L’Odyssée - Homère Mélésigène - E-Book

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Homère Mélésigène

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Beschreibung

L'Odyssée est une épopée grecque antique attribuée à l'aède Homère, qui l'aurait composée après l'Iliade, vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C. Elle est considérée comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature et, avec l'Iliade, comme l'un des deux « poèmes fondateurs » de la civilisation européenne.
L'Odyssée relate le retour chez lui du héros Ulysse, qui, après la guerre de Troie dans laquelle il a joué un rôle déterminant, met dix ans à revenir dans son île d'Ithaque, pour y retrouver son épouse Pénélope, qu'il délivre des prétendants, et son fils Télémaque. Au cours de son voyage sur mer, rendu périlleux par le courroux du dieu Poséidon, Ulysse rencontre de nombreux personnages mythologiques, comme la nymphe Calypso, la princesse Nausicaa, les Cyclopes, la magicienne Circé et les sirènes. L'épopée contient aussi un certain nombre d'épisodes qui complètent le récit de la guerre de Troie, par exemple la construction du cheval de Troie et la chute de la ville, qui ne sont pas évoquées dans l'Iliade. L'Odyssée compte douze mille cent neuf hexamètres dactyliques, répartis en vingt-quatre chants, et peut être divisée en trois grandes parties : la Télémachie, les Récits d'Ulysse et la Vengeance d'Ulysse.
|Source Wikipédia

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SOMMMAIRE

STANCES PRÉLIMINAIRES

AU LECTEUR DÉBONNAIRE

L'ODYSSÉE

CHANT I CONSEIL DES DIEUX EXHORTATION DE MINERVE À TÉLÉMAQUE FESTIN DES PRÉTENDANTS

CHANT II ASSEMBLÉE DES ITHACÉENS ET DÉPART DE TÉLÉMAQUE.

CHANT III VOYAGE DE TÉLÉMAQUE À PYLOS

CHANT IV VOYAGE DE TÉLÉMAQUE À SPARTE

CHANT V LE RADEAU D’ ULYSSE

CHANT VI ARRIVÉE D’ULYSSE CHEZ LES PHÉACIENS

CHANT VII ULYSSE AU PALAIS D ALCINOÜS

CHANT VIII SÉJOUR D’ULYSSE DANS L’ÎLE PHÉACIENNE

CHANT IX RÉCITS D’ULYSSE PREMIER RÉCIT LA CYCLOPÉE

CHANT X DEUXIÈME RÉCIT : ÉOLE, LES LESTRYGONS, CIRCÉ

CHANT XI TROISIÈME RÉCIT : LA DESCENTE AUX ENFERS

CHANT XII QUATRIÈME RÉCIT : LES SIRÈNES, CHARYBDE ET SCYLLA, LES BŒUFS DU SOLEIL

CHANT XIII LE RAPATRIEMENT D’ULYSSE ET SON ARRIVÉE DANS ITHAQUE

CHANT XIV ULYSSE CHEZ EUMÉE

CHANT XV ARRIVÉE DE TÉLÉMAQUE À LA PORCHERIE

CHANT XVI ULYSSE SE FAIT RECONNAÎTRE DE TÉLÉMAQUE

CHANT XVII RETOUR DE TÉLÉMAQUE AU PALAIS ULYSSE L’Y REJOINT, DÉGUISÉ EN MENDIANT

CHANT XVIII COMBAT D’ULYSSE ET D’IRUS

CHANT XIX ENTRETIEN D’ULYSSE ET DE PÉNÉLOPE EURYCLÉE RECONNAÎT ULYSSE

CHANT XX ÉVÉNEMENTS QUI PRÉCÈDENT LA MORT DES PRÉTENDANTS

CHANT XXI L’ÉPREUVE DE L’ARC

CHANT XXII MASSACRE DES PRÉTENDANTS

CHANT XXIII RECONNAISSANCE D’ULYSSE PAR PÉNÉLOPE

CHANT XXIV MERCURE ET LES AMES DES PRÉTENDANTS ULYSSE CHEZ SON PÈRE DERNIERS COMBATS — CONCLUSION DE LÀ PAIX

Notes

HOMÈRE MÉLÉSIGÉNE

L'ODYSSÉE

Traduction par Ulysse de Séguier . Didot | 1896

Raanan Éditeur

Livre numérique 463 | édition 2

STANCES PRÉLIMINAIRES

AU LECTEUR DÉBONNAIRE

 

Lecteur, prénom oblige : or, m’appelant Ulysse, J’ai traduit I’Odyssée encore vers par vers. Mais pour m’y préparer avec peine et délice, Pendant trente-sept ans j’arpentai l’univers. Volontaire d’abord dans notre ancienne armée, Presque au sortir des bancs du classique Rodez, Je concourus joyeux au siège de Crimée, Narguant, le sabre en main, les fourches de l’Hadès. À l’aller, au retour, de la crête des vagues, Mes yeux émerveillés contemplaient Ténédos, Et le tombeau d’Achille, et les horizons vagues Où trônait l’Ilion qu’embla le roi d’Argos. Devant moi se dressait, comme au soir de l’attaque, Le cheval d’Épéus, vomissant de son bois Les héros entassés par le grand chef d’Ithaque, Pour fondre sur Héléne et Priam aux abois.

Et de ma bouche alors, qu’aspergeait l’onde amère, Partaient ces mots : « Minerve ! Apollon ! père Zeus ! Faites-moi quelque jour interpréter Homère. Si je ne tue Hector, que je sauve Odysseus ! » Mais avant de toucher à son noble homonyme, L’officier ingénu sous Mars devait blanchir, Se battre en Italie, et, d’un cœur longanime, Plus tard, un trône à bas, au Mexique languir. Non sans fruit toutefois ! Las du dieu de la Thrace, N’écoutant désormais que l’appel des neuf Sœurs, Entre un Ovide, un Dante, il commença l’Horace Que Didot maintenant offre entier aux penseurs. Enfin gagnant Paris, de là ses antipodes. Par Kœnigsberg, Dublin, Madrid, Madagascar, Après tant de labeurs, des antiques rhapsodes Le traducteur mûri se versa le nectar. Et là-bas à Sydney, puis en terre malaise. Puis aux bords de l’Allier, nomade narbonnais, Il rima ce poème, auquel il est bien aise D’adjoindre l’HOMÉROS DES AMASTRIANAIS 1 .

 

Toulouse, 8 septembre 1895.

Ulysse de S.

 

L'ODYSSÉE

CHANT I CONSEIL DES DIEUX EXHORTATION DE MINERVE À TÉLÉMAQUE FESTIN DES PRÉTENDANTS

Muse, dis-moi ce chef aux manœuvres subtiles Qui, vainqueur de Pergame, erra si longuement. De maint peuple il sonda les mœurs comme les villes ; Il souffrit mille maux sur l’humide élément Pour conserver sa vie et ramener sa troupe. Mais nul ne se sauva, quels que fussent ses vœux, Car leur témérité les fit périr en groupe, Ces fous qui du Soleil dévorèrent les bœufs ; Et le Dieu leur ravit le jour de la rentrée. Déesse, enfant de Zeus, redis ces faits connus. Déjà les Grecs soustraits à la mort exécrée, Libres des camps, des flots, étaient tous revenus.

Seul, Ulysse restait, pleurant patrie et femme, Aux mains de Calypso qui, noble déité, Dans son antre nymphal le pressait de sa flamme. Quoique, au gré du Destin, le Temps précipité Eût marqué son retour vers Ithaque, sa terre, Il ne pouvait briser les nœuds qui l’étreignaient, Ni revoir ses amis : tous les dieux le plaignaient, Sauf Neptune jaloux, dans sa vieille colère, D’accabler jusqu’au port ce prince olympien. Or, d’agneaux, de taureaux une hécatombe grasse Avait conduit Neptune au sol éthiopien. (Ce sol, le plus lointain, porte une double race ; L’une se tient à l’est, l’autre habite au ponant.) Tandis qu’il savourait un festin bénévole, Les autres dieux siégeaient chez Jupiter tonnant. Le roi de l’univers prit soudain la parole ; Il s’était rappelé qu’aux mânes paternels Oreste dévoua le radieux Égisthe. S’étant donc souvenu, Zeus dit aux Immortels : « Hélas ! à nous blâmer combien l’homme persiste ! Tout le mal vient, dit-il, de la céleste cour. Mais, en dépit du Sort, l’orgueil fait sa misère. Ainsi, malgré le Sort, Égisthe prend naguère Sa femme au fils d’Atrée et le tue au retour. Son châtiment certain, il le savait d’avance Par le bourreau d’Argus, Hermès, notre envoyé : Épargne Agamemnon ! respecte sa moitié ! Car d’Oreste viendra l’implacable vengeance, Quand il voudra, grandi, rentrer dans son palais… Hermès ainsi parla : rien ne fléchit l’inique, Et son sang d’un seul coup paya tous ses forfaits. »

La Déesse aux yeux pers, Minerve, alors réplique : « Ô mon père, ô Kronide, arbitre souverain, Certe, Égisthe a péri d’une mort méritée. Périsse ainsi quiconque agira de ce train ! Mais pour Ulysse, moi, mon âme est attristée. Ce sage malheureux gémit toujours au loin Sur des rochers perdus que ceint la mer épaisse. C’est une île boisée où règne une Déesse, Fille du sombre Atlas qui sait chaque recoin Du royaume marin, et, par sa force unique, Soutient les longs piliers séparant terre et cieux. Cette nymphe retient l’échoué pathétique, Le berçant de discours tendres et captieux Pour lui faire oublier Ithaque ; mais Ulysse, Qui n’aimerait qu’à voir fumer son toit natal, Souhaite de mourir. Et sur toi cela glisse, Roi de l’Olympe ? Ou bien te parut-il banal En t’offrant, au camp grec, sur les troyennes plages, Des mets sacrés ? Ô Zeus, qu’as-tu donc contre lui ? » En ces mots riposta l’assembleur de nuages : « Ma fille, de tes dents quelle parole a fui ? Comment puis-je oublier notre divin Ulysse, Cet esprit sans rival, ce cœur si généreux, Dont le peuple immortel reçut maint sacrifice ? Mais le dieu marinier est pour lui rigoureux, Depuis qu’il creva l’œil, tout net, au grandiose Polyphème, cyclope effaçant par son poids Tous les cyclopéens. — Or la nymphe Thoose, Rejeton de Phorcys, un des humides rois, Sous l’onde aima Neptune et conçut Polyphème. Pour ces motifs Neptune, au terrible trident,

S’il ne supprime Ulysse, égare sa trirème. Mais allons, cherchons tous quelque moyen prudent De le rapatrier. Neptune à sa querelle Renoncera : car seul, il serait sans crédit Pour combattre un vouloir de la cour éternelle. » La déesse aux yeux pers, Minerve, répondit : « Ô mon père, ô Kronide, arbitre si suprême, Puisque les dieux béats de mon sage guerrier Permettent le retour, lançons, à l’instant même, Le meurtrier d’Argus, Hermès, notre courrier, Dans l’île d’Ogygie, afin qu’il avertisse La nymphe aux beaux cheveux que, tous, formellement, Nous voulons rendre aux siens le patient Ulysse. Moi, je vole en Ithaque, où de son fils aimant J’échaufferai le zèle, aiderai le cœur morne. J’entends qu’à son appel les Grégeois chevelus Chassent ces prétendants qui mangent tant et plus Ses moutons, ses bœufs lourds à tortueuse corne. Je le pousse vers Sparte, aux sables de Pylos, Pour que de son cher père il sache les dédales, Et lui-même chez l’homme obtienne honneur et los. » Cela dit, à ses pieds elle mit des sandales, Divines, toutes d’or, faites pour la porter Sur la vague et le sol, comme un souffle rapide. Elle prit une lance à la pointe ahénide, Lance rude, pesante, et propre à culbuter Les rangs que veut punir la fille d’un tel père. Des sommets de l’Olympe alors plongeant soudain, D’Ithaque elle atteignit la demeure princière Et sous le vestibule attendit, pique en main :

De Mentès, roi de Taphe, elle avait pris la forme. Aux jetons, près du porche, en fiers habitués, Accroupis sur les peaux des bœufs par eux tués, Les Prétendants jouaient une partie énorme. Autour d’eux des valets, de diligents hérauts Mêlaient l’onde et le vin dans les larges cratères, Sur les tables passaient des éponges légères, Les mettaient à portée et dépeçaient les rôts. Or, le beau Télémaque avant tous vit Minerve, Car il était assis parmi les Prétendants, Et songeait à son père, et, tout triste au dedans, Souhaitait qu’il revînt pour traquer la caterve, Récupérer ses biens, gouverner en vainqueur. Tels étaient ses pensers, quand il vit l’Immortelle. Il courut au passage, indigné dans son cœur Qu’un hôte pût attendre, et, s’arrêtant près d’elle, Prit sa dextre, reçut la longue arme d’airain, Ensuite l’honora de cette phrase ailée : « Salut ! nous t’hébergeons, gracieux pérégrin ; Tu peindras tes besoins, ta personne attablée. » Il dit ; Pallas-Minerve aussitôt suit ses pas. Lorsqu’ils furent au sein du palais magnifique, Télémaque posa contre un grand fût la pique, Dans une riche armoire où luisait un amas D’autres lances d’airain, propriété d’Ulysse. Puis il mena Pallas vers un siège pompeux, Mit sous elle un tapis, à ses pieds un banc lisse. Il s’avança lui-même un fauteuil somptueux, Mais distant des Rivaux, de peur que leur tumulte N’effrayât l’étranger au même lieu mangeant. D’ailleurs l’enfant voulait une odyssée occulte.

Une esclave bientôt, en un bassin d’argent Pour leurs mains vida l’eau d’une aiguière dorée, Et roula devant eux une table en bois fin. L’honorable intendante, à son zèle livrée, De pain, de mets divers la surchargeait sans fin. L’écuyer-découpeur leur servit force viandes, Et de calices d’or les pourvut tous les deux ; Un héraut y versait d’agréables buvandes. Alors on vit entrer les Prétendants fameux ; Aux chaises, aux fauteuils ils marchaient solidaires. Et d’abord des hérauts ondoyèrent leurs mains ; Puis mainte domestique encorbeilla les pains, Puis maint jeune échanson empourpra les cratères. Les soupeurs bravement s’attaquèrent aux plats. Quand la faim et la soif furent bien satisfaites, Pour d’autres passe-temps se montèrent les têtes : C’était le chant, la danse, ornement d’un repas. Un page alla remettre une harpe splendide À Phémius, contraint de rechanter des airs. Tandis qu’il préludait par un rythme limpide, Télémaque, penché vers la dive aux yeux pers, L’entretint doucement, craignant quelque cynique : « Cher hôte, à mon aveu pardonneras-tu bien ? Voilà ce qui leur plaît, la danse et la musique. C’est aisé, quand d’autrui l’on écume le bien, Le bien d’un trépassé dont le squelette craque Au vent, en terre ferme, ou roule aux flots trompeurs. Certes, s’ils le voyaient tout à coup dans Ithaque, Ils préféreraient tous être habiles coureurs Que pourvus d’or sonnant, vêtus d’habits de fête. Mais, je l’ai dit, Ulysse eut un sombre trépas ;

Nous n’avons qu’à gémir, dût la voix d’un prophète Affirmer son retour : il ne reviendra pas. Mais allons, réponds-moi, parle sans stratagèmes : Qui donc es-tu ? quels sont tes parents, ton berceau ? Quelle nef t’a porté ? comment ceux du vaisseau T’ont-ils mis en Ithaque, et qui sont-ils eux-mêmes ? Car je ne pense pas qu’à pied tu sois venu. Tout cela, franchement dis-le pour ma gouverne. Est-ce un premier voyage, ou bien mon toit paterne Te reçut-il déjà ? Bien d’autres l’ont connu, Parce qu’Ulysse était d’humeur très cordiale. » La déesse aux yeux pers, Pallas, dit à son tour : « À ces questions-là je réponds sans détour. J’ai l’heur d’être Mentès, fils du brave Anchiale ; Je commande aux Taphiens, laboureurs de la mer. J’aborde ici du gouffre avec mon équipage, Et je vais chez un peuple, étranger de langage, Prendre à Tempsa du cuivre en échange de fer. Ma nef dort sur la grève, en dehors de l’enceinte, Dans le port Réithron, sous le vert Néïus. Jadis, ton père et moi, l’hospitalité sainte Nous réunit ; tu peux consulter là-dessus Le vieux héros Laërte. On dit qu’il abandonne À tout jamais la ville, et, constamment peiné, Vit seul à la campagne avec la vieille bonne Qui lui sert son repas, quand il s’est bien traîné Parmi les ceps touffus de sa glèbe féconde. J’étais venu, croyant ton père à son foyer ; Mais sans doute les dieux l’ont voulu dévoyer, Car le célèbre Ulysse est encor de ce monde. Oui ! mais en pleine mer il demeure arrêté,

Dans une île orageuse, et des gens durs, funestes, Le gardent quelque part contre sa volonté. Pourtant je te l’annonce, inspiré des Célestes, Et de mon pronostic l’effet sera prochain, Quoique je sois profane en science augurale : Bientôt il reviendra dans sa terre natale, Eût-il le corps lié par des chaînes d’airain. Il saura s’échapper, étant plein d’artifice. Mais allons, réponds-moi, parle sincèrement : Es-tu, déjà si grand, le fils de cet Ulysse ? Ton front et tes beaux yeux sont les siens mêmement. C’est que nous échangions des visites nombreuses, Avant qu’il s’embarquât pour Troie, où, fédérés, D’autres preux ont couru sur leurs galères creuses. Depuis, Ulysse et moi, nous fûmes séparés. » En ces mots répliqua le prudent Télémaque : « Étranger, mon propos n’aura rien de menteur. Je suis, selon ma mère, enfant du roi d’Ithaque ; Pour moi, qu’en sais-je ? nul ne connut son auteur. Ah ! que ne suis-je né d’un bon propriétaire, Vieillissant dans la paix de son propre manoir ! Mais je descends, dit-on, si tu veux le savoir, De l’homme qui souffrit le plus sur cette terre. » La déesse à l’œil bleu, Minerve, repartit : « Les dieux n’ont pas voulu que l’oubli t’enveloppe, Puisque tel qu’on te voit t’enfanta Pénélope. Mais allons, réponds vite et sois franc au débit : Pourquoi ces frais, ce monde ? et quel besoin te presse ? Est-ce une noce, un bal ? ce n’est pas un écot. Voilà chez toi des gens dont l’allure transgresse

Les règles du bon ton ; tout homme comme il faut S’indignerait à voir turpitudes pareilles. » Le prudent Télémaque ainsi s’exécuta : « Mon hôte, à ce sujet puisque tu t’émerveilles, Sache que riche et pur ce palais-ci resta, Tout le temps qu’y vécut son héroïque maître. Ores le ciel jaloux en décide autrement, Lui qui l’a, sans indice, au loin fait disparaître. Sa fin ne me poindrait aussi profondément, S’il fût mort devant Troie, avec sa noble suite, Ou dans des bras amis, le siège terminé. Par tous les Grecs sa tombe aurait été construite, Et toujours sur son fils sa gloire eût rayonné. Mais sans lustre à présent le tiennent les Harpyes. Son trépas inconnu m’arrache mille pleurs ; Et ce n’est pas assez de tant de larmes pies, L’Olympe à mon chagrin mêle d’autres douleurs. Car les princes régnant dans les îles voisines, Dulichium, Samé, Zacynthe aux vastes bois, Et ceux qui de l’Ithaque occupent les collines, Recherchent tous ma mère et piétinent mes droits. Pénélope sans fuir un mariage extrême, Hésite à le conclure ; eux dévorent pourtant Ma fortune, et bientôt ils me tueront moi-même. » Pallas-Minerve alors, dans son courroux latent : « Dieux ! que tu dois souffrir de l’absence d’un père Qui broierait d’une main ces Prétendants couards ! Car, soudain revenu, s’il forçait la barrière, Casque en tête, tenant un bouclier, deux dards, Tel que, la prime fois, je vis cet intrépide,

Buvant, riant chez nous, à son débarquement D’Éphyre, où l’accueillit Ilus le Merméride (Ulysse était allé, sur un prompt bâtiment, Quérir là des venins, bons pour ses javelines À la pointe de bronze ; il ne put en avoir D’Ilus, qui redoutait les colères divines ; Mais mon père, ami tendre, eut soin de l’en pourvoir) : Si, tel qu’il m’apparut, sur eux fondait Ulysse, Leur destin serait court et leur hymen piteux. Mais c’est aux Immortels à voir en leur justice S’il doit, dans son palais, de ces galants honteux Tirer vengeance ou non. Quant à toi, je t’engage À chercher le moyen de les chasser d’ici. Écoute maintenant, et retiens-moi ceci. Demain des héros grecs convoque l’assemblage ; Harangue-les, prenant tous les dieux à témoin. Somme chaque amoureux de gagner son repaire, Et si de convoler Pénélope a besoin, Qu’elle rentre au pourpris de son notable père. Il trouvera l’époux et saura présenter La belle dot qu’exige une fille chérie. Encore un sain conseil, si tu veux m’écouter : Sur une bonne nef, par vingt rames servie, Cours rechercher ton père, indécouvrable absent. Vois si quelqu’un t’en parle, ou si tu peux entendre Cette voix de Jupin qui fait l’homme puissant. À Pylos, chez Nestor, commence par te rendre ; Puis, dans Sparte, enquiers-toi près du blond Ménélas, Car des Grecs cuirassés il retourna l’ultime. Ton père est-il debout, cinglant vers ses États, Tu dois attendre un an, malgré ton deuil intime. Mais s’il est reconnu qu’enfin il a péri,

Dès lors, en vérité, ralliant tes murailles, Érige son tombeau, fais-lui des funérailles, Comme il convient, et donne à ta mère un mari. Tous ces soins achevés de manière efficace, Dans ton cœur, ton esprit, tu détermineras Les moyens de tuer les Prétendants sur place, Par ruse ou franchement ; car il ne te sied pas De jouer au bambin : tu n’es plus si timide. Ignores-tu qu’Oreste acquit un haut renom En poignardant Égisthe, immolateur perfide De son père adoré, l’inclyte Agamemnon ? Toi donc, ami, beau, grand, ainsi que je t’admire, Sois brave, pour passer à la postérité. Moi, je vais retrouver mon rapide navire, Et mes gens, que sans doute émeut ma tardité. Songe à tous mes avis, et montre-toi capable. » Le prudent Télémaque ajouta sur ce point : « Étranger, tu parlas dans un but secourable, Comme un père à son fils ; je ne l’oublierai point. Mais allons, reste encor, de ton temps quoique avare. Après un bain utile, un bienfaisant repos, Tu rejoindras ta nef, muni, le cœur dispos, En souvenir de moi, d’un don superbe et rare, Tel qu’en offre à son hôte un hôte chaleureux. » La déesse aux yeux pers, Minerve, à cette invite : « Cesse de m’attarder, je dois repartir vite. Mais daigne mettre à part ton cadeau généreux, Afin qu’en ma patrie, au retour, je l’emporte. Si précieux qu’il soit, le mien ira de pair. »

Minerve, en achevant, disparut et dans l’air Fila comme un oiseau ; mais d’une âme plus forte Elle arma Télémaque et doubla les élans De son cœur filial. Lui, secoué de reste, Eut peur, car il flairait un visiteur céleste. Aussitôt, l’air divin, il joignit les galants. En cercle, ils écoutaient l’élu de Calliope Chantant le dur retour que Minerve-Pallas, À la chute de Troie, aux Grecs fournit, hélas ! L’enfant d’Icarius, la chaste Pénélope, Du palier de sa chambre entendit ces beaux vers. Vite elle descendit les marches attenantes, Non seule assurément, mais avec deux suivantes. Lorsque l’auguste femme approcha des pervers, S’arrêtant sur le seuil de la solide salle, Elle cacha ses traits sous son voile éclatant ; À ses côtés veillait chaque serve loyale. Alors au noble aède elle dit, sanglotant : « Phémius, tu connais d’autres récits magiques, Exploits d’hommes, de dieux, familiers aux chanteurs. Donc sieds-toi, dis-en un durant que, pacifiques, Ceux-ci boiront ; mais trêve à ces chants destructeurs Qui me brisent toujours le cœur dans la poitrine. Mes chagrins personnels demeurent sans égaux ; Je pleure un front d’élite, en mon sein j’enracine L’être, honneur de l’Hellade et du pays d’Argos. » En ces mots intervint le prudent Télémaque : « Mère, pourquoi gronder l’aède harmonieux D’obéir à sa veine ? aux luths qu’on ne s’attaque. Qu’on blâme plutôt Zeus, des cœurs ingénieux

Éternel suggesteur selon sa convenance. Phémius peut des Grecs chanter le triste sort, Car la foule applaudit toujours de préférence Le chant qui le dernier excita son transport. Donc de calme et de force arme-toi pour l’entendre. Ulysse du retour n’est pas le seul frustré ; Sous Troie aussi mourut plus d’un brave illustre. Mais, chez toi remontant, active, va reprendre Ta toile et tes fuseaux, puis régir d’un coup d’œil Tes servantes ; parler sera l’œuvre des hommes, Et la mienne avant tout : je commande où nous sommes. » Pénélope, interdite, abandonna le seuil, Retenant de son fils la parole sensée. Elle revint en haut, dans le même appareil, Et pleura son époux jusqu’à l’heure avancée Où Pallas sur ses yeux versa l’heureux sommeil. Cependant les intrus troublaient l’enceinte obscure, Et tous de Pénélope ils convoitaient le lit. Adonc l’enfant royal, dont le sens ne faiblit : « Poursuiveurs de ma mère, empressés à l’injure, Banquetons maintenant, mais cessez vos abois ; Car il est bon d’ouïr cet aède canore Que l’on peut aux Divins comparer pour la voix. Demain à l’agora nous irons, dès l’aurore, Afin qu’ouvertement je vous somme trétous De vider mon palais. Préparez d’autres fêtes, Vous ruinant ensemble en vos propres retraites. Mais si vous estimez plus pratique et plus doux De fondre impunément sur les biens d’un seul homme, Prenez-les : quant à moi, j’invoquerai les cieux

Pour que, de vos forfaits rétribuant la somme, Zeus vous fasse expirer sans vengeance en ces lieux. » Il dit, et tous les chefs de se mordre la lèvre, Surpris que Télémaque eût ce langage outré. Soudain Antinoüs, par Eupithe engendré : « Télémaque, des dieux tu tiendras cette fièvre D’éloquence subite et d’aperçus hautains. Puisse Zeus t’empêcher de ceindre dans Ithaque Le bandeau paternel, malgré tes droits certains ! » Immédiatement l’avisé Télémaque : « Antine, devrais-tu te fâcher du propos, Oui, je voudrais que Zeus m’accordât la couronne. Prétends-tu que régner soit le pire des maux ? Un roi n’est pas si mal ! chez lui l’argent foisonne À l’instant, et lui-même obtient doubles égards. Mais les Grégeois dans l’île ont toute une milice De candidats princiers, jeunes gens ou vieillards. Qu’on ensceptre l’un d’eux, puisque le noble Ulysse Est mort : moi, je serai maître de ma maison Et des serfs que m’acquit sa quote-part bellique. » L’héritier de Polybe, Eurymachus, réplique : « Il appartient aux Dieux de dire en leur saison Qui des Grecs régnera sur l’île ithacéenne. Pour toi, garde tes biens, gouverne ton palais ; Ne crains pas que par force on t’en prive jamais, Tant que se peuplera cette terre achéenne. Mais je veux sur ton hôte, ami, l’interroger : D’où vient-il ? de quel sol, d’après lui, peut-il être ? Quelle est donc sa famille, et quels murs l’ont vu naître ?

Du retour de ton père est-il le messager, Ou te réclame-t-il le paiement d’une dette ? Comme il est sorti vite et sans nous avertir ! Sa physionomie était pourtant honnête. » Le prudent Télémaque ainsi de repartir : « Eurymach, c’en est fait du retour de mon père. Aussi je ne crois plus aux messages verbaux, Et m’inquiète peu des oracles fort beaux Qu’entassent les devins appelés par ma mère. Or, d’Ulysse connu, cet homme est de Taphos. C’est le prince Mentès, fils du brave Anchiale, Commandant aux Taphiens, laboureurs des grands flots. » Il se tut, bien fixé sur l’aide minervale. Les Prétendants joyeux, en attendant la nuit, Savouraient les douceurs du chant et de la danse. Tandis qu’ils s’amusaient, l’ombre se fit intense ; Lors chacun pour dormir alla vers son réduit. Télémaque à son tour, l’âme tumultueuse, Gagna pour se coucher le haut appartement Qu’il occupait, au fond du riche bâtiment. Avec lui, torche en main, marchait la vertueuse Euryclée, enfant d’Ops issu de Pisénor. Elle était dans sa fleur, lorsque jadis Laërte, Au prix de vingt taureaux, l’acheta de son or. D’honneurs comme sa femme il la voulut couverte, Mais respecta son lit, en époux réservé. Donc elle l’éclairait, et se montrait accorte Plus qu’aucune envers lui, l’ayant seule élevé. Quand de la belle chambre elle eut ouvert la porte, Il s’assit, enleva sa robe au fin duvet,

Et la remit aux mains de la soigneuse vieille. Eurycléa, l’étoffe arrangée à merveille, La suspendit au mur près du brillant chevet ; Puis, sortant, tira l’huis par l’anneau d’argyrose, Et lâcha du levier le mobile cordon. Lui, jusqu’au jour, nanti d’une molle toison, Rumina le trajet que Pallas lui propose.

CHANT II ASSEMBLÉE DES ITHACÉENS ET DÉPART DE TÉLÉMAQUE.

Quand l’Aurore effeuilla ses roses matinales, Le fils chéri d’Ulysse, incontinent levé, Se vêtit, en sautoir mit un glaive éprouvé, Noua sur ses pieds blancs de superbes sandales, Puis sortit de sa chambre, imposant comme un dieu. Il ordonna de suite aux hérauts à voix claire D’appeler tous les Grecs au conseil populaire ; Les hérauts d’obéir, ceux-ci de tarder peu. Télémaque, aussitôt la foule réunie, Marcha vers l’assemblée, une lance à la main ; Deux limiers vigilants lui tenaient compagnie. Pallas l’avait doté d’un charme surhumain. Et tous les habitants l’admiraient au passage. Sur le trône il s’assit ; chaque ancien s’effaça. Or le héros Égypte à parler commença : Il savait mainte chose, étant courbé par l’âge. En effet son cher fils Antiphe, un bon guerrier, Suivit sur ses vaisseaux l’époux de Pénélope

À l’hippique Ilion ; mais le cruel Cyclope Dans son antre l’occit, le mangea le dernier. Trois garçons lui restaient : l’un était Eurynome, Un des intrus ; aux champs les deux autres l’aidaient. Mais le sort de l’aîné torturait le pauvre homme. Adonc il dit ces mots que des pleurs saccadaient : « Ithacins, qu’on me prête une oreille propice. Nous n’eûmes de conseil ni de rassemblement, Depuis que s’embarqua notre divin Ulysse. Qui donc nous réunit ? à quel entraînement Cède un de nos gaillards ou quelque vénérable ? De l’armée apprit-il le fortuné retour ? Ce qu’il sut le premier, veut-il le mettre au jour ? Ménage-t-il un thème au public profitable ? À mon sens, c’est un probe, un généreux esprit. Que Zeus pour son projet hautement se déclare ! » Il dit, et Télémaque au présage sourit. Sans attendre, il se lève, à tonner se prépare. Debout dans l’agora, du sceptre impérieux Vient l’armer Pisénor, héraut plein de sagesse. Alors premièrement au vieillard il s’adresse : « Ancien, il n’est pas loin, tu l’as devant les yeux, Celui qui vous convoque ; un grand chagrin m’accable. Je n’ai pas de l’armée appris l’heureux retour, Et ne sais rien de neuf que j’aie à mettre au jour ; Je n’apporte aucun thème au public profitable. L’affaire me concerne ; un double écrasement Pèse sur moi : d’abord, j’ai perdu ce bon père Qui jadis vous menait si paternellement ; Puis, le pire de tout, ce qui dans la misère Va plonger ma maison, engloutir mon avoir,

C’est que des Prétendants, tous de race enfiérie, Ont assailli ma mère, hostile à leur vouloir. Ils n’osent point aller chez son père Icarie, Pour qu’il dote sa fille et la donne au galant Qui saura, gendre élu, capter ses bonnes grâces. Mais, dans notre logis tous les jours circulant, Ils égorgent taureaux, brebis, et chèvres grasses, Festinent, et gaiement boivent le vin de feu. Tout est presque détruit. C’est qu’il n’est pas d’Ulysse Pour chasser de mon toit ces monstres de malice. Nos bras n’y pourraient rien ; sans doute, après l’aveu, Nous passerons pour nuls et d’effort incapables. Moi, si je le pouvais, je les chasserais tous, Car des actes pareils ne sont plus tolérables. Mon toit périt sans gloire : or donc, indignez-vous ; Craignez de nos voisins les blâmes unanimes ; Redoutez des grands dieux la juste némésis ; Qu’ils n’aillent, courroucés, vous punir de ces crimes. Par Jove olympien, par la sage Thémis Qui convoque et dissout les assises humaines, Mes amis, finissez ! à mes regrets constants Laissez-moi. Si jamais mon doux père, en son temps, Aux Grégeois bien guêtrés a pu causer des peines, Vengez-vous sur son fils, rendez-lui maux pour maux, En excitant ceux-ci. J’aurais plus d’avantage À vous voir consommer mes biens et mes troupeaux : Vous me rembourseriez peut-être le dommage, Car je vous poursuivrais par toute la cité, Réclamant mon avoir jusqu’à rentrée entière ; Mais pour toujours m’abat votre complicité. » Il se tut, hors de lui, jeta son sceptre à terre Et pleura chaudement. Le peuple s’affecta ;

Tous les autres alors de garder le silence. Nul n’osa lui répondre avec impertinence ; Le seul Antinoüs, comme il suit, riposta : « Télémaque verbeux, sans frein, dans ta faconde Pourquoi t’en prendre à nous ? Tu veux nous dépriser. Ce n’est pas les galants qu’il te faut accuser, Mais ta mère chérie en ruses si féconde. Voici trois ans déjà, quatre prochainement, Qu’elle frustre des Grecs l’amoureuse jeunesse. Elle flatte chacun, nous fait mainte promesse, Au moyen de courriers ; mais toujours son cœur ment. De ce malin esprit voyons le dernier leurre. La belle a commencé, dans sa chambre aux tissus, Un voile fin, immense, et nous a dit sur l’heure : Mes jeunes Prétendants, puisque Ulysse n’est plus, Avant tout autre hymen souffrez que je termine (Puisse mon fil servir jusqu’au moindre écheveau ! ) Ce drap que ma tendresse à Laërte destine, Quand la faulx du trépas l’aura mis au tombeau. Contre moi tonnerait toute grecque matrone, Si l’opulent héros gisait sans un linceul. Son discours convainquit notre âme par trop bonne. Or, ce qu’elle ourdissait, le jour, pour ton aïeul, Sa main le défaisait, la lampe rallumée. Ce jeu dura trois ans et nous assujettit. Mais quand l’heure amena la quatrième année, Une ancelle aux aguets du fait nous avertit. Nous la surprîmes donc décousant l’ample toile ; C’est alors qu’à regret l’achevèrent ses doigts. Aussi, nos volontés, du coup je les dévoile Pour ta propre gouverne et celle des Grégeois. Renvoie enfin ta mère, ordonne-lui de prendre

L’époux qui lui plaira, par son père amené. Que si longtemps encore elle veut nous offendre, Se fiant dans son âme aux beaux dons d’Athéné, À son aiguille instruite, à ses façons traîtresses (Rien de tel ne s’est dit des femmes d’autrefois, De ces Grecques d’élite, aux magnifiques tresses, Comme Alcmène, Tyro, Mycène, enfant de rois ; Nulle en habileté n’égalait Pénélope), Sache qu’elle exécute un funeste dessein. Car sur tes biens, ton or, s’abattra notre essaim, Tant qu’elle nourrira ce penchant misanthrope Que lui soufflent les dieux. Si son nom brille ainsi, Toi, tu regretteras ta fortune soustraite. Nous n’irons dans nos champs, dans aucune retraite, Avant qu’un époux grec soit par elle choisi. En ces mots répliqua le prudent Télémaque : « Antine, je ne puis de moi-même expulser Celle qui me conçut, m’éleva : loin d’Ithaque Ulysse est mort, ou vit ; comment indemniser Icare, si j’allais congédier sa fille ? Outre mon père, un dieu bientôt me punirait. En quittant la maison, ma mère attesterait L’implacable Érinnye ; enfin chaque famille M’aurait en haine : aussi ne dirai-je ces mots. Si vos prétentions ne sont pas satisfaites, Sortez de mon palais. Préparez d’autres fêtes, Vous ruinant ensemble en vos propres enclos. Mais si vous estimez plus doux et plus pratique De consumer d’un seul tout le matériel, Faites-le : quant à moi, j’invoquerai le ciel, Afin que, châtiant votre œuvre despotique,

Zeus vous fasse expirer sans vengeance en ces lieux. Il dit, et Jupiter, qui voit tout, pour augure Fit s’envoler d’un mont deux aigles merveilleux. De leurs rames d’abord la puissante envergure Les soutint côte à côte, aux souffles du matin. Mais, rendus au milieu du bruyant pêle-mêle, Vingt fois, en tournoyant, ils battirent de l’aile, Et, l’œil sur les rivaux, annoncèrent leur fin. Puis, se griffant de l’ongle et le col et la face, Ils s’enfuirent à droite, à travers toits et murs L’aspect de ces oiseaux stupéfia la masse, Et chacun pressentit des accidents futurs. À l’instant se leva le vieillard Halitherses, Fils de Mastor : ce preux d’auspice et de devin Mieux qu’aucun possédait les sciences diverses. Désireux d’être utile, au peuple il dit soudain : « Ithaces, qu’on me prête une oreille propice. Aux Prétendants surtout s’adresse mon discours, Car un grave malheur les attend : non, Ulysse N’éternisera point son voyage au long cours. Peut-être est-il tout proche, élaborant leur perte. Dans le même filet on verra trébuchant Plus d’un fils de cette île exposée au couchant. Donc pour les réprimer qu’ici l’on se concerte. Qu’eux-mêmes restent cois, ils s’en trouveront mieux. Point ne prédis à faux, mais avec sapience ; Et tout s’accomplira, j’en ai la conscience, Comme je l’annonçais, quand, suivi de ses preux, Partit pour Ilion notre ingénieux maître. Je dis qu’exténué, tous ses compagnons morts, Après vingt ans d’absence, inconnu sur ces bords,

Il reviendrait : eh bien, aujourd’hui tout doit être. » L’héritier de Polybe, Eurymaque, aussitôt : « Vieillard, va-t’en prédire, au fond de ta cassine, L’avenir à tes fils, de peur d’un mauvais lot. Sur ce point mieux que toi, bien mieux, je vaticine. Une foule d’oiseaux vole aux rais du soleil, Sans rien nous présager ; au loin, d’ailleurs, Ulysse Trépassa : plût aux dieux que ton sort fût pareil ! Tu ne déploierais pas cette morgue d’auspice, Et n’exciterais point Télémaque irrité, Dans l’espoir qu’il fera quelque don à ta race Mais je te le prédis, en toute sûreté, Si par ton vieux savoir, ta parole fallace, Tu pousses ce jeune homme à d’outrageux débats, Sa chance n’en sera d’abord que plus vilaine, Puis de ta prophétie il ne jouira pas. Toi, l’ancien, nous saurons l’infliger une peine Amère à recevoir, terrible à supporter. Voici comment il faut que Télémaque opère : Qu’il expédie enfin Pénélope à son père. Il trouvera l’époux, et saura présenter La belle dot qu’exige une fille qu’on prône. Car les galants, je pense, à leur rude pourchas Ne vont pas renoncer : nous ne craignons personne, Pas même Télémaque, avec son beau fracas. Peu nous importe aussi ton prophétique esclandre, Barbon : il te vaudra d’être plus abhorré. Méchamment nous prendrons tous leurs biens sans les rendre, Tant que la reine aura son hymen différé. À nous contraindre, nous, qui vivons dans l’attente, Sa vertu nous oblige, et l’on s’est interdit

L’amour d’autres beautés dont la main est tentante. » Le prudent Télémaque alors lui répondit : « Eurymaque, et vous tous, illustres philogames, Vous ne me verrez plus priant ni sermonnant ; Les dieux, les Achéens, savent tout maintenant. Mais, tôt, pourvoyez-moi d’un navire à vingt rames, Afin qu’à maint rivage il aille me poussant. Je veux courir à Sparte, à Pylos je veux tendre Pour rechercher mon père, indécouvrable absent, Pour voir si l’on m’en parle, et si je puis entendre Cette voix de Jupin qui fait l’homme immortel. Mon père est-il en vie, et déjà même en route, Je dois attendre un an, quelque effort qu’il m’en coûte. Mais si finalement son trépas est réel, Alors, en vérité, rejoignant mes murailles, J’élèverai sa tombe, et, tout rite observé, J’inviterai ma mère à d’autres épousailles. » À ces mots il s’assied, et Mentor s’est levé. Jadis, en s’embarquant, l’irréprochable Ulysse Chargea ce vieil ami du soin de sa maison, Et plaça tous ses biens sous sa haute police. Désireux d’être utile, il parla sur ce ton : « Ithacins, qu’on me prête une oreille attentive. Que nul roi couronné ne soit dorénavant Doux, affable, correct, d’équité positive, Mais se montre toujours cruel et décevant, Puisque aucun d’entre vous n’a gardé la mémoire De ce divin Ulysse au joug si paternel. Après tout, peu me chaut que leur fourbe notoire Inspire aux poursuiveurs maint acte criminel

Car ils vont ruinant, au péril de leurs têtes, Le palais d’un monarque, enterré selon eux. Mais j’en veux au public de vos langues muettes ; Vous ne réprimez point par des discours nerveux Ce petit corps d’intrus, quand pour vous est le nombre. » Léocrite, le fils d’Événor, à cela : « Irascible Mentor, vieux fou, qu’as-tu dit là Pour nous faire assaillir ? Nous pourrions sans encombre Défier tous les chocs, quand nous jouons des dents. Si tout à coup, chez lui, le même roi d’Ithaque Nous trouvant attablés, par une brusque attaque Songeait à démolir les nobles Prétendants, Du retour désiré ne jouirait sa femme, Car, en se mesurant contre tant de rivaux, Tristement il mourrait ; donc folle est ta réclame. Mais allons ! que chacun retourne à ses travaux. Halitherse et Mentor, vieux compagnons d’Ulysse, De son fils presseront le maritime exploit. Mais, au lieu de partir, je crois que ce novice, Recevant des courriers, restera sous son toit. » Cela dit, vivement il rompit l’assemblée. Dans sa demeure alors rentra tout Achéen ; Chaque galant courut au seuil odysséen. Télémaque alla seul sur la rive salée, Trempa ses mains dans l’onde, et conjura Pallas : « Entends-moi, déité, qui fus hier mon hôtesse. Tu me dis d’affronter cette mer piperesse, Pour découvrir mon père, indécouvrable, hélas ! Or, les Grecs à ce but s’opposent de conserve, Les Prétendants surtout, hautement discourtois. »

Telle fut sa prière, et sur-le-champ Minerve Le joignit, de Mentor prenant l’air et la voix. Puis elle proféra ces paroles ailées : « Enfant, tu ne seras lâche ou fol à nouveau. D’Ulysse si tu tiens ce courageux cerveau Qui réglait son discours, ses œuvres signalées, Ni stérile ni vain ne sera ton trajet. Si Pénélope et lui n’ont rougi tes artères, Je n’attends rien de bon de l’actuel projet. En effet peu d’enfants ressemblent à leurs pères ; Pires sont la plupart, peu deviennent meilleurs. Mais comme tu vivras sans erreurs, sans faiblesse, Que tu n’as point d’Ulysse oublié la sagesse, Je vois tes beaux desseins sous d’heureuses couleurs. Donc méprise aujourd’hui l’astuce et les menées Des intrus ; ils ne sont ni justes ni prudents. Ils n’ont pas vu la mort, les noires Destinées Qui les pressent et vont les perdre en même temps. Bientôt s’effectuera le départ que tu rêves, Car moi, l’ancien ami de ton père adoré, J’équiperai ta nef, je t’accompagnerai. Ores pour ton logis abandonne ces grèves. Fais tes provisions, dans des vases tiens-les ; Mets le vin dans des pots, en des cuirs la farine, Moelle du genre humain ; moi, parmi la Marine J’élirai des nochers qui viendront sans délais. Cent vaisseaux, vieux ou neufs, bordent l’île d’Ithaque : Je prendrai la carène aux meilleurs avirons, Et, sitôt en état, au loin nous voguerons. » La Jovienne Pallas se tut, et Télémaque Ne traîna davantage, après ces mots divins.

Au palais il rentra, pris de douleur amère. Il trouva dans la cour les galants, toujours vains, Dépouillant des chevreaux, flambant des porcs à terre. Antinoüs, riant, courut l’interpeller, S’empara de sa main, et lui dit à voix haute : « Télémaque verbeux, sans frein, de mal parler, Comme de mal agir, ne commets plus la faute. Viens plutôt, comme avant, manger et boire à flots. Les Grecs te fourniront toute chose complète, La nef, de bons rameurs, pour t’en aller en quête De ton illustre père, à la sainte Pylos. » En ces mots répondit le prudent Télémaque : « Antine, je ne puis banqueter désormais Avec des insolents, ni m’amuser en paix. N’est-ce donc pas assez que, mon toit plusiaque, Vous l’ayez appauvri, quand j’étais un enfant ? Présentement adulte, à des bouches notables Puisant l’instruction, et mon cœur s’échauffant, J’appellerai sur vous les Kères redoutables, Qu’à Pylos je m’en aille ou que je reste ici. Mais, comme passager, je pars, je le proclame, Car je n’ai pas de nef, pas une seule rame ; Et sans doute cela vous parut mieux ainsi. » Sur ce, d’Antinoüs sa main quitta l’étreinte Brusquement. Les gloutons préparaient leur banquet ; De rires, de brocards ils remplissaient l’enceinte. Voici comment l’un d’eux à railler s’appliquait : « Télémaque à coup sûr médite notre perte. Aux sables de Pylos, à Sparte, le facond

S’en va quérir main-forte ; il le désire certe. Ou bien il veut gagner le sol toujours fécond D’Éphyre, pour avoir des poisons énergiques, En charger nos boissons, nous plonger au tombeau. » Un autre de ces fous disait ces mots cyniques : « Qui sait si, ballotté sur un mince bateau, Errant, il ne mourra lui-même comme Ulysse ! Lors il nous donnerait un surcroît de labeurs ; Car on vendrait ses biens, laissant cet édifice À sa mère, à l’élu, maître de ses faveurs. » Ils jasaient… lui descend au cellier de son père, Pièce vaste, voûtée, où sont l’or et l’airain, Des coffres pleins d’habits, et l’huile odorifère. En ordre se rangeaient le long du souterrain Des jarres contenant un vin vieux, délectable, Un pur et vrai nectar pour Ulysse gardé, S’il revenait jamais d’un exil lamentable. Un huis à deux battants fermait, consolidé, Ce poste où nuit et jour restait comme intendante, Et veillait prudemment sur l’immense trésor, Euryclée, enfant d’Ops issu de Pisénor. Télémaque, appelant la vieille gouvernante : « Nourrice, en mainte amphore, allons, puise un bon vin, Le plus doux après ceux qu’ici-même tu serres Pour ton malheureux roi : si pourtant ce divin Retourne, s’échappant de la mort et des Kères. Remplis-en douze pots, que bouchent liège et poix. Verse de la farine en des outres bien closes ; Je veux, en blé moulu, vingt mesures de choix. Toi seule auras mon plan. Groupe toutes ces choses ;

Je les prendrai ce soir, lorsque pour se coucher Dans son appartement remontera ma mère. Car à Sparte, à Pylos, je m’en vais rechercher, Très attentivement, les traces de mon père. » L’excellente Euryclée alors se lamenta, Et dit, en gémissant, ces phrases empennées : « Mon fils, à ce sujet quel démon te tenta ? Pourquoi donc ferais-tu de si longues tournées, Garçon unique et cher ? Ah ! vraiment, loin des siens, Le noble Ulysse est mort parmi d’autres peuplades. Toi parti, je prévois ici des embuscades Pour te tuer par ruse et diviser tes biens. Donc reste auprès de nous : sur la mer infertile Ne va point te risquer et souffrir mille maux. » Le prudent Télémaque, insistant à ces mots : « Paix ! nourrice ; en ceci c’est un dieu qui me style. Mais jure-moi qu’avant onze ou douze soleils, Tu n’instruiras de rien ma mère si parfaite, À moins que, sachant tout, elle ne me regrette ; Car les pleurs gâteraient ses charmes nonpareils. » Il dit ; par les grands dieux jura la bonne vieille. Après avoir juré, terminé son serment, Elle puisa le vin à l’amphore vermeille, Et mit dans de bons cuirs la poudre de froment. Télémaque remonte, et joint la bande hostile. Or, voici ce que fait la Déesse aux yeux pers : Sous les traits du jeune homme, elle parcourt la ville, Et, partout accostant des promeneurs divers,

Les cite pour le soir sur son bateau célère. Elle en obtenait un, d’ailleurs, de Noémon, Fils illustre de Phrone, heureux de lui complaire. Le soleil se coucha, l’ombre emplit l’horizon. Minerve tire alors le navire vers l’onde, Le pourvoit du grément pour la mer opportun, Et l’ancre au bout du port ; tout son robuste monde L’entourait, et son verbe aiguillonnait chacun. La Déesse aux yeux pers imagine autre chose : Du généreux Ulysse elle atteint le palais, S’approche des buveurs, de pavots les arrose. Abusés, de leurs doigts tombent les gobelets. Tous alors se levant, la paupière alourdie, Se hâtent vers leurs toits et cèdent au sommeil. Reprenant de Mentor les traits, la voix hardie, Minerve au jouvenceau donne aussitôt l’éveil, Et l’invite à quitter sa belle résidence : « Télémaque, déjà tes rameurs bien guêtrés Sont assis sur leurs bancs, réclamant ta présence. Allons, ne restons pas plus longtemps arriérés. » Pallas-Minerve dit, et soudain le précède ; Lui, de la déité suit les pas résolus. Arrivés à la nef, au bord de la mer tiède, Ils trouvèrent rangés leurs compains chevelus. Télémaque avec feu les harangue de suite : « Amis, vite apportons nos vivres ; tout est prêt Dans mon logis, du cas ma mère n’est instruite, Ni ses femmes non plus : rien qu’une a mon secret. Il dit, va le premier, tous suivent pleins de verve.

Les vivres transportés, dans la solide nef On les plaça, selon l’avis du jeune chef. Télémaque gagna le pont après Minerve, Qui prit place à la poupe, et sur le même rang II s’assit ; les marins délièrent le câble, Et, montant tour à tour, chacun fut à son banc. Pallas les appuya d’un vent très favorable, L’âcre Zéphyr, clairon du gouffre ténébreux. Excitant ses nochers, le fils chéri d’Ulysse Les dépêche aux agrès : eux, prompts à leur service, Dressent en un moment, au fond du coursier creux, Le grand mât de sapin, qu’étreignent des cordages ; Puis, ils tendent la voile avec du cuir tressé. Zéphyr la gonfle au centre, et, le bateau lancé, L’onde pourpre mugit autour des bastingages. La nef, coupant le flot, poursuivait son chemin. Tous les agrès fixés sur ce coureur modèle, L’équipage, emplissant des cratères de vin, Fit des libations aux dieux, troupe éternelle, Mais surtout à Pallas, la fille de Jupin. Elle, restant à bord, veilla jusqu’au matin.

CHANT III VOYAGE DE TÉLÉMAQUE À PYLOS

 

Le soleil, délaissant sa lagune sereine, Surgit au ciel d’airain pour éclairer les Dieux Et les mortels vivant sur les terrestres lieux. Ils touchèrent alors Pylos la Néléenne, Les Pyliens offraient, le long des vastes eaux, Cent bœufs noirs au bleuâtre Ébranleur de rivages. Neuf bancs sont là ; chacun tient cinq cents personnages, Et chaque groupe au Dieu présente neuf taureaux. Leurs viscères goûtés, pour lui fumaient les cuisses, Quand la troupe aborda, du lin porteur d’agrès Cargua la voile, et puis gagna les quais propices. Minerve descendit, et Télémaque après. La déesse aux yeux pers lui parlant la première : « Enfant, tu ne dois plus te montrer incertain. Tu n’as passé les flots que pour savoir la terre Qui nous dérobe Ulysse et quel est son destin. Eh bien, cours à Nestor, le dompteur de cavales ; Voyons quelle pensée il cache dans son cœur.

Sollicite de lui des vérités loyales ; Il ne mentira point, car il est plein d’honneur. » Le prudent Télémaque aussitôt lui réplique : « Mentor, comment le joindre, à lui comment m’ouvrir ? Je ne suis pas encore habile à discourir, Et crains d’interroger, moi jeune, un homme antique. » Dans ces termes repart la déesse aux yeux pers : « Enfant, tu parleras à la fois d’abondance Et sous un choc divin ; car sans les dieux, je pense, Tes yeux et ton esprit ne se sont pas ouverts. » Pallas-Minerve dit, et marche décidée ; Lui, de l’Olympienne à l’instant suit les pas. Ils joignirent alors la foule présidée Par Nestor et ses fils : occupés du repas, Les assistants flambaient, piquaient des chairs solides. Voyant des hôtes, tous furent les recevoir, Leur serrèrent la main, leur dirent de s’asseoir. Le premier, Pisistrate, un des beaux Nestorides, Ayant saisi leur dextre, au banquet les plaça Sur de moelleuses peaux longeant la rive amère, Entre son frère aîné Thrasymède — et son père. Il leur servit deux parts d’entrailles, leur versa Dans une coupe d’or, puis, la droite levée, Dit à Minerve, enfant de Zeus Égiochus : « Étranger, rends hommage au puissant Neptunus, Puisque pour son festin tombe votre arrivée. Ta libation faite, offerts tes justes vœux, Passe à ton compagnon, pour l’épancher de même,