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Une fois de plus, le directeur de la DGSE fait appel à Lazare Lambert, alias S.E.99, pour une mission de la plus haute importance. Cette fois, il s’agit de retrouver un convoi militaire mystérieusement disparu en mer de Chine, un convoi transportant des drones et des missiles. Alors que l’ombre de l’inconnu plane sur cette mission, Lazare se retrouve plongé dans un réseau complexe de secrets, de danger et de mystères. Quelle vérité se cache derrière cette disparition ? Et jusqu’où Lazare devra-t-il aller pour déjouer les forces qui s’opposent à lui ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir brillé dans le domaine de la restauration et la création de vitraux,
Patrice Bovin a choisi de laisser libre cours à son imagination en se plongeant dans l’univers de l’espionnage, du renseignement et du contre-espionnage. Sa carrière s’est transformée en une nouvelle aventure, celle de l’écriture de romans captivants d’espionnage.
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Seitenzahl: 562
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Patrice Bovin
Taiwan’s spies
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrice Bovin
ISBN : 979-10-422-6843-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Roman d’espionnage
Série : Lazare Lambert alias S.E.99
– Les vitraux de Cuba (French édition), Édition Kindle, février 2018 ;
– Decoding for S.E.99 (French édition), Édition Kindle, septembre 2020 ;
– Los vitrales habaneros (Spanish édition), Édition Kindle, juin 2021 ;
– Decryption for the spy, (English édition), Édition Kindle, janvier 2022 ;
– L’espion du SNLE (French édition), Le Lys Bleu Éditions, septembre 2023.
En raison du caractère d’actualité de cet ouvrage, je tiens à préciser que toute ressemblance entre certains personnages présentés ici, et des personnes vivantes ou ayant vécu, ne pourrait être que le fait d’une coïncidence.
Pareillement, pour l’interprétation de certains événements qui sont du domaine de l’information ; ne relève que de la pure fiction romanesque, et dans un esprit inventif.
Par conséquent, je décline toute responsabilité à cet égard.
Ce roman n’est pas un documentaire de l’actualité, ni historique, ni politique, ni autobiographique.
Je rappelle encore qu’il s’agit, tout simplement ici, d’une œuvre de création et de simple imagination.
Tant qu’il y aura des hommes et des femmes sur Terre,
l’espionnage durera.
9 août 1993, en Asie orientale
Pour le motif de la disparition d’une importante cargaison de matériel militaire que jugeait très sérieux le directeur général de la DGSE ; Lazare Lambert, sur ordre de son chef direct, descendit d’un taxi dans une rue bondée de monde à deux cents mètres de l’ambassade de France à Taipei. Il devait s’y rendre immédiatement aussitôt descendu de l’avion. Lazare était en bras de chemise, il faisait chaud, très chaud, environ 35 °C. C’était l’été sur l’île de Taïwan.
Pour l’instant, il était seul, mais pour œuvrer dans de bonnes conditions, le boss lui avait octroyé deux binômes qui devaient rester en attente d’instructions dans la zone du Sud-est asiatique. Pour cela, un couple de touristes était en Thaïlande, et l’autre se trouvait déjà au Vietnam, où la France avait gardé de bonnes relations internationales avec ces pays, et aussi, où le directeur de l’Agence n’avait malheureusement que deux ou trois contacts vraiment fiables. L’affaire en question n’allait donc pas être très simple à résoudre.
Lazare Lambert prit la contre-allée de Tun Hwa North Road pour trouver un peu d’ombre sous les arbres. Il écarta le col de sa chemise et avança tranquillement tout en appréciant les beautés de la ville, où effectivement, la capitale de Taïwan était très forte pour faire cohabiter l’ultra-modernité avec les traditions du continent asiatique.
Pour une autre mission, Lambert était déjà venu sur cette île magnifique aux couleurs chamarrées, il retrouva avec plaisir les beaux endroits, à commencer par l’un des plus hauts gratte-ciel du monde. S’il en avait l’occasion, Lazare se promettait de grimper au sommet de l’immense fierté nationale. Il se souvenait du vrai dépaysement « Made in Taïwan », notamment, à Dihua au cœur d’un vieux quartier où l’on pouvait trouver une multitude d’échoppes traditionnelles avec des salons de thé « so british », des petits temples, des boutiques aux frontons remarquables et des cafés Lounge.
Enfin arrivé au numéro 205, Lazare traversa l’avenue pour se diriger directement vers le bâtiment diplomatique. En réalité, ce n’était pas une luxueuse et impressionnante ambassade, mais un petit consulat logé au 39e étage d’un building. Il pénétra dans le hall, emprunta un ascenseur disponible, puis très vite, il prit des couloirs un peu sombres pour finalement se pointer sur un palier plus spacieux. De là, il se présenta à un planton, demanda à rencontrer l’attaché d’ambassade. Le préposé fit le nécessaire par téléphone et quelques instants plus tard, une jolie secrétaire faisait son apparition pour lui demander le motif de sa venue.
Lazare Lambert se présenta tout simplement avec une carte de visite, préparée par l’Agence de Paris, avec le nom d’emprunt d’Éric Muller et un passeport du même nom, sans signaler bien sûr qu’il appartenait à la DGSE. Ce n’était pas indispensable, du moins, pas pour le moment.
La jolie et aimable secrétaire lui dit :
— Vous êtes attendu, il me semble ?
— Oui, en effet. L’ambassadeur a répondu qu’il me recevrait à n’importe quel moment. C’est plutôt sympathique de sa part.
— Je suis désolée, il est actuellement en déplacement, mais le consul est tout disposé à vous recevoir. Si vous désirez toujours un entretien… bien entendu ?
— Oui, ça m’ira parfaitement. Merci.
— Alors, je vous fais annoncer. Veuillez patienter quelques instants.
Lazare Lambert s’installa sur un fauteuil dans la salle d’attente non loin d’une porte sécurisée. Deux minutes après, celle-ci s’ouvrait de nouveau pour laisser apparaître le consul de France. Lui aussi était en bras de chemise, du coup, Lazare se sentit un peu moins gêné avec sa chemisette défraîchie due à la chaleur excessive et à la transpiration tenace.
Le diplomate était svelte et petit, 30 ans environ, il tendit la main à son compatriote, il semblait jovial, consciencieux et très professionnel probablement. Il tenait la carte de visite de Lazare entre deux doigts, mais la sécurité ne devait pas être suffisante pour lui, du coup il questionna le visiteur :
— Qui me prouve que vous êtes bien l’homme en question ? Vous devez comprendre qu’ici, il vaut mieux éviter les erreurs.
— Bien sûr. C’est d’ailleurs une très bonne réaction. Avec un indicatif, est-ce que cela vous serait suffisant ?
— Oui, je préfère. C’est plus prudent.
— Matricule « S.E.99 »… ça vous rassure ?
— Absolument, monsieur Muller. J’ai été prévenu par Paris de votre visite. Venez vous installer dans mon bureau.
Lazare Lambert suivit le consul jusqu’à son office personnel. La porte capitonnée se referma et, très vite assis l’un en face de l’autre, le jeune homme proposa une boisson fraîche à son hôte. Le service devait être prévu, la secrétaire revint trente secondes après avec un plateau, deux canettes et des verres. L’heure était proche de midi, cela convenait parfaitement à l’agent spécial. Ils burent une bonne gorgée de soda, le diplomate entama aussitôt la conversation :
— L’ambassadeur m’a tenu au courant du problème qui vous préoccupe.
— Ah bon, très bien ! Donc, vous comprenez facilement que c’est un souci qui concerne cette ambassade et peut-être même l’honneur de la France ?
— Absolument, monsieur Muller. En fait, l’ambassadeur est nouveau à Taipei et comme j’ai beaucoup plus de connaissances que lui sur cette île, il a préféré que je m’entretienne avec vous.
— Dans ce cas, c’est parfait. Ça ne change rien.
Puis, Lazare Lambert entama l’essentiel de son approche :
— Est-ce que vous avez des relations intéressantes avec les services commerciaux et militaires de Taïwan ?
— Pas exactement ! Mais effectivement, je connais des gens bien placés sur cette île.
— Alors, pourriez-vous m’indiquer quelqu’un dans le domaine militaire ?
— Vous m’en demandez beaucoup, monsieur Muller. Toutefois… veuillez m’accorder quelques instants pour consulter mes fichiers personnels.
— Voulez-vous que je revienne plus tard ?
— Non. Ça ne demandera que quelques minutes. Et puis, j’ai justement ma petite idée sur quelqu’un à Taipei.
Ça commençait à intéresser Lazare Lambert. Mais pour lui, chaque individu pouvait être un adversaire, voire un ennemi. Il questionna le jeune diplomate :
— Qui que soit ce personnage… avez-vous des informations précises sur lui ?
— Oui… il travaille dans l’armée taïwanaise et il est d’origine chinoise.
— C’est assez délicat de s’intéresser à cet homme. Il pourrait très bien être un agent du gouvernement de Pékin, non ?
— Si mes renseignements sont bons, ce n’est pas un agent de l’État. Mais vous pouvez toujours contrôler.
Sur cette réponse assez nette, le consul fit pivoter l’ordinateur portable vers Lambert en ajoutant :
— Voyez par vous-même !
Le fichier ouvert montrait un Asiatique, mais Lambert devait vérifier avant de débuter dans cette voie, il commenta pour lui-même à haute voix :
« Chen Liyu – 30 ans – vit seul – grade de master – école militaire – diplômé dans la marine du pays – réside à Taipei – s’intègre facilement au monde diplomatique ».
— Alors ? dit soudain le consul.
— Effectivement, ce type correspond assez bien pour ce que j’ai à faire.
— Je savais que mes fichiers serviraient un jour.
— Pas de précipitation, voulez-vous ? Même si on a l’adresse de ce militaire, il faut savoir comment l’aborder.
Le consul, vif d’esprit et sûr de lui, enchaîna :
— Moi… je sais comment s’y prendre pour le côtoyer.
— Ah oui ! Expliquez un peu pour voir.
— Je vous ai dit précédemment que l’ambassadeur était nouvellement nommé à Taipei, d’accord ?
— Oui, et alors ?
— Eh bien, pour se faire connaître du monde diplomatique et de grosses huiles de Taïwan, il veut organiser une cérémonie pour rencontrer des gens très importants.
— Mais… c’est bien trop petit ici. Non ?
— Mon idée, c’est de faire ça au Sheraton Hôtel. Ils ont une grande salle de conférences.
— Au Sheraton ? C’est justement là où je suis descendu.
— Cela vous ennuie ?
— Non, mais pour se faire repérer rapidement, c’est sûrement le meilleur plan possible.
— Je peux changer le lieu de la fête si vous voulez, c’est moi qui organise tout et choisis les invitations.
— J’ai compris. Décidément, vous êtes très précieux dans ce que vous exercez.
— Les intérêts de la France, voilà tout. De toute façon, il ne m’a pas été difficile de comprendre qui vous êtes vraiment.
S.E.99 sourit en lui-même avant de reprendre :
— Donc, votre idée, c’est d’inviter ce Chen Liyu ?
— Exactement. C’est le genre à ne pas refuser.
— Qui sera là, en fait ?
— Des diplomates, des industriels, des militaires, mariés ou célibataires… tous des gens bien et respectables.
— Mais… comment être sûr qu’il viendra ?
— Les invités doivent répondre oui ou non par mail.
— Vous pensez à tout. Vous seriez intéressant dans l’Agence pour qui je travaille.
— Je vous remercie, mais je suis bien où je suis. Et rendre un service à la DGSE, ce n’est déjà pas si mal.
— OK. La cérémonie aura lieu quand ?
— En fait… j’ai déjà lancé les invitations, et votre homme est justement sur ma liste.
— Épatant !
— N’est-ce pas ? Elle aura lieu le vendredi 13 de cette semaine au Sheraton Hôtel, comme je vous l’ai dit.
— Bon, tout ça me semble parfait. Dans ce cas, pouvez-vous me préparer une dizaine d’invitations ? J’en aurai besoin.
— Ce sera avec plaisir. Je ferai déposer un pli à la réception de l’hôtel.
— Super ! Je ne manquerai pas de vous donner des nouvelles le moment venu. Au fait, vous serez à la cérémonie ?
— Bien sûr, l’ambassadeur y tient beaucoup.
— Il est marié ?
— Oui, il a une très jolie femme. Vous verrez !
— Je vous remercie. Du coup, je vous dis à bientôt.
— Au revoir, monsieur Muller. Et… bon séjour à Taïwan !
Lazare Lambert termina d’un trait le soda glacé et prit congé du consul. Quelques instants plus tard, il hélait un taxi pour se rendre à son hôtel. Déjà, il pensait à organiser cette réunion, où il espérait récolter une information importante pouvant servir à sa mission. Et, si Lazare Lambert s’était rendu à l’ambassade de France à Taipei, c’était sur l’ordre du grand patron, parce qu’en toute logique, ce n’était pas la méthode habituelle du renseignement français, surtout du contre-espionnage. Pour cette mission, le boss aurait dû demander à son agent principal de s’adresser au chef du réseau local de Taipei. Seulement, dans cette grande métropole de près de 3 millions d’habitants et d’ailleurs, comme dans tout Taïwan, l’île était remplie d’espions. Et pas seulement des Taïwanais, mais surtout des Chinois.
Ces derniers disposaient de plusieurs réseaux sur l’île. Quand ils ne géraient pas quelque chose, ils étaient au courant de tout. C’était ainsi que Pékin avait réussi à démembrer et à éliminer le dernier réseau de renseignement français. Forcément, ils étaient en surnombre. Dans l’instant présent, ça demandait trop d’implications à l’Agence parisienne et surtout, beaucoup trop de temps pour en reconstituer un autre. De ce fait, Lazare Lambert devait faire avec les moyens du bord. Quant aux Taïwanais, ils avaient plusieurs polices et un modeste service de renseignements. Là-dessus il fallait jouer sur l’infiltration des Russes, des Anglais et des Américains, qui eux, soutenaient Taïwan contre l’idée des Chinois à s’emparer de l’île aux puces et semi-conducteurs.
Alors, c’était devenu très compliqué pour les Français de s’infiltrer à nouveau parmi ce microcosme d’agents secrets, il fallait éviter les dommages collatéraux ainsi qu’une crise diplomatique avec les Chinois.
Pourtant, la DGSE avait donné l’ordre d’exécuter une mission. La raison principale venait d’un échange commercial entre l’île de Taïwan et la France. Ce marché si important comprenait des pièces détachées de drone aérien et de drone sous-marin que les Taïwanais ne fabriquaient pas en série. En contrepartie, le gouvernement français recevait des puces électroniques militaires, des capteurs photosensibles, des sondes, des composants de détection, etc. Le transport des pièces détachées depuis la France devait d’abord se faire par voie aérienne, via la Turquie et aussitôt vers le Vietnam. Et ensuite, par voie maritime, via Manille aux Philippines, pour finir dans un port militaire de Taïwan.
Seulement, le convoi en question ne s’était pas passé comme prévu. Le navire n’était jamais arrivé à destination. Avait-il été intercepté ou coulé en mer de Chine ? Et par qui ? Les Chinois s’étaient-ils aperçus du commerce qui leur faisait du tort ? Après tout, c’était la concurrence planétaire. Et, les accuser d’emblée semblait trop simple. Alors, une fois de plus, un peu comme en 1992 à Macao, l’agent S.E.99 mettait les pieds dans la cage aux dragons d’Asie.
Taipei, au Sheraton Hôtel
Après avoir mangé au restaurant, Lazare Lambert s’empressa de remonter dans sa chambre, il avait hâte d’organiser le job qui lui était destiné. Mais tout d’abord, il estima qu’une douche lui ferait du bien, la chaleur était tellement collante. Heureusement, à l’intérieur de sa suite, la climatisation fonctionnait très bien, il quitta son ordinateur portable, il n’y avait rien de neuf. Alors, il jeta sa chemisette sur le sol de la salle de bains. Quinze minutes plus tard, il s’était changé et se sentait plus frais. À cette heure-ci, il pouvait encore faire une petite sieste, mais par pur réflexe, il consulta de nouveau le computer. Cette fois, il avait un mail, ça ne pouvait pas attendre.
Le message codé venait de Paris, de la DGSE, et forcément, du grand patron. Ce dernier lui demandait d’effectuer la liaison avec un agent de renfort et, justement au Sheraton Hôtel. Sur ce simple courrier, Lambert se dit qu’au moins, il ne serait pas seul sur le même sujet. À son tour, il se dépêcha d’écrire un premier rapport en précisant que l’entretien avec l’ambassade s’était bien passé et qu’il souhaitait des renseignements sur un certain Chen Liyu, officier militaire dans la marine taïwanaise, afin d’entrer en contact avec lui, à l’occasion d’une cérémonie organisée par l’ambassadeur le vendredi 13 au Sheraton.
Lazare rabaissa le moniteur et se mit à réfléchir pour la suite de sa journée. C’était le 9, la cérémonie n’étant qu’à la fin de la semaine, il se dit qu’il avait largement le temps de faire un tour en ville. Arrivé le matin même à Taipei, il n’avait rencontré que très peu de personnes, à part le consul et sa secrétaire. Du coup, il ne prenait pas beaucoup de risques en sortant de l’hôtel.
Il s’apprêtait à sortir de la chambre, mais ce fut à cet instant que le smartphone vibra dans la pochette de sa chemise. Un peu étonné, il fit un pas en arrière, referma le verrou de sûreté et se connecta aussi vite. Il avait un texto codé, qu’il déchiffra instantanément avec un décodeur intégré. C’était le renfort envoyé par le directeur de l’Agence parisienne. Le message disait :
« Je viens d’arriver – je suis à votre disposition en classe affaires au N° 850 ».
En lui-même, Lazare Lambert se dit :
— Déjà !
Du coup, l’après-midi serait donc à converser avec un de ses collègues, la mission ne commençait pas trop mal. Aussi sec, il répondit au message :
— J’arrive tout de suite.
L’hôtel Sheraton à Taipei ne comportait que 18 étages, alors Lambert ne mit pas cinq minutes pour frapper à la porte 850. Et là, ce fut une grande surprise pour lui. Celle qui venait d’ouvrir l’huis, n’était autre que Yulia Golovkin, l’ancien agent du KGB, recruté dix ans plus tôt par lui pour le compte de la DGSE.
L’émotion était tellement forte que la jeune femme lui dit :
— Eh bien ! tu vas rester longtemps dans le couloir ?
« L’année précédente, Yulia Golovkin et Lazare Lambert se trouvaient ensemble sur la même mission “L’espion du SNLE”. Après un dur accord, ils avaient failli finir dans le même lit. Et ce jour-là, le destin sonnait au portillon. Un texto du boss était venu perturber leur petite affaire. Mais parfaitement formés à la dure, ils avaient fait le travail avant tout ».
Lazare entra timidement. Yulia referma la porte et le verrou. Il avança vers le centre de la pièce en disant :
— Franchement, je ne m’attendais pas à toi !
— Tu es déçu ?
— Non, au contraire. Mais j’avais déjà l’esprit plongé dans la nouvelle mission.
— Compliqué, le job ? demanda-t-elle.
— Je n’en sais encore rien. Mais le boss a l’air de prendre ça au sérieux.
— Pour ma part, je ne suis au courant de rien. Il m’a juste envoyée ici pour te seconder.
— Je vois. Et j’en suis ravi.
— Alors… quel est le problème ? dit-elle encore.
« En 1992, les deux agents déjeunaient dans un restaurant à Nouméa. Ils venaient à peine de se tutoyer quand le message du directeur était survenu afin d’accélérer un mouvement de repli. Ils avaient bien été obligés d’obéir. Par la suite, ils ne s’étaient jamais revus ».
Du coup, cela faisait drôle à Lazare de tutoyer à nouveau la magnifique Russe. Son changement de visage était toujours une réussite, elle était plus belle qu’avant. Du moins, à l’époque où elle avait pointé un Tokarev automatique sur sa poitrine. S.E99 répondit :
— Si nous allions sur la terrasse du Sheraton ? Il y a une vue splendide et nous serions mieux pour parler… ça te va ?
— D’accord, je te suis.
Cinq minutes après, le panorama était à couper le souffle. Ils avaient une vue sur les gigantesques buildings, une vue à 360° sur Taipei, une vue sur les lampions asiatiques, une vue sur le détroit de Taïwan et la mer de Chine orientale. C’était aussi ce qui animait les convoitises de cette île.
À l’origine, Yulia était blonde aux cheveux longs. Mais dorénavant, elle était brune aux cheveux noir de jais, courts et très brillants. De plus, elle portait la robe traditionnelle de Taïwan : la qipao. Comme elle avait légèrement peaufiné son bronzage, la belle Yulia pouvait passer pour une femme du pays. Ce qui n’était pas pour déplaire à l’agent français. Une fois installés autour d’une table de la terrasse, Lazare Lambert commanda des rafraîchissements et commença à relater l’histoire du cargo disparu. La jeune femme ne broncha pas un instant et écouta avec beaucoup d’intérêts les premiers éléments de l’anecdote plutôt étrange. Bien sûr, Yulia était d’accord pour seconder son chef : filature, contre filature si c’était nécessaire, relais, liaison, soutien, contact, informatique, etc. Le boss l’avait envoyée pour ça.
Le soir venu, la nuit commençait à tomber sur la terrasse de l’hôtel, ils s’approchèrent irrésistiblement, l’une contre l’autre et vers le bord du parapet. Les lampions, les lanternes rondes, les néons commencèrent à briller de mille feux. Une fois de plus, le lieu où ils se trouvaient était magique. Un peu plus tard, Lazare invita Yulia à manger au restaurant du Sheraton. Ça évitait de sortir en ville, et surtout, de se faire repérer connement dans la capitale. Tous les lieux publics étaient surveillés par des indicateurs chinois. Le repas terminé, Yulia invita Lazare à prendre le dernier verre dans sa suite. Il accepta volontiers. Aussitôt, Yulia lui proposa de prendre place sur le canapé le temps qu’elle prépare le service à boisson.
— Un whisky ? lui demanda-t-elle.
— Oui, avec plaisir.
Après quelques heures en compagnie de l’androgyne russe taïwanaise, Lazare était aux anges. Elle revint vite avec un plateau, des verres, le scotch et des glaçons. Puis elle prit place sur l’angle opposé du divan, croisa les jambes, ce qui fit découvrir une partie de sa merveilleuse cuisse. L’attitude, spontanée et si naturelle ; avec la remarquable robe rose brodée d’or fendue très haut, c’était juste ce qu’il fallait pour activer les hormones masculines de l’agent secret.
Sans presque s’en rendre compte, ils se rapprochèrent l’un de l’autre. Juste ce qu’il fallait pour que Yulia pose une main sur le poignet de Lambert. Et là, leurs yeux se croisèrent exactement comme à l’aéroport de Nouméa – La Tontouta.
Yulia chuchota :
— Où en sommes-nous exactement ?
Lazare avait déjà compris. Cela faisait un bon moment qu’il humait l’odeur de l’amour dans la pièce. Depuis l’instant où ils s’étaient retrouvés, le duo vibrait machinalement, c’était le désir. La jeune femme avait une flamme sensuelle dans le corps, mais lui aussi. Ils se regardèrent encore un peu, presque en silence. Pourtant, l’ex-agent russe était loin d’être faible ou abandonné. Néanmoins, elle posa sa jolie tête sur l’épaule de Lazare qui se tourna plus vers elle pour l’embrasser. L’occasion était unique. Cette fois, c’était la bonne. La réception de l’hôtel pouvait téléphoner, le smartphone pouvait vibrer, les mails pouvaient s’entasser dans l’ordinateur, jamais ils ne répondraient.
Lambert enlaça complètement Yulia pour l’emporter dans la chambre. Il l’attira encore. Elle ne disait plus rien. Les pupilles dilatées, hypnotisées, ils s’étreignirent. Mais toute tremblante, elle s’écarta pour enlever sa belle robe. Enfin toute nue, féminine jusqu’aux ongles, et bien plus, elle lui dit :
— Prends-moi vite dans tes bras.
Il en fallait moins que ça pour Lambert. Il l’enlaça encore, et plus fort. L’agent Golovkin frémissait de plaisir. La chaleur du corps de la jeune femme faisait des ravages dans le bas-ventre de l’agent spécial.
Au petit matin, ils s’endormirent, leurs corps complètement en désordre sur le lit. Puis, Lambert se réveilla avec la lampe de chevet encore allumée. Il regarda le beau visage de sa maîtresse qui, effectivement, pouvait passer pour une Taïwanaise. C’était certain, le projet qu’il avait en tête lui revint à l’esprit, par contre c’était trop tôt pour lui en parler.
Vers 9 heures, le soleil entrait largement par la fenêtre de la chambre. Yulia se leva, s’étira toute nue, décrocha le combiné du téléphone pour commander le petit-déjeuner. Pendant ce laps de temps, Lazare Lambert prenait une douche. Quand il revint dans la chambre, la jeune femme russe avait passé un peignoir de bain sur son corps, elle lui sourit, il vint lui donner un baiser sur la bouche et ils s’installèrent calmement autour d’une petite table. Le café, les petits toasts et la confiture arrivaient juste à point pour les remettre d’aplomb.
Un peu plus tard, S.E.99 revenait dans sa propre chambre et le premier geste qu’il fit, fut d’ouvrir son ordinateur portable. Il avait un nouveau message de Paris. Celui-ci disait :
« Renseignements sur Chen Liyu – il ne figure sur aucun fichier de l’espionnage, du renseignement, ni du contre-espionnage – par contre, il semble tenir un poste important au sein de la marine taïwanaise – le choix du consul est bon – prenez vos dispositions pour le 13 au Sheraton Hôtel – il est nécessaire que ce soit votre agent de renfort qui creuse notre affaire de ce côté-là – pour votre sécurité, faites appel au binôme DD – continuez vos rapports avec la grande maison – merci ».
Lambert réfléchit deux secondes, et aussi vite, il se mit à cliquer sur le clavier pour envoyer un mail à l’équipe DD puisqu’il s’agissait de Claude Debonne et de Hervé Duchemin. Ces deux-là devaient s’impatienter à Hanoï au Vietnam, ils seraient ravis d’intervenir avec leur chef de toujours. Quant à Agnès Vidal et Luis Rodriguez, ils valaient mieux qu’ils attendent un peu plus à Bangkok en Thaïlande, leur tour arriverait bien assez vite. Puis, Lambert songea à la salle de conférences du Sheraton, et aussi sec, à Yulia Golovkin.
Ça commençait à s’organiser dans sa tête, une fois de plus, il allait devoir jouer serré parce que, de loger et de commencer la mission dans le même hôtel, pouvait être un piège à plusieurs étages. Malgré ça, il envoya un texto à l’ex-agent du KGB pour l’inviter à manger au restaurant. Celle-ci répondit aussitôt :
— Où… et à quelle heure ?
Lambert tabula sa réponse aussi vite :
— Viens dans ma loge à midi, nous aviserons.
« D’accord, mon chéri », lui répondit-elle en russe.
Lazare Lambert avait saisi le message.
La journée du 10 s’annonçait bien, S.E.99 avait le cerveau en effervescence. De nouveau, il écrivit un autre mail à l’attention de Debonne avant que les deux agents ne prennent l’avion pour Taipei. Son courrier disait :
« Songer à vous procurer des armes, du matériel d’écoute et de vision nocturne – impératif – des réservations vous attendent au Caesar Métro Hôtel – prévenir de votre arrivée – stop ».
Ça laissait largement le temps à ses deux collègues de venir s’installer et de s’organiser avant le 13. L’opération « ‘Sheraton » allait de toute façon venir très vite. Maintenant, Lambert pensait à Yulia. Il devait absolument lui dire des choses peu agréables. Comment allait-elle le prendre ?
Après tout, le directeur l’avait envoyée en renfort pour qu’elle exécute les ordres, elle n’avait pas vraiment le choix. Les ordres étaient les ordres. Soudain, le téléphone se mit à résonner dans la chambre, Lambert décrocha, c’était la réception :
— Monsieur Muller ?
— Lui-même, répondit-il.
— Un courrier vous attend à l’accueil.
— Merci, je passerai le prendre.
Là-dessus, Lambert passa un instant dans la salle de bains, il ajusta le col de sa chemise et sortit en refermant soigneusement la porte de sa chambre. Décidé à se dégourdir les jambes, il descendit les 18 étages à pied. Dans le hall de l’hôtel, on lui donna une enveloppe, elle contenait les invitations pour la cérémonie de l’ambassadeur de France.
Un peu avant midi, Lambert patientait dans sa chambre, il réfléchissait de plus en plus à son affaire. En fait, cela ne semblait pas très compliqué, mais avec son expérience, il savait qu’il fallait toujours compter sur un imprévu. L’idée du boss confortait la sienne, mais d’envoyer Yulia Golovkin dans les bras de Chen Liyu pour obtenir des informations, alors qu’il venait de passer la nuit avec elle, lui sembla quelque peu déplacé.
Il allait se servir un scotch, quand il entendit frapper à sa porte. Lambert se pressa d’aller ouvrir. L’agent Golovkin était aussi ravissant que la veille. En entrant comme une déesse, elle dit :
— Je me sens bien… et toi ?
— Ça va, les choses se mettent en place.
— Je parlais de nous deux.
— Nous espérions cela depuis plus d’un an, ça devait arriver, non ?
— Oui, en effet. Mais… tu ne m’embrasses pas aujourd’hui ?
Lazare se rapprocha d’elle, l’enlaça de ses grands bras et lui déposa un long baiser sur les lèvres. Mais dans sa tête, il ne se sentait pas fier. Il se dégagea de ses griffes pour lui dire :
— J’ai à te parler de notre affaire, mais sortons, je t’expliquerai tout ça au restaurant… d’accord ?
— Davaï, davaï ! dit-elle doucement en russe.
Puis elle ajouta :
— Tu me sembles bien grave aujourd’hui, je me trompe ?
— Les responsabilités de la mission… probablement !
Taipei City
Pour changer un peu, Lambert n’avait pas souhaité retourner au restaurant de l’hôtel. Personne, ou presque, ne les connaissait dans Taipei. Lui et sa compagne pouvaient quand même sortir en toute quiétude malgré les règles de sécurité. Toutefois, ils n’allèrent pas bien loin dans la ville, Lambert connaissait à peu près les meilleurs restaurants.
Vers 12 heures 30, ils débarquèrent vite d’un taxi pour entrer au Matsusaka, un établissement où l’on faisait exclusivement de la cuisine asiatique, très variée. Mais, comme ils ne voulaient pas trop s’attarder, pour raisons professionnelles, finalement ils commandèrent tous les deux des grillades. Le menu commandé, Lambert regarda Yulia droit dans les yeux, mais avec un regard un peu sombre. Alors, la jeune femme s’en aperçut de nouveau, et lui murmura gentiment :
— Vas-y, annonce les nouvelles… je m’attends à tout !
— En fait, j’ai reçu un retour de courrier du directeur. Il veut que ce soit toi qui t’occupes de Chen Liyu. Tu t’en doutais, peut-être ?
— Bien sûr que je m’en doutais. Si c’est pour cela que tu fais cette tronche-là, je te rassure d’avance, je n’en suis pas à ma première expérience. Au KGB… les femmes étaient souvent manipulées et utilisées pour récolter les premières informations.
Lazare Lambert était parfaitement au courant de la chose. Il la laissa parler :
— C’est comme ça, et depuis sa dissolution en 1991, rien n’a changé, c’est toujours les espionnes qui vont au charbon.
— Je sais, Yulia. C’est valable pour tous les services qui font du renseignement.
— Eh bien… alors ? Tu ne vas quand même pas me faire un coup de faiblesse sentimentale parce que nous avons couché ensemble ?
— Non, mais le minimum, c’était de te le dire en face. Et pas derrière ton dos.
— C’est fait, merci. À présent, passons vite au service action puisque c’est ce que veut notre directeur.
Lazare Lambert remarqua chez sa collègue un léger mal-être. Ce n’était sûrement que passager, mais elle se doutait que même pour obtenir une seule information sur les activités militaires et marines de Taïwan ; que ça allait lui demander pas mal de dextérité et de patience, voire de passer dans le lit de Chen Liyu, si toutefois cela s’avérait nécessaire.
— Au moins, ça a le mérite d’être clair. Maintenant, passons à la théorie et voyons si tu es d’accord sur la technique à appliquer.
— Ça a l’air simple pourtant, non ? ajouta Yulia.
— Pas tant que ça, figure-toi ! Effectivement… de participer à la cérémonie de l’ambassadeur semble facile. Seulement, il va y avoir toute une ribambelle d’espions yankees, chinois, russes, anglais. À commencer par les Taïwanais qui seront chez eux. Quant à nous les Français, nous sommes déjà éliminés par les Chinois. Alors si nous faisons le moindre impair sur ce coup-là, et qu’une organisation adverse se rend compte que nous enquêtons sur un convoi disparu de matériel sensible, c’est le retour séance tenante vers Paris. À moins qu’on nous retrouve à plat ventre dans une rizière de Taïwan avec un couteau dans le dos.
— Je n’y tiens pas vraiment ! répondit la belle Russe.
— Moi non plus !
— Alors, c’est quoi ton plan ?
— Eh bien, voilà. D’abord, j’ai reçu les invitations du consul. Ensuite il m’a envoyé un SMS pour plus de précisions. En effet, le Sheraton est très grand et il détient plusieurs salles de restaurant et de réception. La conférence de l’ambassadeur se tiendra dans la salle B au rez-de-chaussée à partir de 19 heures.
— Très serviable… le consul ! dit Yulia.
— Oui. En général, c’est le rôle des diplomates. Mais parfois, on tombe sur des réticents.
— Ou des trouillards qui ne veulent pas se mouiller.
— C’est ça, j’en ai connu.
— Moi aussi. Mais à ce petit jeu-là en Russie, ils ne faisaient pas long feu à leur poste.
— Pour ton information ; le boss est d’accord aussi, j’ai pensé qu’il valait mieux avoir tous les effectifs sous la main. J’ai donc envoyé un message à Claude Debonne et à Hervé Duchemin pour qu’ils se pointent au Caesar Hôtel. Puis, dans la foulée, j’ai fait la même chose pour Agnès Vidal et Luis Rodriguez. Où ils sont actuellement ; c’est-à-dire Hanoï et Bangkok, ce n’est pas si loin de Taipei. Ce qui fait qu’en toute logique, nos quatre amis devraient se mettre à disposition dès demain. Ils formeront deux équipes qui seront censées ne pas se connaître.
Yulia Golovkin écoutait très attentivement.
— Pour commencer, dit S.E.99, le duo « Debonne Duchemin » fera du repérage autour et dans la salle de conférences. Puis, la nuit, ils devront poser des microcaméras Full HD, parce que le moment venu, ces deux-là seront connectés sur les appareils dans un endroit secret, tout près du Sheraton, pour avoir un son de qualité et une vision excellente de tout ce qui va bouger, et parler la salle.
— OK, dit Yulia, toujours très à l’écoute de son chef.
Lambert continua son exposé :
— Pendant toute la cérémonie, les agents Vidal et Rodriguez seront en couple à l’intérieur de la salle. Munis d’oreillettes, ils seront en mesure d’envoyer ce qu’ils trouveront d’intéressant à l’équipe DD. Pour ma part... je ne te connaîtrais pas. Mais je ne serai jamais loin de toi, je tiens à ce que tout se passe bien pour ta propre sécurité.
— Je te remercie, mais à un moment donné… il faudra que tu me lâches les pompes, non ?
— C’est vrai. Et c’est ce que nous espérons, n’est-ce pas ?
— Oui, répondit-elle.
— L’idée… c’est que cela fonctionne à merveille avec le militaire taïwanais. Si par bonheur celui-ci décidait de t’emmener quelque part en voiture, il y aura un traceur invisible dans les plis de ta robe. Ainsi, nous saurons toujours où tu te trouves. Ce petit engin est totalement indétectable, tu pourras l’actionner à ta guise. Les anciens mouchards sont devenus obsolètes comme tu sais.
— Merci, la DGSE !
— Comme tu dis ! C’est toujours ça pour nous seconder au mieux.
— Ensuite, qu’est-ce que je devrai faire exactement ?
— Avec ta qipao brodée d’or et ta coupe de cheveux « Made in Taïwan », tu feras en sorte de rester seule et toujours très près de Chen Liyu. C’est un célibataire et d’après nos renseignements il aime les femmes. S’il est normalement constitué, cela m’étonnerait qu’il ne te repère pas au bout de quelques minutes. Essaie de ne pas te faire draguer inutilement par des diplomates, cela retarderait notre projet.
— Ensuite ? dit à nouveau Yulia.
— Ensuite, tu connais ton boulot. Il nous faut des renseignements sur toutes les activités de ce militaire. Principalement, les lieux de stockage de matériel sensible… tu vois ?
— Oui, j’ai compris.
— Il est possible que cela te demande plusieurs jours. Mais ne t’inquiète pas, l’important c’est d’y arriver. Avec mon équipe, nous ne serons jamais loin de toi, tu peux me faire confiance.
— Mais j’ai confiance en toi, Lazare.
— Moi aussi. Cela n’a rien à voir avec notre nuit d’amour. Je connais assez tes qualités d’espionne.
— Je sais ça aussi, mais ne t’excuse pas éternellement sur notre intimité… le boulot d’abord.
— Bon… puisque tu es dans un bon esprit, nous allons partir de ce restaurant et retourner au Sheraton. Je dois superviser nos collègues au millimètre.
Le vendredi 13, au Sheraton Hôtel à Taipei
Le matin même, Lambert était aux cent coups. Ni stressé, ou même angoissé, pourtant, son cœur battait un peu plus vite. Son organisation constituait de nouveau un petit réseau, certes bien rodé, mais en terrain miné. Il était conscient que de tout temps, les réunions diplomatiques se soldaient souvent par des écoutes secrètes et des vidéos occultes sur des personnages mystérieux. N’ayant pas d’autre solution pour parvenir à ses fins, lui aussi se préparait à faire le même exercice. Il prenait des risques, mais le boss avait lancé l’opération, il ne pouvait pas se dérober à ses obligations et encore moins faire machine arrière.
À 19 heures, et même avant, toute l’équipe de la DGSE était prête. Ils avaient tous un carton d’invitation. Claude Debonne et son partenaire se tenaient dans un logement privé, non loin du Sheraton, prêts à voir et à enregistrer toute la cérémonie. Sur un simple signal de leur chef, ils pouvaient même intervenir. Mais pour les deux costauds, l’idée de base c’était de rester dans le silence et l’ombre totale. En principe, la soirée devait se passer avec le gratin diplomatique de Taïwan : ambassadeur, consul, élus municipaux de Taipei, politiciens, militaires, médias autorisés, service de sécurité, personnel de table, ainsi que le gérant du Sheraton, qui devait se montrer aux petits soins avec les personnalités du monde, qui eux, ne manqueraient pas de faire des compliments ou des critiques sur son établissement.
Situé au N° 12, Zhongxiao E. Road à Taipei, le Sheraton était l’un des plus luxueux hôtels sur l’île de Taïwan. À 19 heures 15, la salle B du rez-de-chaussée était déjà pleine et d’après les renseignements du consul, la liste d’invités comportait catégoriquement 300 personnes. Ces gens seraient donc à l’aise, la salle de conférences faisait près de mille mètres carrés. Bien entendu, le champagne et les incontournables petits fours seraient au rendez-vous du cocktail de classe.
La nuit précédente, entre 3 heures et quatre heures du matin, le binôme « Debonne Duchemin » s’était introduit dans l’immense salle pour poser les micros et les caméras, sous l’œil protecteur de Lambert qui s’était procuré le double des clés de la porte. En une heure, les spécialistes aux écoutes avaient fait le job, tous les équipements spéciaux étaient dissimulés à la perfection.
Comme la salle était totalement rectangulaire, la technique était relativement simple avec un mobilier ultramoderne. Et, si toutefois, le service de sécurité devait passer la salle de réunion au détecteur de micro, ils n’y verraient que du feu, les appareils étaient de dernière technologie « Made in DGSE ».
À 19 heures 30, les gens continuaient d’affluer dans la pièce climatisée. Il y avait beaucoup de couples habillés sur leur 31, l’ambassadeur de France faisait des courbettes aux femmes puis, serrait la main à leurs maris. Le consul lui facilitait la chose en l’informant des fonctions de chaque personnalité. Beaucoup se précipitaient vers le coin buffet et tenaient gentiment un verre de champagne entre deux doigts.
Des petits groupes se formaient. D’un côté, les Occidentaux avec les Anglais et les Américains. Puis d’un autre on voyait les Asiatiques mêlés avec des Russes et quelques Japonais. Quant à Lazare Lambert, il se faisait très discret, pendant qu’Agnès et Luis se maintenaient en couple d’amoureux, en évitant le regard inquisiteur des Chinois. Car il y en avait obligatoirement parmi les invités du consul de France. Ce qui revenait à dire que chaque délégation devait avoir au minimum un informateur dans la salle. Pour Lambert, l’opération « ‘Chen Liyu » était simple et à la fois compliquée, car il était réellement à craindre que de vrais espions soient présents à la cérémonie, dont le but n’était autre que de présenter et d’installer le nouvel ambassadeur.
L’engagement du diplomate, vis-à-vis de la France, était de mettre en valeur les relations internationales : culturelle, économique, éducative et scientifique entre les deux pays. Et puis, un projet naissait dans les coulisses : la création d’une grande ambassade qui viendrait remplacer le petit consulat situé au 39e étage d’un building. Ce qui n’était déjà pas si mal pour la représentation politique, officielle et complète de la France.
Forcément, il fallait compter sur les Chinois. Avec leur idée déclarée de prendre Taïwan, les choses n’allaient sûrement pas être aussi simples. Mais en attendant, la DGSE avait une énigme à résoudre avec le fameux convoi disparu de matériel sensible, pour ne pas dire carrément, de pointure militaire.
***
Vers 19 heures 45, les derniers retardataires entraient dans le hall du Sheraton Hôtel. Le service de sécurité avait fait le job et en principe, aucune arme n’était passée au travers des yeux très vigilants des gardiens. C’était l’heure prévue, un son de tapotement sur un micro résonna dans l’immense salle de conférences.
L’ambassadeur de France, monsieur Georges Paris, venait de s’approcher d’une estrade. Le consul était à côté de lui, il fit lui-même la présentation du nouveau représentant de la France à Taipei. Aussitôt fini, il s’écarta pour laisser la place à monsieur Paris. Ce dernier commença par remercier les invités, qui l’applaudirent très chaleureusement. Puis très vite, l’ambassadeur commença courtoisement les habituels dialogues diplomatiques orientés surtout sur la politique étrangère. Son discours fut bref, néanmoins, il évita de pratiquer la langue de bois. Son langage n’aborda aucune ambiguïté, tout était dans le contexte, dans les valeurs des deux pays.
Ce type était habile, cela se voyait. En perspective, il avait été nommé par le président de la République, sur le conseil du ministre des Affaires étrangères, ce n’était pas rien. En guise de fin, le diplomate leva les deux bras vers ses hôtes, qui redoublèrent d’applaudissement. Enfin, Georges Paris s’empara d’un verre de champagne en souhaitant ses vœux à l’ensemble des invités. Des gens importants se tenaient tout près de lui, alors une avalanche de poignées de main commença.
Il devait être aux alentours de 20 heures. Maintenant, chacun pouvait reprendre une nouvelle coupe de champagne. Déjà, les discussions allaient bon train. Non loin de là, dans le QG secret de Claude Debonne et de Hervé Duchemin, tout se voyait, était enregistré. Et jusque-là, tout semblait normal. Lazare Lambert se faisait le plus discret possible. Il s’était donné le rôle de superviseur au cas où un événement quelconque surviendrait.
Pour Agnès Vidal et Luis Rodriguez, en couple épris, leur tâche était assez simple, il leur suffisait de coller aux basques de Yulia Golovkin pour la maintenir en sécurité. Elle n’en avait pas vraiment besoin, mais c’était comme ça. Bien entendu, cette dernière avait le rôle principal. Pour cela, l’Agence l’avait dotée d’un solide passeport au nom de Paula Channing. Sa profession était : attachée culturelle en charge de la diffusion de la langue française sur l’île de Taïwan. Son champ d’action pouvait donc être très large à Taipei et ailleurs. Une bonne couverture.
Du coup, pour l’ancien agent du KGB, ce fut assez facile de repérer sa cible. Elle avait vu la photo de Chen Liyu. Il était bel homme, grand, svelte, 30 ans et portait l’uniforme militaire de son pays. Pour la soirée de l’ambassadeur, le Taïwanais portait un pantalon blanc, des chaussures blanches, une veste fermée à quatre boutons dorés, une chemise blanche, une cravate noire, un insigne de la marine sur la pochette gauche, son grade sur les épaules et il tenait sa casquette sous le bras. Ça avait l’air d’être un homme bien élevé. Pour le moment, il était seul. Il grignotait des petits toasts et savourait le champagne en se tenant en face du buffet. Chen Liyu n’avait pas l’air de s’ennuyer, mais il fallait voir.
Yulia s’était rapprochée à trois ou quatre mètres de lui. Elle aussi était seule, tenait dans la main une flûte à moitié vide. Et, pour ne pas la remarquer, ou ne pas s’intéresser à elle, il fallait être soit homosexuel, ou être un mari honnête. Lui n’était ni l’un ni l’autre, c’était dans son fichier.
La qipao, cette magnifique robe rose brodée d’or, de fleurs et de dragons qu’elle portait, moulait à la perfection le corps harmonieux de Yulia Golovkin. Avec un petit col montant ; fendue des deux côtés sur les longs fuseaux de la jeune femme russe, cette tenue lui allait à ravir.
Dans la salle de conférences, les yeux des invités masculins s’étaient tournés depuis longtemps vers elle. Alors, qu’attendait le beau militaire et célibataire de surcroît ? Peut-être qu’il était intimidé par les hautes personnalités ? Toujours est-il que rien ne pressait, la cérémonie ne faisait que commencer. Seulement, la belle Yulia devait passer à l’acte décisif. Elle se rapprocha un peu plus du militaire, à peine à deux mètres, prétextant la proximité des petits-fours plus intéressants en face de lui. Personne n’était venu se placer entre elle et lui, pourtant, les mondanités du snobisme se pressaient autour du buffet. Une chance de plus.
En exploitant toute sa grâce féminine, l’agent de la DGSE se pencha légèrement, tendit un bras vers un plat miraculeusement encore garni, sans pour cela y parvenir. À cet instant Chen Liyu était à sa droite, il daigna enfin à la regarder plus profondément. Et là, se rendant compte que les toasts étaient trop loin à l’opposé de la table, le Taïwanais dit enfin :
— Attendez ! j’ai de grands bras.
Ce qui était vrai, il était grand.
Aussi sec, le militaire s’exécuta en tendant un plat à la jeune femme. Elle le remercia d’un léger sourire et d’une petite courbette. Du coup, Chen Liyu devint plus ouvert. Il dit encore :
— Vous voulez aussi un autre verre ? Je vois que le vôtre est vide.
— Je veux bien, merci, répondit-elle assez timidement.
Sur ce, le militaire s’empressa de prendre la coupe vide de la jeune femme et de lui en donner une autre. Puis, étonnamment, il ajouta :
— Très belle soirée ! vous ne trouvez pas ?
— Oui, absolument. Je suis très heureuse de faire partie des invités.
— Moi aussi, répondit-il. J’ai un peu hésité à venir, je pense que ce n’est pas vraiment mon rôle d’être ici… mais bon !
— Mais pourquoi donc ? Si l’ambassade vous a envoyé une invitation, c’est qu’il y a des raisons. Du moins… c’est mon avis.
— Ce que vous dites ressemble à du bon sens, néanmoins, je ne suis qu’un humble officier.
— Moi je pense que vous êtes trop modeste. Un officier doit être fier et doit se montrer à chaque occasion.
— C’est un peu vrai, alors trinquons à Taïwan et à la France.
Quand les deux coupes s’entrechoquèrent, Yulia lui glissa un joli clin d’œil dans les pupilles, l’officier de marine sembla plus hardi, déjà, il observait la jolie créature sous d’autres yeux. Mais si le premier contact était fait, il restait le plus adroit à exécuter. Désormais, Yulia ne devait plus le lâcher.
Dès qu’elle s’était approchée de lui en espionne experte, Yulia n’avait pas oublié de faire une pression d’un doigt habile sur un endroit précis de sa merveilleuse robe satinée. Du coup, le son arrivait directement aux oreilles de ses collègues et, également, au quartier secret « Debonne Duchemin », jusque-là, le plan ne se déroulait pas trop mal. Yulia devait enchaîner la suite sans trop réfléchir avant que quelqu’un ne vienne lui subtiliser le « garçon » de manière inopinée.
Comme il y avait beaucoup de fumée dans la salle, malgré la climatisation, Yulia tenta le coup :
— Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne supporte pas toute cette fumée de cigarette. N’y a-t-il pas un endroit plus calme, et surtout moins pollué ?
La jeune femme savait très bien que le Sheraton disposait de la superbe terrasse, puisqu’elle y était déjà venue avec Lambert.
— Bien sûr ! répondit-il. Si vous le voulez, prenons un verre de champagne et allons discuter sur le toit de l’hôtel. Taipei, à cette heure-ci, est une merveille d’illumination chinoise.
— Je pense que c’est une bonne idée.
— Alors, partons discrètement et prenons l’ascenseur.
Les collègues de l’agent Golovkin n’attendaient que ça. Ils les virent s’éclipser en douce. Pendant ce temps, les diplomates et consorts étaient en plein palabre, échangeaient des nouvelles et discutaient des affaires. De toute façon, personne ne viendrait se mêler aux relations d’un jeune couple. Quand justement, ils apparurent sur la toiture de l’hôtel, Claude Debonne parla dans son micro à l’attention d’un autre couple :
— Rejoignez-les vite ! Nous ne devons pas perdre un mot de ce qu’ils se disent.
Les agents de la DGSE ne se le firent pas dire deux fois. De l’ascenseur ultrarapide et en quelques secondes, Agnès et Luis étaient de nouveau sur les pas de Yulia et de son cicérone. En même temps, Lazare Lambert passait tranquillement entre tous les groupes d’invités. Il observait discrètement tout en évitant de boire trop de champagne. Il savait que l’information capitale à sa mission ne viendrait pas sur un coup de baguette magique et, de nature très patient, S.E.99 se fiait maintenant au savoir-faire de sa collègue… exceptionnelle.
D’ailleurs, ils en étaient encore qu’aux présentations. De plus en plus bavard, Chen Liyu dit à sa compagne du moment, tout en l’attirant plus près du parapet du building :
— Regardez un peu les merveilles de Taipei !
Yulia Golovkin les connaissait très bien. Elle répondit assez spontanément, comme si elle découvrait la capitale pour la première fois :
— Oh ! mais j’adore cette ville ! merci de m’avoir fait venir ici.
Puis ils burent un peu de champagne en laissant passer quelques secondes de silence. Mais là, Yulia ne devait pas couper le dialogue. Elle reprit :
— Vous ne m’avez même pas dit qui vous êtes !
— À ma tenue… vous aviez compris que je suis un militaire. Mais OK, je suis décidé à vous en dire un peu plus. Je m’appelle Chen Liyu et je suis basé à Taipei. Voilà, ça ne va pas bien loin.
Là, elle comprit qu’il ne disait pas la vérité, parce que la plus grande base navale de Taïwan se trouvait à Zuoying, Kaohsiung au sud de l’île. En même temps, il pouvait réellement être basé dans un centre administratif de Taipei, dans un commandement de la logistique ou dans un système de communication. Il fallait voir. L’idée de la DGSE, c’était d’apprendre exactement dans la branche qu’il exerçait. Mais Yulia ne pouvait pas lui demander directement. Un officier de la marine était toujours un homme prudent, elle devait biaiser ses questions. L’espionne enchaîna :
— Décidément, vous êtes réellement un homme modeste. Et j’apprécie, c’est une qualité.
Là-dessus, elle devint légèrement indiscrète, réfléchit d’abord deux secondes puis se lança comme si elle ne connaissait absolument rien de lui :
— Vous êtes marié, je suppose ?
— Non, pas encore. Mais j’espère que ça viendra.
— Je ne me fais pas de soucis pour vous.
— Merci. Mais vous… qui êtes-vous au juste ?
— Je m’appelle Paula Channing, je suis attachée culturelle, et comme vous… j’ai eu la chance d’être invitée à la cérémonie de l’ambassadeur. Les relations… vous voyez ?
— Bien sûr, c’est très important.
Ça se présentait bien. Le Taïwanais ne savait plus comment regarder la jeune femme tellement elle était ravissante. Était-il aussi timide que ça ? Bref, c’était un bon point pour l’espionne, qui du coup, n’avait pas vraiment besoin d’en faire des masses. Et puis, la terrasse était magnifique avec sa piscine au centre, le coin se prêtait aux confidences. De chaque côté du parapet, il y avait des tables et des chaises en bois de teck avec des parasols en toile beige. Pour les gens de passage dans cet hôtel 5 étoiles, la direction autorisait les clients à venir se reposer sur des transats très confortables. En d’autres temps, Yulia Golovkin aurait aimé se baigner ici avec Lazare Lambert, mais pour le moment, elle avait du boulot sur la planche, pour ne pas dire, sur le lit de Chen Liyu.
D’un seul coup, le ciel s’illumina beaucoup plus. Pourtant, il n’était que 20 heures 30. C’était tout simplement le building d’en face, l’immense tour de Taipei, qui envoyait ses habituels feux d’artifice. Ça crépitait partout au-dessus de la cité, une capitale aux mille feux féeriques et aux dragons de Chine.
Maintenant, leurs verres étaient vides. Chen Liyu se décida :
— Cela vous dirait si je commandais une bouteille de champagne ? Nous avons tout le temps… la cérémonie va durer probablement jusqu’à 22 heures.
— Oui, pourquoi pas ! D’ailleurs, je n’ai pas tellement envie de me faire draguer par les vieux schnocks. Oh ! mais, pardon ! Je voulais dire… par les diplomates.
Sur cette réponse claire, Chen Liyu lui sourit, interpella un serveur et invita « Paula Channing » à prendre place autour d’une table. Elle n’en demandait pas autant et, du coin de l’œil, l’ex-agent russe aperçut Agnès et Luis qui prenaient également une table. Elle fit mine de rien, ça la motiva pour passer aux choses sérieuses. Mais soudain, son regard fut attiré de nouveau sur ses deux collègues, quelque chose ne collait pas. Malgré ça, Yulia devait rester concentré sur son sujet, continuer d’accaparer Chen Liyu. Seulement, ça s’agitait chez ses amis. Vidal et Rodriguez étaient aux écoutes du poste d’observation de Claude Debonne. Des informations leur parvenaient, ça avait l’air de bouger en bas dans la salle de conférences. Quand Agnès et Luis partirent en trombe vers l’ascenseur, là, Yulia se dit que quelque chose d’important venait d’arriver. Chen Liyu ne se doutait de rien, il avait même l’air de prendre du plaisir avec sa compagne. Alors, il ne fallait pas le décevoir, mais Yulia avait maintenant deux préoccupations dans la tête. Que se passait-il pour que ses amis se dérobent si précipitamment ? Un tant soit peu intriguée, elle fit mine de rien et se concentra de nouveau sur l’officier de la marine taïwanaise.
Toujours le vendredi 13, dans la salle de conférences, au Sheraton Hôtel à Taipei
Claude Debonne, et son pote Duchemin, venaient de faire un agrandissement sur l’écran de contrôle qui faisait voir un attroupement au beau milieu de la salle de réception et, le service de sécurité s’approchait dans le dos des gens qui regardaient quelqu’un couché sur le sol.
Une femme s’agitait sur son torse, hurlait parmi le brouhaha qui s’élevait de la foule. Soudain, des invités de marque, dont la notoriété n’était pas à remettre en cause s’aperçurent qu’il s’agissait de l’épouse de l’ambassadeur, et vite, ils se rendirent compte que c’était son mari qui avait un problème. Ce dernier avait les yeux ouverts, ses jambes tremblaient légèrement et il était incapable de parler.
— Au secours, au secours ! mon mari est en train de faire un malaise cardiaque. Vite… faites quelque chose !
Quelqu’un dans la salle se précipita vers la pauvre femme, un médecin peut-être, il la repoussa gentiment, regarda de près les yeux du diplomate, et effectivement, ce dernier souffrait d’une maladie cardiovasculaire ou, cérébro-vasculaire. Dans le poste de contrôle, Claude Debonne n’en revenait pas, les micros et les caméras continuaient d’enregistrer. Dans quelques secondes, un agent comprendrait aussi à Paris et en informerait son chef. Un cycle déchirant commença parmi les invités quand le médecin se mit à faire des massages au malheureux. Lambert observait la scène. Légèrement en retrait, il vit arriver ses amis, il leur fit signe de ne pas intervenir. Aucun agent de la DGSE n’était censé se trouver dans la salle, du moins, officiellement. Le consul, lui, était atterré, jeté complètement dans la consternation et il se demandait si c’était possible.
L’ambulance avait dû faire le maximum en roulant vite dans les rues de Taipei. En sept ou huit minutes, l’ambassadeur était sur une civière en direction de l’hôpital et sa femme partait avec lui. C’était la stupéfaction au Sheraton Hôtel. Déjà, les personnalités du monde diplomatique se dispersaient dans l’incompréhension totale.
Trente minutes plus tard, le consul de France était le premier à être informé sur l’état de son confrère. La femme de Georges Paris lui envoyait un SMS depuis les urgences de « ‘Taipei City Hospital ». Ça disait :
« Cher ami. Je suis totalement effondrée. Mon mari vient de décéder. Les médecins n’ont pas pu le ranimer. Ils sont unanimes et disent qu’il a succombé à une crise cardiaque ».
Déjà très inquiet, le consul prit un coup de fouet derrière la tête. Néanmoins, il répondit très rapidement à madame Paris :
« Très chère amie. Je suis complètement abasourdi par le drame qui touche votre famille. Comprenez que je suis totalement avec vous dans cette douleur. Dès à présent, je m’occupe de prévenir le ministre des Affaires étrangères pour le rapatriement du corps de votre époux… si toutefois vous êtes d’accord, bien entendu. Sincèrement ».
Quelques instants plus tard, le consul recevait un autre texto :
« Je suis d’accord, vous pouvez faire le nécessaire auprès de la France. Je vous reverrai au consulat avant de partir. Merci pour tout ».
Quarante-huit heures après, donc le 17 août, Lazare Lambert recevait un courriel sécurisé du directeur de la DGSE :
« Croyez monsieur Lambert que je suis très choqué par la triste histoire de notre ambassadeur à Taipei – Tel que je vous connais, j’imagine que vous êtes encore médusé, voire soupçonneux par cette soudaine crise cardiaque sur un homme qui était en bonne santé. Bien entendu, je suis en accord avec vous, j’ai fait faire une autopsie sur le corps de monsieur Paris. Et voici le résultat de nos labos privés : 2 jours après le décès, le cadavre présentait une infime tache rosâtre dans le bas du dos, invisible à l’œil nu – la piqûre d’un poison neurotoxique – létal très probablement – veuillez vérifier vos caméras, il faut creuser de ce côté-là – continuez de faire des rapports réguliers – Merci ».
Lazare Lambert supprima aussitôt le mail, se mit à réfléchir.
Ce que venait de lui écrire le directeur avait été son premier sentiment simple et immédiat. Un tueur forcément, une organisation peut-être, avait éliminé le représentant de la France sur l’île de Taïwan, pourquoi ? Et pour qui, l’ambassadeur représentait-il un danger ? Qu’avait-il fait de mal pour qu’on puisse le supprimer aussi radicalement ? Ça, c’était des questions que le Français se promettait d’élucider. Et puis, la mort du diplomate avait-elle un lien, un rapport avec l’histoire du cargo disparu ?
Du coup, d’une mission à peine démarrée, Lazare Lambert se retrouvait avec un autre problème. Il se dit que, décidément, le métier ne lui faisait pas de cadeau.
***
L’agent S.E.99 consulta sa montre, il était 10 heures du matin et il songeait toujours au 13 août, le jour de la cérémonie ratée. Il se sentait serein, mais la tension venait de monter d’un cran et, fort heureusement, aussitôt la salle de conférences nettoyée par le service habituel de l’établissement, il avait fait intervenir de nuit Claude Debonne et son collègue pour déposer les micros et les mini caméras. C’était déjà ça, il se sentait un peu mieux de ce côté-là, il n’était pas souhaitable d’accumuler les problèmes.
Aussitôt la mort annoncée de Georges Paris, Lambert avait également ordonné à Agnès Vidal et à Luis Rodriguez de rester au secret dans leurs chambres respectives dans l’attente de nouvelles instructions. Puis, pour ce qui concernait Yulia Golovkin, l’affaire semblait bien engagée, l’ex-espionne du KGB, depuis sa rencontre avec Chen Liyu, roucoulait tous les jours avec un officier de la marine taïwanaise.
Pour l’instant, elle n’avait rien obtenu d’intéressant, mais elle avait le devoir de persévérer dans une démarche dangereuse de source de renseignements. Lambert lui faisait confiance.