L'évènement - Anaïs Brenot - E-Book

L'évènement E-Book

Anaïs Brenot

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Beschreibung

Ne faites confiance à personne... Il y a plusieurs siècles un virus mortel a éradiqué la planète, les survivants se sont réunis sous un dôme divisé en compartiments. Tous les trente ans, un représentant de chaque compartiment est tiré au sort pour participer à l'Evènement pour ainsi obtenir les vaccins. D'apparence inoffensive, les épreuves et le Centre cachent de lourds secrets... Dans un univers de mystères, de mensonges et de manipulations, Manoline ne devra se fier qu'à elle même et prendre les bonnes décisions.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Remerciements :

Je ne pensais pas qu’un jour, ce serait à mon tour de remercier ceux qui m’ont soutenu dans mon projet d’écrire un roman à seize ans. Passée de l’autre côté des pages d’un livre est une expérience incroyable que je ne compte jamais arrêter.

Merci d’abord à BOD d’avoir édité mon roman.

Merci à ma sœur et à mes parents pour leur relecture et leurs conseils. Merci à ma tata Violaine qui m’a fait prendre conscience qu’un rêve peut s’ancrer dans la réalité, qu’il suffit de se lancer.

Merci à Anaïs Gaillot pour sa magnifique illustration, résultat de sa patience et de son immense talent.

Merci à ceux qui lieront. J’espère encourager les jeunes auteurs qui comme moi, pensent que leur voix est inaudible. Sachez qu’on vous entend et que vos mots ont du pouvoir.

Sommaire

Prologue

Un

Deux

Trois

Quatre

Cinq

Six

Sept

Huit

Neuf

Dix

Onze

Douze

Treize

Quatorze

Quinze

Seize

Dix Sept

Dix Huit

Dix-neuf

Vingt

Vingt et un

Vingt Deux

Vingt Trois

Vingt Quatre

Vingt Cinq

Vingt Six

Vingt Sept

Prologue

L’âme, l’esprit, la personnalité, quel que soit le nom que vous donnez à cette voix dans votre tête, vous sous-estimez la préciosité de sa compagnie. La mienne a été silencieuse durant des heures. Ou étaient-ce des jours ?

Impossible d’estimer la valeur du temps qui s’écoule. Bref, lorsqu’elle est revenue, un soulagement m’a envahie. Je revivais à nouveau. Sans cette voix, nous sommes incapables de penser, de réfléchir, d’exister. Une coquille vide. Voilà ce qu’ils me font subir. Ce à quoi ils me réduisent. Ils me déshumanisent. Ils m’assomment de drogues pour que je sois en incapacité de me rebeller. Ils veulent se débarrasser de moi. J’entends leurs voix. Elles résonnent. Elles sont inaudibles pourtant, je perçois la menace qui les salies. Impuissant, je les laisse me traîner comme un vulgaire cadavre. Je ne peux que hurler intérieurement. Si mes pensées pouvaient coopérer avec ma langue, je leur ordonnerais de me lâcher, je m’empresserais d’avertir mes amis. Je leur raconterais la vérité sur l’Évènement. Je leur confierais le danger des épreuves, les mensonges du Centre… Je dois m’échapper… Il faut que je vive ! Mes genoux éraflés butent contre un caillou qui m’entaille la chaire. Du sang coule le long de ma jambe. Ces pilules m’empêchent de ressentir la moindre douleur. Soudain, mon avancée sur cette route boueuse s’achève. Des bruits me parviennent sans que je comprenne de quoi il s’agit. Jusqu’à ce qu’ils me jettent dans un trou. Ma tête heurte violemment le sol mais l’impact ne suffit pas à m’assommer. Mon mal de crâne s’intensifie. Les yeux rivés vers le ciel, je prie. Pitié, faites que mes découvertes, mes imprudences et mes erreurs servent à quelqu’un d’autre. Que mes recherches et mes indices soient la clef d’un avenir loin d’ici. Une poignée de terre m’aveugle. Suivie d’une autre. Et encore une. Ces enfoirés vont m’enterrer vivants ! Qu’ils aillent se faire foutre ! J’ai gagné ! J’ai gagné l’Évènement ! Je ne devrais pas être six pieds sous terre ! Je donnerais tout contre une substance lénifiante. Ou contre un coup de poignard qui mettrait fin à mes souffrances. Mon corps est peut-être mort mais ma voix intérieure s’agite. Je suis terrifié. Je doute que mon instinct de survie suffise. D’ailleurs, ma respiration se complique. L’oxygène me manque. Je vais mourir et avec moi, toutes les informations compromettantes sur l’Évènement. Sur la porte bleue… Mes satanés battements de cœur ralentissent contrairement à ma panique qui ne fait que s’amplifier. J’étais « Rives l’élu » puis « le prince du 8 ». À présent, je ne suis que le spectateur de ma tragique existence.

Un

L'air soulève mes cheveux. Je me laisse glisser plus bas sur les extrémités du bout de tissu que j'ai accroché à l'arbre. Mes yeux sont fermés quand j'exécute une pirouette. J'exerce une pression plus forte sur ma prise afin de ne pas tomber puis je remonte. Je regarde ma maison. Vue d'ici, elle est encore plus petite. Le soleil est presque à son heure de pointe. Je me protège les yeux avec mon bras m’apprêtant à redescendre en tournant plusieurs fois sur moi-même. Au milieu du trajet, les deux morceaux de tissu se tendent me faisant perdre l'équilibre. Je suis désorientée. Mon menton frappe alors quelque chose de dur avant que je ne m'effondre au sol sur Olivio :

- Combien de fois je t'ai dit de ne pas tirer dessus quand je monte ?

Nous rions tous les deux malgré notre chute. Je me relève sur les coudes tout en continuant de l'écraser. Il passe une main dans ses cheveux châtain clair qui commencent à boucler.

- Tous les acrobates tombent. Tu verras, quand tu seras connue, tu me remercieras.

- D'avoir failli me tuer plusieurs fois ?

- De t'avoir appris que se relever après une chute est aussi simple que de respirer.

Je me relève et observe les alentours.

- Naëlle n'est pas avec toi ?

Olivio secoue la tête. Nous sommes inséparables depuis que nous sommes petits. De toute façon, dans la Sphère la plupart du temps les amis restent les mêmes puisque nous ne pouvons légalement pas aller dans les autres compartiments. Sauf pour le travail. Logiquement, c'est une demi-sphère. Elle ressemble à un dôme transparent. À l'intérieur se trouvent 21 compartiments, tous séparés par une cloison de verre. Cela fait quelques siècles que la pollution a détruit notre planète, enfin presque. Le seul endroit encore vivable sur Terre, c'est ici. Dans cette prison de verre. Je n'ai rien connu d'autre alors je m'en satisfais. Cependant, il m’arrive d’imaginer l’ancien monde. Était-il couvert de fleurs et de verdure ou plutôt fait de diamants et de roches ? Les habitants avaient-ils des tendances belliqueuses ou solidaires ? Peut-être voyageaient-ils dans des capsules volantes.

Olivio se relève à son tour et après avoir retiré de l'herbe dans ses cheveux, semble se souvenir de la raison de sa venue :

- En fait, Naëlle m'a envoyé te chercher pour te dire que tu es en retard. On devrait être en cuisine à l'heure qu'il est. Alors dépêche-toi !

Je plaque ma main sur mon front.

- C'est aujourd'hui la Veille ? J’avais totalement oublié !

Il me tire par le bras en direction du centre alimentaire mais je le repousse.

- Il faut que j'aille prendre la liste des habitants dans ma chambre.

Oli souffle, désespéré, puis me suit en courant dans la maison. Je manque de renverser une chaise sur mon passage, ce qui me vaut des reproches de la part de ma mère. Je m'excuse rapidement avant d'ouvrir la porte de ma chambre. Ma grande sœur, Amy, avec qui je la partage, est en train de coudre. Aujourd'hui, elle a laissé ses cheveux châtain foncé, détachés, ce qui signifie qu'elle a beaucoup de travail. Dans la famille, nous avons tous la même couleur de cheveux, les miens sont ondulés comme ceux de Nacio mais ceux d'Amy sont lisses et tout simplement magnifiques. Je fouille dans les tiroirs :

- Sérieux, Manoline ? Encore en retard ? Tu n’as pas intérêt à te faire virer. On a besoin de cet argent.

Je sais que j'ai tendance à perdre la notion du temps quand je grimpe avec mon tissu aérien mais je sais aussi qu’Amy est incapable de s'énerver contre moi. La liste est froissée, je la saisis et après avoir adressé un clin d’œil à ma sœur, je cours en direction de la sortie, Oli sur mes talons. Cette fois-ci, je renverse vraiment la chaise et je ne prends pas le temps de la ramasser. Ma mère soupire.

- Désolé madame, j'ai essayé de lui apprendre les bonnes manières mais votre fille est toujours aussi maladroite.

Je tire Oli par la manche pour qu'il accélère. Le chemin me paraît interminable. Nous filons devant les habitations qui ressemblent toutes à la mienne, quelques boutiques de vêtement et de nourriture puis nous arrivons de l'autre côté de notre compartiment. Tout ce que nous cultivons, tout ce que nous créons, se retrouve ici. Nous transpirons pour pouvoir manger à notre faim et survivre aux différentes températures pendant que ceux de cette partie achètent tout simplement ce dont ils ont besoin. Le point positif, c'est que grâce à eux, Maor a un travail, il construit, entretient ou agrandit leurs bâtiments. Tout est fabriqué à la main, nous essayons de préserver notre planète en utilisant le moins de produit polluant. Pour éviter de commettre les mêmes erreurs. Notre compartiment 9 est l’un des seuls à avoir une démarcation aussi voyante entre les différentes classes sociales. Le 10 et le 16 sont identiques au nôtre. Je commence à être essoufflée mais je prends sur moi et continue ma course. Lorsque j'aperçois Olivio regarder un chariot de pommes, il est trop tard pour l’en empêcher. Il en a une dans la main et croque dedans. Jordan et Fredy, probablement ceux qui nous détestent le plus car nous avons plusieurs fois loupé leur commande, l'ont vu et tentent de l'attraper. Je fais basculer les fruits sur eux et m'élance après Oli qui est déjà loin.

– Tu ne peux pas t’empêcher de les provoquer, criais-je à mon meilleur ami.

– On court plus vite qu'eux, ricane-t-il.

Je lève les bras quand je sens un point de côté apparaître. Maman m'a toujours conseillé de faire ça mais je ne suis pas persuadée que cette technique fonctionne.

– Je suis épuisée, me plaignais-je.

– Justement, je te fais bosser ton cardio, m'encourage Oli.

Je vois enfin l'entrée des cuisines au bout de la rue. Je me retourne un instant et remarque que Jordan et Fredy ont abandonné la course. Olivio me tient la porte, je le fusille du regard.

– La prochaine fois, je te laisse.

Il me lance son fameux sourire amusé.

– Tu dis ça tout le temps.

Je le pousse et entre dans la salle. Les travailleurs sont déjà en train de préparer les commandes pour les envoyer. La bonne odeur de nourriture me rappelle ma faim. J'essaie de me concentrer sur autre chose. Naëlle apparaît soudain devant moi.

– Je t'ai couvert, Maxou pense que tu es restée auprès de Nacio pour le soigner d'un rhume.

– Merci, je m'y mets tout de suite.

Je me précipite vers une place libre et emballe les repas, j'écris ensuite l'adresse et les passe aux livreurs. La Veille est le jour où nous avons le plus de travail car en vue de l’Évènement, tout le monde se doit de faire la fête en mangeant le plus gros banquet de l'année. Comme son nom l'indique, la Veille est le jour qui précède l’Évènement. Cette succession d'épreuves définit qui détiendra les vaccins lors de la prochaine vague d'épidémies qui a lieu environ toutes les trentaines d'années. Une personne par compartiment se rend au Centre, là où le Conseil des Hauts-Sages prend toutes les décisions. À la fin de l’Évènement, les quatre gagnants décideront des huit quartiers qui ne bénéficieront pas de vaccins. Ceux-là mourront. J'ignore ce qu'il se passe vraiment lors de cette période mais cette année, je pourrai probablement devenir la représentante du 9. Tous ceux qui ont dix-sept ans ont une chance d’être celle ou celui qui se battra pour sauver son compartiment ainsi que ses proches.

Il faut avoir dix-sept ans pour participer car les gagnants suivront des études afin de devenir Hauts Sages; il est plus simple d’apprendre à cet âge.

Maxou me coupe dans mes pensées.

– Tu sais que je n'aime pas te faire des leçons de morale Manoline...

Je lui coupe la parole, en sachant d'avance qu'il me pardonnera.

– Alors abstiens-toi de m'en faire.

Malgré son âge, Maxou n'a pas une ride et ses cheveux commencent seulement à blanchir. Je le connais depuis que je suis petite, il a en quelque sorte remplacé mon père qui est mort quand j'avais deux ans. À force de l'appeler par ce surnom, j'ai oublié comment il se nomme réellement.

– Tant que tu fais ton job, ça me va mais tu sais que je ne suis pas le seul à diriger cette cuisine.

Je me contente de hocher la tête. Quand il part, j'aperçois Naëlle en train de préparer une jardinière de légumes, elle m'interroge du regard, je lui fais comprendre avec un sourire que tout s'est bien passé. Je n'arrive pas à être aussi rapide que d'habitude, je n'arrête pas de penser à l’Évènement et de me dire que je pourrais être choisie. Ou peut-être que se sera Naëlle, Olivio... Ou Nacio ?

Le vent me rafraîchit, la nuit tombe et je rentre enfin chez moi. Je croise Oli qui revient de sa dernière livraison. Ses joues sont rouges à cause de l'effort. J'arque un sourcil et attends une explication. Il se plie en deux le temps de retrouver son souffle et me confie :

– Je viens d'apporter le repas à la famille de Fredy.

Je lève les yeux au ciel et reprends ma route. J'ai juste le temps de l'entendre crier « bon appétit » avant de tourner dans le virage. Je marche un bon moment en pensant à ce qui va se passer demain si je suis prise. Je sais que tous ceux de mon âge devront se présenter à la place centrale et choisir un pot avec une graine. Cette variété pousse en une journée pour faire apparaître une petite fleur qui fanera rapidement. Si la fleur est rose, la vie reprend mais si elle est bleue, cela signifie que nous devons nous rendre au Centre. À minuit, l’Évènement commence. Je n'ai pas peur d’être choisie, c'est une grande responsabilité mais tous les concurrents sont rentrés chez eux après. Ils n'ont jamais avoué avoir eu un traumatisme ni que cette expérience fut horrible. Je réfléchis encore quand j'arrive devant chez moi.

Je suis tellement distraite que je remarque le corps devant la porte, que lorsque je trébuche dessus. Le sang, sur les mains et le visage de mon jumeau, me paralyse.

Deux

Je me baisse vers lui et observe ses blessures. Celles qu'il a à la joue et à la main sont superficielles. Cependant, je doute que celles sur son ventre le soit aussi. Il perd beaucoup de sang.

– Tu ne dois pas perdre connaissance.

Je passe un bras sous son épaule et l'aide à se maintenir debout. Bon sang, ce qu’il est lourd ! J'ouvre la porte d'un coup de pied et pénètre dans la salle. Amy abandonne son aiguille et son fil pour venir l'aider.

– Qu'est-ce que tu as fait encore ? Quels ennuis tu t'es attiré ?

Nous posons Nacio sur une chaise. Je prends sa défense.

– Ce n'est pas le problème, on doit nettoyer la plaie avant qu'elle ne s'infecte.

Amy s'empresse d'aller chercher de quoi soigner sa blessure, je relève le haut de Nacio. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu'il s'est fait poignarder, sûrement en participant à des combats pour gagner de l'argent. Quel imbécile ! C'est sa grande passion depuis qu'il s'est fait renvoyer mais je suis la seule à être au courant. Le regard complice de mon frère m’indique qu'il ne souhaite pas que je révèle son petit secret. C'est bientôt au tour de Maor et maman d'entrer dans la pièce. Amy revient au même moment. Nous débutons les soins.

Maman parcourt le salon en parlant à toute vitesse. Maor s'approche, les lèvres pincées.

– Qui t'a fait ça ?

Au fond, j'espère qu'il n'obtiendra aucune réponse car je sais qu'il voudra venger notre frère et nous aurons une personne de plus à guérir.

– Si tu veux me poser des questions, fais la queue, répond mon jumeau ironiquement.

Nacio essaie de sourire mais une grimace de souffrance apparaît sur son visage. Amy vient de plaquer une lame brûlante contre sa peau entaillée. Maman est obligée de s'asseoir en entendant le cri de son fils. Maor lui apporte un verre d'eau et pose une main sur son épaule.

– Cette torture est enfin terminée ?

Amy met vite fin aux espérances de notre frère.

– Je vais devoir te recoudre.

Mon jumeau laisse retomber sa tête en arrière, fatigué. Je m'avance vers lui et serre sa main en guise de soutien. Sa douleur est la mienne.

Nous n'avons pas bougé depuis qu’Amy a rangé son matériel de couture. Maman a posé des centaines de questions à Nacio pour lesquelles il a répondu évasivement. Je profite qu’elle aille ouvrir la porte après que quelqu'un ait toqué pour chuchoter à Nacio.

– Il est temps d’arrêter de te battre.

Il met du temps à répondre qu'il ne le fera plus. C'est justement cette hésitation qui me permet de savoir qu'il ment. Avoir un jumeau qui passe son temps à vous cacher des choses et à mentir vous apprend à déceler les signes de malhonnêteté. J’attends donc que notre mère revienne dans la salle pour avouer la vérité.

– Nacio a été renvoyé et il fait des combats pour gagner de l'argent.

Moi, une sœur indigne de confiance ? Pffff, n’importe quoi… Il est d'abord choqué que je l'ai trahi puis cette surprise se transforme en fierté.

– Je déteins sur toi, on dirait.

Je lui rends son sourire pendant que maman tourne autour de la table. Impossible de savoir si elle est en colère ou simplement épuisée.

– On vient de me virer aussi. M Delène refuse que je fasse le ménage dans sa maison en sachant que mon fils frappe le sien.

– Je suis désolé, murmure Nacio en baissant la tête.

Elle se contente de lever la main pour qu'il se taise. Amy sort le repas de l'emballage. Maor et moi l'aidons.

Finalement, nous mangeons en silence. Je ressens l’inquiétude qui règne dans la pièce : comment allons-nous vivre avec un salaire de moins alors que nous y parvenions à peine avant…

Toute ma famille dort, pourtant je n'arrive pas à fermer un œil. Dès que je m'endors, je visualise Nacio se faire frapper, maman pleurer ou Maxou me prévenir que si je suis à nouveau en retard je serai virée. Je me lève doucement pour ne pas réveiller Amy et je sors. Il fait chaud, je marche pieds nus jusqu'à mon tissu rouge qui pend de l'arbre. Nous habitons à côté de la cloison de verre, je remarque que de l'autre côté, dans le 8, un garçon m’observe. Il est assis sur une fine couverture. Ses cheveux bruns sont en bataille et ses habits sont sales.

J'ignore combien de temps je reste là, à le fixer. Au bout d’un certain temps, il me fait un signe de la main. Je vais lui répondre quand il se retourne brusquement et court après avoir aperçu un groupe de Sages.

Le lendemain, nous nous levons de bonne heure. Nacio et moi allons à la place centrale pour choisir notre pot. Nous patientons dans la queue. Des Sages armés se tiennent de chaque côté de la foule pour garantir notre sécurité. Mon stress commence à monter au fur et à mesure que nous nous approchons de la table où les pots sont disposés.

– Et si l'un de nous est choisi ?

Ma voix est plus assurée que je ne le suis. Nacio se tourne doucement vers moi. Ses yeux verts semblables aux miens me transpercent.

– Tu n'iras pas là-bas Line. Il n'y a aucune chance, ne t'inquiète pas.

Ses paroles ne me rassurent pas. L’amour d’un frère est impuissant face au gouvernement. C'est à son tour d'avancer. J'attends patiemment. Quand c'est à moi de passer, ma main tremble. Je prends un pot sur le côté en priant pour que la fleur qui pousse soit rose.

– Ton nom ?

Je lève les yeux vers la femme qui m'a presque crié dessus

– Manoline Macklomer.

Elle semble reconnaître mon nom de famille, le même que mon père, le même que le traître qui a tenté de s'enfuir en brisant une ouverture dans le verre mais qui n'a fait qu'anéantir le compartiment 21.

La journée passe lentement, je ne cesse de fixer la fleur qui pousse anormalement vite pour une plante. Elle est blanche, la couleur n'est pas encore apparue. Je finis par m'endormir en la contemplant.

Mon sommeil est interrompu par la voix de Nacio.

– Ma fleur est rose, je te l'avais dit.

Nous tournons la tête vers ma renoncule en même temps.

Mon cœur bat la chamade. Je ne peux détacher le regard de la couleur des pétales. La mienne est bleue.

Trois

Cela fait maintenant une demi-heure que maman est rentrée et personne n'a prononcé un mot. Maor et Amy se lancent parfois des regards inquiets. Je ne supporte pas le silence et finis par le briser.

– J'ai été choisie pour l’Évènement, où est le problème ?

J'ai conscience que l'avenir de notre compartiment repose sur moi mais je pense réussir. Je suis intelligente, débrouillarde et je sais mentir, ce qui peut être pratique si un jeu d'alliances est nécessaire. Maman a les larmes aux yeux quand elle me répond.

– Les épreuves sont dangereuses. Tu ne comprendras que trop tard ce que tu as perdu. Si tu participes à l’Évènement, tu reviendras changée.

Elle semble terrifiée. J'ai le sentiment qu'elle ne me dit pas tout. Je le sais car lorsque je cache quelque chose, je fais comme elle, je regarde en haut et je me mords légèrement la lèvre inférieure.

– Comment tu peux le savoir ? Tu n'as jamais été choisie...

Je pense d'abord qu'elle va répondre mais elle se ravise.

– Que se passera-t-il si tu n'y vas pas ?

La question de Maor reste en suspens. Finalement, maman prend la parole.

– J'ignore comment, mais ils apprennent toujours qui sont les représentants. Les compartiments de ceux qui ne sont pas venus feront directement partis de ceux qui succomberont lors de la vague mortelle de la maladie.

Je ne vois pas pourquoi on parle encore de mon départ. Je vais m'y rendre et remporter ces fichues épreuves quelles qu’elles soient et je reviendrai auprès de ma famille. Je partage mon opinion puis je vais dans ma chambre sans attendre leur réaction.

Je m'endors vite malgré le stress qui me noue le ventre. Je me réveille à onze heures pour me préparer. Mon sac est déjà prêt : vêtements, couteau suisse, feuilles, crayons et une photo de famille. Le strict minimum. J'ai lu que l'eau et la nourriture sont fournies ainsi que le nécessaire pour la toilette. Une fois prête, j'embrasse le front d'Amy et rédige un mot à maman. Je vais embrasser une dernière fois mes frères mais quand je pénètre dans leur chambre, le lit de Nacio est vide.

La surprise s'empare de moi rapidement remplacée par la fureur. Je me mords la main sans m'en rendre compte avant de balancer mon sac.

– Il fallait qu'il joue au frère responsable maintenant.

Mes allers-retours dans la chambre et mes injures finissent par réveiller Maor. Ce n'est pas trop tôt ! Je me suis toujours demandée comment il parvenait à dormir dans de pareilles circonstances. Il se frotte les yeux avant d'allumer.

– Tu es venue me dire au revoir ?

Il a beau sortir de son sommeil, je ne prends pas de pincettes avec lui.

– Je serais ravie de te dire adieux mais Nacio a préféré s’en charger pour moi.

J'élève la voix ce qui attire Amy et maman.

– Nacio est parti, il s'est rendu au Centre avec ma fleur pour prétendre que c'est lui qui a été désigné.

Amy hausse les épaules.

– Un de vous devait y aller, je ne vois pas ce que ça change que ce soit lui plutôt que Manoline.

Maman se passe une main sur le visage, elle transpire et tremble légèrement.

– C'est un problème car ils vont revenir et ils l'emmèneront. Il y a un numéro sous chaque pot de fleur pour ne pas que ce genre de situation se produise ou pour retrouver un représentant s’il ne se montre pas.

Bien sûr, Nacio n'y a pas pensé, personne n'y a pensé. Je n'ai jamais redouté le conseil des Hauts Sages. L’une d'elle, Milla Telliny a fait appliquer des lois ingénieuses et j'éprouve presque de l'admiration pour elle. Mais à cet instant, j'appréhende beaucoup. Les propos de ma mère me font envisager le pire.

– Qu'est-ce que l’on doit faire ?

Ma question est introduite par un calme pesant. Ma voix est-elle silencieuse ? Maman me prouve que non.

– On ne va rien faire du tout. S’ils se rendent compte que Nacio ne devrait pas être là-bas, notre compartiment fera partie des sans vaccins.

Je serre les poings et garde mon sang froid. Perdre le contrôle de soi ne servirait à rien. Cela n'aidera pas mon frère. Maman me tire soudain par le bras et m'emmène à l'écart. Elle me sert si fort que je suis certaine que j'aurai des marques demain.

– Aïe ! Tu me fais mal !

Je me défais de son emprise et la fixe entre incompréhension et colère. Mon pauvre poignet méritait-il un tel sort ? Amy et Maor discutent de l'autre côté de la porte mais je n'arrive pas à entendre leur conversation.

Sûrement le destin du 9. Ou des problèmes qu'ont encore créés les jumeaux. Nacio et moi avons toujours été au centre des ennuis à cause de notre côté provocateur et manipulateur. À l'école, si l’on peut appeler cet endroit hideux et poussiéreux ainsi, nous étions détestés par tous nos camarades. La bonne époque.

Maman fouille le placard du salon sans ramasser ce qu'elle échappe. J'approche prudemment sans l'interrompre. Elle soupire bientôt de soulagement en tenant un élastique orné d'une fleur. Elle me le tend comme s’il s'agissait de la réponse à toutes mes interrogations.

– Écoute-moi bien ma puce, je sais qu'ils vont revenir, et si par miracle ils acceptent que tu participes, alors il faut que tu la gardes toujours avec toi.

Elle me prend la main et le dépose à l'intérieur. Je l’approche de mon nez. Elle ne sent aucune odeur. Cette fleur est fausse. Je regarde maman, étonnée. Elle vérifie que personne n'écoute avant de murmurer.

– Si une personne ingère un pétale de ce camélia, celui-ci agit comme un poison, si tu le dilues dans un liquide elle aura un effet de paralysant.

Je repousse l'élastique comme s’il me brûlait la main. Ma mère s'obstine et ne me laisse pas le temps de protester.

– En cas de regret ou d'erreur, tu peux utiliser la tige comme antidote mais tu n'en as qu'un, qu'une dose pour inverser l'effet de cette substance mortelle...

Je lui coupe la parole.

– Mais tu t'entends parler ? On parle de tuer quelqu'un là ? Les épreuves sont dures mais tout le monde en revient, les morts sont rares voire inexistants.

Maman me secoue en me hurlant dessus.

– Ce n'est pas un jeu à prendre à la légère Manoline !

Ce n'est pas la mort qui t'attend si tu échoues, c'est bien pire que cela.

Son air grave est contagieux et je finis par perdre mon calme.

– Ah oui ? Et comment tu le sais ?

– Une de mes amies a été représentante de notre compartiment et même si elle comptait parmi les gagnants, elle a été métamorphosée. Ce n'était plus elle, ce n'était peut-être pas son cadavre qui était en face de moi mais elle était bel et bien morte à l'intérieur. C'est ce que tu souhaites ? Devenir quelqu'un d'autre ?

Elle se rapproche de moi tandis que je recule. Je retiens mes larmes devant cet aspect dur que je ne lui connaissais pas. Quand je sens la poignée de la porte sous mes doigts, je l'ouvre en grand.

– Si tu voulais me faire flipper, c'est gagné. Je vais le garder ton chouchou tueur ! Maintenant, je veux que tu me laisses tranquille !

Je lui ferme la porte au nez et me laisse glisser au sol. La première image qui me vient en tête est celle de mon jumeau, celui avec qui j'ai grandi et qui fait partie de ma vie, de moi. J'ignore ce que les Sages lui feront quand ils apprendront la supercherie mais je prie pour qu’aucun mal ne lui soit fait.

La porte d'entrée qui claque me sort de mon demi-sommeil.

Je me lève en entendant les pleurs. Amy déboule de la chambre de Maor en même temps que moi. Un regard nous suffit pour savoir que ni l'une ni l'autre ne savons qui est dans la salle. Nous restons immobiles jusqu'au moment où je reconnais la voix de Naëlle. Malgré les sanglots, malgré les râles, je sais que c'est elle. Je traverse le couloir et aperçois maman l’enlacer. Quand mon amie me voit, elle se décale. C'est alors que je découvre une série de bleus sur son cou et ses épaules. Sa lèvre inférieure est fendue et sa joue droite est violacée. J'ouvre mes bras et elle vient s'y blottir directement.

– Ils ont tué mes parents. Les Sages… ils sont arrivés et ils les ont tués, c'était horrible.

Mon cœur se serre sous cette nouvelle épouvantable. Je la force à me regarder dans les yeux et essuie une larme sur sa joue.

– Papa travaillait sur un plan pour traverser le nuage de fumée... il ne pensait pas que c'était dangereux, il ne voulait blesser personne...

Je lui adresse un sourire compatissant.

– J'en suis sûre, commençais-je pour la rassurer, tu es en sécurité maintenant. C'est terminé.

Naëlle pleure contre mon épaule. Je la soutiens jusque dans ma chambre. Ses plaies ne semblent pas l'affecter, elle ne cesse de repenser à la scène. Je guéris ses blessures tout en l’apaisant mais je sais bien que rien ne peut la consoler. Ses parents se sont fait exécuter pour avoir mis en place un plan rebelle dévastateur. À mes deux ans, mon père a connu le même sort en essayant de s’enfuir par le 21. Résultat, lui et son groupe sont morts entraînant le compartiment tout entier. Les hydrofluorocarbures sont en si grandes quantités qu'ils agissent comme un gaz asphyxiant. À peine le trou dans la paroi fait, tous ceux qui se trouvaient entre ces murs de verre étaient morts. La différence avec Naëlle, c'est que je ne l'ai pas vu mourir.

Les mots me manquent devant le chagrin de mon amie.

Elle finit par s'endormir contre moi. Inutile d'imaginer de quoi est peuplé son rêve. Ou de qui.

Je caresse ses cheveux blonds jusqu'à son réveil. Quand elle ouvre ses grands yeux bleus, elle regarde autour d'elle en souriant. Mais son bonheur est de courte durée. Elle se rappelle vite la raison de sa présence ici. Une larme coule le long de sa joue.

– Il y avait du sang partout sur le plancher. Les Sages m'ont frappé quand j'ai essayé de les aider, j'étais obligée de partir ou j'allais être complice d'un plan rebelle. Je n'ai même pas pu récupérer une photo d'eux…

Je vais lui dire que ce n'est pas sa faute mais elle lève une main dans ma direction et s'assoit. Sur ce point-là, Naëlle et moi sommes différentes. Je suis plutôt introvertie et dévoile peu mes émotions. Naëlle, elle, a tendance à extérioriser puis à s’isoler. Elle me complimente sur le camélia violet qui est attaché autour de mon poignet. Je ne peux m’empêcher de me figer en me rappelant le pouvoir de ce joli petit accessoire. Ma meilleure amie le remarque et me questionne. Je lui explique donc tout ce qui s'est passé depuis la Veille. Elle met du temps à réagir.

– Notre avenir repose sur Nacio ou toi.

Elle rit nerveusement avant de se lever. Je me dis qu'elle va me sermonner mais elle n'en fait rien. Je n'aurais jamais pensé que sa révélation serait un argument de plus pour que je reste à la maison.

– Avant de mourir, maman m'a dit que les Hauts Sages ne sont pas ce qu'ils prétendent, que la clef est derrière la porte bleue.

Je me masse le crâne devant cette énigme.

– Je commence à me dire que l’Évènement est loin d’être ce que tout le monde s'imagine. D'ailleurs, quand on y réfléchit, personne ne sait en quoi consiste les épreuves, personne n'en parle, pensais-je à haute voix.

Naëlle en vient à la même conclusion que moi.

– Que ce soit Nacio ou toi, l'un de vous va devoir percer ces mystères et nous sauver. Mais j'ignore si les deux sont possibles.

Nous passons la journée à débattre des informations que nous détenons sur le Conseil des Hauts Sages. Nos informations sont minces. Nous savons que cinq personnes y siègent : David Oeli, Alex Param, Milla Telliny, Etom Rollinger et Cénia Erington. Ils dirigent la Sphère en l'attente d'une vie meilleure, d'une vie en dehors de ces barrières transparentes. Notre pire ennemi est le nuage de fumée, il entoure la zone. Les Sages et les pompiers tentent de diminuer ce brouillard. Les scientifiques sont bien sûr, eux aussi, en train de travailler sur un remède qui l’anéantirait. Cela fait des décennies qu'ils cherchent. Aucune évolution n'a été notée. Naëlle va parler quand un bruit sourd retentit. Nous courrons dans la salle. Un frisson me parcourt le dos. J'aimerais retourner dans ma chambre et ne pas avoir à affronter ce qui va suivre. Trois Sages poussent Nacio au sol. Je ne cède pas à la panique et relève la tête quand Cénia Erington et David Oeli font leur entrée. Toute ma famille m'entoure.

Mme Erington prend la parole d'une voix nette et assurée.

– Il me semble que vous ne m'avez pas envoyé le bon jumeau. C'est regrettable.

Ses longs cheveux blonds contrastent avec la noirceur de ses yeux. Ses vêtements sont impeccables. Elle fait partie des personnes à qui l’on ne peut pas donner d’âge. M Oeli est plus imposant qu'elle, ses yeux bridés et son expression amicale le font ressembler à un gentil papa. On remarque tout de suite que ce n'est pas lui qui a le plus de prestance.

Maman s'avance et soutient le regard du membre du conseil.

– Bonjour Cénia, je t'aurais bien souhaité la bienvenue mais tu t'es passée de ma permission pour entrer chez moi.

La confiance de notre mère nous laisse tous sans voix.

Mme Erington sourit laissant apparaître des dents parfaitement blanches.

– Je m'excuse pour ce manque de politesse. Je dois admettre que je ne m'attendais pas à cette trahison de ta part, cela m'a bouleversé et tu sais que je n’aime pas les incidents Flavie... Cela me met de mauvaise humeur.

Le fait qu'elle appelle ma mère par son prénom sous-entend qu'elles se connaissent. Mais ce n'est pas l'unique mobile de mon choc. Je sais très bien la punition infligée pour une trahison. Tout le monde le sait. Je croise le regard de Nacio qui est toujours au sol à cause du taser pointé sur lui. Je m'avance donc et tente le tout pour le tout.

– Comme vous l'avez si bien dit Mme La Haute Sage, Nacio et moi sommes jumeaux, nos pots ont dû être mélangés, ils étaient posés à côté sur une étagère. Nous les avons malencontreusement échangés.

Mon regard de défi ne laisse transparaître aucune émotion.

Après ce qui me paraît une éternité, Mme Erington autorise à Nacio à se lever.

– Maintenant que ce malentendu est résolu, tu vas pouvoir me suivre. Sache que ce retard ne sera pas bien perçu par les autres participants, ni par le public.

Je me moque de sa remarque, je suis parvenue à sauver mon frère et mon compartiment, du moins pour le moment.

Je m’empare de mon sac soigneusement préparé hier. Les Sages ne quittent par leur posture bien droite et fixent chacun d'entre nous. Cénia me regarde amusée et m’explique.

– Chaque représentant peut emmener trois personnes avec lui, elles partageront tes appartements et pourront t'apporter leur aide durant certaines épreuves. C’est ce que l’on nomme des ligueurs. Je te conseille donc de bien choisir, ma chère enfant.

Dans un premier temps, je pense à mes frères et sœurs puis je me dis que maman ne réussira pas à s'en sortir seule.

Naëlle est très intelligente et a plus de culture que nous tous réunis mais j'ignore si cela nous servira. Bien sûr, Nacio est le candidat idéal puisqu'il a déjà été là-bas, même si ce n'était que pour un court moment et son talent de manipulateur et d'observateur n'a pas d'égal. Je poursuis ma réflexion quand Olivio entre dans la maison. Aucun Sage ne prête attention à sa présence. Oli avance vers moi.

– Je veux t'accompagner.

Maor hoche la tête.

– Moi aussi.

Je pèse le pour et le contre et j'en viens à la conclusion qu'avec le courage de Maor, la stratégie de Nacio et la discrétion d'Olivio, je vais forcément gagner. Les trois garçons viennent se placer derrière moi. Cénia comprend mon choix et marche vers la sortie. Je me dépêche de prendre Naëlle dans mes bras, elle m'encourage puis je me tourne vers Amy.

– Tu vas t'en sortir ?

Elle acquiesce et me serre les mains.

– Tu es capable de nous sauver. Je crois en toi.

Je lui adresse un clin d’œil malgré la pression qu’elle me met sur les épaules. Je la lâche et me dirige vers ma mère.

Contrairement à ce que je pensais, elle ne pleure pas, elle reste forte et me serre contre elle.

– N'oublie pas d'arroser les plantes.

Je vais lui répondre quand Cénia nous interrompt.

– Je ne voudrais pas briser ce moment touchant mais ton retard est déjà assez... Important.

Cette voix qui se veut rassurante me donne juste une raison de plus de me méfier de Cénia. Tout ce qui est trop parfait sonne faux. Mme Erington est comme un cobra prêt à étouffer sa proie. Je me desserre de l'étreinte de ma mère et me dirige vers la sortie. Mais avant que nous sortions, avant que nous quittions notre ancienne vie, avant que nous affrontions les autres dans les épreuves, je fais un dernier geste. Je prends l'élastique qui est à mon poignet et m’attache les cheveux en une queue de cheval afin de lui faire signe que j'ai bien reçu son message codé. Je suis prête.

Quatre

Nous embarquons dans des camions bleu foncé. Les moyens de transports des Sages. Ils sont imposants, la même fleur que celle qui a poussé dans mon pot y est gravée, une renoncule. Le symbole de la perfection, de la justice et de la sagesse. Le véhicule est spacieux pourtant j'ai l'impression d'étouffer. Nous traversons le 7. Même si tous les habitants travaillent nuit et jour, très peu de compartiments acceptent de faire des échanges commerciaux avec le 7 à cause du manque d'hygiène. Le trajet est interminable. Nous traversons le 4, 3, 2 puis le 1 duquel nous observons le 21, complètement ravagé. Le 4 me laisse muette, je n'ai jamais vu autant de richesse et de solidarité. L’utopie prend vie ici. Le temps passe, mes frères fixent le paysage. Olivio, lui, garde les yeux fermés.

Je remarque que la paroi pour se rendre au milieu s'ouvre.

La voiture se gare juste devant le Centre, un immense bâtiment lumineux et accueillant. Tout part d'ici. Les décisions, l'aide quand c'est possible, les vaccins. Cénia Erington ouvre la marche. Elle ouvre la porte principale grâce à une carte magnétique puis nous entrons dans une pièce éclairée, peu meublée avec plusieurs portes. Je devine que ce sont les bureaux des secrétaires ou quelque chose de ce genre.

– Vous pouvez disposer dans vos appartements.

Ensuite, venez dans la salle d’entraînements, Nacio sait où elle se trouve, m'explique Cénia en époussetant son haut.

Elle me regarde à peine quand elle quitte la pièce. Maor porte mon sac.

– Toute l'électricité que nous économisons est ici, dit Oli en analysant ce qui l'entoure.

– Ils font des tests pour des recherches qui pourraient aboutir à un partage d’électricité sans polluer, expose Nacio. Disons que c'est un mal pour un bien.

Je sais que ce ne sont pas les mots de mon frère mais je ne pense pas que me manifester soit utile. Cet endroit est un vrai labyrinthe, je me demande comment Nacio a retenu le chemin en ayant passé à peine un jour ici. Nous arrivons dans « nos appartements », qui font approximativement la taille de ma maison. Les pièces sont grandes et modernes, nous avons chacun une chambre et le salon possède le canapé le plus confortable qu'il m'ait été donné de rencontrer. Oli saute dessus dès qu'il le voit. Je l'entends soupirer de plaisir pendant que je m'approche de la fenêtre pour contempler la vue.

– Qu'as-tu à me dire sur les règles du jeu, cher frère ?

Nacio se poste juste derrière moi pour répondre.

– Pas besoin de parler en langage codé, j'ai vérifié, il n'y a pas de micros ici. Les caméras sont disposées uniquement dans les espaces communs.

Je me tourne vers lui, les sourcils froncés.

– Si tu as vérifié, c'est que tu n'as pas confiance en l’Évènement et en ses intentions.

Nacio sourit en voyant que j'ai compris. Maor nous interroge.

– L'un de vous compte nous expliquer ce qui vous semble si évident ?

Nous sommes autour de la table blanche, Oli se redresse sur le canapé, les mains croisées sur ses genoux.

– J'ai entendu maman parler le soir où Manoline devait partir. Elle s'adressait à une photo de papa, elle pleurait en affirmant que nous connaîtrions le même sort que lui, que Line ne se remettrait jamais de son séjour ici.

Nacio baisse un instant la voix avant de se reprendre, vous connaissez la suite. Je suis venu ici et j'ai vu des choses étranges. Par exemple, le dernier étage est consacré au Conseil des Hauts Sages mais ils ne montent jamais et il y a ces griffures sur la porte, comme si quelqu’un avait été enlevé de force de sa chambre.

Je repense aux paroles de Naëlle, à la porte bleue, trop d'informations sont présentes pour les prendre à la légère.

Maor ne décontracte toujours pas ses muscles et secoue la tête.

– Les griffures sont peut-être celles d’un chien et tu n'es pas là depuis assez longtemps pour porter une telle hypothèse sur l'étage du haut. Tu es trop méfiant.

– Et toi trop naïf, renchérit Nacio.

Olivio les calme en levant les mains puis il me demande mon avis.

– Tu en penses quoi Manoline ?

Je réfléchis, quelque chose cloche mais j'ignore encore de quoi il s'agit.

– Je préfère prendre en compte l'avertissement de Nacio, son instinct est souvent le bon. Il y a trop d'indices pour les ignorer, malgré les épreuves, je découvrirai les secrets du Centre.

Quelques heures plus tard, Cénia me convie dans son bureau. Elle me fixe en jouant avec un stylo avant de lancer la discussion.

– J'ai la sensation que tu ne vas pas être du genre à passer inaperçue Manoline Macklomer.

– Conduisez-moi à la première épreuve et vous verrez par vous-même, répondais-je du tac au tac.

Mme Erington pose ses mains sur la table et me dévisage avec attention. Je presse mes mains sur les accoudoirs pour qu’elle ne remarque pas le moindre signe de mon stress.

– Vous pensez que les épreuves sont rapides, simples et qu'il n'y a qu'un chemin à emprunter pour vous rendre à la victoire, émet-elle. Vous avez faux sur toute la ligne.

Aucune de nous ne baisse le regard, cela semble la ravir.

Elle se lève et remplit un verre d'eau avec le robinet que je viens seulement d’apercevoir.

– Éclairez-moi dans ce cas, la provoquais-je.

Cénia arrose la plante tout en continuant de me parler.

– Les fleurs ont besoin de soleil pour vivre, sinon elles fanent.

– Tous les enfants le savent, dis-je légèrement impatiente.

Elle caresse les fleurs du bout des doigts sans cesser d'afficher un air serein.

– Si tu es une fille intelligente, tu devrais savoir que c'est moi ton soleil ici.

Je me mords la langue pour ne pas répliquer devant cette menace à peine voilée. Elle fait signe aux Sages de venir et leur donne l'ordre de m'escorter dans la salle d’entraînement où les instructions sur les prochaines semaines seront données. Je regarde une dernière fois la fleur que Mme Erington soignait tant. C'est une renoncule.

Les couloirs se ressemblent tous. Je marche en rythme avec les Sages. Ils n'expriment aucune émotion. On dirait des machines : des mains de fer et un cœur d’acier. Nous tournons trois fois à droite avant d'arriver. La salle ne contient pas de fenêtre, c'est la première chose que je constate car je hais me sentir enfermée. Prise au piège. La seconde chose qui m'interpelle, c'est que tout le monde me dévisage. Je prends une grande inspiration et avance au milieu de cet espace vitré. Les panneaux solaires alimentent le Centre en énergie grâce au silicium. La lumière m’éblouit presque. Alex Param, un des Hauts Sages, entre quelques secondes après. Il nous salue et balaie la foule du regard. Son corps frêle ne donne pas l'impression qu'il est fragile, sa coiffure plaquée au gel lui confère un air sérieux mais non sinistre. Il se racle la gorge avant d'entamer son discours.

– Cela fait un jour maintenant que vous vous préparez aux futures épreuves. Vous allez enfin savoir comment va se dérouler votre séjour en ces lieux.

Bien que la majorité de l'attention soit rivée sur M Param, je sens que l'on m'épie. C'est désagréable.

– Toutes les épreuves se dérouleront de la même façon : vous aurez quatre jours pour vous entraîner et trois jours d'épreuve. Chaque challenge visera à vous tester, à savoir si vous possédez les qualités requises pour devenir Haut Sage quand vos études seront terminées. Bien sûr, cela s'applique uniquement aux quatre gagnants.

Il nous fait signe de nous mettre en ligne. Nous nous exécutons. Des médecins en blouse blanche entrent dans la salle et se placent derrière nous. Quand je sens une piqûre dans le haut de mon dos, il est trop tard, je ne peux plus retirer ce qui a été profondément administré en moi.

Le garçon à la peau brune à côté de moi grogne en s'éloignant de l'infirmière.

– Wow ! Qu’est-ce que c’est ? Un rite de passage pour intégrer une secte ?

– Non, Waller. Ces puces sont inoffensives, elles nous permettent simplement de savoir où vous êtes afin que vous ne manquiez pas le début d'un challenge, explique M Param de sa voix douce.

Je sens des fourmis me parcourir le dos. Je bouge les épaules et la nuque tout en écoutant les informations que nous transmet Alex. Waller se fait reprendre par le dirigeant à cause d’une plaisanterie déplacée.

– Vous êtes 20, à la fin de chaque épreuve, quatre d'entre vous seront éliminés. Ils quitteront le Centre et rentreront chez eux. Le risque pour eux est que leur compartiment ne soit pas choisi parmi les douze qui bénéficieront des vaccins afin de résister à la prochaine vague de l'épidémie. Car je vous le rappelle, seuls les quatre gagnants pourront prendre cette très importante décision. Vous avez l'honneur de vous battre pour vos proches, ne les décevez pas.

Après le départ d’Alex, nous pouvons rester dans la salle afin de nous préparer à la première épreuve qui aura lieu dans quatre jours. Il faudra être créatif et à l'écoute.

J'ignore comment nous pouvons nous améliorer dans ces domaines mais tout le monde demeure dans la pièce alors je ne la quitte pas non plus. On m'a déjà bien assez remarqué comme ça. J'avance vers une table transparente, un questionnaire est posé dessus. Je m’apprête à le commencer, ne sachant pas quoi faire d'autre quand j'entends une fille vociférer suffisamment fort pour que je l'entende, affirmer que « la nouvelle est lâche d’avoir envoyé son frère se battre à sa place ». Ce genre de comportement me met hors de moi mais je reste calme et j'analyse la situation. Si je ne réagis pas, je passerai pour une personne faible qui n'est pas capable de se défendre.

Alors je me retourne et croise les bras.

– Qui se permet de m'insulter de lâche alors qu'elle commère dans mon dos ?

Une fille avec une queue de cheval parfaitement lisse rougit légèrement, à part moi tout le monde porte un badge avec son prénom gravé dessus. Encore un élément qui me différencie des autres, moi, la fille en retard et lâche. Hisaé, d'après ce que je lis, avance en compagnie de Naomie.

– Je peux te le dire en face si tu préfères mais tu risques de ne pas encaisser.

Il faut que je laisse mon côté provocateur dans un coin, me faire des ennemis dès mon arrivée pourrait me causer encore plus d'ennuis. Je pars donc pour faire demi-tour quand elle me lance une pique.

– On ne pouvait pas s'attendre à mieux venant de la fille d'un dégénéré qui a assassiné tout un comparti...

Elle ne finit pas sa phrase que je me tiens à un centimètre d’elle, ses yeux s'écarquillent de stupeur. Elle se protège le visage pensant que je vais la frapper. Je laisse échapper un rire moqueur.

– Comme tu l'as évoqué, je suis aussi dingue que mon père alors un conseil : ne fais pas de moi ton ennemie, finissais-je d’un ton menaçant.