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Adélaïde, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, brille au sommet de sa carrière, portée par l’amour de Georges-Édouard. Mais la jalousie de sa consœur Mireille provoque un sabotage cruel qui met brutalement fin à sa carrière. Brisée, Adélaïde doit abandonner la danse. Face aux trahisons et aux épreuves, elle puise en elle une force insoupçonnée pour se reconstruire. Cette renaissance lui permettra-t-elle de tourner la page et d’enfin retrouver le bonheur ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Béatrice Brennwald a entrepris l’écriture après le décès de son époux, cherchant à combler un vide immense. Elle a à son actif cinq récits, chacun témoignant de sa passion pour les mots. Pour elle, l’écriture est une nécessité et une source de réconfort, permettant de partager des fragments de son cœur avec ses lecteurs.
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Seitenzahl: 427
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Béatrice Brennwald
L’étrange destin d’Adélaïde
Roman
© Lys Bleu Éditions – Béatrice Brennwald
ISBN : 979-10-422-6219-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Baignée dans la pénombre croissante du crépuscule, Adélaïde observait l’ancien album reposant sur ses genoux comme un reliquaire de souvenirs. Entourée d’ombres qui dansaient au rythme des derniers rayons, ses doigts effleuraient délicatement la reliure usée. Chaque page semblait murmurer des échos d’une époque révolue, où chaque succès portait l’empreinte amère d’un secret enfoui.
Son regard s’attarda sur une photographie de Mireille, son âme sœur d’antan, puis se perdit dans celui figé de Georges-Édouard, l’amour de sa vie, les deux êtres qu’elle avait le plus chéris. Ces images, témoins silencieux d’un âge d’or, dissimulaient dans leurs contours fanés les traces d’une trahison impénétrable, suggestive d’un drame que même le temps ne pouvait brouiller.
Un soupir s’échappa des lèvres d’Adélaïde tandis que le vent soufflait un air mélancolique, composant avec les craquements de la cheminée une symphonie d’hiver qui semblait échoir les pensées de la demeure, complice de ses réflexions. Nimbée dans son sanctuaire d’intimité, elle contemplait son reflet marqué par l’épreuve des années, un contraste saisissant avec l’éclat vivace de son ancienne gloire.
À travers les vitraux immuables, les souvenirs de ses triomphes passés lui parvenaient assourdis, brouillés par l’isolement de son existence actuelle. Le temps, ce maître invisible, continuait de modeler en sourdine le portrait d’une âme solitaire.
Ignorante des mystères que le destin tissait encore dans l’ombre, Adélaïde ne pouvait deviner combien les pages jaunies allaient bientôt s’ouvrir sur une ère de renouveau. Elle était à l’aube d’une révélation qui pourrait rallumer la lumière de l’affection perdue depuis longtemps. Mais pour l’instant, elle demeurait captive dans un récit en suspens, au seuil d’un nouveau chapitre encore vierge de toute empreinte.
Avec nonchalance, Adélaïde se leva de son fauteuil, en marmonnant entre ses dents :
— Il faut que je descende au village, faire quelques commissions.
Ses yeux balayèrent le ciel gris à travers la fenêtre, témoin du changement incessant qu’elle redoutait tant :
— Quelle calamité, ce temps !
L’inertie l’enserrait comme une vieille cape, la retenant quelques instants de plus devant la fenêtre pour rêvasser.
Les souvenirs étaient doux-amers, s’évanouissant à mesure qu’elle laissait l’album ouvert sur la table, comme un musée d’émotions figées dans le temps. D’étranges pensées vinrent l’assaillir :
« Je suis pire qu’un animal blessé, enfoui dans sa tanière. »
Adélaïde prit conscience que les déboires de sa vie avaient insidieusement changé tout son être, d’où pullulaient tous ses vices. Elle s’attarda un instant sur cette prise de conscience avant de secouer la tête, comme pour chasser un morceau de la mélancolie qui s’accrochait à elle. Elle enfila son vieux manteau, dont les coutures témoignaient d’un usage quotidien et d’une usure certaine, puis coiffa un chapeau de pluie ciré, se préparant à affronter les caprices du ciel. Elle se dirigea vers la porte avec résignation.
Avant de quitter le seuil de sa porte, elle prit soin de verrouiller derrière elle à double tour, murmurant à mi-voix :
— On ne sait jamais, il y a tant de mauvaises personnes et tous ces garnements qui rôdent autour de la maison. J’espère qu’ils ne traînent pas dehors.
En effet, Adélaïde portait la marque de leur médisance, devenue malgré elle le souffre-douleur des enfants, une épreuve rendant chaque expérience à l’extérieur pénible et redoutée.
Une fois sur la chaussée, elle lança un regard scrutateur aux alentours, soupirant de soulagement à la vue des trottoirs déserts :
— Ouf, point de galopins !
Malgré sa jambe qui la faisait souffrir d’une boiterie sévère – stigmate d’une chute ancienne – elle accéléra son pas autant que possible. Mais son répit fut de courte durée.
Des voix aiguës brisèrent la quiétude de sa marche, telles des flèches acérées.
Submergée par leurs paroles, Adélaïde se retourna, ses yeux jetant des éclairs. Des grimaces effrayantes, instinctives, jaillirent de son visage, les faisant hésiter, puis reculer légèrement. Néanmoins, fortifiés par leur témérité juvénile, ils revinrent à l’assaut. Assaillie, elle se sentait piégée, perçant désespérément le chaos en quête d’une échappatoire.
Soudain, dans le tourbillon frénétique, une silhouette se dessina : un jeune homme à l’allure tranquille et posée se détachait par son assurance. Sa voix, claire et ferme, coupa à travers le vacarme, s’adressant aux garnements turbulents :
— Avez-vous donc si peu de respect pour déranger cette dame ? Allez-vous-en !
— Tu ne sais pas qui elle est, rétorquèrent-ils, c’est la sorcière du village !
Nonobstant leur ressentiment, ils finirent par se disperser, tirant la langue avec dédain.
— Excusez-moi, madame, puis-je vous accompagner pour vos courses ?
Son regard, imprégné de méfiance, scruta le visage du jeune homme, à l’air honnête. Adélaïde évalua subrepticement sa tenue simple, ses vêtements peu adaptés à la saison. Elle s’interrogea, en silence, sur les vicissitudes de sa vie :
« Il paraît si jeune, et pourtant si bien élevé. Quelle angoisse doit-il vivre pour être réduit à cette précarité ? Certainement, il cherche à obtenir de l’argent de ma part, pensa-t-elle. Je ne me laisserai pas attendrir. Pas une pièce ne sortira de mes poches, elles sont trop précieuses à mes yeux ! C’est un gueux, après tout. »
— Continue ton chemin, jeune homme, et laisse-moi en paix. Je suis parfaitement capable de me débrouiller seule.
Cependant, au plus profond d’elle-même, une petite voix murmurait cette interrogation : la véritable bienveillance pouvait-elle subsister, tel un trésor caché, dans les replis insoupçonnés de ce monde écorché par les épreuves ?
Martin, oppressé par un sentiment de tristesse, observa Adélaïde. Il percevait la froideur dans sa voix et, l’espace d’un instant, il oublia la vieille dame qui se tenait devant lui pour ne voir que la vague de colère qui émanait d’elle. Il se trouvait désemparé, incapable de saisir la raison de cet emportement. Il regarda Adélaïde s’éloigner vers les commerces, son esprit préoccupé par sa démarche précaire : « Ses déplacements sont si pénibles, le fardeau des années semble peser sur ses épaules, et son pas incertain confirme les épreuves d’une vie austère. » Une vague de sympathie l’envahit face à sa fragilité manifeste.
Il déambula dans les ruelles, l’âme errante, faisant halte devant la boulangerie pour demander quelques invendus. La boulangère l’accueillit d’un regard glacial, lui tendant le pain sec comme on se débarrasse d’un détritus, sans même le gratifier d’une parole. Martin rougit sous le poids de l’humiliation, s’efforçant de dissimuler son trouble sous des apparences de nonchalance.
Poussé par une timidité maladroite, il s’avança ensuite chez la bouchère, espérant obtenir quelques chutes de viande pour son prétendu félin. La bouchère, une brave femme, ne fut pas dupe du subterfuge et se douta bien de la précarité de ce jeune homme.
Elle choisit d’y répondre avec une générosité silencieuse, reconnaissant la dignité cachée en quête de bienveillance. Sous le comptoir, elle fit disparaître des morceaux de viande dans un sac. Dans le silence de ce geste clandestin, un simple échange de regards révéla leur accord secret, scellé dans un complice mutisme.
— Merci beaucoup, madame, répondit Martin avec un grand sourire.
Puis, il prit son courage à deux mains et demanda :
— Est-ce que je pourrais vous aider pour les fêtes ? Je pourrais livrer les commandes si vous voulez.
La bouchère le regarda un instant.
— Je vais en parler avec mon mari et on te dira demain. Comment t’appelles-tu ?
— Martin, répondit-il.
— Alors, Martin, à demain, dit-elle avec un sourire qui le fit se sentir un peu mieux.
Martin sortit du magasin, sentant une petite étincelle d’espoir. Il marchait maintenant un peu plus léger, avec la tête pleine de rêves pour les jours à venir.
Il se dirigea vers la maison tout en contemplant les décors de Noël dans les vitrines. Ceux qui étaient déjà suspendus allaient, la nuit venue, illuminer le village de mille feux, diffusant dans les maisons un mystérieux souffle de bonheur. Les enfants du monde entier attendaient cette fête avec impatience, certains que leurs souliers seraient bientôt garnis de leurs jouets préférés. Son cœur se serra en pensant à sa propre famille :
« Maman est malade et on n’a pas de quoi la soigner. Et mes petites sœurs, elles ont besoin de vêtements chauds et de bottes pour cet hiver qui s’annonce dur… »
Il serra les dents. Le travail chez la bouchère pourrait tout changer, il pourrait offrir à ses sœurs une vraie fête de Noël.
Arrivé sur la place principale, il s’arrêta un instant pour admirer le sapin géant qui trônait, bientôt couvert de lumières et de décorations.
— Il faut que je rentre.
Martin secoua la tête, refusant de plonger dans la tristesse.
— Je m’accroche à cet espoir qui m’a étreint tout à l’heure, dit-il à lui-même, et il repartit d’un pas plus ferme vers chez lui.
En rentrant, il trouva sa mère somnolant, l’air si faible et pâle. Il l’approcha doucement et déposa un baiser sur son front brûlant.
— Maman, ne t’en fais pas, j’ai de la viande pour préparer un bouillon. Ça va te faire du bien. Et je peux peut-être travailler chez la bouchère. Demain, on me donne une réponse. Si je suis pris, tout peut s’arranger.
Il prit ensuite le temps d’aider sa sœur Cécilia à préparer le repas pendant que Blondine dressait la table. Quand tout fut prêt, ils apportèrent un bol de bouillon à leur mère.
— Tiens, laisse-moi t’installer confortablement, dit Martin en arrangeant ses coussins.
Elle trouva la force de s’asseoir un peu pour boire quelques gorgées, mais l’effort la laissa épuisée.
Après qu’elle se fut rallongée, Martin la veilla un moment avant de lui dire :
— Repose-toi ! Nous, on va manger. Ensuite, je reviendrai, et tu essaieras de boire un peu plus de bouillon.
Martin s’était éveillé aux premières lueurs de l’aube, animé par un sentiment d’urgence vibrant, mêlé à une excitation palpable. Une journée capitale l’attendait. Avec une douceur attentive, il réveilla ses sœurs en leur murmurant que le dernier jour d’école avant les congés de Noël était arrivé. Rapidement, elles se vêtirent, enfilant leurs habits qui offraient une protection sommaire contre la rigueur de l’hiver, et ensemble, ils prirent le chemin de l’école.
— Bonne chance, Martin !
Leurs voix se fondaient avec les frimas matinaux, évoquant une mélodie de bonne fortune.
Puis, comme de petites étoiles filantes, elles s’éclipsèrent à l’intérieur de l’école, englouties par la clarté chaleureuse des salles de classe où échos de rires et bourdonnements d’activités les attendaient.
Martin, la nervosité palpable, se dirigea vers la boucherie, les mains frémissant légèrement à la pensée des événements imminents. En arrivant devant l’échoppe, il sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine. Il y avait dans le magasin quatre clients, aussi se tint-il en retrait.
Avec une calme résolution, Martin se plaça à l’écart pour attendre patiemment son tour.
Madame Pasquier le repéra entre deux ventes et, le voyant debout sagement dans un coin, elle lui fit signe avec un sourire :
— Bonjour, Martin ! Ta présence ici montre que tu es sérieux. Je suis heureuse de te dire que tu es embauché. Tu peux même commencer tout de suite si tu veux.
— Merci beaucoup, madame, dit Martin avec un sourire empreint de gratitude, bien que sa voix laisse transparaître une légère hésitation. Prenant une profonde inspiration, il se tourna vers sa future employeuse, déterminé à éclaircir sa situation personnelle avec soin et transparence.
— Cependant, je dois d’abord prendre soin de ma mère. Elle est alitée et s’inquiétera de ne pas me voir revenir. Il est aussi de ma responsabilité de préparer le repas de ce soir. Je pourrai commencer le travail cet après-midi, si cela vous convient.
Madame Pasquier hocha la tête avec une bienveillance compréhensive, consciente des charges pesant sur les épaules de ce jeune homme.
— Bien sûr, il n’y a aucun problème, sois ici pour quatorze heures. Mais avant que tu ne partes… Elle s’éclipsa un instant, réapparaissant avec un sac empli de victuailles. Martin accepta le sac, la gratitude peinte sur son visage, légèrement embarrassé tout en étant submergé par une vague d’émotion face à cette preuve de générosité impromptue.
— Merci… murmura-t-il avec difficulté, sa voix étranglée par un mélange de reconnaissance et de soulagement.
La neige commençait à tomber doucement, chaque flocon esquissant sa propre chorégraphie dans l’immense théâtre hivernal qui s’éveillait sous ses yeux. L’air frais était piquant, mêlant la beauté à l’éphémère, mais Martin ressentait une pointe d’inquiétude pour ses sœurs, qui n’avaient que de maigres protections face au vent glacial.
« Non, se résolut-il en lui-même, je ne peux pas laisser mes petites sœurs risquer de tomber malades pour quelques heures d’école. Elles resteront à la maison, et je leur préparerai un bon repas réconfortant. »
Martin se dépêcha de rentrer. Il ne marchait plus, il volait en pensant à la joie que sa mère ressentirait en apprenant la bonne nouvelle.
Arrivé chez lui, Martin monta rapidement l’escalier et entra dans la chambre de sa mère. Il la retrouva plongée dans un sommeil presque comateux. Excité, il la réveilla :
— Maman, réveille-toi, j’ai des nouvelles incroyables ! Madame Pasquier m’a engagé et je débute cet après-midi !
Jeanne se réveilla en sursaut. Elle le regarda et voulut soulever sa tête qui retomba lourdement. Avec une gentillesse empreinte de préoccupation, Martin lui présenta ses excuses pour l’avoir secouée si soudainement tout en partageant avec un enthousiasme mesuré la nouvelle de l’emploi acquis, soulignant la bienveillance de madame Pasquier.
Sa mère essaya de rassembler ses forces et, avec peine, elle étendit ses bras maigres pour étreindre son fils. L’étreinte était faible, mais débordante de fierté et de gratitude pour le courage qu’il avait montré.
— As-tu faim, maman ? Puis-je te préparer quelque chose ? lui demanda Martin.
— Je n’ai pas grand appétit aujourd’hui, mon chéri, mais pour célébrer ta nouvelle, je mangerais volontiers un peu de ce que tu m’apporteras, répondit-elle avec tendresse.
— Je reviens dans une seconde, les filles rentrent, et je dois les accueillir. À tout à l’heure, maman. Je ne ferme pas complètement la porte, promit-il avant de filer à la cuisine.
Blondine passa la porte la première, pétillante d’excitation. Elle serrait contre elle un petit chaton gris, dont les yeux d’un bleu profond comme la nuit semblaient chercher dans l’étreinte de l’enfant un refuge contre les tempêtes du dehors.
— Il était blotti dans la neige et tremblait de froid. Je vais lui donner un peu de lait chaud, dit-elle, débordante de sollicitude.
Martin observa l’adorable petite boule de poils grise ronronner entre les mains de sa sœur, lui arrachant un doux sourire malgré la situation.
— C’est sûr, il m’aime déjà ! s’exclama Blondine, radieuse devant cette marque d’affection spontanée.
Martin hocha la tête avec amour, mais aussi avec un pragmatisme teinté de préoccupation.
— Écoute, Blondine… On a déjà du mal à joindre les deux bouts et avec maman malade, on ne peut pas vraiment s’offrir le luxe de nourrir un animal, aussi mignon soit-il. Peut-être appartient-il à une famille dans notre immeuble.
Il changea de ton pour en adopter un plus léger et encourageant :
— Pas d’école cet après-midi à cause de la tempête. Restez au chaud, et après avoir déjeuné, vous irez, toutes les deux, vous renseigner auprès des locataires. Je suis sûr que ses maîtres se trouvent dans la maison. Cécilia, je te fais confiance pour prendre soin de maman.
Puis, regardant l’horloge, il ajouta avec un brin d’urgence :
— Il faut que je parte maintenant. Je serai de retour pour le dîner.
Un toussotement sec s’éleva de la chambre où leur mère se reposait, suivi d’une quinte de toux terrible qui la laissait tremblante et en sueur.
Les enfants se précipitèrent à ses côtés, la redressant doucement pour l’aider à respirer plus aisément. Cécilia mouilla un linge pour apaiser son front fiévreux tandis que Martin agençait les oreillers pour lui offrir un peu plus de confort.
— À ce soir, maman.
— Prenez bien soin d’elle et faites attention avec ce chaton, recommanda Martin en se dirigeant vers la porte. Et surtout, ne parlez pas à maman de la découverte du petit chat, pour ne pas l’inquiéter davantage, murmura-t-il.
Blondine acquiesça avec sérieux, un éclair de responsabilité traversant ses yeux d’enfant.
— Ne t’en fais pas pour nous, concentre-toi juste sur ton travail, d’accord ? l’encouragea-t-elle, en essayant d’imiter les adultes avec enthousiasme.
Après ces tendres précautions, Martin affronta le froid glacial, laissant derrière lui une maison emplie de chaleur humaine malgré la précarité qui l’entourait.
Les deux sœurs se relayèrent auprès de leur maman jusqu’à ce que, rassurées par son sommeil tranquille, elles entreprennent de résoudre l’énigme du petit chat. Tapi dans l’ombre, l’animal les observait de ses yeux bleus, calme et silencieux.
— Arrête de pleurer, Blondine, tout va s’arranger, consola Cécilia tout en caressant les cheveux de sa sœur.
— Peut-être qu’un jour, quand la santé de maman s’améliorera et qu’elle reprendra son travail, on pourra penser à adopter un petit compagnon. Mais pour l’instant, concentrons-nous sur notre mission. Nous avons juste trois étages à parcourir.
Les appels répétés au troisième étage demeurèrent sans réponse. Les locataires semblaient absents.
— Allons voir au deuxième, suggéra Blondine, essuyant d’un geste ses larmes récalcitrantes.
La descente des escaliers se déroulait dans un silence oppressant, jusqu’à ce qu’une voix rauque surgisse, figée d’échos, leur glaçant le sang.
Avec une prudence mêlée d’appréhension, elles avancèrent vers l’origine du son, une porte entrouverte d’où s’échappaient les intonations éraillées, mystérieuses et inquiétantes.
Osant un regard discret, elles découvrirent une vieille femme vêtue de noir, apparemment plongée dans une intense réflexion, marmonnant à mi-voix des mots énigmatiques et confus, inaudibles aux oreilles enfantines qui tentaient vainement de les décrypter.
La peur les saisit soudain, et leur envie de partir fut brusque. Cependant, dans leur hâte, Cécilia heurta la porte, la faisant claquer bruyamment contre le mur. En un instant, elles se trouvèrent nez à nez avec la femme mystérieuse, qui les dévisageait avec une intensité déconcertante.
— Que faites-vous ici ? D’où venez-vous ?
La voix aiguë de la femme les interpella avec une sévérité qui fit frissonner Blondine. Sans le vouloir, elle pressa le chat contre elle, provoquant un miaulement plaintif qui fit tressaillir l’occupante des lieux.
— Oh, mais c’est ma petite Minette que tu as là ! Où l’as-tu trouvée ? Allons, ne me regardez pas ainsi, je ne suis pas une ogresse !
Son ton s’adoucit, détendant légèrement l’atmosphère. Blondine, rassurée, tendit la chatte à sa propriétaire.
— Elle était dehors, seule dans le froid, alors nous l’avons accueillie chez nous pour qu’elle puisse se réchauffer.
— Venez, entrez. Pour vous remercier, je vous offre des gâteaux et du thé. Vous logez ici, dans l’immeuble ?
— Oui, madame, tout en haut dans les combles, répondirent-elles en chœur.
Elles la suivirent timidement jusqu’à la salle à manger où la femme leur indiqua des chaises avant de disparaître vers la cuisine. Les yeux des fillettes se perdirent sur des peintures, des photographies, des gravures, immortalisant la beauté éblouissante d’une jeune femme déployant son corps dans différentes figures de danse. Ces images rendaient hommage à sa grâce et à sa souplesse. La ballerine était hissée sur la pointe des pieds. Son corps, porté par des jambes puissantes, formait une cambrure parfaite. Les enfants restèrent comme hypnotisées devant une photographie représentant une petite danseuse. Elle semblait avoir à peu près l’âge de Cécilia, soit douze ans. Qu’elle était belle dans son tutu rose et ses chaussons de la même couleur ! Les petites filles auraient bien voulu être à sa place. Elles étaient tellement absorbées dans leurs pensées, qu’elles n’entendirent pas les pas de la femme, les bras chargés d’une théière et d’un assortiment de biscuits.
— Allez, asseyez-vous donc. Vous êtes mes invitées, les convia-t-elle avec une chaleur nouvelle dans la voix, les tirant de leur rêverie.
En s’installant, les fillettes sentirent la richesse du passé qui entourait cette maison, comme un écho distant de la lumière et de la beauté de la vie qui avait autrefois dansé dans ces murs.
— Installez-vous ! Les mots de la vieille dame, imprévus et pleins d’entrain, prirent les jeunes filles de court. Elles bondirent vers la table avec empressement, emportées par une certaine nervosité. Alors que leurs yeux faisaient encore écho à l’éclat des images, Blondine, poussée par la curiosité, s’enquit doucement :
— Qui est cette magnifique danseuse ? Et la petite fille, elle semble si joyeuse quand elle danse. C’est comme ça que ma sœur se sent quand elle est heureuse.
La femme dressa les sourcils.
— La curiosité peut être un vilain défaut, réprimanda-t-elle avec un sourire en coin qui voilait à peine une pointe d’affection.
Prises au dépourvu par la remarque, les filles rougirent, mais les gâteaux alléchants devant elles effacèrent rapidement tout sentiment de gêne.
Alors qu’elles s’apprêtaient à se régaler, la main de la dame les stoppa net avec une fermeté surprenante.
— Ah, non ! Pas de gourmandises pour ces petites mains sales. Venez, lavez-les et ensuite, vous pourrez savourer ces biscuits comme il se doit.
Les joues encore rosies par la honte, Cécilia et Blondine se dirigèrent vers la salle de bain. Dans le silence feutré, Cécilia murmura à sa sœur :
— On ne peut pas rester, il faut rentrer rapidement. Maman pourrait s’inquiéter si elle nous trouve absentes à son réveil.
Lorsqu’elles réintégrèrent la salle à manger, la femme était déjà assise, sirotant son thé dans une tranquillité solennelle.
— Voyons voir si vous avez bien lavé vos mains, exigea-t-elle.
Constatant leur propreté avec approbation, elle les autorisa à s’asseoir.
— Quels sont vos prénoms ?
— Je suis Cécilia et voici ma sœur, Blondine. Nous aimerions vraiment vous remercier, madame, mais nous devons y aller. Notre mère est gravement malade et nous devons veiller sur elle, expliqua Cécilia, l’hésitation au bord de chaque mot.
— Comment se nomme votre mère, et quel est votre nom de famille ? interrogea la vieille dame, une lueur d’intérêt scintillant dans ses yeux.
Les filles se regardèrent, incertaines de révéler des informations si personnelles, mais la gentillesse atténua leurs réserves. Cécilia prit une inspiration et répondit…
— Notre mère, c’est Jeanne Terrillon, révélèrent les fillettes d’une voix timide.
Le regard de la femme en noir devint plus intense, plus attentif, comme si les quelques mots l’avaient transportée dans un ailleurs profondément personnel.
La femme regarda les fillettes avec curiosité.
« Comme elles sont pauvrement vêtues. Leurs habits sont inadéquats pour cette saison, et comme elles ont l’air chétives. Elles sont bien élevées et vraiment mignonnes. Je dois voir ça de plus près », se dit-elle en se dirigeant vers la cuisine d’où elle revint avec un sac à provisions.
— Je viens avec vous. Voyons comment je peux vous assister, dit-elle avec décision, passant à Cécilia un sachet à remplir de biscuits, tandis qu’elle-même prenait soin de la théière.
Lorsque la dame en noir franchit le seuil de l’humble demeure des Terrillon, elle fut saisie par la précarité manifeste du lieu. Cécilia et Blondine, conscientes de l’état de leur logis, échangèrent un regard empli de gêne.
— Est-ce là votre mère qui tousse si fort ? s’inquiéta-t-elle alors que les enfants s’affairaient auprès de leur mère, suivies de près par la femme qui ne cachait pas l’effroi que lui inspirait la scène.
Jeanne Terrillon luttait pour respirer, secouée par des spasmes violents, la sueur froide faisant briller sa peau malgré la faible chaleur de l’appartement.
— Maman, tiens bon ! lancèrent les petites, les voix entrecoupées d’inquiétude.
La dame ne perdit pas une seconde.
— Je dois immédiatement appeler le docteur Langlois. J’ai le pressentiment que c’est grave. Il faut qu’elle soit transportée à l’hôpital sans attendre. Cécilia, en attendant, donne-lui un peu de ce thé pour la réconforter, ordonna-t-elle, prenant les choses en main.
Le médecin, une fois informé, promit qu’une ambulance serait dépêchée malgré les rues enneigées et difficilement praticables.
Heureusement, la tempête de neige s’était apaisée, offrant un espoir que l’aide arriverait à temps.
Accablée par le poids des récents événements, la sexagénaire se laissa glisser dans un fauteuil, son apparence trahissant une fatigue digne de quelqu’un bien au-delà de ses années. Elle futaussitôt submergée par un flot de pensées, entremêlées à une voix intérieure insidieuse qui la sommait de faire le bilan de son existence :
« Il est temps de faire face à la réalité de ta vie. Que restera-t-il de ton passage ici-bas ? Voilà donc où tu es arrivée. La richesse, le triomphe de ta carrière, et pourtant… tu as choisi la solitude. Tu as repoussé l’amour sincère, renoncé à la maternité par pur égoïsme, ton insatisfaction est devenue rancune à l’égard du monde. Autrefois, ton cœur était rempli de douceur, mais il s’est peu à peu pétrifié, devenant aussi inébranlable que le granit. »
Face à ce constat, l’écluse de ses émotions s’ouvrit soudain, libérant ses larmes en une cascade poignante, chargée de remords et de souffrances passées, mais éclairée par une prise de conscience tardive. Les barricades dressées autour de son âme, faites d’orgueil et d’intérêt personnel, s’ébranlaient enfin, permettant à l’amour sincère et longtemps confiné de se frayer un chemin vers l’extérieur.
Avec une détermination ressurgie des profondeurs de son être, elle se redressa et, s’adressant à elle-même à haute voix, déclara :
— Il est temps de donner un sens nouveau à ma vie. Je vais m’investir, aider cette famille. Cette mère doit guérir. Il reste dix jours avant Noël et je veux qu’elle puisse le célébrer chez elle, entourée de ses enfants, se promit-elle.
Elle remonta l’escalier, mue par une résolution nouvelle, prête à affronter les prochaines épreuves. Les petites la guettaient, l’anxiété peinte sur leur visage.
— Madame, venez vite, maman ne réagit plus. Elle est si faible, elle vient de s’endormir, l’alarma Blondine, les yeux pleins d’effroi.
La femme, émue par leur détresse, s’approcha du lit et posa une main apaisante sur l’enfant.
— Ne vous inquiétez pas, je suis là. Nous allons prendre soin de votre maman ensemble, murmura-t-elle, avec une tendresse et une assurance nouvelle.
La sonnette retentit :
— C’est sûrement le médecin, allez ouvrir, suggéra la femme d’une voix pleine d’autorité, mais douce.
Le docteur Langlois pénétra dans la pièce et se mit tout de suite au travail, sondant l’état de la mère avec une concentration aiguë. Après une auscultation approfondie, son expression trahit une vive inquiétude.
— La situation est critique. Je vais administrer une injection pour la soulager avant son transfert à l’hôpital, annonça-t-il alors que les ambulanciers se préparaient à transporter Jeanne avec précaution.
— Je vais les accompagner et prendre en charge son cas personnellement. Je vous appellerai avec des nouvelles dès que possible, promit le médecin avant de s’éclipser avec les secouristes.
La vieille femme exprima sa gratitude en insistant pour régler ses honoraires.
Cécilia et Blondine, submergées par les larmes à la vue de leur mère partant pour l’hôpital, trouvèrent réconfort dans l’étreinte chaleureuse de la femme en noir qui les soutenait.
— Allons chercher quelques affaires, je vais prendre soin de vous, leur dit-elle en leur essuyant les joues. Ce soir, après un bon bain, vous m’aiderez à préparer les lits et puis nous partagerons un bon repas.
— Madame, il faut que vous sachiez ; notre frère Martin a commencé à travailler aujourd’hui chez madame Pasquier, la bouchère. Il va bientôt revenir, et s’il nous trouve absentes et la porte fermée, il sera très inquiet, expliqua Cécilia à travers ses sanglots.
Avec détermination, la vieille dame enveloppa les filles d’un nouveau regard, empli de compassion.
— Ne vous en faites pas pour Martin. Allons prévenir madame Pasquier pour qu’elle l’informe de venir ici, chez madame Perrenoud, au deuxième étage, dit la dame bienveillante.
Les petites mirent leurs mains dans celles de la dame, une étincelle de confiance scintillant dans leurs yeux.
En ressentant leur toucher, quelque chose s’anima en elle, un émoi qu’elle n’avait pas ressenti depuis des lustres. Soudainement, elle se tint plus droite, sentit moins le poids des années sur elle, reboostée par cette affection inattendue.
Une fois l’appel passé à la bouchère, elle prit soin de baigner les fillettes. En pyjama, elles se mirent au travail, aidant madame Perrenoud à arranger leurs lits et à préparer une table accueillante, tout en s’émerveillant devant la multitude de jolies choses qu’elles voyaient rarement chez elles.
Quand la sonnette retentit, les deux sœurs se précipitèrent, sachant que c’était Martin qui arrivait. Excitées, elles entraînèrent leur frère jusqu’à la cuisine où madame Perrenoud s’affairait aux fourneaux.
— Bonsoir, madame, je m’appelle Martin, annonça-t-il avec délicatesse.
Adélaïde, s’étant retournée, l’examina brièvement. Une lueur de stupeur dansa dans ses yeux lorsqu’elle reconnut le jeune homme. Martin, à son tour, reconnut la dame qui la veille l’avait jugé sur son apparence peu soignée.
— Vous étiez méfiante face à ma tenue modeste. Vous avez sans doute cru avoir à faire à un voyou, constata Martin, un soupçon d’amertume teintant sa voix, bien que celle-ci trahît également une certaine compréhension.
Adélaïde ne put qu’acquiescer, se retrouvant face à une situation aussi inattendue que révélatrice. Sentant son visage s’empourprer sous le coup de la honte, elle lui présenta ses excuses pour la manière dont elle avait réagi lors de leur précédente rencontre et l’invita à s’asseoir. Cécilia déposa un baiser sur la joue de son frère tandis que Blondine, bouillonnante d’enthousiasme, lui fit part de leur aventure. Blondine s’adressa rapidement à son frère :
— Le petit chat, Jody ! Il est à madame Perrenoud !
Et Cécilia ajouta avec concision.
— Elle nous a aidées avec maman. Maintenant, maman est à l’hôpital, tout est arrangé grâce à elle.
Martin observait Adélaïde, captivé par l’éclat neuf qui semblait émaner d’elle. Se relevant, il fut saisi d’une émotion palpable, enveloppant les mains d’Adélaïde dans les siennes, dans un geste d’une tendre gratitude. L’air était chargé d’un courant de reconnaissance profonde et silencieuse. La force et la beauté de l’âme de ces jeunes gens face aux épreuves de la vie, la submergea d’une affection et d’une compassion débordantes.
— Appelez-moi simplement Adélaïde, leur dit-elle, plus douce qu’ils ne l’avaient jamais entendue.
Ces mots, simples et chaleureux, marquèrent une nouvelle ère, faisant tomber les barrières du passé. Martin sentit l’importance du moment et rassura ses sœurs d’un regard encourageant. Devant eux se tenait une Adélaïde transformée, abandonnant la froideur d’autrefois pour une présence plus chaleureuse et accueillante.
La journée avait été longue pour chacun d’entre eux, pleine de détours et d’actes de gentillesse, de leçons apprises et de liens tissés, allant au-delà des apparences et des préjugés.
Adélaïde, émettant une fermeté empreinte de tendresse maternelle, se tourna vers Martin.
— Laisse-moi alléger ton fardeau : je veillerai sur tes sœurs durant tes heures de travail. Et tant que votre mère réside à l’hôpital, cette maison sera aussi la vôtre. La spacieuse chambre accueillera les filles, quant à toi Martin, la pièce à l’arrière t’est destinée. Est-ce que cela vous convient ?
Les yeux des enfants scintillèrent d’un éclat complice, et dans un élan d’unisson, ils s’écrièrent :
— C’est incroyable, merci, Adélaïde !
Une onde émotionnelle étreignit le cœur de Martin. En dépit de l’inquiétude pesante pour sa mère, la sollicitude d’Adélaïde tissait autour de lui un voile de réconfort inespéré. Accablé, certes, par la situation délicate touchant sa mère, il s’autorisait néanmoins à percevoir un fil d’espoir : elle était entre de bonnes mains, et en son for intérieur, il se mit à espérer une convalescence prompte et sereine.
Adélaïde les rappela au moment présent, les encourageant à rejoindre la table garnie. Les yeux des enfants s’écarquillèrent face à l’abondance du repas, révélant silencieusement les privations endurées.
— Martin, une fois rassasié, pourrais-tu partager avec moi les circonstances qui vous ont menés à une telle situation ? Je comprends la difficulté, mais j’espère que tu me considères comme une alliée, lui demanda-t-elle avec douceur.
La gratitude illuminait le regard de Martin lorsqu’il répondit :
— Après tout le soutien que vous nous offrez, la confiance s’impose d’elle-même.
Le repas fut un moment empreint de convivialité, où chacune des bouchées dégustées par les enfants révélait un peu plus leur résilience face aux épreuves. Et pour Adélaïde, la réalité de leur condition se cristallisa non seulement dans leurs silhouettes émaciées, mais aussi dans la ferveur avec laquelle ils se nourrissaient. Une lueur d’espoir renaissait à chaque sourire échangé autour de cette table.
Alors que les dernières assiettes se vidaient, Martin et ses sœurs se levèrent pour débarrasser la table. Adélaïde, cependant, les arrêta d’un geste doux et insistant.
— Laissez-moi prendre soin de la vaisselle ce soir, proposa-t-elle avec un sourire. Vous pourrez m’aider en l’essuyant. Considérez cela comme la première de nos nombreuses soirées de célébration.
Dans cette danse spontanée des tâches ménagères, Martin et ses sœurs découvraient un lien unique qui se tissait entre eux – les prémices d’une famille de cœur. Dans chaque geste et chaque sourire échangé se dessinait la promesse d’un futur serein, un sentiment de communion qui faisait bourgeonner un sentiment de famille. Prêts à affronter ensemble les défis à venir, ils partageaient un optimisme réconfortant et un sens de l’appartenance, forgés en cette soirée qui resterait gravée dans leur mémoire.
— Adélaïde, vous nous avez tant donné aujourd’hui, et je vois la fatigue dans vos yeux. Prenez place sur cette chaise et reposez-vous un instant !
Adélaïde accepta avec gratitude, touchée par la prévenance du jeune homme.
« Pour la première fois depuis fort longtemps, quelqu’un prend soin de moi », pensa-t-elle.
Elle s’abandonna à la tendresse qui émanait de la voix de Martin, fermant les yeux et se laissant submerger par le sentiment chaleureux qui avait enveloppé la pièce. Elle savait dans son cœur qu’elle avait fait le bon choix.
La vaisselle terminée, Cécilia et Blondine, après s’être brossé les dents, revinrent vers Adélaïde et Martin. Blondine, avec la candeur de l’enfance, demanda doucement à Adélaïde si elle pouvait s’asseoir sur ses genoux. La réaction de surprise de celle-ci fut de courte durée, car la petite s’était déjà blottie contre elle, enlaçant son cou de ses bras enfantins.
La petite voix de la fillette trancha le silence avec sa question pleine d’innocence :
— Peux-tu être notre mamie ?
Les mots simples de l’enfant percèrent la retenue d’Adélaïde comme une brèche s’ouvrant sur un flot d’émotions. Des larmes s’échappèrent, signe de l’attachement naissant pour ces enfants qui s’insinuait dans son cœur.
— Que lui as-tu demandé ? interrogea Martin, alarmé par la tristesse soudaine qui voilait le regard d’Adélaïde.
Celle-ci sourit à travers ses larmes et révéla :
— Elle a demandé si je voulais être votre grand-mère.
Avec un simple et chaleureux « Oui », elle accepta, ouvrant grand son cœur à ce nouveau rôle qui lui était tendu. C’était le début de quelque chose de spécial, la naissance d’une famille de cœur où chacun était spontanément invité à partager l’amour et le soutien.
Les enfants se serrèrent doucement autour d’elle, leurs baisers porteurs d’une gratitude tendre. Même Martin, d’ordinaire si mesuré, ne put cacher son affection. Adélaïde, séchant ses larmes, les contempla avec tendresse, ses yeux illuminés par la promesse des liens qui les uniraient désormais.
Adélaïde, reprenant ses esprits, les regarda avec bienveillance :
— Il est temps pour vous d’aller au lit, mes chers enfants.
Les fillettes s’empressèrent de profiter du bonheur réconfortant qu’apportait l’idée d’avoir désormais une grand-mère. Elles échangèrent avec elle de tendres baisers du soir :
— Bonne nuit, mamie, à demain.
Martin, le sourire aux lèvres, les accompagna à leur chambre, les borda bien chaudement et leur souhaita une nuit étoilée de rêves et de magie. Leurs paupières se fermaient déjà, leur visage radieux dans la quiétude de la nuit.
Retournant auprès d’Adélaïde, le jeune homme hésita encore à adopter ce terme de mamie avec elle.
— Est-ce le moment pour moi de m’ouvrir sur les épreuves qui ont assombri notre vie ? Si la fatigue vous pèse, nous pourrions en parler demain.
Adélaïde, attentive, lui fit signe de s’asseoir.
— Il est important que je sois au courant. Je serai là pour t’écouter dès que tu te sentiras prêt. Mais j’ai déjà remarqué certaines contraintes chez vous : l’eau, l’électricité et le gaz coupés. Je suppose que les factures ont accumulé des retards. Cécilia m’a confié qu’un huissier vous a même menacé de saisie et d’expulsion. Avant tout, il est essentiel de régler ces urgences.
Martin, le regard humble et voilé de honte, murmura :
— Face aux obligations financières qui s’amoncellent et aux possibilités qui se font rares, le choix s’estompe, confia Martin d’une voix teintée de résignation. J’ai arpenté les rues à la recherche d’une occasion de travail, frappant à toutes les portes. Mais, sans expérience ni formation, chaque refus renforçait le mur d’impasse devant moi. Et il y a eu ces moments de détresse absolue où la mendicité est devenue mon dernier recours.
Dans le calme de la salle à manger où les lumières tamisées jetaient une aura de sérénité, un échange discrètement puissant s’ébaucha entre Martin et Adélaïde. Un sentiment de compréhension mutuelle prenait racine, pavant lentement le chemin d’une relation nouvelle, forgée d’un respect et d’un soutien naissant.
— Ne sois pas gêné, la pauvreté n’implique pas la malhonnêteté. Souvent, les aléas de la vie nous placent dans des situations qui échappent à notre contrôle, et je pense que c’est ce que vous avez traversé, dit-elle avec un regard empli de compréhension. Va me chercher tous les impayés. Demain je ferai le point, et nous réglerons tout ce qui est urgent. Pour le reste, j’aviserai plus tard.
Il remonta chez lui, où il fut saisi par une odeur de renfermé. Tout l’appartement dégageait des vibrations malsaines, une nausée lui serra les entrailles, il crut s’évanouir. Il s’arrêta un instant, s’appuyant contre le mur, avant de pénétrer dans la chambre de sa mère. Il inspira profondément et prit précipitamment la boîte sous le lit qui contenait les fameuses factures. Hâtivement, il referma la porte. Soulagé, il redescendit chez Adélaïde.
De retour dans la bienveillance du foyer d’Adélaïde, il sentit le poids des derniers moments s’atténuer, emporté par la promesse d’un avenir moins incertain.
— As-tu un jour où tu ne travailles pas ?
— Le mercredi, la boucherie est fermée.
— Très bien, nous profiterons de ce jour pour aller en ville de bon matin. Il est essentiel que vous ayez des vêtements neufs et de solides chaussures.
— Je n’ai rien besoin de plus que ce que madame Pasquier m’a déjà généreusement offert de la garde-robe de son époux : des chaussures et une veste bien chaude.
— Absolument pas ! J’ai à cœur de te voir vêtu convenablement. Ces souliers flottent à tes pieds et cette veste te va comme un sac. Ce n’est pas du luxe, crois-moi ! Tu affrontes la rigueur hivernale chaque jour, il est impératif que vous soyez tous bien couverts. Et après, nous irons rendre visite à votre mère. Le docteur Langlois a rapporté de bonnes nouvelles, elle semble déjà aller mieux.
— Vous êtes incroyablement généreuse, Adélaïde. Nous ne saurons jamais comment vous remercier pour tout ce que vous faites pour nous.
— Je suis celle qui vous est redevable : votre présence m’offre une chance de redécouvrir les plaisirs simples de la vie. Il est l’heure de dormir à présent. Mais d’abord, pourquoi ne prendrais-tu pas une bonne douche ? Repose-toi bien. Demain, je servirai le petit- déjeuner à sept heures et demie.
— Merci encore pour tout, et bonne nuit à vous aussi.
Le lendemain, des arômes de chocolat chaud et de tartines se répandirent dans la demeure, tirant tout le monde du sommeil. Les fillettes, exubérantes, bondirent de leurs lits à la vue du déjeuner copieux préparé avec soin par Adélaïde.
— Merci, mamie, maman serait si heureuse d’être ici pour savourer tout ça avec nous.
— Elle nous rejoindra bientôt à notre table, et il me semble qu’elle pourra même célébrer Noël à nos côtés, répondit Adélaïde avec un sourire qui cachait mal son optimisme.
Martin participait au petit-déjeuner en silence, la tête pleine de souvenirs des moments passés en famille. Achevant son repas, il se prépara rapidement pour se rendre au travail.
— À ce soir, lança-t-il en se dirigeant vers la porte. Cécilia, Blondine, je compte sur vous pour épauler Adélaïde.
— Ne t’inquiète pas pour nous, on a déjà nos petites habitudes ! rétorqua Cécilia avec assurance.
Adélaïde, elle, avait une journée chargée qui l’attendait. Elle ouvrit la boîte des impayés, les tria avec soin et isola ceux exigeant une attention immédiate. Un à un, elle contacta les services concernés, insistant sur la nécessité d’une régularisation rapide des paiements. Dans l’après-midi, un entrepreneur devait évaluer le coût des rénovations d’un appartement de trois pièces, une salle de bains et une cuisine spacieuse. Le délai était serré : seulement huit jours pour achever les travaux.
Rusée, la vieille Adélaïde faisait preuve d’une ingéniosité remarquable, au point que toutes les parties contactées répondaient à ses demandes avec une efficacité surprenante. Son désir était de garder ses actions secrètes : ces changements devaient être une surprise pour Martin et les enfants, un cadeau qu’elle leur dévoilerait au moment parfait.
Dès les premières lueurs de l’aube ce mercredi-là, l’excitation était à son comble. Un mélange d’impatience et de joie flottait dans l’air. C’était un jour mémorable, ils allaient enfin revoir leur mère. Tels des poulains frémissants, les filles trépignaient d’envie de partir. Adélaïde avait judicieusement réservé un taxi pour toute la journée. Les courses prévues allaient sûrement s’accumuler et, avec les différents achats – sous-vêtements, tenues complètes, chaussures – leur retour ressemblerait à une véritable expédition.
Heureusement, le taxi leur permettait de déposer les paquets au fur et à mesure. Cécilia et Blondine rayonnaient, enveloppées dans de jolis manteaux qui dissimulaient un pull et un jean tout neufs, leurs bottes fourrées complétant l’ensemble avec éclat. Elles portaient fièrement leur nouvelle tenue, flattées par les compliments reçus dans chaque boutique :
— Quelle chance d’avoir une grand-mère qui vous chérit autant ! disaient les vendeuses.
Adélaïde rayonnait de bonheur, entourée de ses petits-enfants. Avec un grand sourire, elle acquiesçait à chaque mot bienveillant :
— Oui, ce sont mes petits-enfants, répondait-elle avec fierté.
Martin, paré de ses nouveaux vêtements, déambulait avec assurance, offrant son bras à Adélaïde et l’assistant avec délicatesse à chaque montée dans le taxi. Le trajet vers l’hôpital s’effectuait dans un mélange d’impatience grandissante. Tous s’interrogeaient intérieurement sur la réaction que leur mère aurait en les voyant si bien apprêtés.
— Nous y sommes ! s’écria Martin.
Ils demandèrent à la réceptionniste de l’hôpital où trouver la chambre de Jeanne. Leur cœur tambourinait à chaque pas vers la porte tant attendue. Dès qu’elle s’ouvrit, un éclat de bonheur déborda de la pièce alors que les petites se précipitaient vers leur mère. Avec vivacité, elles se juchèrent sur le rebord de son lit pour la couvrir de baisers.
Martin s’avança et, avec une douceur infinie, posa un baiser sur le front de sa mère.
— Maman, laisse-moi te présenter Adélaïde, notre ange gardien. C’est grâce à elle que tu as reçu les soins salvateurs.
— Venez plus près, madame, je vous prie, souffla Jeanne avec émotion. Elle serra tendrement les mains de l’âme charitable. Du fond du cœur, merci. Sans votre bienveillance, que serait-il advenu de nous ?
Adélaïde répondit avec une expression apaisée, un sourire redonnant une lumière à son visage.
— Appelez-moi Adélaïde, simplement. Et sachez que ce que j’ai pu faire pour vous, vous me l’avez rendu bien plus précieusement. Votre fils ici présent peut en témoigner. Moi, qui ai longtemps vécu dans l’amertume, regardant le monde avec rancœur depuis ma solitude auto-imposée, me voilà métamorphosée. Le succès m’avait endurcie, me rendant insensible aux autres jusqu’à me rendre désagréable, sans que j’en prenne conscience. Je m’étais isolée, la vieillesse érodant mon corps sans pitié et ma beauté envolée. Mes cheveux, désormais blanchis par les années, encadrent un visage marqué par le temps, chaque ride racontant une histoire de ma vie, les joies comme les peines. Regardez-moi, Jeanne, j’ai retrouvé mon sourire ! Mon cœur a redécouvert sa vocation : aimer, compatir, partager. J’étais comme éteinte et vous, avec vos enfants, vous m’avez redonné goût à la vie.
— Maman, regarde comme on est jolies avec nos nouveaux habits ! s’écrièrent Cécilia et Blondine en tournant sur elles-mêmes, leur excitation palpable à l’idée de montrer le reste de leurs trésors vestimentaires. Il y a encore plein de paquets pour nous dans la voiture, et pour Martin aussi ! ajoutèrent-elles.
Jeanne essaya de parler, mais les mots lui manquèrent. Elle se contenta de poser sur leur bienfaitrice un regard empreint d’affection, ses yeux exprimant tout ce que les mots ne parvenaient à traduire.
— On doit y aller, les enfants. Votre maman a grand besoin de se reposer pour guérir vite. Adélaïde posa un regard doux et attentif sur Jeanne.
— On ne pourra plus passer avant votre sortie, mais vu comment vous vous remettez, je parie que vous serez à la maison pour Noël ! Huit jours, ça va passer en un éclair.
Un pincement au cœur se fit sentir chez les enfants alors qu’ils embrassaient leur maman avant de partir. La porte se referma derrière eux avec un bruit sourd, laissant Jeanne dans un mélange de tristesse et d’espoir. Pourtant, l’image de ses petits, rayonnants de bonheur, et la générosité sans faille d’Adélaïde lui redonnèrent du baume au cœur.
La vie, entre-temps, continua son petit bonhomme de chemin. Martin se concentrait sur son travail quotidien, pendant que Cécilia et Blondine aidaient leur grand-mère dans les tâches quotidiennes et allaient faire des courses. Elles adoraient les soirées où Adélaïde leur contait des histoires, un rituel qui se déroulait souvent après le dîner.
Sur un calendrier accroché dans la cuisine, les deux sœurs marquaient d’une croix les jours restants jusqu’au retour tant attendu de leur mère.
Tout le monde dans le village avait remarqué le changement chez Adélaïde, qui saluait désormais avec bienveillance tous les passants.
Martin se fit un grand plaisir d’aller chercher le pain chez la boulangère, qui l’avait méprisé lorsqu’il lui avait demandé du pain rassis. Lorsqu’il rentra dans le magasin si bien vêtu, elle le regarda d’un air hébété :
— N’est-ce pas toi le jeune homme qui récupérait le pain invendu ? s’enquit la femme avec une pointe d’ironie, scrutant les vêtements de Martin. Ces habits ont l’air bien chauds, on dirait de la belle qualité. D’où viennent-ils ? Ah, je vois, c’est sûrement l’œuvre des Pasquier ! Ils ont eu peur que tu attrapes la mort en faisant leurs livraisons dans le pauvre accoutrement que tu portais.
La remarque de la femme, empreinte de dédain, retentit comme un écho d’humiliation. Face à elle et aux quelques clientes témoins de la scène, Martin sentit bouillir en lui une colère contenue. Se tournant vers elle avec une assurance tranquille, mais résolue, il lui répondit :
— Oui, c’est bien moi. Les Pasquier sont tout simplement incroyables. Ils m’ont donné des vêtements convenables et m’ont traité avec une gentillesse que je n’oublierai jamais. Dommage que je ne puisse pas en dire autant de vous, car vous êtes indigente d’esprit et de cœur. Peut-être devriez-vous aller dire à tout le monde qu’un peu de magie s’est produite chez nous, transformant ma vie et celle de ma famille.
Fièrement, Martin mit l’argent du pain sur le comptoir. Puis il prit poliment congé des personnes présentes et sortit. Il ressentit la satisfaction de remettre cette commère en place.
Adélaïde était sur tous les fronts, supervisant la rénovation de l’appartement au quatrième étage, qui avançait à grands pas. Elle avait même sollicité un décorateur d’intérieur – une connaissance de longue date – pour qu’il s’occupe de l’ameublement et du relooking des lieux, le tout en se débarrassant des meubles qui ne serviraient plus.
Plus tard, une fois que Cécilia et Blondine furent couchées, Martin trouva Adélaïde se relaxant dans le salon et aborda un sujet qui lui tenait à cœur :
— J’aimerais qu’on puisse parler à nouveau de ce qu’on a traversé, si ça ne vous dérange pas.
Adélaïde lui répondit avec bienveillance :
— Bien sûr, je t’écoute. Je suis là pour toi.
Martin commença son récit :
— Mon père, chimiste, gagnait bien sa vie et nous vivions confortablement. Ma mère, créatrice de mode passionnée, avait son propre atelier avec deux employées. Mais les choses ont commencé à changer quand papa rentrait tard à la maison, prétendant être surchargé de travail. Puis, du jour au lendemain, il nous quitta. Elle avait tenté de comprendre pourquoi il partait, mais il resta muet et claqua la porte derrière lui.
Maman réussit à subvenir à nos besoins avec son atelier, malgré le choc et l’anxiété de la situation.
Ce n’est que bien plus tard que nous avons découvert la raison : il avait été licencié pour malversation, passait ses journées aux courses et avait un problème avec l’alcool. Après deux ans de prison, il est réapparu chez nous inopinément ; nous n’avions pas changé la serrure et il avait encore une clé. Il croyait que ma mère avait des économies, mais ignorait qu’elle avait dû les entamer, car elle avait été très affectée par son départ. Elle n’avait plus de joie dans son travail. Les commandes traînaient, petit à petit, celles-ci s’amoindrirent. Tout alla très vite, maman tomba malade, son rêve s’écroula. Mon père, dans une exigence brutale, lui réclama de l’argent. Elle résistait à ses menaces, mais sa résistance ne fit qu’aggraver sa colère. Il la battit sauvagement. J’ai tenté de m’interposer, mais j’ai été éjecté au sol pendant que mes petites sœurs criaient de terreur. Maman finit par céder et lui donna ce qu’elle avait pour qu’il parte. Les voisins, attirés par le bruit, ont menacé d’appeler la police, mais ma mère les a rassurés et ils sont finalement retournés à leurs appartements.
Nous étions perdus, incapables de comprendre ce revirement de la part de notre père. Seuls l’addiction au jeu et l’alcool semblent expliquer sa folie. Nous avons été contraints de vendre nos meubles et de chercher un appartement moins cher. C’est ainsi que nous avons atterri ici, dans ce petit espace qui nous a été loué malgré son mauvais état, et parce que le loyer n’était pas élevé, entourés de quelques meubles basiques et essentiels pour démarrer notre nouvelle vie.
Les débuts dans notre nouvel appartement se sont passés sans trop d’accrocs : nous réglions les factures en temps et en heure. Mais rapidement, l’argent commença à manquer, ne suffisant même plus pour couvrir le loyer. On a dû prioriser ce qui était vital comme le gaz, l’électricité et l’eau. La santé de maman s’est dégradée et ses quintes de toux se firent plus aiguës, plus oppressantes.
Il y a de ça quelques mois, un huissier a frappé à notre porte, insistant pour récupérer l’arriéré des loyers des trois derniers mois. Pris au piège sans le moindre sou, on a dû le laisser dresser l’inventaire des meubles à mettre aux enchères. Parmi ces biens, il y avait la machine à coudre de maman, son gagne-pain mais aussi son moyen de créer. Elle était abattue, voyant là s’envoler tout espoir de relancer son activité. Voilà, la suite vous la connaissez.
Pendant qu’il racontait leur histoire, il aperçut différentes émotions traverser le visage d’Adélaïde – une rougeur passagère suivie d’une pâleur. Alarmé, craignant de l’avoir bouleversée, il proposa :
— Je crois que tout cela vous a épuisée, je vais vous préparer une tisane et on devrait aller se coucher ensuite.
— Ce n’est pas possible que ni les locataires ni moi n’ayons entendu ni vu ce qui se passait chez vous. Sommes-nous, à ce point, sourds et aveugles au malheur d’autrui ?
— Vous avez tant fait pour nous, surtout ne vous culpabilisez pas. Sans votre aide, maman serait morte et nous, nous aurions été placés dans de quelconques familles indifférentes à notre chagrin. Vous nous avez redonné le plus précieux bien qu’un être possède : notre dignité.
Martin encercla Adélaïde de ses bras dans un geste de reconnaissance et lui souffla à l’oreille un « merci » chargé d’émotion. En réponse, elle caressa doucement sa chevelure, signalant par cette tendre attention son affection pour lui.
— J’ai une bonne nouvelle à propos de ta maman. Elle pourra rentrer chez vous juste à temps pour Noël, lui annonça-t-elle, un sourire dans la voix. Cependant, elle aura besoin de se reposer encore un peu et d’être choyée pour parfaire sa convalescence. Allons, il est temps de dormir. Bonne nuit, Martin.
— Bonne nuit, à demain, répondit-il, le cœur léger.
Les rénovations étaient enfin achevées, et Adélaïde était ravie du résultat : leur domicile avait été transformé au-delà de toute reconnaissance. Le décorateur, qui avait promis de venir arranger les meubles, les rideaux, et les tapis dans l’après-midi, avait tenu parole.
Adélaïde murmura pour elle-même :
— Il faut que je prévienne Martin et les filles de cette surprise. Ils doivent découvrir cet espace rénové avant le retour de leur mère. Parfait, tout sera prêt ce soir, et après le dîner, nous ferons la visite.
Au dîner, elle partagea son plan :