L'Inquisition - Encyclopaedia Universalis - E-Book

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Encyclopaedia Universalis

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L’Inquisition se présente comme un tribunal d'exception, et pourtant permanent, qui intervient dans toutes les affaires intéressant la défense de la foi. Les articles qui composent ce Dossier Universalis précisent l'origine et le fonctionnement de cette institution aussi célèbre que mal connue. Ils tissent des liens vers des domaines connexes (hérésie, torture) et évoquent la figure de quelques-uns de ceux qui furent ses promoteurs (Torquemada) ou ses victimes (Galilée).
Un ensemble de textes denses et informés, tirés du fonds de l'Encyclopaedia Universalis et signés par les meilleurs spécialistes (Jean Favier, Louis Sala-Molins, Alain Le Boulluec, Marcellin Defourneaux, Raoul Vaneigem…).

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.

ISBN : 9782341002134

© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.

Photo de couverture : © Tarapong Siri/Shutterstock

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Bienvenue dans ce dossier, consacré à l'Inquisition, publié par Encyclopædia Universalis.

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L’Inquisition

L’Inquisition se présente comme un tribunal d’exception, permanent, qui intervient dans toutes les affaires intéressant la défense de la foi. Elle doit son nom à la procédure inquisitoire qui permet la recherche d’office des suspects par le juge.

Créée pour lutter contre les cathares et les vaudois, l’Inquisition a ensuite étendu son activité aux béguins, aux fraticelles, aux spirituels, ainsi qu’aux devins, sorciers et blasphémateurs.

Dans ce vaste domaine, elle dessaisit, en fait sinon en droit, la juridiction ordinaire, celle de l’évêque.

Yves DOSSAT

E.U.

INQUISITION

Introduction

On n’a pas toujours précisé le caractère original de l’Inquisition, forme de répression de l’hérésie établie par le pape Grégoire IX à partir de 1231. À cette date, la punition des hérétiques et l’anathème contre les ennemis de la foi étaient des faits déjà anciens, selon ce qui avait été en particulier prescrit par le deuxième concile du Latran (1139). Il appartenait aux évêques de rechercher les hérétiques, aux juges séculiers de les punir, aux rois et aux princes de prêter, sous peine de déchéance, leur concours à cette répression.

Très différente est l’Inquisition ; elle se présente comme un tribunal d’exception, permanent, qui intervient dans toutes les affaires intéressant la défense de la foi. Elle doit son nom à la procédure inquisitoire qui permet la recherche d’office des suspects par le juge. Créée pour lutter contre les cathares et les vaudois, l’Inquisition a ensuite étendu son activité aux béguins, aux fraticelles, aux spirituels, ainsi qu’aux devins, sorciers et blasphémateurs. Dans ce vaste domaine, elle dessaisit, en fait sinon en droit, la juridiction ordinaire, celle de l’évêque. L’Inquisition n’aurait pu remplir son rôle sans le concours du pouvoir civil qui lui fournissait ses moyens d’existence et assurait l’exécution de ses sentences. D’ailleurs, à une époque où la vie de toute principauté reposait sur l’unité de religion, les intérêts de l’État et de l’Église se trouvaient, sauf exception, confondus au sein de cette juridiction.

Yves DOSSAT

Apparue au moment où l’Espagne réalisait son unité politique, l’Inquisition espagnole a constitué une institution originale, sans rapport avec l’Inquisition pontificale créée au XIIIe siècle pour lutter contre l’hérésie. Par ses origines, comme par l’action considérable qu’elle exerça dans les domaines religieux et intellectuel, elle constitua un élément caractéristique de la personnalité historique de l’Espagne.

Marcelin DEFOURNEAUX

1. Mise en place et fonctionnement

• De nouveaux moyens de répression

Les moyens traditionnels de répression, la procédure par accusation ou par dénonciation convenaient peu à la lutte contre l’hérésie. Ignorée du droit romain, la procédure inquisitoire permit de poursuivre d’office toute personne vaguement soupçonnée, ce qui rendait possible une répression rapide et efficace. Celui qui était interrogé devait jurer de dire la vérité sur son propre compte et sur celui des autres. Innocent III définit la nouvelle procédure dans la décrétale Licet Heli de 1213, complétée par la décrétale Per tuas litteras.

Les nombreuses mesures qui frappaient les hérétiques avaient trouvé leur couronnement dans la décrétale Vergentes in senium publiée par Innocent III en 1199. En 1215, le Concile du Latran reprit toutes les dispositions antérieures. Les autorités civiles ne restèrent pas inactives : l’empereur Frédéric II en 1220 et 1224, le roi de France Louis VIII en 1226, la régente Blanche de Castille en 1229, le comte de Toulouse lui-même (1229) publièrent des ordonnances contre les hérétiques. Il restait à régulariser la répression. Grégoire IX lui donna une forme précise par la constitution Excommunicamus (févr. 1231). La prison perpétuelle devenait la pénitence salutaire infligée à l’hérétique repentant ; l’hérétique obstiné devait recevoir le châtiment qu’il méritait (animadversio debita) avec l’abandon au juge séculier et la peine de mort par le feu. Ceux qui étaient en rapport avec les différentes sectes étaient frappés d’excommunication.

Pour appliquer sa constitution dans l’Empire, Grégoire IX, dès le 11 octobre 1231, désigna Conrad de Marbourg, prêtre séculier, qui, choisissant librement ses collaborateurs, pouvait user de l’excommunication et de l’interdit, faire appel au bras séculier ; il jouissait de pouvoirs à peu près illimités. Mais le pape eut aussi recours aux dominicains. Par ses bulles Ille humani generis, il confia (nov.-déc-1231) aux prieurs de Ratisbonne, de Friesach (près de Klagenfurth), de Strasbourg, la mission de poursuivre, suivant les statuts qu’il avait promulgués, les coupables et leurs aides. Semblable mission fut confiée au prieur de Besançon et à Robert le Petit, plus connu sous le surnom de Bougre. Pour la première fois, on se trouve en présence d’un ensemble de mesures qui attribuent à un tribunal d’exception le châtiment des ennemis de la foi, par application d’une législation précise : c’est la naissance de l’Inquisition. Mais le choix de Conrad de Marbourg fut très malencontreux. Fanatique, agissant sans discernement, il érigea çà et là de nombreux bûchers, et ses violences soulevèrent une inquiétude générale. Il se heurta aux prélats et tint tête au Concile de Mayence (juill. 1233). Ses ennemis se débarrassèrent de lui par l’assassinat (30 juill.). L’Office ne se releva jamais de cet échec à l’intérieur de l’Empire. Mais l’Inquisition se développa néanmoins très rapidement.

Inquisition. L'ordre des Dominicains prit une part active au tribunal de l'Inquisition créé par la papauté au début du XIIIe siècle. Pedro Berruguete, Autodafé présidé par Domingo de Guzmán (saint Dominique), huile sur bois, vers 1495. Musée du Prado, Madrid. (Erich Lessing/ AKG)

• Les tribunaux et les juges

En avril 1233, la juridiction nouvelle, bientôt connue sous le nom d’Inquisitio hereticae pravitatis, fut étendue au royaume de France et aux régions voisines. Le 20 avril 1233, le pape informa les archevêques et les autres prélats qu’il les soulageait d’une partie de leur fardeau en choisissant, pour combattre l’hérésie, les Frères prêcheurs. Le 22, il confia au provincial de Provence le soin de désigner plusieurs de ses religieux pour remplir cette mission dans les conditions prévues. Cette mesure s’appliquait aussi aux provinces de Vienne, Arles, Aix et Embrun. Avec l’aide d’un légat, Jean de Bernin, archevêque de Vienne, le provincial mit en place, à la fin de 1233 ou au début de 1234, des tribunaux à Avignon, Montpellier, Toulouse. En 1237, des juges furent installés à Carcassonne. Pour le nord de la France, le pape disposait déjà de juges. Il lui suffit de donner mandat (19 avr. 1233) à Robert le Bougre et aux inquisiteurs de Besançon pour extirper l’hérésie de La Charité-sur-Loire et des régions voisines ; ces pouvoirs furent en fait étendus aux provinces de Sens, Reims et Bourges. Des difficultés retardèrent l’établissement de l’Inquisition en Italie, jusqu’en 1235 en Italie centrale, jusqu’en 1237 en Lombardie ; elle fut confiée, dans le premier cas, au prieur du couvent des prêcheurs de Sainte-Marie de Viterbe, dans le second, au provincial de Lombardie.

L’Inquisition a été parfois itinérante, mais en général le tribunal possédait un siège fixe, la maison de l’Inquisition, ou vivaient les inquisiteurs, leurs notaires et leurs familiers. Les archives s’y trouvaient en lieu sûr. Les inquisiteurs touchaient une pension annuelle, ou, selon un système plus aléatoire, une partie du produit des confiscations, en Italie le tiers. Chaque tribunal était présidé par deux juges, avec des pouvoir égaux, qui étaient presque toujours, mais non obligatoirement, des Prêcheurs ou des Mineurs. Ils étaient désignés par les supérieurs de leur ordre, en général les provinciaux, qui recevaient une délégation du pape. Après le début du XIVe siècle, il n’y eut plus qu’un inquisiteur, qui se faisait assister par des lieutenants ou des commissaires. Dans l’exercice de leurs fonctions, les inquisiteurs n’étaient pas tenus d’obéir à leurs supérieurs, ils vivaient en marge de la vie conventuelle et échappaient à l’emprise de la règle. On s’efforça de faire coïncider les circonscriptions inquisitoriales et les limites politiques. Ainsi, en 1248, le diocèse d’Elne (province de Narbonne) cessa de dépendre de Carcassonne et fut rattaché à l’Inquisition aragonaise.

Pour bien s’acquitter de leur charge, les inquisiteurs disposaient de nombreux textes pontificaux ; ils pouvaient consulter des juristes (par exemple, à Avignon, le 21 juin 1235, sur les vaudois) ou une personnalité particulièrement compétente, tel, vers 1256, puis vers 1260, Gui Foucois, le futur pape Clément IV. Très vite, ils eurent à leur disposition des manuels, d’abord simples recueils de formules (le plus ancien, en 1242, est dû au dominicain Raimond de Pennafort, pour l’Aragon), puis de véritables traités raisonnés, comme la célèbre Pratica Inquisitionis de l’inquisiteur toulousain Bernard Gui (1324).

• Procédure et pénalités

Pour rechercher les suspects, les inquisiteurs pouvaient recourir à l’enquête générale ou à la citation individuelle. Dans le premier cas, ils partaient en tournée ou, le plus souvent, convoquaient au siège de leur tribunal la population entière d’une région, hommes et femmes. Tous étaient tenus de comparaître. Ceux qui faisaient des dépositions sincères dans les délais accordés étaient sûrs d’échapper aux peines les plus graves. Ils bénéficiaient du temps de grâce, usage remontant aux origines de l’Inquisition. Pour une comparution individuelle, la citation se faisait par l’intermédiaire du curé. Le refus de comparaître entraînait l’excommunication qui devenait définitive au bout d’un an. L’arrestation de certains suspects pouvait être jugée nécessaire. Pour toutes ces poursuites, le sergent de l’Inquisition demandait l’aide des autorités civiles.

Le suspect, interrogé par l’inquisiteur ou un de ses collaborateurs, devait s’engager par serment à révéler tout ce qu’il savait sur l’hérésie. Un notaire, en présence de témoins, recueillait les éléments de l’interrogatoire, mais en retenant seulement la substance des réponses, ce qui paraissait exprimer le mieux la vérité. Toujours rédigé en latin, le texte, traduit en langue vulgaire, était ensuite lu à l’accusé qui devait s’en remettre à la volonté des inquisiteurs. Pour faire avouer les récalcitrants, de nombreux moyens de contrainte pouvaient être employés, en dehors même de la torture, considérée comme licite après le milieu du XIIIe siècle : convocations nombreuses, incarcération plus ou moins confortable, recours à des délateurs. À défaut d’aveux, la preuve de l’hérésie était administrée par des témoins.

L’Inquisition n’infligeait pas de vraies peines, mais des pénitences salutaires pour le bien des adeptes de l’hérésie revenus à la foi. Les moins graves, qui étaient qualifiées de pénitences arbitraires, pouvaient être imposées ou commuées par les inquisiteurs eux-mêmes : elles étaient les seules infligées à ceux qui avaient comparu pendant le temps de grâce. On comptait parmi elles la fustigation au cours de la messe, les visites aux églises, les pèlerinages, l’entretien d’un pauvre, le port de croix d’infamie sur les vêtements, ces pénitences pouvant être combinées. La peine normale de l’hérétique converti lorsque son cas n’appelait pas une indulgence particulière, était la peine de la prison, en principe perpétuelle. Mais les réductions n’étaient pas rares : l’inquisiteur Bernard Gui commua environ deux peines sur cinq. Le régime du « mur large » laissait aux incarcérés une vie tolérable, surtout du fait de l’incurie des geôliers. Le « mur étroit » était beaucoup plus rigoureux. Avant de prononcer la sentence, les inquisiteurs consultaient des assesseurs ou boni viri, dont le rôle, peu important au début, n’a cessé de croître par la suite.

Devant l’hérétique opiniâtre ou le relaps, l’Inquisition, se trouvant désarmée, n’avait d’autre ressource que de les abandonner à l’autorité séculière, à laquelle il appartenait de les conduire au bûcher. Cette mesure gardait quelque chose d’exceptionnel : au cours de sa longue carrière, Bernard Gui abandonna quarante hérétiques au bras séculier.

Les sentences étaient prononcées au cours d’une cérémonie officielle qui se déroulait en présence des autorités religieuses et civiles, et qu’on appelait le sermon général parce qu’elle débutait par une allocution de l’inquisiteur.

Les peines les plus graves entraînaient obligatoirement la confiscation des biens du coupable au profit de l’autorité qui avait la charge des dépenses de l’Inquisition. Il en était de même dans le cas de condamnations posthumes, car la mort ne mettait pas un terme à l’action de la justice.

2. L’évolution de l’Inquisition

• Le XIIIe siècle et l’apogée de l’institution

Des tribunaux ont fonctionné régulièrement dans le midi de la France. À Avignon et à l’est du Rhône où il avait à faire surtout à des vaudois, l’inquisiteur Guillaume de Valence eut, en 1246, des difficultés avec les Avignonnais qui en vinrent même à libérer des prisonniers. À Montpellier, le dominicain Pierre de Marseillan poursuivit les cathares et les vaudois jusqu’à la suppression du tribunal, vers 1244. À Carcassonne, où la tâche des inquisiteurs fut dure, le Catalan Ferrier a laissé une réputation particulière d’énergie (1237-1244) : il y gagna le surnom de « Marteau des hérétiques ». Les juges de Toulouse eurent le sort le plus difficile ; en 1235, ils furent expulsés de la ville. Pour tenter d’améliorer la situation, le légat associa au dominicain Guillaume Arnaud le franciscain Étienne de Saint-Thibéry et un séculier Raimond Escriban, archidiacre de Villelongue. Mais ceux-ci furent massacrés, la veille de l’Ascension 1242 (28 mai), à Avignonet, victimes d’un guet-apens tendu par les hérétiques réfugiés à Montségur. La conjoncture ne redevint favorable à l’Inquisition qu’avec la nomination de Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre qui s’établirent à Toulouse en 1245.

Dans le reste du royaume, l’Inquisition prit un caractère désordonné, en raison de la personnalité de Robert le Bougre, ancien hérétique, considéré par ses contemporains comme faux et hypocrite. Après avoir vécu pendant de longues années dans la « loi de mescréandise » à Milan, il avait pris l’habit de frère prêcheur. L’action de Robert à La Charité-sur-Loire fut si brutale, en 1233, que Grégroire IX suspendit les pouvoirs de l’inquisiteur dès février 1234. Rentré en grâce en août 1235, celui-ci reprit son activité frénétique et, au cours d’une brève tournée (1236) par Châlons-sur-Marne, Péronne, Cambrai, Douai, Lille et sa région, il fit au moins une cinquantaine de victimes. Puis il sévit en Champagne. Des accusés, amenés de toutes parts dans la forteresse comtale du Mont-Aimé, furent brûlés, au nombre de cent quatre-vingt-trois, le 13 mai 1239, en présence de Thibaut IV, au milieu d’une affluence imposante. De tels excès entraînèrent la disgrâce de Robert, mais on ignore la date exacte et la nature de celle-ci.

En Italie, les inquisiteurs dominicains firent preuve d’une grande activité, de Rome à la Lombardie et jusqu’aux bords de l’Adriatique. Mais leur tâche fut rendue malaisée par la guerre entre les factions et par l’hostilité des gibelins. La mort de Frédéric II n’arrangea rien. Le 9 avril 1252, sur la route de Côme à Milan, Pierre de Vérone fut assassiné. Bien qu’il n’eût exercé sa charge que pendant quelques mois, ce prédicateur réputé, honoré ensuite sous le nom de saint Pierre Martyr, fut considéré comme le modèle de l’inquisiteur. Rainier Sacconi, ancien hérétique lui-même, et auteur d’un traité très documenté sur le catharisme, continua la lutte. En 1254, le prieur et un moine du couvent de Ferrare besognaient encore comme inquisiteurs dans la Marche d’Ancône et en Lombardie. Il est à croire que la tâche était trop lourde, car, le 30 mai 1254, Innocent IV confia aux Frères mineurs la répression de l’hérésie dans toute l’Italie centrale et dans la partie orientale de la plaine du Pô. Les dominicains gardaient juridiction sur la Lombardie et la Marche de Gênes. L’Inquisition fut même étendue par Grégoire IX à la Dalmatie. D’abord confiée aux dominicains, elle fut attribuée à partir de la fin du XIIIe siècle aux franciscains.

En France, l’Inquisition connut une crise longue et beaucoup plus grave. Innocent IV entendit suivre de près le fonctionnement des tribunaux, contrôle que les juges apprécièrent peu. Les inquisiteurs réussirent à lui tenir tête dans une affaire de commutation de peines au profit d’habitants de Limoux (1246) et la mesure fut annulée. Le pape mit alors l’Inquisition sous la tutelle de l’évêque d’Agen (1248) qui se révéla effective : l’évêque, le 14 février 1250, céda à l’abbé de Saint-Sernin de Toulouse une maison qui appartenait à l’Inquisition, afin d’assurer un meilleur logement des étudiants pauvres (collège Saint-Raimond). L’inquisiteur Bernard de Caux fut simplement informé de la décision. Peu après, les dominicains renoncèrent à leur charge. Le tribunal continua cependant à fonctionner sous la direction des évêques, avec des juges séculiers, en gardant tous ses caractères de juridiction d’exception. Mais Innocent IV s’efforça d’obtenir le retour des religieux ; les négociations aboutirent seulement après l’avènement d’Alexandre IV. C’est en mars 1255, sous la direction du prieur conventuel de Paris, que les prêcheurs Renaud de Chartres et Jean de Saint-Pierre s’établirent à Toulouse. À la fin de 1258 ou au début de 1259, Guillaume-Raimond de Bordeaux et Baudouin de Montfort vinrent siéger à Carcassonne. Mais, en Provence, sur les terres de Charles d’Anjou, les franciscains succédèrent aux dominicains. Il en résulta une rivalité violente entre les deux ordres mendiants. Les dominicains accusèrent frère Maurin d’avoir pris parti, à Marseille, contre Charles d’Anjou (1264), et n’hésitèrent pas à produire de faux témoins.

Dans l’ensemble, l’Inquisition sortit renforcée de la crise. La papauté abdiqua presque tous ses droits, et les inquisiteurs échappèrent à l’autorité des légats pontificaux eux-mêmes. Dès 1256, Alexandre IV accorda aux inquisiteurs le droit de se relever mutuellement de l’excommunication encourue ou de l’irrégularité commise. Le recours à la torture se trouvait légalisé. L’Inquisition est à son apogée. En Vénétie, Philippe de Mantoue traque les hérétiques de 1276 à 1289. Environ deux cents cathares sont arrêtés à Sirmione et terminent leurs jours sur le bûcher à Vérone, le 13 février 1278. Pour Toulouse, le texte d’une partie des dépositions reçues par Renous de Plessac et Ponce de Parnac (1273-1279) a été conservé. À Carcassonne, Étienne de Gâtine et Hugues de Bouniols prononcèrent des condamnations en 1276. L’inquisiteur de France, Simon Duval, cita par-devant lui, à Saint-Quentin, pour le 18 janvier 1277, Siger de Brabant et ses adeptes qui se gardèrent de comparaître. Mais il était impossible de surveiller la marche de l’Office qui connut des abus. Après 1290, les franciscains se déconsidérèrent en Vénétie par leurs exactions et leurs malversations ; on incrimina particulièrement Boninsegna de Trente et Antoine de Padoue (qui n’a qu’un simple rapport d’homonymie avec l’autre disciple de saint François). À Carcassonne, l’action brutale des inquisiteurs et l’usage abusif de la torture entraînèrent une irritation générale. Des protestations s’élevèrent contre Jean Galand (1278-1293) et Nicolas d’Abbeville (1293-1302), attisées par le franciscain Bernard Délicieux. Des désordres éclatèrent. Les plaintes arrivèrent jusqu’au pape Clément V qui décida d’intervenir.

Celui-ci confia une enquête aux cardinaux Taillefer de La Chapelle et Bérenger Frézouls (mars 1306) qui visitèrent les prisons de Carcassonne et d’Albi et prirent des mesures pour améliorer les conditions de détention. Après avoir mis un terme à cette mission (1308), Clément V promulgua toutefois, au cours du Concile de Vienne (1312), les constitutions Multorum querela et Nolentes qui exigeaient la collaboration des inquisiteurs et des évêques pour tous les actes importants de la procédure ainsi que pour la mise à la torture, la promulgation des sentences et la gestion des prisons. La puissance de l’Inquisition en fut irrémédiablement atteinte. Passant outre aux oppositions, Jean XXII, par la décrétale Cum Matthaeus (1321), restreignit un peu plus les pouvoirs des inquisiteurs.

• Le déclin

Le tribunal de Toulouse conserva encore toute son activité avec Bernard Gui (1306-1323) ; il combattit les cathares et les vaudois, lutta contre les fraticelles, bizoches, béguins. Mais cela ne dura pas. À Carcassonne, en 1330, Henri de Chamay fut obligé de renoncer à des procès posthumes. Accusé de corruption et d’abus de pouvoir, un commissaire de l’Inquisition fut, en 1340, révoqué de sa charge. L’inquisiteur de France réprima la magie dans l’affaire de Jean l’Archevêque, sire de Parthenay, évoquée par Jean XXII. Contre les vaudois du Dauphiné, des poursuites, parfois entravées par le manque d’argent, furent engagées par le mineur François Borrel, à partir de 1375. Dans l’Empire, la nomination de Jean Scadelent resta sans effet (1349-1357). Au XVe siècle, le déclin s’accentue. À Carcassonne, les décisions prises par l’inquisiteur Pierre de Marvejols furent remises en cause par la papauté (1411). À Lyon, des habitants mécontents firent arrêter le franciscain Bernard Tremosii en 1458. On continua à nommer régulièrement des inquisiteurs, mais ce ne fut plus qu’une fonction accessoire ; tel fut le cas de Thomas de Ferrare en Lombardie de 1462 à 1474.

L’Inquisition a assuré, avec des fortunes variables, pendant les derniers siècles du Moyen Âge, la police de la foi, au profit de l’Église aussi bien que de l’État. Mais les progrès de la centralisation et le développement des institutions administratives et judiciaires mirent en cause l’indépendance et l’utilité du tribunal. Déjà, en plein milieu du XIIIe siècle, la république de Venise entendait faire de la poursuite des hérétiques son domaine propre. À Toulouse, en 1331, un commissaire du roi prétendit que l’Inquisition était une cour royale et non une cour ecclésiastique. Plus tard, sur ordre du roi, Étienne de Lacombe, inquisiteur à Toulouse, fut arrêté dans son hôtel et incarcéré dans sa propre prison (1412). C’était, il est vrai, au plus fort de la crise du Grand Schisme. En Dauphiné, le tribunal finit par être subordonné au Parlement de Grenoble et, en 1509, le Grand Conseil cassa les sentences de l’Inquisition, comme s’il s’agissait d’actes abusifs d’officiers royaux. Aux temps de la Réforme, les Parlements s’attribuèrent sans difficultés la connaissance des nouveaux cas d’hérésie. Mais, en