L'entreprise et le bien commun - Sandrine Frémeaux - E-Book

L'entreprise et le bien commun E-Book

Sandrine Frémeaux

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Beschreibung

Comment pourrions-nous poursuivre le bien commun dans le monde du travail, alors que la plupart des entreprises demeurent rivées aux résultats économiques et à la compétitivité ? Nous considérons trop souvent le bien commun comme une jolie formule utilisée à des fins communicationnelles par quelques dirigeants des organisations contemporaines.

C'est sans doute la raison pour laquelle le bien commun dans l'entreprise est peu étudié en France, alors même que les chercheurs en sciences humaines, sociales et de gestion se confrontent désormais à la question suivante : le travailleur disposant d'une possibilité d action dans l'entreprise peut-il poursuivre le bien commun ?

Sandrine Frémeaux nous invite à l'expérience de la démarche vers le bien commun, démarche qui n'est ni réductible au souci de l'autre ni exclusivement centrée sur soi. Plus encore que l'éthique du care qui prône une responsabilité de soin à l'égard des autres, la perspective du bien commun nous aide à allier souci de l'autre et souci de soi en participant à un bien communautaire qui est tourné vers le développement humain et qui autorise le plein accomplissement du bien personnel.

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Autres ouvrages de la collection GRACE

La Blessure de la rencontre, Luigino Bruni, 2014.

L’Entreprise, une affaire de don. Ce que révèlent les sciences de gestion, Pierre-Yves Gomez, Anouk Grevin, Olivier Masclef (dir.), 2015.

L’Entreprise délibérée. Refonder le management par le dialogue, Mathieu Detchessahar (dir.), 2019.

Recevoir pour donner. Relancer la dynamique du don au travail, Pascal Ide, Bénédicte de Peyrelongue, Anouk Grevin, Jean-Didier Moneyron, 2021

L’entreprise comme communauté, sous la direction de Pierre-Yves Gomez, Florence Palpacuer et Laurent Taskin, 2022

Sandrine Frémeaux

L’entrepriseet le bien commun

nouvelle cité

Le GRACE (Groupe de Recherche Anthropologie Chrétienne et Entreprise) est un collectif non confessionnel de chercheurs qui désirent approfondir les connaissances sur l’entreprise à partir du point de vue anthropologique chrétien. Interdisciplinaire et interuniversitaire, il réunit des spécialistes en gestion, des économistes, des philosophes, des théologiens, des sociologues ou des anthropologues. L’entreprise (privée et publique) est l’objet d’étude qui fait converger ces différents regards pour comprendre comment l’homme travaille, échange et organise.La collection du GRACE publie des recherches innovantes ou des essais qui participent au débat public afin de voir l’économie à hauteur d’homme. Elle est dirigée par Pierre-Yves Gomez.

Couverture : Lection Studio – Philippe Guitton

Illustration de couverture :portrait de l’auteur – DR

© Nouvelle Cité 2022Domaine d’Arny91680 Bruyeres-le-Châtelwww.nouvellecite.fr

ISBN : 9782375823460

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

Table des matières

Autres ouvrages de la collection GRACE
Page de titre
Page de copyright
Préface
Introduction
De l'éthique du care à l'éthique du bien commun
Le bien commun, un nouveau récit sur le monde du travail
Les étapes de la démarche et la structuration de ce livre
Chapitre 1 : La quête du bien commun est-elle possible ?
Les artifices éthiques démasqués
Un changement de paradigme : le bien commun
Des trajectoires variées vers le bien commun
La solidarité, une qualité première des entreprises du bien commun
Conclusion du chapitre
Chapitre 2 : Pourquoi est-il difficile de poursuivre le bien commun ?
L'individu pris au piège du fantasme libertaire
La prise de conscience du phénomène totalitaire
Conclusion du chapitre
Chapitre 3 : Encourager la diversité, est-ce la solution ?
Les dangers des politiques de la diversité
Les bienfaits de la coopération
Conclusion du chapitre
Chapitre 4 : Qu'est-ce qu'une communauté coopérative ?
Le choix du bien communautaire
La poursuite du développement humain
L'attention portée à chacun des membres de la communauté
Conclusion du chapitre
Chapitre 5 : Qu'est-ce qu'une communauté délibérative ?
Une délibération à la fois individuelle et collective
Une clarification des fins et une délibération sur les moyens
Une délibération décisive
Conclusion du chapitre
Chapitre 6 : Entre délibération et régulation, comment cheminer vers le bien commun ?
Les règles, une nécessité éthique
La déviance positive, un autre chemin vers le bien commun
Conclusion du chapitre
Chapitre 7 : La quête de sens, un itinéraire vers le bien commun
Le travail, une histoire de dons et d'échanges
Le travail, source d'humanisation
Le travail, source de sens
Le sens au travail, une expérience spirituelle
Sens et bien commun, une expérience temporelle
Conclusion du chapitre
Chapitre 8 : Le développement de l'autorité, une nouvelle piste vers le bien commun
Les illusions de la démocratisation
Les illusions du leadership héroïsé
L'autorité partagée soucieuse du bien commun
Conclusion du chapitre
Chapitre 9 : Les économies collaboratives, sources d'inspiration ?
Une économie de partage ambivalente
L'économie des communs comme chemin vers le bien commun
Conclusion du chapitre
Chapitre 10 : Les bienfaits du bien commun en temps de crise
La sobriété économique
La sobriété dans l'exercice des libertés
La sobriété technologique, formelle et processuelle
La sobriété dans l'expérience du bonheur
Conclusion du chapitre
Conclusion générale
Les quatre principes de sobriété
Une approche pratique et positive du bien commun
Les forces et faiblesses de la perspective du bien commun
Les facteurs politiques d'émergence des entreprises du bien commun
La perspective du bien commun comme expérience
Bibliographie
Remerciements

Préface

Dans un monde occidental gagné par l’individualisme, la recherche de ce qui fait communauté concerne la plupart des organisations. L’individualisme n’est pas une attitude morale de repli sur soi sans souci des autres. C’est, comme Tocqueville le définit, « un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. » (De la Démocratie en Amérique, tome II, chapitre 2.) L’individualisme nous conduit à choisir celles et ceux avec lesquels nous voulons faire notre « petite société », et c’est avec eux que nous nous engageons en priorité.

Extension de l’individualisme est l’horizon politique et social d’une société libérale qui, depuis près de trois siècles, considère ainsi l’épanouissement de l’être humain selon sa capacité à se sentir autonome et à organiser sa vie à partir de soi-même. De là résulte un fractionnement social contemporain en de multiples îlots dont la cohérence d’ensemble ne serait assurée que par l’adhésion commune à la farouche défense de l’individualisme.

Dans ces conditions, l’existence de communautés stables et, en particulier, de communautés de travail devient problématique. Comment créer une adhésion suffisamment durable quand le temps et les relations de solidarité sont indispensables pour réaliser ensemble un projet collectif ? Sauf à recourir à un retour fantasmatique à des « communautés traditionnelles » auxquelles on exigerait que l’individu moderne souscrive de nouveau, c’est à partir de la réalité individualiste de nos sociétés contemporaines qu’il faut essayer de répondre à cette question.

Or un individu, même « isolé de la masse », ne trouve son bonheur que dans un rapport à ce qu’il considère comme le « bien ». Le contenu que chacun donne à ce « bien » peut effectivement différer selon ses goûts, sa culture ou ses expériences, mais tous les individus sont nécessairement caractérisés par une même référence au « bien » pour donner du sens à leurs choix, y compris quand il s’agit de définir leur confort individuel.

Davantage donc que des valeurs morales transcendantes qui leur seraient imposées de l’extérieur, c’est en partant de la nature même de l’être humain autonome mais aspirant au « bien » que l’on peut trouver une solution au risque d’effritement social qui menace nos sociétés. Dès lors qu’il entre en relation avec d’autres pour agir, rencontre constitutive de la vie sociale, l’individu est invité à reconnaître en quoi son bien personnel rejoint un bien commun au collectif auquel il adhère.

Reconnu ainsi, le bien commun est un cas particulier du « bien » que chacun recherche, comme intersection entre ces biens. La communauté qui résulte d’une mise en évidence d’un bien commun n’est plus dès lors fondée sur la contrainte ou sur l’exigence sociale (celle de devoir travailler pour vivre par exemple) ni sur un accord momentané des intérêts (comme sur une plateforme de production à laquelle on se raccorde à l’occasion), mais par le sentiment qu’a chacun de ses membres de servir son propre bien en servant le bien qui est commun. Ou, pour le dire de manière plus incarnée, chacun a le sentiment de pouvoir s’épanouir dans son identité parce que la communauté s’épanouit elle-même comme moyen de déployer ces identités. Ainsi se produit un cercle vertueux de la recherche du bien qui, loin d’opposer l’individu à la communauté, l’y intègre au nom même de son exigence subjective.

Un tel renversement de perspective sur l’être humain est considérable pour celles et ceux qui dirigent une entreprise ou managent une communauté de travail. Il ne s’agit plus de faire collaborer des individus considérés comme des atomes qui ne cherchent qu’à s’exclure du collectif dans lequel il faut les ramener sans cesse par des incitations attractives, mais comme des personnes doublement soucieuses du bien personnel et du bien commun, rassurées par l’expression claire d’une éthique du bien commun dont leur hiérarchie fait preuve.

Ce recadrage général demande évidemment à être précisé dans la pratique, et en particulier dans celle des entreprises. C’est ce à quoi nous invite Sandrine Frémeaux dans ce livre à la fois humble et audacieux. Humble parce que l’auteure ne cherche pas à reformuler une théorie générale des organisations à partir de la notion de bien commun, mais plutôt à relire des pratiques managériales pour dégager, et c’est là que réside l’audace, une éthique : au-delà des techniques, des mises en rivalité et des évaluations de performance, il existe une manière de se comporter en tant que manager dans le souci de préciser et de promouvoir le bien commun de la communauté de travail que l’on a à gérer. Revendiquer cette éthique doit faire partie de l’art de manager au temps de l’individualisme généralisé.

On ne trouvera donc pas dans ce livre un énième et tonitruant nouveau modèle de management, mais une analyse fine pour donner à comprendre combien de pratiques existantes, qu’elles touchent à la reconnaissance du travail vivant, à la nécessité de la délibération ou à l’exercice de l’autorité, servent la perspective ouverte par la prise en compte du bien commun. De nombreuses sources philosophiques et scientifiques sont convoquées pour définir une éthique managériale renouvelée et à la portée de chacun.

Ainsi faisant, Sandrine Frémeaux recompose une matière, des pratiques et des attentes dont bon nombre de lecteurs auront sans doute déjà fait l’expérience partielle dans leurs recherches académiques ou dans leurs pratiques du management, pour les ordonner, les mettre en cohérence et leur offrir un sens qui consiste à participer à la construction des entreprises du bien commun. Construction car, dit-elle, « le bien commun n’est pas qu’une théorie ou une pratique », mais « une démarche, un processus, un chemin ».

C’est la force de ce livre riche et profond que d’inviter le lecteur à entrer dans cette démarche d’un point de vue personnel, en se posant les questions nécessaires au cheminement et en faisant ainsi pleinement œuvre éthique. Il n’est pas douteux que cette invitation touchera de nombreux managers, dont on sait combien le sens de leur travail est devenu incertain dans une société individualiste, et qui trouveront ici « une orientation à la fois libre, vertueuse et joyeuse ».

Pierre-Yves GOMEZProfesseur à l’emlyon business schoolDirecteur de la collection du GRACE

Introduction

Imaginons que nous intégrons une entreprise assez classique, à la fois tournée vers son propre succès et désireuse de jouer un rôle dans la société. Nous nous émerveillons devant le courage et la pugnacité de ses responsables qui font face à une compétition exacerbée et à des objectifs économiques et financiers de plus en plus difficiles à atteindre. Mais nous sommes surtout impressionnés par leur volonté d’inclure les problématiques sociales et environnementales. Un monde complexe dont nous avons souvent rêvé semble se dessiner : nous nous sentons enfin utiles en nous confrontant aux réalités économiques sans pour autant perdre de vue la dimension humaine. Les mots d’accueil nous touchent : collaboration, autonomie, conciliation, esprit d’équipe, qualité, innovation, responsabilité sociale de l’entreprise. Ces mots sont certes étranges, appartenant au monde spécifique de l’entreprise, mais ils revêtent une magnificence.

Les mois passent, et nous développons des compétences certaines. Nous disposons d’une expertise technique, bénéficions d’une aisance relationnelle et considérons désormais comme possible de pouvoir faire carrière au sein de cette entreprise ou d’une autre qui lui ressemble. Nous nous sentons fiers d’appartenir à une organisation dont le discours est axé sur le développement personnel des collaborateurs, la qualité des produits et des services et les enjeux sociaux et environnementaux.

Pourtant, nous ressentons un vide, comme si en dépit des mots et des discours, la réalité, la nôtre, intime, n’avait plus droit de cité. Le monde dont nous faisons l’expérience, c’est celui de la pression économique qui nous oblige à privilégier l’efficacité, la rapidité et la technicisation des compétences à l’ensemble des jolis mots qui ont bercé notre entrée dans l’entreprise et qui continuent d’agrémenter les discours des responsables.

Les sollicitations de la direction n’ont jamais cessé de s’accroître. Nous aurions bien aimé être les témoins d’une réorientation de l’activité afin que celle-ci poursuive d’autres objectifs que la seule visée performative. Nous aurions bien aimé voir se développer des actions de résistance ou des discussions, interrogeant l’utilité sociétale ou l’impact environnemental de certaines activités, le formalisme de certaines consignes, les exigences processuelles ou encore la pression sur les objectifs quantitatifs. Mais une chape de silence s’est abattue sur l’organisation.

Nous avons désormais le sentiment de porter un masque social qui nous éloigne de nos aspirations plus profondes, et du bien que nous voulions faire en rejoignant cette entreprise, et nous nous interrogeons : à quoi pourrait ressembler un travail soucieux du bien commun ? À quoi pourrait ressembler une entreprise du bien commun ?

De l’éthique du care à l’éthique du bien commun

Cette question, toute personne désireuse d’agir au sein d’une communauté de travail peut se l’être posée. Du moins la question du bien, du bien que nous voulons faire et que nous ne faisons pas toujours, me semble irréductible à la prise de responsabilités dans l’entreprise, et plus largement à l’exercice d’un pouvoir d’agir dans le monde du travail. Mais de quel bien parle-t-on ?

Évoquer la notion de bien est éminemment délicat : nous risquons d’entrer dans une réflexion qui se focalise sur les impératifs moraux. D’ailleurs, plutôt que de parler du bien, les chercheurs se sont emparés de la question du care qui évoque l’attention, le soin, la sollicitude. Si dans une étude publiée par la psychologue Carol Gilligan1 aux États-Unis, le care a d’abord été présenté comme une éthique féminine, il a été défini de façon beaucoup plus large par la politologue Joan Tronto comme une « activité caractéristique de l’espèce humaine qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible2 ». L’idée prônée par l’autrice est alors la suivante : il nous faut moins parler de la moralité, celle des femmes en l’occurrence, que d’une éthique du care qui nous invite à parier sur la relation humaine, à accueillir la vulnérabilité de l’autre et à prendre soin de ceux qui ont besoin d’aide.

Centrée sur les besoins de l’autre, l’éthique du care risque cependant de nier la tension existant entre le souci de l’autre et le souci de soi, et le fait qu’en se focalisant sur les autres, nous risquons de nous oublier nous-mêmes. Nous nous bornerions en quelque sorte à faire le pari que dans la sollicitude éprouvée par l’action, nous développerions quelques vertus morales. La perspective dont je parle dans cet essai est proche de la sensibilité du care, mais elle nous invite, quant à elle, à rechercher à la fois le bien des autres et notre propre bien personnel. C’est le sens profond du bien commun sur lequel je propose que nous réfléchissions ensemble.

Le bien commun, un nouveau récit sur le monde du travail

« Bien commun », ces mots résonnent aujourd’hui dans certains discours des leaders politiques et organisationnels. À l’heure où le monde est plongé dans une crise politique, économique, sanitaire, écologique et sociale, le bien commun semble pouvoir nous libérer des leurres de notre époque mondialisée : la financiarisation parfois extrême de l’économie, la focalisation sur la communication, le pouvoir des lobbys, la vision exclusivement méliorative de l’innovation et du digital, et de façon non anecdotique, tous les discours bien-pensants dont nous savons par expérience qu’ils cachent davantage la réalité qu’ils ne la transforment. Ces leurres nous donnent à penser l’entreprise sans l’être humain, sans sa fragilité et son besoin de sens, et même sans le travail.

Dans l’obscurité du monde néolibéral, le bien commun pourrait bien être cette bougie qui allume les flambeaux de la conscience dont l’homme et la femme ont besoin pour s’inventer un autre récit, un récit différent de celui dont nous avons hérité et que nous reproduisons, un récit qui nous donne la force et la volonté de nous sentir humains. Comme l’indique Cyril Dion dans son Petit Manuel de résistance contemporaine,

« Il ne s’agit pas de se demander “Que faire ?” ou “Devons-nous agir individuellement ou à travers des mobilisations politiques de masse ?” mais : “Dans quelle perspective globale, dans quels récits collectifs nos actions s’inscrivent-elles, aussi petites soient-elles ?”

Car si nos actions quotidiennes se bornent à soulager notre conscience, si elles restent prisonnières du récit dominant nos sociétés, elles n’ont aucun potentiel transformateur. Pire, elles peuvent entretenir la logique qu’elles prétendent combattre3. »

Le bien commun pourrait bien être cette perspective alternative dont l’humanité a besoin pour sortir des pièges tendus par le système économique en place. Il ne véhicule pas une perspective critique et négative de l’économie. Il n’est ni un contre-pouvoir ni un pouvoir modérateur. Il porte plutôt une vision positive et constructive de la politique4, mais aussi de l’économie qu’il envisage comme un instrument nécessaire du développement humain.

Mais la contribution majeure de la notion de bien commun ne s’arrête pas là ; elle est aussi d’un tout autre ordre : la perspective du bien commun peut constituer un guide pratique, plus personnel, peut-être même plus spirituel, nous invitant à reconsidérer nos activités au service d’orientations supérieures.

Telle est ma proposition : le bien commun comme une aide au questionnement éthique pour tous ceux qui disposent d’un pouvoir d’agir au sein des organisations. Puisant en partie mes ressources dans la réflexion académique internationale portant sur l’éthique des affaires, j’observe que cette vision peut surprendre, car le bien commun est loin de fournir des recettes prêtes à l’emploi sur la façon de rendre les personnes au travail plus heureuses ou plus performantes. Plutôt qu’une hédonisation ou une instrumentalisation du travail, la perspective du bien commun nous donne à voir quelques facettes du réel négligées par l’idéologie ambiante, et suggère l’écriture d’un nouveau récit sur le monde du travail.

Certes, bien des entreprises emploient le terme « bien commun » sans changer aucunement leurs choix économiques et stratégiques. Mais je pense que la perspective du bien commun peut être un guide transformant les entreprises jusqu’à leur mode de fonctionnement (et non exclusivement la raison d’être qu’elles affichent) à la condition de s’enraciner dans une réflexion éthique dont nous proposons de partager ici les grands axes.

Les étapes de la démarche et la structuration de ce livre

La première étape consiste à montrer que la quête du bien commun est possible dans les organisations contemporaines pourtant soumises à la culture de compétition et de rivalité. Le premier chapitre fait le choix de décrire certaines organisations dont nous pensons qu’elles peuvent être des espaces favorables à la recherche du bien commun. Il met déjà en avant une première qualité des organisations tournées vers le bien commun, à savoir la solidarité.

Les chapitres suivants visent à expliquer de façon méthodique que la poursuite du bien commun n’est guère envisageable sans la constitution d’une communauté à laquelle nous cherchons à contribuer. Mais la communauté qu’il nous faut alors créer ou rejoindre remplit des conditions spécifiques que je décris dans les chapitres 2 à 8 : pour l’essentiel, cette communauté devrait être coopérative, délibérative, respectueuse des normes orientées vers le bien commun, soucieuse de la singularité de chacun de ses membres et propice au développement de l’autorité. Pour autant, la participation à une telle communauté ne garantit pas que mes pratiques de travail seront elles-mêmes soucieuses du bien commun. La démarche réflexive qu’il me reste à entreprendre afin d’emprunter un chemin vers le bien commun consiste non seulement à se confronter à ce que Luigino Bruni appelle « le risque de la relation » à la communauté et aux autres5, mais aussi à prendre le risque de la relation à soi. Connaître mes aspirations les plus profondes en prenant le temps d’examiner mes expériences passées et présentes peut m’aider à mettre en harmonie mes désirs profonds et mes actions.

Les deux chapitres finaux soulèvent des questions plus pratiques liées à l’actualité afin de mettre en exergue l’opérationnalité de la notion. La question est notamment de savoir comment la perspective du bien commun peut être encouragée dans les économies collaboratives en expansion dans nos sociétés libérales. Je me demanderai aussi dans quelle mesure l’approche du bien commun nous permet d’affronter les crises politique, économique, écologique, sociale et sanitaire en faisant des choix concrets et fructueux. J’espère ainsi montrer que la perspective du bien commun offre non pas une vision théorique du monde économique tel qu’il devrait être, mais un soutien pratique nous aidant, en tant que travailleurs disposant d’une certaine capacité d’agir et de transformation, à prendre des décisions et à poser des actes qui répondent à la fois aux besoins de la société et à nos besoins les plus intimes.

1. C. Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, Paris, 2008.

2. J. Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, Paris, 2009, p. 13.

3. C. Dion, Petit Manuel de résistance contemporaine, Acte Sud, Arles, 2018, p. 47.

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