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Extrait : "Il y a, dans la situation actuelle du savoir humain, une circonstance bien remarquable, bien inattendue, et surtout bien caractéristique de l'état de certaines grandes et importantes questions spéculatives, c'est le peu de progrès qu'a fait la discussion sur le critérium du bien et du mal."
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Seitenzahl: 125
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335034028
©Ligaran 2015
Il y a, dans la situation actuelle du savoir humain, une circonstance bien remarquable, bien inattendue, et surtout bien caractéristique de l’état de certaines grandes et importantes questions spéculatives, c’est le peu de progrès qu’a fait la discussion sur le critérium du bien et du mal. Depuis l’aurore de la philosophie, la question du summum bonum, ou ce qui est la même chose, du fondement de la morale, est considérée comme un problème capital ; elle occupe les intelligences, les divise en écoles, en sectes guerroyant vigoureusement les unes contre les autres. Après plus de deux mille ans les mêmes discussions continuent, les philosophes sont rangés sous les mêmes bannières, et les penseurs et le genre humain tout entier ne semblent pas plus près de s’accorder que lorsque le jeune Socrate (si le dialogue de Platon est fondé sur une conversation réelle) écoutait le vieux Protagoras et affirmait la théorie de l’utilitarisme contre la morale populaire du sophiste.
Il est vrai que les premiers principes de toutes les sciences, même de la plus certaine, les mathématiques, donnent naissance à des confusions, des incertitudes et des discordances semblables, sans que pour cela, en général, la confiance en les conclusions de ces sciences soit altérée. L’anomalie n’est qu’apparente : en réalité les doctrines de détail d’une science ne sont pas déduites et ne dépendent pas de l’évidence de ce que nous appelons ses premiers principes. S’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de science plus précaire, aux conclusions plus douteuses que l’algèbre ; car ses conclusions ne peuvent dériver de ce qu’on enseigne aux commençants comme ses éléments, puisque ces éléments, ayant été donnés par quelques grands professeurs, sont remplis de fictions aussi bien que les lois anglaises ou de mystères comme la théologie. Les vérités qui sont acceptées comme les premiers principes d’une science, sont en réalité les derniers résultats de l’analyse métaphysique faite sur les notions élémentaires de cette science. La parenté de ces premiers principes avec la science n’est pas celle des fondations avec un édifice, mais celle des racines avec un arbre ; ces racines remplissent parfaitement bien leur office, quoiqu’elles ne doivent jamais être déterrées ni exposées à la lumière. Mais, quoique dans la science les vérités particulières précèdent la théorie générale, on doit attendre le contraire d’une science pratique telle que la morale ou le droit. Toute action est faite en vue d’une fin, et les règles de l’action doivent, semble-t-il, recevoir leur caractère, leur couleur, de la fin qu’elles servent. Quand nous commençons une poursuite, une conception claire et précise de ce que nous poursuivons doit être la première chose à chercher au lieu de la dernière. Un examen du bien et du mal devrait donc être le moyen de fixer ce qui est bien ou mal et non la conséquence de l’avoir déjà fixé.
La difficulté n’est pas annulée lorsqu’on a recours à la théorie populaire d’après laquelle une faculté naturelle, un sens ou un instinct, nous fait connaître le bien et le mal. D’abord l’existence de cet instinct moral est discutée, puis ceux qui y croyaient et qui avaient quelques prétentions à la philosophie ont été obligés d’abandonner l’idée que cet instinct était capable de discerner le bien ou le mal dans les faits particuliers, comme nos autres sens discernent la lumière ou le son. Notre faculté morale, d’après ces interprètes qui s’intitulent penseurs, nous fournit seulement les principes généraux des jugements moraux ; c’est une branche de notre raison et non de notre faculté sensitive ; on doit la consulter pour édifier la doctrine abstraite de la morale et non pour nous guider dans sa perception dans le concret. L’école de morale intuitive aussi bien que celle qu’on peut appeler inductive, insiste sur la nécessité des lois générales. Toutes les deux s’accordent pour admettre que la moralité individuelle n’est pas une question de perception directe, mais l’application d’une loi à un cas individuel. Elles reconnaissent aussi, à la grande rigueur, les mêmes lois morales ; mais elles diffèrent quant à leur évidence et à la source d’où dérive leur autorité. Pour la première école, les principes de morale sont évidents a priori, ils commandent par eux-mêmes l’assentiment ; la signification des termes seule a besoin d’être bien comprise. Suivant la seconde, le bien et le mal, comme le vrai et le faux, sont affaires d’observation et d’expérience. Mais toutes les deux admettent que la morale se déduit de principes, et l’école intuitive affirme aussi fortement que l’école inductive qu’il y a une science de la morale. Malgré cela, elles essaient rarement de faire une liste de ces principes a priori qui doivent servir de prémisses de la science ; encore plus rarement font-elles un effort pour réduire ces divers principes à un premier principe ou motif commun d’obligation. L’une et l’autre donnent les préceptes ordinaires de morale comme ayant une autorité a priori, ou bien elles énoncent comme fondement commun à ces maximes quelques généralités d’une autorité moins claire que celle des maximes elles-mêmes, et qui n’ont jamais gagné l’adhésion populaire. Cependant, pour que toutes ces prétentions soient soutenables, il faut bien qu’il y ait quelque lot ou principe fondamental à la racine de toute morale, ou s’il y en a plusieurs, il doit y avoir un ordre déterminé de préséance entre eux : le principe ou la règle unique, permettant de décider entre ces principes variés lorsqu’il y a conflit entre eux, doit être évident par lui-même.
Chercher comment, dans la pratique, les mauvais résultats de ces confusions, de ces discordances, ont été atténués, où comment les croyances morales de l’humanité ont été viciées, rendues incertaines par absence de principe suprême, conduirait à un examen et à une critique complète des doctrines morales passées et actuelles. Il serait pourtant facile de montrer que si ces croyances morales ont atteint un certain degré de consistance ou de stabilité c’était grâce à l’influence tacite d’un principe non reconnu ouvertement. L’absence d’un premier principe admis a fait de la morale non pas tant le guide que la consécration des sentiments actuels de l’humanité. Cependant, comme ces sentiments, composés de sympathie et d’antipathie, sont principalement influencés par l’effet des choses sur le bonheur, le principe d’utilité, ou, comme l’appelait Bentham, le principe du plus grand bonheur, a eu une large part dans la formation des doctrines mondes, même de celles qui rejettent avec plus de mépris l’autorité de ce principe. Aucune école ne refuse d’admettre l’influence des actions sur le bonheur comme une considération essentielle et prédominante dans beaucoup de détails de morale ; cependant beaucoup refusent de faire de cette influence le principe fondamental de la morale et la source de l’obligation morale, le puis aller plus loin : les arguments utilitaires sont indispensables à tous ces moralistes a priori, le ne me propose pas de faire maintenant la critique de ces penseurs ; mais je ne puis m’empêcher de faire allusion, pour éclaircir la question, il un traité systématique composé par un des plus grands d’entre eux : Les Principes métaphysiques de morale, par Kant. Cet homme remarquable, dont le système restera longtemps comme une limite dans l’histoire die la philosophie, a avancé un premier principe universel, fondement de l’obligation morale : « Agis de telle façon que la règle d’après laquelle tu agis soit admise et adoptée comme loi par tous les êtres rationnels ». Mais vient-il à déduire de ce précepte chacun des devoirs moraux actuels, il échoue d’une façon presque grotesque, lorsqu’il veut montrer qu’il n’y a aucune impossibilité logique (pour ne pas dire physique) à l’adoption de la plus immorale des règles de conduite par des êtres rationnels. Tout ce qu’il montre, c’est que les conséquences de cette adoption universelle, seraient telles que personne n’en voudrait essayer.
Pour le moment, sans discuter plus longtemps les théories des autres, j’essaierai de faire apprécier et comprendre mieux la théorie du Bonheur ou théorie utilitaire, et les preuves dont est susceptible cette théorie. Il est clair qu’elle ne peut être prouvée, dans la signification ordinaire, populaire de ce mot. Les questions des fins suprêmes ne sont pas susceptibles de preuves directes. On peut prouver que n’importe quelle chose est bonne si on montre que cette chose est la cause d’une autre chose admise comme bonne, sans preuve. L’art médical est bon, parce qu’il conduit à la santé ; mais comment prouver que la Santé est une bonne chose ? L’art musical est bon par cette raison, entre beaucoup d’autres, qu’il produit du plaisir. Mais quelle preuve donner que le plaisir soit une bonne chose ? Alors s’il est affirmé qu’il y a une formule générale renfermant toutes les choses bonnes en elles-mêmes, et que toutes les autres choses bonnes le sont comme effets et non comme causes, la formule peut être acceptée ou rejetée, mais ne peut pas être ce qu’on appelle communément prouvée.
Nous ne voulons pas dire pour cela qu’une impulsion aveugle, un choix arbitraire, soient suffisants pour faire accepter ou rejeter cette formule. Le mot preuve a un sens plus large, applicable à cette question philosophique comme à d’autres tout aussi disputées. Cette question est de la compétence de notre faculté rationnelle, qui ne se contente jamais du procédé intuitif. On doit présenter à l’intelligence des considérations capables de la déterminer à donner ou à refuser son assentiment à une doctrine ; cela équivaut à présenter des preuves.
Nous examinerons maintenant de quelle nature doivent être ces considérations, de quelle manière elles sont applicables au cas donné, et quels motifs rationnels on peut avancer pour accepter ou rejeter la formule utilitaire. Comme condition préliminaire et nécessaire de cet examen, la formule doit être correctement exprimée et comprise. Je crois qu’on la rejette en grande partie parce qu’on n’a qu’une notion imparfaite de sa signification. Si cette notion était plus claire, et dégagée des interprétations erronées, la question serait bien simplifiée et une partie des difficultés seraient levées. Avant d’arriver aux principes philosophiques qui permettent de se ranger sous l’étendard utilitaire, je donnerai quelques éclaircissements sur la doctrine elle-même. J’essaierai de montrer clairement ce qu’elle est, je la distinguerai de ce qu’elle n’est pas, je répandrai aux objections qu’elle fait naître et qui proviennent en général d’interprétations erronées. Après avoir ainsi préparé le terrain, je m’efforcerai de jeter autant de lumière que possible sur cette question considérée comme théorie philosophique.
On ne doit que signaler en passant la bévue commise par les ignorants qui supposent que l’utilité est la pierre de touche du bien et du mal : leur bévue vient de ce qu’ils prennent le mot utilité dans son sens restreint et familier, comme l’opposé du plaisir. On doit s’excuser auprès des philosophes adversaires de l’utilitarisme de les confondre un instar, même en apparence, avec des gens capables d’une erreur aussi absurde. On lance une autre accusation contre l’utilitarisme, c’est de tout ramener au plaisir, et au plaisir sous sa forme la plus grossière. Les mêmes personnes, remarque un écrivain de mérite, accusent la théorie « d’une impraticable sécheresse, lorsque le mot utilité précède le mot plaisir, et d’une licence trop praticable lorsque le mot plaisir précède le mot utilité ». Ceux qui connaissent la question savent bien que depuis Épicure jusqu’à Bentham, les écrivains utilitaires ont entendu par le mot utilité non pas une chose distincte du plaisir par des qualités contraires, mais le plaisir lui-même avec l’exemption de la souffrance ; et au lieu d’opposer l’utile à l’agréable, à l’orné, ils l’ont toujours identifié avec ces choses. D’un autre côté, le troupeau vulgaire, composé des journalistes et de ceux qui écrivent dans de gros livres prétentieux, tombe dans une autre erreur : il attrape le mot utilitarisme, et quoique il n’en connaisse vraiment que le son, il lui fait exprimer le rejet, l’oubli du plaisir, dans quelques-unes de ses formes : la beauté, l’art, la jouissance. Et ce terme n’est pas seulement appliqué avec cette ignorance dans une mauvaise part, mais encore dans un sens élogieux, comme s’il représentait un état supérieur à la frivolité des plaisirs du moment. Ce sens perverti du mot utilitarisme est malheureusement le seul populaire, le seul que connaissent les nouvelles générations. Ceux qui ont introduit ce mot, puis ont cessé de remployer comme appellation distinctive, ont donc bien le droit de s’en emparer de nouveau pour essayer de le sauver d’une dégradation complète.
La croyance qui accepte, comme fondement de la morale, l’utilité ou principe du plus grand bonheur, tient pour certain que les actions sont bonnes en proportion du bonheur qu’elles donnent, et mauvaises si elles tendent à produire le contraire du bonheur. Par bonheur ou entend plaisir ou absence de souffrance ; par malheur, souffrance et absence de bonheur. Pour donner une idée complète de la question, il faudrait s’étendre beaucoup, dire surtout ce que, renferment les idées de plaisir et de peine ; mais ces explications supplémentaires n’affectent pas la théorie de la vie sur laquelle est fondée la théorie morale suivante : le plaisir, l’absence de la souffrance, sont les seules fins désirables ; ces fins désirables (aussi nombreuses dans l’utilitarisme que dans d’autres systèmes) le sont pour le plaisir inhérent en elles, ou comme moyens de procurer le plaisir, de prévenir la souffrance.
Cette théorie de la vie excite dans beaucoup d’esprits une répugnance Invétérée parce qu’elle contredit un sentiment des plus respectables. Supposer que la vie n’a pas de fin plus haute, pas d’objet meilleur et plus noble à poursuivre que le plaisir, c’est là, d’après eux, une doctrine bonne pour les pourceaux. Il y a peu de temps encore, c’est ainsi qu’on traitait les disciples d’Épicure ; et aujourd’hui les adversaires allemands, français, anglais de l’utilitarisme n’emploient pas de termes de comparaison plus polis.