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Angela, jeune femme réservée travaillant dans une petite boutique où elle guide et conseille, a toujours ressenti un profond décalage avec son entourage. À ses dix-huit ans, elle découvre un secret bouleversant : elle est un ange de la mort, une gardienne entre les mondes, héritière d’un don ancestral transmis de génération en génération. Son apprentissage, qui devait être orienté par sa mère, Maria, s’interrompt brutalement lorsque cette dernière disparaît dans un tragique accident. Angela tente de maîtriser son rôle, sous la tutelle d’Aldo, figure mystérieuse et haut gradé de leur congrégation. Cependant, une rencontre inattendue fait vaciller ses certitudes et réveille des sentiments qu’elle n’avait jamais connus. Alors que son destin semble tout tracé, elle devra choisir : écouter les murmures de son cœur ou suivre la voie imposée par son héritage. Quelle sera l’étendue du sacrifice qu’elle est prête à faire ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
D’une nature contemplative et rêveuse,
Zima Bekri a toujours cultivé une profonde affinité pour l’art et l’écriture. Dès son plus jeune âge, elle enchantait ses neveux et nièces avec des récits imaginés pour eux. C’est au détour d’une période de réflexion que s’impose à elle l’idée de son premier roman, "La confrérie des anges - Tome I", une œuvre qui explore avec délicatesse les mystères de l’âme humaine et les limites du merveilleux.
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Seitenzahl: 348
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Zima Bekri
La confrérie des anges
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Zima Bekri
ISBN : 979-10-422-5557-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Qui n’a jamais eu peur de la mort ? Elle nous effraie, nous évitons d’y penser, c’est un sujet tabou. Personne ne souhaite savoir à quel moment elle aura lieu. Nous vivons comme si nous n’allions jamais mourir, nous passons notre temps à nous plaindre, à angoisser pour telle ou telle raison. Nous ne profitons jamais assez du moment présent, nous rêvons du lendemain. Nous regrettons certains moments de notre vie puis nous nous disons que nous n’avons qu’une vie. Avons-nous une destinée ? Notre chemin est-il déjà tracé ? Nous pouvons nous poser la question, y songer. Avez-vous déjà entendu parler de l’ange de la mort ? Certains y croient, d’autres sont plus rationnels et essaient de se convaincre que ça n’existe pas. Certaines cultures pensent que c’est l’incarnation du mal, d’autres le voient comme le messager de Dieu. En réalité, l’ange de la mort est là pour aider. Le chemin de la destinée est bien tracé. Chacun est là pour une bonne raison, l’ange de la mort ne connaît ni le bien ni le mal. Son devoir est d’aider les âmes, les conduire vers ce nouveau chemin…
Il existe plusieurs anges de la mort, j’aime plutôt le terme ange de la destinée. Les anges de la mort ne sont pas choisis au hasard, on leur inculque depuis l’enfance leur rôle dans ce monde. Nous sommes des personnes tout à fait normales, nous avons un métier, une vie, nous nous fondons dans le décor. Ce don se transmet de génération en génération. Ma mère était un ange de la mort. Les anges de la mort meurent comme tout le monde une fois leur mission terminée. Notre chemin est également tracé. Peu de personnes sont au courant, seuls les anges entre eux se connaissent. Nous n’avons pas le droit de parler de notre mission avec quiconque mis à part notre congrégation. Nous avons des responsabilités, personne ne pourrait comprendre pourquoi nous agissons de la sorte. Personne ne veut voir un être cher mourir.
Jusqu’à présent, je n’avais pas rencontré de difficultés à concilier mon travail de mortel et mon don. Mais un simple nom peut tout faire basculer.
Je m’appelle Angela, je suis brune, les cheveux mi-longs, ils m’arrivent aux épaules, les yeux noisette et en amande, le teint pâle. Je mesure un mètre soixante et cinquante kilos. Comme chaque matin, je me lève à sept heures et demie pour me préparer et aller au travail. Je suis vendeuse dans un petit magasin de vêtements mixtes depuis plus d’un an. Je vis dans une maison familiale au centre de Porto avec mon père Fernando. Chaque jour, mon père me prépare un petit déjeuner pour bien commencer la journée. Il est à la retraite et depuis le décès de ma mère Maria, je suis la seule personne qui lui reste. Mon père connaît mon don et connaissait celui de ma mère. Il est très compréhensif et m’aide parfois, comme il le peut, dans cette lourde tâche. Mon père n’est pas très grand, il mesure un mètre soixante-douze, il est plutôt fin. Il a les cheveux noirs et ondulés, les yeux noirs, le teint hâlé. Il était maçon pour une entreprise, il y a travaillé toute sa carrière.
Après une douche matinale, je descends le rejoindre pour commencer ma journée. Je bois un bon café, je me rends au travail comme chaque jour. Ma vie est simple, je conseille les clients, les guide et les encaisse. Je m’occupe aussi du réapprovisionnement. C’est une petite boutique tendance, qui fonctionne très bien, je travaille seule avec la directrice Marisa. Jusque-là, ma vie était très ordinaire, mais le jour de mes dix-huit ans j’ai reçu le don de l’ange de la mort. Ma mère m’avait toujours expliqué que notre chemin était tracé, que nous n’étions pas là par hasard, que chacun avait une mission, elle me parlait toujours avec des sous-entendus plus ou moins révélateurs de ce qui m’attendait. Je me souviens encore de ses mots qui résonnent dans ma tête : « Angela, tu es spéciale, tu vas accomplir de grandes choses. » Si j’avais su quel genre de mission c’était, je ne suis pas sûre que j’aurais approuvé. J’ai dix-neuf ans, cela fait maintenant un an que j’exerce ce don.
Parfois, je me demande pourquoi moi ? Pourquoi dois-je faire ça ? Nous ne connaissons ni le bien ni le mal pour ce qui concerne la mort, mais en tant que mortel, nous avons des sentiments comme tout le monde. Nous avons les mêmes tourments, les mêmes questions en ce qui concerne la vie. Je me souviens encore de la première fois. C’était un jour d’hiver plutôt ordinaire, en réalité, c’était mon anniversaire, je suis née le douze janvier. Le temps était maussade, il y avait un brouillard épais qui empêchait de voir plus loin qu’à deux mètres, il pleuvait légèrement, un peu comme si quelqu’un avait installé un brumisateur dans le ciel. La pluie était fine, mais assez condensée pour mouiller. J’étais couchée sur mon lit à regarder dehors les gouttes d’eau ruisseler doucement sur ma fenêtre, ça m’apaisait, je me sentais comme dans une bulle et j’aurais pu rester des heures à contempler ce spectacle. De ma chambre, on pouvait voir les cimes des autres maisons en contre bas. J’entendis ma mère monter les escaliers en bois, ils grinçaient tellement qu’il était impossible de ne pas entendre quelqu’un les grimper. Elle s’arrêta devant ma porte et frappa. Après lui avoir dit d’entrer, elle vint s’allonger à côté de moi sur le lit, elle faisait souvent ça quand elle avait besoin de me parler. Elle savait que je pouvais rester des heures à admirer l’extérieur par ma fenêtre et elle était sûre de me trouver dans ma chambre. Je ne sors jamais, je n’ai pas vraiment d’amis, je connais du monde, mais personne ne m’intéresse et je n’intéresse personne. Elle avait un air sérieux et semblait anxieuse, j’ai tout de suite compris qu’elle voulait me parler d’un sujet important. Elle se mordit les lèvres nerveusement, laissant apparaître les traces de ses dents avant de commencer et se redressa sur le lit pour me regarder. Je me redressai à mon tour, voyant qu’il s’agissait de quelque chose de vraiment important. Au début, elle cherchait ses mots, essayait de trouver une façon douce de m’annoncer la chose. Elle avait commencé à me dire que j’étais différente des autres.
Bon ça, je le savais déjà. Que dans notre famille, de son côté, nous avions un don qui était transmis de génération en génération et qu’il ne fallait pas que j’en aie peur. Elle m’y avait déjà un peu préparée depuis l’enfance, mais sans jamais réellement dire de quoi il s’agissait. Maintenant, j’étais assez mûre pour comprendre et pour qu’elle me le dévoile. Ce don consistait à guider les morts, enfin leur âme. Qu’aujourd’hui c’était non seulement mon anniversaire, mais aussi le jour de ma consécration. Chaque ange reçoit le don le jour de ses dix-huit ans et c’était à mon tour. Ma mère n’était pas du genre à tourner autour du pot. Au début, je ne comprenais pas, qu’attendait-elle de moi ? Au fond, je le savais, j’avais vu ma mère des milliers de fois disparaître et revenir quelques heures plus tard avec des yeux tristes et vides. Mais pourquoi moi ? Elle m’expliqua que ce n’était pas pour faire le mal, nous étions là pour guider les personnes qui allaient mourir. Sa mère lui avait inculqué cela et c’était à son tour maintenant. C’est comme ça qu’elle m’emmena à ma première réunion à la congrégation.
Elle toucha le collier qu’elle avait autour du cou, c’était un croissant de lune brillant qui semblait être taillé dans du diamant. Je m’étais toujours demandé pourquoi elle le portait constamment. Il me fascinait à chaque fois, j’étais attiré par lui. Quand je lui posais des questions dessus, elle me répondait toujours qu’elle m’expliquerait plus tard comment elle l’avait eu et que moi aussi j’en posséderais un, je comprends mieux maintenant. Un halo de lumière blanche apparu, il envahissait toute la pièce, je restais figée et perplexe de voir une chose pareille. La lumière était si pure et si absorbante. Tout ce qui était dans ma chambre était comme figé dans le temps. Je me sentais captivée par cette lumière, je sentais le besoin d’y aller. Elle me prit par la main et me dit de ne pas m’inquiéter qu’elle serait là avec moi et qu’elle ne me lâcherait pas. J’avais confiance en elle, alors j’acquiesçais et acceptais de la suivre. Nous sautâmes dans le halo.
Nous avions atterri dans une sorte de grotte. Je regardais autour de moi cet endroit en pierre que je ne connaissais pas, mais qui me semblait si familier. Il y avait beaucoup de monde, je ne m’attendais pas à ça. Elle ne m’avait pas vraiment expliqué, je pense qu’elle voulait que je voie pour mieux comprendre. Il y avait des débutants comme moi et d’autres de tout âge. Elle m’expliqua que tous les novices étaient nés à la même date que moi et qu’eux aussi allaient recevoir ce jour le don. Ils sont de toutes les villes et ce lieu est celui de notre rassemblement. Les autres plus âgés étaient là en tant que témoins de notre consécration, tout comme elle. Ma mère est mon introductrice, autrement dit ma marraine, c’est elle qui va me guider dans mes premières missions, m’aider à franchir les paliers et m’apprendre tout ce qu’il y a à savoir sur notre histoire.
Elle me présenta Aldo, c’est le haut gradé de notre congrégation. Il me fixa un moment. Je dus baisser les yeux, car j’étais gênée qu’il me regarde ainsi, comme un trophée. Il était grand et filiforme. Il était impossible de lui donner un âge. Il était comme figé dans le temps. Il était là pour informer les novices de leur premier mort. C’est lui qui dirige la congrégation de notre pays et vient en soutien à notre introducteur. Le lieu était seulement éclairé par des bougies. Il y en avait posées sur les tables et d’autres maintenues au mur par des sortes de chandeliers noirs. Les murs étaient en pierres apparentes, d’ailleurs l’intégralité de cet endroit était en pierre. Les plafonds étaient très hauts et voûtés. Il faisait sombre, il y avait un pupitre en bois au fond assez large, un placard en bois vitré où on distinguait mal ce qu’il y avait dedans, il semblait y avoir de vieux livres qu’il fallait conserver, des bancs en bois devant le pupitre et sur les côtés de grandes bibliothèques en bois pleines de livres qui montaient jusqu’au plafond et une échelle de chaque côté pour récupérer les livres les plus hauts.
Au-dessus de ce placard, il y avait des portraits de personnes, sans doute tous ceux qui ont été hauts gradés de cette congrégation. Il y avait d’ailleurs une photo d’Aldo. Il y avait une espèce de grosse pierre ronde magnifique entre les différents portraits. Ça ressemblait à du diamant duquel ressortait une lumière intense qui aidait à éclairer la pièce. Il ressemblait au collier de ma mère. Il y avait une autre salle, ça semblait être un lieu de partage. Il y avait des fauteuils et des tables rondes en bois foncé un peu comme dans un bar. C’était assez grand, il y avait une dizaine de tables rondes. Au fond, il y avait une porte en bois couleur ébène très imposante, les loquets d’ouverture étaient rouillés et représentaient une demi-lune. Elle était encastrée dans une voûte en pierre, de chaque côté des chandeliers noirs, elle était fermée, comme pour cacher ce qu’il y avait dedans. Ma mère qui avait vu mon regard interloqué me glissa doucement que c’était le bureau d’Aldo, personne ne peut y entrer sans y être invité. C’était un endroit chaleureux, mais qui glaçait le sang en même temps. Ça sentait le vieux livre humide, nous pouvions ressentir qu’il y avait eu beaucoup de passage à travers les temps. D’ailleurs, le mobilier était plutôt vieillot, comme si ça faisait des siècles qu’il était installé. Nous nous sentions bien malgré le fait qu’il ne fasse pas bien chaud. En réalité, je n’arrivais pas à déterminer s’il faisait vraiment froid et humide ou si c’était le simple fait du lieu qui faisait cet effet.
Aldo se dirigea vers le pupitre, nous demanda de tous nous asseoir, puis prit la parole d’une voix ferme et grave :
— Vous n’êtes pas ici par hasard, vous êtes des privilégiés. La lune est notre fondatrice, c’est elle qui nous a créés. C’est d’elle que nous vient notre don, qui est unique. La terre nous accueille ici pour l’aider dans sa quête de survie. Elle a besoin de nous pour créer un monde meilleur et nous, nous sommes là pour lui venir en aide. Vous ne comprenez peut-être pas encore le sens de votre mission. Mais ne vous inquiétez pas, vos introducteurs sont là pour vous initier à tout ça. Nous sommes là pour vous et au fur et à mesure de votre évolution, vous apprendrez différentes choses de notre histoire. Il est temps pour vous, jeunes novices, de rentrer dans ce nouveau monde. Vous êtes là pour accomplir de grandes choses, c’est votre destinée. Vous ne pouvez pas y échapper. Ce don vous est transmis de génération en génération. N’ayez pas peur de qui vous êtes. Nous ne sommes pas là pour faire le mal. Notre travail est de guider les âmes. Nous entrons dans les esprits des personnes qui doivent aller vers la lumière, pour les guider, leur montrer qu’ils ne craignent rien.
Il n’y avait pas un bruit. Aldo est quelqu’un de très respecté. Il se dirigea d’un pas décidé vers l’armoire vitrée qui se trouvait derrière lui, les portes avaient grincé quand il les ouvrit, cette armoire avait dû subir les vestiges du temps, elle paraissait très vieille. Il y récupéra le nombre exact de colliers qui étaient dans un écrin noir en velours pour chacun des novices ainsi qu’un énorme livre noir orné de symboles argentés. Il y avait des pleines lunes, des croissants de lune et des demi-lunes. Il posa le livre fermé sur le pupitre. Ce livre est notre bible, mais seuls les hauts gradés peuvent l’utiliser. Il nous est interdit d’y toucher. Chaque novice devait passer chacun à son tour pour le signer, connaître sa première mission et se voir attribuer un collier. Aldo nous appela les uns après les autres. Nous étions neuf nouveaux membres. Vint mon tour, je m’approchais d’un pas chancelant, ma mère à mes côtés. Je me rappellerais toujours mon angoisse, ce n’était pas spécialement le fait d’avoir un don, mais plutôt ce que je pouvais en faire. Mon cœur se resserrait à chacun de mes pas, des frissons envahissaient mon corps. Il me confia la mort d’une dame de quatre-vingt-neuf ans qui était très malade.
— Voilà ta première mission Angela, cette femme a assez souffert, il est temps pour elle de rejoindre la lumière. Ta mère va t’accompagner dans cette première mission pour te montrer la marche à suivre. C’est ton introductrice, elle est là pour te montrer le chemin, mais sache que moi aussi je suis là en plus d’elle si tu en ressens le besoin. Pose ton pouce gauche sur la couverture du livre en guise de signature.
J’obéissais. Le livre s’intitulait : Le secret des anges, c’était noté avec une belle écriture en arabesque argentée. Après avoir enlevé mon doigt, une trace brillante de couleur argent apparut et disparut aussi sec. Je restais bouche bée, Aldo parut satisfait. Il m’expliqua que la congrégation devait rester secrète, qu’en signant je faisais vœu de faire partie de cette confrérie. Il me fit réciter comme aux autres un sermon : « Je fais vœu devant la lumière et l’obscurité de garder le secret et de m’engager à guider les âmes égarées. » Je m’engageais également à ne pas utiliser mon don à des fins personnelles, à toujours écouter mon haut gradé et à ne pas le confronter sous peine de sanctions.
À l’intérieur de mon être, je frissonnais, comment pourrais-je faire cela ? Cette femme avait une famille, pourquoi devrais-je-lui ôter la vie ? Est-ce que j’en serais capable ? Aldo vit sur mon visage cette angoisse qui me prenait jusqu’aux tripes.
— Ne t’inquiète pas Angela, tout se passera bien, tu n’es pas là pour faire le mal, tu dois la guider. Son heure est venue.
Un des symboles du livre s’illumina, Aldo prit un collier dont le symbole était identique à celui qui s’était allumé, un croissant de lune comme celui de ma mère. Il fit une drôle de tête. Ses traits s’étaient crispés, laissant apparaître les rides de son visage. Il me dévisagea un court instant comme s’il savait quelque chose que j’ignorais.
— Un croissant de lune, tu dois être spéciale, très peu de personnes héritent de ce pendentif. Tu es la deuxième que je connaisse, dit-il avant de reprendre en regardant ma mère suspicieux. Voici le collier que nous t’offrons, ce collier est magique, il te permet de te rendre dans l’esprit des personnes à guider. Ce collier te permettra aussi de te rendre à la congrégation, quand il s’illumine c’est que nous devons nous réunir ou que tu dois guider quelqu’un ou que je te convoque. Tu verras la différence des appels avec le temps. C’est ton seul moyen de transport jusqu’ici, sans lui, tu ne peux pas venir et tu ne peux pas en sortir seule. Tu dois toujours le garder sur toi, vous ne devez faire qu’un. La congrégation est située en dessous du Douro, personne ne peut trouver cet endroit. Il est inaccessible et enfoui afin de ne pas être découvert par les sans lumières et ainsi être protégé.
Je regardais autour de moi, je n’aurais jamais imaginé qu’il existait un lieu pareil. C’était donc ça cette humidité et cette odeur de vieux livre. Je me reconcentrais et regardais le collier qui venait de m’être attribué. Il était magnifique, c’était un très beau croissant de lune argenté. Il ressemblait étonnamment à la pierre qui aidait à éclairer la pièce. Il paraissait être taillé au même endroit. Le reste du collier était en pierre noire. Je le contemplais. J’avais beaucoup de mal à en détourner le regard, comme s’il m’envoûtait. Celui de ma mère me faisait cet effet-là, mais pas autant que le mien. Il semblait être taillé juste pour moi.
— La lune nous donne de la lumière dans l’obscurité, dit ma mère. Prends-la dans ta main gauche, elle nous guidera là où nous devons aller.
J’ai donc mis ma main gauche sur le collier, non sans crainte, comme elle me l’avait dit, une lumière éclaira toute la pièce, tout comme celle qui était apparue dans ma chambre, nous sautâmes dedans. Nous arrivâmes dans l’esprit de cette dame de quatre-vingt-neuf ans. Elle s’appelait Solange. C’est étrange cette sensation. Nous sommes comme enveloppés dans un nuage, nous nous sentons bien, tout est blanc autour de nous, il y a une lumière blanche qui éclaire, mais qui semble un peu plus loin. Il fait chaud, mais ce n’est pas étouffant. C’est vers cette lumière que les âmes doivent se rendre pour trouver la paix. C’est tellement beau, ça ressemble à de la neige, mais sans le froid. Nous pouvons nous voir entièrement, marcher, parler comme nous pourrions le faire normalement, sauf que là, la seule personne qui nous voit et qui nous entend, c’est celle que nous devons guider. Quand nous rentrons dans l’esprit de quelqu’un, nous avons conscience de tout ce que cette personne a vécu, nous connaissons sa vie dans les grandes lignes sans même la connaître, ce qui nous permet de mieux la comprendre et surtout de la guider au mieux. C’est dû au fait que nous sommes dans son esprit et que nous ressentons ce qu’elle ressent. Après une courte hésitation et comme si c’était inné, je lui dis d’une voix douce :
— Solange, vous avez déjà assez souffert, il est temps pour vous de rejoindre votre mari et d’aller vers la lumière. N’ayez crainte, je suis là pour vous guider. Il vous attend, laissez-vous aller, ne pensez plus à rien, vous avez déjà fait le plus grand des chemins, il est temps pour vous de vous reposer.
Peu à peu, Solange se laissa aller pour retrouver la lumière. Je la guidai en lui tenant la main jusqu’au bras de son cher mari qui l’attendait. Elle était rayonnante et elle souriait, heureuse de retrouver l’être aimé. Quant à moi, j’avais les yeux remplis de larmes, le cœur serré comme dans un étau, j’avais chaud, la gorge nouée. J’essayais de ne pas craquer devant elle, il fallait que je reste forte pour ne pas qu’elle se sente triste aussi. Ma mère me regardait faire un peu plus loin, je sentais son regard sur moi, plein de complaisance, et là, j’éclatai en sanglots quand Solange avait enfin retrouvé son amour. Ma mère me consola en me disant que cette pauvre dame avait déjà accompli sa destinée. J’étais triste, mais je ressentais aussi une certaine plénitude. Une fois son âme guidée, nous sortions de nous-mêmes de l’esprit de cette dame en reprenant le collier en main et en nous retrouvant à l’endroit exact d’où nous étions parties.
Ma mère est morte un mois après ma consécration. Son chemin était tracé ; elle savait qu’un jour l’heure de sa mort viendrait, comme nous tous. Elle ignorait juste la façon dont elle allait mourir et la date exacte. Elle a eu un accident de voiture. Elle était seule et un ange de la mort était venu pour la guider. Je ne comprenais pas pourquoi on me l’avait arrachée, pourquoi cela m’arrivait-il ? Je n’étais pas prête, c’était trop soudain. Nous ne nous remettons jamais de la mort d’un être cher et encore plus quand il s’agit de notre mère. Je sentais un grand vide en moi comme si quelqu’un m’avait arraché mon âme.
Je me rappelle encore ce jour ; il restera gravé en moi. C’était un samedi. Je rentrais du travail après une journée éreintante. Il y avait eu beaucoup de monde, si bien que nous avions eu du mal à fermer boutique. J’étais heureuse de rentrer chez moi après cette journée difficile. Ce soir-là, nous devions aller au restaurant mon père, ma mère et moi pour fêter mon premier mois en tant qu’ange. Ma mère y tenait tout particulièrement, car c’est ce qu’avait fait sa mère avec elle. Elle tenait à perpétuer la tradition. Elle disait que c’était ce qui permettait de ne pas oublier qui nous sommes et d’où nous venons. Il pleuvait à torrents. J’avais du mal à tenir mon parapluie tellement le vent était violent. Mes bottes en cuir, un peu usées, glissaient sur les pavés. À chaque pas, j’avais peur de me fracasser le crâne au sol. J’arrivais enfin devant chez moi. Je sortis mes clés de mon sac à main noir que mes parents m’avaient offert pour mes dix-huit ans. J’ouvris notre grosse porte en bois qui paraissait peser une tonne. Je laissais mon parapluie à l’entrée, un seau y était installé exprès en cas d’intempérie, je posais mon blouson sur une des patères fixées au mur de l’entrée. J’enlevais mes chaussures trempées que je laissais sur le paillasson de l’entrée non sans mal. J’avais piétiné toute la journée et mes pieds me faisaient souffrir, l’eau qui était rentrée dans mes bottes n’arrangeait rien à la chose. Mes chaussettes mouillées laissaient des traces humides sur le sol. Je marchais à pas feutrés pour ne pas glisser. Mon père était assis sur notre vieux canapé marron en tissus en train de lire le journal appuyé sur un des accoudoirs en bois, je l’embrassai sur le front avant d’aller me préparer.
Il était déjà plus de dix-neuf heures. Ma mère n’était pas là, mon père m’expliqua qu’elle était sortie. Aldo avait eu besoin d’elle pour une affaire, elle devait le rejoindre chez un ange, elle ne lui en avait pas dit plus, en lui disant qu’elle nous raconterait ce soir, qu’elle se dépêcherait pour rentrer pour être à l’heure. Il était déjà vingt heures trente, la réservation était pour vingt et une heures, papa commençait à se demander ce que pouvait bien faire ma mère, j’avoue que nous commencions à nous inquiéter. J’avais essayé d’appeler sur son portable, mais je tombais sur le répondeur. Ce n’était pas l’habitude de ma mère, ce qui nous inquiétait encore davantage. Nous faisions les quatre cents pas, le parquet déjà bien abîmé grinçait sous chacun de nos pas. Le téléphone de la maison sonna, ce qui nous fit sursauter. C’était Aldo qui nous demandait si ma mère allait bien, car elle n’était pas venue à leur rendez-vous et il commençait à s’inquiéter, ce n’était pas dans son habitude. Mon cœur battait la chamade, j’avais les mains moites, je pressentais que quelque chose était arrivé. Mon père essayait d’être rassurant en disant qu’elle avait sûrement croisé quelqu’un qu’elle connaissait et qu’elle n’avait pas fait attention à l’heure. Mais il avait beau faire le fort, je ressentais son angoisse et ça me faisait stresser encore plus. Vingt-deux heures, toujours aucune nouvelle, nous avions appelé tout notre répertoire, personne n’avait vu ma mère. J’avais mal à la tête à force de réfléchir et d’angoisser. Je sentais une veine battre sur mon front, chaque coup en accentuait la douleur. J’avais la mâchoire serrée et tout mon corps était crispé. Tout à coup, la sonnerie du téléphone retentit, mon père prit le combiné et d’une voix tremblante, répondit sans grande conviction. Son regard changea complètement, le combiné glissa de sa main pour tomber sur le sol en faisant un bruit sourd sur le parquet. Il tomba sur les genoux, à terre, les mains sur son visage et éclata en sanglot. C’était comme si quelqu’un lui avait arraché le cœur. Il me regarda et je n’eus besoin d’aucun mot pour comprendre. Je restais figée, je n’arrivais plus à bouger comme si je n’étais plus maître de mon corps. Tout mon être était comme glacé. Il m’expliqua entre deux sanglots que ma mère avait eu un accident et qu’elle n’y avait pas survécu. J’entends encore sa voix résonnant dans ma tête. Rien que d’y repenser, les larmes m’envahissent.
Ce fut le jour le plus horrible de toute ma vie. On m’avait ôté ma force de vivre et à mon père l’amour de sa vie. Mon cœur s’est éteint quand j’ai perdu ma mère. Quant à mon père, sa lueur avait disparu comme emporté par sa peine. Un ange de la mort pouvait mourir, je le savais, mais pourquoi si tôt ? J’allais voir Aldo pour qu’il m’explique. Où était ma mère ? Pourquoi elle ? Je ne pouvais pas me résigner à la laisser partir. J’étais dans une rage folle. Peut-être qu’il aurait une solution pour changer le cours des choses et me ramener ma mère.
— Angela, dit-il, nous sommes là pour guider, mais nous avons aussi une destinée, nous sommes mortels jusqu’à ce que notre âme se sépare de notre corps.
— Pourquoi ? Pourquoi elle ? dis-je en criant, entre deux sanglots.
— C’était écrit : ta mère devait mourir, il n’y a pas d’explication logique ; elle a accompli ce qu’elle devait accomplir dans ce monde.
J’étais dévastée de chagrin, je ne voulais pas y croire, une partie de moi m’avait été arrachée.
— Cela veut dire que je ne la reverrai plus jamais ? dis-je en réalisant qu’Aldo ne pouvait rien pour moi.
— Si, dit-il, quand l’heure de ta mort viendra. Ta mère fait partie d’un autre monde, un monde où seules les âmes peuvent se rendre. Tu as un grand dessein à accomplir. Ne pleure pas ta mère, elle est bien là où elle est.
Comment pouvait-il oser me demander de ne pas pleurer, c’était ma mère, mon regard, se noircit, ce qui ne laissa pas Aldo de marbre. Il paraissait presque heureux de mon malheur. Je m’ôtais cette idée de la tête, je savais qu’Aldo n’était pas quelqu’un de démonstratif et qu’il était sûrement chagriné lui aussi.
— Angela, je comprends ta tristesse, je ne peux pas t’en dire plus. Sache que ta mère est bien là où elle est.
Ces mots résonnaient en moi, que voulait-il dire par elle est bien où elle est. Je rejoignis mon père, il m’expliqua que les anges de la mort étaient voués à une autre vie. Il était anéanti, je sentais que sa gorge se serrait. Nous pleurâmes ensemble. Le deuil fut une étape extrêmement compliquée pour nous. Le choc avait été tel que nous étions dévastés. Mon père essayait d’être fort devant moi, mais je l’entendais pleurer tous les soirs, ce qui me rendait encore plus triste que je ne pouvais l’être. Voir mon père dans cet état me rendait malade. Son visage avait pris dix ans d’un coup. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu de lui si je n’avais pas été là. Aurait-il continué à vivre après la perte de son grand amour s’il n’avait pas eu d’enfant ? Il me disait souvent que j’étais sa force et que c’était moi qui l’empêchais de sombrer. J’essayais d’être forte aussi pour lui, mais chaque soir moi aussi je pleurais en repensant à ma mère. J’avais récupéré son foulard gris en soie pour avoir tout le temps son odeur avec moi, je passais mon temps libre à le sentir, c’était comme une drogue, chaque bouffée me donnait l’impression qu’elle était là, à mes côtés. Son parfum s’estompait peu à peu, comme s’il restait imprégné le temps que je fais mon deuil et qu’il s’atténuait lentement avec l’espoir que je retrouve goût à la vie. Quant à son collier, quand nous mourrons, il se désagrège instantanément, c’est une sorte de système de protection pour qu’il n’atterrisse pas dans n’importe quelles mains. J’aurais tellement aimé l’avoir, mais je comprenais que notre don devait rester secret et qu’il en était mieux ainsi. Personne ne devait connaître notre existence.
Pendant quelque temps, mon collier ne s’illumina plus, le temps que je puisse faire mon deuil peut-être.
Ma directrice m’avait ordonné de prendre un mois de congé pour mon bien, je ne savais plus quoi faire, comment vivre sans ma mère, j’étais en colère, hors de moi. Je me demandais comment continuer, si je ne devais pas arrêter ces missions, je ne m’en sentais plus le courage. Certes, j’aidais les gens en les guidant vers la lumière, mais je faisais souffrir ceux qui restaient. Après un mois de deuil intense, j’étais encore loin d’être remise, mon collier s’illumina, je le pris de la main gauche, et me retrouvai face à Aldo en un claquement de doigts.
— Angela, je sais que tu te poses des questions, mais tu as fait un serment et tu ne peux pas revenir en arrière, c’est ta destinée.
— Mais si je ne veux pas de cette vie ?
— Tu n’as pas le choix, tu as été choisi, tu es triste, mais ne t’inquiète pas, ton chagrin va s’estomper. Ta mère le savait et ta grand-mère aussi, ta mère s’est posé les mêmes questions que toi à la mort de sa mère et par la suite elle a compris que c’était son destin. Ce n’est pas un mauvais don, c’est vrai que les personnes qui restent sont tristes, mais celles qui vont vers la lumière sont heureuses et c’est ça le plus important. Quand tu seras prête, ton collier s’illuminera de nouveau.
C’est à ce moment-là que je compris que je n’avais pas le choix, ce chemin était tracé pour moi, c’est ce que je suis, mon moi le plus profond. Je ne pouvais pas faire machine arrière. J’étais née pour ça. En réalité, si nous ne répondons pas à nos missions, tout notre être est en souffrance. Nous sommes dans l’obligation de faire ce à quoi nous sommes destinés, il n’y a pas d’échappatoire.
Quelques mois plus tard, mon pendentif se remit à s’illuminer. J’avais déjà repris le travail depuis trois mois et m’affairais dans ma tâche pour oublier tous ces évènements. Le soleil d’été était au rendez-vous, mais nos cœurs étaient toujours tristes. Avec mon père, nous parlions beaucoup de ma mère. C’est bizarre, mais le fait d’en parler nous aidait. Je pense que c’était une étape importante, pour faire notre deuil, de nous remémorer les souvenirs que nous avions d’elle. Ça nous permettait de ne pas l’oublier et en quelque sorte de la faire vivre à travers nous. Bien évidemment, ce n’était pas sans larmes, mais nous en avions besoin pour ne pas sombrer. Son décès avait été tellement soudain, tellement rapide que nous ne savions pas comment arriver à nous en remettre. Tout notre monde s’était écroulé, tout s’était éteint autour de nous en une fraction de seconde. J’avais du mal à évacuer cette colère en moi. Elle était de plus en plus forte, mais avoir cette haine ne changerait rien et ne me ramènerait pas ma mère. J’essayais de la combattre, mais c’était tellement difficile. J’en avais presque oublié mon don, la routine s’était installée : j’avais une vie ordinaire sans rebondissement. Je vivais pour mon travail sans aucun autre but.
Mais le pendentif était là pour me rappeler que j’étais chargée d’une mission, je ne pouvais pas lutter contre ce que j’étais. Mon don me rattrapait, je n’avais pas d’autre alternative. À chaque fois que je regardais ce pendentif, je savais que je ne pouvais pas combattre ce qui avait fait de moi un ange de la mort. Ce don était ma destinée et il était impossible de m’en soustraire. Je repensais à la mort de ma mère et à toutes ces missions que je devais faire, cela me rendait triste. Elle ne serait plus jamais là et ne pourrait pas non plus m’aider dans ma tâche. Il ne se passait pas une nuit sans que je ne rêve d’elle, comme si elle venait me voir pour m’aider dans ma quête. Elle apparaissait comme une grande lueur blanche, je ne voyais que son visage, souvent je me réveillais en sanglot, j’avais des sueurs froides, mon cœur battait à toute allure. J’entends encore sa voix. Je pouvais toucher son visage, sentir chacun de ses traits fins et chacune de ses ridules, sentir son odeur. Je sens encore ses lèvres chaudes toucher mon front humide de sueur et sa douce voix me dire : « Angela, ma fille, je serai toujours là pour toi, n’oublie pas qui tu es, n’oublie pas que tu es spéciale. Nos actions font de nous ce que nous sommes. Ne me pleure pas, je suis bien là où je suis, nous nous retrouverons un jour, mais pour l’instant, vis ta vie sans songer au passé, ne te laisse pas dévorer par la haine et le chagrin. » J’aurais tellement voulu lui répondre, mais au moment où je pouvais enfin lui parler, où mes mots arrivaient enfin à sortir de ma bouche, elle disparaissait. C’est ce qui me réveillait en sursaut, mes draps humides de la sueur de mon corps. Pourquoi disparaissait-elle si vite, j’avais tellement de choses à lui dire, de craintes, d’interrogations. Je sanglotais tellement que ça réveillait mon père qui montait chaque nuit en courant dans les escaliers pour me consoler.
Cela fait maintenant un mois que mon collier s’est illuminé de nouveau, j’ai eu diverses missions, toutes similaires, des personnes âgées malades pour qui il était temps de rejoindre la lumière. Elles avaient déjà toutes accompli leur destinée. Chaque victime de mon don me rendait plus triste et furieuse de jour en jour. Je savais que ce n’était que le début, pour l’instant en tant que novice, je n’avais pas encore eu de jeunes personnes ou même d’enfants, je n’étais pas encore prête pour cela. Comment pourrais-je ôter la vie à des âmes si jeunes. J’avais l’impression d’être un monstre, ça me tourmentait l’esprit, me donnait la nausée. Mon père était là pour me rappeler que ce don n’était pas horrible comme je le prétendais, mais que c’était un don pour aider. Aider ? Sérieusement, était-ce aider les gens que de les emmener vers la lumière alors qu’ils pourraient encore vivre ? Quel genre de personne a envie de mourir ? Ne préfère-t-on pas la vie ? Voilà les questions qui me torturaient l’esprit.
Aldo était là pour m’appuyer, il est devenu mon introducteur après le décès de ma mère. À chaque fois qu’il sentait en moi tous ces doutes, il m’appelait pour que je vienne le voir à la congrégation. J’avais beaucoup de chance de l’avoir.
— Angela, tu doutes de toi, mais il ne faut pas.
— Mais j’ai la sensation d’être un monstre, pourquoi m’avoir donné ce don ?
Je fermais les yeux, serrais les poings au point d’en sentir chacun de mes ongles s’enfoncer dans la paume de ma main et me mordais les lèvres tellement fort que c’en était douloureux, pour contenir cette rage en moi.
— Personne ne te l’a donné, il est dans ta famille depuis des générations, ce don fait de toi ce que tu es. N’en aie pas peur, je t’ai déjà expliqué que tu ne fais pas le mal.
— Pas le mal ? Je dirige les âmes vers la mort, ce n’est pas quelque chose de mal ?
— Non, ce n’est pas toi qui les tues, elles ont accompli leur destinée, tu les aides et les guides vers un monde meilleur. Je comprends que cela te rende triste, mais ton don fait partie de toi et tu n’as pas le choix. C’est inné, tu apprendras à vivre avec. Pour l’instant, cela te semble compliqué, mais tu verras au fur et à mesure que le temps passera, ta tristesse s’estompera.
Aldo avait raison, plus il me conseillait au fil des mois et plus mon pouvoir devenait naturel. Je commençais à ne former qu’un avec lui. Je faisais du mal au vivant en leur ôtant un être proche, mais je voyais le bienfait sur les âmes. Et le plus important c’est ceux qui vont vers la lumière, car ils ont besoin de savoir que leur chemin est achevé et qu’ils peuvent maintenant aspirer à un autre dessein.
Mon instinct d’ange était de plus en plus développé, je me sentais moins triste, car je m’étais rendu compte que ce don n’était pas malveillant, mais qu’il servait. Il m’est même arrivé de rêver de ces personnes qui venaient me voir dans mes rêves pour me remercier. Peut-être n’était-ce que des rêves ou peut-être que les âmes venaient vraiment me voir pour me remercier de les avoir menés sur ce chemin. Étrangement, ces rêves me faisaient déculpabiliser, ils m’aidaient à aller de l’avant et me poussaient même à aimer mon don. Je n’étais pas comme tout le monde, je n’étais ni ordinaire ni extraordinaire. Je menais une vie normale à une exception près, je facilitais l’accès à la lumière.
J’aurais tellement aimé vivre ça avec ma mère, elle avait tellement de choses à m’apprendre, mais malheureusement je n’aurais jamais son enseignement. Cela me peinait, j’avais très peu de monde dans ma vie. Je n’ai pas beaucoup d’amis, mis à part ce que je me suis fait à la congrégation lors de ma consécration. Je sors très peu, sinon pour les voir, je passe ma vie entre le travail à la boutique et mon travail de guide. Je suis plutôt du genre solitaire. Mon père me dit souvent qu’il faut aussi que je mène ma propre vie qu’il n’y a pas que le travail qui compte. Il aimerait tellement que je rencontre quelqu’un, que je sorte un peu plus, que je fasse des choses de mon âge. Mais je ne suis pas quelqu’un de normal. Je ne peux révéler mon secret à personne, heureusement mes amis de la congrégation sont là pour moi. Lorsque ma mère est décédée, ils ont été très présents. Puis le temps passe et nous avons beaucoup de mal à concilier nos agendas. Cette vie d’ange mélangée au travail laisse peu de place pour les sorties. Nous nous retrouvons quelquefois au bar de Miguel, mais le plus souvent dans cette fameuse grotte, je sais maintenant qu’elle a un nom, « Luz » qui veut dire lumière en portugais. Nous pouvons bouquiner, papoter, nous nous sentons comme chez nous. C’est sombre, mais en même temps tellement chaleureux. Nous pouvons parler de nos expériences entre nous sans craindre les représailles ou que quelqu’un d’étranger à notre don nous entende. Nous ne sommes pas les seuls, il existe d’autres congrégations dans le monde. Chaque pays a sa propre congrégation. Mais nous ne connaissons que la nôtre, c’est notre point de repère.