L'EPOUVANTE - MAURICE LEVEL - E-Book

L'EPOUVANTE E-Book

Maurice Level

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Beschreibung

Un soir qu'il sort d'un dîner, boulevard Lannes à Paris, un jeune journaliste parisien découvre, par hasard, trois assassins après leur forfait. Par déduction, il découvre le lieu du crime. A la vue de la victime et de son environnement, il décide de falsifier les preuves laissées par les meurtriers et d'en créer de nouvelles qui lui permettraient de réaliser un scoop... Mal lui en prend car il va vivre... l'Épouvante ! qui le mènera à l'échafaud.

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L'EPOUVANTE

Pages de titreCHAPITRE PREMIERCHAPITRE IITitreCHAPITRE IIICHAPITRE IVCHAPITRE VTitre - 1CHAPITRE VITitre - 2CHAPITRE VIICHAPITRE VIIITitre - 3CHAPITRE IXTitre - 4CHAPITRE XTitre - 5Page de copyright

Maurice Level

L’ÉPOUVANTE

(1908)

Table des matières

CHAPITRE PREMIER LA GRANDE IDÉE D’ONÉSIMECOCHE....4

CHAPITRE II 29,BOULEVARDLANNES...................................27

CHAPITRE III LA DERNIÈRE MATINÉE D’ONÉSIMECOCHE,

REPORTER.................................................................................39

CHAPITRE IV LA PREMIÈRE NUIT D’ONÉSIMECOCHE,

ASSASSIN................................................................................... 75

CHAPITRE V QUELQUES POINTS DE DÉTAIL...........................86

CHAPITRE VI L’INCONNU DU22..........................................100

CHAPITRE VII DE SIX HEURES DU SOIR À DIX HEURES DU

MATIN......................................................................................117

CHAPITRE VIII L’INQUIÉTUDE............................................ 132

CHAPITRE IX L’ANGOISSE................................................... 145

CHAPITRE X L’ÉPOUVANTE................................................. 158

À MA SŒUR MADELEINE LEVEL

Ma chérie,

Je te dédie ce livre en souvenir du temps

où tu m’encourageais avant tout et contre tous

à écrire.

M’acquittant ainsi de cette vieille dette de

reconnaissance, je suis sûr d’être approuvé par

papa, et d’obéir à la pensée de celle qui, jusqu’à

la fin, nous voulut, Marie et moi, unis par une

tendresse fraternelle impérissable.

MAURICELEVEL

– 3 –

CHAPITRE PREMIER

LA GRANDE IDÉE D’ONÉSIMECOCHE

– Alors, c’est bien entendu, fit M. Ledoux sur le pas de sa

porte. Dès que vous aurez une soirée libre, un mot, et vous ve-

nez dîner à la maison ?

– Entendu, et encore merci pour l’excellente soirée…

– Vous voulez rire. C’est moi, tout au contraire… Levez

bien votre col, il ne fait pas chaud. Vous connaissez le chemin ?

Le boulevard Lannes tout droit jusqu’à l’avenue Henri-Martin.

En marchant vite, vous trouverez peut-être le dernier tramway…

Ah ! un mot, vous avez un revolver ? le quartier n’est pas très

sûr…

– N’ayez crainte, je suis toujours armé, j’ai l’habitude des

excursions nocturnes dans Paris, et je connais, par profession,

les tours des rôdeurs. Ne m’accompagnez pas plus loin. Le clair

de lune est admirable. J’y vois comme en plein jour, rentrez…

Onésime Coche traversa le trottoir, gagna le milieu de la

chaussée, et se mit en route d’un pas allègre. Comme il arrivait

au coin de la rue, il entendit la voix de son hôte qui lui criait :

– À bientôt, je compte sur vous ?…

Il se retourna et répondit :

– C’est promis.

– 4 –

M. Ledoux, sur la première marche du perron lui faisait au

revoir de la main. Derrière lui, le corridor tendu d’andrinople,

éclairé par une lampe de plafond, découpait dans la nuit une

tache rose. Du petit jardin endormi, de la maisonnette aux vo-

lets clos, de l’intérieur confortable et bourgeois trahi par ce rec-

tangle de lumière, se dégageait un calme de petite ville, un

calme lointain, familial. Et Onésime Coche, en qui dix années

d’existence à Paris n’avaient pu effacer complètement les im-

pressions des jours passés au fond d’une province, le souvenir

des longues soirées d’hiver, des rues silencieuses où l’on entend

par les soirs de printemps, lorsque le bois travaille, craquer les

auvents des maisons et les poutres des toits, demeura un instant

immobile devant cette porte qui se refermait. Sans savoir pour-

quoi, il évoqua « ses vieux », depuis longtemps assoupis à cette

heure, la bonne maison d’autrefois, la petite patrie absente, et la

vie simple et facile qu’aurait pu être la sienne, si quelque démon

ne l’avait attiré vers l’immense Paris, où, débarqué en conqué-

rant il avait dû, n’ayant jamais connu la chance, se contenter

d’une place de reporter dans un quotidien du matin.

Il alluma une cigarette, et, sans hâte, reprit son chemin.

Le dîner fin, le vin vieux, avaient fait se lever dans sa tête

des vapeurs légères, des espoirs endormis, et, dans cette minute

où rien ne troublait son rêve, ni le bruit des machines, ni le fris-

son du papier, ni l’odeur d’encre, de chiffons et de graisse qui

flotte dans les salles de rédaction, il entrevit presque prochaine,

cette chose formidable et fragile, qu’il n’espérait plus guère ce-

pendant :la Gloire!

Une ou deux fois, dans des restaurants de nuit, sous l’in-

cendie des lumières, parmi le relent des mets, le parfum des

femmes, le frôlement des chairs et la musique des tziganes, ac-

coudé à sa table, le cerveau vide, les oreilles et les yeux exaspé-

rés par les couleurs et par le bruit, il avait éprouvé cette même

– 5 –

sensation inattendue et nette d’être quelqu’un, de porter en lui

de grandes choses, et de se dire :

« En ce moment, si j’avais une plume, de l’encre et du pa-

pier, j’écrirais des phrases immortelles… »

Hélas, à cette heure louche, où un autre soi-même semble

sauter sur les épaules du vrai, et l’étreindre, on n’a jamais la

plume, l’encre et le papier… De même, dans le calme de cette

nuit d’hiver sous la caresse irritante de la bise, idées et souve-

nirs effleuraient son âme sans presque s’y poser.

Une horloge tinta : ce bruit suffit à mettre en fuite tous ses

rêves. Le passé se plaît à rôder dans le silence, mais rien n’évo-

que plus insolemment le présent que le rappel inopiné de

l’heure.

– Allons, bon, fit-il ! Minuit et demi, j’ai raté le dernier

tramway. Du diable si je trouve une voiture dans ce quartier

perdu !

Il pressa le pas. Le boulevard s’allongeait interminable,

bordé à gauche par des petits hôtels, à droite par la masse ar-

rondie des fortifications. De loin en loin, des becs de gaz jalon-

naient le trottoir. C’était tout ce qui semblait vivre sur cette voie

parmi les maisons endormies, les monticules de gazon, et les

arbres sans feuilles où la nuit ne mettait même pas un frisson.

Ce calme absolu, ce silence total, avaient quelque chose

d’énervant. En passant près d’un bastion occupé par des gen-

darmes, Onésime Coche ralentit son allure, et jeta un coup d’œil

dans la guérite du factionnaire. Elle était vide. Il longea le mur.

Derrière les grilles, la cour s’étalait toute blanche, d’un blanc sur

qui les cailloux mettaient de place en place la tache noire de leur

petite ombre. Des écuries, venait un raclement de chaînes et le

piaffement maladroit d’un cheval embarré.

– 6 –

Ces vagues bruits dissipèrent complètement l’espèce d’an-

goisse qui ne l’avait pas quitté depuis qu’il s’était mis en route :

Onésime Coche, rêveur, poète, s’était évanoui ; il ne restait plus

qu’Onésime Coche, reporter infatigable, toujours prêt à boucler

sa valise, et à interviewer avec le même sans-gêne, le même sou-

rire, l’explorateur revenu du Pôle nord, ou la concierge qui

« croyait avoir vu passer l’assassin »…

Sa cigarette s’était éteinte. Il en tira une autre de sa poche,

et s’arrêta pour l’allumer. Il allait repartir, quand il vit trois om-

bres qui se glissaient le long des grilles, et qui venaient vers lui.

En tout autre moment, il n’eût pas même tourné la tête. Mais

l’heure tardive, le quartier désert, et un instinct bizarre retinrent

son attention. Il recula dans l’ombre, et, caché derrière un ar-

bre, regarda.

Dans la suite, il se souvint qu’en cette seconde, qui devait

être décisive dans sa vie, ses sens avaient pris une acuité

étrange : Ses yeux fouillaient la nuit, y découvrant mille détails.

Son oreille distinguait les moindres froissements. Bien qu’il fût

brave, et même téméraire, il mit la main sur son revolver, et

éprouva, à en caresser la crosse, une sécurité joyeuse. Mille pen-

sées confuses traversèrent son cerveau. Il aperçut nettement des

choses qui, depuis des années, dormaient en lui. Pendant quel-

ques secondes, il comprit l’angoisse de l’homme en péril qui re-

vit, entre deux battements de son cœur toute sa vie, il connut

l’avertissement redoutable et précis du danger présent, immé-

diat, et cet effort désespéré de la machine humaine dont les

muscles, les sens et la raison, atteignent pour la défense de

l’être, le maximum de leur perfection.

Les ombres avançaient toujours, s’arrêtant net, puis repar-

tant, glissant par bonds successifs et rapides. Quand elles ne

furent plus qu’à quelques pas de lui, elles ralentirent leur

course, et s’arrêtèrent. Alors, sous la lumière du bec de gaz, il

– 7 –

put les étudier tout à son aise, et suivre leurs moindres mouve-

ments.

Il y avait une femme et deux hommes. Le plus petit tenait

sous le bras un paquet volumineux enveloppé de chiffons. La

femme tournait la tête de droite à gauche, l’oreille au guet.

Comme s’ils avaient craint que quelqu’invisible témoin pût les

deviner, l’homme au paquet bleu, et la femme reculèrent, afin

de sortir du cercle de lum ière. L’autre ne bougea pas tout

d’abord, puis fit un pas en avant, et, les mains sur les yeux, s’ap-

puya au bec de gaz. Il avait vraiment, un aspect sinistre avec sa

face blême, ses joues creuses, ses larges mains crispées sur son

visage, ses cheveux noirs dont une mèche retombait, luisante,

sur le front. Entre ses doigts, du sang avait coulé, accrochant un

mince caillot à la moustache et à la lèvre, et descendant le long

du menton et du cou jusqu’au col de la veste.

– Eh bien, fit la femme à mi-voix, qu’est-ce que tu attends ?

Il grogna :

– J’ai mal, bon Dieu !

Elle se dégagea de l’ombre, et vint à lui. Le petit homme la

suivit, posa son paquet à terre et murmura, avec un haussement

d’épaules :

– C’est pas malheureux de se dorloter pour ça !

– Je voudrais bien te voir ! si tu étais arrangé comme moi !

tiens regarde.

Il écarta ses mains aux paumes rougies, et, parmi les che-

veux collés, une balafre apparut, effroyable, barrant son front de

gauche à droite, d’un grand sillon aux bords saignants et au

fond rosé, déchirant le sourcil et la paupière si noire et tuméfiée,

– 8 –

qu’elle laissait à peine deviner entre deux battements, un peu

d’une chose sanguinolente aussi, qui était l’œil.

La femme, pitoyable, prit son mouchoir, et doucement,

épongea la blessure. Puis, comme le sang un instant coagulé se

remettait à couler, elle enleva quelques chiffons du paquet pour

recouvrir la plaie. Le blessé, grinçant des dents, tapant du pied,

tendait sa face de brute. L’autre grogna :

– Tu vas pas défaire mon colis ?

– Non, mais des fois ?… fit la femme en détournant la tête,

les mains toujours sur les yeux du blessé.

Le petit se mit à genoux et referma le ballot tant bien que

mal, tordant un objet doré qui dépassait, puis se releva, son far-

deau sous le bras, et attendit. Seulement, quand l’homme à la

balafre fut pansé, et que la femme voulut essuyer ses mains à

son tablier, il lui dit, la regardant droit dans les yeux :

– À bas ! ça se lave, ça s’essuie pas ! compris ?

Le trio rentra dans l’ombre, et reprit sa route, rasant les

murs, sans un mot, fuyant sur la pointe des pieds. Une branche

d’arbre tomba en travers du trottoir sur leurs talons. Ils se re-

tournèrent d’un saut, poings ramassés et tête basse. Coche revit

une dernière fois les cheveux roux de la femme, la bouche tor-

due du petit et l’effroyable face à demi cachée par les linges ma-

culés de sang, après quoi ils se jetèrent de côté, gagnèrent le ga-

zon des fortifications et se perdirent dans la nuit.

Alors Coche qui durant un moment s’était dit : « S’ils

m’aperçoivent, je suis un homme mort », respira largement,

lâcha son revolver que ses doigts n’avaient cessé de tâter pen-

dant toute la scène, et, sûr d’être bien seul se prit à réfléchir.

– 9 –

Tout d’abord, il songea que son ami Ledoux avait raison, en

lui disant que le quartier n’était pas sûr, et il ajouta une formule

qu’il avait si souvent écrite à la fin de ses articles :

« La police est bien mal faite. »

Il décida donc de gagner le milieu de la chaussée et de se

hâter jusqu’à l’avenue Henri-Martin.

Pourquoi ? pour le seul plaisir, sans profit et sans gloire, se

faire donner un mauvais coup ? Mais, il n’avait pas fait quatre

pas, que son instinct de reporter, de policier amateur, reprit le

dessus, et qu’il s’arrêta net :

« L’estimable trio avec lequel j’ai fait connaissance venait,

se dit-il, de faire un mauvais coup. Quel genre de mauvais

coup ? Attaque à main armée ? simple cambriolage ?… La bles-

sure de l’un me ferait pencher en faveur de la première hypo-

thèse… mais le paquet volumineux que portait l’autre m’oblige à

m’arrêter à la seconde. Des rôdeurs qui dévalisent un passant

attardé ne trouvent guère sur lui que de l’argent, voire des titres,

des bijoux, dont l’ensemble ne saurait constituer un chargement

bien encombrant. L’usage n’a pas encore pénétré dans nos

mœurs, de se promener la nuit, avec de l’argenterie, des bibe-

lots. Or, si j’ai bien vu, le paquet renfermait des objets de métal.

Pour que je commette une erreur sur ce point, il faudrait que

mes oreilles fussent aussi imparfaites que mes yeux, car j’ai dis-

tingué un cadran de pendule, et j’ai entendu, lorsque l’homme a

déposé son fardeau, un tintement semblable à celui que produi-

raient des couverts entrechoqués. Quant à la blessure… Dispute

et rixe pour le partage du butin ?… Chute contre un corps dur et

tranchant, marbre de cheminée, porte garnie de glaces ?… C’est

possible… En tous cas, le cambriolage paraît évident… Alors ?

Alors, il y a deux écoles : ou bien retourner sur mes pas à toute

vitesse, et tâcher de retrouver la piste des gredins, ou m’efforcer

de découvrir la maison à qui ils ont rendu visite.

– 10 –

« Or, j’ai perdu dix bonnes minutes, et maintenant mes

gaillards sont loin. En admettant même que je les retrouve, seul

contre trois, je ne pourrais rien. Leur capture, au demeurant,

n’est point de mon ressort : Nous payons des agents pour cela.

Tandis que, découvrir la maison mise à sac, voilà qui est en véri-

té digne de tenter ma fantaisie d’amateur. Nul avant moi n’a eu

connaissance du vol. Je sais exactement d’où venait le trio. Mon

regard porte bien à trois cents mètres malgré la nuit : c’est à

cette distance environ que les ombres me sont apparues : De-

puis la seconde où je les ai vus, les deux hommes et la femme ne

se sont pas arrêtés jusqu’au bec de gaz.

« Je peux donc franchir ces trois cents mètres sans m’oc-

cuper de rien, après quoi j’aviserai. »

Il se mit en marche, sans hâte, se retournant de temps en

temps pour juger la distance parcourue. Son pas pouvait être

d’environ soixante-quinze centimètres ; il compta quatre cents

pas et s’arrêta. À partir de ce moment, il était dans la zone

d’action possible. Si le vol avait eu lieu avant l’avenue Henri-

Martin, il avait la certitude de découvrir un indice. Il quitta la

chaussée, monta sur le trottoir, et suivit la grille de la première

maison. Il atteignit ainsi une petite porte fermée. La maison

était au fond du jardin ; derrière les volets clos il y avait de la

lumière. Il ne s’attarda pas davantage, et poursuivit son chemin.

Partout le même calme, nulle trace d’effraction. Il commençait à

désespérer de rien découvrir, quand, ayant posé sa main contre

une porte, il la sentit céder sous sa pression et s’ouvrir.

Il leva les yeux. La maison était obscure, silencieuse, et ce

silence lui parut étrangement profond. Il haussa les épaules et

murmura :

« Qu’est-ce que je vais chercher ? Quel mauvais tour me

joue mon imagination à l’heure où j’ai besoin de tout mon sang-

– 11 –

froid ?… pourtant par quel hasard, cette porte n’est-elle pas

fermée ? »

La porte avait tourné complètement sur ses gonds. Il voyait

le petit jardin aux plates-bandes bien soignées, la terre ratissée

avec soin, et le sable blond de l’allée qui semblait d’or sous la

caresse de la lune. Une hésitation le gagnait maintenant, si forte

qu’il décida de continuer son chemin… Tout cela n’était sans

doute qu’un roman. Ces rôdeurs étaient peut-être de braves ou-

vriers regagnant leur demeure… et que des malandrins avaient

attaqués… Qu’avaient-ils dit, en somme, qui pût donner corps à

ses soupçons ? Leur allure était louche, leurs visages sinistres ?

Mais lui-même, dans la nuit, apparaissant brusquement ainsi,

ne serait-il pas effrayant ?…

Le drame se changeait peu à peu en vaudeville. Restait le

paquet… Et, s’il ne contenait qu’un vieux réveil et de la fer-

raille ?…

La nuit est une étrange conseillère. Elle met sur les objets

et sur les êtres des ombres fantasmagoriques que le soleil dis-

sipe en un instant. La peur, ouvrier diabolique, transforme tout,

bâtit de toutes pièces des histoires, bonnes pour les petits en-

fants. Nul ne sait à quelle seconde précise elle s’insinue dans le

cerveau. Elle y travaille depuis des minutes, des heures qu’on se

croit encore maître de sa raison. On pense : « Je veux ceci. Je

vois cela… » Déjà elle a tout bousculé en nous, elle s’est instal-

lée, souveraine. Ses yeux sont dans les nôtres, sa griffe frôle no-

tre nuque… Bientôt nous ne sommes plus qu’une loque orgueil-

leuse, et, tout d’un coup, un grand frisson nous prend et nous

secoue : Dans un effort désespéré nous essayons d’échapper à

son étreinte. Peine inutile : les plus braves s’avouent vaincus les

premiers. C’est la minute trouble où l’on murmure la phrase

redoutable : «J’ai peur !…» Mais depuis des heures on claquait

des dents sans oser s’en rendre compte.

– 12 –

Onésime Coche recula d’un pas, et dit à haute voix :

– Tu as peur, mon garçon.

Il attendit, cherchant à démêler l’impression exacte que ce

mot allait faire sur lui. Pas un muscle de son corps ne tressaillit.

Ses mains restèrent immobiles dans ses poches. Il n’eut même

pas cet étonnement fugitif qu’on ressent à entendre résonner sa

propre voix dans le silence. Il regardait toujours droit devant

lui, et, soudain, il tendit le cou : Dans le sable jaune de l’allée

des traces lui étaient apparues, qu’une ombre mince découpait,

empreintes de pas, nettes ici, déjà recouvertes par d’autres em-

preintes. Il revint jusque sous la porte, se baissa et prit dans sa

main un peu de sable : C’était un sable sec, au grain très fin et si

léger que le moindre souffle devait le déplacer. Il entr’ouvrit les

doigts et le vit retomber en une poudre claire. Alors, brusque-

ment, tous ses doutes s’évanouirent avec toutes ses théories sur

la peur et les images fantastiques qu’elle suggère. Jamais son

esprit n’avait été plus lucide, jamais il ne s’était senti plus calme.

Son cerveau travaillait comme un bon tâcheron qui abat sa be-

sogne et qui, ayant frappé son dernier coup de marteau, prend

la pièce achevée et, le poing tendu, l’élève satisfait à hauteur de

son œil.

Il se ressaisit, ramassa ses idées confuses. Tout ce qui pen-

dant un moment lui avait semblé chimérique lui apparut de

nouveau plus que vraisemblable, vrai. Une certitude faite d’indi-

ces précis l’envahit. Il abandonna les hypothèses pour des faits

contrôlables que son imagination ne pouvait plus travestir. De

déductions en déductions – logiques, cette fois – il en arriva au

point exact d’où il était parti sur une simple impression :

Des pas avaient foulé le sable de l’allée et l’avaient foulé ré-

cemment, car le vent, si léger qu’il fût, n’eût pas manqué d’effa-

cer les empreintes si elles avaient été anciennes. Les hommes et

la femme avaient passé là. Nul autre qu’eux n’avait franchi le

– 13 –

seuil de cette maison. Le mystère entrevu dormait derrière ces

murs silencieux, dans l’ombre de ces pièces aux fenêtres closes.

Une force invisible le poussa en avant.

Il entra.

D’abord, il avança avec précaution, évitant de poser ses

pieds sur les traces de pas. Bien qu’il sût que la moindre brise

dût les effacer, il y attachait trop d’importance pour les détruire

lui-même. Les cambrioleurs avaient laissé, sans s’en douter,

leur carte de visite : le plus maladroit policier de province n’eut

pas manqué de la respecter, et d’en faire état, dans la suite. Il se

souvint de mille causes sensationnelles où des indices bien plus

faibles avaient facilité les recherches. L’aventure de ce criminel

retrouvé à plusieurs années de distance grâce à une bottine ou-

bliée revint à sa mémoire, et il s’émerveilla de ce que son esprit

fût si lucide et si prompt après les doutes de la minute précé-

dente. La raison avait fait place à une sorte d’instinct supérieur

qui guidait, non seulement ses déductions les plus audacieuses,

mais ses moindres gestes. Il arriva ainsi, ayant à peine fait dix

pas, à la porte de la maison. Lui que, tout à l’heure, l’apparition

d’une ombre, d’une trace, troublait au point de le faire hésiter ;

lui, qui n’avait osé, durant un long moment, formuler ses dou-

tes, il n’éprouva pas la moindre surprise de ce que la porte s’ou-

vrît lorsqu’il en tourna le bouton. Logiquement, pourtant, il

était bien plus naturel qu’on eût omis de refermer la grille que la

porte d’entrée : la grille n’offrait qu’un mince obstacle aux rô-

deurs ; le premier venu pouvait sans effort se hisser sur le mur

d’enceinte, franchir les courtes piques de fer et retomber sans

bruit dans le jardin, tandis que la porte même de la maison était

une barrière assez sérieuse pour qu’on n’omit pas de la fermer

avant de s’endormir. Ce raisonnement simple ne l’effleura

même pas, non plus que l’inquiétude d’être pris lui-même pour

un cambrioleur et reçu comme tel.

– 14 –

Cependant, lorsqu’il entendit son talon résonner sur les

dalles du corridor, il s’arrêta, imperceptiblement. Il chercha une

allumette dans sa poche : la boîte était vide. Il murmura : « Tant

pis », retira son revolver de sa gaine et tâtonna, la main grande

ouverte, guidé seulement par le contact du mur très froid, hu-

mide et qui collait aux doigts. Brusquement il perdit ce contact,

et sa main s’agita dans le vide. Il avança un pied, puis l’autre,

heurta un objet qui rendit un son moins rude que celui des dal-

les. Il se baissa, explora l’ombre les paumes en avant, sentit une

marche et un petit tapis dont le velouté lui fut agréable après

l’humidité du mur. Il se redressa et toucha la rampe; le bois

craqua. Sans presque se rendre compte comment, sans chercher

à savoir pourquoi il montait au premier étage plutôt que de visi-

ter le rez-de-chaussée, il s’engagea dans l’escalier. Il compta

douze marches, trouva un petit palier, explora le mur : Toujours

la pierre lisse. Il monta encore, compta onze marches, après

quoi son pied ne fût arrêté par rien : La route était libre. Il

s’agissait maintenant de s’orienter et, avant tout, sous peine de

se faire tuer, d’annoncer sa présence.

Le sommeil du ou des locataires de la maison devait être

bien profond pour qu’ils ne l’eussent pas entendu marcher.

L’escalier avait plus de vingt fois crié sous ses pas. La porte,

malgré toutes les précautions, avait grincé quand il l’avait fer-

mée. Qui sait si, derrière une cloison, un homme ne l’attendait

pas, le revolver au poing prêt à faire feu ? À ce jeu il ne risquait

rien de moins qu’une balle dans le corps. Il dit donc à mi-voix,

pour n’effrayer personne :

– Quelqu’un ?…

Pas de réponse. Il répéta, un peu plus fort :

– Il n’y a personne ?…

Après un temps, assez court, du reste, il ajouta :

– 15 –

– N’ayez pas peur ; ouvrez…

Pas de réponse.

– Diable, pensa-t-il, on dort là-dedans ! Ce détail que je ne

prévoyais pas va compliquer ma tâche. Je ne veux pourtant pas

me faire estropier par amour de l’art.

Il réfléchit une seconde, puis dit, à voix tout à fait haute,

cette fois :

– Ouvrez ! c’est la police.

Ce mot le fit sourire. D’où lui était venue cette idée d’an-

noncer qu’il était « La Police » ?… Onésime Coche policier !

Onésime Coche, sans cesse occupé à collectionner les maladres-

ses de la Préfecture, à railler ses agents, amené à s’affubler de

leur titre, voilà qui était drôle ! La police (et du coup il se mit à

rire franchement) ne pensait guère à lui, ni aux cambrioleurs ! À

cette heure, de loin en loin, deux sergents de ville somnolents se

promenaient dans les carrefours paisibles, le capuchon levé, les

mains aux poches. Dans les postes, auprès du poêle qui ronflait,

parmi l’odeur des pipes, du plâtre chauffé, du drap mouillé et du

cuir, des agents, à cheval sur un banc de bois, jouaient à la ma-

nille avec des cartes grasses et si rugueuses que le papier se rou-

lait sous le doigt, attendant pour le passer à tabac, le pochard

attardé ou le laitier surpris en train de baptiser sa marchandise :

La Police ? C’était ça. Onésime Coche, lui, était ce qu’elle devrait

être : le gardien vigilant et fidèle, adroit et résolu, capable de

veiller sur la sécurité des habitants. Quel parallèle ! Quelle leçon

et quels enseignements !… Il voyait déjà l’article qu’il écrirait le

lendemain, et se réjouissait en songeant à la tête des agents de

la Sûreté. Lui, simple journaliste, allait leur apprendre leur mé-

tier ! L’article aurait un titre sensationnel, un chapeau savant,

des sous-titres imprévus… Quel papier !…

– 16 –

Mais ce mot magique « La Police » demeura sans écho

comme les autres. Pas un murmure ne troubla la majesté du

silence. Coche pensa que son truc ne valait rien, que le danger

demeurait pareil. Une chose cependant le rassura. Ses yeux ha-

bitués à l’obscurité distinguaient peu à peu les objets. À quel-

ques pas de lui, il aperçut une vague lueur. En déplaçant la tête,

il remarqua que cette lueur éclairait un peu le plancher. Il avan-

ça et se trouva devant une fenêtre. Un rayon de lune glissait en-

tre les volets clos. Par les fentes des persiennes il vit une petite

bande du jardin, et, une autre bande un peu plus sombre qui

devait être le boulevard. Il ne s’attarda point à goûter le charme

du clair de lune et du ciel piqué d’étoiles. Rien ne convenait

moins à sa nature violente, à son tempérament de combat, que

le silence, les gestes lents et les précautions sans fin. Tour à tour

il avait été patient, sournois, timide, presque poltron… Mais

tout a une fin : il était entré dans cette maison pour savoir : il

saurait.

Il fit donc demi-tour, plaqua sa main sur la muraille, et

ayant rencontré sous ses doigts une porte, en saisit le bouton, le

tira à lui, afin qu’on ne pût l’ouvrir sans effort de l’intérieur et

cria, plutôt qu’il ne dit :

– Pour Dieu ! n’ayez pas peur et ne tirez pas !

Il compta jusqu’à trois et ne recevant pas de réponse, ou-

vrit violemment. Il s’attendait à éprouver de la résistance : au

contraire, emporté par son élan il tomba la face en avant, et se

heurta le front. Dans le geste qu’il fit pour se retenir, il accrocha

une chaise qui bascula sur le plancher avec un grand bruit.

– Cette fois, se dit-il, avec un vacarme pareil, on va m’en-

tendre, enfin !…

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Mais, quand le fracas du meuble renversé eut cessé de re-

bondir dans la maison, pas une voix ne s’éleva, pas un murmure

ne traversa la nuit, pas un souffle ne le fit tressaillir.

– Allons, pensa-t-il, les cambrioleurs étaient plus forts que

moi. La cage était vide, et ils le savaient, les bougres ! Ils ont

travaillé tout à leur aise, et n’ont même pas éprouvé le besoin,

ouvriers méthodiques, de refermer les portes derrière eux. Voilà

pourquoi je suis entré si aisément.

Un commutateur électrique se trouvait sous ses doigts : il

le tourna. Une lumière flamba, éclairant une pièce assez vaste,

et quand ses yeux, une seconde surpris et clignotants, purent

regarder, ce fut pour voir un spectacle à la fois si imprévu et si

horrible qu’il sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, et qu’il

étouffa mal un hurlement d’épouvanté.

La chambre était dans un état de désordre insensé. Une

armoire ouverte montrait des piles de linge bousculées, des

draps pendants, comme arrachés et maculés de taches rouges.

Des tiroirs béants on avait retiré des papiers, des chiffons, de

vieilles boites qui jonchaient le plancher. Près d’un rideau, sur le

mur tendu d’étoffe claire, une main s’étalait, toute rouge, les

doigts ouverts. La glace de la cheminée fendue dans toute sa

hauteur était crevée en son milieu, et des débris de verre étince-

laient sur le plancher. Sur la toilette, parmi des enveloppes

froissées, des bouts de linges et de corde traînaient ; la cuvette

remplie d’une eau rouge avait débordé, et des flaques de même

couleur éclaboussaient le marbre blanc. Une serviette tordue

portait les mêmes traces : tout était saccagé, tout était rouge.

Les pieds, en se posant sur le tapis, faisaient un bruit semblable

à celui du sable mouillé qu’on piétine sur les plages à la marée

montante ; enfin, sur le lit, rejeté en travers, les bras en croix,

serrant un goulot de bouteille dont les éclats lui avaient entaillé

la main, un homme était étendu, la gorge ouverte de l’oreille

gauche au sternum, par une effroyable blessure d’où le sang

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avait rejailli sur les oreillers, les draps, les murs et les meubles

en une giclée violente. Sous la lumière crue, dans l’horrible si-

lence, cette chambre où tout était rouge, où partout le sang avait

collé ses taches, n’avait plus l’air d’une chambre, mais d’un

abattoir.

Onésime Coche embrassa tout cela d’un seul regard, et son

épouvante fut telle qu’il dut d’abord s’appuyer au mur pour ne

pas tomber, puis faire appel à toute son énergie pour ne pas

fuir. Une bouffée de chaleur lui monta au visage, un grand fris-

son le secoua et une sueur glacée se répandit sur ses épaules.

Par curiosité, par hasard ou par profession, il lui avait été

donné de contempler bien des spectacles effrayants : jamais il

n’avait éprouvé une angoisse pareille, car, toujours, jusqu’ici, il

savait ce qu’il allait voir ou du moins il savait « qu’il allait voir

quelque chose ». Puis, pour soutenir son courage, pour vaincre

son dégoût, il avait eu le voisinage d’autres hommes, ce coude à

coude qui rend braves les plus peureux. Pour la première fois il