n’aurait jamais écrit tout cela toute seule, elle nous aurait plutôt envoyé un coup de fil depuis Philadelphia, sa maison mère. D’après ma sœur aînée, Roseline De Bichetta, dresseuse de lions dans un cirque aux Grandes Canaries en train de cramer, cette luxueuse fête allait nous sortir de notre campagne et nous faire passer de vieux jeunes croûtons des champs à de sympathiques citadins ayant l’occasion de se déplacer enfin en calèche de luxe. Ce que je n’avais nullement envie d’essayer, je me trouvais très bien sur mon tracteur Massey Ferguson à biner mes artichauts bretons.

Le verso du carton donnait le la en précisant…

— N’amenez que la joie de vivre pour ce jour de cérémonie qui restera, dans les annales des bacchanales vécues sur la Côte d’Azur, comme la plus chaude fête jamais connue dans cette ancienne cité corsaire du Var. Pour les amateurs de peau de vison d’Amérique, vous aurez peut-être l’occasion et la chance d’apercevoir BB au bord de sa piscine avec ses divers animaux de compagnie.

Signé : Carla et Charlie, vos amis pour toujours.

— Nous comptons absolument sur vous.

En Nb : les modalités suivaient, ainsi que deux billets de train A/R Paris/Saint-Tropez avec escale à Marseille Saint-Charles puis correspondance par bus pour Vintimille. La prise en charge par Charlie en personne sera prévue à la minuscule gare routière de Saint-Tropez.

Nous avions donné notre accord de principe. Il fut hors de question de changer d’avis en cours de route.

Maladives tergiversations

Mal m’en prit, nous aurions dû décliner l’invitation dès la réception de ce télégramme décoré aux Armes de cette grandissime famille italienne venue de la région des Pouilles pour faire fortune chez nous. Charlie avait quelque chose de caché derrière la tête. Barbara le savait très bien, moi, je l’ignorais. Enfin ! je faisais semblant de sous-estimer ses profonds désirs, mais je ne pensais pas que mon ami d’enfance puisse faire encore les 400 coups ce jour-là avec une complice de longue date. Je veux parler évidemment de ma future fiancée d’alors. Pour l’anecdote, la toute nouvelle gamine à la mode, je veux parler de mademoiselle Bardot, ne viendra pas nous honorer de sa visite protocolaire habituelle. Elle tournait en très petite tenue avec Roger Vadim sur la plage de Pampelonne, « Et Dieu créa la femme ». Eh oui ! je ne pourrais décidément rien vous cacher, nous étions en 1956, cinq années avant le premier vol habité de Youri Gagarine dans l’espace.

Fabuleuse organisation des noces

Il était noté : vos chambres ! Barbara n’y prêta nullement attention. Pour elle, tant que le mariage n’était pas consommé, sur ordre de ses parents, riches fermiers en haute Mayenne, il ne fallait en aucun cas transgresser les interdits d’une église qui ne mégotait jamais sur la future mayonnaise à prendre pour un couple avide de faire et de se construire sa vie à partir du jour J. Moi, si, à mes vingt ans passés depuis peu, il me semblait tout à fait normal de regarder de plus près tout ce qui se passait dans la matrice de ma future promise encore vierge, enfin, c’est ce que je pensais. Rien n’y fera, je n’aurai que le droit de regarder et non de toucher le fruit défendu. À n’en pas douter, Charlie resterait Charlie pendant ces trois jours de folies et de liesses organisées par une organisatrice hors pair rencontrée dans le land de Toulouse. Ils avaient, sur mes recommandations, engagé pour l’organisation la très renommée Déborah Querh. Cette femme de type squelette, équipée de tous les accessoires possibles et inimaginables en sa possession, dépensera des trésors d’énergie positive. Elle produira une somme d’inventivités considérables pour faire d’un évènement bénin un événementiel incontournable dans la sphère du chocolat noir. Je ne connaîtrais jamais la somme dépensée pendant ces trois jours de fête, gageons qu’elle fut rondelette, nullement à la portée de tout le monde sur terre. Une mini croisière type « nu et culotté » fut programmée le second jour du lever du jour au coucher du soleil, direction les îles de Lérins. À cause de la grosse houle, le bateau déséquilibré par des vagues scélérates, la balade en sera annulée au dernier moment et remplacée par une escapade dans une crique isolée des calanques. Le gotha journalistique sera présent et nourri de fines barrettes de Pico de Belin en guise de dessert, la communication de Carla fonctionnait à plein régime. Le clou de la fête sera bien sûr entièrement détaillé dans le Match magazine du 20 juillet. Je vous en reparlerai plus loin dans de croustillants détails.

Pour madame Querh, l’organisatrice devenue la championne des lampions brûlants, son microfilm de société toulousaine allait démarrer sitôt la fête terminée. Elle prendra plus de cent vingt commandes. Dans les mois suivants, Déborah allait devenir celle que tout le gratin du Grand Paris connaît actuellement comme étant la référence. Actuellement, désormais au CAC, sa société des Comptoirs Modernes à elle seule représente quelque trente pour cent des activités du secteur, possède dans son panel de clients les plus grands argentiers du globe. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, seulement et malheureusement une rude pénurie de personnel qualifié à tout faire à pas trop cher, concurrence oblige.

Les soupirs d’une Barbara déçue

Charlie n’avait, je pense pas, encore oublié cette femme remarquable qui fut à deux doigts de lui passer la corde au cou. Barbara avait raté le bon client, pris pour seconde cible un pitoyable romancier que j’étais en guise de suppositoire accessoire à lui raconter des chansonnettes le soir avant de se coucher. Pour ce qui est d’être son témoin devant le curé Eustache, gageons que Charlie ne se tromperait pas de doigt pour l’alliance métonymique en or massif, qu’il ne préférerait peut-être en guise d’échange se pencher vers la Tabatière anatomique bien graissée de Barbara prête à tout pour lui mettre le licou une bonne fois pour toutes. Sa région carpienne se prêterait très bien à celle de mon ami d’enfance, l’annulaire à Carla allait finalement très bien faire l’affaire. Pour la petite histoire, ce tentaculaire morceau de choix travaillé par le meilleur bijoutier de la place Vendôme, l’alliance byzantine, composée des scènes du Christ, se trouvait incorporée dans la dot de mariage. Charlie en aurait été bien incapable d’en régler le moindre des grammes, allait se convenir de ce Jonc parisien plus épais que le demi-jonc classique. Charlie hésitait entre le style confort et celui du haut luxe, il en sera extrêmement touché quand Carla lui donnera ce fameux baiser sur sa bouche tout en regardant Barbara s’éponger son front ruisselant de sueur. L’échange des anneaux se fera sous son œil médusé. Prête à bondir, elle s’avouait finalement vaincue par cette fabuleuse entremetteuse flammèche qu’était cette belle Italienne venue d’ailleurs. Barbara avait tout essayé : l’in vitro, la fécondation basique ainsi que l’hypnose par le grand magicien Eisner. Charlie fut trop basique pour succomber à ses charmes. Ce fut sa seule raison d’abandonner les poursuites sur ce crooner chanteur.

— Charlie a, pour un cultivateur de tomates cerises, les doigts démesurément longs.

C’est ce qu’elle m’avait dit lors de la soirée du commandant organisée sur ce rafiot de luxe, loué tout spécialement chez Costa pour leurs premières fiançailles. Ce fut tout naturellement un entraînement pour de futurs mariés de l’an deux. Pour la petite histoire, la Mandala de Saint-Tropez de plus de 500 mètres carrés avec son énorme piscine à vagues sera la propriété d’un certain Bernard Trapiche puis sera revendue à l’homme d’affaires américain Tony Palmer. Chaque année, pour rejoindre notre villa Peuchère, en passant devant le fabuleux portail en bronze, je repense à ces trois jours de pagaille d’orgie participative.

— Les tickets seront sans aucune possibilité d’échange ni de remboursement en cas de refus de votre part. À très bientôt mes amis. Signé Carla B.

La fin du télégramme voulait, sans aucune ambiguïté, bien dire ce qu’il voulait dire. Il fallait s’attendre à tout et certainement à n’importe quoi de la part de mon ami d’enfance, et surtout de sa future épouse. Carla n’avait toujours pas digéré la correspondance de leurs secondes fiançailles. Les mots seront clairs et pertinents, nous ne pouvions qu’accepter la convocation, sans essayer de renflouer notre compte en banque en revendant ces morceaux de papier cartonné à l’effigie de la toute jeune société des chemins de fer français (SNCF). Carla possédait une mémoire d’éléphant. Elle se souvenait que lors de ses secondes fiançailles à Copacabana, au pied du Pain de Sucre, sous les ailes du Christ rédempteur, nous ne nous étions pas déplacés et que par la suite, nous avions vilainement empoché les quarante mille francs anciens des billets d’avion. Nous étions pingres, mais ça, je crois que vous l’aviez deviné. Carla, lors d’une visite de courtoisie lors d’un concours de pur-sang en Mayenne, nous avait laissé une emblématique carte postale de cette ville de Rio De Janeiro avec inscrit dessus :

— Nous vous attendons encore et toujours, espérons que vous ne nous faites pas faux bond la prochaine fois qui, espérons-le, sera la bonne.

Des lieux de rêve

Dans une des propriétés mitoyennes de la fameuse Madrague à notre BB nationale, Carla et Charlie allaient nous faire découvrir une véritable fête moderne, celle dont on se souvient toute sa vie, celle où vous pourriez faire des rencontres extraordinaires. Nous côtoierons, en parfaite harmonie et recevabilité de pouvoir mélanger torchons et serviettes à table, des acteurs de la télé-réalité, genre ko Lanta. Un authentique capharnaüm ambulant, sorte de chapiteaux pour bédouins marocains, nous attendait sous un soleil radieux. Charlie et Carla avaient bien fait les choses, il faut le reconnaître, mirent les petits plats dans les grands. Ils avaient travaillé pendant de longs mois pour que leur cérémonie soit belle et surtout un succès, une réussite complète pour que leurs invités, tous triés sur le volet, en prennent plein la vue. À la nuit tombée du dernier jour, il fut prévu un gigantesque feu d’artifice qui restera dans les annales comme le plus gros budget de l’histoire en matière d’étincelles chinoises. Pour l’anecdote, un des quatre chapiteaux géants prendra feu vers trois heures du matin, la caserne de pompiers était de service sur une fumée de maquis très importante. Le préfet, le marquis Dessaoula et la princesse Maso De Sétoum, responsables des feux de brousse, allaient nous laisser nous débrouiller pour l’éteindre par nos propres moyens. Ce concert de brindilles donnera un certain piment à la fête que, finalement, tous les invités éméchés finiront dans la piscine en train d’écoper avec les flûtes à champagne en cristal. L’histoire d’un couple phénoménal d’inventivité commençait sous les vivats de deux bonnes centaines d’invités triés sur le volet.

Retour sur un mythique village du Var à travers le petit écran

Nous ne connaissions pas cette bourgade perdue sur les rives de la Méditerranée, nous étions loin de nous douter d’une supercherie future de ce gentil village de pêcheurs qui serait bientôt livré à ces Bobo Eco Parisiens. Ces gens, avides d’espaces vierges pour s’amuser entre amis et repartir en hélicos privés sitôt la fête terminée en seront les premiers servis. Les farfelus gendarmes de Jean Girault n’avaient pas encore fait recette dans les salles de cinéma, Bardot étant la toute jeune fille n’ayant pas encore le parcours que l’on sait, n’attirait, à part les nouvelles marques de bikini, pas grand monde du show-biz. Comme cinémathèque, nous n’avions que celle de genre « Fernandel à grand-père », nous en étions encore à regarder sur le cinéma de quartier « la vache et le prisonnier en N/B ». C’était l’époque des grands péplums US genre Ben-Hur, Spartacus, les Canons de Navarone.

Les femmes n’étaient sur le grand écran pas encore trop découvertes, les histoires d’amour se succédaient de façon chaste et pudique tout en faisant de la princesse Grace la plus belle de toutes au sommet de sa gloire. Bardot, de son prénom Brigitte, en portant le premier deux-pièces de l’histoire de la femme, l’inventait d’une façon magistrale faisait, avec son outrage habituel glousser les prudes mères de famille habituées à se calfeutrer des pieds à la tête dès qu’elles sortaient du giron familial. Le paradis du cinéphile averti rentrait dans les chaumières par la petite lucarne d’un écran tout petit, à peine inaudible du côté son et seulement le dimanche soir sur la première chaîne avec le réputé petit rectangle blanc. Les gens simples étaient heureux, pas encore naïfs d’écouter Jacqueline Caurat nous parler de philatélie. Pierre Sabbagh, son mari dans la vie, allait nous faire découvrir la véritable information de cinq colonnes à la une.

Barbara, Charlie, Jean et son tracteur

Barbara, adorant le chocolat noir, tout spécialement celui de la fabrique à Carla, avait fortement insisté pour que nous y participions les trois jours complets. Pas question de s’escamoter comme nous en avions l’habitude. Après maintes hésitations, devant ses admonestations de plus en plus aigres douces, amères et complexes, n’étant nullement misogyne, j’allais céder à ses plus profonds désirs de femme pas encore repentie d’avoir, quand elle montait son cheval Chocolat De La Butte Domfrontaise, le regard d’une femme hautaine ne soulevant que des on-dit. Mon regard porté sur elle et non sur son étalon en devenait pour moi qu’une icône perchée montant à cru sur une encolure touffue. Elle avait en sa possession tous les canons de la beauté féminine embarqués sur elle, mais n’avait pas Charlie. Elle surclassait Carla sur plein de choses des plus diverses aux plus sensuelles qu’une femme puisse offrir à un jeune homme chevelu comme moi. Barbara, dans ses occasions, sentait, non pas le fumier de cheval, mais plutôt le Chanel numéro 05 acheté chez Louise Gambette. À presque 19 ans, tout en étant toujours chaste et prude envers moi, cela en devenait énervant, je rongeais mon frein tout en sachant pertinemment que Charlie ne se gênait pas pendant les vacances d’été, de jouer au docteur avec elle. Pas encore dévergondée au point de s’allonger devant moi en totale liberté de me narguer, Barbara restait la fille unique de paysans, mais toujours, et jamais chaussée de bottes à crottins, uniquement d’escarpins à 120 francs la paire, même en dormant. Je ne vous cache pas que ce fut légèrement excitant de devoir déboîter doucement ces deux chaussons en peau de kangourou, de découvrir des chevilles neuves, des pieds bien fabriqués par une mère aimante. Barbara avait, à la suite d’un accident, un défaut majeur : une jambe plus courte que l’autre d’à peu près quatre centimètres. Dans ces temps-là, nous appelions cet épiphénomène « un pied bot ». Le coussinet, astucieusement implanté dans le talon de sa chaussure de droite, cachait la vérité d’une jeune fille branlante en sautant de son lit. Il n’est pas sûr que Charlie, s’apercevant de cette supercherie, au dernier moment, aurait dit oui devant monsieur le maire. Dans sa chambre rose efflanquée d’une minijupe à carreaux des plus excitante, elle me faisait languir des nuits entières. Couché sur le parquet mal jointé, j’attendais le moment fatal, celui où elle se débarrassait de ses habits de lumière transparente, je m’empiffrais alors de ce parfum haute couture, en suffoquais presque de deviner le reste allongé sur le lit en train de dormir en rêvant de Charlie.

Elle avait, tout juste après l’accident de Chartres, comme pour s’aventurer dans un domaine interdit pour elle, eu une rocambolesque aventure avec lui. Elle me l’avait racontée en long et en travers. En me détaillant toutes les frasques d’un ami que finalement je ne connaissais que très peu sur le côté des affaires sentimentales que je me prenais à rêver de Carla. Barbara me soufflait, me confiait, assise sur le strapontin du tracteur, à mots couverts, sans trop dire, ses plus fervents désirs de lui mettre dès que possible le grappin dessus, quitte à faire un scandale du côté de Saint-Paul. Elle pouvait toujours courir toute nue le cent mètres en moins de quinze secondes, Charlie voulait épouser depuis toujours la présidente des chocolats Pico De Belin. Il se gardait bien de prendre le moindre risque avec Barbara, avec son attirail de prince consort il risquait gros avec elle. Il adorait Barbara pour sa menue poitrine en bakélite, sa chevelure longue et blonde, comme suspendue à un fil qui s’appelle la belle vie, mais ce fut à peu près tout. Ce fut la seule chose radicalement franche qu’il allait m’avouer la veille de sa mort, dans la fameuse chambre 122, celle où nous allions tous ensemble revivre une partie de nos vies.

Je n’étais point jaloux, mais je risquais gros en la mélangeant de nouveau avec cette haute société dérisoire se regardant le nombril. J’avais enfin la paix, nullement celle des braves, mais plutôt celle d’un presque amant éploré sur le devenir de savoir si ma douce aimée allait me dire enfin Oui un jour. Juchée sur la bétaillère de sa petite ferme agricole en Mayenne, mitoyenne de celle de papa, Barbara faisait la sourde oreille à mes avances. Mes parents misaient et c’est bien normal, sur un rapprochement de nos deux fermes voisines de quelques centaines de mètres. En faire au total 1400 hectares de blé et de luzerne pour nos cochons de lait serait leur satisfaction personnelle d’avoir réussi à grimper les échelons d’une vie de ploucs.

J’en commençais à croire qu’elle n’aimait pas les minables péquenots comme moi, mais ceux qui roulent en Massey Ferguson à 500 000 $, toute la journée en écoutant tout de même la Sonate pour piano no 11 de Mozart en haute-fidélité. Le paysan sans fortune que j’étais, savait faire la différence entre le ré majeur pour piano et la 16 en do majeur, allez savoir pourquoi, je n’étais pas un surdoué ou un HPI de maintenant, je savais à peine tenir les rênes de notre Poulain Mastoc. Le savoir-vivre, l’éthique et la coutumière courtoisie paysanne de nos deux familles faisaient quotité depuis toujours de notre entité intellectuelle dans nos champs de betteraves sucrières. De nourrir la France, j’avais au moins cela dans ma manche, mais pas encore le pouvoir d’accrocher un concept-car bodybulgué comme Barbara courant les samedis soir, les balluches dans les villages de la Mayenne. Je me battais avec les seules armes dont je disposais : mes bras musculeux pour la prendre à revers dans le champ de pivoines sans avoir à percer ce secret de polichinelle qui couve dans les corps de jeunes filles naturellement vôtres. Avait-elle apprécié la holà manufacturière d’un tracteur neuf marchant au diesel, hoquetant en changeant ces vitesses manuelles sur une femme presque d’envergure ? Je ne saurais vous le dire, mais lors de ses promenades suivantes, elle préférait sortir notre chien Balthazar plutôt du côté village tranquille, elle était déjà sous l’emprise de Charlie. Elle attendait avec impatience ses prochaines vacances dans les Pyrénées. Je l’avais connu lors d’un congrès des bons fermiers avertis, Barbara se trouvait être la plus jeune des réceptionnistes à vêtements, capable de détecter les propriétaires de chapeaux melons ayant de la bonne monnaie sur eux. Avait-elle choisi de se faire grossir le melon en disséquant la clique des fermiers présents ou se préparait-elle à l’inéluctable d’un souvenir effaçable de sa mémoire ? Je m’étais dit que je serais là quand ce moment tragique arriverait.

Nous n’allions évidemment pas venir les mains vides, il nous fallait réfléchir à cet indispensable cadeau de mariage. Étant ric-rac du côté finances, n’ayant pas reçu l’argent miracle promis par le tout nouveau Marché Commun, sorte de PAC à l’ancienne mode, nous nous déciderons au dernier moment. Au pire ! je vendrais au plus offrant au marché de Fougères ma vieille vache laitière, Nicole. Elle ne m’avait donné que deux malheureux veaux en deux ans, pas de quoi en faire un fromage avec appellation sans contrôle de qualité. Nous n’en avions que faire, en ce temps-là, nos produits étaient irréprochables, aucun consommateur ne tombait malade. Hormis ses vacances, nous allions continuer à échanger entre nous des mots bizarres, comme des allers-retours. Quand elle revenait de Saint-Paul, elle s’enfermait dans sa chambre rose, en devenait invisible pendant des semaines jusqu’au moment tant attendu, lors d’une réception en mairie de Mayenne. Quelque chose s’était cassé entre elle et Charlie, soit Carla l’avait mise à la porte, ou soit Charlie ne pouvait plus hésiter entre ces deux pervenches. Comme promis, j’étais là… ce fut le commencement d’une histoire, la nôtre…

Sur notre 31, Barbara sur un nuage dans le compartiment 13

Pour ce qui est de nos tenues respectives, Barbara, pour la cérémonie, se nippera dans une immense et extravagante houppelande de velours de couleur rouge, agrémentée de perles de cultures javanaises de couleur bleu foncé du plus bel effet. Cette tunique, un peu trop ténébreuse à mon goût, fut louée aux Grands Magasins Réunis de Rennes (35). Orné aux manches d’une bande de satin avec une bande réfléchissante large de dix centimètres, ce vêtement devrait faire et fera certainement une grosse sensation parmi tous les invités présents. Son extravagant décolleté affinera avec pertinence sa taille de guêpe. Il laissera une fine poitrine mise bien en avant, laissant apparaître les formes généreuses d’une paire de seins déroutants de douceurs à ne déguster que du regard. Ma fiancée voulait marquer les esprits et être la plus belle de la soirée. Elle voulait convaincre Charlie de danser toutes les chorégraphies avec elle, des plus hardes aux plus folles, aux plus osées, des plus acrobatiques aux plus languissantes. Elle le voulait tout à elle, toute la nuit, m’avait-elle dit et répété sans ambages, prévenu dans notre compartiment douze. Pour Barbara, ce serait comme une sorte d’enterrement d’une vie de jeune fille pour se défaire de ses souvenirs. Il fallait être réellement gonflée pour le faire devant moi et surtout devant Carla. Barbara espérait tout en faisant le baroud d’honneur déclencher chez ce couple une sorte de mariage blanc. Elle se brisera la cervelle sur la terrible omerta d’une famille italienne indémodable ne lui laissant aucune chance d’y accéder. C’était sans compter sur la mariée, qu’elle fut trop belle pour toi ou trop moche pour conclure, Carla n’allait pas faire la fine bouche de prendre pour époux ce saltimbanque de Saint-Paul. Pour la fête, à la nuit tombée, Barbara portera une sorte de chemise de fine toile en fine laine sublime qui, s’arrêtant aux genoux, laissera une robe de type ottoman recouvrir le reste de son buste sans aucun défaut apparent. Pas de ventre rebondi, Barbara n’avait pas réussi à se faire engrosser par Charlie ni par moi d’ailleurs, celui de Carla annonçait peut-être quelque chose de différent, les deux amies dans la vie se jaugeaient. Un lot de bijoux complétera le tout, composé de six rubis de premier ordre achetés par ses parents chez Lacasse rue du Louvre, ils ne seront que pacotilles sur un corps à l’ambiance subjective de ne laisser deviner tout ce qu’il y a de plus beau chez elle. Certainement qu’elle fera sensation, attisera la majorité des hommes et femmes présents sur le parvis de l’église Saint-Eustache d’une mairie spécialement redécorée de fleurs et de pétales de roses pour faire plaisir aux jeunes mariées. J’étais fier de voir Barbara heureuse et conquérante, mais légèrement inquiète de la tournure qu’allaient prendre les évènements. Moi, comme véritable fermier mayennais devenu de fait le plus gros propriétaire de la région des Marches de Bretagne, possédant dorénavant plus de deux mille vaches laitières, quatre cents taureaux, j’en étais pas peu crâne d’être l’invité numéro deux, juste après elle. Seulement, il me fallait tenir mon rang et ne pas faiblir devant tous ces parvenus imbus de leurs personnes ne connaissant que dalle à l’agriculture à De Gaulle. Déborah en spectatrice organisatrice hors pair faisait le ménage, séparait les incultes des HPI, sélectionnait ce qui pouvait être comme la crème de l’industrie bananière.

Voyage en première classe

Nous étions descendus en à peine quatorze heures de voyage, par l’Intercités Mayenne-Rennes puis celui de nuit Paris-Nice-Vintimille. Charlie, en personne, à 8 h 5, venait nous chercher dans cette petite gare de province. En à peine cinq à douze minutes, dans sa voiture à cheval cabré se nommant Prince Junior, nous débarquions à la villa Miséricorde. Nous avions pris une couchette dans le wagon 13 cabine 69. C’était pour moi, un véritable baptême, je n’avais jamais osé prendre ce type de transport dit de luxe, préférant toujours la seconde classe, au pire la troisième bien moins onéreuse. Avec élégance, je prendrais le lit du haut, Barbara craignant le vide, prenait celui du bas, nous étions presque amoureux, je cherchais son bras, je le trouvais, nous nous tenions fermement durant ces chaotiques rebonds d’une voiture glissant sur des rails mal ajustés. Le rapide de nuit était à l’heure. Pour l’époque, ce fut rare de ne pas rouler à un train de sénateur. Charlie, toujours bien organisé quand il s’agissait de recevoir Barbara, avait tout prévu, également le petit décalage d’ordinaire si fréquent et le petit-déjeuner servi au compartiment par une splendide hôtesse du rail nous prodiguant des conseils pour ne pas rater la marche en descendant de la compagnie des voitures-lits. Comme bagages, nous avions deux énormes cantines métalliques, genre cabines avec nos vêtements de cérémonies à l’intérieur, nous nous étions habillés simplement pour le voyage, nullement besoin d’ameuter le chef de la gare d’Austerlitz. Barbara portait sa fameuse jupe écossaise juste assez courte pour deviner un slip impeccablement assorti en dentelle rouge. Son buste assorti d’un shetland uni du plus bel effet, retombant négligemment sur ses fines fesses, toute cette armada de fanfreluches faisait peu d’effet dans le compartiment bondé de pauvres voyageurs mangeant leurs croûtes de pain rassis. Le tissu venant du Sentier la moulait astucieusement, ne laissait rien cacher de son anatomie à ce contrôleur affublé d’un nez en trompette qui, perché sur elle, tout en vérifiant nos billets, reluquait plus ses formes que les tickets pas encore poinçonnés. Pour ses chaussures, que de simples mocassins recouverts de feutrines, une paire de rechanges restait dans la valise numéro 01 et ses fameuses talonnettes de quinze millimètres. Pour moi, je portais un pantalon de flanelle de couleur claire, avec une liquette laiteuse tenue par une ceinture en cuir de couleur sombre. Je conservais ma casquette de golfeur durant tout le voyage, cela allait m’éviter de m’assommer sur le plafond du compartiment. Nous dormirons dans des chemises légères genre camisoles, qu’il ne faut surtout pas défaire dans un habitacle de 70 centimètres de largeur. Dans un sommeil profond pour Barbara, léger pour moi, tous les deux engoncés séparément dans des draps sentant la naphtaline, le temps passera trop vite à mon goût, j’aurais voulu être beaucoup plus longtemps en sa compagnie à écouter sa respiration régulière sans aucun à-coup. La nuit se passera sans problème majeur à part cet arrêt inopiné à Valence, afin de laisser passer un troupeau de chèvres broutant sur la voie. Le train sifflera trois fois, nous bercera longuement, j’aimais ce voyage lent, il repartira doucement sans trop nous réveiller.

Amères réflexions sur couchette

— S’il ne pleut pas, cette alliance de compromis ne sera certainement pas heureuse, me dira Barbara.

Allongée sur sa couchette, Barbara lisait Détective, mon active promise avait de la suite dans ses idées.

Pour sa conduite souple et sans à-coups, ce conducteur de locomotive à vapeur, le visage noir de charbon, méritait tous les éloges et récoltera, comme un authentique pilote d’Airbus A800, nos applaudissements à Marseille Saint-Charles.

Chapitre 2

Un mariage sous haute tension

Un bien encombrant cadeau de mariage

Après mûres réflexions, réfléchissant sur d’abondantes incertitudes liées à de trop nombreuses questions sur un couple d’un genre globe-trotter, avec Barbara, nous devions nous décider, sans trop tarder sur le cadeau à offrir aux futurs jeunes mariés. Ils avaient tout ce que la vie pourrait leur donner d’intensité, il fallait se creuser nos méninges et surtout, ne pas se tromper sur la qualité plutôt que sur la quantité. Carla était l’unique héritière des chocolats Pico de Belin, et Charlie, le principal fournisseur de tomates dans la région d’Occitanie.

Par télex, nous demandions à notre conseillère en communication, le soin de remettre, quelques jours avant notre arrivée à Saint-Tropez, à mon ami Charlie, son cadeau ou plutôt un manuel de bonnes conduites pour une bonne fusion et une structurelle acquisition réussies. Mademoiselle Micheline De la Joubarbe répondait dans l’heure par l’affirmative et, dans la journée, nous rassurait, nous souhaitait une bonne fin de voyage. Micheline était notre indispensable post-it à tout faire, celle sur qui on peut compter nuit et jour, sans trop nous inquiéter du décalage horaire. Micheline avait son bureau au stade Salvador Allende.

— Il faudra quand même récompenser Micheline à notre retour et nous faire pardonner auprès de ta mère.

— J’y pense Barbara, je serais aux petits soins avec Micheline, et j’en profiterai pour remercier Ursula de nous prêter son chapeau.

— Tu pourrais les inviter toutes les deux à la dernière séance à l’Arvor ? Micheline adore Scarlett O’hara.

Micheline pesait au bas mot plus de 130 kilos, et je ne voyais nullement partager mon siège.

— Je verrais à l’occasion.

Un misérable chèque American Express se trouvait à la page trois du manuel du bon compagnon avec deux zéros à la suite d’un chiffre. Il ne le prendra pas trop bien, s’attendant plutôt à un cadeau mirobolant de notre part, comme une montre « Hubots » ou une « Cartier » de grande valeur, ce que nous n’avions aucunement les moyens de lui offrir. J’avais bien proposé quatre canards et un couffin sur une barrique de cidre bouché de notre cuvée spéciale Louis Quinze, celle de la Louis Seize très demandée depuis les évènements de 1947 ne se trouvait plus en stock. Barbara m’avait pouffé au nez.

— Autant lui offrir une poupée Barbie gonflable.

— Mais pourquoi pas ? Je n’y avais pas pensé, bonne pioche, Barbara ! Je rappelle Micheline de suite.

— Tu délires ! je plaisantais ! Charlie n’a aucunement besoin de ce genre d’amusette à gonflette au gaz butane ?

— Il te lâcherait la grappe ?

— Ah ! vue comme ça ! c’est vrai. Jean, tu as peut-être finalement raison, la poupée serait un bon complément alimentaire pour lui !

— Serais-tu jaloux ? Eh bien, il ne faut pas, Charlie n’est pour moi qu’un complément libidineux et ses tomates cerises, je les adore.

Je ne répondais pas. J’adorais Charlie, j’aimais profondément Barbara et, depuis l’accident de Chartres, nous n’en étions que plus liés. Cette fameuse poupée aurait été un signe pour lui. Peut-être pas le bon, du côté sensualité, mais elle l’aurait soulagé les jours où ses femmes sont indisponibles.

— Ses tomates cerises, je les trouve fades, trop petites, sans consistance.

— Que tu es chaste, mon Jean, je ne te parlais pas de ses légumes !

— Mais comment, dans cet express de nuit, commander cet extravagant produit de poupée ?

— Essaie donc ce nouveau magasin. J’ai le nom sur le bout de ma langue…

— Tu veux parler « d’Amazonite c’est Flip ! » ? Franchement, si c’est l’avenir, ce genre de poubelle, autant renier l’histoire.

— Bah ! nous verrons en rentrant, il sera toujours temps d’y penser et de demander à Micheline d’essayer la poupée ?

Voyage

Barbara dans ses réparties en devenait excellente, je commençais à découvrir sur la couchette douze au rez de chaussé d’un compartiment bondé de voyageurs voyeurs surexcités, ce que me cachait une entourloupe de premier ordre emmitouflée dans une sorte de sac malodorant estampillé SNCF. Son voisin le plus proche, une sorte de binoclard lisant Tintin chez les Soviets avec une loupe, commençait sérieusement à loucher vers ses genoux. Je laissais le plafonnier ouvert.

— Lumière !

Barbara fut prête depuis une bonne heure. Elle avait passé la dernière demi-heure du voyage, son temps dans les riquiqui toilettes de la voiture. Elle avait pris une douche tiède, logiquement réservée au chef de train, en vidait complètement le cumulus de 50 litres. Occupant le micro-espace au grand dam des autres voyageurs pas rasés, elle allait affronter le regard des autres touristes, se faufiler discrètement vers la sortie, courir vers la porte sept. Il aura fallu l’intervention du contrôleur pour interrompre sa gymnastique journalière consistant à se beurrer sa figure de ces nouveaux produits d’une récente coqueluche pour femme s’appelant « chez L’Oréal, on y va ». Le curieux binoclard en était resté sur sa faim et essayait d’effacer les taches sur son pyjama en torchon, ce pauvre type certainement en éveil toute la nuit, c’est ce que je remarquais en descendant l’échelle, n’avait pas réussi à terminer son tintin chez le soviet. Le lit de Barbara était fait, comme dans sa chambre de jeune fille chez ses parents en Mayenne. La couverture soigneusement pliée donnait le la d’une future épouse irréprochable, celle que tout le monde rêve d’avoir à la maison. Je mettais dans mon sac l’oreiller estampillé SNCF.

Dans la nasse dès 8 h 57…

« Terminus Marseille Saint-Charles, tout le monde descend. La correspondance pour Vintimille se trouve sur le quai trois, départ à 8 h 35, arrivée à Toulon à 8 h 55 » nous clamait haut et fort la préposée aux messages hurlants installée dans le wagon de tête. La métallique voix faisait partie des nouvelles organisations de la SNCF moderne. Sur le quai cinq, nous prenions la correspondance pour Toulon.

À l’arrivée, en gare de Toulon, Charlie seul sur un quai quasiment désert nous attendait. De loin, je l’apercevais perché sur la pointe de ses chaussures noires à la James Deben, il était certainement très impatient de nous accueillir ou plutôt de serrer Barbara dans ses bras, ce qu’il ne manquera pas de faire durant deux minutes qui me parurent interminables. À ce moment précis où le couple allait courir l’un vers l’autre, allait s’enlacer, s’embrasser, Charlie me faisait penser à un petit garçon heureux de retrouver sa flamme des vacances heureuses passées à Saint-Paul. Perché sur le marchepied, j’étais en train de faire glisser les deux grosses mâles avec le vieux porteur. Pendant un instant, je dirais peut-être même deux secondes, j’ai eu l’envie de rester dans le train, de continuer ma route sans elle, de l’oublier, de la laisser à mon ami de toujours. La seule raison qui me faisait rester… Nous étions ses seuls véritables compères sur la terre, je ne pouvais pas lui faire cet affront et surtout que le train était sur une voie de garage.

— Bonjour, mes amis, avez-vous fait un bon voyage ?

— Excellent, à part l’odeur de cette fumée charbonneuse, ces voitures sont confortables et les voisins charmants.

— Et toi, Charlie, heureux d’épouser Carla ?

— L’amour entre un couple, mes amis, croyez-moi, c’est beaucoup mieux que la vie de célibataire à courir les filles !

Cette phrase en sera l’éternel slogan de notre ami Charlie, durant toute son existence, et surtout celui de ce jour d’importantes solennités, il ne parlait que de l’union entre deux êtres, lui et Carla. Barbara lui donnera une gentille tape amicale dans son dos, lui caressera sa nuque, le massera, l’embrassera également sur sa joue gauche, lui lassant une indélébile marque de rouge sur ses lèvres. En quittant le parking, je ferai fortune bon cœur d’autoriser Barbara à s’asseoir à l’avant à côté du chauffeur. Le volant se trouvait à droite, comme chez les English. Elle pourrait repousser le siège, tout en m’écrasant les genoux jusqu’à ma poitrine, je suffoquais, cette nouvelle voiture de sport à Charlie n’était pas faite pour voyager à quatre, uniquement à deux. Charlie aurait pu venir avec la Juvaquatre 4 portes de Carla, il avait choisi cette baignoire ambulante rien que pour Barbara, pour lui en mettre plein la vue tout en regardant son entrecuisse. Elle s’étirera, écartera ses jambes, élancera ses bras au plafond, se mettra en position confortable. La nuit fut tellement fatigante que, sans complaisance, elle s’enroulera au cou de Charlie.

— Charlie, il faudra te passer un mouchoir humide sur ta joue, Carla n’a pas forcément la même marque de rouge à lèvres que moi…

Engoncé à l’arrière du carrosse, coincé entre les deux mâles, trois superflues valisettes avec, sur mes genoux, les trois énormes sacs à main de Barbara, je ne voyais rien venir de particulièrement excentrique de la part de ces deux zouaves surexcités de se retrouver. Barbara avait l’habitude des hommes de valeurs hautaines et surtout rasés de près. Charlie connaissait ses multiples goûts en la matière, ce que je savais depuis belle lurette, c’est qu’elle détestait les barbes de trois jours, les moustaches mal calibrées la chatouillant au mauvais endroit dans les moments les plus périlleux. Charlie, de ce côté-là, était parfait, sentait bon le Mister Hann. Pendant le court trajet nous ne parlerons que de nos productions, lui de ses tomates cerises, nous ! de notre blé tendre poussant dans nos champs enfin débarrassés des talus. Nous étions pour le remembrement. Lui, non !

Barbara, portant d’extravagantes lunettes de soleil, en sortant de la Mercédès S500 décapotable équipée de ces fameuses extravagantes portières type papillon, me certifiera de ne pas avoir cédé une seule seconde à ses grivoises avances. Bien sûr qu’elle mentait, Barbara avait besoin de se faire bichonner par son maître à jouer. Dans ses rêves les plus osés, les plus tordus, je savais et connaissais l’authenticité d’un couple d’amoureux sur la corde raide de savoir sur la fin.

Le lendemain, à trois heures du matin, en présence de tous les invités, elle lui abandonnera sa chance de danser cet ultime tango flambeur argentin. Pas mal éméchés, en équilibre sur la margelle, ils tomberont finalement à l’eau. Ils laissaient tomber le masque et rompaient définitivement la glace.

— Pourquoi ne prenez-vous pas l’aéronef ?

— La prochaine fois. Jean me l’a promis, nous prendrons ces toutes nouvelles caravelles d’Air Inter.

Charlie lui avait proposé gentiment de lui offrir des billets gratuits. J’avais refusé catégoriquement, ma peur de l’avion l’avait emporté. Barbara attendrait la prochaine fois ou peut-être jamais.

Par la suite, en arrivant à la villa, passé la fabuleuse grille en fer forgée construite spécialement par un cousin d’Eiffel, Charlie nous allouait pour nous récompenser d’avoir conduit à tombeau ouvert sur la corniche à plus de 150, deux bonnes heures d’un repos bien mérité. Nous avions la suite Magellan au rez-de-chaussée, avec piscine privée à moins de trois mètres de notre chambre. Un véritable palace au bord de la mer nous donnait comme dans un rêve le plus fou de poser pour quelques jours nos valises ici. Finalement ce furent nos premières vacances tous frais payés.

Les cérémonies protocolaires du premier jour se passeront parfaitement, le repas de noces également, la jarretière corsetée dans une taille 33 sera gagnée par un gentil garçon de café ne demandant rien du tout, que de servir sans rien casser et renverser sur les invités endimanchés. La fête se prolongeant tard dans la nuit, Charlie, comme prévu souhaitant enterrer sa tumultueuse vie de garçon, ne lâchera pas Barbara d’une semelle. Il souhaitait une dernière fois en découvrir le goût d’un compartiment secret encore inconnu chez elle. Je vous avouerais que le magnifique corps de Barbara n’avait plus aucun secret pour lui. Charlie lui avait appris pratiquement toutes les positions possibles et inimaginables du kamasutra. Barbara m’en fera profiter à l’occasion à chacun de ses retours sur terre. Mais, avant d’en arriver là, agissons par ordre et méthode.

Fracassants ordonnancements d’une assembleuse de projets fous

Nous étions, comme vous le savez, sur proposition de Charlie supposés désignés comme étant l’idéale paire de témoins d’un couple nullement ordinaire, plutôt excentrique, devenant inoubliable au fur et à mesure d’une cérémonie religieuse digne du sacre du Roi d’Angleterre. À votre époque, nous dirons qu’ils seraient « borderline » pour ceux qui ne parlent pas la langue shakespearienne « des cas limites ». Sur d’hallucinants conseils d’une maniaque maîtresse de cérémonie déguisée en authentique Belphégor, pour Déborah Querh il nous fallait lors de la signature en mairie être les plus naturels possibles, dans la chapelle, les plus croyants faisables

Madame Déborah Querh, nouvelle égérie de la fête éternelle, fera une légère incursion puis allait surenchérir en nous déshabillant de son regard de fléchette. Déborah chipera quelques douceurs, se les mettra dans sa jolie bouche. À y regarder de plus près, cette jeune dame venant du côté de la ville rose ressemblait plus à une de ces formidables danseuses à clo-clo, la plus petite, pas la plus mince, mais certainement la plus délurée à soulever les lièvres non invités à la cérémonie religieuse. Placés en ordre de marche derrière ce patriarche abbé ultime chanoine centenaire d’un village composé essentiellement d’athées, ce tortueux vieillard ne tenait debout que grâce à un déambulateur à trois roues, bricolé par un sacristain déguisé en colleur d’affiches. Des rires moqueurs fusaient ici et là, cela en venait indécent, j’en fus extrêmement gêné pour nos amis, Déborah notera les noms. Les futurs mariés se retournaient et menaçaient de renvoyer tous les invités à la maison. Pour ne rien arranger du tout, Barbara boitait légèrement, rajoutait à la scène quelque chose de comique, glauque, surréaliste. En prenant le train corail ayant sa tête ailleurs, elle n’avait pas apporté la bonne cale pour ses nouvelles galoches à 1500 balles dégotées aux nouvelles galeries de Roizon (Rennes).

Charlie viendra, à la sortie de mairie, lui porter secours en lui incrustant un tube entier de silicone sous pression dans ses talons. Elle allait finalement apprécier ce sans précédent acte de débrouillardise d’un fougueux amant plus attiré par son témoin que sa femme Carla. Barbara respirait, pouvait faire la fête normalement. Pour la petite histoire, ce génial système en faisait une sorte d’amortisseur souple, adieu les moches talonnettes en PVC dur fabriquées par son cordonnier. Charlie, inscrit l’année suivante au concours Lépine en déposera un brevet, plus tard il touchera des royalties pendant dix ans. En sortant de la mairie, au regard de toutes ces hilarités à remonter au millimètre près la jambe gauche de Barbara, nous avions plutôt cru, au tout début de la séance de photo orchestrée par son photographe préféré. Arrivé tout spécialement de Bagnères avec sa fille Noémie à une sorte de bal costumé ou d’une galéjade sans les masques, ce brave garçon, ceinture noire de judo, faisant partie des meilleurs ouvriers artisans de France en fera un fabuleux album de photos où l’on remarquera Barbara installée dans les bras de Charlie. Carla tout près, trop près de moi avec un éventail espagnol en guise de tapette à mouches, en train de mettre son bras dans ma chemise naturellement ouverte, fut et sera l’indécence même d’une jalousie poussée à l’extrême.

Dans la chapelle, les invités pourtant triés sur le volet d’un annuaire à la page se payaient franchement la gueule de ce pauvre type en bure équipé de savates de plagiste. À tout moment, le ciboire risquait de déborder du vase et de se renverser entre les boules de pétanque laissées de la veille sur la terre battue de l’allée centrale. Il nous expliquera à l’apéro qu’il avait transformé pour les jours de pluie le couloir central de son église en parcours de pétanques. D’après lui, il gagnera des centaines d’apôtres tous contents d’échapper à la colère de Dieu. D’après les racontars de vieilles bourriques italiennes, vagues cousines éloignées de Carla, Charlie ne voulait pas de cérémonie religieuse Carla en pure Transalpine, amie personnelle de Jean Vingt-trois, croyante en la Vierge Marie ne s’y confortera nullement à ses désirs de ne respecter que la loi de 1905. Elle obligera Charlie à contourner sa peur du curé en lui lisant une bonne partie de la Sainte Bible pendant au moins 15 jours. Bon gré mal gré son fiancé allait accepter, finira par accéder à tous ses désirs de possible cheftaine de famille composée d’une future flotte de marmots. En avait-il les capacités de ne pas fuir devant ses responsabilités de s’affranchir d’une séparation de l’église et de l’État ? Laissons la politique de côté, nous en aurons bien l’occasion d’en reparler dans la chambre 122. Pour le décor ! en accord avec la plantureuse Madame Déborah Querh, Charlie n’avait pas oublié son enfance. Des paniers en osier remplis de tomates cerises seront disposés aux entrées du monument, ce fut son unique signature de recevoir en retour, à la sortie de la cérémonie un déluge de fruits bien mûrs sur son costume tout neuf. Carla n’allait certainement pas apprécier l’humeur nauséabonde de ses invités venus tout spécialement avec l’humour du Périgord noir, elle reprochera à son époux ces corbeilles remplies de tomates précoces faisant des taches sur sa devanture.

Les parents de Charlie

Les deux tourtereaux nouveaux échangeaient à mots feutrés, que pouvaient-ils encore se raconter tout en descendant les marches de cet autel de la Miséricorde ? Le regard acéré de Carla ne trompait personne, celui de Charlie non plus d’ailleurs. Les parents du marié, Blanche et Maxime, venant tout spécialement de Saint-Paul, seront tout naturellement placés au second rang, juste derrière madame Chapeau devenue depuis décembre reine de Beauté dans une association balbutiante. Cela tombait bien, Blanche, dans sa jeunesse, avait été élue miss Plogoff. Blanche allait revivre de grands moments en sa compagnie et l’inviter à Saint-Paul pour une réunion préparatoire à l’élection de miss Larboust. Son père, Maxime toujours en grande forme, en profitera pour reluquer, apprécier et entrevoir les nouvelles minettes de Saint-Tropez se pavanant en minijupes à carreaux. Certaines finiront en bikini sur la plagette du vieux port. Blanche s’attardera un moment aux hommes en Jacquette, elle avait pris un peu d’embonpoint, tous pensaient qu’elle en avait un dans son ventre. Blanche, à cause d’angines blanches répétées, souffrait finalement d’aérophagies permanentes. Blanche était coiffée par la futuriste styliste installée depuis peu dans la toute nouvelle et moderne base commerciale de Cierp-Gaud. Malheureusement pour elle la coiffeuse faisait plutôt dans le toilettage pour chiens et chattes, cela se voyait, comme des cheveux plongés dans la soupe à l’oignon de Roscoff. La tignasse de Blanche ressemblait plus à un désordre de grimaces sur crâne chauve que d’une resplendissante crinière de paysanne en fouillis. Blanche, progressivement, en devenait la risée de tous. Tout ce beau monde d’hypocrites riait sous cape et Charlie rongeait son frein, Carla lui souriait. Blanche, franchement vexée, rentrait dans la première boutique de chapeaux, manquait de se prendre la marche, se couvrait définitivement sa tête d’une hallucinante sorte de bassine en feutrine.

La véritable Carla telle que vous ne l’aviez jamais imaginé

Depuis la fin du repas, jusqu’au lunch du début de soirée, Charlie fut incorrigible, insupportable, cruel envers sa femme, verticalement excessif vis-à-vis de Barbara au point qu’en aparté j’invitais en tête à tête la jeune mariée à prendre, à l’étage, le verre de l’amitié. Ses yeux humides ne trouvaient personne pour la réconforter, j’étais présent pour en effacer le rimmel suintant le long de ses joues. Nous allions nous esquiver en douce, un Campari bitter avec glaçons pour elle, un scotch au rhum fortement arrangé avec une rondelle de citron de Menton pour moi. Nous serons servis par le maître de cérémonie se nommant Marius Olybrius. J’en avais, vu la tournure des évènements réellement besoin. Cet alcool fort pouvait soit me dégriser, soit me transformer en véritable torpille déclavetée. Accoudés tous les deux, au bar d’un hôtel d’équivalence cinq étoiles sur le Michelin, ensuite, perchés sur cette fabuleuse esplanade panoramique donnant sur le golfe de Saint-Tropez, nous allions regarder et délirer sur cette horrible crème d’une insouciante jeunesse bourgeoise. Largement coquine en train de s’amuser sans aucune complaisance de se serrer uniquement les michetons à l’air libre, nous étions bien dans les années folles. Dans ces années cinquante, la mode passait sur la découverte des corps, de plus en plus nous allions découvrir cette anatomie de femmes plutôt belles et avenantes. Avec Carla, nous en étions aux premières loges à les regarder se trémousser sur un air de tango argentin, celui qu’affectionnait particulièrement Barbara. Carla était resplendissante, toujours recouverte de ses saint-frusquin habits de mariée, moi de ma queue de pie que j’abandonnerais vers les vingt-deux heures trente pour une chemise rock and roll de la plus haute intensité. Carla se fichait pas mal d’y abandonner ces plumes de canards incrustées sur sa traîne. Le tout, après les agapes, sera jeté chez l’abbé Pierre le tout nouveau jeune curé nouvelle génération fondateur d’Emmaüs.

En contrebas, sans savoir que nous les observions, Barbara tourbillonnait, prenait des poses insensées, Charlie s’amusait à se faire photographier par les photographes sélectionnés par Carla. L’inventeur, le créateur d’images, était parti sur un autre spot. Il allait s’occuper d’une toute nouvelle vedette appelée Bardot, ce professionnel de la photo, tout en ayant ses bureaux à Bagnères, allait dominer le monde d’après. Avec Carla, sa femme depuis treize heures, je fus en plein délire de les regarder s’amuser comme de jeunes amis se découvrant en totale liberté de prendre du plaisir à partager leurs derniers instants de liberté. En aparté, légèrement déconfite de voir cette situation dégénérer. Carla allait me confier que ce mariage ne fut pas une preuve suffisante d’amour, ce serait uniquement qu’une aubaine mécanique, agencée par un notaire véreux Italien pour en partager de mauvais souvenirs remontant à la surface. Je ne vous cacherais pas que nous avions à nous répartir, tous les quatre, un terrible secret. Il nous fallait entre nous des arrangements très particuliers, cette union en faisait partie. Carla avec Charlie, moi avec Barbara. Les autres avec les autres.

— Jean ! tu ne pourrais pas modérer Barbara ? Elle exagère. Charlie est désormais marié.

— Cette femme est un électron libre, capable du pire comme du meilleur.

— Non ! Carla dans l’état actuel des choses, je ne pourrais rien faire. Intervenir serait une terrible offense pour elle.

— Regarde, Jean, ils vont se noyer. Il nous faudrait peut-être ne pas intervenir. Qu’en penses-tu ?

— N’aie pas peur, ils ont toujours pied et Charlie nage comme un poisson, crois-moi.

— Au fait, Carla, au lit. Il est comment, Charlie ?

— Je dirais moyen… Franchement, je m’attendais à mieux de ce cul-terreux de producteur de tomates cerises. Et Barbara, elle en pense quoi ?

— Barbara est une femme passionnée, c’est l’amour de sa vie, peu importe la longueur de son pénis en érection, quand il y arrive. Barbara l’aimait jusqu’à ce jour, à la folie.

— Il est quand même expéditif… Soit, je ne lui plais pas ou tu as peut-être raison, il aime encore ta femme.

— Nous ne sommes pas encore mariés, Carla !

— Ah ! et c’est pour quand ?

— Le 21 décembre, nous vous ferons signe deux mois avant. Mais nous la ferons simple, nullement question d’inviter deux cents personnes.

— Jean, je vais te confier quelque chose de terrible.

— C’est si important que ça ? Je préférerais que tu le gardes pour toi.

— Si tu y tiens, vas-y. Au point où nous en sommes.

— Charlie est improductif pas seulement à me faire jouir, mais surtout à me faire un bébé. Nous n’aurons jamais d’enfant. À moins que ?

— Qu’une âme charitable se présente ?

— Oui ! c’est un peu ça ! cet idiot ne s’en apercevra même pas.

— Il s’est bien acclimaté à la chocolaterie ?

— Oui et non ! disons… pas trop mal, mais il se tape les trois secrétaires de direction dont l’une n’est franchement pas fraîche.

— Qui t’empêche de les virer ?

— Ce sont des Italiennes comme-moi, posées tout spécialement à des postes à hautes responsabilités par le conseil d’administration venu tout spécialement de Calabre.

— Mais, tu n’en étais pas la propriétaire ?

— Pas encore… Mère est détentrice de 80 pour cent des actions Pico de Belin. Avec ma jeune sœur, nous n’en avons que quinze, le reste appartient aux employés. Je soupçonne Gertrude de jouer à pile ou face avec nos actions. Si tu veux, j’aurai une place pour toi ?