La Bête Errante - Louis-Frédéric Rouquette - E-Book

La Bête Errante E-Book

Louis Fréderic Rouquette

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Beschreibung

Dawson, au confluent du Yukon et de la Klondyke, à l'extrémité nord du Dominion Canadien. L'hiver qui, pour huit mois, étreint la ville, semble vouloir écraser les maisons. La rafale balaye Front-Street, faisant tourbillonner les flocons et détachant des paquets de neige aux cornes des toits et aux croix de Saint-André où s'accrochent les fils du télégraphe.
Le trait qui indique la rue s'efface et les trottoirs de bois surélevés sont nivelés.
A deux cents mètres, trois carrés lumineux se découpent nettement sur le sol : l'Exchange, le Monte-Carlo, le Green Tree, les bars où s'assemblent les joyeux garçons.
A l'Exchange, l'accordéon gémit et le pas des danseurs martèle le plancher ; au Monte-Carlo, un phonographe criard tourne un fox-trot ; le Green Tree est morne.

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Ähnliche


Louis-Frédéric Rouquette

La Bête Errante

Roman vécu du Grand Nord Canadien

1923

© 2021 Librorium Editions

ISBN : 9782383831587

Table des Matières

La Bête Errante

Un Buveur de lait chez les Buveurs de whisky

II. Comment Hurricane eut un chien

III. Hurricane et Hurricane font connaissance

IV. Les joyeux garçons

V. Back home in Tennessee

VI. Le cri de la bête

VII. La dernière chance

VIII. Les raquettes du mort

XI. Vie pour vie

X. « Au revoir, garçon! »

XI. La colline du Loup

XII. La terre qui paye

XIII. Le maître et le serviteur

XIV. L'homme qui guette

XV. Un vol oblique dans le ciel

XVI. Le porteur d'Espérance

XVII. Bête, es-tu là?

XVIII. L'éveil des choses

X. La chanson de l'Or

XX. Une nouvelle étoile

XXI. La rivière emballée

XXII. Les regrets de Gregory Land

XXIII. L'image du passé

XXIV. Au chevet de la souffrance humaine

XXV. Ombre et lumière

XXVI. La descente du fleuve

XXVII. Le vaisseau fantôme

XXVIII. Gregory achète un chien, Hurricane un traîneau

XXIX. Au delà des forces humaines

XXX. Sur la piste des hommes

XXXI. Où l'auteur intervient et retrouve un ami

XXXII. Sur la rivière des Peaux-de-Lièvres

XXXIII. L'instinct et l'intelligence

XXXIV. L'appel de la terre

XXXV. L'âme d'une bête

XXXVI. Des grelots dans la nuit

XXXVII. Coronado-Island

XXXVIII. Un scénario bien réglé

XXXIX. La fortune qui vient

XL. La vie quotidienne

Epilogue. La bête errante

 

DU MÊME AUTEUR

CHEZ FERENCZI :

Le Grand Silence Blanc (1 vol.).

Les Oiseaux de Tempête (1 vol.).

Chère petite Chose (1 vol.).

L'Ile d'Enfer (1 vol.).

La Chanson du Pays (1 vol.).

L'Épopée Blanche (1 vol.).

A tous les Errants, A tous les Chercheurs d'impossible, j'offre ces pages vécues sous le Cercle Polaire.

L.-F. R.

La Bête Errante

CHAPITRE PREMIER

UN BUVEUR DE LAIT CHEZ LES BUVEURS DE WHISKY

Dawson, au confluent du Yukon et de la Klondyke, à l'extrémité nord du Dominion Canadien. L'hiver qui, pour huit mois, étreint la ville, semble vouloir écraser les maisons. La rafale balaye Front-Street, faisant tourbillonner les flocons et détachant des paquets de neige aux cornes des toits et aux croix de Saint-André où s'accrochent les fils du télégraphe.

Le trait qui indique la rue s'efface et les trottoirs de bois surélevés sont nivelés.

A deux cents mètres, trois carrés lumineux se découpent nettement sur le sol : l'Exchange, le Monte-Carlo, le Green Tree, les bars où s'assemblent les joyeux garçons.

A l'Exchange, l'accordéon gémit et le pas des danseurs martèle le plancher ; au Monte-Carlo, un phonographe criard tourne un fox-trot ; le Green Tree est morne.

L'homme qui chemine bute au rebord du trottoir, perd l'équilibre ; les bras en avant rencontrent la porte qui cède ; il va s'étaler, de tout son long, au milieu de la salle. Des cris partent de tous côtés.

— Pour un soleil, c'est un soleil!

— By Jove! la belle entrée!

— La rampe, mon garçon!

Mais, avec l'homme, la bourrasque est venue. Une buée monte. Les voix redoublent.

— La porte, bon sang, la porte!

— On n'a pas idée, sacré ivrogne de malheur!

Une dancing-girl, croisant son châle sur sa poitrine, a repoussé le battant. L'homme se relève, confus ; d'un geste machinal, il époussète son vêtement, où la glace s'accroche en stalactites, puis il rajuste son bonnet dont les oreillettes pendent, remonte les courroies de ses mocassins, ramasse son sac de toile qui a roulé tout près du poêle et, sans mot dire, il s'accoude au comptoir.

Il n'a pas eu un mot d'excuses. Les Yukoners grognent, tandis que les dés reprennent leurs courses et que les cartons frappent le bois des tables.

— Pour le moins, il aurait pu demander le pardon, mâche Joe Fight, en agitant le cornet de cuir où s'entrechoquent les cubes d'ivoire.

Il annonce :

— Six et trois. A vous, maître.

— Tous les as… Vous avez ma foi raison, Joe.

Une fille, qui surveille le jeu, conseille :

— Laissez donc, un chechaquo encore.

— Raison de plus pour lui apprendre à vivre.

— Tous les six, reprend son partenaire. Vous avez perdu, Joe.

Fight pèse quatre onces d'or que le gagnant enferme dans une pochette faite d'une vessie de porc.

Pat Paterson, le gérant du bar, une splendide brute congestionnée, comme cela se doit lorsqu'on est à la tête d'un saloon comme le Green Tree, s'approche du client avec un mouvement de tête interrogateur.

L'homme, toujours accoudé sur le bois du comptoir, lève les yeux ; ses lèvres bougent imperceptiblement.

— Quoi? grogne Pat, qui n'a pas entendu.

Calme, la voix reprend :

— Un verre de lait.

Pat se fourre le pouce dans l'oreille, qu'il a ratatinée et poilue, et répète, ne pouvant croire à cette énormité :

— De quoi?

— Du lait.

— Du…

Le garçon, l'air timide, insiste :

— Du lait, l, a, i, t. Vous ne comprenez pas, sir?

Habitué à toutes les extravagances, maître Pat se baisse, prend une boîte de lait condensé ; d'un coup de pointe, il fait sauter le couvercle et verse le liquide épais et jaunâtre dans une tasse, puis il l'ébouillante avec de l'eau.

L'air goguenard, il délaie le lait avec une cuillère de fer, qu'il affecte de tenir entre le pouce et l'index, le petit doigt restant dressé, puis, lorsqu'il estime que tout est à point, il pousse le breuvage devant l'homme, en lui demandant d'un air tout à fait innocent :

— Vous faut-il aussi un biberon, monsieur?

Le nouveau venu ne pipe pas ; seules ses épaules se lèvent d'un mouvement brusque qui fait ruisseler à terre les morceaux de glace qui pleurent aux poils de son col de castor.

Les joueurs ont entendu. Les dés s'arrêtent, les cartes restent en suspens.

Au Yukon, on n'aime pas les lâches.

Joe repousse son escabeau et dit :

— J'vais lui donner une leçon.

Il s'avance avec le balancement spécial des cockneys de Londres ; il remonte ses grègues, puis, les paumes ouvertes, un sourire méprisant au coin de la bouche, il s'approche.

Sans mot dire, d'un seul trait, il avale le bol de lait, puis, les joues gonflées, il souffle le liquide au pied de l'inconnu.

Celui-ci ne sourcille pas ; il n'a rien vu, il ne veut rien voir, il appelle simplement :

— Waiter!

Narquois, Pat s'empresse, frottant le bois d'un linge humide.

— Sir?

— Du lait, s'il vous plaît.

Impassible, Pat prépare une nouvelle bolée qu'il replace devant l'homme.

Tous les joueurs, pressentant un drame, s'empressent. Un cercle étroit se rapproche, les femmes montent sur les escabeaux ou sur les tables.

Joe ricane et avance la main.

Mais les doigts n'ont pas touché le bol qu'il reçoit un terrible crochet du gauche à la mâchoire ; le coup l'envoie rouler aux pieds des spectateurs qui reculent d'instinct.

— Un beau coup.

— Mazette, quelle poigne!

— Bien asséné.

Deux camps se forment.

— Parbleu, il l'a pris en traître.

— Joe ne s'attendait pas…

Joe s'y attendait si peu qu'il se relève, furieux, et fait un geste vers sa ceinture, mais la main n'a pas le temps de saisir la crosse du pistolet. L'inconnu est sur lui, le browning au poing. Il ordonne, les dents serrées, mais toujours avec une extrême douceur :

— Hands up! Haut les mains.

Subjugué, l'autre obéit ; alors le chechaquo cueille l'arme et la jette sur le comptoir. Il rengaine la sienne dans son fourreau de cuir.

— Homme contre homme?… Soit.

Et il tombe en garde.

Joe, le fier à bras, Joe, le grand tombeur, voit son autorité en jeu ; il assure ses jambes tandis que, d'un revers de main, il essuie le sang qui coule de sa bouche.

Son adversaire est un gringalet qui a l'air d'un rien du tout, d'un enfant presque, avec ses grands yeux large ouverts. Il ôte posément sa veste, relève les manches de sa chemise sur des bras qui apparaissent nerveux, et, lentement, mathématiquement, avec ordre et précision, comme sur le ring, il se met en garde et attend.

Fight attaque. Alors l'autre change de conduite. Il saute à droite, il s'esquive à gauche, va, court, revient, si bien que Joe place ses poings dans le vide et que l'homme lui fait encaisser des coups durs. Un dernier, bien placé au cœur, envoie Joe s'affaler sur la banquette qui entoure la salle. Les Yukoners trépignent.

— C'est franc jeu.

— C'est du beau travail.

Mais un mot domine, qui doit survivre à l'incident :

— Hurricane! What a Hurricane![1]

[1] Prononcez : Heur-ri-kène.

L'ouragan! Quel ouragan!

Le mot reste, il est repris en chœur :

— Hurricane! Hurricane! Hurrah for Hurricane!

Hurricane sourit doucement, écarte du geste la foule qui l'entoure et, rabattant les manches de sa chemise, il appelle Pat Paterson qui s'approche, obséquieux.

— Du lait pour moi.

— Well, sir.

Hurricane ajoute, désignant du menton Joe, auprès duquel on s'empresse :

— Un scotch whisky pour lui.

CHAPITRE II

COMMENT HURRICANE EUT UN CHIEN

— Tuhayaâ… Eho, eho!

La poste arrive, dans la clameur des mineurs assemblés, les claquements du fouet et l'aboiement des chiens.

Après un virage savant, le mail stage s'arrête devant le saloon de Cariboo-Kid.

Gregory Land, le maître-postier, rejette les couvertures de laine et saute sur la terre gelée, cependant que les chiens, haletants encore, tirent la langue et font cliqueter leurs harnais.

Une bête, qui courait libre sur le flanc de ses compagnons, s'arrête brusquement, les pattes arc-boutées, puis, par jeu, creuse la neige qu'elle lance à la figure des chercheurs d'or.

— La paix, Hurricane, commande Gregory.

Le chien stoppe, tourne à demi la tête du côté de son maître, puis, se glissant derrière lui, va mordiller les pattes du wheeler (chien de queue).

Celui-ci, fou, tire sur les harnais en hurlant ; pris de peur, les chiens partent comme une flèche.

Gregory Land a, par bonheur, le temps de sauter sur le taku et de saisir les rênes pour maîtriser son équipe.

Hurricane joue à se rouler dans la neige.

Lettres et paquets distribués, les mineurs favorisés se retirent avec, sur le visage, un masque d'homme heureux. Le dos appuyé au mât de sapin au haut duquel flotte le pavillon de Sa Majesté britannique, Hurricane, l'homme, regarde Hurricane, le chien.

Le chercheur d'or a, au fond des yeux, ce regret que laisse la joie des autres. L'ennui griffe la face volontaire, la moue dessine un bicorne à ses lèvres.

Gregory Land, habitué à la terre polaire, comprend ce qui bouleverse cette âme.

Avec une tendresse bourrue, il s'informe :

— Eh bien, camarade, on est venu prendre sa chance?

— Comme vous voyez.

— Nouveau?

— Depuis six mois. Deux mois de Dawson, deux mois de piste, deux mois de camp.

— La terre paye-t-elle ici?

Hurricane lève les épaules, ce qui signifie que cela n'a aucune importance ; il répond malgré lui à haute voix :

— Vivre ici ou ailleurs.

Et, changeant le cours de la conversation, il s'informe :

— Le trail?

— Le trail? Idéal, mon garçon. Depuis la Stewart la piste est un ruban. Aussi j'ai gratté deux jours sur mon itinéraire.

Et, levant les bras au ciel, il s'exclame, radieux :

— Deux jours qui ne doivent rien au Gouvernement! Par Dieu, j'en veux faire bon usage.

— Le bar?

— Non, le lit… J'ai calculé, garçon, que le Gouvernement, que Dieu garde! me doit sept ans de sommeil. Deux jours, c'est toujours ça de pris, n'est-ce pas?

Tout en parlant, Gregory visite les pattes de ses chiens.

— Rien de cassé, ça va. Allez, mes fistons…

— Un coup de main?

— Ça n'est pas de refus.

Le postier siffle, les chiens donnent un effort et le traîneau glisse.

Hurricane, le chien, s'est juché sur le siège arrière et ses yeux à moitié clos laissent apercevoir une pointe lumineuse où il y a autant de roublardise que de malice.

… Les chiens dételés étirent leurs membres, d'autres se couchent, quelques-uns attendent patiemment, assis sur leur train, les oreilles droites, le museau levé.

Hurricane va de l'un à l'autre. L'air de ne pas trop se rendre compte de ce qu'il fait, il bouscule l'un, marche sur le corps de l'autre, donne un coup d'épaule sournois à celui-ci, roule celui-là…

L'un d'eux, moins commode, se redresse, hargneux, les crocs dehors ; immédiatement, Hurricane fait volte-face, l'œil rouge, la gueule droite.

— La paix, vous autres, ordonne Gregory.

Le chien attaqué obéit. Hurricane prend un air bon enfant et vient solliciter une tape amicale.

— Une belle bête que vous avez là.

— Un joli chameau, réplique le postier. Oui, un joli chameau de chien.

— Un huskie?

— Yes, un huskie par son père, Tempest, un fameux chien, mon leader… Sa mère? Une louve de la Tanana.

Pendant qu'ils parlent, le chien s'avance prudemment vers son adversaire qui le regarde venir du coin de l'œil, les oreilles rabattues, les jarrets prêts à se détendre.

— Ici, Hurricane!

— Vous dites?

— Hurricane.

— Ça c'est drôle.

Et l'homme rit franchement.

— Pourquoi?

— Hurricane, c'est moi.

— Vous?

— Comme je vous le dis.

— C'est vous, Hurricane, l'homme du Green Tree?

— Moi.

— Old chap, enchanté de vous connaître. Vous avez sérieusement étrillé cette vieille mule de Joe… Enchanté, cher garçon, enchanté.

Et le postier secoue le bras d'Hurricane qui rit.

Hurricane-chien, voyant l'hilarité des hommes, se met à rire aussi en aboyant à petits coups, les yeux plissés, la gueule de travers.

… Le soir, tout en faisant dégeler les haricots et fondre le lard au bout d'une fourchette, Hurricane demande.

— Pourquoi ne l'attelez-vous pas?

— Qui?

— Hurricane.

— Hurricane! Un ouragan pareil!

Gregory lève le bras qui tient la fourchette et le lard pleure une larme qui tombe dans le feu en grésillant.

— Voilà vingt ans que je conduis des chiens sur les pistes de ce sacré pays. Je connais mes bêtes, hein! Comme Hurricane, jamais vu, non jamais!

— Voulez-vous me le vendre?

Du coup, le postier lâche le lard et la fourchette. Il est debout, indigné.

— Vendre un chien, moi, moi! (Et il se frappe à grands coups la poitrine.) Tenez, si vous n'étiez pas un chechaquo, un nouveau débarqué, je vous aurais fait tâter de ces deux poings.

« Est-ce que j'ai l'allure d'un marchand de chiens, moi! Il faut que la solitude vous ait rongé la boule ou que vous ne connaissiez pas Gregory Land. Sans cela… Mes chiens, c'est moi! Est-ce que je suis à vendre, moi? Auriez-vous trouvé le filon des filons pour me payer?

« J'ai tort de me mettre en colère, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir. »

Et le postier se rassied. Après un moment, il repart :

— Mes chiens, garçon, c'est ma vie… c'est ma joie… j'ai franchi avec eux soixante fois la Passe, je me suis promené avec eux du delta du Yukon aux bouches du Mackenzie, je me suis égaré sur le trail durant des semaines, j'en ai vu mourir de froid et de faim sans rien pouvoir pour eux. J'ai donné à Ruff, qui agonisait, ma dernière poignée de fèves. Avec eux, j'ai parcouru le Grand Nord, la terre du grand silence blanc, depuis Winnipeg jusqu'à Point Barrow.

« J'ai bu avec eux les eaux du lac Doré, dans le Saskatchewan, et sauté les rapides de la Takhena un jour de débâcle.

« Au lac de la Hache, j'en ai perdu deux et j'ai pleuré ; sur le lac du Grand Ours, j'ai attrapé les fièvres et c'est Tempest qui a pris la direction de ma vie ; il a remonté la rivière des Peaux-de-Lièvres et ne s'est arrêté que devant Good Hope, où les gens de la police montée nous ont recueillis.

« A trois milles du Lac Noir, dans le pays des Chippewayans, un Indien est venu m'attaquer. Polly, une bête du Labrador, lui a coupé la gorge d'un seul coup. »

Et Gregory Land fait sauter les haricots et le lard, coupé en morceaux, dans la poêle, en disant :

— Vendre un chien, moi! Vous êtes fou, mon camarade.

Il ouvre son couteau, pique un lardon, puis, entre deux bouchées, il ajoute :

— Maintenant, vous savez, si la bête vous plaît… Après tout, moi, ça m'est égal… je vous la donne.

CHAPITRE III

HURRICANE ET HURRICANE FONT CONNAISSANCE

Hurricane-l'homme rafistole un harnais. L'aiguille a de la peine à traverser le cuir. De temps en temps, Hurricane-chien, qui se grille les pattes devant le feu, se dresse et vient se rendre compte de l'étrange besogne que fait son nouveau maître.

— C'est pour vous, ça, vieux frère. Vous allez être beau comme les chiens de riches que des intendants promènent dans le Golden Gate Park, à Frisco. Un chien de financier, ma parole! Attendez, j'accroche ce grelot.

Le grelot tinte. Hurricane-chien vient le flairer. Cela ne lui dit pas grand'chose, ce machin qui fait du bruit, ces lanières qui s'entrecroisent, cette boucle… Non, décidément cela ne vaut pas la peine de s'être dérangé. Reprenons notre place au coin du feu.

Et le chien tourne le dos à son maître ; bientôt il allonge son museau dans ses pattes et grogne, heureux.

Hélas! Il n'est pas de bonheur parfait sur cette terre.

Hurricane, ayant donné le dernier point, s'accroupit, flatte de la main la bête et essaye de lui passer le bizarre accoutrement.

Hurricane-chien, pris en traître, fait un saut de côté ; l'homme n'a pas eu le temps de boucler la boucle. Avec rage, il secoue le harnais ; le grelot tinte, tinte, ce qui rend le chien fou.

Avec ses pattes, il essaye d'ôter cet objet qui le gêne. Voyons, c'est un jeu, enlevez-moi cela…

Mais l'homme ne veut rien savoir, il s'approche, saisit la courroie, la passe sous le ventre et veut accrocher l'agrafe…

Furieux, Hurricane-chien se débat et, d'un seul coup, happe la main qui le tenait.

Hurricane jure :

— Damné chien!…

Et, de sa main valide, il le saisit par la peau du cou et le jette dans la cour.

Le chien, courageux, fait tête, il s'apprête à bondir.

Alors Hurricane prend son fouet et, au moment où la bête s'élance il la cingle.

La rage, plus que la douleur, endiable le chien qui, les yeux injectés de sang, la bouche baveuse, s'avance en grondant. Un nouveau coup l'arrête, puis un autre, et un autre encore.

Hurricane tape, tape, tape. Le chien s'affale, une larme hésite au coin de son œil.

Alors l'homme s'approche. Hurricane-chien essaye de lever la tête, un grognement roule qui fait onduler la peau de son ventre, mais la vue du terrible instrument lui rend le sentiment de sa faiblesse.

Le Maître en profite pour serrer la boucle. Hurricane-chien est debout, étonné ; ses quatre pattes tremblent, les poils autour de son cou se hérissent, sa queue traîne et le grelot tintille doucement.

Lui qui rêvait devant le feu! Ça n'est pas possible! Que lui est-il donc arrivé? C'est fou! Il va se réveiller devant les flammes qui valsent… C'est bon le feu après qu'on a couru librement dans la neige.

Bon sang! ça le gêne cette affaire qu'on lui a fourré et, de sa patte, il se gratte, il se gratte furieusement et le grelot tinte, tinte, pour lui rappeler son asservissement.

Alors, philosophe, il s'assied, doutant définitivement des bonnes choses de la terre.

Hurricane en profite pour le saisir.

D'instinct, la lèvre se retrousse et découvre les crocs. A quoi bon? L'autre est le plus fort.

Il en profite lâchement pour assujettir aux harnais une double poche de toile : dans ces poches, l'homme fourre des boîtes, des outils.

Ah! c'est ainsi, nous allons voir! L'homme a le dos tourné. Hurricane-chien se roule à terre, envoyant promener les conserves, les limes, les marteaux.

Posément, Hurricane-l'homme revient, le fouet en main et la danse commence…

Une danse? Ah! messeigneurs, quelle tournée! Hurricane-chien vivrait-il seize ans qu'il s'en souviendrait.

Mais tout a une fin, même les pires choses.

La distribution terminée, l'homme a replacé les objets dans les sacs, puis il est parti sans retourner la tête.

Soudain, il siffle. Le chien dresse les oreilles. Alors, tristement, à petits pas, le museau touchant le sol, Hurricane-chien suit les pas d'Hurricane-l'homme.

CHAPITRE IV

LES JOYEUX GARÇONS

— Vous redescendez sur Dawson, Master Gregory?

— Sur Dawson? Non, camarade, je pique droit au Nord, je vais dans l'Alaska yankee, du côté d'Eagle-City. Je descendrai le Yukon jusqu'à la Tanana River. Si le cœur vous en dit?

— Je veux bien, sir, j'en ai assez de picorer la terre comme une poule. Jim Parry m'offre cinq cents dollars de ma concession.

— Cinq cents dollars, c'est une affaire, surtout qu'il ne doit pas y avoir lourd à gratter sur votre claim.

— Peuh! deux dollars de « paie » coûtent un dollar.

— Vendez, garçon, vendez, et si ça vous chante, demain, à six heures, mon sleigh sera devant la porte.

— All right!

Sur ce, Gregory Land s'enveloppe dans une couverture indienne et s'endort devant le feu.

Hurricane met ses raquettes, sort, relève son col de woolverine et s'en va retrouver Jim Parry aux Merry Boys, le saloon de Cariboo Kid.

Un violon minable grince un one-step. Jim danse avec une girl.

— Hello, boy!

— Hello.

Jim s'arrête, la danseuse passe aux bras d'un autre cavalier.

— Comment êtes-vous?

— Confortable.

Les deux mineurs, les coudes sur la table, discutent. Dix minutes après Hurricane a vendu sa concession de Cariboo Kid à Jim Parry moyennant cinq cents dollars. La chose est enregistrée devant le commissaire du Gouvernement et les droits versés.

Hurricane serre la poudre d'or, montant du prix d'achat, dans sa ceinture de cuir.

La musique s'arrête, les danseurs s'égaillent et s'accoudent au comptoir. La girl qui dansait avec Jim s'approche.

L'affaire est bonne. Hurricane offre à boire.

Sans façon, la jeune fille s'assied sur la table, rejetant en arrière le châle qui l'enveloppe.

La lumière éclaire en plein sa face rieuse que le charbonnage des yeux et le trait saignant des lèvres n'arrivent pas à enlaidir.

Elle glisse une paille à cocktail dans le cou d'Hurricane qui, chatouillé, fait le geste de chasser un insecte.

— Ça n'est pas souvent que l'on vous voit ici.

C'est Jim qui parle après avoir, d'un trait, vidé son verre de whisky.

— Vous n'aimez pas danser?

Hurricane ne répond pas, la girl insiste :

Le jeune homme fait une moue.

— Je crois bien qu'autrefois, oui, j'ai dansé.

Curieuse, la fille demande :

— Où ça?

— Là-bas, quelque part, dans le Sud. J'ai dansé, j'ai joué, j'ai bu… mais cela ne m'intéresse plus.

Et Hurricane se tait. Dans ses yeux passent des visions lointaines.

Jim Parry tape sa pipe sur le bois de la table et dit :

— Flossie, vous importunez ce garçon…

— Ça n'est pas un garçon, Jim, c'est une fille.

Et son rire éclate, sonore, qui découvre une double rangée de dents petites et nettes.

A ce moment, Frank Lippmann, un mineur bavarois, s'approche, la face goguenarde, la pipe au bec, hirsute, sale, magnifique.

Il va droit à Flossie, lui lance, en manière de politesse, une bouffée de tabac à la figure :

— Foulez-vous tanser avec moi?

La fumée fait tousser la fille.

Cela amuse fortement la brute qui pousse des hoch! hoch! frénétiques.

Hurricane intervient :

— La paix, je vous prie.

Cela a été dit sur un tel ton que Frank Lippmann bat en retraite prudemment :

— C'est pon, c'est pon… on fous la laisse fotre boule…

Il va au poêle, dont il ouvre le foyer ; avec un papier il rallume sa pipe.

La flamme amuse un instant l'ivrogne ; une idée stupide traverse son esprit.

Il revient vers le groupe et, profitant de l'inattention de Jim et d'Hurricane, il met le feu aux franges du fichu. En dix secondes, Flossie est environnée de flammes.

Jim se précipite, mais Hurricane l'a devancé. Il arrache le vêtement. D'un bond il est dehors. Le châle, qui achève de brûler, met sur la neige une tache rouge.

Hurricane a repoussé la porte. Il est debout, les mains au dos. Son regard cherche et se pose sur Lippmann qui, trouvant son action très drôle, s'étrangle à force de rire.

Hurricane marche vers lui et, avant que l'autre soit revenu de sa stupéfaction, il le saisit au collet, le ploie aux pieds de Flossie et ordonne :

— Demande pardon.

A moitié étranglé, la brute marmotte :

— Bardon… bar… don…

C'est tellement comique que tous les mineurs et Hurricane lui-même éclatent de rire. L'autre, stupide, ne comprenant pas plus cette hilarité que cette colère, reste accroupi, effaré, bégayant encore :

— Bardon… bar… don…

Alors Hurricane passe derrière lui et lui envoie un fantastique coup de pied au bas des reins.

L'homme s'aplatit. Hurricane le reprend au collet, le traîne sur le plancher, ouvre la porte et, d'une bourrade, le lance dans la neige où il s'affale avec un grognement de porc.

Johan C. Clear, qui préside aux destinées des Merry Boys, ordonne à la musique d'attaquer le plus endiablé des fox-trots.

L'effet est immédiat ; les couples se reforment.

Seule, Flossie est restée auprès d'Hurricane.

Elle lui prend la main simplement :

— Merci.

Elle garde la main du garçon dans la sienne, et c'est la sienne qui tremble un peu lorsqu'elle lui demande :

— Vous ne voudriez pas danser avec moi?

Hurricane regarde ces yeux levés vers lui. C'est drôle, tout à l'heure, il aurait juré qu'ils étaient noirs ; maintenant ils lui apparaissent verts avec des taches brunes et lumineuses.

Il y a, au fond de ce regard, une secrète admiration et quelque chose qui implore. Alors le jeune garçon n'a pas la force de dire « Non ».

Sans un mot, il passe son bras autour de la taille de sa cavalière et l'emporte dans un tourbillon.

Après il l'invite. Cela se doit, n'est-ce pas? Mais c'est elle qui fait tous les frais de la conversation. Hurricane ne répond que par monosyllabes, tout juste ce qu'il faut pour être correct.

Maintenant Flossie se lamente. Un si beau châle, le seul qu'elle possédait. Le « store » de Cariboo-Kid en a bien un autre, mais il est trop beau pour elle et trop cher…

Alors Hurricane détache sa ceinture de cuir et vide la poudre d'or qu'il a reçue de Jim Parry ; il fait deux tas égaux, en remet un dans son gousset et pousse l'autre devant la girl :

— Pour vous, Flossie, en souvenir de notre danse.

La fille hésite, elle n'ose accepter.

— Mais si, mais si, insiste Hurricane, pour vous, mon amie, pour vous…

L'or fait une tache rousse sur la table, une tache que les yeux de la fille fixent… Elle reste long temps ainsi, hypnotisée. Que se passe-t-il dans la cage étroite de ce cerveau de femme? Quelles pensées s'y agitent? Quelles résolutions y naissent et meurent?

Flossie poussa un soupir et, d'un geste, elle rafle l'or.

Hurricane s'est levé.

— Vous partez?

— Oui.

— On vous verra… je vous verrai demain?

Hurricane fait un geste de la main.

— Demain? Demain, je pars avec Gregory Land et le mail-stage.

— Pour longtemps?

— Pour toujours!

Flossie, droite, appuyée à la table, fait :

— Ah!

Puis, chassant une idée importune, elle passe sa main sur son front et pirouette sur son talon. Un rire aigu monte, monte, monte, qui se casse net…

Elle est devant la table où des mineurs jouent au pharo. Un verre de whisky s'offre à sa portée, elle l'avale d'un trait.

Son rire reprend. Jim Parry passe, elle l'agrippe et l'emporte dans une danse…

Hurricane est sorti sans un regard.