L’homme du train - Monique Richard - E-Book

L’homme du train E-Book

Monique Richard

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Beschreibung

Lors d’un voyage à Londres, elle fait la connaissance de son compagnon de voyage. Très rapidement, ils se découvrent des affinités fortes et décident de se retrouver sur les quais de la Tamise le lendemain… C’est ainsi que commence l’histoire d’une femme toujours prête à s’émouvoir, comme le chantait Georges Brassens. Elle partage avec nous ses émotions, ses doutes et ses réflexions sur la vie, tout en déambulant dans les rues de Londres, Nancy et Lyon.

 À PROPOS DE L'AUTRICE

Monique Richard, enseignante de lettres à la retraite, est l’auteure d’un recueil de nouvelles et de deux romans, publiés sous le pseudonyme de Mike Barri. S’inspirant de faits réels, elle crée la trame de ses récits en introduisant des personnages fictifs, tous porteurs de réflexions sur la vie qu’ils partagent avec le lecteur.

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Seitenzahl: 201

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Monique Richard

L’homme du train

Roman

© Lys Bleu Éditions – Monique Richard

ISBN : 979-10-422-2056-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

De la même auteure

Petites histoires de rencontres

sous pseudonyme Mike Barri ;

La petite fille d’horloger

sous pseudonyme Mike Barri ;

Lulu

sous pseudonyme Mike Barri.

Merci à toutes celles, insatisfaites de la fin de mes histoires,

qui me demandent une suite.

Mais de quelle suite ont-elles envie ?

Heureuse ou tragique ?

Encore merci à celles et ceux qui ne me laissent pas me satisfaire

de peu, des exigeantes ou exigeants qui me poussent à m’améliorer,

dans la mesure de mes possibilités.

Merci de m’aider à continuer et à m’encourager dans ma passion.

Merci à Ada, mon amie et précieuse conseillère,

Disponible pour les relectures et les corrections indispensables

pour mes ouvrages.

Livre I

Voyage inachevé…

Le voyage

Le plus beau voyage,

C’est celui qu’on n’a pas encore fait.

Loïck Perron

Le départ

Partir n’a pas d’autre but que de se livrer à l’inconnu,

À l’imprévu, à l’infini des possibles

Voire à l’impossible.

Éric Emmanuel Schmitt, La nuit de feu.

Comme chaque année, elle était là, assise à attendre… Dans quelques instants, elle se lèverait pour se déplacer sur le quai et guetter l’arrivée du train. Les minutes étaient longues, et pourtant elle n’avait pas quitté sa maison très en avance.

Les préparatifs de départ avaient commencé depuis déjà une semaine mais comme toujours, au dernier moment, elle avait dû tout ressortir de la valise pour vérifier une dernière fois si elle n’avait rien oublié : les vêtements, il en fallait des légers au cas où la température devienne douce, mais aussi des chauds et épais au cas où l’hiver se décide à se montrer arrogant, humide, froid… il avait peut-être envie de se venger de cet automne qui s’était éternisé. Il voulait montrer qu’il existait encore, malgré toutes ces alertes effrayantes sur le réchauffement climatique. Et puis, là où elle allait, on ne pouvait vivre sans un vêtement de pluie. Non pas qu’il pleuvait toujours, mais régulièrement de petites averses venaient perturber les journées… pas vraiment ensoleillées mais douces. Oui, la grisaille avait élu domicile au-dessus de cette contrée. Peut-être devinez-vous déjà son lieu de villégiature ? … Mais ne soyez pas trop pressé, vous le saurez très vite.

Dans la fraîcheur matinale, elle était là, debout, encore un peu endormie. Autour d’elle, les autres, presque tous, pensait-elle, étaient eux aussi dans le souvenir douillet de la nuit. Comme elle, ils patientaient. Ils étaient nombreux, hommes, femmes, enfants seuls ou entourés de proches…

Elle voyait cet homme, costume, cravate, tenant une sacoche dans sa main gauche. Il semblait pressé d’arriver alors qu’il n’était pas encore parti. Nerveusement, il cherchait dans une poche, et retirait alors l’objet magique qui allait lui permettre de le calmer : la cigarette. Maladroitement, il l’alluma et son visage, puis son corps se détendirent.

Plus loin, un petit groupe un peu bruyant et très agité attira son attention. Trois enfants, et deux adultes, certainement les parents, discutaient et bougeaient sans cesse. Étaient-ils des vacanciers un peu en avance sur le calendrier scolaire, ou une famille obéissant à des obligations quelconques ? Le plus jeune semblait causer bien des soucis aux autres. Les parents avaient beaucoup de difficultés à essayer de le calmer. Il remuait sans cesse, parlait fort et fatiguait la foule sommeilleuse.

Une jeune fille, d’une vingtaine d’années, semblait rêveuse. Allait-elle rejoindre un petit ami ou partait-elle rejoindre son lieu de travail ? Elle l’imaginait amoureuse, en partance vers une nouvelle vie. Elle était très jolie, avec ses cheveux blonds cendrés, tombant sur ses épaules. Elle n’était pas maquillée ou alors si discrètement, que tout en elle respirait la simplicité, le naturel. Elle avait toujours rêvé d’être ainsi. Elle aurait aimé avoir ce même air doux, mais ses cheveux foncés, ses yeux noirs et sa peau mate lui donnaient un regard dur, une allure farouche. Le souvenir d’Isabelle, héroïne de son enfance, vivante et espiègle de la Collection rouge et or, cette petite fille brune l’avait toujours fascinée et elle s’était souvent identifiée à elle. Mais elle regrettait la dureté de son visage et de ses gestes.

Un mouvement la sortit de sa mélancolie. Une véritable horde d’adolescents arrivait à grands pas, riant, hurlant, s’interpellant… Oh, mon Dieu, non ! Épargnez-moi la compagnie de ces jeunes trop vivants à son goût. Cela lui rappelait ses années d’enseignante. Le brouhaha lui était devenu insupportable après toutes ces heures à demander le silence. Pourtant, elle était respectée et les élèves l’écoutaient, mais malgré cela, elle se rappelait ce mouvement incessant de toute une classe, les bruits de stylos qui tombaient lors de manipulations plus ou moins adroites entre des doigts plus ou moins souples. Elle espérait ne pas être obligée de subir leur compagnie durant ces sept heures de trajet. Et dans le même temps, elle ne voyait pas d’autre destination que la sienne pour ces élèves.

Elle tâcha de détourner son regard et d’occuper ses pensées afin de ne pas se stresser. Elle savait que sa place était réservée, côté couloir afin de lui donner une certaine liberté de mouvement.

Elle se souvenait de ce long voyage en avion. Plus de six heures, collée contre ce hublot qui lui permettait de voir le soleil et aussi les nuages dans les zones de turbulence. Trois sièges dont celui vers l’allée centrale occupée par une Suisse, tellement anxieuse d’être dans un avion, qu’elle avait pris des tranquillisants. Impossible de la réveiller. Impossible de bouger de son siège. Des fourmis dans les jambes, une angoisse grandissante, une envie de hurler… Elle savait qu’elle souffrait de claustrophobie, et elle aurait dû se méfier. Cependant, lors de ses autres trajets en avion, toujours assise vers le hublot, elle n’avait jamais eu ce sentiment d’étouffement. À partir de ce jour, plus jamais elle n’avait accepté d’être au centre d’une rangée, que ce soit dans les transports en commun, ou dans les salles de cinéma, ou de théâtre.

L’emplacement ne lui réservait donc que la surprise de ce voisin ou cette voisine qu’elle aurait pour le voyage. Elle avait fait des rencontres plus ou moins intéressantes lors de ces trajets précédents assez nombreux. Quel plaisir elle avait eu de partager une discussion avec cet avocat de Bruxelles qui, lors de leur séparation, lui avait proposé un séjour et une visite de cette ville européenne… Elle avait aussi adoré cet échange avec cette ancienne danseuse et chanteuse qui lui avait expliqué son parcours, son métier. Il y avait eu aussi tous ces jeunes qui partaient, soit pour rejoindre des amis ou alors pour se retrouver en famille pour une occasion quelconque. Bien entendu, tous les voyages ne se ressemblaient pas et elle avait aussi eu des compagnons de route peu bavards, peu communicatifs qui, dès les premiers instants, montraient une certaine réticence au dialogue. Alors, elle ouvrait le livre qui l’accompagnait en toutes circonstances. Il pouvait être un roman, une fiction, mais aussi une réflexion plus psychologique, ou historique… Elle avait toujours de quoi faire passer le temps. À ses premiers voyages, le livre de papier tenait une place importante dans son sac à main mais l’arrivée des liseuses lui avait permis de transporter de nombreux livres sans tenir trop de place dans son sac, et sans peser trop lourd.

Le poids était le souci permanent lors de ses déplacements et dès son arrivée dans le wagon, son plus grand souci était de trouver un emplacement pour sa valise, toujours trop chargée et trop lourde pour elle, mais qui, à son arrivée, semblait bien vide, et elle avait l’impression amère de ne rien avoir apporté de sa région.

Quel soulagement lorsqu’elle avait repéré son siège, rangé son bagage à portée de vue, et investi cette place qu’elle s’appropriait pour une durée courte cependant assez longue pour s’imaginer qu’elle possédait cet emplacement. Il est étonnant de constater à quelle vitesse chacun s’approprie rapidement une place et malheur à quiconque vient troubler cet ordre. Combien de fois avait-elle assisté à des disputes entre voyageurs, les distraits ayant subtilisé le siège numéroté, et les ayants droit furieux de trouver leurs sièges occupés par un intrus ? Alors que chacun sait qu’il ne voyagera pas debout, le ton monte parfois plus que de raison, les esprits s’échauffent inutilement jusqu’à l’arrivée d’un contrôleur-médiateur qui démêle une histoire somme toute peu importante, mais qui aura animé l’espace durant quelques minutes.

Bien calée, elle sort son compagnon de voyage, le dernier roman de Nicolas Barreau « Le sourire des femmes », qu’elle a commencé chez elle. Elle est pressée de retrouver les personnages auxquels elle s’identifie le plus souvent. Lui, l’écrivain enchaîné dans son secret, elle, à la recherche de la vérité. Elle s’étonne de l’imagination des auteurs de romans. Elle se demande d’où viennent toutes leurs idées qui la font tant rêver. Comme elle les envie de pouvoir se libérer dans leurs écrits. Lorsqu’elle était adolescente, elle avait bien commencé à écrire ses pensées dans un petit cahier et cela lui permettait de se dégager parfois de ses tristesses, de ses déceptions… mais elle ne pouvait jamais écrire ce qu’elle avait au plus profond d’elle-même, par pudeur peut-être, par peur que quelqu’un le lise, et aussi elle pensait que ses mots n’avaient pas d’intérêt, même pas pour elle. Elle n’avait pas assez de considération envers elle-même pour attacher de l’importance à ce qui pouvait bien sortir de sa tête.

La lecture était peut-être un moyen de sortir de la banalité de sa vie, de l’insignifiance de son propre personnage. Maintenant, elle s’enrichissait des héros de roman. Vivait-elle sa vie par procuration, tout comme Emma, cette jeune femme au destin tragique imaginée par Gustave Flaubert en 1856 ? Des « Madame Bovary », elle en côtoyait tous les jours, des copines insatisfaites de la monotonie de leur vie, en recherche permanente de la rencontre qui pourrait les sortir du quotidien. Elle en voyait s’engager dans des histoires amoureuses qui les transformaient en jeunes adolescentes, amoureuses de celui qu’elles considéraient comme leur sauveur, le chevalier qui venait les tirer de leur torpeur matrimoniale, les enlever à ce rôle de mère au foyer, qui les avait pourtant satisfaites durant toute cette première partie de leur vie, élevant avec beaucoup d’attention des enfants considérés comme la prunelle de leurs yeux.

Mais, bien sûr, le temps avait passé et plus personne n’attendait rien d’elles dans ce milieu familial, ne réservant que peu d’imprévus. Les enfants venaient de temps en temps, lorsque leur travail et leurs loisirs leur laissaient un peu de disponibilité pour se rappeler qu’ils avaient eu une enfance plus ou moins heureuse, auprès d’une mère à leur service pour les emmener et aller les chercher à l’école, ou aux activités extrascolaires, ou à leurs rendez-vous avec des amis… Les pères étaient souvent moins présents puisqu’occupés à rapporter l’argent à la maison.

Évidemment, toutes les familles ne fonctionnent pas selon ce cliché, mais même si la femme travaille, son activité professionnelle est, en général, calquée sur la responsabilité familiale qu’on ne lui a jamais revendiquée. La femme est mère avant d’être reconnue professionnelle dans un secteur d’activités quelconque. Les féministes ont pourtant œuvré afin de changer cet état de fait, et il faut reconnaître qu’elles ont obtenu des résultats pour l’indépendance des femmes, mais l’éducation, héritée des parents, est difficile à oublier. Les garçons ne sont pas souvent sollicités par leur mère pour s’occuper du ménage, de la cuisine, alors que les filles, ayant vu toute leur vie leur mère s’activer pendant que leur père se délassait dans un fauteuil, devant la télévision, pour se reposer d’une journée de labeur, avaient beaucoup de difficulté à imposer un autre mode de vie.

Oui, il lui semblait compréhensible que toutes les « Emma » attendent autre chose de la vie. Et il suffisait de peu pour qu’elles s’enflamment. C’est facile pour tous les charmeurs de séduire ces femmes, il suffit de les valoriser un peu, de faire preuve d’un peu d’attention et voilà nos « Emma » qui s’envolent vers des contrées inconnues. Ne les décevons pas, faisons semblant de croire que c’est une nouvelle et belle vie qui les attend. La déception arrivera bien assez tôt…

Ses pensées furent interrompues par une conversation bruyante près d’elle. Elle sortit donc de sa rêverie pour se rendre compte que c’était une voyageuse, proche d’elle qui répondait simplement au téléphone. Comment était-ce possible d’entendre aussi nettement le locuteur ? La vieille dame était certainement un peu malentendante et elle avait peut-être dû actionner le haut-parleur. C’était pardonnable, mais tellement désagréable. Ainsi, tous ses voisins purent participer à cet échange, sans pour autant en avoir envie. Ce que désiraient la plupart d’entre eux, c’était le silence afin de pouvoir terminer une nuit un peu trop courte ou trop agitée ; les autres, dérangés dans leur lecture, n’avaient absolument pas envie de savoir où se trouvait cette dame, puisqu’ils le savaient déjà. Avaient-ils envie de savoir où elle allait ? Oui, peut-être pour certains d’entre eux, mais sans doute pas pour la majorité.

Comment faire face à ces nouvelles situations, à l’origine de certaines tensions ? Le respect est une valeur qui se perdait. Si au moins, c’était un ou une jeune à l’origine de ce dérangement, ce serait plus simple, on pourrait tempêter contre le manque de civisme des jeunes, contre la fin de ces petites phrases de morale inscrites au tableau noir chaque matin dans les écoles. On pourrait critiquer ces professeurs incapables d’apprendre à leurs élèves les règles essentielles de la vie en communauté. Mais non, c’était une vieille dame, et les vieilles dames, on se devait de les respecter. On devait les comprendre… La séquence téléphone se termina cependant assez vite et le voyage put continuer plus sereinement dans ce wagon bondé.

La rencontre

La vie est une histoire de rencontres et de rendez-vous ratés.

Isabel Allende

Avec soulagement, elle reprit une position confortable et décida qu’avant de reprendre sa lecture, il lui était indispensable de calmer ce cœur vite enclin à s’emballer. Sous une apparence calme, son intérieur était en ébullition. Le pouls s’était mis en mode rapide, le cœur battait plus vite et elle sentait un bruit sourd marteler sa poitrine. Il fallait qu’elle retrouve une certaine sérénité avant de se replonger dans l’univers fictif de son roman.

Elle ferma les yeux un moment, et quand elle les ouvrit, elle remarqua que son compagnon de voyage la regardait avec une certaine attention. Elle lui sourit et vit alors qu’il était plutôt charmant, avec des yeux bleus, critère indispensable à la beauté, selon elle, des cheveux blancs coupés courts, des lunettes rondes qui lui donnaient un petit air intellectuel assez plaisant. Conforté par son sourire, il prit la parole. Il s’enquit de sa destination, qui s’avéra être la même que la sienne, lui demanda la raison de son déplacement, et expliqua que lui aussi faisait ce voyage pour aller rendre visite à son enfant, en l’occurrence sa fille. Le décor se mettait ainsi progressivement en place pour un échange. Elle se réjouissait d’avoir trouvé un compagnon de voyage agréable. Lui enseignait l’art dans une école d’une ville moyenne de province, elle avait enseigné l’histoire et les lettres. Elle s’intéressa à son travail, il lui demanda des précisions sur son enseignement. La conversation devint plus personnelle quand ils abordèrent leur vie respective.

Lui, séparé depuis quelques mois, avec consentement mutuel. Il expliqua que sa femme avait eu envie de partir loin, de quitter une vie, à son goût, trop confortable et banale, pour s’investir là où elle pensait qu’elle pourrait être utile. Il lui raconta qu’elle avait eu besoin de plus de considération que ce qu’il pouvait lui apporter. Elle avait beaucoup travaillé sur l’estime de soi, vu qu’elle n’en avait pas beaucoup. Elle avait consacré son temps à ses trois enfants, avait tout donné pour eux et aussi pour son mari. Attendre le retour de tous en fin de journée, une maison bien rangée, des repas élaborés, voilà ce qu’avait été sa vie. Et puis les enfants avaient pris leur envol, et les journées avaient été longues. Elle avait essayé de se rendre utile dans des associations locales, mais le monde associatif était loin de l’idéal qu’elle imaginait. Très vite, elle avait été confrontée à des disputes entre les membres de cette association, les egos de certains ne permettaient pas de travailler en toute quiétude. Le président dirigeait, avec parfois un peu trop d’autorité et il y avait ceux qui voulaient prendre sa place. Les démissions étaient nombreuses parmi les anciens travailleurs qui avaient une impression de déjà vécu et qui ne souhaitaient pas retrouver l’ambiance du monde du travail.

Souvent, ces présidents, petits chefs, se vengeaient d’une vie professionnelle sans grande responsabilité et s’octroyaient un rôle au-dessus de tous. Elle trouvait ces comportements insupportables. Elle n’aimait pas non plus voir ses collègues profiter de petits avantages aux dépens des assistés. Elle se disait que la corruption était au plus haut niveau de l’État mais aussi dans des strates moins élevées. C’était insupportable de voir ces situations où « il n’y avait pas de petits profits ». Lasse d’un monde qui ne lui correspondait plus, elle avait décidé de tout quitter, dont sa famille. Grâce à ses études, anciennes certes mais encore valables, elle était partie, son diplôme d’infirmière en poche, rejoindre des bénévoles en Afrique. Par l’intermédiaire des réseaux sociaux, auxquels elle s’était vite habituée, elle donnait parfois des nouvelles, envoyait aussi des photos, et son mari l’avouait, elle semblait épanouie dans sa nouvelle vie. Il se rendait compte à quel point il l’avait négligée, uniquement préoccupé par son travail. Il comprenait bien son choix et ne lui en voulait pas de cet abandon. Il avait été en quelque sorte son propre fossoyeur.

Mais il avouait aussi que sa passion pour son travail n’avait pas faibli et qu’il était toujours aussi peu disponible. Ainsi, il lui expliqua qu’il avait peu souffert de cette séparation même s’il lui arrivait de trouver sa solitude un peu pesante. Il sortait tard de sa journée de travail, et de retour chez lui, il continuait à travailler, toujours à la recherche de nouveaux supports pour passionner ses élèves, pour ne pas les laisser s’installer dans la routine. C’était aussi une façon pour lui d’échapper à l’ennui. Il ne s’était pas beaucoup préoccupé de sa femme, qui, pour lui, semblait apprécier la vie qu’elle menait, pas plus qu’il ne s’était demandé si cette vie lui convenait.

Chez ses parents, on ne se posait pas de questions, on vivait ou plutôt, on survivait. Le travail était le loisir, la nourriture était faite pour se nourrir et non pas pour se faire plaisir. La satisfaction était de se coucher le soir sans avoir eu d’autres soucis que le quotidien. La politique, c’était pour les Parisiens ou pour les gens riches. La dépression, c’était pour les gens qui n’avaient rien à faire. L’instruction, c’était pour les citadins, car vu de leur campagne, l’accès à l’école secondaire demandait des efforts considérables : financiers puisqu’il était impossible de fréquenter une école secondaire sans être interne dans un établissement et donc il fallait payer une pension ; et de plus, les enfants étaient une main-d’œuvre bon marché. Des efforts aussi étaient nécessaires pour emmener l’enfant prendre un bus, lui préparer des affaires propres chaque semaine ou mois. Et puis, les anciens ne voyaient pas l’intérêt d’étudier pour pouvoir manger. Ils refusaient de voir l’évolution du monde. Alors, les études, elles se faisaient avec l’aide de l’instituteur ou institutrice du village qui prenait tout en charge, montait des dossiers pour les services sociaux, organisait du covoiturage pour permettre aux enfants de suivre un enseignement dans la ville voisine. Seuls étaient remarqués les élèves les plus intelligents, certes, mais aussi les plus dégourdis. C’est ainsi que cet homme avait pu suivre des études littéraires à la ville et enfin des études artistiques. Il avait échappé de peu à son destin d’agriculteur, comme son père et son grand-père.

Le train continuait son voyage à travers champs, déserts, villes et gares animées. Les voyageurs montaient et descendaient sans perturber nos deux nouveaux complices absorbés par leur propre destin. C’est lui qui avait été le plus bavard, content de se confier à cette personne inconnue mais si proche de lui. Habituellement, il était d’un naturel plutôt discret, mais cette femme lui avait inspiré confiance. Elle avait un physique quelconque, ni jolie, ni laide, sans fard artificiel, mais elle dégageait une certaine sérénité qui l’avait séduit. C’est sans aucune gêne ni honte qu’il avait confié une partie de son intimité à cette inconnue. Son entourage aurait été surpris et furieux de le savoir, eux qui l’incitaient toujours à s’exprimer afin de dissiper ce mal être qu’ils percevaient parfois. Ses amis lui avaient même conseillé de consulter un psychologue.

Elle l’avait écouté avec beaucoup d’attention parce que l’histoire des autres l’avait toujours passionnée. Il n’y avait aucune curiosité de sa part, mais elle faisait toujours preuve d’une grande empathie. Souvent, elle recueillait ainsi des confidences, dont certaines la mettaient dans l’embarras. Parfois, les histoires étaient belles et lui apportaient beaucoup de chaleur, parfois elles étaient sordides et perturbaient son équilibre. Plusieurs fois, ne sachant que faire face à des drames, elle avait dû consulter une psychologue.

Elle, aussi, aurait aimé consacrer sa vie aux plus démunis, mais elle n’en avait pas eu l’occasion, entraînée par le tourbillon de sa vie qu’elle avait dû gérer tant bien que mal. Après une enfance somme toute banale et insouciante, elle était entrée dans sa vie d’adulte démunie. Elle ne s’était pas préparée à la dureté du quotidien. Être mère de famille et mener une vie professionnelle demande une certaine organisation et un certain déni de soi. Elle avait compris alors qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même pour rendre sa vie agréable et supportable. Elle ne voulait pas négliger sa famille et avait donc accepté un travail peu invasif, banal, sans grande prétention. Elle admirait ces femmes qui menaient de front une vie familiale heureuse et une vraie carrière professionnelle. Bien sûr, avec beaucoup de motivation et de travail, elle avait réussi tardivement à passer le concours de professeur, mais elle avait eu le sentiment qu’elle était une intruse dans le monde de l’enseignement, parmi ses collègues qui n’avaient connu que ce métier et qui ne connaissaient de la vie que ces petits privilèges auxquels ils étaient très attachés… Son mari ne l’avait pas quittée pour une autre et leur couple restait solide, mais peut-être un peu monotone.