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Afin de jeter les bases d’une mission rationnelle visant à élucider un étrange événement survenu à bord d’un navire emblématique de la Marine nationale française, le directeur de la DGSE et son agent principal ont pris la décision de mettre en place une opération. Nom de code : « New Flanc Wave System ».
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir brillé dans le domaine de la restauration et la création de vitraux, Patrice Bovin a choisi de laisser libre cours à son imagination en se plongeant dans l’univers de l’espionnage, du renseignement et du contre-espionnage. Sa carrière s’est transformée en une nouvelle aventure, celle de l’écriture de romans captivants d’espionnage.
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Seitenzahl: 690
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Patrice Bovin
L’espion du SNLE
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrice Bovin
ISBN : 979-10-422-0672-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Roman d’espionnage
Série : Lazare Lambert alias S.E.99
Les vitraux de cuba (French édition), Édition Kindle, février 2018
Decoding for S.E.99, (French édition) Édition Kindle,septembre 2020
Los vitrales habaneros, (Spanish édition) Édition Kindle,juin 2021
Decryption for the spy, (English édition) Édition Kindle,janvier 2022
En raison du caractère d’actualité de cet ouvrage, je tiens à préciser que toute ressemblance entre certains personnages présentés ici et des personnes vivantes ou ayant vécu ne pourrait être que le fait d’une coïncidence.
Pareillement, pour l’interprétation de certains événements qui sont du domaine de l’information ; ne relève que de la pure fiction romanesque, et dans un esprit inventif.
Par conséquent, je décline toute responsabilité à cet égard.
Ce roman n’est pas un documentaire de l’actualité, ni historique, ni politique, ni autobiographique.
Je rappelle encore qu’il s’agit tout simplement ici, d’une œuvre de création et de simple imagination.
Patrice Bovin
Tant qu’il y aura des hommes et des femmes sur Terre, l’espionnage durera.
Sanctus Mattheus finis terræ
Brest, la grande ville la plus à l’ouest de l’hexagone, ou, « fin de la terre ».
1er juin 1992
Depuis très longtemps, le Finistère était habitué, tout comme à Cherbourg et à Toulon, à assister aux lancements des fleurons de la Marine française. Mais, pour le départ officiel du « Gloire S626 », ce n’était pas vraiment la même histoire. Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins était tenu au secret le plus strict pendant sa construction dans la rade de Brest sur la base navale de l’île Longue.
Pour ce SNLE de nouvelle génération, aucune manifestation, ni aucune inauguration, n’était prévue. Pourtant, sa construction était terminée et ça avait demandé des années avec beaucoup de milliards. Tout son équipement était enfin au complet ; il fallait le pousser à l’eau, surtout que derrière, il y avait un autre SNLE qui commençait à faire parler de lui, et dont cette fois une planification était lancée pour l’année 1994, la base navale était donc en pleine effervescence.
Le maître du navire était le Commandant Reynaud, un solide gaillard d’une cinquantaine d’années aux tempes grisonnantes et au faciès plutôt jovial. Officier depuis longtemps dans la marine nationale française, il n’en était pas à son premier sous-marin et cette fois-ci, l’État-major militaire venait de lui confier le commandement du S626 d’une longueur assez impressionnante de 138 mètres pour une largeur de 12,50 mètres et d’un tonnage de 14 200 tonnes en plongée dont l’immersion maximale était aux alentours de 1000 mètres. Au niveau de sa motorisation, c’était une pointure nucléaire qui n’avait que très peu d’égal parmi tout un monde sous-marinier. Quant à son équipage, hautement qualifié, le submersible disposait de 114 hommes : 14 officiers, 80 sous-officiers mariniers, 12 quartiers-maîtres et 8 matelots de 1ère classe. À bord, le Commandant Reynaud devait donc gérer les manœuvres avec son second dans une équipe rouge, et lui-même, avec un équipage bleu. Mais le grand « Pacha », celui qui avait pour mission de mener quelque part l’énorme squale noir dans les eaux profondes des océans, était bien le Commandant Charles Reynaud, qui était en principe le seul homme à bord à détenir le protocole de l’Amirauté et du Président français.
Informés très tôt, tout le monde était présent en tenue d’appareillage. Les vivres pour 6 mois étaient déjà chargés dans les congélateurs et les compartiments à conservation. Les missiles et les torpilles étaient en place, le commandant reçut l’ordre de lâcher son monstre d’acier rempli de technologies secrètes.
Déjà, l’équipage était à son poste et chaque membre se tenait silencieux, les hommes attendaient les ordres.
Il était minuit quand enfin, l’énorme cylindre sombre se détacha de ses amarres. Aussitôt, toutes les lumières s’éteignirent dans la base secrète. Puis, un gigantesque portail blindé s’ouvrit devant lui et le submersible avança lentement dans un silence de mort.
Pour sortir de la rade de Brest, ce n’était pas compliqué, les officiers étaient tous passés par les entraînements obligatoires et les nombreux essais techniques, les contrôles et qualifications diverses pour être sélectionné au prochain départ. Tous engagés dans la Marine nationale, les hommes du S626 aimaient la mer, même dans le ventre aseptisé du sous-marin.
Les premiers officiers de quart, autorisés à rester dans le poste central, entendirent le pacha donner ses ordres pour sortir de la passe noire et brumeuse de Brest. La manœuvre portuaire fut aisée, et seul le kiosque du S626 apparut encore en s’éloignant progressivement de l’île Longue.
Bientôt, il dépassa la Pointe des Espagnols, puis le Fort des Capucins et il laissa par son tribord la Pointe de Saint-Mathieu. Mais avant de faire immersion totale dans les eaux obscures de l’Océan Atlantique, le Commandant Reynaud tenait à réunir ses principaux officiers sur le pont du submersible géant. En quelques secondes, ils s’alignèrent systématiquement pour écouter ce que le pacha avait à leur dire, mais juste avant, il leur demanda de se resserrer pour mieux entendre. Dans la nuit noire, les hommes se voyaient à peine et avec le clapot des vagues sur la coque, il valait mieux contenter tout le monde. Il salua et dit :
— Officiers du Gloire ! Je n’ai rien d’exceptionnel à déclarer, mais je tenais à vous dire l’honneur que vous me faites en naviguant sur ce nouveau sous-marin. L’État-major m’a indiqué les premières consignes de route et si tout se passe comme attendu, nous devrons cohabiter pour le meilleur et peut-être pour les six mois à venir. Donc, chers sous-mariniers, je compte sur vous pour un professionnalisme d’exception. Beaucoup d’entre vous ont déjà navigué avec moi et n’ont aucun doute de la fierté que j’ai à servir la France. Maintenant, vous l’aurez tous compris, le S626 doit rester invisible le plus longtemps possible dans toutes les mers du monde. Si ce SNLE est une pointure nucléaire, nous ne partons pas pour faire la guerre, mais pour l’éviter, c’est avant tout un sous-marin de dissuasion, même s’il n’a aucune immatriculation sur ses flancs. Alors messieurs, je vous dis « Bon vent », même si nous ne le ressentons que très rarement. Je vous invite désormais à rejoindre vos postes... Merci !
Un officier contrôla le retour et l’intégralité des hommes vers le kiosque. Le commandant jeta un dernier coup d’œil vers les lumières de la ville de Brest, il descendit dans la superstructure d’acier, son second s’engouffra aussitôt derrière lui pour demander la fermeture étanche du navire.
À peine deux minutes plus tard, le pacha ordonnait l’immersion à 50 mètres, la navigation au 2.7.0, la vitesse à 15 nœuds. Quelques heures plus tard, le sous-marin nucléaire était en plein océan, le commandant, sans peut-être s’en rendre compte, épiait un à un ses officiers irréprochables dans leur comportement et dans leur fonction, à commencer par les préposés aux différents sonars, à l’analyste en guerre acoustique et ceux aux radars électroniques. Tout allait pour le mieux, cette fois-ci, il ordonna de gouverner au 3.6.0, d’appliquer une profondeur à 75 mètres et d’augmenter la vitesse à 20 nœuds. À partir de là, les officiers du poste central connaissaient un premier cap de direction.
« Plein nord » voulait dire la mer de Norvège. S’il avait voulu se diriger vers la mer du Labrador, le commandant aurait dit de faire cap au 3.1.5 Nord-Ouest.
Encore quelques heures plus tard, le Gloire-S626 passait lentement entre l’Islande et le sud du Groenland. De cette position, à peine éloigné des côtes nord de l’Islande, le pacha demanda le Nord Est au 0.4.5. Cette fois, ça sentait bon la mer de Barents.
Les heures puis les jours commencèrent à défiler dans les entrailles du SNLE. Les appareils de détection fonctionnaient parfaitement de ce côté du globe, mais le fond de la mer devenait de plus en plus chargé en sons acoustiques. La détection sonore et la lutte anti-sous-marine efficace au maximum ; les sous-mariniers n’avaient pas grand-chose de tactique à se mettre sous la dent, à part quelques navires de surface identifiés comme des porte-conteneurs, des chalutiers de haute mer, ou bien des clics et codas des cachalots. Bien sûr, de nombreux sous-marins amis ou ennemis étaient présents dans la mer de Barents, mais identifier assez facilement par l’oreille d’or du submersible français. Le moindre bruit était enregistré et analysé informatiquement à la seconde près. Du coup, le Commandant Reynaud se sentait aussi serein que son second ainsi que tout l’équipage, l’entente était parfaite. Seulement, quelque chose avait échappé aux officiers du magnifique SNLE. Pratiquement au départ dans la rade de Brest, une chose impensable s’était produite. Une chose invisible non contrôlée s’était pourtant manifestée autour du S626 au moment où il était encore en surface.
Un mini submersible ou petit drone marin, avec bras télescopique, s’était approché, avait calqué sa vitesse sur celle du S626. Forcément, la commande téléguidée de cet engin était ailleurs, peut-être même pas très loin. En tout cas, il avait déposé sur la coque anéchoïque du bâtiment nucléaire une fine plaque assez souple d’environ 40 sur 30 centimètres. Ce dispositif à système électrolyse léger et totalement silencieux ne s’était pas tout simplement collé, mais, soudé directement sur la coque et, pratiquement au centimètre près à l’endroit de l’antenne de flanc bâbord du SNLE : une opération injouable d’après les spécialistes.
Très vite, le petit espion mécanisé s’était éloigné du gigantesque cylindre noir et avait rejoint son maître, à moins que ce dernier ne l’ait rapidement détruit afin d’éviter toutes preuves.
Et tout ceci s’était passé précisément pendant le petit discours du Commandant Reynaud à ses officiers pendant qu’ils étaient encore sur le pont. Très étonnant ! C’était même quelque chose de très ennuyeux, voire de très dangereux pour le fleuron secret de la Marine française. De toute façon, même si les techniciens aux sonars, aux radars et à l’acoustique ne s’étaient pas absentés quelques instants sur invitation du pacha, ils n’auraient rien vu ni entendu, parce que le petit drone marin était totalement indétectable et de très haute technologie encore inconnue.
Jusque-là, ce n’était pas bien grave, l’engin n’avait manifesté aucune agression, il s’était contenté uniquement de déposer son étrange plaque adhésive conçue dans le même revêtement que le S626. Même en cale sèche, il aurait été bien difficile de repérer cette anomalie, à moins d’avoir les yeux posés directement dessus.
En revanche, quand le « Gloire » avait longé en profondeur les côtes ouest de l’Islande ; une émission, un contact, ou carrément une vraie transmission, s’était déclenchée latéralement vers les côtes Est du Groenland. Pourtant, la distance à cet endroit à vol d’oiseau était d’environ 1240 kilomètres et si c’était le traitement d’un signal ou d’une communication quelconque, il fallait quand même une certaine puissance. Le moins drôle de l’histoire était qu’il n’y avait aucune infrastructure ni aucune habitation à cet endroit sur la côte groenlandaise. Plutôt bizarre !
Seulement, le satellite militaire qui passait et repassait justement à l’aplomb du détroit de Danemark avait tout enregistré y compris ces étranges ondes électromagnétiques. Du coup, quelque part, dans un bureau d’État-major ou une agence de renseignements quelqu’un s’était penché sur ce sujet suffisamment sérieux pour être examiné à la loupe. Ce phénomène venait d’où, et de qui ?
Rapidement, les recoupements sur les activités maritimes de surface ne mettaient aucun navire en cause, il fallait donc y voir très clair, le problème ne pouvait venir que d’un sous-marin. Et, lequel ? À Brest, l’Amiral des marines militaires commença une enquête très précise sur la zone indiquée par le satellite, et très vite, ce fut le Gloire-S626 qui posait le problème. Les cartes et les ordinateurs parlaient. Pour le moment, le Président français n’était pas encore au courant, mais à l’Amirauté, ça s’activait dare-dare, l’information était importante et elle devait endosser un maximum de contrôles avant d’être divulguée. Et ça tomba comme un coup de fouet chez les officiers, les émissions totalement inexpliquées partaient bel et bien du S626 français. Sa position au moment où il était passé entre l’Islande et le sud Groenland ne faisait aucun doute. Les relevés du satellite n’étaient même pas à remettre en question. Alors les interrogations arrivèrent aussitôt : pourquoi ? Les autres suivirent : comment et à qui le Commandant du S626 envoyait des signaux ? Ça devenait complètement absurde parce que son protocole de bord n’indiquait rien de ce genre. Du coup, il devenait urgent de connaître comment le SNLE fraîchement sorti de sa base ultra-secrète et nullement répertorié sur les tablettes marines s’était fait repérer. Dans ces conditions, l’obligation de joindre le sous-marin avec le système de communication satellite devenait très urgente.
Entre-temps, le Président de la République avait été informé, mais il déléguait le boulot à l’Amiral. Ce dernier n’avait aucun soupçon sur le Commandant Reynaud et l’équipage qu’il venait lui-même d’envoyer en mission. Enfin, le pacha du S626 reçut le message crypté de la base navale, il en informa aussitôt son second, et ensemble, ils décidèrent de l’avenir.
Les deux officiers étaient sûrs d’eux, jamais ils n’avaient fait de signaux en direction du Groenland, l’équipage non plus. Une décision s’imposait, le pacha décida de stopper la progression de son navire vers le nord de la mer de Barents. Sa voix claqua dans le poste central :
— Coupez la propulsion !
Quant à faire surface, ou déclencher les puissants halogènes pour aller inspecter la coque, valait mieux oublier, c’était l’idée la moins bonne et la meilleure façon d’alerter un éventuel ennemi. À l’intérieur du submersible ; tous les hommes, du plus haut gradé jusqu’au simple matelot s’activaient pour trouver un incident technique, un défaut ou une simple panne mécanique qui aurait pu provoquer une fuite de rayonnements électromagnétiques. Là encore, c’était peu plausible.
Restait la sortie d’une équipe d’hommes-grenouilles par les tubes lance-torpilles. Ce qui fut fait rapidement, mais dans quelles conditions ? L’eau était tellement froide et bien trop sombre, il aurait fallu faire immersion totale pour arriver à inspecter la coque entièrement. Surtout que la fine plaque en question épousait parfaitement les flancs du sous-marin, avec un revêtement noir et identique dans sa conception. L’unité de combat rentra bredouille sur l’insistance et les ordres du commandant. R.A.S !
Mais ce n’était pas suffisant, le commandant de l’équipe rouge suggéra de reprendre le cap au sud. Le pacha comprit l’idée qui était de contourner l’Islande, de repasser dans le même sens, pour replacer le S626 à l’endroit où il avait fait défaut. Le pacha accepta, ça faisait un paquet de milles à parcourir en plus, mais après tout, ils étaient en mer pour plusieurs semaines. Quelques moments de réflexion plus tard, le Commandant Reynaud dit au barreur :
— Machine en avant... gouvernez au 1.8.0... Immersion, 100 mètres... Vitesse, 15 nœuds et silence complet !
Enfin revenu au sud-Islande et Groenland, le Gloire réduisit sa propulsion, calqua la profondeur et le cap comme au premier passage pour revenir exactement à l’endroit où il était passé. Les techniciens étaient d’une extrême précision. Le pacha demanda de maintenir le cap en restant le plus près possible de l’Islande, et, très lentement, le S626 remonta vers le nord. Les yeux rivés sur les pupitres, le commandant et son second observèrent les coordonnées du GPS qui donnait :
66° 4’ 29. 561’’ N et : 23° 7’ 30. 245’’ W, qui correspondaient exactement avec les latitudes et longitudes de la ville de Isafjordur au nord de l’Islande. Bientôt, même avec une vitesse lente, ils allaient dépasser une deuxième fois le détroit de Danemark pour se retrouver très vite en mer de Norvège. Et, ce fut ce qui se passa tout à fait logiquement sans que les hommes du SNLE s’aperçoivent de quelque chose d’insolite. Que pouvaient-ils faire de plus ? Rien, sauf de continuer la navigation initiale. Mais, pour la deuxième fois, il fallait compter sur le satellite qui revenait à la même heure et qui détecta encore une forme d’émission partant de la côte Groenlandaise et allant tout droit sur le S626. Là, ça devenait grave. Surtout qu’au même moment, l’analyste acoustique, avec son casque bien rivé sur la tête, annonça assez calmement :
— J’ai des échos !
Quelques secondes passèrent, tout le monde le regardait en silence. Il reprit :
— Toujours des gargouillis, mais ça se précise ! C’est ça... un cinq pales ! Un sous-marin au 2.6.0 !
L’officier au radar annonça :
— Contact confirmé au 2.6.0, commandant !
Le Commandant Reynaud regarda de nouveau son technicien acoustique. Après quelques secondes de plus, ce dernier rajouta à sa détection :
— Submersible... non identifié !
Puis de nouveau, l’oreille d’or du SNLE :
— Je n’entends plus rien, commandant.
Le second du pacha dit à son tour :
— Merde, il nous file entre les pattes !
Ça s’était passé tellement vite, le commandant questionna ses officiers :
— Vous êtes sûr que c’était un sous-marin ?
L’officier aux écoutes répondit aussitôt :
— Aucun doute commandant c’était bien un sous-marin, et il a disparu en même temps que les échos.
Le Commandant Charles Reynaud attendit encore quelques secondes et demanda de réduire la vitesse au maximum. Ensuite, il souhaita faire une transmission par la bouée-satellite. À Brest, l’Amirauté attendait et craignait cet instant, l’échange d’informations se fit sans traîner et les ordres tombèrent :
— Retour à la base dans les plus brefs délais !
Pendant ce temps très incertain, un submersible inconnu, certainement celui qui se tenait tapi tout près des côtes Est du Groenland ; du moins, c’était ce qui semblait le plus logique, s’éclipsait ou reprenait une position invisible dans l’immensité glacée des fjords.
Du côté du sous-marin français : radars, ondes acoustiques et sonars n’indiquaient plus rien. C’était la stupéfaction qui régnait au poste central. Seulement quelques jours après leur départ de la base ; alors qu’ils devaient rester en mission plusieurs mois, on leur intimait de faire demi-tour. Pour la plupart des officiers et des matelots, c’était l’incompréhension totale et la douche glacée, mais les ordres étaient les ordres. En revanche, le pacha et son second dialoguaient un peu à l’écart, ils étaient d’accord sur un point, le problème venait bel et bien du S626 malgré les tests effectués sur celui-ci. Tous les systèmes ne détectaient le moindre dysfonctionnement. La question des deux officiers restait la même, un contact bizarre s’était produit en même temps que la rencontre d’un submersible fantôme...
Comment ça avait pu se produire techniquement et pour servir à quoi ?
À Brest, le retour du Gloire-S626 fut aussi discret que son départ. Sur ordre de l’Amirauté, la Navale avait très vite activé le chantier en cale sèche. Ça avait occasionné quelques jours de retard parce que l’engin suivant poussait déjà au portillon. Mais avec beaucoup d’expérience et une dextérité à toute épreuve, le monstre noir retrouva son carénage initial. Tout de suite, les experts, les ingénieurs et tous les techniciens qui avaient participé à la construction du bâtiment nucléaire furent invités ou réquisitionnés à participer à l’examen de la bête. Mais très vite, les responsables de la Navale se rendirent compte que ce n’était pas la peine de dépenser autant d’énergie. Dans la haute grue-nacelle, les hommes venaient de découvrir une anomalie. L’alerte fut donnée immédiatement à l’Amiral. Puis, dans l’intention de préserver le secret absolu, les entreprises officielles reçurent l’ordre d’abandonner le chantier. Seuls, deux ingénieurs furent autorisés à continuer l’inspection et à prendre des photos.
La coque du SNLE ne souffrait de rien. Pas de trace de collision, pas de perforation, pas de détérioration du revêtement anéchoïque, mais juste une empreinte bizarre au niveau de l’antenne de flanc bâbord du navire. Les clichés furent envoyés séance tenante à l’Amirauté. Ça ressemblait à une sorte de brûlure de 40 par 30 centimètres, pratiquement la taille d’une tuile anéchoïque de couleur noire. La coque était intacte au touché, le sous-marin aurait même pu reprendre la mer aussitôt l’expertise terminée, mais ce n’était pas aussi simple.
Ce que ne savaient pas pour le moment les experts responsables du projet S626 ; qui n’imaginaient pas non plus qu’un objet puisse être venu se coller à l’endroit précis du submersible, faisait du chemin et, était pourtant en train de naître dans leurs esprits. Fallait pousser l’enquête beaucoup plus loin. Du coup, le Gloire fut bloqué dans sa cale sèche ultra-secrète un bon bout de temps.
Désormais, l’expertise ne se faisait plus que sur grand écran dans le bureau du chef d’état-major de la Marine nationale. Toutefois, l’officier en grade était accompagné du commandant, de l’ingénieur et d’un expert. Le pacha du S626 ne savait que dire de son lanceur d’engins, il était complètement atterré par quelque chose dont il n’était coupable. Tous ensemble, ils avaient beau examiner l’étrange marque de long en large et de haut en bas, aucune hypothèse logique et rationnelle n’arriva à ressortir du bureau. Ils n’oubliaient pas non plus la détection-satellite du sous-marin flambant neuf. C’en était trop, l’Amiral commença à s’énerver, il congédia tout le monde. Le combiné du téléphone sécurisé lui sauta à l’oreille pour informer le Président de la République responsable de la force nucléaire et de la dissuasion. Quelques minutes plus tard, il l’avait en direct. Et, du Palais de l’Élysée, l’information arriva directement à la DGSE.
Depuis quelques jours, S.E.99 se la coulait douce à Moorea. Il s’appliquait « La vie heureuse » comme disaient toujours les Tahitiens. Il en était à sa énième plongée sous-marine dans le lagon bleu et il en profitait un maximum. Bien sûr, il se doutait que ça n’allait pas durer. Pourtant, il en oubliait même Paris tellement le bonheur était intense. Seulement, il avait le devoir de consulter ses mails.
Dès son arrivée en Polynésie française, Lazare Lambert était descendu au Continental Hôtel. Sa réservation illimitée ne lui avait pas servi longtemps, c’était pourtant le grand confort, mais très vite, il s’était trouvé une amie, une jeune et jolie diplomate rencontrée dans un bar. Elle était propriétaire d’une maison avec vue sur la mer : terrasse, piscine, palmiers, jardin d’hibiscus et frangipaniers. Lazare passait donc plus de temps chez cette jeune femme qu’à son hôtel.
En rentrant le soir de la plage, la belle Tahitienne n’était pas encore revenue de son travail. La peau tannée par le soleil et les cheveux blanchis par le sel de mer, il passa directement sous la douche. Puis, Lazare se servit un whisky avant d’ouvrir son ordinateur portable. Il supprima quelques messages et spams sans importance, sauf un. Pour celui-ci, il fallait faire une manipulation de fichiers avant d’y accéder ; une méthode courte et efficace, remplacée systématiquement après chaque utilisation.
Lambert connaissait le système par cœur, il ouvrit une page blanche avec écrit simplement :
— Rentrez vite d’urgence.
S.E.99 savait déjà que c’était un message du directeur de la DGSE à Paris. Les vacances... c’était trop beau ! Se dit-il en lui-même. Mais en quelques minutes, son sac de voyage était prêt. Toutefois, il devait attendre que son amie rentre de son job pour lui annoncer le départ précipité. Elle travaillait au Consulat de Papeete et, en arrivant, elle comprit facilement ce que voulait dire « urgent » dans les paroles de son amoureux. La tristesse se vit aussitôt sur le beau visage de la Tahitienne, mais elle réussit difficilement à contenir ses larmes. Pour Lazare Lambert, ce fut dur aussi.
Rejoindre l’aéroport de Tahiti-Faa’a n’était pas si simple que ça en avait l’air. Lazare devait d’abord trouver une navette inter-îles ou une embarcation rapide, du coup, il ne fallait pas traîner et il ne pouvait pas faire mieux que d’embrasser tendrement la douce et magnifique Tahitienne en lui promettant de revenir le plus rapidement possible.
***
Après vingt-quatre heures de vol en ayant un peu dormi dans l’avion, Lazare Lambert passa d’abord à son petit appartement parisien pour se raser, se doucher et changer de vêtements. Ça avait beau être la mi-juin dans la capitale, ce n’était pas du tout la même température qu’à Tahiti. Quinze minutes de marche à pied plus tard, il entrait dans les locaux de la DGSE, boulevard Mortier.
Comme d’habitude, le grand patron était affairé à ses dossiers, mais Lambert n’eut pas à attendre très longtemps, une secrétaire l’invita à entrer dans le bureau sécurisé. C’était la fin de journée, mais, dans le renseignement, il n’y avait jamais d’heure, ni de week-end et encore moins de jour férié. C’était le lot d’un agent de renseignement, d’action, de terrain ou encore, d’un agent traitant surtout s’il y avait urgence en affaire. C’était le cas, mais Lazare ne savait pas encore ce dont il s’agissait.
Le directeur avait hâte de lui exposer son problème qui s’avérait déjà bien plus qu’épineux. Ce qu’il fit directement en proposant à Lambert de prendre un fauteuil :
— Monsieur Lambert, puisque vous me semblez bien reposé, vous devriez avoir les idées suffisamment claires pour trouver une solution à mes ennuis... je suppose ?
— Bien sûr, monsieur, je vous écoute.
— Gloire-S626... ça vous dit quelque chose ?
— SNLE ultra-secret de dissuasion nucléaire, répondit-il.
— Parfait S.E.99, je vois que vous êtes bien renseigné, mais je crains qu’il ne soit plus aussi secret que ça.
— Un accident ?
— Non. Tout le monde va bien, mais le S626 a eu un petit incident de parcours.
— Ah oui ? Très étonnant... mais quel incident ?
— Voilà. Ce sous-marin nucléaire, à peine sorti de la base de Brest, faisait route en Mer de Barents. À bord du navire ; que ce soit les officiers, les sous-officiers ou les matelots, tout le monde faisait correctement son boulot. Ils pouvaient continuer comme ça pendant des semaines. C’est ça la dissuasion... je ne vous apprends rien !
— Effectivement, ils doivent détecter, analyser tout ce qui se passe dans les océans pour empêcher une attaque nucléaire. Un boulot de dingue et j’ai beaucoup de respect pour eux.
— Très bien, monsieur Lambert. Seulement, cette fois-ci, ce sont eux qui se sont fait détecter.
— Quoi ?
— La CIA vient de m’informer qu’un satellite israélien a enregistré des interférences entre notre sous-marin et la côte-Est du Groenland, où il n’y a absolument rien, à part de la glace et de la neige.
— Étrange !
— N’est-ce pas ! D’autant plus que le S626 est parti incognito de sa base.
— Au premier abord, ça me semble assez impossible, parce que les sous-marins ne sont pas susceptibles de se faire repérer par les satellites.
— C’est pourtant la réalité, d’ailleurs c’est l’Amirauté à Brest qui a prévenu l’Élysée. Ils ont fait le choix de faire rentrer notre sous-marin et de l’inspecter à la loupe.
— Rien que ça ! Mais je ne comprends pas complètement, il n’est pas rare que les sous-marins se détectent entre eux, sinon !
— Bon, je vois que vous n’avez pas tout compris. Je viens de vous dire qu’un satellite-espion a détecté quelque chose d’anormal. Suis-je assez clair, cette fois ?
— Dans ce cas, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que notre engin ait été traqué dès son départ.
— Ce serait très ennuyeux, mais il ne s’agit pas de ça.
— Ah bon ! Alors quelque chose m’échappe vraiment.
— Si à la navale on a décidé de passer la coque au peigne fin c’est qu’intérieurement, le Gloire-S626 n’avait pas de reproches à se faire... aussi bien techniquement, qu’à son commandement.
— Alors ?
— Alors, monsieur Lambert, les ingénieurs et les experts ont trouvé une sorte de brûlure rectangulaire à la position même de l’antenne de flanc... vous voyez ?
— Oui, je connais assez bien les plans des SNLE. L’antenne de flanc se trouve aux trois quarts bâbord et tribord du navire et à mi-hauteur.
— Exact. Seulement, c’est cette empreinte qui reste inexpliquée, parce que le S626 était sorti comme un sou neuf... ne l’oubliez pas !
— Vous voulez dire que quelque chose s’est arrimé au SNLE pour exploiter l’antenne ?
— C’est ce que je me tue à vous dire, monsieur Lambert.
— Je voulais être sûr de ce que vous me disiez.
— Alors, qu’en pensez-vous ?
— Je commence à m’inquiéter parce que si réellement un engin s’est fixé sur la coque ce n’est sûrement pas pour des raisons pacifiques.
— C’est ce que je pense aussi, S.E.99.
— Du coup, avec les antennes de flanc, on en vient directement aux ondes électromagnétiques et aux sonars haute et basse fréquence, non ?
— Sûrement ! Vous avez déjà une hypothèse là-dessus ?
— Peut-être que oui.
— Allez-y, je suis curieux de la connaître.
— Vous connaissez la cage de Faraday ?
— Arrêtez avec ça, Lambert. C’est vieux comme le monde.
— Bon, allons un peu plus loin dans l’analyse, vous voulez ?
— Seulement si vous parlez sérieusement.
— L’équipage du S626 a-t-il constaté autre chose au moment des faits ?
— D’après ce qu’on m’a rapporté de la Navale, le technicien acoustique du sous-marin aurait détecté les sons distinctifs d’un autre submersible. Et ceci, dans le même temps que le repérage satellitaire.
— Identifié, ce sous-marin ?
— Eh bien non, justement.
— Vous voyez, ça renforce ma thèse.
— Quelle thèse, monsieur Lambert ?
— La possibilité qu’un agresseur ait pu déposer un engin sur la coque « par exemple » pour se connecter à l’antenne de flanc et envoyer des ondes électromagnétiques sur un autre sous-marin.
— Mais c’est ahurissant ce que vous me dites, Lambert. Tout ceci n’existe pas, vous devez pourtant savoir que les ondes électromagnétiques ne traversent pas l’eau salée.
— Toutes les inventions sont faites pour être dépassées un jour, Monsieur le Directeur. Et... si jamais un pays a trouvé le moyen de traverser la coque d’acier de ce sous-marin pour renvoyer les ondes électromagnétiques « ou acoustiques » sous la mer vers un autre submersible... eh bien là, nous sommes mal ! C’est plutôt ça qui est ahurissant, si vous me le permettez.
— C’est le moins que l’on puisse dire. Tous nos sous-marins seraient détectés et pourraient être éliminés en un clin d’œil.
— Alors monsieur le directeur, un « Faraday » amélioré, qu’en pensez-vous ?
— Je suis assez sceptique là-dessus. Pourtant je dois me soumettre à votre thèse, parce que cette chose qui est venue se coller contre le S626 devait être « techniquement » capable de se détacher et d’aller se perdre en mer pour ne laisser aucune trace. Et ça... ce n’est pas le fait d’un animal marin !
— Et pourtant elle en a laissé une.
— Il faut vite enquêter, monsieur Lambert.
— Parce que c’est moi qui dois me charger de ce boulot ?
— Devinez pour quelle raison je vous ai fait venir ?
— Bon d’accord. Mais je dois avoir votre appui absolu parce que je sens que cette mission va déraper.
— Si vous pouviez éviter de la faire atomiser, ce serait bien, monsieur Lambert.
— Petit problème... il n’y a aucun élément solide pour investiguer efficacement.
— Je vous fais confiance, vous allez en trouver.
— Alors, nous devons créer un code, c’est la seule façon d’y arriver.
— De quel code parlez-vous ?
— De celui que nous devons mettre en informatique maintenant et que nous allons envoyer à toutes nos sources fiables.
— OK. Je trouve ça assez inhabituel, S.E.99... Mais je vous écoute !
— D’abord, il faut que ce soit quelque chose de très cohérent et surtout, en rapport direct avec notre affaire.
— Ça m’intéresse vivement, Lambert... Développez !
— Alors, voilà mon idée. Les propriétaires de ce sous-marin fantôme, pour ne pas dire « ennemi », savent désormais que nous aussi, nous avons détecté sa présence dans les eaux glacées du Groenland. Du coup, ils vont se tenir à carreau un moment et ça sera difficile de les identifier. Donc, pour espérer une réaction de leur part, nous devons absolument nous concentrer sur trois ou quatre éléments dont nous disposons.
— C’est-à-dire ? demanda le directeur.
— Eh bien nous avons, SNLE. Nous avons, Groenland. Nous avons, Islande. Nous avons, antenne de flanc. Et nous pouvons rajouter : ondes électromagnétiques. Cela devrait suffire pour la conception d’un code.
Le Directeur de la DGSE restait perplexe sur l’argumentation de son agent, mais les deux hommes se concentrèrent avec un papier sur le bureau. Ça griffonna quelques minutes et ça hésita encore un peu. Puis, un premier condensé émergea. Ça donnait : « Nouveau système onde de flanc ». Et ensuite, ils se dirent qu’il était préférable de le traduire en Anglais. Cette fois-ci, ça résonnait mieux. Ils s’arrêtèrent dessus en répétant le code plusieurs fois. Et là, ça donnait : « New flank wave system ».
Le directeur du renseignement extérieur releva la tête et dit à son agent principal :
— Si cette fake news fonctionne monsieur Lambert, je vous tirerai peut-être mon chapeau.
— Nous n’avons pas le choix, monsieur le directeur... il faut diffuser cette opération codée le plus rapidement possible !
— Comme vous y allez, Lambert !
— Donc, vous êtes partant pour ce code ?
— Habituellement, c’est moi qui décide de la codification des missions ou d’une opération, mais j’accepte.
Le patron de l’agence commençait à s’installer devant son ordinateur pour mettre le projet à exécution, mais Lazare Lambert le stoppa gentiment :
— Une seconde, monsieur. Il se fait assez tard dans la nuit et nous avons tous les deux nos contacts, nos sources et nos informateurs. Mais je pense que nous devrions plutôt faire ça chacun de notre côté... vous ne trouvez pas ?
Le boss consulta sa montre high-tech, fixa Lambert dans les yeux et lui dit :
— Oui. Je vois ce que vous voulez dire. Ça risque de demander un bon bout de temps. De toute façon, nous ne sommes plus à quelques heures près, nous commencerons demain à tête reposée.
Quand Lazare Lambert prit congé de son patron, il était pratiquement 2 heures du matin.
Paris, le 22 juin 1992
Dans son petit studio situé non loin de la Direction Générale, Lazare Lambert commençait à tourner en rond, pensif un maximum. Puisant au creux de ses souvenirs, il se remémorait tous ses contacts afin de n’oublier personne. La diffusion du leurre d’appât codé était trop importante, ce n’était pas le moment de manquer de mémoire.
Il n’était pas encore retourné à l’agence, mais il savait que le directeur faisait le même travail avec ses propres sources. Sur la feuille de papier, il inscrivait des termes qui faisaient partie du renseignement. La liste était longue. Puis il songea à quelqu’un dont il n’avait plus de nouvelles depuis quelques années. Lazare réfléchit encore un peu, puis il s’installa de nouveau devant son ordinateur avec lequel il se connectait en adresse IP non localisée. Le type qu’il souhaitait joindre pour dialoguer n’était autre que le colonel Sasha Patzarov, agent au KGB. Et celui-là, c’était du lourd, il ne fallait pas se planter au premier contact parce que beaucoup d’eau était passée sous les ponts, avec la chute du mur de Berlin en 1989, tellement de choses avaient changé chez les Russes, à commencer par leurs services de renseignement.
Patzarov était-il encore en service ? Avait-il été éliminé tout simplement de la liste d’agents traitants, ou avait-il subi une fin horrible ? Difficile de savoir pour Lazare Lambert, en revanche, il pouvait encore utiliser un code secret pour le joindre avec un téléphone. Mais là, l’époque des premiers smartphones devenait bien trop espionnée pour s’y risquer. Il utilisa donc l’adresse IP indétectable que son patron lui avait fournie avant de partir de l’agence. Du coup, il commença tranquillement ses recherches.
Après quelques comparaisons attentives dans le listing d’un service de Moscou, Lazare fit un agrandissement sur son moniteur pour contrôler un profil. C’était celui qu’il cherchait avec la photo de face. Sasha Patzarov portait maintenant un petit collier de barbe au menton et des cheveux beaucoup plus grisonnants. L’information attenante n’indiquait plus le KGB, mais le SVR. « Le Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie » et, avec des responsabilités à la Residentura russe de Canberra en Australie. Apparemment, Patzarov en était le chef. Sacré avancement ! se dit Lambert, en lui-même.
Aussitôt, il nota l’adresse mail de l’ambassade sur un Post-it qu’il enregistra sur sa boîte de discussion pour tenter de faire le contact. Cette fois, il pouvait écrire son code personnalisé pour que le Russe comprenne facilement. Très court, il demandait :
— Chazare, OK ?
Qu’il envoya aussitôt.
Seulement, il était 17 heures à Paris et avec dix heures de décalage, il était déjà 3 heures du matin à Canberra. Fallait donc attendre un peu pour obtenir une réponse. Du coup, Lazare sortit de chez lui pour aller faire quelques courses, au cas où ça s’éterniserait plus que prévu ; environ six heures, si toutefois le diplomate commençait son boulot tous les jours à 9 heures du matin à l’ambassade.
S.E.99 ne voulait pas rater cet instant. Revenu chez lui, il ne lâchait plus son ordinateur quand il entendit le son habituel des messages. Très vite, il ouvrit sa boîte de réception et cliqua pour découvrir ce qui était écrit en français :
— C’est toi, Lambarov ?
Ça avait fonctionné. De ce fait, Lambert se concentra sur son clavier pour enchaîner une discussion utile :
— Félicitations pour ta promotion, l’ami.
C’était parti, le Russe écrivait déjà :
— Effectivement, je ne m’en sors pas trop mal.
— Faut croire qu’on t’estime bien à la Loubianka de Moscou.
— Ce n’est pas si sûr que ça, l’esprit « KGB » règne encore.
— Tu te sens en danger ?
— Non. Mais au niveau supérieur du SVR, je sais qu’on me soupçonne toujours de savoir pour qui travaille Yulia Golovkin, la transfuge.
— Que veux-tu... le mur a tout chamboulé !
— Pour l’identification et l’élimination des agents non désirables... ça, c’est sûr ! répondit, le colonel russe.
— Mais au poste prestigieux que tu occupes, tu as au moins la satisfaction de continuer à travailler pour les intérêts de ton pays, non ?
— Heureusement, parce que ma carrière professionnelle était loin d’être finie quand tout ceci est arrivé.
— Dans notre job, elle n’est jamais terminée. D’ailleurs, à la tête de votre pays, Vladimirovitch dit : « Il n’existe pas d’anciens agents du KGB ». D’accord, Sasha ?
— C’est vrai, et c’est valable pour tous les services.
— Pour revenir à Yulia Golovkin, tu penses que Moscou est toujours à ses trousses ?
— J’en suis même certain.
— Tu lui en veux ?
— Non, c’est du passé. Et puis, elle n’est pas la seule à s’être tiré avant la crise. Mais pour le SVR, ça reste une trahison.
Pour Lambert, le moment était venu d’exploiter de nouveau sa source personnelle. Certes... une source qui avait changé de place sur l’échiquier international, mais celle-ci restait d’abord un excellent moyen d’informations. Du coup, S.E.99 en profita pour aller plus loin dans son idée :
— Passons aux choses plus récentes... si tu veux, bien sûr ?
— Je te lis avec attention, Lazare. Mais je savais bien que tu ne reprenais pas contact avec moi uniquement pour me passer le bonjour.
— En effet. Dis-moi... aurais-tu connaissance du code : New flank wave system ?
— Drôle de nom pour un code ! Il vient de toi ?
— Non, mais c’est ce qui circule dans les tabloïds du renseignement.
— Par exemple ?
— CIA, Mossad, MI6, DGSE. J’en oublie sûrement !
— Non, je n’ai pas connaissance de ce code. Je ne suis plus au service action. Mais le SVR, peut-être !
C’était à peu près la réponse qu’attendait Lazare Lambert. En informant Sasha Patzarov, il savait que ce dernier n’avait pas totalement rompu avec le contre-espionnage et, que sa fake news allait se propager à toute vitesse. Mais ça, Lambert se garderait bien de le dire à son directeur. Premièrement : parce qu’il avait une certaine admiration pour son ami russe, qui était loin d’être un barbare. Et deuxièmement : parce qu’il fallait toujours protéger une source.
— En décryptant ce code, je suis persuadé que ça va intéresser Moscou. À toi de voir si tu transmets... ou pas ! Rajouta le Français.
En le mettant indirectement en garde, Lazare savait de façon pertinente que ses supérieurs l’obligeraient à dire de qui venait l’information. Mais à chacun ses problèmes, songea-t-il. Le plus important était de voir les réactions des uns et des autres.
— Okay Lazare, je vais y réfléchir.
— En tout cas si tu avais des nouvelles pour moi, évite de les faire transiter par l’ordinateur de Canberra, on ne sait jamais.
— Compte sur moi... C’est tout ?
— Oui.
— Tchao. Termina d’écrire, Sasha Patzarov.
— Au revoir et prends soin de toi, termina aussi de répondre Lambert juste avant de déconnecter son adresse IP.
Ça... c’est fait ! pensa S.E.99, assez content de lui.
Seulement, le grand jeu ne faisait que commencer.
Cherbourg, mardi 30 juin
Jessica referma la porte de son logement, une petite maison de rue à la façade un peu décrépie, située tout près de la Place du Théâtre en plein centre de la ville de Cherbourg.
La jeune femme semblait pressée, nerveuse, et très en retard pour aller faire ses cours d’anglais dans un comité d’entreprise, et ensuite, dans une salle de conférence pour des officiers de la base navale. C’était de cette façon qu’elle avait fait la rencontre d’un homme relativement sympathique.
Quand elle allait chez cet officier, elle le trouvait toujours en tenue militaire, mais ça convenait suffisamment à Jessica pour ce qu’elle avait à manigancer chez lui.
La jeune femme, 1,76 mètres, cheveux longs blonds ondulés, portait souvent un ensemble de cuir avec une minijupe noire et une très jolie veste d’un rouge Ferrari. Déjà très grande elle portait tout de même des talons assez hauts. Agréable aux yeux des hommes, on la sentait préoccupée, pourtant souriante au croisement des passants sur les trottoirs.
Elle accéléra le pas, traversa la passerelle du bassin de commerce et se rendit à son premier rendez-vous qui dura environ deux heures. Dans la foulée, elle se dirigea vers l’établissement militaire pour faire son deuxième cours d’anglais.
Jessica Jones : née à Toronto, 33 ans sur un fichier du renseignement, avait la double nationalité anglaise et canadienne avec un visa français, était très expérimentée dans ses cours plutôt très motivants, surtout pour les hommes qui n’arrêtaient pas de mater ses belles et longues jambes galbées.
Le dernier cours terminé, elle attendit que tous les élèves se dispersent dans la ville, pour s’assurer en même temps que son gradé était lui aussi de retour vers la base navale. Tout ceci était très important pour elle qui sentait le bon moment pour agir à sa façon. L’officier en question avait son petit logement individuel dans la Cité coloniale de Cherbourg et il ne devait rentrer que très tard ce soir-là.
Jessica connaissait maintenant les habitudes de son ami, elle pouvait y aller franchement, sauf qu’à l’entrée de l’enceinte, elle se serait vite fait remarquer par la sécurité. Alors, elle décida de prendre son espace Renault pour le coller contre un mur qu’elle avait en tête ; pour vérifier autour d’elle s’il n’y avait personne dans les alentours, pour grimper de façon très agile sur le toit du véhicule, de remonter sa minijupe pour être plus à l’aise dans ses mouvements et de sauter très facilement sur le composteur à déchets qui se trouvait juste derrière la protection bétonnée de la maison.
Jessica savait aussi où son bel officier lui laissait la clé du logement quand elle arrivait avant lui. À l’abri des regards, ses gestes devinrent plus précis. Comme téléguidée, elle poussa la porte sans crainte pour se diriger directement dans la pièce où elle savait y trouver un ordinateur. La jeune femme connaissait également cet équipement informatique, il était de nouvelle génération avec un port USB. Ce qui voulait dire que son officier voyait loin, parce que l’époque n’était encore qu’aux disquettes de stockage. Bref, Jessica glissa une clé bootable de démarrage, amorça très rapidement le système d’exploitation, ce qui lui évita d’entrer le mot de passe qu’elle n’avait pas, et enregistra tout ce qu’il y avait sur le disque dur.
Ça n’avait demandé que quelques petites minutes pour terminer l’opération, sa sortie ne fut qu’un jeu d’enfant, et aussi, pour revenir en toute hâte à son appartement.
L’officier subalterne ; lieutenant de vaisseau dans le domaine administratif à la base navale de Cherbourg, était ingénieur de formation, avait la charge et la responsabilité de la coordination entre les fournisseurs d’équipement électronique et le ministère de la Défense, dont la particularité était dirigée principalement vers les sous-marins lanceurs d’engins nucléaires. À la Navale, il était destiné aux dossiers et ne prenait jamais la mer. Pour des raisons assez glauques, il se soumettait à cette décision, préférant penser que c’était son destin.
Avec tout de même un peu d’amertume dans la tête, il passait donc d’une entreprise à une autre, des sous-traitants aux filiales, dont le groupe industriel principal était : RONEXMER S.A.
Pendant ce temps, l’organisation occulte de Jessica Jones, déjà bien renseignée sur le secteur NAVAL GROUP, lui avait ordonné de s’intégrer du mieux possible dans le cercle militaire – dans sa vie personnelle et, plus particulièrement, avec ses cours d’anglais. Jusque-là, c’était assez réussi, Jessica partait avec une clé USB bourrée de dynamite. À peine revenue dans sa maison pour juste donner une apparence normale à sa journée, Jessica reprit son monospace bleu marine pour se diriger très vite vers la sortie de la ville, puis vers le sud Cotentin par l’autoroute. De là, elle prit la direction de Caen, Honfleur, Yvetot et Dieppe. Sa mission l’obligeait à aller en Grande-Bretagne pour ses affaires, elle aurait pu prendre tout simplement le car-ferry à Cherbourg, mais comme elle était aussi connue qu’une louve blanche, elle préféra faire la traversée Dieppe-Newhaven avec la compagnie de navigation britannique Stena Sealink Line.
Enfin arrivée à quelques kilomètres de Dieppe, Jessica Jones s’isola sur un parking pour effectuer un changement de physionomie. Une heure plus tard, elle se pointait à l’embarquement après avoir délaissé son véhicule dans un garage du quartier du Pollet. Cette fois, la jeune femme n’était plus blonde, mais brune avec des lunettes à monture noire, un pull sombre, un pantalon beige, des chaussures basses et un sac à main. Au guichet, elle présenta un passeport anglais avec une photo très ressemblante à sa transformation.
Désormais, Jessica Jones s’appelait Joy Anderson.
Ça devenait difficile de connaître son vrai nom. La traversée se fit sans accroc. Quatre heures plus tard, Joy Anderson était à Newhaven et deux heures après, l’espionne était à Londres.
Au Royaume-Uni, le lendemain
Elle n’avait dormi que quelques heures, mais, Joy Anderson fut réveillée par le son de la cloche du Big Ben. De là où elle se planquait, elle pouvait voir le sommet de la tour Élisabeth – la tour horloge du palais de Westminster. Joy ouvrit une fenêtre de son petit logement mansardé pour contempler les toits de la cité londonienne. Elle s’étira un peu et retourna dans la kitchenette pour se faire bouillir de l’eau au micro-ondes afin de se préparer du thé.
Pour continuer la suite de sa mission, Joy n’avait pas besoin de rendez-vous, elle devait se rendre tout simplement dans un secteur bien précis où elle savait trouver le transmetteur de son organisation. Pour ce faire, elle enfila une jolie perruque rousse frisée et sortit vers 11 heures. En quelques minutes, l’espionne aux multiples apparences atteignait une station de métro pour commencer à brouiller les pistes au cas où on l’aurait suivi. Très expérimentée, elle prit la station Piccadilly et Hyde Park, qui se trouvait aussi dans l’un des quartiers de la cité de Westminster. Puis, elle prit la station Lancaster Gate, anticipa une fine sortie de la rame grinçante pour se diriger aussitôt dans la Bayswater road. Tout de suite à gauche, au N° 66, Joy Anderson trouva et entra tout à fait normalement au Pub Swan. Elle longea le bar, fit un sourire au personnel et alla s’asseoir très calmement à une table.
Dans une vie un peu différente elle aurait pu s’installer sur la terrasse très accueillante du Swan-club, mais pour effectuer son petit boulot, il valait mieux s’isoler dans un coin tranquille. Un serveur se pointa à côté d’elle et, les yeux dans son sac à main, elle commanda un Darjeeling d’Inde, même si le Swan était plutôt un établissement à bières anglaises, qu’aux thés prestigieux à la finesse exceptionnelle. Puis Joy resta dans ses pensées.
Vers 11 heures 45, Ben arriva.
***
Ben Cadbury était un petit homme trapu à la calvitie précoce, surexcité, vêtu d’une chemisette bleu ciel, d’un pantacourt avec des runnings aux pieds. On le reconnaissait de loin, pour la bonne raison que dessus sa chemise, un jour bleue un jour blanche, il portait tout le temps une veste matelassée manches courtes de couleur rouge vif avec trois barres grises horizontales dans le dos. Ben Cadbury était donc le facteur du quartier.
En démarrant son boulot très tôt le matin dans le Hyde Park de Londres, et cela sur plusieurs kilomètres comme un forcené, il arrivait à distribuer une quantité impressionnante de courrier pour finir quand même sa tournée entre midi et 13 heures. Ben était donc très apprécié de tout le monde. Il aimait ce circuit très vivant et animé avec énormément de pubs à bière, et bien sûr, il ne manquait pas de s’y arrêter, surtout en été où il discutait de football avec les barmans, en profitait pour s’enfiler une Stout brune, et repartait aussi vite.
L’après-midi, Ben Cadbury entamait une deuxième distribution, toujours pour la Poste, mais cette fois, il livrait des colis avec un véhicule dans un autre quartier de Londres. Ce qui ne l’empêchait pas d’aller se désaltérer avec une bière. Et un jour dans un pub, un inconnu lui avait fait une proposition relativement intéressante. Il devait simplement déposer sur son passage un petit colis qu’on lui aurait glissé discrètement dans son sac de cuir. Très simple, pour le postier !
Ben avait accepté. Pour lui, il n’y avait rien de malhonnête à dépanner un citoyen britannique, surtout que c’était sur sa tournée de livraison. En échange de ce petit service, bien sûr, il recevait quelques livres sterling. Et même si ce petit bonhomme n’avait pas du tout l’allure d’un sportif, il n’en aimait pas moins les anciennes voitures. Du coup, avec ses extra relativement lucratifs, il s’était acheté une Triumph TR4 verte d’occasion. Sa femme travaillait comme intendante dans un hôtel de luxe, leurs salaires réunis restaient quand même très modestes, elle n’avait pas fait la fine bouche quand il lui avait présenté la décapotable. Alors comme tout le monde le dimanche, ils avaient besoin de s’aérer des turbulences de Londres, le mari s’était inscrit dans le club des amis des voitures anciennes et après un breakfast très copieux, le couple Cadbury prenait la route vers la campagne, du moins, par journée de beau temps. Et quand c’était le cas, il sortait la voiture du garage, n’arrêtait pas de la lustrer, attendait patiemment que sa femme arrive et comme elle était aussi ronde que lui et que la TR4 de sport avait la particularité d’être très étroite, eh bien il n’osait pas trop la regarder, parce que c’était tout juste s’il ne fallait pas un chausse-pied pour la faire entrer dedans. Mais tout allait pour le mieux, Ben et son épouse rieuse partaient en week-end, la calvitie à l’air et les cheveux au vent.
***
Joy Anderson tenait sa tasse de thé entre ses deux mains, un peu comme s’il faisait froid, ses deux coudes appuyés sur la table et elle buvait tranquillement en attendant que quelqu’un se pointe dans le bar. Mais comme à son habitude, Ben Cadbury, à peine entré dans le pub ; il saluait, il serrait les mains aux gens qu’il connaissait et à l’occasion, entamait quelques blagues. Seulement, il était plus de midi et il avait soif. Il demanda une bière tout en déposant le courrier du Swan sur le coin habituel du bar. Ensuite, il longea le zinc cuivré pour s’arrêter au droit de la table de Joy en lui tournant le dos. Puis il laissa tomber son sac au pied du comptoir pour entamer la délectation de sa bonne bière mousseuse. Joy Anderson attendait cet instant. Ses jolis yeux se portaient déjà dans tout le bar et comme le personnel était occupé au service ou ailleurs, la jeune femme rousse qui n’était qu’à une longueur de bras, déposa discrètement le petit colis tout au fond de la sacoche du facteur que celui-ci avait laissé judicieusement grande ouverte. Ben Cadbury ne se retourna même pas pour saluer la jeune femme. Il termina sa bière, essuya la mousse de ses lèvres d’un revers de main, régla la consommation et ramassa son sac en disant au revoir au barman, et en lui disant : À demain !
***
Très tôt l’après-midi ce jour-là, Ben Cadbury filait bon train dans un autre secteur de Londres. Cette fois, il était au volant d’un véhicule rouge au logo jaune du service de livraison et de messagerie.
Il stoppa le Royal Mail postal du Royaume-Uni devant un immeuble de briques rouges. D’abord, il se rangea correctement, puis descendit serein de la fourgonnette pour marcher avec ses pattes arquées sur le trottoir Abbey Road pendant quelques dizaines de mètres, tourna à droite sans se retourner dans une voie plus petite ; la Springfield Road où il n’y avait qu’une suite de building, mais principalement, de belles maisons de maître.
Dans sa main, Ben n’avait qu’un tout petit objet qu’il déposa dans la boîte aux lettres du N° 128. Au fond du jardin, il aperçut la façade de la maison tapissée de petits carreaux losangés, mais il se contenta d’appuyer longuement sur la sonnette de rue. Ceci fait, il repartit aussi vite qu’il était venu. Quelques secondes de plus ; apparaissait un homme étriqué sous la marquise stylisée de fer forgé, jetait un coup d’œil aux quatre coins du parc, descendait quelques marches pour avancer très vite vers la boîte aux lettres et récupérer le minuscule colis. Un quart d’heure plus tard, le même homme avait endossé une veste grise en tweed à chevron et se dirigeait dans un autre endroit de la ville, pour à son tour, se planter deux secondes devant un muret de briques et pour glisser la clé USB entre les feuillages des thuyas.
En repartant vers sa maison, il fit un appel sur le téléphone d’un autre inconnu. L’expédition des fichiers « secret-défense » s’achevait bientôt, le dernier signal était pour un autre transmetteur, qui lui-même, devait récupérer le colis et remettre l’objet à son agence. Une agence officieuse, bien entendu ! Parce qu’un agent digne de ce nom n’arrive jamais à son service officiel avec une bombe dans la poche.
***
Trois jours plus tard, Joy Anderson patientait dans son petit studio de Londres en attendant de nouvelles instructions. Mais d’ores et déjà, elle savait ce qui l’attendait. C’était s’orienter vers une autre mission, se fondre dans la société et se faire oublier, ou bien, retourner à Cherbourg pour continuer le petit manège de duplication de fichiers.
Le message arriva directement par l’intermédiaire d’un agent de liaison et l’ordre était sans contestation, Joy Anderson devait reprendre ses activités de professeur d’anglais auprès de l’officier de la base navale dans la rade de Cherbourg.
Ses affaires étaient prêtes. Pour refaire le trajet inverse, elle reprit l’aspect du faux passeport de la photo à la perruque brune, et deux jours plus tard, elle s’appelait de nouveau Jessica Jones, la pétulante blonde aux cheveux longs et ondulés. Son organisation inconnue lui demandait de compléter le dossier sensible du Naval Group et ça passait forcément par la conquête machiavélique du lieutenant de vaisseau français. Le but de la manœuvre pour cette agence, était donc ; de s’accaparer de l’intégralité des fichiers « secret Défense », de découvrir ce qu’ils contenaient et de les exploiter en améliorant la technologie française.
La perception du code : « New flank wave system » allait-elle modifier leurs plans ?
Dès le lundi suivant, Jessica Jones faisait le maximum pour se faire voir dans le quartier du théâtre de Cherbourg. Elle était appréciée de certains hommes, avec qui, la jeune femme n’hésitait pas à aller en tête à tête pour boire un bon whisky. Avec sa tenue très voyante de cuir rouge et noire ; ses longues jambes faisaient fureur dans les esprits mal tournés des militaires à chaque fois qu’ils croisaient la minijupe collée serrée.
Ses cours d’anglais fixés au lundi, mercredi et vendredi se poursuivirent normalement, l’ingénieur aux technologies militaires était toujours présent. À l’écart des autres membres de la session en cours, Jessica lui raconta qu’elle était partie quelques jours dans le sud de la France pour visiter une personne de sa famille, soi-disant malade. C’était passé comme une lettre à la poste, il était amoureux, surtout de son corps, il ne ratait jamais un cours et profitait de l’occasion pour la faire venir chez lui, et c’était exactement ce que « Jess » souhaitait, comme il l’appelait si bien.
Donc tout allait pour le mieux pour Jessica Jones, ça n’aurait pas été le cas, si on lui avait ordonné de ne pas remettre les pieds à Cherbourg et, dans cette option, tout le monde se serait penché sur sa disparition. Son lieutenant aurait fini par trouver anormal qu’elle ne lui donne plus de nouvelles et peut-être qu’il se serait aperçu qu’elle téléchargeait les fichiers de son ordinateur. Et là, ça coinçait pour lui dans tous les domaines, parce qu’il n’avait pas le droit de sortir, et encore moins d’enregistrer certains dossiers « secret Défense » du Naval Group. Son job à la base navale, c’était uniquement de les transférer au ministère des Armées. Alors la pétillante jeune femme continua ainsi pendant des semaines à tenir une relation intime avec son militaire à la tenue impeccable.
Il était cool, propre, buvait un peu tout en étant pas un grand sportif et, il était loin d’être moche. Du coup, de faire l’amour avec lui n’était pas une ignoble corvée parce que de toute façon, cela faisait partie intégrante du métier qu’elle avait choisi. D’un autre côté, son ami ne lui avait jamais dit qu’il stockait chez lui des documents secrets. Seulement, quelqu’un savait.
Justement, l’agence obscure de Jessica Jones savait aussi par expérience qu’un grain de sable pouvait ruiner leur joli manège. Doutant de ses capacités ou craignant qu’elle se soit fait repérer, ses supérieurs lui intimèrent de ne plus transmettre elle-même les fichiers à Londres. Comme le dossier final n’arrivait qu’au compte-gouttes, à la longue, quelqu’un aurait fini par remarquer la nature de ses déplacements. Une autre personne viendrait les chercher directement à Cherbourg, c’était beaucoup plus simple. Dans le renseignement, l’improvisation en cours de mission ne se refusait jamais.