L’étrange voyage - Bernard Bénazet - E-Book

L’étrange voyage E-Book

Bernard Bénazet

0,0

Beschreibung

Pendant un voyage en Namibie, où il recherche la solitude et des paysages grandioses, le protagoniste de ce conte fait une rencontre inattendue : une lionne qui parle. Cette dernière lui est familière, car ils se sont déjà croisés il y a longtemps. Elle devient son guide pour explorer le monde des âmes, transformant le périple en une quête initiatique où chaque rencontre, qu'il s'agisse de la faune de la savane ou de la flore, revêt une signification particulière.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Géologue de formation, Bernard Bénazet a développé une inclination pour la découverte et l’émerveillement. Fraîchement retraité, il donne vie à ce premier livre sous forme de conte, inspiré par son amour pour la Namibie, pays de l’Afrique australe.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 228

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Bernard Bénazet

L’étrange voyage

Conte

© Lys Bleu Éditions – Bernard Bénazet

ISBN : 979-10-422-0714-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ceux qui n’existent pas encore.

À ceux qui se reconnaîtront.

À ceux qui n’existent plus mais qui sont toujours là.

À toutes les âmes vagabondes qui vivent pour l’éternité.

Namibie

Damaraland

Voyage

Le rond incandescent ocre rouge tutoyait la ligne tortueuse du sommet des montagnes, telle une grosse masse ronde traumatisant la ligne de crête bleutée. Dans quelques instants, le roi soleil allait se coucher derrière le massif rejoignant la mer pour un sommeil de quelques heures.

J’étais assis à mi-hauteur de l’échelle qui servait à monter sur la tente de toit posée sur le pick-up. Je dégustais avec la double délectation des yeux et du palais le spectacle devant moi de ce soleil qui se couchait et de ce vin blanc sud-africain, bien frais, qui me coulait dans la gorge. Moment privilégié de la journée.

Le regard se perdait dans des pensées imprécises et ondulantes.

J’étais dans le Damaraland, au nord de la Namibie, loin de tout et loin du monde.

J’étais arrivé en Namibie depuis une petite semaine et dans le Damaraland depuis deux jours.

C’était la troisième fois que je venais dans cette partie de l’Afrique australe. Ce voyage s’était imposé à moi comme une évidence. Deux fois déjà j’étais venu visiter ce pays extraordinaire de beauté et de calme, alors que j’habitais dans le pays voisin, en Angola, pour des raisons professionnelles.

Aujourd’hui, je ne travaillais plus. L’âge était là, ma période d’activité s’était arrêtée.

Si j’avais été Britannique, j’aurais littéralement dit que je me suis retiré des affaires, comme je suis français on dira plutôt que je me suis mis en retrait. J’aurais de loin préféré être de culture hispanique, on dit chez eux qu’on entre en « jubilacion »… Ils approchent l’extase dans leur vision de cette période de la vie !

C’est dommage mais il n’y a aucune langue, à ma connaissance, qui pour signifier ce moment de fin de vie professionnelle, dire qu’on part en réflexion, en méditation, faire le point sur sa vie passée, prendre le temps, le temps de penser sans objectif, juste penser pour le plaisir. Ou plutôt si, en fait, je m’étais dit que ça devait certainement se dire ainsi dans cette langue incompréhensible qu’est la langue des clics, une des langues locales de la Namibie. Cette dernière m’avait ébahi lors de mes précédents voyages, par son originalité et la richesse de sa sonorité.

C’est comme ça qu’a germé en moi l’idée du voyage dans ce pays.

Assez rapidement, l’idée a mûri.

J’ai décidé de partir quelques semaines, égoïstement tourné vers moi-même, solitaire, à la recherche du calme et de la plénitude. La Namibie s’était imposée comme une évidence. Au-delà de cette langue si particulière, je me souvenais de ce pays aux paysages cristallins à couper le souffle. Je préférais de très loin les paysages désertiques aux forêts denses. Ces paysages où on peut lire l’histoire de notre terre à livre ouvert. La Namibie est particulièrement riche sur ce point avec une histoire de genèse, très particulière, une histoire qui interpelait mon esprit de géologue vieillissant. Au-delà de l’histoire extraordinaire des lieux, la région est propice à l’isolement de par sa population rare dans un pays une fois et demie plus grand que la France mais moins peuplé que Paris.

Mon voyage d’évasion, spirituel, à la frange de l’autisme volontaire était donc bien celui-là. Il fallait que j’y aille, j’y suis allé.

J’étais arrivé à l’aéroport international de Windhoek la semaine dernière. Depuis la France, j’avais réservé un véhicule 4x4, équipé en camping autonome pour pouvoir être libre de toutes contraintes et pouvoir être totalement indépendant.

Le représentant de l’agence m’attendait à l’aéroport. En une heure, on fit les papiers et je pris possession du véhicule. Il s’agissait d’un pick-up 4x4 carrossé, entièrement autonome : un double réservoir d’essence de cent litres, un réservoir d’eau de cent litres, un petit réfrigérateur avec alimentation au gaz pour l’étape et sur batterie en roulant, une tente qui s’ouvrait sur le toit et à laquelle on accédait par une échelle, tout l’équipement de camping, sans oublier la trousse de premier secours et le pistolet à fusée qui pouvait aussi bien servir à se faire repérer en cas de problème que pour éloigner quelques animaux trop avides de connaissance. Le pays est certes peu peuplé en hommes mais toute la faune africaine de savane est là, dans une vie totalement sauvage, parfois inquiétante, toujours libre.

J’avais passé deux jours à Windhoek, capitale calme dans un pays calme en louant un appartement de passage. J’avais pu ainsi m’équiper de ce qui pouvait me manquer.

C’est ainsi que j’étais tombé dans une petite épicerie sur ce vin blanc sud-africain… Voilà de quoi aider au plaisir de la méditation !

J’avais rapidement pris la route vers le nord-ouest, vers le Damaraland, région désertique de montagnes et de vallées en limite du pays voisin, au nord, l’Angola.

Le Damaraland ! Le nom est déjà évocateur de mystère. Sa naissance est un pied de nez à la création de la terre.

Il faut penser que vers huit cents millions d’années, bien avant que les continents africains et américains ne se séparent, la région où je suis aujourd’hui a été marquée par une vaste et longue fracture qui va séparer une ride au nord et une autre au sud. Cette fracture va s’effondrer et s’élargir sur plus de mille kilomètres de large. L’eau va s’y engouffrer. C’est la naissance d’un océan. Mais le système se bloque. Au lieu de continuer à s’ouvrir, comme tous les océans de la terre, cet océan se referme jusqu’à refaire se toucher les deux rives. Fin de l’histoire. Ce monde merveilleux n’a pu se résoudre à se séparer de sa moitié. L’océan Atlantique aura moins de scrupule, il va prendre le relais plusieurs millions d’années plus tard. Il réussira son ouverture.

Cette région tourmentée est ainsi un océan avorté. Quelles en auraient été les flores et les faunes, des deux côtés de chaque rive si l’océan avait créé ces deux mondes éloignés ? Chacun aurait suivi son évolution propre, sans contact entre eux avant plusieurs autres millions d’années. La face de la terre aurait pu en être changée. Des flores et des faunes différentes se seraient développées.

J’étais donc là.

J’avais trouvé un promontoire sur la ligne de montagne vers le sud-est. Je dominais la vallée devant moi, les restes de cet océan perdu. La ligne de crête vers l’ouest était l’autre rive. Le soleil était en train de s’y coucher dans une explosion de couleurs.

La rencontre

J’avais garé mon 4x4 à peu près à plat, j’avais ouvert la tente sur le toit et mis en place la petite échelle pour y accéder.

J’avais passé le réfrigérateur sur le gaz, sorti mon équipement de camping.

Comme tout bon campeur en milieu sauvage, comme je l’avais appris, j’avais rassemblé quelques bois morts et fait un feu entouré de pierres. Le meilleur moyen pour éloigner les visiteurs rampants et les bien plus gros mais un peu trop curieux. J’avais aussi mis dans le feu une longue branche qui pouvait servir de tisonnier si le visiteur devenait un peu trop insistant.

Quelques tomates, du pain et quelques saucisses qui commençaient à cuire sur le feu.

Moment de détente absolu. J’étais assis sur l’échelle qui montait à la tente. Les yeux perdus vers l’horizon, je buvais mon vin blanc en remerciant le réfrigérateur qui avait bien fait son travail pendant les chaudes températures de la journée.

J’entendis tout à coup un craquement de branche derrière moi, derrière la voiture, vers l’arrière. Un bruit franc et lourd mais feutré. Pas un bruit de sabot. Un bruit sourd et souple. Un bruit de chausson.

Je n’étais pas seul. Il y avait quelqu’un ou un animal qui contournait la voiture par l’arrière.

Je remontai vite en haut de l’échelle, à l’entrée de la tente tout en repérant du coin du regard l’endroit où j’avais posé le pistolet lance-fusée.

Un lion ! Non, une lionne !

Elle passe à l’arrière de la voiture, contourne le feu, lentement et calmement développant ses grosses pattes avec souplesse. Elle s’assit, regardant vers moi, droit dans les yeux.

J’étais pétrifié. Ne pas bouger. Ne pas montrer la peur ni l’agressivité. Elle n’était pas en position d’attaque. Elle allait partir, sa curiosité satisfaite. Mais elle me regardait avec une insistance étrange et inquiétante.

Elle avait, elle-même, une apparence étrange. C’était une lionne adulte. Un pelage de lionne, fauve clair comme toutes les lionnes mais le dessus de sa tête jusqu’au haut de ses pattes avant, ses épaules en fait, était plus sombre. Brun feu tirant vers le roux, auburn. Cela donnait l’impression qu’elle avait une chevelure tombant sur les épaules. Probablement une coquetterie de la nature pour sublimer la dame.

Son regard aussi était étrange. Pas du tout ce regard jaune et perçant qui semble vous regarder comme une proie. Le regard était plus sombre, les yeux étirés en amande mais les iris et les pupilles bien ronds. Un regard qui n’inspirait pas le fauve. Plutôt un regard curieux et humain, enfantin presque.

Je la regardais sans bouger, respirant à peine, réfléchissant à ce que je devais faire si elle m’approchait. Mon cœur battait la chamade et la gorge se serrait de plus en plus.

« Hé l’ami, que viens-tu faire ici parmi nous ? »

Je regardais autour de moi. Quelqu’un m’avait parlé. La lionne n’était pas seule. Elle était accompagnée. Et cette personne, que je ne distinguais pas, m’avait parlé en français. Comment savait-elle que j’étais français ?

« Hé l’ami… C’est à toi que je parle, que viens-tu chercher par ici ? »

J’avais vu la mâchoire de la lionne bouger. Comme si c’est elle qui m’avait parlé…

Je regardais mon verre de vin. J’en avais bu la moitié seulement. Il devait être bigrement frelaté pour faire un tel effet. Attention ! Mon cerveau réagissait encore avec vivacité. Un vin, contenant visiblement une drogue hallucinogène et une lionne à moins de dix mètres. Il y avait danger. Il faut que je garde les idées claires. Que je respire pour reprendre mes esprits.

— Hé, oui, oui, oui, c’est moi qui te parle. Ça t’étonne ? Tout le monde parle. Tous les êtres vivants parlent. Comment pourrions-nous communiquer entre nous sinon ? Tu vois, là, tu m’entends, tu me comprends parce que tu es disponible pour faire l’effort de m’écouter… Tu es simplement réceptif aux autres. Ce qui n’est pas toujours le cas. Ce qui est même rarement le cas.

Donc maintenant que tu réalises, je te répète ma question. Elle me semble simple pourtant. Il n’est pas habituel de voir des humains dans cette région, tu sais.

Pourquoi es-tu ainsi, aujourd’hui, disponible aux autres ? Que viens-tu donc chercher seul parmi nous ?

— Je suis venu voir ces beaux paysages et cette quiétude ambiante. Voir la terre, la vie, les plantes et vous, ce monde sauvage. Je suis venu chercher ma plénitude.

— Sauvage ! Sauvage n’est pas nécessairement celui que l’on croit. Sauvage parce qu’il y a des prédateurs, des proies ? Oui, je tue, mais pour me nourrir, jamais plus. Tu ne nous verras jamais tuer pour détruire l’autre et délaisser sa proie. Je ne pense pas qu’on puisse en dire autant de vous, les hommes. Vous tuez aussi et sans même avoir besoin de vous nourrir, pour tuer, pour une idée ou un désaccord… Alors pas de morale, s’il te plaît.

— Oui, c’est vrai, vous avez raison. J’ai été blessant. Veuillez m’en excuser.

— Arrête, arrête de me vouvoyer. On se connaît non ? On se connaissait non ? Tu ne m’as pas reconnue ?

— Non, je suis désolé. Je ne crois pas avoir connu un lion quelconque. Là où je vis, en Europe, il n’y a pas de lion.

— Mais je sais très bien où tu vis. Et je ne te dis pas qu’on s’est connu avec cet habillement. Je te parle de nos âmes. Elles se sont connues, tu ne te rappelles pas ? Tu ne le sens pas ?

— Je ne comprends pas, ce que vous dites… nos âmes… et je parle avec un lion !

— Oui, tu me parles. Ouvre ton esprit et va interroger ton âme.

— Mon âme ? Mais comment fait-on ? C’est quoi l’âme ? Le cerveau ?

— Haha ! Ce sont bien les humains, ça ! Toujours en train de chercher devant, de courir, de progresser, de grandir, d’inventer, de fabriquer et de ne rien comprendre à la chose essentielle qu’est l’existence et l’âme. L’âme n’a rien à voir avec le cerveau. L’âme n’est pas dans le cerveau. C’est le cerveau qui est dans l’âme. C’est le cerveau qui est au service de l’âme, temporairement, le temps pendant lequel il vit. Tu le sais ça au moins ?

— Non pas vraiment. L’âme, c’est moi, c’est ça ?

— Mais pas du tout, l’âme ce n’est pas que toi. C’est toi en ce moment. Mais pas hier et pas demain. Un jour, ton cerveau va s’arrêter. Comme toutes les choses de ce monde, il est imparfait et il lui faut un début et une fin pour exister. Mais le jour où il va s’arrêter, ton âme, elle, elle va continuer son chemin. Elle n’a pas besoin d’un début et d’une fin.

— Elle va où ?

— Mais tu ne sais donc rien. Tu n’as rien compris. C’est vrai, en fait j’avais oublié. J’étais comme toi moi aussi quand j’étais homme. Enfin homme, femelle de l’homme. Femme, vous dites.

Laisse-moi faire remarquer au passage que vous employez un mot différent entre le mâle et la femelle. Quelle prétention ! Il vous faut toujours vous démarquer des choses de la nature pour montrer que vous êtes différents, plus haut, au-dessus, plus intelligents. Nous on est lion et lionne, éléphant et éléphante ou girafe et girafe ou guépard et guépard. Il n’y a guère que le singe, presque aussi prétentieux que vous pour donner un nom différent à sa femelle.

Je t’explique, Monsieur qui sait tout et qui ne sait rien. Ton âme, à ta mort, quitte ton corps. Ton cerveau et ton cœur s’arrêtent. La mécanique de ton enveloppe arrête son fonctionnement. Mais l’âme, elle continue et va ailleurs dans un autre corps poursuivre sa recherche d’éternité. Tu as déjà entendu ça non ? Certains que vous considérez comme des sages appellent cela la réincarnation. Ils ont un début de la vérité, c’est un peu simpliste, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre.

— Mais elle cherche quoi ? Que continue-t-elle à chercher ? Vous dites l’éternité ?

— L’absolu et l’éternité. Mais pour trouver l’éternité, il faut trouver la perfection. Comment vivre une éternité avec des imperfections ? Ce serait un peu long non, tu ne penses pas ? Et donc dans chaque nouvelle existence, l’âme évolue, progresse. Elle passe d’espèce en espèce de plus en plus évoluée, de plus en plus intelligente. Elle croit devenir plus proche de la solution. Elle espère atteindre la perfection. Elle croit seulement mais elle ne trouve pas. Elle ne peut pas trouver ainsi. Je l’ai compris depuis. Parce qu’il faut être deux âmes complémentaires. Avec une seule, on n’y arrive jamais.

— J’ai un peu de mal à comprendre. Deux âmes complémentaires ? Et comment sais-tu ça, toi, une lionne ?

— Ah voilà qui fait plaisir. Tu me tutoies enfin.

Oui deux âmes complémentaires.

L’âme va de corps de corps à la recherche de l’éternité. Mais pour qu’il y ait une éternité, il faut qu’il y ait perfection. On ne peut vivre l’éternité en ayant quelques imperfections. Tu as compris ça, j’espère ?

— Oui. C’est ce que tu viens de dire. Je crois comprendre que tu me dis que pour atteindre l’éternité, toucher l’infini il faut être dans la perfection.

— C’est ça. Il faut donc progresser, tout le temps à la recherche de la perfection pour enfin atteindre l’éternité. C’est ce que fait l’âme. Elle progresse d’existence en existence. Elle progresse même beaucoup, tu sais, et à chaque existence elle est un peu meilleure que dans l’existence précédente. Elle essaie ainsi de se rapprocher de la perfection. Que de progrès fait, en effet, par l’âme des hommes depuis ma copine Lucie et que dire depuis les dinosaures ou les premières cellules de la vie. Mais la perfection a-t-elle été atteinte pour autant ? Pour l’instant, ça ressemble plus à une fuite en avant avec de bien piètres résultats. Le monde évolue, votre science évolue, votre technologie s’améliore, l’espérance de vie augmente… Vous compensez vos faiblesses physiques par votre intelligence mais je n’ai pas l’impression que l’homme devient meilleur. L’âme ne progresse pas en perfection. Je me suis même demandé à un moment donné, si ce n’était pas l’inverse !

Je me suis rendu compte dans mon existence passée que j’avais loupé un des points de passage qui peut mener à la perfection. Je l’ai compris comme une révélation mais trop tard. Il y avait une raison à cela. Il y avait nécessairement une explication. Ce n’était pas en continuant ma quête en avant, ma fuite en avant que j’allais trouver et comprendre.

J’ai décidé de m’arrêter et de comprendre.

— T’arrêter ? T’arrêter comment ? Et tu as compris ?

— J’ai fait une pause d’âme. J’ai décidé de revenir un peu en arrière dans mon évolution pour remettre dans le bon ordre toutes les valeurs fondamentales. Arrêter cette fuite en avant sans comprendre. Essayer de comprendre où je m’étais trompée et repartir… c’est ce que j’ai fait.

— Mais qu’as-tu fait ?

— Je n’ai pas voulu reprendre, une fois de plus l’apparence d’une femme. J’ai voulu remettre un pied en arrière dans mon évolution pour pouvoir prendre un peu de distance et me regarder. Je suis devenue Lionne. Et j’ai vu. J’ai compris.

Car vois-tu quand on décide de refuser la course en avant, on garde la mémoire de la connaissance passée. Quand on fuit vers l’avant, chaque nouvelle existence efface le souvenir de la précédente, trop occupé à voir devant.

J’ai compris.

Je suis plus forte que la gazelle. Je suis plus puissante et un seul coup de patte me permet de la capturer. Je m’approche lentement en rampant le plus près possible d’elle et au moment où elle m’aperçoit, je tends tous mes muscles et je bondis. Elle m’échappe parce qu’elle est très souple et légère. Son impulsion de survie est plus rapide que la puissance de mes muscles. Seule à vouloir l’attraper, je m’épuise, j’ai de plus en plus faim, je suis de plus en plus faible, j’ai de moins en moins la chance de pouvoir l’attraper. Pour chasser ainsi, il faudrait que je garde ma qualité de puissance mais que je gomme mon défaut de lourdeur à la détente. Mais ça je ne peux pas, seule. C’est pour cela qu’on chasse toujours à deux. En complémentarité l’une et l’autre, nous encerclons notre proie et notre chasse devient prolifique. Il suffit alors de partager ensuite le repas. Je ne te cache pas qu’il y a parfois des accrochages au moment du partage. C’est identique chez vous les hommes, n’est-ce pas ?

Je suis plus forte que le zèbre et il est aussi lourd que moi. Il ne peut pas m’échapper comme la gazelle. Mais il a une arme redoutable avec ses deux pattes arrière puissantes et ses deux sabots. Si je bondis sur lui d’une ruade, il peut m’assommer et me blesser gravement. De face, il me détecte très rapidement et s’enfuit. Il faudrait que je puisse garder la qualité de ma force mais être légère et aérienne pour sauter plus haut que ses ruades. Mais ça je ne peux pas, seule. On chasse encore et toujours à deux et encore une fois il y a parfois des problèmes de partage.

L’idéal, vois-tu, serait que nous soyons deux tout en étant une pour éviter les problèmes de partage. Tu comprends ?

— Alors là pas du tout. Deux en étant une ? Alors deux ou une ?

— Il faudrait que nous soyons deux mais dans une seule. L’une est puissante, l’autre est légère. L’une est rapide et infatigable, et l’autre est vive et dynamique. Les qualités de ces deux lionnes mais en une seule lionne. Plus besoin de partage, plus de querelles inutiles. On deviendrait alors parfaite. Et si on est parfait, que t’ai-je dit ? On atteint l’éternité !

C’est cela que j’ai compris. Certes, ces qualités sont antagonistes. Une lionne ne peut être puissante et légère. Le corps de la lionne est ainsi mais qu’en est-il de son âme ? Si l’âme de l’un épouse et complète l’âme de l’autre ? Si les défauts de l’un sont exactement les qualités de l’autre ? Si les aspérités de l’un sont les creux de l’autre ? La complémentarité devient parfaite ? Si ces deux âmes complémentaires fusionnent pour ne plus donner qu’une seule âme ? Alors la perfection est atteinte. Alors l’éternité et l’infini sont là parce que rien ne peut mettre en défaut la perfection. Alors la solution a été trouvée.

J’ai compris que pour trouver la solution, il ne suffit pas de courir vers l’avant. Il faut chercher l’âme complémentaire. Trouver son complément absolu pour ne plus faire qu’un. Il faut ressentir les rencontres. Ne négliger personne. Comprendre l’autre et là peut-être avoir la chance de détecter son complémentaire absolu pour atteindre la perfection. Tout devient alors possible. L’éternité est à portée de main.

Quand j’étais homme, ou plutôt devrais-je dire à cette époque, femme, je ne regardais pas assez autour de moi. Je ne faisais, comme tous les humains, que penser à demain, que fuir vers l’avant sans observer les choses et les gens autour de moi.

Quand j’étais femme, j’ai rencontré, j’ai approché, j’ai côtoyé mon âme complémentaire. J’ai souvent échangé avec elle. Nous avons vécu près d’un an proche, elle et moi. Je ne me suis jamais aperçu de qui elle était réellement. Je ne me suis pas rendu compte des sentiments très particuliers que je ressentais et qui auraient dû alerter mes sens.

Chez les hommes, on dit sans trop savoir ce que cela veut dire : nous avons des atomes crochus. Les scientifiques parlent de phéromones pour essayer de trouver une explication. C’est ce que je ressentais sans même m’en apercevoir. Ce n’était pas de l’amitié. Ce n’était pas de l’amour. Ces sentiments impliquent un rapprochement des esprits mais aussi des corps. Non, ce que je ressentais était beaucoup plus profond, plus intime, plus spirituel. C’était un rapprochement des âmes. J’ai inventé un nom pour cela. C’est de « l’âmition ».

J’avais 20 ans à l’époque. Tu avais également 20 ans.

— Pourquoi parles-tu de moi et de mon âge ?

— Parce que c’était toi, mon âme complémentaire. Parce qu’on s’est connu alors qu’on avait 20 ans. Parce qu’on s’est croisé, côtoyé sans nous rendre compte de rien. J’ai compris cela beaucoup plus tard.

Tu ne me reconnais donc pas. Évidemment, avec mon nouveau pelage, j’ai un peu plus changé que toi. Mais ce n’est pas avec les yeux qu’on voit, c’est avec l’âme.

Je t’ai bien reconnu, moi, ressenti quand je t’ai vu arriver avec ton 4x4 dans la vallée. Quand tu t’es arrêté pour regarder le vieil éléphant à moitié saoul à force de manger les prunes Maruellas tellement mûres qu’elles en deviennent alcoolisées. Je te regarde depuis un bon moment depuis là-haut sur le rocher, sous les grands agaves. J’ai humé l’air. Aucun doute, les atomes sont toujours là. Évidemment aujourd’hui tu es homme et moi lionne. Ça complique les choses.

Tu as une tête ! Arrête de réfléchir, arrête d’essayer de comprendre avec ton petit cerveau d’homme. Interroge ton âme. Qui suis-je ? À qui penses-tu ? Va au fond de toi. Ferme les yeux. Ne crains rien, je ne vais pas bondir sur toi.

J’étais toujours assis en haut de l’échelle, à l’entrée de la tente. Il est évident que si elle voulait bondir elle le pouvait, que j’ai les yeux fermés ou pas.

Je fermai les yeux et étrangement mon esprit lâcha prise, très vite. Un nom me sauta à l’esprit, envahit mon cerveau, s’enfonça dans ma gorge et mes poumons. Un nom jaillit de ma bouche : Polka.

« Polka !

— Enchantée de te revoir. »

Évidemment. C’est ça la chevelure sombre de son pelage. Je me souviens très bien de Polka. Nous étions étudiants ensemble. Elle était très jolie, avec des cheveux bruns cuivrés qui lui tombaient sur les épaules. Un regard doux et sage. Nous avons passé un an ensemble.

Je n’ai jamais su si j’avais été amoureux d’elle ou pas. Je sais que ce n’était pas une simple amitié. C’était bien plus. Mais ce n’était pas de l’amour, de l’amour au sens de nos 20 ans comme je pouvais avoir avec les petites amies de l’époque. C’était plus. Je ne désirais rien d’elle. Je ne lui demandais rien. J’aimais juste être avec elle. Le matin, je me levais plus tôt pour arriver le premier devant la salle de cours. Je la voyais ainsi arriver de loin. Elle aussi arrivait tôt. Le faisait-elle volontairement ? Juste après moi. Cela nous permettait d’être tous les deux seuls, plusieurs minutes avant que les autres n’arrivent. J’étais tout simplement heureux de sa présence.

Cela a duré un an. Nous étions tous les jours ensemble. Puis la vie a suivi son cours. Elle est partie dans une direction, j’en ai pris une autre. Nous ne nous sommes jamais revus sans nous être jamais quittés.

« Mais comment, comment es-tu là ?

— Je ne vais pas recommencer. Je t’ai tout expliqué. Aujourd’hui, je suis lionne.

— Mais alors tu n’es plus femme. Qu’est devenue Polka ?

— À 21 ans, Polka a perdu la moitié de son âme. Elle l’a perdue alors qu’elle était en train de comprendre. Elle a compris qu’elle n’était pas encore prête à la fusion totale. Elle a compris que tu n’étais pas encore prêt à la fusion totale. Polka avait encore des choses à faire dans sa vie. Tu en avais aussi.

— À faire ? Mais qu’avions-nous donc de si important à faire si nous étions réellement les deux âmes complémentaires élues ?

— Nous avions à trouver l’amour pour donner la vie. Pour accueillir des êtres chers qui eux aussi participeraient à la grande recherche. Pour les retrouver un jour dans l’éternité.

J’ai rencontré mon époux et nous avons une trois enfants. Deux garçons et une fille.

Et toi aussi, je le sais, tu as rencontré ta compagne et tu as eu un garçon et deux filles… Mon miroir complémentaire, vois-tu !

C’est probablement pour cette noble cause, que nous avons dû nous séparer, sans même nous en apercevoir.

Quand mes enfants sont devenus indépendants. Quand j’ai senti que ma mission était remplie. Quand j’ai compris qu’il fallait que je reparte à la recherche de ma demi-âme que j’avais perdue, j’ai décidé de quitter mon corps et de devenir lionne… tu sais maintenant pourquoi.

Et puisque tu étais toujours homme et que nous nous étions loupés dans cette vie d’hommes, autant gagner un peu de temps pour nous laisser une chance de nous retrouver dans quelques autres vies.

Et voilà, aujourd’hui tu es là.

Et qu’es-tu venu chercher ici ? C’était le sens de ma question au début de notre conversation ?

Tu ne sais pas, bien sûr. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu es là. Tu ne sais pas lire dans ton âme…