L'Épice - Robert A Webster - E-Book

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Robert A Webster

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L'Épice

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L’ÉPICE

Robert A Webster

Traducteur - Pierre Balsamo

Écrit par Robert A Webster

Copyright © Robert A. Webster 2020

Traducteur -Pierre Balsamo

Conception de la couverture © Robert A. Webster 2020

publié par Tektime 2020

Tous droits réservés.

L’auteur ou les auteurs affirment leur droit moral, au titre de la Loi de 1988 sur le droit d'auteur, les modèles et les brevets, d’être identifié(s) comme l’auteur ou les auteurs de cet ouvrage. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, copiée ou stockée dans un système récupérable, ni transmise, sous une forme ou par un moyen quelconque, sans l’autorisation écrite préalable du détenteur des droits d’auteur, ni circuler autrement sous une forme de reliure ou de couverture autre que celle qui est publiée et sans imposer une condition similaire à l’acheteur subséquent. Une notice de catalogue CIP pour ce titre est disponible à la British Library.

Merci de respecter le travail de cet auteur.

Sites web :

http://www.buddhasauthor.com/

http://stormwriter.weebly.com/

https://www.stormwriter.net/

First edition

Avant-propos

Les ténèbres vont s’abattre sur le Cambodge.

Il y aura des maisons, mais vides d’habitants.

Des routes sans voyageurs.

Les barbares sans religion domineront le pays.

Le sang coulera tellement qu’il touchera le ventre de l’éléphant.

Seuls le sourd et le muet survivront.

Ancienne prophétie cambodgienne

Indice
Avant-propos
1
Peur et dégoût
2
– 2 – Le phénomène de la pâtisserie
3
– 3 – Un asile sûr
4
– 4 – Fin du commencement
5
– 5 – L’art du mensonge
6
– 6 – Espoirs et rêves
7
– 7 – Quand la fortune sourit
8
– 8 – Le piège
9
– 9 – Avec la richesse vient l’avidité
10
Après une vie de solitude.
11
– 11 – Recherche et découverte
12
– 12 – Le retour du grincheux
13
– 13 – Une triste fin
14
– 14 – Priez Bouddha
15
– 15 – Amitiés éternelles
16
– 16 – Justice rendue
17
–17– Guérison de vieilles blessures
18
– 18– Capteur de rêves
19
– Épilogue –
20
– Annexe –
21
Faites connaissance avec l’auteur
22
De Robert A Webster également

1

Peur et dégoût

Elle sourit, repoussa des mèches de cheveux noirs derrière ses oreilles, descendit les marches en bois et s’approcha de ses fils. « Ravuth, toi et ton frère allez chercher le tror bek pour le dîner », dit-elle.

L’adolescent leva les yeux de l’endroit où son petit frère et lui-même étaient assis et il maugréa.

« Maintenant, Ravuth », ajouta sa mère en menaçant du doigt.

« D’accord, viens Oun », dit Ravuth en se levant ; il prit la main de son frère et ils se dirigèrent vers la jungle.

L’atmosphère était humide et Ravuth essuya son front moite avec le bras. Il se retourna vers le village et porta son regard vers les Montagnes des Cardamomes. « Si j’étais un oiseau, je pourrais voler par-dessus les montagnes, ce serait cool là-haut », dit-il à Oun avec un grand sourire.

Oun semblait excité et approuva de la tête, car il adorait le légume qui ressemblait à un melon d’eau rond et miniature avec une chair blanche et croquante. Ravuth eut alors une idée.

* * *

On était en 1975. À l’insu du village retiré, le Cambodge était en pleine tourmente. La guerre dans le pays touchait à sa fin, mais un cauchemar commençait, qui amènerait une période de génocide affectant chaque Cambodgien.

* * *

Des gouttes de transpiration perlaient maintenant sur le visage de Ravuth. Impitoyablement, le sel de sa sueur réactivait les plaies de ses mains en frottant contre la poignée usée de sa machette. Une fois encore, il leva son bras douloureux et taillada dans le feuillage. Sa soif devenait plus pressante et la fatigue menaçait de l’accabler, mais il ne pouvait s’arrêter à cause de son petit frère.

« Nous sommes perdus, pas vrai Ravuth ? ». La voix tremblante d’Oun trahissait la peur.

Ravuth se retourna pour jeter un coup d’œil au visage enfantin. C’était sa faute s’ils étaient perdus, il n’aurait jamais dû s’écarter de la piste. Sa mère lui avait répété maintes fois de ne jamais quitter les chemins balisés, mais il pensait être plus malin.

Les garçons connaissaient la jungle qui encerclait le village retiré où leur famille vivait depuis des générations, se nourrissant de divers végétaux et animaux présents dans leur domaine sauvage. La collecte des fruits et des légumes de la jungle faisait partie des tâches quotidiennes de l’adolescent Ravuth et de son jeune frère Oun depuis des années. L’itinéraire était toujours le même. Cependant, aujourd’hui, les deux frères avaient décidé d’explorer la forêt à la recherche d’un nouveau secteur plus abondant en légumes.

Perdus, Ravuth et Oun erraient depuis plus d’une heure dans ce sous-bois dense et hostile. Puisant dans ses dernières forces, Ravuth se fraya un chemin avec sa machette au travers d’une liane épaisse et les deux garçons débouchèrent dans une clairière. « Nous serons bien ici », déclara Ravuth en se forçant à sourire avec une décontraction feinte. « Nous pouvons nous reposer ici, puis nous reviendrons sur nos pas ».

« Ravuth, regarde par là ! », appela Oun, désignant une plante étrange nichée entre deux petits affleurements de roche. « Et regarde le trou près des rochers. Cela pourrait être l’entrée d’une grotte ».

Les garçons s’approchèrent de la plante ; Ravuth se pencha et jeta un coup d’œil dans la grotte.

« Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Est-ce que c’est grand ? », demanda Oun.

« Je ne sais pas, c’est sombre et je ne vois pas bien à l’intérieur », dit Ravuth qui avait passé sa tête et ses épaules à l’intérieur de l’entrée de la grotte. « Mais je peux me faufiler et regarder ».

« Pas question, lança Oun pris de panique, partons, nous ne savons pas ce qui est à l’intérieur ».

Ravuth, écoutant le conseil de son petit frère, renonça à entrer.

L’attention d’Oun se porta alors sur la plante, qu’il déracina. Le haut de la plante comprenait une gousse dorée en forme de bulbe rond surmontée d’un disque ondulé. Sa longue tige fine entourée de larges feuilles vertes avait la forme et la taille de la laitue chinoise, avec une petite racine blanche en forme de carotte, « Je n’ai jamais vu cette plante. Qu’est-ce que c’est ? », demanda Oun, tendant la fleur à Ravuth.

« Moi non plus, je ne sais pas. Je vais la rapporter à la maison, maman saura. Peut-être qu’elle a bon goût », dit-il en reniflant le haut de la plante.

Ses parents leur avaient appris dès leur plus jeune âge à identifier les plantes toxiques, et Ravuth savait instinctivement que la plante était comestible. « C’est amer », grimaça-t-il en mâchant une feuille, « peut-être que c’est meilleur quand c’est cuit ».

Soudainement, ils entendirent plusieurs craquements de branchages et le feuillage environnant remua fortement. Les garçons, terrifiés, se retrouvaient nez à nez avec un jeune tigre mâle qui venait de déboucher du sous-bois et s’était immobilisé à quelques pas.

Des tigres indochinois rodent dans les jungles entourant les Montagnes des Cardamomes. Ils se tiennent à distance des humains autant que possible, car ils les jugent perturbateurs et ils n’ont pas l’air appétissants. Cependant, deux de ces petites bêtes avaient dérangé le repère favori du tigre.

Ravuth fourra l’étrange plante dans sa poche puis, imité par son frère, il leva sa machette, la pointant vers le jeune félin.

Celui-ci grognait et faisait des pas en avant et en arrière devant les garçons.

« Recule lentement », ordonna Ravuth, tous ses muscles prêts à réagir.

Tout en surveillant les piétinements du tigre qui continuait à grogner en leur jetant un œil dédaigneux, les frères terrifiés reculèrent vers le sous-bois épais.

Enfin débarrassé des humains, l’animal se dirigea vers l’entrée de sa grotte, leva sa patte et répandit son odeur dans son domaine. Il jeta un coup d’œil aux garçons et rampa dans sa grotte.

Ravuth et Oun observèrent le tigre qui pénétrait dans sa grotte et se précipitèrent dans la jungle.

Trébuchant sur le sol de la jungle pendant vingt minutes, ils arrivèrent dans une clairière couverte de végétation familière. Ils s’arrêtèrent, reprirent leur souffle et sourirent soudain. « Du tror bek ! Je sais où nous sommes maintenant », dit Ravuth, soulagé.

« Bien, récupérons-en un peu et rentrons à la maison », répliqua Oun, encore plus soulagé.

* * *

Les garçons débraillés regagnèrent leur village en fin d’après-midi. Ils s’attendaient à recevoir une réprimande de leur mère. Au lieu de cela, ils remarquèrent que tous les villageois étaient rassemblés dans la grande hutte communale au centre du village. Confus, Ravuth et Oun dépassèrent la grande cabane sans se faire remarquer et se dirigèrent vers leur maison. Ils savaient que leur père était parti à *Koh Kong tôt le matin pour vendre ses bijoux et ils ne l’attendaient pas avant le lendemain. Cependant, lorsqu’ils atteignirent leur baraque en bois penchée, ils virent la bicyclette de leur père à l’extérieur. Ils montèrent les marches, pénétrèrent dans la pièce principale et virent un sac carré en toile noire sur la table. Ne comprenant pas ce qui arrivait, ils placèrent la plante étrange avec les légumes dans un saladier et se dirigèrent vers la cabane communale.

« Qu’est-ce qui se passe ? », demanda Oun.

« Je ne sais pas. Je suis troublé moi aussi. Pourquoi père est-il rentré si tôt et qu’est-ce qui se trouve dans ce sac sur la table ? », demanda Ravuth

Les frères se dirigèrent vers la grande cabane communale. Depuis l’entrée, ils virent leur mère assise sur le sol. Leur père, le visage sale en larmes et avec un regard terrifié, s’adressait aux villageois qui semblaient choqués. Ravuth et Oun s’assirent sur le sol à côté de leur mère.

« Qu’est-ce qui se passe, pourquoi père a l’air si effrayé et couvert d’égratignures, et pourquoi est-ce qu’il parle à tout le village à la place du chef de village Ren ? », demanda Ravuth.

Il regarda sa mère effrayée, qui murmura : « Ren est mort et votre père raconte ce qui est arrivé à Koh Kong, restez tranquilles et écoutez. Il a presque terminé et nous vous expliquerons plus tard ». Bien que terrifiée, Rotha essaya d’avoir l’air calme devant les garçons.

Stupéfait, Ravuth dévisagea les villageois présents et vit les enfants de Ren blottis autour de leur mère en pleurs à l’autre bout de la pièce, se consolant les uns les autres, avec d’autres familles dont les parents n’étaient pas revenus. Ravuth et Oun avaient manqué la majeure partie de ce que leur père avait expliqué aux villageois, mais en voyant les visages de l’assistance, ils réalisaient que cela devait être quelque chose de sérieux. Quand il eut fini, leur père se fraya un passage pour rejoindre Rotha et les garçons.

« Qu’est-ce qui est arrivé, père ? », demanda Ravuth.

« Nous avons beaucoup de travail devant nous », répondit leur père Tu, visiblement affolé. « Rentrons à la maison et je vous expliquerai ».

La famille quitta la cabane communale pendant que les autres se dispersaient et rentraient chez eux.

* * *

Les deux frères et leur père s’assirent sur un Kam-ral, un tapis de paille. Tandis que Rotha s’occupait de ses plaies, Tu déroula son horrible récit à ses fils.

« Je suis parti avec Ren et les autres jusqu’à la frontière séparant la Thaïlande du Cambodge pour vendre les bijoux que nous avions fabriqués. Au premier abord, tout semblait normal. Nous nous sommes arrêtés derrière le poste-frontière, à l’endroit où nous laissons habituellement nos bicyclettes ».

Tu grimaça quand Rotha plaça un baume piquant sur une égratignure profonde, puis il continua.

Il n’y avait pas de soldats au poste. À leur place, plusieurs jeunes gens habillés en pyjamas noirs et portant des foulards à carreaux rouges et blancs, se tenaient près d’une large barrière en construction au point de contrôle. Ils portaient des fusils et ordonnaient à des travailleurs de construire un grillage. Je vis que des soldats thaïlandais se tenaient à la frontière côté Thaïlande avec anxiété, aussi je décidai de rester avec les bicyclettes pendant que Ren partait se renseigner, tandis que les autres partaient pour attendre le car. Ren s’approcha d’un garçon qui, à sa vue, pointa son fusil sur lui.

Ren semblait effrayé car le garçon lui cria dessus et dit qu’il était un soldat *Khmer rouge, maintenant en charge du Cambodge.

Tu regarda ses fils et leur dit :

« Le garçon avait à peu près le même âge que toi, Ravuth ».

Oun et Ravuth virent leur père trembler en leur disant : « Un autre soldat khmer rouge a crié en direction du car qui approchait et s’est précipité, attendant que le car se soit arrêté. Ils ont fait sortir un groupe d’étrangers terrifiés, en jetant leurs affaires depuis le car. Les étrangers ont pu ramasser certaines de leurs affaires avant que les Khmers rouges ne les poussent vers le no man’s land de la frontière cambodgienne. Je voyais les soldats thaïlandais tenant en joue le groupe d’étrangers qui s’approchait, les Khmers rouges et nos villageois qui venaient pour aider, aussi je suis resté où j’étais ».

Tu prit le sac noir sur la table et dit : « Comme j’avais remarqué que les touristes avaient laissé plusieurs objets derrière eux, je me suis dirigé vers le car vide et j’ai fouillé dans les objets épars. J’avais déjà vu des touristes porter des objets semblables ».

Il ouvrit le sac, en sortit un appareil Polaroïd et le montra à ses fils curieux.

« Je suis revenu à ma bicyclette, j’ai accroché le sac à mon guidon et j’ai continué à regarder ce qui se passait à la frontière. Le groupe s’était approché des soldats thaïlandais et s’était arrêté. Le Khmer rouge poussa les étrangers tremblants vers l’avant et cria en direction des Thaïs, mais je n’ai pas pu entendre ce qu’ils disaient. Les touristes ont couru vers les soldats qui, tenant toujours en joue les Khmers rouges, laissèrent passer les étrangers qui allèrent s’abriter derrière ces soldats. Tous les Khmers revinrent en marchant à travers le no man’s land vers le territoire cambodgien, en riant et en plaisantant ».

« Ça va, papa ? », demanda Ravuth tandis que son père était devenu silencieux et se frottait les yeux.

Tu acquiesça et poursuivit :

« Ren et les villageois semblaient maintenant s’entendre avec les Khmers rouges. Ils riaient et plaisantaient ensemble en revenant vers le côté cambodgien de la frontière. Je me sentais soulagé et j’étais sur le point de les rejoindre, espérant qu’ils ne m’avaient pas vu prendre l’appareil ».

Tu ajouta avec un tremblement dans la voix : « Mon soulagement se transforma en horreur lorsque le jeune Khmer rouge qui marchait derrière Ren plaça le canon de son fusil sur l’arrière de son crâne et appuya sur la détente ».

Ravuth et Oun haletaient.

Tu secoua la tête : « Ren ne s’est douté de rien ; il parlait à un autre Khmer rouge quand sa tête a explosé. J’ai vu la balle sortir de sa tête et son corps qui tombait sur le sol », ajouta Tu en essuyant des larmes.

Rotha leur apporta des gobelets d’eau et posa ses mains sur les épaules de son mari.

Tu avala l’eau, se recomposa et continua : « Je me suis caché derrière la cabane des gardes-frontière et j’ai entendu les soldats khmers rire et bavarder, tandis que nos amis et voisins leur demandaient grâce. Je savais que je devais m’éloigner de là, même si cela signifiait les abandonner, soupira-t-il, mais je ne pouvais rien faire pour eux ».

Rotha partit vers la cuisine tandis que Tu continuait. « J’ai fait reculer ma bicyclette de quelques mètres en arrière de la cabane des gardes-frontière, j’ai jeté mes colliers et j’ai pédalé aussi vite que je pouvais. Je n’étais pas très loin quand j’ai entendu des gens derrière moi qui me criaient d’arrêter. Terrifié, j’ai ignoré ces cris et j’ai continué à pédaler. J’ai entendu un tir et une balle est passée près de mon oreille ».

Les garçons se regardèrent, puis leur père continua. « J’ai pédalé frénétiquement, j’ai quitté la route et me suis dirigé à travers les champs vers la jungle jusqu’à ce que la piste soit trop accidentée pour la bicyclette et je me suis caché dans le sous-bois derrière un bosquet d’arbres. J’ai attendu ce qui m’a paru une éternité, mais ne voyant aucun signe des Khmers rouges, je suis revenu sur mes pas, j’ai ramassé ma bicyclette et j’ai pédalé jusqu’à la maison ».

« Qu’est-ce qu’un Khmer rouge ? », demanda Ravuth.

Tu secoua la tête. Ignorant des événements survenus au Cambodge, il savait seulement qu’ils devraient avoir peur et se faire oublier, aussi il répliqua : « Je ne sais pas, fils, mais nous devons rester cachés tant que nous n’avons pas découvert ce qui s’est passé. Nous serons plus en sécurité en nous enfonçant dans la jungle ; ce soir, nous devons organiser nos affaires et trouver un nouveau site. Au matin, nous démonterons notre habitation et la rebâtirons ailleurs », expliqua Tu. Les garçons pouvaient remarquer combien leur père semblait préoccupé, confus et effrayé.

« Qu’est-ce que c’est ? », interrompit Rotha, tenant la plante que Ravuth avait placée sur le dessus du tror bek.

« Je ne sais pas, mère. Nous l’avons trouvée sur la piste et pensions que tu saurais. Nous pouvons peut-être la manger, hein Oun ? », dit Ravuth, cherchant un soutien chez son frère.

« Oui », dit Oun d’un air distrait, tandis qu’il regardait dans la sacoche de l’appareil photo.

« Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant », dit Rotha, qui tenait la plante étrange et l’inspectait.

Personne ne fit attention à Rotha ; les deux jeunes semblaient plus intéressés par l’instruction et la démonstration que leur père leur faisait en manipulant l’appareil Polaroïd.

Rotha se dirigea vers leur réservoir d’eau de pluie en argile, remplit un bol d’eau, puis le plaça à côté d’une marmite bouillonnante contenant des légumes et un petit poulet rôti. Elle étudia la plante et sut par la forme et la couleur des feuilles que celles-ci étaient comestibles, aussi elle arracha une feuille, la goûta, grimaça et plaça le reste dans la marmite bouillante. Elle perça la gousse à graines dorée et elle goûta la sève blanche laiteuse qui s’en échappa. Rotha ne pouvait comprendre pourquoi celle-ci avait un goût si sucré tandis que la feuille était si amère, mais elle examinerait cela plus tard. Rotha remarqua que la gousse ronde avait un éclat étrange et sa couleur dorée avait l’apparence d’une mosaïque brillante aux teintes vives, tout comme l’effet créé par de l’huile moteur sur de l’eau.

Dérangée par un flash soudain, elle tourna la tête, juste pour voir les visages souriants de ses deux fils espiègles et celui encore plus espiègle de son mari qui venait de prendre une photo d’elle avec le Polaroïd. Le mécanisme de l’appareil ronronna tandis que le film sortait par l’avant. Tu retira la photographie, décolla la première couche de film et mit la photo sur la table pendant qu’elle se développait.

Rotha sourit à son mari comme il visait à nouveau, pressait le bouton et prenait un autre instantané d’elle, répétant le processus de développement. Tu les fit bouger alors pour prendre une photo d’ensemble des trois. Ils se relayèrent et prirent des photos tour à tour jusqu’à ce qu’ils aient épuisé les six clichés restant dans la cartouche de l’appareil.

Ils observaient les photographies se développer sous leur unique ampoule électrique et semblaient étonnés devant les images qui apparaissaient. Les quatre membres de la famille étaient absorbés par les premières photographies qu’ils aient jamais vues, oubliant un moment la tragédie qui s’était abattue sur le village. Rotha descendit une boîte tissée en feuilles de banane d’une étagère et la plaça sur la table. Tout le monde dans le village possédait plusieurs de ces boîtes. Ces bandes tressées de feuilles de bananes séchées, revêtues d’une résine provenant de la sève de l’écorce de palmier, donnaient à la boîte un éclat de vernis résistant. Quand ils ne les vendaient pas aux touristes, les villageois utilisaient ces boîtes de la taille de petites chaussures pour stocker les babioles et tout ce qui n’était pas usuel. Rotha ouvrit la boîte et y plaça les photographies.

« Vous pourrez les regarder à nouveau quand nous aurons mangé. Ravuth, prépare la table et je vais servir le dîner », ajouta-t-elle.

Rotha était sur le point de fermer le couvercle de la boîte quand elle vit la plante sur la table. Elle coupa la plus grande partie de la tige et plaça la gousse brun doré dans la boîte, fermant le couvercle.

La famille s’assit pour manger. Rotha servit les feuilles de l’étrange plante cuites en bouillon et ils furent tous d’accord que cela avait un goût épouvantable, c’était trop amer. Heureusement, le poulet et le tror bek se laissèrent digérer et après le dîner, ils emballèrent leurs maigres affaires pour le déménagement du lendemain. Le bruyant générateur à deux temps du village s’arrêta à 8 heures du soir, puis ils allèrent se coucher.

* * *

Des cris et des tirs d’armes à feu réveillèrent la famille à l’aube.

Une panique s’ensuivit. Tu, Rotha et les garçons allèrent sur le balcon et virent un groupe de jeunes soldats khmers rouges qui marchaient à travers le village, tirant des coups d’AK-47 dans l’air et hurlant à l’adresse des villageois. Ils s’arrêtèrent devant les habitations dont les résidents se tenaient soit sur les balcons, soit au pied de leurs marches.

Une fille, du même âge que Ravuth, se planta au pied de leur escalier et leur cria de descendre et de se rendre à la cabane communale. Elle pointa son fusil vers Tu et cria : « Immédiatement ! ».

La famille s’exécuta et se rendit à la cabane communale avec les autres villageois effrayés ; on leur ordonna de s’agenouiller. Un soldat khmer rouge, qui paraissait environ 18 dans, se campa devant le groupe. L’audience retenait son souffle. Traînée au bout d’une laisse en corde, se trouvait Dara, une villageoise d’âge moyen qui était partie à Koh Kong avec Tu et les autres pour vendre leurs bijoux le jour précédent.

« Dara est vivante, Rotha », murmura Tu. « Je pensais qu’ils les auraient tous tués ».

Les joues et les yeux enflés, les lèvres et le nez coloré de sang séché, Dara portait des traces de coups. Les villageois regardaient le commandant Khmer rouge la tirer comme un chien. Les autres Khmers rouges faisaient les cent pas derrière l’audience pendant que leur commandant parlait.

Celui-ci donna des explications sur Pol Pot, qu’il appelait Frère Numéro Un, leur leader. I expliqua comment les Khmers rouges contrôlaient maintenant le Cambodge, affirmant : « Chaque citoyen *Khmer appartient maintenant à Angka (l’Organisation). Vous êtes notre propriété et si vous désirez vivre, vous devez prouver votre valeur ».

Il leur expliqua le rôle que leurs enfants allaient tenir après la formation qu’ils recevraient par Angka afin de devenir des soldats de l’organisation. Ils n’auraient plus besoin de parents, car les adultes étaient des travailleurs subalternes, ils leur étaient par conséquent inférieurs. Angka deviendrait maintenant leur famille. Le commandant poursuivit son discours bien rodé pendant une heure.

Les villageois terrifiés écoutaient, abasourdis par cette jeunesse endoctrinée. Dara se balançait en essayant de rester debout devant lui. De temps en temps, le garçon tirait sur sa corde et cela réveillait son attention.

Une fois que le commandant eut fini, il concentra son attention sur Dara et dit aux villageois.

« Cette femme nous a menés à vous. Elle est faible et nous n’acceptons pas les faibles ». Il resserra le nœud autour du cou de Dara et la traîna à lui. Se saisissant du nœud, il releva son menton pour étendre sa gorge et l’ouvrit avec un couteau tranchant. Dara était trop faible pour tenter de résister. Tandis que sa salive, le sang et l’air gargouillaient de sa gorge, elle devint toute molle. Le commandant jeta son corps sur le sol, se pencha, essuya son couteau sur ses vêtements avant de le replacer dans sa gaine. Il cria des ordres à ses soldats, désigna le cadavre de Dara et envoya un sombre avertissement aux villageois :

« Obéissez à Angka ou vous mourrez ! ».

Les villageois fixèrent avec horreur les autres Khmers rouges qui leur criaient d’aller chercher leurs affaires et de se retrouver ici.

Les villageois quittèrent la cabane communale et se rendirent dans leurs résidences respectives pour faire leurs bagages, pendant que les Khmers rouges tournaient autour des familles terrifiées, en les pressant.

Rotha, Tu, Ravuth et Oun rentrèrent dans leur cabane. Tu se concerta avec Rotha, qui, bien que secouée par les événements, fut d’accord. Avec des tremblements dans la voix, Tu ordonna aux enfants :

« Vous deux, vous allez vous échapper et vous cacher dans la jungle. Lorsque nous serons partis, revenez et restez ici. Lorsque nous découvrirons ce qui se passe et si la sécurité revient, nous serons de retour ».

Les garçons, bien qu’effrayés, furent d’accord, en espérant que cela ne durerait pas.

Rotha regarda au dehors, vit un Khmer rouge qui s’éloignait de leur cabane pour surveiller une autre famille, et elle n’en voyait pas d’autre à proximité.

« Vite, Ravuth ! Tu sors en premier », murmura-t-elle.

Ravuth descendit prudemment les marches et parcourut la courte distance qui les séparait de la jungle, se cacha derrière le premier bosquet d’arbres, attendant son frère.

Il vit Oun en bas des marches, mais un Khmer rouge marcha vers lui, s’arrêtant à la hauteur du garçon. Le jeune soldat agita son fusil vers Rotha et Tu, leur ordonnant de descendre immédiatement. Le cœur de Ravuth se mit à battre à tout rompre et il se cacha derrière le tronc épais de l’arbre.

Les cris du Khmer rouge diminuèrent et Ravuth jeta un coup d’œil. Il vit sa mère, son père et son frère emmenés avec les autres vers la hutte communale. Réalisant que personne n’avait remarqué sa fuite, Ravuth se déplaça en cercle autour des habitations, profitant des arbres et des feuillages de la jungle, pour observer ce qui se passait dans le village.

Les villageois restèrent dans la grande cabane pendant une heure avant d’en ressortir et d’être canalisés hors de la cabane.

Les Khmers rouges se dirigèrent vers la foule et traînèrent quatre villageois plus âgés. Ravuth espérait qu’ils les laisseraient dans le village. Il s’imagina qu’ils pourraient s’occuper de lui jusqu’à ce que ses parents et Oun reviennent.

Le commandant afficha un rictus pendant que ses soldats poussaient les quatre vieillards sur le sol et les tuaient d’une balle dans la tête.

Tout le monde se mit à crier lorsque les Khmers rouges pointèrent leurs fusils vers la foule frappée de panique. « Silence, ou vous êtes morts ! ».

« Restez tranquilles ! », cria le commandant en s’adressant à la foule, attendant d’avoir leur attention. « Ceux-là sont si vieux qu’ils ne peuvent rien produire pour Angka. Leurs vies ne valent rien pour Angka et leur mort n’est pas une perte ».

Tremblants et effrayés, les villageois avaient l’air d’un groupe de réfugiés abattus et brisés. Ils se traînèrent le long de la piste qui menait à Koh Kong pour rejoindre l’exode des populations rassemblées pour travailler dans les camps.

Les Khmers rouges laissèrent les villageois emporter leurs maigres possessions, qu’ils leur confisqueraient à la fin de leur voyage.

Deux soldats khmers rouges restèrent. Ravuth les regarda traîner le corps de Dara hors de la cabane communale et le décharger avec les quatre autres. Prenant un bidon d’essence dans l’abri du générateur, ils arrosèrent plusieurs baraques et les cadavres. Ils ricanèrent en mettant le feu. Ces assassins étaient des adolescents qui ne montraient pas la moindre trace d’émotion ou de remords. Un soldat, qui s’amusait à frapper les têtes des cadavres en feu avec un bâton, leva les yeux et vit un mouvement dans la jungle. Il cria vers son camarade, qui attrapa son fusil et courut vers la cachette de Ravuth et s’arrêta.

« Tu as cru voir quelque chose. Il n’y a rien ici », dit le jeune homme.

« Je suis sûr que j’ai vu quelqu’un », dit l’autre, contrarié.

« Tu veux pénétrer dans la jungle plus avant ?

- Pas vraiment. Je ne sais pas ce qu’on va trouver là-dedans, peut-être une bête sauvage. Viens, rattrapons les autres ».

- Très bien. Puisque tu as peur, partons », se moqua le premier soldat. Ils tournèrent les talons et coururent à travers le village pour rejoindre la piste.

Ravuth tremblait. Il recula davantage dans l’épais feuillage. Le Khmer rouge s’était approché à 30 cm de son visage.

Bien trop effrayé pour se déplacer dans la chaleur éclatante de la journée, Ravuth retourna au village à la tombée de la nuit, étourdi, assoiffé et les idées embrouillées. Il traversa le village déserté, enjambant les corps incandescents, puis rejoignit sa maison. Les Khmers rouges avaient brûlé certaines cabanes et la cabane communale, mais ils avaient laissé sa maison relativement indemne. Il constata que tout avait été emporté, soit par ses parents, soit par pillage. Ravuth s’accroupit et pleura. Il resta là pendant toute la nuit, se demandant ce qui s’était passé et que faire. L’aube vint et, avec les premiers rayons de lumière, il vit une boîte en feuilles de banane qui dépassait du plancher dans un coin de la pièce. Il comprit que ses parents avaient sûrement essayé de la dissimuler aux Khmers rouges. Il prit la boîte et l’ouvrit. L’étrange plante était à l’intérieur avec quelques bijoux sous les photographies de sa famille. Il prit les photos et, des larmes dans les yeux, il frappa les images individuelles, se demandant ce qui leur était arrivé.

Ravuth se sentait seul, effrayé et perplexe. Il replaça les photographies dans la boîte, quitta la cabane et erra dans le village à la recherche de nourriture, d’eau ou d’objets utiles abandonnés. Traversant les vestiges macabres, il alla de cabane en cabane, fouillant et ramassant tout ce qui pouvait servir. Il trouva une machette, il mangea et but un peu d’eau. Il enveloppa la nourriture dans une feuille de banane, puis il remplit des gourdes en puisant dans les réservoirs d’eau de pluie. Sa connaissance des plantes comestibles et des sources de liquides lui permettrait de survivre dans la jungle. Prenant la boîte, la machette et d’autres objets qu’il avait trouvés, Ravuth traversa le village et emprunta la piste qui menait à la route de Koh Kong.

* * *

Cela faisait deux heures que Ravuth marchait le long de la piste au milieu de la jungle. Il avait parcouru ce trajet plusieurs fois avec son frère et son père, mais une fois que Tu était arrivé à la route avec les autres villageois et s’éloignait en pédalant, les deux frères revenaient au village. Il quitta la jungle, emprunta la route inconnue et marcha le long des bas-côtés au cas où il rencontrerait des patrouilles de Khmers rouges. Sa longue marche jusqu’aux abords de la ville se fit sans incident, sans rencontrer de trafic ni d’habitants. Il vit que plusieurs maisons en bois le long de la route avaient été détruites et pillées.

Progressant dans les faubourgs de la ville de Koh Kong, Ravuth traversa le centre-ville qui semblait mystérieusement dépourvu d’habitants. Il continua pendant quelques kilomètres jusqu’à ce qu’il atteigne le poste-frontière. Il se cacha derrière la cabane dès qu’il vit un Khmer rouge assis contre un grillage nouvellement construit le long de la frontière avec la Thaïlande.

Les traits sans expression de l’enfant-soldat déclenchèrent une peur renouvelée chez Ravuth. Il s’éloigna en rampant du poste-frontière et retourna vers le centre-ville déserté. Ravuth pénétra dans un petit café abandonné et se ravitailla en nourriture et en eau grâce au peu de restes qu’il trouva. Il s’assit et réfléchit à sa situation.

La nuit tomba et Ravuth n’avait pas encore décidé quel parti prendre. C’est alors qu’il entendit le bruit d’un véhicule qui s’approchait. Terrifié, il se cacha sous une table au moment où un vieux camion s’arrêtait devant le café. Six Khmers rouges entrèrent et s’assirent à une table.

Tremblant de peur, Ravuth restait immobile tandis que les jeunes soldats démarraient un petit générateur pour illuminer la salle et s’asseyaient. Ravuth tremblait, blotti sous une table dans un coin sombre du café.

Un soldat amena plusieurs bouteilles de whisky du Mékong et ils burent.

Ravuth écouta le jeune Khmer rouge fanfaronner sur leurs atrocités quotidiennes, racontant qui ils avaient massacré et des détails sordides sur comment ils l’avaient fait. Ils parlèrent de leurs butins de guerre et des objets qu’ils avaient volés. L’un d’entre eux mentionna quelque chose qui intéressait Ravuth.

« Mon groupe s’est rendu directement à *Choeung Ek, mais nous avons sélectionné ceux qui feront de bons citoyens Khmer rouge et de bons camarades de combat », expliqua-t-il.

« Nous avons rassemblé quatre groupes aujourd’hui, ils sont partis dans la commune de la province de Koh Kong pour renforcer nos rangs », dit un autre.

« La plupart des autres étaient de vieilles gens indésirables, aussi nous les avons éliminés », a dit un troisième, ajoutant : « Mais nous nous sommes amusés à les éduquer ». Il eut un rictus et montra aux autres sa machette tachée de sang.

Les garçons échangèrent ces horribles détails pendant un moment ; Ravuth entendit ensuite des jurons et des ricanements puérils à mesure que le whisky faisait son effet sur les gamins.

Trente minutes plus tard, les Khmers rouges sortirent en titubant du café, remontèrent dans leur véhicule, qui s’éloigna dans un crissement.

Ravuth sortit de dessous la table. Le café était éclairé, aussi il chercha dans le café redevenu silencieux toute information sur les communes de Koh Kong et Choeung Ek. Il ne connaissait rien ni sur l’une ni sur l’autre. Ne sachant pas lire, il trouva des prospectus avec des images, qu’il plaça dans sa boîte.

Après une nuit passée dans le café, tôt le matin, Ravuth sortit à pied de Koh Kong-ville et se dirigea vers son village dans la jungle pour attendre sa famille. Il ne s’était pas aperçu qu’il était suivi, quand il entendit une voix hurler derrière lui alors qu’il longeait une route à l’extérieur de Koh Kong : « Toi… Arrête-toi ! ».

Il se retourna et vit une jeune fille khmère rouge qui pointait un pistolet automatique sur lui, tout en essayant de garder son équilibre sur la barre horizontale de sa bicyclette. « Viens ici ! », fusa-t-elle.

Ravuth s’approcha de la fille au visage noirci qui le fixait. Bien qu’elle ait l’air plus jeune et plus petite que Ravuth, il ressentit un frisson glacial le long de la colonne vertébrale lorsqu’il croisa son regard.

« Pourquoi n’es-tu pas avec les autres ? Où est ton village ? », cria-t-elle.

Ravuth trembla et, les mains jointes, il plaida : « Je m’excuse, ils m’ont laissé derrière quand je me suis arrêté pour me reposer ».

La fille lança un regard furieux à Ravuth. « Suis-moi », cria-t-elle, puis elle descendit de sa bicyclette et la retourna.

Ravuth fut terrifié en voyant quatre autres Khmers rouges qui s’approchaient à vélo. Il paniqua, prit sa machette de sa ceinture et donna un coup violent sur le bras de la jeune Khmère de toutes ses forces. La fille, occupée avec le guidon, fut incapable de se réagir pour se protéger, Elle émit un cri de douleur quand la lame entailla profondément sa chair jusqu’à l’os. Elle lâcha le pistolet et Ravuth la fit tomber de son vélo, replaça sa machette dans sa ceinture, enfourcha le vélo et pédala à travers à travers les champs de riz. Se dirigeant vers les Montagnes des Cardamomes et la sécurité de la jungle, les balles sifflèrent à ses oreilles comme il pédalait pour sauver sa vie.

Pédalant pendant ce qui lui sembla une éternité, et n’entendant plus de coups de feu, Ravuth s’arrêta à l’orée de la jungle, poussa la bicyclette dans les feuillages et se cacha derrière un bouquet d’arbres. Il jeta un coup d’œil pour voir s’il pouvait voir ses poursuivants. Ravuth aperçut quatre petits points noirs lointains qui se dirigeaient dans sa direction. Il avait réussi son début de fuite, mais savait qu’il devait se mettre en sécurité à l’abri du feuillage dense. Ravuth courut à travers la végétation épaisse, suivant des pistes étroites jusqu’à entrer dans un terrain épais, accidenté et impénétrable.

« Ils ne pourront plus me trouver maintenant », pensa-t-il, et il se mit à courir dans le sous-bois dense.

Épuisé, Ravuth avait couru à travers cette section non familière de la jungle pendant plus de trois heures. Arrivant dans une clairière recouverte d’un toit végétal épais, qui laissait cependant passer un peu de lumière, il se cacha là. Se sachant en sécurité et en position de repérer tout poursuivant, il s’assit au pied d’un arbre diptérocarpe géant, sur le qui-vive.

Ravuth resta là pendant deux jours, se nourrissant de la végétation abondante qui l’entourait. Réalisant qu’il avait semé ses poursuivants, il se mit en quête de rejoindre son village.

Ravuth se sentait en sécurité dans la jungle et marcha toute la nuit, profitant de la clarté de la lune. Il se reposait pendant les journées torrides, piégeant et cueillant en fin d’après-midi jusqu’au crépuscule.

Sans direction précise à suivre, à la différence des environs du village, où il connaissait la plupart des pistes et la végétation familière, il était perdu. À l’aube du dixième jour, il déboucha sur un sol dégagé. Un remblai laissait place à une étroite vallée où il vit un grand corral, entouré d’une clôture métallique en grillage.

Ravuth pouvait distinguer plusieurs rangées de bivouacs en toile, ainsi que quelques tentes militaires de plusieurs tailles. Il voyait des gens qui déambulaient derrière le grillage. Certains groupes cuisinaient sur des feux de bois ouverts. Ravuth pouvait sentir les arômes de la nourriture cambodgienne, ce qui lui donna l’eau à la bouche. « Ceci doit être l’un des lieux dont avait parlé le Khmer rouge. Je me demande si ma famille est ici », pensa-t-il. Rampant autour du grillage, il observait les habitants du camp jusqu’à ce qu’il atteigne une porte. Ravuth se sentait exposé à découvert, aussi il se cacha dans un coin sombre et observa.

Ravuth vit des véhicules militaires et des soldats aller et venir toute la journée. Il remarqua que le personnel militaire n’était pas composé de Khmers rouges. Ils étaient plus âgés et habillés en uniformes de camouflage. Il se déplaça le long de la clôture, surveillant les activités à l’intérieur du camp. De temps en temps, il regrimpait sur le remblai pour obtenir une meilleure vue depuis la jungle, mais il ne pouvait reconnaître aucun des membres de sa famille ou du village. La nuit tomba, aussi il longea la clôture, trouva un coin dégagé, et à l’aide de ses mains, il creusa une petite tranchée en dessous du grillage métallique. Il traversa en se glissant et rampa vers la tente la plus proche. Ravuth s’accroupit, regarda devant, souleva un coin et…

« Qui es-tu ? », dit une voix masculine derrière lui dans une langue inconnue, « Lève-toi et tourne-toi ».

Ravuth, enveloppé par une forte lumière dans son dos et effrayé parce qu’il ne pouvait comprendre les instructions de l’homme, se leva instinctivement et se retourna, aveuglé par la lumière.

*En annexe

2

 Le phénomène de la pâtisserie

Le maître de cérémonie s’éclaircit la gorge et annonça : « Le trophée du Pâtissier de l’année est décerné à.. », faisant une pause pour ménager son effet alors qu’il jetait un coup d’œil au nom écrit au dos d’une carte de couleur or. « Pour la troisième année d’affilée », il fit face au public en souriant. « Le pâtissier représentant l’Hôtel Avalon », nouvelle pause avant d’annoncer : « M. Ben Bakewell ! ». Il se mit à applaudir, invitant la salle à faire de même dans cette suite de conférence cossue de Park Lane Hilton. Des acclamations et des murmures fusèrent tandis qu’un homme portant un costume mal ajusté s’avança d’un pas traînant vers la scène.

« Bien joué Cake », dit le Maître de cérémonie tandis que le boulanger atteignait la plateforme et lui serrait la main.

Bien que Cake ait déjà remporté cette distinction trois ans de suite, il se sentait encore mal à l’aise en tenant la petite effigie. Son discours d’acceptation fit écho aux années précédentes. « Merci », marmonna-t-il dans le micro, rougissant. Il soupira, quitta la scène et se précipita vers la table pour rejoindre ses collègues.

La cérémonie des récompenses touchait à sa fin, au grand soulagement de Cake. Plusieurs critiques étaient sur la scène, en pleine discussion sur les différents plats qui avaient remporté des prix. Cake exécrait ce genre de manifestations et jugeait les critiques de la restauration aussi utiles que des pets dans une passoire, incapables de faire bouillir un œuf et étrangers à cette activité. Malgré cela, il recevait toujours des critiques élogieuses. L’un avait décrit son *Œuf dans un nid Avalon comme une explosion parfaite d’arômes créant un orgasme buccal et avait dit que chaque plat créé par Cake avait un goût parfait. Cependant, Cake avait toujours eu l’impression qu’ils étaient moyens et considéraient que ses plats manquaient de quelque chose sans pouvoir trouver ce que c’était.

Cake arriva chez lui à environ 23 heures, après un long trajet dans la capitale. Jade était déjà revenue de son escapade de cinq jours à Lincoln. Cake, enthousiaste, voulait savoir comment leur pâtisserie progressait. Il se laissa tomber dans une chaise de la salle de séjour tandis que Jade lui apportait un verre de vin, et ils se mirent à l’aise. Il lui montra le chèque de récompense pour la compétition, elle sourit et lui montra des images vidéo du travail en cours.

* * *

Benjamin Bakewell, surnommé Cake aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir, avait une réputation impeccable dans le monde de la cuisine. Chaque grand chef et établissement de restauration haut de gamme connaissait Cake. Il occupait la position de chef pâtissier à Avalon depuis trois ans. Ses gâteaux et pâtisseries signés faisaient envie à tout chef pâtissier en raison de la préparation unique de Cake, que beaucoup échouaient à répliquer.

Cake était né dans la banlieue de Louth dans le Lincolnshire, une petite ville rurale, à quarante kilomètres de la ville de Lincoln. Sa famille possédait une ferme de cent hectares cultivables à la périphérie de la ville et cultivait du blé, de l’orge et du houblon. Son surnom, Cake, provenait de son nom de famille et de son amour de la pâtisserie. Il avait suivi sa scolarité à l’école primaire, mais tandis que les autres s’adonnaient au sport et au divertissement pendant leur récréation, lui se trouvait dans la cantine de l’école et aidait les cuisiniers.

Les parents de Cake avaient toujours su qu’il avait flair inhabituel. Il pouvait détecter tous les ingrédients d’un plat quelconque et ajoutait des composants lorsqu’il jugeait que cela pourrait relever son goût jusqu’à ce que son palais parfait le trouve acceptable. Cake ne mangeait pas ni ne manipulait la viande, car celle-ci ne dégageait pas d’arômes parfumés, sa texture procurait une sensation granuleuse et dure, et son goût le faisait vomir. Il tolérait certains aliments marins, mais seulement s’ils étaient frais et modérément parfumés, tels que la lotte ou les pétoncles, auxquels il pouvait ajouter des herbes et des épices pour masquer l’odeur et le goût du poisson. Personne ne pouvait comprendre le don inhabituel de ce garçon, et il fallut de nombreuses années avant que quiconque ne découvre la raison de son sens élevé du goût et de l’odorat. Seul Cake pouvait percevoir l’odeur et le goût du monde en détectant les senteurs et les parfums flottant dans l’air. Pendant ses jeunes années à l’école, il utilisa son talent unique pour gagner des bonbons et autres friandises de ses camarades d’école en devinant ce qu’ils avaient mangé au petit déjeuner ce matin-là en humant leurs pets. Ceci devint également un tour facile pour les fêtes et réunions à mesure qu’il grandissait.