L’envie du vagin - Marc Mégarot - E-Book

L’envie du vagin E-Book

Marc Mégarot

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Beschreibung

Dans un monde déshumanisé où les sexes ont cédé la place à des identités génétiques codifiées, Yel Smith, entité non-XX, vit l’expérience d’un désir viscéral : celui d’un vagin, symbole de pureté sociale et biologique. Naviguant dans un marché affectif dérégulé, elle s’éprend de Margaux, entité XX, dans une passion fulgurante, mais interdite. Sous la pression du néoféminisme dominant, Margaux rompt, sacrifiant l’amour à la conformité. En quête de reconnaissance, Yel choisit la réassignation génitale – un geste ultime qui lui coûte la vie. Roman dystopique aux accents satiriques et pamphlétaires, "L’envie du vagin" interroge avec audace les dynamiques de pouvoir et le rôle du langage dans la construction sociale.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marc Mégarot est un écrivain lucide et audacieux, animé par le besoin de combler les silences laissés par ses maîtres littéraires. Inspiré par Houellebecq, mais mû par une voix propre, il ose explorer des zones taboues avec acuité et profondeur. Sa plume, née d’un long mûrissement intérieur, conjugue ironie, clairvoyance et exigence intellectuelle.

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Seitenzahl: 195

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Marc Mégarot

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’envie du vagin

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Marc Mégarot

ISBN : 979-10-422-7573-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’aurais aimé que cette fiction fût écrite par Michel Houellebecq. Après avoir longtemps attendu en vain, je me suis rendu à l’évidence que ce n’était pas dans ses projets de le faire. Cette frustration a dès lors fait surgir en moi l’audace de la rédiger à sa place, en avançant par tâtonnements hasardeux, avec les moyens du bord…

 

 

 

 

 

Avertissement

 

 

 

Cet écrit correspond à la translittération automatique telle qu’elle a été réalisée par le logiciel TRansgaïa version 5.2 à partir de la seule et unique version originale conçue en code Novlangaïa. Ceci afin d’en faciliter la lecture à des entités humanoïdes ayant existé avant les événements y étant relatés, et ne maîtrisant donc pas le cryptogramme novlangaïen. Aussi, toujours dans un souci de lisibilité, l’auteur a parfois manuellement rajouté des explications et des commentaires additionnels à l’intérieur du texte.

Pas moins que tout autre dispositif de traduction automatisée, la dernière version de TRansgaïa n’échappe aux travers et aux limites de ce genre de logiciel. Sensibilité historique et respect du contexte d’une époque, perspicacité philologique, conscience philosophique, sens critique, et, surtout, autodérision et sens de l’humour, restent autant de facultés que différents types d’intelligences anthropoïdes – issues ou non de morphogénèse autonome – exerceront de manière plus ou moins variée ou nuancée. Lesdites habiletés s’avèrent toutefois superfétatoires eu égard à la compréhension de cet ouvrage lu en sa version originale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

 

 

 

 

1

Je est une autre

 

 

 

C’était une journée de floréal étouffante et brumeuse. La voix artificielle des horloges digitales annonçait douze heures, comme cela se devait1. Yel Smith enfila vite son gilet en coton ouaté tout en traversant la porte tournante automatique, de peur d’attraper encore un rhume à cause de cette maudite climatisation, toujours trop forte.

Le hall d’entrée du centre commercial faisait partie du même bloc où se trouvait son flat et était envahi par de légers effluves de Chanel 5. Sur sa voûte, Yel pouvait contempler la grande fresque surplombant l’open space. C’était le portrait de Gaïa, depuis longtemps le symbole officiel de la GMAV. Gaïa était aussi le nom d’usage courant de la GMAV. La peinture était conçue pour vous suivre du regard depuis n’importe quel angle.

 

Gaïa veille sur toi.

 

Bienvenue dans la Gouvernance Mondiale des Amours Victorieuses

La gigantesque représentation en peinture synthétique était accompagnée de l’inséparable devise officielle de la GMAV :

 

NOUS N’HÉRITONS PAS LA TERRE DE NOS ANCÊTRES, MAIS NOUS L’EMPRUNTONS À NOS DESCENDANTES

Cette sentence lapidaire, gravée en caractères cubitaux, était suivie d’un autre slogan écrit en minuscules et en mode hashtag, #bethechange, et, plus bas, un autre encore, aux résonances plus anciennes, #makelovenotwar.

Yel se dirigea vers l’escalator qui tournait exclusivement à l’énergie solaire et à la biomasse. Cependant, il n’était opérationnel que jusqu’à vingt et une heures. C’était une des mesures prises en vue de la Semaine des Amours. La voix artificielle émise par les haut-parleurs du centre commercial lisait une liste de chiffres en rapport avec la quantité de CO2 épargnée grâce à cette mesure. Depuis que le ministère de la Vérité et le ministère des Amours avaient fusionné, la Semaine des Amours2 était restée la seule période fériée de l’année légale dans toutes les régions de Gaïa. La fusion des deux ministères avait sanctionné la prise de conscience, au sein des hautes autorités de la GMAV, que les Amours étaient la seule vérité digne de ce nom.

Son studio se trouvait au soixante-dix-septième étage d’un gratte-ciel de la capitale de Gaïa. Yel Smith, qui avait trente-neuf ans et paraissait toujours dans la fleur de l’âge après son opération de mammoplastie parfaitement réussie, préférait l’escalator à l’ascenseur. Cela lui permettait d’échapper à la claustrophobie que lui provoquait invariablement l’ascenseur, surtout quand il était bondé d’autres usagères qui, comme iel, étaient classées « non-génétiquement XX ».

Quand Yel fut enfin arrivée à bon port, iel passa vite sa clé magnétique près du lecteur situé sur la porte d’entrée de son appartement et entra en la refermant aussitôt derrière iel. Yel posa son ordinateur portable encore chaud après une journée de travail. Iel avait passé tout l’après-midi les yeux rivés sur la base de données de quelques milliers de candidates à la création de spermatozoïdes à partir de leur moelle osseuse, et quelques centaines d’autres profils de donneuses de gamètes. Yel était responsable de l’autoconservation de ces gamètes auprès du laboratoire embryologique Plus Belle La Vie, où iel était employée depuis maintenant déjà deux ans comme technicienne de laboratoire spécialisée en procédé Bokanovsky3.

Un petit son aigu provenant de sa montre l’informa d’un possible « match », mais Yel ne lui prêta pas attention, car ce petit son signifiait que le match concernait une entité classée « non-génétiquement XX ». Yel avait choisi dans les réglages de sa montre et de son portable une sonnerie beaucoup plus douce et agréable réservée aux « match » avec les entités classées « génétiquement XX ». Évidemment, la sonnerie plus douce s’enclenchait beaucoup plus rarement, c’est-à-dire une fois toutes les trois semaines, voire quatre, tandis que l’autre sonnait avec une fréquence quasi quotidienne. L’application de rencontres « ChatteGPT », plutôt vétuste, ne proposait que des screening croisés entre des données assez grossières, comme l’âge, la proximité géographique, la taille et le poids. Ni l’ADN, ni le quotient d’intelligence, ni le quotient émotionnel, ni le succès reproductif des six derniers mois n’étaient pris en compte par ChatteGPT. Yel ne ressentait cependant pas le besoin de disposer d’une telle sophistication sur la puce électronique de sa montre ; tout ce qui l’intéressait, en un premier temps, était de savoir si oui ou non il y avait de potentiels partenaires classés génétiquement XX dans un rayon géographique raisonnable. Non pas qu’iel dédaignât systématiquement la compagnie des entités classées non-génétiquement XX (désignées dans le langage courant de Gaïa comme « non-XX par naissance » ou, plus brièvement, « non-XX »). Simplement, Yel pouvait compter sur un réservoir très abondant d’éventuels partenaires non-XX, ce qui était loin d’être le cas pour les XX.

Il n’en demeurait pas moins que son attraction restait somme toute assez mitigée vis-à-vis des non-XX par naissance, et ce, lui paraissait-il, indépendamment de la valeur marginale des unes et des autres. Quelqu’une sonna à la porte. Yel n’attendait personne, iel ne recevait d’ailleurs jamais personne chez iel.

« Qui peut bien venir m’emmerder à cette heure-ci ? » pensa-t-iel en cédant à la tentation d’une petite dose d’acétylcholine bon marché. Yel faillit ne pas répondre, mais au deuxième coup de sonnette iel se décida finalement à ouvrir la porte. C’était Ellui, sa voisine de palier, le regard quelque peu angoissé, comme à l’accoutumée.

« Salut Yel – dit-ellui d’un ton un peu nerveux, comme une personne qui a longtemps hésité avant de franchir le pas – tu vas bien ? »

En effet, ellui avait l’air un peu pommé et Yel craignait le pire. Ellui était une de ces entités dont on voyait de loin qu’elles n’étaient pas des XX de souche. Sa taille, à elle seule, la démasquait d’entrée de jeu : un mètre quatre-vingt-sept était largement au-dessus de la moyenne même des non-XX. Au surplus, Ellui avait les épaules larges et sa voix beaucoup trop grave. Ce n’était pas tout. Lorsqu’Ellui parlait, sa voix sonnait faux et artificiellement aiguë. Comme si cela n’avait pas été suffisant, les traits de son visage ne ressemblaient plus à rien après de trop nombreuses interventions de chirurgie esthétique. Encore heureux, la couleur de ses cheveux, quoique visiblement greffés, était d’un fuchsia plutôt joli.

Ellui lui fit un peu de peine, et Yel essaya de rester polie afin de ne pas aggraver son cas.

« Que puis-je faire pour toi ? » lui rétorqua Yel sur un ton cordial mais visiblement un peu forcé.

« Je suis en train d’organiser mon emploi du temps en vue de la Semaine des Amours, proféra-t-ellui timidement, et je souhaiterais y aller avec toi un jour… Serais-tu disponible à un quelconque moment de cette semaine-là ? »

« Ça y est, ça recommence, pensa Yel avant de répondre avec toute la patience dont iel était capable je regarderai s’il me reste un créneau et je te tiendrais au courant si tel est le cas. »

« Merci beaucoup Yel, et n’hésite surtout pas à me solliciter pour quoi que ce soit, on est voisines après tout. »

« Je n’y manquerai pas », conclut-iel avec le peu de patience qui lui restait.

Dès qu’Ellui referma la porte, Yel ne put s’empêcher de penser qu’iel aurait mieux fait de ne pas répondre au parlophone. Yel n’avait pas besoin de ce genre de voisinage pour améliorer son estime et sa tolérance vis-à-vis des autres entités classées non-génétiquement XX. Certes, les mépriser revenait à se mépriser iel-même, iel en était consciente. Je est une autre, pensa-t-iel se remémorant la grande poétesse de l’époque prégynécéenne, Madame de Rimbaud. Yel n’arrivait pourtant pas à modifier sensiblement son ressenti à cet égard. Non, Yel ne s’aimait pas vraiment, c’était indéniable. Mais quelle entité non-XX par naissance pouvait réellement prétendre s’aimer soi-même à Gaïa ?

 

 

 

 

 

2

TGTBT

 

 

 

La Semaine des Amours était la pire semaine de l’année pour Yel comme pour bon nombre d’entités non-XX.

Ça lui rappelait les fêtes de fin d’année de son enfance, c’est-à-dire à la toute fin de l’époque prégynécéenne, pendant l’effondrement définitif de l’ancien régime des oppresseurs-pollueurs, au temps où la fête d’origine religieuse que l’on appelait autrefois « Noël » n’avait pas encore été abolie. Le souvenir qu’iel en gardait était celui d’un ennui mortel, fait d’interminables soirées passées à table avec des personnes soi-disant adultes parlant de choses incompréhensibles ou inintéressantes, sans pouvoir se lever ni aller se faufiler au fin fond du jardin pour donner libre cours à son envie de bouger. Mais, au moins, cette semaine avait lieu en été, au mois de messidor, et non pas au tout début de l’hiver comme ça avait été le cas pour Noël.

Le principe de la Semaine des Amours était assez simple : chaque citoyenne de la GMAV (donc, en gros, tout le monde) avait droit à une place pour participer à l’événement planétaire qui se déroulait simultanément dans tous les chefs-lieux de Gaïa. On pouvait s’y rendre avec ou sans partenaire. Si l’on choisissait l’option « avec partenaire », une étiquette plus-one était de mise. Il n’y avait pas de règles écrites noir sur blanc à Gaïa, toutefois, le maître mot de la cérémonie étant l’Inclusion, il était fortement recommandé (ou, plutôt, selon le terme consacré par la GMAV, nudgé), de ne pas entretenir de comportements trop explicitement monogames avec son propre plus-one. Idéalement, le plus-one était une connaissance récente avec qui l’on partageait le plus grand nombre possible d’autres nouvelles accointances. Cette ligne de conduite correspondait à peu près au principe de « diversification du risque » emprunté au jargon de la gestion d’actifs financiers.

Comme chaque année, le problème se posait de manière plus aiguë que l’année précédente. Avec qui pouvait-iel bien aller à la Semaine des Amours cette année-ci ? Pour la première fois, l’idée de ne pas y participer effleura son esprit, et un frisson traversa aussitôt son corps, accompagné d’une sueur froide. Yel ne le savait que trop bien : rien que le fait de penser ne pas participer à la Semaine des Amours n’impliquait pas simplement la mort, c’était la mort. « Une vie sans amours » était en l’occurrence la définition même du mot « mort » que le ministère de la Santé (qui n’était autre qu’un département du ministère des Amours) avait publié dans ses bulletins officiels au début de l’époque gynécéenne. Cela n’avait pas la prétention de fournir une définition médicale du décès, le but était justement de différencier la mort au sens biologique (considérée comme une simple phase de la vie, et non le contraire de la vie) de la mort au sens existentiel et psychologique, précisément une « vie sans amours », qui était pour le coup bel et bien la négation de la vie.

« Suis-je donc déjà morte ? » murmura-t-iel en retenant son souffle déjà coupé par le vertige d’une telle perspective.

Ce fut à ce moment que la sonnerie plus douce et agréable se déclencha de sa montre comme une musique de salut. Une sorte de surprise inespérée vint la réconforter. Combien de temps s’était-il écoulé depuis la dernière fois qu’iel avait entendu cette sonnerie ? Iel ne s’en souvenait pas, mais ça lui paraissait une éternité. Iel n’arrivait même pas à se remémorer la dernière fois que c’était arrivé, tellement était-iel déconcertée en ce moment. Qui plus était, le match était accompagné d’un message, plutôt prometteur, car à la fois simple et concret.

« Bonsoir, seriez-vous disponible pour une rencontre les prochains jours ? M »

Yel analysa d’un coup d’œil le profil de M. Apparemment, la personne XX avait décidé de ne pas afficher de photos montrant son visage, ni de nickname, seule l’initiale M était révélée. L’âge était de 31 ans, et l’estampille de la GMAV certifiait l’authenticité de l’ADN classé génétiquement XX. Yel ne put s’empêcher, presque par une sorte de réflexe conditionné, de cliquer sur le lien « calculez votre TAB en un clic ». Le résultat du calcul était de quatre-vingts Sekhmets. La Sekhmet était la seule monnaie du MULG (Marché Unique Libre de Gaïa) et quatre-vingts Sekhmets représentaient une somme tout à fait correcte pour une rencontre avec une entité XX pure. La TAB, « Taxe sur l’Avantage Biologique », était calculée de manière très rigoureuse à partir de toutes les données personnelles disponibles à un moment T. Non seulement l’ADN (et donc la catégorie sexuelle génétique), l’âge, le poids, la taille, mais aussi toutes les autres données cruciales négligées par ChatteGPT, à savoir le quotient d’intelligence, le quotient émotionnel et le succès reproductif récent. Le succès reproductif était calculé à partir de deux composantes : le succès reproductif objectif ou « social » et le succès reproductif subjectif ou « neurophysiologique ». Le succès reproductif objectif était représenté par le nombre d’entités XX rencontrées dans une unité de temps. Le succès reproductif subjectif ou « neurophysiologique », quant à lui, était défini comme le nombre de rapports sexuels réussis dans un laps de temps T’. « Rapport sexuel réussi » était tout rapport sexuel pendant lequel le nombre total des potentiels d’action ayant atteint l’hypothalamus d’un sujet S était supérieur ou égal à celui du rapport précédent. Ceci impliquait que le premier rapport sexuel dans la vie d’un individu était automatiquement considéré comme étant « réussi », indépendamment du ressenti personnel du sujet. En somme, le succès reproductif total était égal au succès reproductif objectif multiplié par le succès reproductif subjectif.

Dès lors, cette Taxe sur l’Avantage Biologique pouvait varier d’un jour à l’autre. La TAB prenait la forme d’un chiffre positif dans la grande majorité des transactions relationnelles entre XX et non-XX, très rarement négatif et jamais égale à zéro, puisque cela aurait voulu dire effectuer une transaction relationnelle avec soi-même.

Il y avait donc de quoi se méfier, pensa-t-iel, trop de redflags et TGTBT (Too Good To Be True). Un prix modique, un profil quasi parfait et, qui plus est, une prise d’initiative laissant déjà entrevoir la possibilité d’un rancard. De par son expérience, ce genre d’entités XX attendaient généralement d’être abordées et ne répondaient que plusieurs jours après, si tant est qu’elles daignent répondre.

Bien sûr, il n’était pas question d’ignorer l’avance. Yel aurait été taraudée par le doute pendant au moins un mois. Yel prit donc la résolution d’essayer de répondre le plus tôt possible, en tout cas avant la fin de la journée. Cependant, iel ne savait pas du tout comment s’y prendre. En même temps, se dit-iel, la simplicité du message d’ouverture appelait une réponse de la même teneur. Yel se décida finalement à répondre de manière directe.

« Bonjour, cette semaine j’ai un créneau le jeudi en fin d’après-midi entre 17 h et 20 h. »

C’était un peu sec, certes, mais au moins ce n’était pas du pipeau. « Ça passe ou ça casse, pensa-t-iel, et puis merde ! »

 

 

 

 

 

3

La génitrice

 

 

 

Le lendemain matin, la première chose qu’Yel fit en se réveillant ce fut de regarder son portable pour voir si la mystérieuse entité XX avait répondu. Ce n’était pas le cas. Yel bâilla en poussant un long soupir et pensa : « Je sens que ça va encore être une belle journée de merde ».

En arrivant au bureau, iel se sentit déjà épuisée par le trajet. Néanmoins, iel avait rarement recours au télétravail et préférait travailler en présentiel le plus souvent possible afin d’échapper à l’isolement de son flat. Sauf qu’ici il n’y avait pas le choix : pour atteindre son bureau au cinq cent-quatorzième étage, la seule option était l’ascenseur, en général bondé d’entités humanoïdes en tout genre. Il y avait même des enfants. « Quelle horreur ! » se dit-iel en frissonnant. Non pas qu’iel méprisât les mômes en tant que tels, iel y voyait plutôt le reflet et la voix de ce que leurs génitrices pensaient sans jamais le dire en public.

À Gaïa, les génitrices, qui étaient aussi appelées « tutrices », étaient des entités génétiquement XX qui faisaient figure de responsables légales des enfants jusqu’à l’âge de quinze ans, indépendamment du sujet de la gestation, c’est-à-dire que la grossesse n’était pas un critère requis afin d’obtenir le statut de génitrice.

« Maman, maman ! » commença à crier une petite fille qui devait avoir cinq ou six ans.

« Chut ! Qu’est-ce qui te prend Karine ? » rétorqua sur un ton sévère sa génitrice.

« Je peux te poser une question ? » demanda la petite.

« Après ! répondit sèchement sa tutrice, qui était visiblement gênée par l’impertinence de sa fille, je t’ai déjà dit de ne pas poser de questions en public », ajouta-t-elle à voix basse.

La petite grimaça, mais fit néanmoins l’effort d’attendre de sortir de l’ascenseur. Dès que la porte de l’ascenseur se referma derrière elles, la petite demanda à voix haute, de sorte que les personnes dans l’ascenseur l’entendirent clairement : « Maman, est-ce que c’était une entité non-XX ? »

Yel comprit tout de suite que la gamine parlait d’iel.

« Arrête avec ça ! » s’emporta la génitrice.

« Quelle horreur ! » pensa à nouveau Yel « non seulement nous ne pouvons pas avoir d’enfants, nous devons aussi supporter les moqueries de ceux des autres… ».

Ce ne fut donc pas dans la meilleure des humeurs qu’Yel commença son boulot, qui consistait, entre autres, à sélectionner les gamètes de sujets XX pour en faire de la fécondation in vitro… Oui, ironie du sort, iel avait fini par choisir la filière des sciences embryologiques et reproductives, et avait trouvé, comme premier emploi juste après ses études, un stage dans un laboratoire de PMA et GPA. Depuis que la reproduction de l’espèce humaine, d’ores et déjà rebaptisée Fœmina Sapiens, avait été placée sous la tutelle de la GMAV, plus communément désignée par le sobriquet populaire de « Gaïa », la demande d’emploi dans ce secteur avait explosé, et l’offre avait suivi de très près. C’était d’ailleurs presque un privilège pour une entité non-XX de travailler dans ce domaine stratégiquement crucial dans l’administration de la chose publique de Gaïa. Yel s’était fait un renom dans ce secteur du fait des compétences dont iel avait fait preuve ainsi que de sa fiabilité unanimement reconnue. Aussi, les compétences techniques étaient plutôt rares parmi les entités génétiquement XX, puisque la plupart n’avaient pas réellement besoin de travailler, la TAB représentait une source de revenus suffisante à subvenir à leurs besoins. Ceci expliquait donc cela.

La journée de travail se déroula de la manière la plus normale du monde, si ce n’est qu’Yel se sentit plus fatiguée que d’habitude en rentrant chez iel. En effet, une forme à la fois d’espoir et de nervosité l’avait travaillée tout au long de la journée, et le fait de ne pas recevoir de réponse de la part de cette entité XX l’avait plongée dans un état de détresse inconsolable.

Cependant, une anecdote apparemment insignifiante avait émaillé l’après-midi. Vers quinze heures, on toqua à la porte de son bureau.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda machinalement Yel.

« Inspection GMAV, ouvrez s’il vous plaît », dit timidement une voix douce, presque épeurée.

« Inspection GMAV ? » s’étonna Yel silencieusement.

Yel crut reconnaître la voix : il devait s’agir de cette petite minaudière qui avait l’air un peu naze, comme si, au lieu de fumer des cigarettes, elle fumait des joints à chaque pause-café. Yel la croisait souvent en sortant des toilettes, les toilettes pour non-XX se trouvant juste en face des toilettes pour entités XX. Elles s’étaient même croisées du regard quelques fois. Par ailleurs, elles n’avaient jamais échangé, et ne s’étaient jamais présentées l’une à l’autre. En vérité, Yel ne l’aimait pas trop : avec cet air mi-tête en l’air mi-je-me-fous-de-faire-ta-connaissance, iel l’avait toujours trouvée distante et suffisante, comme bon nombre d’entités classées génétiquement XX. Certes, Yel était consciente que cette antipathie était fortement accrue par la frustration de savoir qu’iel ne coucherait jamais avec elle, alors qu’iel en aurait eu certainement envie, voire très envie… Au demeurant, derrière son apparence de sainte-nitouche, cette créature d’une trentaine d’années était dotée d’un attrait sexuel incontestable, et sa libido ne devait pas non plus être particulièrement faible. Elle était de taille plutôt petite et son physique était presque grêle, elle avait un teint décidément clair, des yeux d’un bleu lui aussi très clair. Les traits de son visage étaient bien dessinés et sa poitrine pas du tout plantureuse, ce que Yel ne trouvait aucunement gênant chez une XX. Dans l’ensemble, cette entité de pure souche lui rappelait fortement une certaine Emmanuelle Béart, ancienne étoile du cinéma prégynécéen. Yel ne se souvenait plus du titre exact du film que cette personne lui rappelait, tellement l’époque prégynécéeenne était lointaine et révolue dans son esprit. « Manon des sources » lui parut-il, ou quelque chose dans le genre.

« Entrez ! » répondit-iel tout en essayant de ranger tant bien que mal son bureau quelque peu bordélique.

« Yel Smith ? » demanda la sainte-nitouche.

« Oui ? » demanda en retour Yel qui avait du mal à cacher son énervement par rapport au ton de la question rhétorique. Yel ignorait son prénom, comme celui de la plupart des collaboratrices qui ne travaillaient pas dans son département. En revanche, la sainte-nitouche, comme toutes les entités XX travaillant en étroite collaboration avec le ministère des Amours de la GMAV, avait forcément accès aux données personnelles de toutes les collaboratrices. Yel était certaine que la sainte-nitouche connaissait très bien son nom et prénom.