La bête - Nathan Prost - E-Book

La bête E-Book

Nathan Prost

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Beschreibung

Dans les ruelles parisiennes, une entité énigmatique laisse planer le doute sur sa nature : est-ce une créature monstrueuse née des ténèbres ou l’âme tourmentée d’un spectre en quête de justice ? Les rares témoins qui l’ont vue demeurent murés dans un silence de marbre et les enquêteurs frémissent d’effroi à la simple évocation de son existence. Inébranlable dans sa résolution, Emma jure de venger son amie disparue, prête à délaisser sa vie dans une quête dangereuse et obsessionnelle. Cependant, traquer cette entité insaisissable comme une vulgaire bête serait une grave erreur, car elle reste un mystère impénétrable pour tous...


À PROPOS DE L'AUTEUR

Nathan Prost exprime sa créativité en donnant vie à des mondes imaginaires sur du papier, sans ambition particulière. Chaque nouvelle histoire qui émerge de son esprit est plus aboutie que la précédente. C’est ainsi qu’est né le roman "La bête", un récit fictif qui offre l’évasion lorsque la réalité devient pesante.

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Seitenzahl: 280

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Nathan Prost

La bête

Roman

© Lys Bleu Éditions – Nathan Prost

ISBN : 979-10-422-0168-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Nicolas et à Maud, futurs mariés.

Prologue

Dans les rues noires et vides de la banlieue parisienne, la lune, de son dernier quartier, illuminait les derniers instants d’un homme, rationnel et assidu qui rentrait en sifflotant d’un voyage en Angleterre. Arrivant dans la cour où se situait son domicile, la lumière des lampadaires baissa significativement et il se rendit compte que ses pas ne faisaient plus aucun bruit sur les pavés humides. Un mouvement lui fit soudainement lever les yeux. Ceux-ci se remplirent en un instant d’horreur, son corps se rigidifia et il perdit le contrôle de ses membres. Sa mort, aussi rapide fût-elle, n’échappa nullement au regard discret d’un insomniaque à la fenêtre du cinquième étage, pétrifié de peur.

Les autopsies ne donnèrent rien de concluant. Les nombreuses griffures sur le cadavre de l’homme laissaient penser à une attaque animale. Le médecin légiste confirma ces dires et l’enquête aboutit à une conclusion rationnelle et pragmatique : l’homme nommé Martin Burningridge, âgé de quarante-deux ans, de nationalité anglaise, s’était fait tuer devant son domicile par un loup enragé, perdu dans les rues de la capitale. Plusieurs patrouilles furent par la suite déployées pour retrouver cet animal, sans succès.

Alors que le commissaire Lamy, de la police nationale, s’apprêtait à stopper les recherches, ce fut cette fois un couple, retrouvé mort mutilé sur les bords de Seine. L’attaque avait eu lieu dans les mêmes circonstances et les résultats de l’autopsie furent similaires à la première attaque. Mis à part la présence de coups de crocs sur le corps de la femme. Les recherches de l’animal responsable de ces crimes furent relancées et davantage de membres des forces de l’ordre furent mobilisés dans tout Paris. Les habitants reçurent l’ordre de rester vigilants la nuit ainsi que de limiter leurs déplacements.

Les sièges se comblaient au fur et à mesure que les gens arrivaient. Les enfants piaillaient d’impatience à l’idée de voler, les habitués prenaient leurs aises sur les sièges blancs et les amoureux se jetaient des regards pleins de malice. La voix du pilote résonna soudain dans tout l’avion. Elle annonçait le départ imminent de l’appareil. Félix, assis sur son siège depuis un petit quart d’heure, jetait de rapides coups d’œil à sa montre. Il n’était pas pressé, mais anxieux.

Le voyage ne s’annonçait pas très long. Félix avait emporté un livre dont il ne lui restait que quelques chapitres à lire. Il n’était pas sûr lui-même d’avoir le temps de le terminer. Il regarda à travers le hublot les quelques personnes qui se précipitaient encore vers l’engin. Félix secoua la tête. Lui, il était toujours à l’heure, voire en avance, il haïssait les personnes en retard plus que tout au monde.

Lorsqu’enfin l’avion décolla, Félix se détendit complètement, relâcha tous ses membres et troqua sa lecture contre une sieste. Il songea à ce petit village d’Angleterre qu’il avait laissé derrière lui. Il avait du mal à s’imaginer qu’il s’était sorti de la merde dans laquelle il s’était fourré. Astrid, qui avait flairé les emmerdes bien avant lui, avait pris un autre avion bien avant lui et il l’avait contacté pour qu’elle l’attende à destination. C’était elle qui l’avait convaincu de partir. Félix s’endormit rapidement, bercé par les vrombissements légers du moteur et, pour la première fois depuis quelque temps, avec la tête sur les épaules et le souffle régulier.

Ceux qui maîtrisent la peur maîtrisent l’esprit des autres.

Chapitre 1

Emma Lauriers était membre de la police nationale de Paris. Elle faisait partie des brigadiers mobilisés afin d’enquêter sur ce que les journaux appelaient maintenant « La bête de Paris ». C’était une femme extrêmement têtue et dévouée. Tout travail qu’elle débutait, elle le terminait, aussi long et éreintant était-il. Célibataire et impulsive, elle ne s’était jamais vraiment intéressée à sa vie amoureuse. De toute façon, elle ne s’attachait réellement qu’à quelques personnes qui l’avaient marquée dans sa vie. Et si elle savait tout de ces personnes-là, elle ne connaissait rien des autres : ni l’adresse ni le numéro de téléphone… Mais cette vie-là comblait parfaitement.

Emma lisait ces gros titres en soupirant. Elle espérait que les médias allaient cesser d’inquiéter davantage la population de la ville avec leurs articles vides de vérité. Sa propre mère, Justine, qui vivait seule, lui avait téléphoné de Lyon en lui ordonnant de prendre un congé et de quitter la capitale en attendant que les choses se calment. Ce à quoi Emma avait répondu qu’elle avait choisi de devenir policière pour rester sur le front lorsque tout le monde battait en retraite. Son père, lui, ne prendrait pas de nouvelles. Emma l’aimait beaucoup. Ils avaient fait tant de choses pendant son enfance qu’elle ne l’oublierait pas. Mais depuis qu’Emma avait quitté la maison, celui-ci s’était attaché à son boulot, quitte à le faire passer avant Justine qui n’en pouvait plus. Emma la comprenait, elle-même était déjà résolue. Cela faisait maintenant quatre mois qu’il était parti, on avait appris à ne plus s’inquiéter. Mais lorsqu’il rentrerait, sa mère mettrait les choses au clair. Emma voulait cependant garder en mémoire la bonne partie de son père. Celui-ci était un fan absolu de Sherlock Holmes, combien de fois lui avait-il lu les « Ombres de Shadwell », son histoire préférée ? Il ne se séparait jamais de ce livre qu’il avait réussi à faire dédicacer. C’était sûrement tous ces récits policiers qui lui avaient donné goût à ce métier.

En arrivant à son bureau ce matin-là, elle eut à peine le temps de s’installer que son chef déboula sur son lieu de travail.

« Il y a eu un nouveau drame cette nuit, je te veux sur le terrain avec Baptiste et Laura, tout de suite. »

Puis il sortit du bureau aussi vite qu’il y était entré, laissant une Emma perplexe, qui ne broncha pas pendant quelques secondes. Elle se leva lorsqu’elle réalisa ce qu’elle venait d’apprendre, avertit ses collègues et monta au volant de sa voiture de fonction.

C’était la première victime de la bête qu’elle voyait de ses yeux. Elle eut soudain envie de partir loin d’ici pour vomir et chasser définitivement cette image de sa tête. On ne pouvait même plus définir l’identité du mort au faciès tant ses blessures au visage étaient nombreuses. Son ventre et sa poitrine que l’on voyait entre ses vêtements en lambeaux, couverts de sang séché, étaient parsemés également de nombreuses ouvertures béantes. Un inspecteur déjà présent sur les lieux leur fit un rapide rapport d’une voix assurée, quoique légèrement tremblante :

« Il s’est fait attaquer cette nuit, on l’a retrouvé, caché au fond d’une impasse. On compte l’envoyer à l’autopsie, mais il n’y aura aucune surprise concernant les résultats.

— Qui était-ce ? demanda le commissaire Lamy qui ne pouvait détacher son regard rempli d’effroi de la masse inerte au sol.
— Un homme plutôt jeune sans doute… Mais dans l’état où il est, un test ADN sera nécessaire », répondit l’inspecteur.

Emma et ses collègues se virent contraints d’inspecter la zone. Mais mis à part quelques passants assez téméraires pour contempler le cadavre, ne serait-ce qu’une seconde, ils ne trouvèrent rien d’exploitable, sinon le sang de la victime sur les murs alentour. Personne ne pouvait montrer du doigt un coupable matériel.

Pressée de rentrer au poste, Emma essayait de penser à autre chose tandis qu’elle devait sécuriser les lieux et empêcher les curieux de passer les banderoles jaunes. La victime avait été déplacée dans une ambulance, un aller simple pour la morgue. Emma frémissait en imaginant son propre corps enroulé dans un linceul blanc à la manière d’un déchet. Comme si notre cadavre dépourvu de vie était un fardeau que l’on s’empressait de jeter. Elle s’introduisit dans le premier fourgon de police qui rentrait au poste, voulant quitter cet endroit le plus vite possible. Comme quoi, devenir policier ce n’était pas chasser définitivement la peur et le dégoût de son esprit.

Plus tard, vers seize heures, Emma, au bureau des plaintes, vit entrer dans le bâtiment une longue chevelure brune familière ainsi qu’un ventre arrondi. D’abord, elle sourit à Margot, mais, lorsqu’elle la vit en pleurs, elle se leva, s’approcha d’elle et l’étreignit affectueusement.

« Oh ! Emma ! C’est Raphaël ! Il n’est…

— Calme-toi Margot, la coupa Emma d’un ton le plus réconfortant possible en la serrant affectueusement, dis-moi tout.
— Je me suis réveillée ce matin et il… il n’était plus… il n’était plus avec moi alors qu’il devait rentrer ! Je me suis dit que l’avion avait eu du retard, mais la nuit est passée et il n’est toujours pas là ! »

Après leurs six ans de mariage, le mari de l’amie d’Emma semblait être plus que fiable. Raphaël était un homme timide, mais assidu qui travaillait avec des chercheurs anglais, et qui avait emporté Margot dans sa passion, tant et si bien qu’elle-même en avait abandonné son ancien métier pour bosser aux côtés de son amant. Emma aussi avait très vite appris à l’apprécier, c’était réciproque. Mais un jour, il était devenu morose, sombre et évitait Emma, ne lui parlait plus. Margot lui avait rapporté que son mari traversait un « évènement tragique » qui s’était produit au travail. Et en lui disant ça, elle aussi paraissait affligée. La policière n’en avait pas demandé davantage.

L’horrible image du cadavre mutilé lui revint en tête, mais elle la chassa rapidement de son esprit. Margot pleurait à grands sanglots, convaincue que son mari avait décidé de partir.

« Je lui ai donné toute ma vie… reprit Margot entre deux larmes. Toute ma vie ! Et j’allais lui donner un enfant ! Et il disparaît en une nuit… en une nuit… »

Emma s’autorisa quelques minutes supplémentaires dans les bras de son amie et ne se retira que lorsqu’elle ne pleurait presque plus. Emma lui proposa un mouchoir et Margot se moucha bruyamment.

« Écoute Margot. Il ne s’en tirera pas comme ça… »

L’image soudaine du visage couvert de griffes et de sang réapparut dans son esprit et la fit chanceler. Lorsqu’elle revint à elle, Emma jeta un œil à son amie qui se tenait la tête entre les mains puis, sans conclure sa phrase, s’éclipsa discrètement.

Cette fin de journée se passa malgré tout comme toutes les autres.

Emma avait quasiment oublié la vision d’horreur qui obsédait son esprit et s’était concentrée sur les problèmes de cœur de son amie. Elle repensait aux moments où elle l’avait vue en compagnie de Raphaël. Elle avait même parlé avec lui, plusieurs fois. Elle se souvint avoir pensé qu’il était bien le bon pour son amie d’enfance… Il faut croire que l’intuition commet quelques erreurs. Emma, ayant laissé le bureau des plaintes à un collègue, se leva de sa chaise et entassa dans ses bras de nombreux dossiers traitant de plusieurs sujets différents. Elle sortit non sans difficulté par la petite porte qui donnait sur son lieu de travail et, bousculant quelques-uns de ses collègues, parvint au bureau de l’inspecteur. Elle ouvrit la porte d’un coup d’épaule puis lâcha sa pile de dossiers sur la table de bois. L’inspecteur soupira en effleurant de son pouce le papier empilé de bas en haut et interpella soudain Emma qui s’apprêtait à quitter la pièce :

« L’enquête progresse très rapidement, madame Lauriers. Nous avons l’identité du mort, nos médecins sont efficaces. »

Emma avait la main sur la poignée. Elle s’abstint de la tourner une seconde.

« Le malheureux se nomme Raphaël Maignory… marié à Margot Maignory. Il me semble que… vous la connaissez ? »

Emma ne bronchait pas, sa main définitivement ancrée sur la poignée qui lui sembla soudain très froide. Elle voyait son amie à genoux devant elle, des larmes sous ses yeux rouges, qui lui demandait si elle mentait. Elle se contenta de lâcher un faible « Je lui dirai » puis ouvrit la porte. Elle vit pendant une seconde l’appartement de son amie, ferma les yeux en secouant la tête puis s’en alla voir Baptiste, un autre membre de la brigade qui lui aussi, croulait sous les papiers. Baptiste aussi aimait son travail, surtout les soirs de patrouille qui étaient toujours mouvementés. Il était de nature très sociable, ponctuel et capable d’un grand sérieux.

En voyant sa mine désespérée, Baptiste s’arrêta et l’interrogea :

« Tu n’as pas l’air en forme…

— Sans blague ! répondit Emma en se passant la main dans les cheveux. Je viens d’apprendre que c’est le mari d’une amie proche qui est mort dans la nuit d’hier et je dois le lui annoncer. Elle, elle croit qu’il l’a lâchement abandonnée.
— Il vaut peut-être mieux pour elle qu’elle croie ça… Elle se reconstruira plus facilement. Après, ça reviendrait à lui mentir à vie, songea Baptiste.
— Je lui dirai, conclut Emma, ça ne sert à rien d’attendre. »

Elle laissa Baptiste déconcerté et quitta la pièce pour tomber sur Isaac, un autre brigadier proche de Baptiste. Il était grand et chaleureux, mais semblait toujours cacher son jeu. Emma n’arrivait jamais à décrypter ce qu’il pensait. Tout ce qu’elle savait d’Isaac, c’était qu’il fut d’abord urgentiste de nuit, mais qu’un beau jour, il ne voulut plus attendre sagement qu’on lui amène des gens gravement blessés à la suite d’un accident ou d’une agression. Alors, il s’était enrôlé dans la police.

Isaac lui rappela son adresse, car il avait organisé une grande fête pour son anniversaire, sa maison le lui permettait. Mais Emma n’avait pas la tête à ça. Elle le nota sur un bout de papier qu’elle fourra dans sa poche et se concentra sur les travaux administratifs afin de faire passer la journée au plus vite.

Lorsque vint le soir, elle grimpa dans une voiture et traversa Paris en compagnie de Laura dans le but d’effectuer la patrouille du soir. Emma lui parla du poids qui pesait sur ses épaules depuis tout à l’heure. Laura lui affirma que ce n’était pas à elle de le lui annoncer, et qu’il fallait qu’un psy soit sur le coup, ce à quoi elle lui répondit que plutôt que d’attendre, elle irait l’informer dès demain matin.

Ce lendemain même, aux alentours des neuf heures, Emma, la boule au ventre, montait les escaliers menant à l’appartement de son amie. C’était difficile. Ses jambes étaient très lourdes, elle n’avait pas dormi tant l’angoisse lui déchirait le ventre. Elle avait plutôt passé la nuit à réfléchir à la meilleure façon de le lui annoncer, à travailler les sous-entendus et à anticiper ses réactions émotionnelles pour l’aider au mieux à passer cette épreuve… Et le peu de temps où elle avait fermé les yeux, elle avait été emportée dans les plus horribles cauchemars qu’elle n’avait jamais affrontés. Ces prochains jours s’annonçaient très sombres. Savoir son amie encore plus bouleversée qu’elle ne l’avait jamais été mettait Emma extrêmement mal en tous points.

Elle s’arrêta devant la porte et frappa. Quelques secondes filèrent avant qu’elle ne pose une main moite sur la poignée. Elle avait l’impression d’avoir déjà accompli ce geste précédemment. Emma la tourna, l’entrouvrit et passa la tête dans l’entrebâillement de la porte en appelant Margot. Aucun son ne vint, elle crut qu’elle était sortie et s’apprêtait à rebrousser chemin, mais, les clefs encore sur la serrure lui indiquèrent le contraire. Elle se ravisa et entra dans l’appartement en refermant doucement la porte derrière elle. Elle se mit à avancer à tâtons. Le silence assourdissant lui détruisait les oreilles. Pourquoi était-elle entrée ? Emma ne savait pas ce que signifiait cette angoisse qui prenait de plus en plus d’ampleur en elle, comme si elle menaçait d’exploser à tout moment. Après avoir bifurqué dans le salon, la policière baissa la tête… et tomba à genoux, la bouche ouverte. Ses bras et ses épaules s’affaissèrent et ses yeux rouges devinrent humides.

Margot Maignory était étendue par terre, le corps déchiré par de profondes blessures. Derrière, des bris de verre et la fenêtre brisée.

Sa montre indiquait huit heures trente et une. Félix s’éveilla. Il pouvait maintenant voir toute la ville dans laquelle il allait maintenant vivre. Loin du territoire anglais. L’avion perdait lentement de l’altitude, entamant sa manœuvre d’atterrissage. Certains enfants s’excitaient à l’idée d’arriver sur un sol inconnu et d’autres frémissaient lorsque la descente se fit sentir. Félix n’avait jamais voulu d’enfants, ils ne s’harmonisaient pas du tout avec son style de vie et avec son travail. Il était archéologue et faisait partie d’un petit groupe indépendant qui, depuis des années, recherchait les emplacements d’anciennes citées ou objets réputés magiques dans le monde. Il lui arrivait donc de voyager assez fréquemment partout sur la planète pour poursuivre ses recherches avec ses collègues. Avant qu’il ne prenne cet avion, Félix avait entamé des recherches sur la mythique boîte de Pandore.

Lorsque les roues de l’avion touchèrent le sol, les gens peu habitués aux trajets aériens eurent un haut-le-cœur. L’avion ralentit jusqu’à s’arrêter complètement et le pilote annonça par le haut-parleur que le voyage était terminé et qu’il leur souhaitait une bonne journée. Félix eut un sourire en coin en entendant le « bonne journée » prononcé machinalement par la voix du pilote.

Félix avait choisi ce métier pour sa polyvalence. Il ne voulait pas qu’une routine s’installe dans son travail. Il s’en serait lassé très vite. Et puis, il avait une certaine attirance pour tout ce qui était histoires fantastiques ou mythes. Il avait toujours voulu approfondir ses connaissances sur le sujet, quitte à faire passer cette obsession avant la famille et les amis. Ces derniers étaient rares pour lui et se limitaient à ses collègues avec lesquels il partageait des intérêts communs. Tous s’entendaient vraiment bien et Félix avait passé bien des moments inoubliables à leurs côtés.

Pourtant, il avait dû couper les ponts avec certains d’entre eux après un gros désaccord lié à l’incident. Même s’ils s’étaient tous mis d’accord pour aller vivre au même endroit afin de rester en contact, Félix avait bien deviné qu’il ne leur parlerait probablement plus jamais vraiment.

Tandis qu’il se mettait à jouer des coudes afin de se frayer un passage dans l’aéroport, Félix tenta d’apercevoir Astrid. Elle était censée être venue l’attendre à l’aéroport et l’emmener à son nouvel appartement. Il ne la vit pas tout de suite, mais, un peu plus tard, remarqua une femme à l’autre bout du bâtiment qui levait un bras. Astrid était sa plus proche collègue, elle l’avait soutenu dans la quasi-totalité de ses travaux et, même si son tempérament colérique était compliqué à supporter, Félix avait appris à l’apprécier. Il espérait que l’inverse était vrai aussi.

Dans la voiture, elle ne lui adressa la parole que pour lui demander comment s’était passé le voyage. Ils ne trouvèrent rien de plus à se dire. Le véhicule se rapprochait de plus en plus du centre de la ville. Félix trouva le trafic moins intense qu’il ne l’avait imaginé et il remarqua que certains volets, malgré le jour bien levé, étaient fermés. Ils passèrent non loin de la tour Eiffel, après quelques minutes de trajet.

Devant son nouveau chez lui, Félix remarqua un kiosque à journaux. Il remercia Astrid de l’avoir accompagné, monta, puis déchargea en trois minutes sa valise dans ce qui allait devenir son nouvel appartement. Pour assurer leur couverture, tous les chercheurs s’étaient enregistrés sous un faux nom avec la fausse carte d’identité qui allait avec. Ce fut beaucoup plus facile que ce que Félix avait pensé. Astrid, elle, habitait à dix minutes de chez lui afin qu’ils puissent rester en contact en cas de besoin. Elle préférait de loin la campagne à la ville et à son air pollué, mais une maison individuelle représentait une certaine somme qu’elle n’avait pas encore. Félix, lui, s’était contenté d’un appartement en le qualifiant de « parfait » même si les murs étaient à repeindre, que les interrupteurs se trouvaient derrière l’ouverture des portes et que des pigeons espiègles avaient transformé le bord de son balcon en latrines publiques.

Le tour de son appartement effectué, Félix descendit dans la rue bordée par les premières lueurs du jour et se rendit au kiosque. Son œil s’attarda sur les gros titres : élections en approche, météo, faits divers… Rien de très entraînant. Il donna malgré tout une pièce au petit bonhomme à l’air sympathique qui tenait l’endroit et rappliqua chez lui, un journal à la main. Il préférait de loin lire que de regarder les informations à la télé. C’était plus divertissant, argumentait-il.

« Il va falloir trouver de quoi s’occuper… » soupira Félix en lisant l’heure sur sa montre : huit heures cinquante-sept.

La rubrique des faits divers était bien remplie. Entre la « noyade d’une mère de famille dans la seine », la « bête de Paris » et la « crise des restaurants », Félix ne vit rien de très palpitant à lire. Il en vint à se demander comment les journalistes choisissaient leurs thèmes. Les faits divers semblaient intéresser davantage que les élections municipales imminentes.

Chapitre 2

Tandis que les journées s’annonçaient longues, Félix décida de continuer de travailler malgré les évènements qui s’étaient déroulés en Angleterre, car jamais ô grand jamais il ne s’était arrêté sur un échec. Il consulta les sites internet de toutes les plus grandes bibliothèques de la capitale en espérant trouver des ouvrages intéressants qu’il n’avait pas déjà étudiés sur le mythe de la boîte de Pandore.

Après avoir passé plusieurs minutes sur son portable, Félix tomba sur les archives de Paris. Le site existait en plusieurs langues ; pourtant, il n’en avait jamais entendu parler, ou bien peut-être une fois… Il ne s’en souvenait plus. Il se leva, s’étira, enfila son manteau, car le thermomètre n’était pas très clément et se rendit dans cet immense édifice du vingtième siècle qui, étrangement, n’était pas si noir de monde que ça.

Il essaya de se souvenir où il en était. Malgré ce qui s’était passé, Félix ne voulait pas abandonner. Les échecs font partie de la vie et il fallait les assumer. Il avait un code moral fixe qui visait à réparer toute erreur qu’il avait commise et il comptait bien le faire. Tiens, il se mettait à penser comme Lauriers. Il l’aurait bien voulu à ses côtés… Félix effaça ces pensées nostalgiques et il se mit à chercher, parcourant des yeux les hautes étagères remplies de livres aussi anciens que le monde. Tous les auteurs avaient un style d’écriture propre, leur propre façon de voir les choses et de les raconter, c’était ce que Félix aimait le plus dans les bouquins : acquérir un nouveau point de vue sur le monde, celui de l’auteur.

Lorsqu’il en eut finalement assez de chercher dans l’immensité de l’endroit, Félix surmonta son insociabilité et alla demander de l’aide à une des employées. Une charmante jeune fille sûrement ici depuis peu, lui offrit un sourire radieux lorsqu’il approcha et lui posa la question habituelle :

« Vous recherchez quelque chose de particulier ?

— Je cherche… hésita Félix, des ouvrages parlant des mythes de la Grèce antique, pas de fiction. Vous en possédez ? »

Le simple fait de parler à une personne inconnue, aussi mignonne soit-elle, de son travail le mettait mal à l’aise. Il n’avait tout simplement pas l’habitude.

La jeune femme avait acquiescé sans s’arrêter de sourire. Félix eut envie de lui dire qu’elle n’avait pas besoin d’avoir constamment les dents à l’air libre pour faire bonne impression, mais s’abstint par respect pour la dévotion qu’elle mettait dans ses premiers jours de boulot. Elle apprendra très vite à l’effacer lorsqu’une routine s’installera.

L’employée amena l’archéologue sous une étagère qui semblait toucher le plafond, scrutait les livres soigneusement rangés puis lui indiqua une rangée de bouquins entière en lui annonçant qu’il devrait trouver ce qu’il cherchait. Elle ajouta sur un ton humoristique en apercevant sa mine fatiguée que les livres étaient classés par ordre alphabétique et que chaque lettre contenait une vingtaine d’ouvrages différents minimum. Elle s’éloigna ensuite, laissant Félix déconcerté par le temps de recherche qui s’annonçait.

Il ne se découragea pas pour autant et commença par la lettre P. Les multiples ouvrages avaient tous des couvertures toutes aussi différentes les unes que les autres. Félix ne savait pas exactement ce qu’il cherchait. Tous les ouvrages semblaient pouvoir l’aider dans ses recherches. Tous parlaient des mythes ainsi que de la Grèce antique, mais de manière générale. Le jeune chercheur supposa que les auteurs n’avaient pas assez de détails sur la boîte de Pandore pour en faire un ouvrage. Il ne l’avait trouvé que vaguement mentionnée dans diverses histoires concernant la création de l’homme sur terre. Cette mythique relique, qui contenait tous les maux de l’humanité, fut offerte à Pandora, la première femme mortelle, par Zeus en tant que cadeau de mariage avec l’instruction formelle de ne pas l’ouvrir. Cependant, la curiosité guida la volonté de Pandora qui ouvrit la boîte à l’insu de Zeus. La jalousie, l’avarice, la vénalité, l’indifférence, la paresse, l’obstination, l’instabilité, la nonchalance, l’irresponsabilité, la malveillance, la vulgarité… Tant de défauts corrompirent les cœurs des hommes et les rendirent mauvais. Le but de Félix et de ses collègues était de tenter de contrer ce phénomène… Et ils avaient réussi. Enfin… presque.

Puisant dans son envie de continuer ses recherches pour éviter de rentrer bredouille chez lui, Félix attrapait quelques livres et encyclopédies au hasard, feuilletait quelques pages en espérant être tombé sur le type d’ouvrage qu’il cherchait, rouspétait de ne rien trouver d’intéressant et replaçait l’œuvre sur son étagère, à sa place, maudissait les libraires ainsi que tous ceux qui avaient érigé cette colossale bâtisse de pierre, penchait la tête, lisait les titres et choisissait au hasard un autre ouvrage. S’il n’y avait personne d’autre en cet endroit, Félix aurait sans remords secoué de toutes ses forces l’étagère devant lui, aussi maigrichon des bras soit-il. Alors il continua machinalement jusqu’à lire une ligne qui lui plut. Il retourna l’œuvre. C’étaient bien des traductions de récits mythologiques grecs d’Hésiode. Félix s’assit sur ces sortes de banc à rallonge qu’il y avait dans chaque rayon et se mit à le feuilleter avec une lecture plus pointilleuse. Il savait lire et parler diverses langues, dont le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’arabe, le grec et le latin. Son métier l’exigeait.

Aussi, il put lire cet ouvrage d’un riche vocabulaire sans peine. Au fur et à mesure de sa lecture, il se rendit compte qu’il avait déjà lu ce livre… Dans une autre langue… L’allemand. Et à cette époque, ils n’avaient pas encore trouvé le mythique artefact. Peut-être qu’en le lisant sous un autre angle, il découvrirait ce qui s’était passé avec Lauriers. Félix plaça l’énorme ouvrage sous son bras et décida de l’étudier chez lui.

Dans sa voiture, alors qu’il rentrait chez lui, il croisa plusieurs fourgons de police, toutes sirènes hurlantes, qui fonçaient dans la direction opposée. Félix les suivit des yeux par la fenêtre puis dans le rétroviseur. Sûrement quelque cambriolage matinal. Sa montre indiquait onze heures dix. Il loucha : il avait passé deux heures environ à trouver ce fichu bouquin et encore, il avait eu de la chance d’être tombé dessus si vite. Sans quoi d’autres journées de recherches auraient été à prendre en compte.

En parlant d’étudier le livre, il avait besoin d’une lectrice à l’esprit critique, pointilleux et à la mémoire infaillible. Seule Astrid était meilleure que lui dans ce domaine. Félix s’assura que la police était loin et sortit son portable. Elle risquait de ne pas aimer ce qu’il avait à lui demander, mais, qui ne tente rien...

Astrid n’était pas une lève-tard, il ne risquait pas de la déranger. Justement, une voix bien réveillée se fit entendre. Félix ne tourna pas autour du pot et lui annonça franchement pourquoi il avait besoin d’elle. S’ensuivit un petit moment de silence qui permit à Félix de se mettre de la cire dans les oreilles juste avant qu’elle ne réponde d’un ton colérique :

« Tu te fous de moi ? Dis-moi que tu es d’humeur blagueuse ! Rappelle-moi pourquoi monsieur Félix a loué un appartement à Paris sous une fausse identité ? Trouve autre chose, nous n’avons pas les billets d’avion pour tous les pays du monde, espèce d’inconscient ! De plus, la boîte est restée là-bas. Que comptes-tu faire sans elle ? Tu as oublié ce qu’il s’est passé ?

— Tu es dans la même merde que moi madame Astrid. Si tu refuses de m’aider, je comprendrais, mais tu n’auras jamais l’occasion de tirer la chasse. Je continue parce que je ne suis jamais resté sur un échec, riposta Félix.
— Ton humour est toujours à chier… »
— Et je l’aime comme il est. Écoute. Ou tu termines ce projet avec moi, ou tu te trouves un autre endroit où habiter puisque tu n’as pas l’air de vouloir vivre non loin d’un gars comme moi. Tu aimes ton métier tout autant que moi et tu as autant besoin d’argent que moi. Et quand bien même nous n’avons pas la boîte pour le moment. Nous retournerons là-bas la chercher, l’antiquaire ne la vendra pas. Passe me voir.

Astrid avait raccroché en râlant après quelques secondes de silence. Félix savait qu’il l’avait en partie convaincue et en cinquante-sept secondes seulement ! Il était tout content de lui. Arrivé devant son appartement, il se gara, descendit et se mit à s’imaginer une carrière d’avocat.

« Celui qui convainc par l’humour », ce serait une bonne affiche pour un journal non ? Pour une fois qu’ils auraient l’occasion d’écrire quelque chose d’intéressant.

Lorsqu’il fut monté dans son appartement, il était onze heures dix-neuf. Il ouvrit le journal qu’il avait acheté en s’affaissant sur une chaise de son salon. Il ne dira jamais assez qu’il haïssait la façon qu’ont les rédacteurs français d’écrire leurs foutus articles. Félix se dit qu’il pouvait aussi devenir journaliste pour leur apprendre comment rédiger. Même les passages traduits des interviews étrangères étaient incohérents avec le reste du texte, à croire qu’ils ne savent pas parler anglais… Tiens ! Cette histoire de « bête qui rôde dans les rues de Paris à la nuit tombée, guettant sa prochaine victime dans la fraîcheur mortelle du vent du soir » était revenue. Félix imagina un grand monstre qui gobait un par un les enfants en les attrapant avec son immense langue baveuse. Il envisagea de devenir créateur d’histoires pour gamins. Un conte de lézards géants digne de Jurassic Park devrait ravir certains.

« Une nouvelle victime de la bête ? » demanda le commissaire Lamy.

Lorsqu’elle eut repris un minimum de conscience, Emma avait attrapé d’une main tremblante son téléphone et avait contacté Laura au poste. Reconnaissant la détresse dans sa voix, celle-ci avait dépêché toute la brigade avec l’appui du commissaire sur les lieux.

« Oui.

— Jusqu’où cette histoire va-t-elle aller ?
— J’ai bien peur que nous ne traversions une bien sombre période. »

Emma n’était nulle part en vue. Une brigade d’intervention pénétra dans l’immeuble, puis dans l’appartement de Margot. Elle y trouva Emma sanglotant, les genoux au sol, devant le cadavre mutilé. Elle ne semblait pas plus vivante que son amie. Ses yeux fixaient le lointain sans bouger. Elle était sous le choc, c’était certain. La brigade fut soulagée qu’elle n’ait rien. Elle aurait pu très mal réagir et empirer la situation.

Pourquoi elle m’a laissé ?

Pourquoi elle m’a lâché comme ça ?

Emma marchait en suivant deux membres de la brigade qui l’épaulaient. Elle manqua de trébucher plusieurs fois dans les escaliers, mais elle ne revint pas à elle pour autant. Elle semblait toujours ailleurs, loin ailleurs.

Dès qu’elle sortit de l’immeuble, Laura accourut. Elle remarqua son état et appela un infirmier déjà sur place. Celui-ci affirma que Emma n’avait pas besoin de traitement et qu’il ne pouvait rien faire contre la douleur de la mort d’un être cher, sinon que de la mettre en relation avec un psychologue. Baptiste, assisté par Isaac, se présenta alors et proposa de la ramener chez elle. Laura interrogea l’infirmier du regard qui acquiesça et Emma fut guidée vers la voiture la plus proche.

L’inspecteur Dumas chargé de l’affaire arriva sur place et se dirigea vers le commissaire. Laura se rapprocha des deux hommes.

« Alors ? Nous avons quoi ? commença l’inspecteur.

— La bête a de nouveau frappé, l’informa M. Lamy.
— Jamais deux sans trois, fit remarquer l’inspecteur d’un air éreinté, ce qui provoqua l’ire de Laura.
— Avez-vous vu tant de scènes de crime au point d’en avoir perdu toute trace d’humanité ? Et de blaguer sur des gens qui se sont fait déchiqueter par une bête enragée parce que des inactifs comme vous font partie de la police ! s’indigna Laura qui haussa le ton. Vous devriez avoir honte de vos paroles !
— Est-ce qu’un cadavre émeut ceux qui ont l’habitude de l’antichambre ? répondit promptement l’inspecteur. »

Laura tourna le dos aux deux hommes puis déserta la zone, les laissant surpris par sa prise de parole si soudaine. Elle s’inquiétait pour son amie. Emma était renfermée, mais elle était forte. La policière savait qu’elle s’en remettrait. Mais à quel prix ?