Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Cette première enquête de la Brigade des Affaires Paranormales conduit l'équipe de détectives dans la petite ville sans histoire de Lewistown, dans le Montana. À la suite d'une série de massacres inquiétants, le shérif adjoint de la bourgade fait appel à la BAP pour élucider l'affaire. Néanmoins, tout le monde ne voit pas l'arrivée des détectives d'un très bon oeil. Si tout porte à croire qu'un loup-garou sévit dans la région, les enquêteurs vont vite découvrir que les apparences peuvent parfois s'avérer trompeuses, surtout dans une ville où tout le monde se connaît, mais où chacun cache de lourds secrets. Faites la rencontre de Connor, Alicia, Will et David, quatre détectives qui poursuivent la vérité dans des recoins du réel où personne n'ose s'aventurer.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 415
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
L’auteur de ces lignes tient à vous informer de l’horreur des faits relatés dans ce récit. Les évènements de cette histoire vous sont retranscrits tels qu’ils ont été vécus par les protagonistes.
Âmes sensibles, passez votre chemin. En tournant les pages de ce livre, vous découvrirez que vos pires cauchemars ne se cachent pas uniquement dans vos songes. Ils peuplent notre monde et infligent les pires atrocités à de pauvres innocents. Heureusement pour nous, une équipe d’enquêteurs se dévoue au quotidien pour faire la lumière sur ces drames et rendre justice aux victimes.
La Brigade des Affaires Paranormales, ou BAP, affronte vos plus grandes peurs pour vous permettre de poursuivre votre existence dans l’ignorance la plus totale. En poursuivant votre lecture, vous ne serez plus en mesure de nier la vérité.
Vous pouvez encore refermer ce livre et poursuivre votre vie comme si de rien n’était.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
— Combien de fois vais-je devoir te répéter que Bart n’est qu’un ami? Il ne s’est absolument rien passé entre nous.
Isabella poussa un long soupir en constatant qu’Alan ne la croyait toujours pas. Il avait cette manie de secouer lentement la tête à chaque fois qu’il pensait déceler un mensonge de sa part.
Son fiancé était bien des choses, mais il n’était absolument pas perspicace.
— Je dis juste que ce type te regarde comme un affamé regarderait un morceau de steak, lui rétorqua Alan, aux commandes de la Golf GTI dont il était si fier.
À sa manière de caresser le volant à chaque ligne droite qui s’éternisait, Isabella se demandait vraiment s’il n’aimait pas sa voiture plus qu’il ne l’aimait, elle.
Tu n’es pas encore mariée, Iz. Tu peux encore faire tes valises.
Cette pensée traversait souvent l’esprit de la jeune femme ces dernières semaines. Elle ne mentait pas lorsqu’elle disait que Bart n’était qu’un ami. Il ne lui plaisait absolument pas. Mais il y avait d’autres hommes. Il y avait Dan.
— J’aimerais que tu arrêtes de le voir, annonça Alan, la sortant de ses pensées.
— Que j’arrête de voir Bart? cria-t-elle, outrée. Mais tu vas pas bien, mon grand. T’es revenu au siècle dernier? Tu n’as pas à m’interdire de voir qui que ce soit.
Quel enfer… Quel enfer…
Isabella lança un regard noir à son fiancé, certaine que s’il lui sortait encore une connerie de ce genre, leur couple ne survivrait pas à ce week-end de la dernière chance. C’était comme ça que l’avait appelé Alan. Le week-end de la dernière chance. Comme s’ils étaient dans une espèce de jeu télévisé, devant l’ultime épreuve qui leur permettrait de rafler la mise ou leur ferait perdre tous leurs gains. Sauf qu’à ce stade, Isabella avait du mal à savoir quelle était la meilleure issue possible pour elle : la liberté ou le mariage?
Néanmoins, la perspective d’un mariage semblait fondre comme neige au soleil. Après une randonnée chaotique sur les bords du fleuve Missouri, où elle s’était tordu la cheville et avait fini trempée par une averse inattendue, ils traversaient à présent le Montana pour se rendre à Helena, la capitale de l’État, où les attendait la superbe suite réservée quelques semaines plus tôt par Alan. Seul problème… Alan était totalement perdu, même s’il refusait de l’admettre.
— Quand est-ce que tu vas te décider à mettre le GPS? lui lança Isabella, rompant le silence de mort qui régnait dans le véhicule.
— Pour la centième fois, je n’ai pas besoin de GPS. Il suffit de continuer tout droit sur cette route, et on sera arrivés à Helena dans moins d’une heure.
— Tu es paumé, Alan! On est au beau milieu de nulle part.
Cela faisait au moins une demi-heure qu’ils n’avaient pas vu un seul panneau de circulation. La seule chose qui les entourait, c’était cette immense forêt qui semblait ne jamais s’arrêter, tapie dans un brouillard si épais qu’ils ne voyaient pas à cent mètres devant eux. Isabella avait l’impression qu’ils étaient pris au piège d’une boucle infernale, condamnés à rouler au milieu des pins jusqu’à la fin de leurs jours.
C’est un peu comme ma vie de couple finalement, pensa-t-elle en décidant de lâcher l’affaire.
Elle laissa retomber sa tête contre la vitre côté passager et se perdit dans la contemplation des nappes de brume illuminées par la lueur jaune des phares. C’était un spectacle assez hypnotisant. Peut-être allait-elle finir par s’endormir, permettant ainsi à Alan d’allumer discrètement le GPS sans se sentir atteint dans sa foutue fierté masculine. Le seul problème, c’était qu’elle était bien trop énervée pour trouver le sommeil.
Je savais que j’aurais dû rester à Seattle ce week-end. Je serais sûrement en train de boire des coups en ville avec Amy et Lisa à l’heure qu’il est. Et Dan serait sûrement là. J’aurais pu lui lancer des petits regards pour l’inviter à me rejoindre dans les toilettes. Je n’aurais rien fait de mal, juste une petite…
— Attention! hurla soudain Isabella.
Alan appuya immédiatement sur la pédale de frein et fit un tour complet avec le volant pour éviter l’animal qui leur barrait la route. Sa fiancée ferma les yeux en s’agrippant au cuir de son siège. Noyée dans l’obscurité, elle n’entendit plus que le crissement assourdissant des pneus sur l’asphalte. Les cliquetis métalliques et les secousses qui suivirent lui donnèrent l’impression d’être dans une vieille attraction de fête foraine, secouée de toutes parts dans sa nacelle rouillée. Isabella crut que sa dernière heure venait d’arriver, qu’elle ne reverrait plus jamais la lumière du jour, ses amies, ou même Dan, dont le visage s’invita dans ses pensées malgré elle.
Finalement, après quelques secondes de ce violent manège, le véhicule quitta la route et alla subitement finir sa course dans un fracas de tôle qui donna à Isabella l’impression de s’être démis la nuque.
Elle ouvrit finalement les yeux, découvrant face à elle un immense tronc camouflé derrière des volutes de fumée noire. Un seul phare éclairait désormais la prison de branches et de brume qui les entourait. L’autre n’avait pas survécu au choc.
— Oh mon dieu, laissa-t-elle échapper, à bout de souffle. C’était quoi ce truc?
— Je… je… bafouilla Alan.
La jeune femme tourna la tête vers son fiancé. La douleur qui irradia derrière son épaule gauche lui fit l’effet d’un électrochoc, mais elle l’oublia vite en voyant la traînée de sang le long de la joue d’Alan.
— Oh merde, souffla-t-elle. Alan, tu saignes.
L’homme passa ses doigts sur son front, répandant la substance écarlate sur toute sa longueur. Il abaissa la main pour l’observer d’un œil hagard. Il était clairement sous le choc.
— Alan! cria sa fiancée pour le ramener à lui.
Il sursauta en tournant tout son buste vers elle.
— C’était quoi ce truc? répéta-t-elle.
— J’en sais rien! répondit Alan, semblant reprendre peu à peu ses esprits. Un cerf, ou… j’en sais rien.
— La voiture est morte?
— Sans déconner, réagit le jeune homme. Ça va me coûter une blinde de tout faire réparer.
Tu n’auras qu’à utiliser les économies que tu feras quand on annulera le mariage, ducon.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant? demanda-t-elle. On appelle un taxi?
Alan sortit son portable de la poche de son jean. L’écran était fêlé mais il fonctionnait toujours. Il composa rapidement le 911, tachant l’écran d’empreintes rouges et gluantes avant de porter le téléphone à son oreille.
Au moins, il prenait les choses en main. C’était déjà une bonne nouvelle.
— Merde, dit-il après quelques secondes en laissant retomber son bras sur ses genoux. Pas de réseau.
Isabella s’empressa de sortir son téléphone dans l’espoir d’avoir plus de chance, mais celle-ci ne semblait pas être de son côté ce soir. Après avoir réprimé un cri de rage, elle laissa finalement sa tête retomber contre l’appui-tête de son siège. Ainsi installée, elle passa de longues secondes à regarder la fumée s’échapper du capot, totalement hébétée. À ses côtés, Alan semblait tout aussi absent.
Soudain, ils furent sortis de leur torpeur par un choc brutal à l’arrière de la voiture. Celle-ci fut secouée par un impact violent, comme s’ils venaient de se faire rentrer dedans par un véhicule invisible.
Isabella poussa un hurlement glaçant, s’agrippant de nouveau au cuir de son siège.
— C’était quoi, ce bordel? cria-t-elle.
— J’en sais rien, lui répondit Alan dans un rugissement tout aussi paniqué. Mais arrête de crier, putain!
— Tu peux parler! rétorqua-t-elle en le fusillant du regard.
Une nouvelle secousse les poussa immédiatement à se taire. Isabella tourna la tête de gauche à droite pour déterminer l’origine de ces coups, ignorant la douleur atroce qui se propageait dans son dos.
— Va voir ce que c’est, dit-elle finalement à son fiancé d’une voix discrète.
— Quoi? souffla-t-il. Pourquoi moi?
— T’as des couilles ou pas, Alan?
Elle savait que ce genre d’atteinte à sa virilité allait fonctionner. Sans surprise, Alan secoua la tête et tendit le bras vers la boîte à gants devant sa compagne. Il en sortit une lampe torche et un petit spray au poivre qu’il agrippa fermement.
— Du poivre? lui lança Isabella, les sourcils levés. Vraiment? Tu pourrais pas avoir un flingue, comme tout le monde?
Foutus démocrates, pensa-t-elle à cet instant.
Mais face au silence de son fiancé, elle décida de se taire aussi, avant qu’il ne lui propose de le suivre hors de la voiture. Elle était très bien dans son abri de tôle, et elle ne comptait certainement pas mettre un pied dehors tant qu’il n’avait pas trouvé ce qui rôdait autour d’eux.
Alan dut s’y reprendre à deux fois pour réussir à ouvrir sa portière, mais parvint finalement à la forcer dans un grand fracas métallique.
— Qui est là? cria-t-il d’une voix chevrotante, à peine eut-il posé un pied dehors.
— Sérieusement? marmonna Isabelle dans sa barbe.
Alan sortit prudemment de la voiture, avançant à pas feutrés dans la nuit noire, aidé de sa lampe torche qui n’éclairait rien à plus de trois mètres devant elle. Isabella le suivait du regard à travers la vitre brisée de la portière arrière. Elle se dit qu’il n’en menait pas large et que, dans une telle situation, Dan s’en serait bien mieux sorti. Il faisait vraiment peine à voir, progressant lentement sur ses jambes chancelantes.
Isabella commençait à s’impatienter, le voyant s’éloigner de plus en plus dans l’obscurité. La chose qui les avait percutés ne devait pas être si loin que ça. Agacée, elle lança :
— Tu vois quelque…
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, interrompue par une chute d’Alan qui poussa un cri tout sauf viril, disparaissant de son champ de vision. À cet instant, elle ne sut plus trop si elle devait éclater de rire ou paniquer. L’homme censé la protéger et la sortir de cette galère n’arrivait même pas à tenir debout.
— Alan? Ça va? lui demanda-t-elle, un large sourire amusé sur les lèvres.
Pour seule réponse, une chouette hulula au loin dans les bois. Le sourire d’Isabella s’évapora peu à peu. Son fiancé était-il en train de lui faire une blague stupide? C’était sa spécialité, après tout. Durant leurs vacances au ski, il lui avait fait croire qu’il était poursuivi par un énorme grizzly assoiffé de sang. Si son humour avait charmé Isabella au début de leur histoire, elle avait fini par s’en lasser. Dan, au moins, était bien plus subtil en matière de blagues. Et dans tous les autres domaines, d’ailleurs.
— Alan! lança-t-elle, agacée. Arrête tes conneries!
Cette fois, un cri perçant lui répondit. Elle reconnut le timbre d’Alan, mais quelque chose n’allait pas. Ce hurlement, qui s’éloignait de plus en plus profondément dans les entrailles de la forêt, semblait teinté d’horreur, de folie.
Soudain, Isabella n’eut plus du tout envie de rire.
— Alan! hurla-t-elle, prise de panique, lorsque le cri s’étouffa au loin. C’est pas drôle, Alan!
Les larmes lui montèrent aux yeux. Devait-elle fuir en courant ou rester tapie au fond de son siège? Machinalement, elle attrapa son téléphone dans l’espoir d’avoir retrouvé une miraculeuse barre de réseau. Il fallait qu’elle appelle quelqu’un. Dan, la police, Amy, Lisa. N’importe qui. Elle devait s’échapper d’ici.
Mais le miracle n’arriva pas. Elle était seule face à une chose affreuse qui venait d’emporter Alan au loin, et personne n’allait lui venir en aide.
Un craquement de feuilles brisa le silence à l’endroit où Alan s’était écroulé. Une partie d’elle avait envie de croire qu’il lui avait véritablement fait une blague et qu’il allait réapparaître avec un sourire d’imbécile sur les lèvres. Oh, ce fichu sourire. Elle aurait fait n’importe quoi pour le revoir à cet instant. Mais une partie bien plus rationnelle de son esprit n’y croyait plus.
— Allez-vous-en! dit-elle d’une voix tremblante qui se voulait menaçante. J’ai un flingue!
C’était du bluff. Alan avait emporté la fichue bombe de spray au poivre en sortant de la voiture, laissant sa fiancée totalement désarmée.
La chose qui rôdait laissa échapper une longue expiration. Le souffle glaçant d’une bête sauvage. Peut-être qu’un ours s’en était véritablement pris à Alan cette fois.
Quelle foutue ironie…
La respiration profonde se rapprochait, tapie dans l’ombre. Prise de panique, Isabella se jeta sur la portière du côté conducteur, bien décidée à la refermer pour se barricader dans son abri de fortune. Mais elle vit soudain les yeux perçants de la bête.
Un regard terriblement profond.
Meurtrier.
Elle relâcha immédiatement la poignée sans même la tirer vers elle, préférant se saisir de celle qui se trouvait du côté passager.
Isabella ouvrit la portière en grand et tenta de se jeter hors du véhicule. Mais sa ceinture lui comprima la poitrine lorsqu’elle essaya de prendre la fuite. Elle se débattit quelques instants avec la lanière tandis que, de l’autre côté, la bête donnait des coups puissants et réguliers contre la carrosserie.
Ce n’est qu’un stupide animal… Trouve une branche et cogne-le. Il fuira, c’est certain.
Aussi paniquée que déterminée, la jeune femme parvint à sortir du véhicule et se mit à filer à travers la forêt, tout juste éclairée par le phare gauche de la Golf d’Alan. Son regard parcourut le sol à une vitesse folle, en quête d’un morceau de bois qui pourrait lui permettre de se défendre.
Derrière elle, les bruits avaient cessé. Elle aurait aimé prendre cela pour une bonne chose, mais elle se doutait que l’animal était encore à ses trousses.
Soudain, elle apparut sous ses yeux ; une branche suffisamment large pour lui servir d’arme. Elle se jeta dessus comme s’il s’agissait d’un fusil à pompe. En l’attrapant, elle s’assura qu’elle était suffisamment lourde et solide pour blesser la bête et la faire fuir.
Armée de son arme improvisée, Isabella fit volte-face, prête à affronter l’ours, ou le loup, qui en avait après elle. Sous la lumière du phare, elle ne vit rien d’autre qu’un tapis de feuilles inanimé. Seule sa respiration saccadée et tremblante couvrait le silence de la nuit. Mais elle ne comptait pas abandonner, ni se laisser surprendre par cette stupide bestiole.
Alan était du genre à fuir les problèmes. Elle était du genre à leur mettre une raclée.
— Viens par-là, petit, petit… appela-t-elle, comme si elle s’adressait à un yorkshire.
Mais il n’y avait plus rien. Plus un bruit. Plus un mouvement.
L’espace d’un instant, elle crut que l’animal avait fui, qu’elle était saine et sauve.
Mais soudain, une immense patte lui entoura le cou par sa droite. Elle sentit des griffes tranchantes s’enfoncer sous sa peau, et rapidement, un filet de sang chaud s’écoula au creux de son cou. Dans un réflexe dopé par l’énergie du désespoir, elle pivota sur elle-même et lança le bras en arrière pour asséner un coup violent à la bête. Mais de son autre longue patte puissante et poilue, celle-ci envoya valser la branche au loin telle une vulgaire brindille. À nouveau, Isabella fut ensorcelée par son regard terrifiant. Les yeux jaunes de la bête lui semblèrent s’enfoncer en elle, diffusant un souffle glacial jusqu’au plus profond de son être.
Le monstre resserra sa prise autour du cou de sa victime, et Isabella sentit ses griffes acérées s’enfoncer un peu plus dans sa peau, tranchant sa chair sans aucune difficulté. Le flux de sang accéléra encore, s’écoulant le long de ses bras. Dans un geste désespéré, elle tendit la main pour se saisir de la patte de la bête. Mais elle ne sentit que la tension de ses muscles puissants, dont l’unique objectif était de l’exécuter.
Elle était à court de solutions, à court d’idées. À court d’espoir.
— Pitié… souffla-t-elle.
Mais la bête n’avait aucune pitié.
— Salut, les gars!
La voix enjouée d’Alicia résonna aux oreilles de Connor comme une douce mélodie qui l’éveilla de sa torpeur matinale. La jeune femme pénétra dans les locaux de la Brigade des Affaires Paranormales de son habituelle démarche assurée. Un doux parfum de café l’accompagnait. Comme tous les lundis, elle avait fait une halte au diner pour y récupérer quatre gobelets de café encore fumant. Elle en déposa un sur le bureau de Will en lui adressant un sourire chaleureux, avant de s’avancer jusqu’à celui de Connor pour lui en tendre un à lui aussi.
Il la remercia d’un signe de tête en laissant son regard s’attarder sur les traits délicats de la jeune femme. Du haut de ses vingt-sept ans, elle avait des allures de poupée de cire. Sa chevelure blonde, qui retombait en mèches lisses le long de ses épaules, et ses pommettes saillantes la rendaient absolument ravissante. Pourtant, derrière son apparence si douce se cachait une femme coriace qui avait grandi entourée d’hommes et qui pratiquait le karaté depuis bientôt dix ans. En d’autres termes, pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds par le sexe opposé.
— David est occupé? demanda-t-elle à Connor en pointant le doigt vers la porte sur laquelle était apposée l’inscription DIRECTEUR en lettres dorées.
— Au téléphone, répondit Connor de sa voix rauque du matin.
— Je crois bien qu’une nouvelle affaire nous attend, compléta Will. Ça fait dix minutes qu’il est en ligne. S’il dépasse les cinq minutes, on sait tous que ce n’est pas sa nièce ou un ancien camarade de l’armée qui est au bout du fil.
Alicia et Connor hochèrent simultanément la tête d’un air entendu. David était un type adorable, mais il n’était pas du genre bavard. S’il pouvait réduire une conversation à son strict minimum, il le faisait. Une seule chose activait le moulin à paroles qui sommeillait en lui : le paranormal. C’était pour cette raison qu’il avait monté ce bureau cinq ans plus tôt. Sa passion pour les esprits et les créatures de l’ombre était devenue si dévorante qu’il avait décidé d’en faire son métier. D’abord vu comme un malade mental par les gens du coin, il s’était vite aperçu que la demande était forte en matière de surnaturel. Au bout d’un mois d’activité, il s’était retrouvé avec cinq affaires sur le dos. Il avait donc décidé de monter une équipe pour l’épauler. C’était ainsi que Connor et Will s’étaient retrouvés à travailler à la BAP. Alicia, rusée, diplomate et animée par la même passion que son patron, était arrivée deux ans plus tard au cours d’une étrange affaire de magasin d’électroménager hanté. Les garçons avaient passé trois mois à lutter contre le fantôme des lieux, alors qu’il avait suffi d’une semaine à Alicia pour le convaincre de passer dans l’au-delà. Elle était née pour ce boulot, ils le savaient tous. Tout comme ils étaient persuadés qu’elle finirait sûrement par prendre la tête du bureau un jour ou l’autre.
— Vous avez pu choper des infos? demanda-t-elle en faisant un signe de tête vers le bureau du directeur.
— J’ai cru l’entendre prononcer les mots « attaque », « mort » et « loup-garou » à travers la porte, répondit Will avec un sourire en coin.
— Oh, un massacre bien sanglant comme on les aime, alors.
Alicia était vraiment guillerette en toutes circonstances.
Elle partit s’installer à son bureau, rangé de manière méthodique, contrairement à ceux de Will et Connor, sur lesquels une tempête semblait s’être abattue au cours du week-end. Les garçons aimaient dire qu’ils travaillaient dans un « bordel organisé ». À vrai dire, Connor aurait été incapable d’y retrouver le moindre stylo si on le lui demandait. Son organisation se résumait à : tout ce qui est en haut de la pile est important, le reste attendra plus tard. Will, en revanche, semblait réellement capable de s’y retrouver dans son bazar. Cet homme avait une mémoire de dingue, et savait exactement où il avait rangé quoi, même s’il n’y avait pas touché depuis des mois. En plus de ça, ses connaissances en matière de paranormal dépassaient presque celles de David. Certains jours calmes, il leur arrivait de se défier dans des quiz, et ils finissaient régulièrement ex-aequo.
Alors que Connor s’apprêtait à reprendre la rédaction du compte-rendu de leur dernière affaire, une sombre histoire d’ex-époux sorcier, la porte du bureau s’ouvrit sur la mine ravie du directeur. David, en plus de ne pas être un grand bavard, n’était pas non plus très souriant. Ce coup de fil devait vraiment lui avoir fait plaisir.
— On met les voiles, mes amis, annonça-t-il à ses trois employés en faisant un geste du bras.
Malgré le fait qu’il ait soufflé ses cinquante bougies le mois dernier, ce type conservait un dynamisme à toute épreuve, qu’il consacrait en grande partie à son travail. Il n’était pas du genre à passer le week-end allongé sur le canapé pour regarder des films débiles à la télé. Il préférait traverser le pays pour assister à une convention consacrée au paranormal ou dévorer des recueils de légendes urbaines ou des revues de parapsychologie à la bibliothèque.
— Qu’est-ce que tu nous as déniché, boss? l’interrogea Will en portant son stylo à sa bouche, son éternel tic lorsque l’impatience le prenait.
— Il semblerait qu’une bête sauvage terrorise les habitants de Lewistown dans le Montana.
— Le Montana? J’adore ce coin, réagit Will, des étoiles dans les yeux.
— Mais les bêtes sauvages, ce n’est pas plutôt du ressort de la protection animale? répliqua Alicia.
— Pas quand la bête sauvage a des griffes aussi énormes qu’un couteau de boucher et se balade aussi bien dans les arbres qu’au sol.
— Un loup-garou, alors? proposa Will avec un sourire de plus en plus large.
— Probablement. Ça collerait avec le fait que la dernière attaque a eu lieu samedi dernier.
David n’eut pas besoin de préciser qu’il s’agissait d’une nuit de pleine lune. Toute l’équipe connaissait le calendrier lunaire sur le bout des doigts. C’était un prérequis pour travailler dans ce milieu. Les gens n’imaginaient pas à quel point le cycle lunaire pouvait influencer toutes sortes de créatures meurtrières.
— On décolle quand? demanda Connor, d’une voix beaucoup plus posée que celle de Will.
— D’ici une heure. Finissez vos cafés, préparez le camion et on prend la route. On a un trajet de dix heures qui nous attend.
— À ce propos… démarra Alicia en se levant vers son patron pour lui tendre le dernier gobelet de café. Est-ce que tu penses qu’on sera rentrés pour vendredi?
David fronça les sourcils face à sa question. Il fallait dire que leur métier impliquait énormément de déplacements à travers le pays. Leur bureau avait beau être installé à Denver dans le Colorado, il n’était pas rare qu’ils doivent prendre l’avion pour se rendre sur la Côte Est du pays, voire au Canada. C’était l’inconvénient d’être l’équipe de détectives privés la plus reconnue du pays en matière de paranormal.
— C’est que… reprit Alicia d’une voix gênée. Je me marie le mois prochain, tu sais bien. Et je fais l’essayage de ma robe vendredi après-midi.
— Tu peux rester ici si tu préfères, lui répondit David avec toute la bienveillance qu’il pouvait dégager, malgré sa voix rauque.
— Non, non, j’ai vraiment envie de venir. C’est juste que… Philip va me détester si je loupe encore un autre rendez-vous. J’ai déjà manqué la visite de la salle de réception et la rencontre avec le traiteur.
— Écoute, Alicia… Je ne tiens pas à ce qu’il te largue par ma faute. Si jamais l’enquête s’éternise, tu pourras prendre le premier vol vendredi matin et être à l’heure pour ton rendez-vous. Ça te va?
Du coin de l’œil, Connor repéra immédiatement le soulagement dans les yeux bleu azur d’Alicia.
— Ce serait parfait. Merci beaucoup, David.
Elle s’apprêta à le prendre dans ses bras, mais se ravisa rapidement en se rappelant que leur directeur n’était vraiment pas du genre à apprécier les gestes d’affection.
— Si personne n’a d’autre demande à me formuler, je retourne m’enfermer dans mon bureau. Ce foutu coup de fil m’a interrompu dans ma lecture du journal.
Il se retourna vers la porte de son bureau. Dos à ses employés, il ajouta :
— Merci pour le café, Alicia.
Puis il referma la porte derrière lui. Il ne ressortirait probablement pas de la pièce avant leur départ. Le trio appelait le bureau L’antre de David. Il pouvait passer certaines journées sans en sortir une seule fois. Un véritable loup solitaire.
— Alors, le grand jour approche?
La voix de Will brisa le silence dans la pièce.
— Vingt-sept jours… et quatre heures, lui répondit Alicia.
Alicia et Philip s’étaient rencontrés deux ans plus tôt dans le cadre d’une enquête. Philip avait été témoin de l’apparition d’une banshee sur un chantier où il travaillait comme charpentier. Ils s’étaient recroisés quelques semaines plus tard dans un bar où ils avaient tous deux leurs habitudes, et ils avaient fini par passer leur soirée ensemble au comptoir. Puis en boîte. Puis dans le lit d’Alicia.
Depuis, ils filaient le parfait amour. Connor évitait de discuter de ce sujet-là avec Alicia, étant donné que… eh bien, ils avaient eu une vague aventure d’un mois quelques années plus tôt. Ça n’avait rien de gênant, évidemment. Connor ne voulait juste pas… s’immiscer, et mettre Alicia mal à l’aise. Rien de plus.
— Stressée?
Will, en revanche, n’avait aucun problème à mettre les deux pieds dans le plat.
— Un peu, répondit Alicia. Comme tout le monde, j’imagine. C’est beaucoup d’organisation, une tonne de dépenses… et du stress. Beaucoup de stress. C’est étrange comme sensation. J’appréhende d’y être, mais j’ai vraiment hâte que ce soit fait.
Will hocha la tête, son crayon toujours coincé entre ses doigts, ses lunettes de lecture remontées sur sa tignasse brune ondulante. Il avait des allures de psychologue lorsqu’il prenait cette pose, accoudé sur son bureau, scrutant son interlocuteur du regard. Will était l’oreille attentive de la BAP. Il sentait immédiatement quand quelque chose n’allait pas chez l’un d’entre eux, et il parvenait sans difficulté à les pousser à la confidence. De ce fait, il était au courant de la courte histoire d’amour entre Connor et Alicia, et avait même joué les médiateurs pour éviter que leur rupture ne détruise leur relation de travail. Bien plus qu’un simple collègue, Will était un ami aux yeux de Connor. Probablement son meilleur ami.
— J’imagine que c’est normal de ressentir ça, reprit-il en retirant sa paire de lunettes pour la déposer sur son bureau. C’est un jour important… et un engagement considérable.
En plus d’être à l’écoute de ses amis, Will savait toujours trouver les mots justes pour les rassurer. De toute l’équipe, il était le plus doué pour les interactions sociales, alors que Connor était plutôt du genre mystérieux et solitaire, et qu’Alicia faisait beaucoup trop facilement confiance aux autres. Ça lui avait d’ailleurs valu quelques déconvenues par le passé. Quant à David… c’était David. Plus il pouvait éviter les relations sociales, mieux il se portait. Seuls ses employés semblaient faire exception à cette règle d’or, certainement parce qu’ils aimaient autant que lui discuter de faits divers étranges et de légendes urbaines angoissantes.
— Je vais charger Christine, indiqua Connor, aussi bien pour être prêt à temps que pour écourter cette discussion.
Christine était le pick-up de l’équipe. Une vieille épave qui aurait dû rendre l’âme depuis bien longtemps, mais qui continuait de les transporter à travers tout le pays sans montrer de signes de faiblesse. Elle avait appartenu personnellement à David, avant qu’il achète une plus petite voiture pour ses déplacements personnels et qu’il confie le pick-up qu’il aimait tant à la brigade.
Connor se leva d’un bond et s’avança vers la sortie de son éternelle démarche nonchalante. Ce voyage dans le Montana aurait au moins le mérite de leur faire parler d’autre chose que de la future union d’Alicia avec Philip.
Et puis, quoi de mieux qu’un loup-garou pour se changer les idées?
— Les victimes se nomment Alan Taylor et Isabella Douglas, expliqua David en parcourant ses notes. Tous deux âgés de vingt-deux ans. Ils passaient le week-end dans le Montana pour fêter leurs deux ans de relation. Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu. Après une sortie de route au beau milieu de nulle part, ils se sont visiblement fait attaquer par notre créature. Le corps d’Isabella a été retrouvé à quelques mètres du véhicule. Visiblement, ce n’était vraiment pas beau à voir. Celui d’Alan reste toujours introuvable, malgré une battue dans la zone hier. Sa famille a envie de croire qu’il est encore en vie, mais selon le shérif adjoint Sheperd, notre interlocuteur sur place, la quantité de sang retrouvée sur les lieux ne laisse planer aucun doute. Alan Taylor est bien mort.
Au volant de la voiture, Will hochait la tête en écoutant attentivement son voisin de droite. Alicia et Connor avaient tendance à négliger ce genre de briefing et à n’en retenir qu’une quantité infime d’informations. Will, en tant qu’expert en mythologie urbaine, voyait les choses différemment. Selon lui, la théorie était le socle de la vérité. L’histoire des victimes, les témoignages ou l’expérience des témoins sur place étaient tout aussi importants pour résoudre l’affaire que les indices ou les prélèvements.
Rien que dans ces bribes d’informations énoncées par David, il avait déjà repéré quelques détails intéressants.
— Est-ce qu’on sait ce qui a causé la sortie de route?
À l’arrière du véhicule, Connor et Alicia étaient déjà passés à autre chose. Alicia avait sorti son téléphone, certainement pour reprendre les préparatifs de son mariage à venir, et Connor se contentait de fixer le paysage d’un air mystérieux car c’était Connor.
— Les experts automobiles appelés sur place… c’est-à-dire les garagistes du coin, n’ont repéré aucun problème technique pouvant expliquer la sortie de route. Il leur semble donc très probable qu’ils aient tenté d’éviter un animal.
— Peut-être notre créature alors, supposa Will.
« Créature » était le nom générique qu’ils donnaient au fauteur de troubles tant qu’ils n’avaient pas déterminé avec certitude sa nature. Certes, dans cette affaire, tout portait à croire qu’il s’agissait d’un loup-garou, mais les apparences pouvaient être trompeuses. Surtout en matière de paranormal. De nombreuses espèces surnaturelles peuplaient les États-Unis. Certaines étaient entrées dans la légende, comme le Bigfoot ou le Chupacabra, tandis que d’autres demeuraient totalement inconnues des néophytes.
— C’est une possibilité, oui.
— Si elle leur a barré la route, on peut penser que notre créature savait ce qu’elle faisait. Elle aurait donc encore des capacités de réflexion élevées, même lorsqu’elle est au stade animal.
— Ce qui correspond à un loup-garou, en déduisit David.
— Effectivement.
Will s’engagea sur la bretelle d’accès à la voie rapide. Comme d’habitude, il avait un mal fou à passer la quatrième sur ce vieux levier de vitesse rouillé. Contrairement au FBI ou à la CIA, la BAP n’avait rien d’une grande institution gouvernementale, puisqu’elle n’était ni grande ni gouvernementale. S’il fallait la comparer à une autre organisation célèbre, il valait mieux regarder du côté du Scooby-gang. Une petite équipe sans le sou qui voyageait dans un vieux pick-up rouge cabossé pour chasser les créatures surnaturelles. Il ne leur manquait que le chien qui parle pour être au complet. Un instant, Will imagina rallier le loup-garou du Montana à leur cause et mener les prochaines enquêtes affublé d’un collègue à quatre pattes. Cette idée saugrenue disparut vite de son esprit lorsqu’il se fit klaxonner par un camion qui n’appréciait visiblement pas que leur véhicule mette autant de temps à atteindre les cent kilomètres à l’heure. Finalement, le routier les doubla en leur adressant un geste obscène, auquel Connor répondit par un signe tout aussi chaleureux.
— Gros con, marmonna-t-il depuis le siège arrière.
Cette remarque fit sourire Will. Derrière sa carapace d’éternel râleur, le brun ténébreux à la chevelure plaquée en arrière digne d’une comédie musicale des années cinquante cachait un grand cœur. Si qui que ce soit osait s’attaquer à un membre de son équipe, il sortait immédiatement les crocs. Lorsqu’ils étaient arrivés à la BAP cinq ans auparavant, Will était un jeune homme de vingt-trois ans extrêmement timide et renfermé. Il passait le plus clair de son temps devant son ordinateur à jouer à des jeux en ligne ou à animer d’obscurs forums consacrés à l’étude du paranormal et des affaires criminelles non résolues. Toute sa vie sociale se faisait à travers un écran. Alors, il s’était montré un peu rouillé. Et ça, Connor l’avait immédiatement remarqué. Il avait tenté de le mettre à l’aise, de ne pas juger ses silences embarrassants, ou de ne pas trop le brusquer. Will lui en avait toujours été reconnaissant. Même lorsque Connor avait tenté de lui faire du charme et que Will lui avait révélé son asexualité, son collègue et ami ne l’avait pas jugé ou ne s’était pas offusqué de cette réponse. Will cherchait une relation platonique dépourvue d’érotisme. Connor cherchait seulement à s’envoyer en l’air. Ils n’étaient pas compatibles. Fin de l’histoire. Depuis, leur relation amicale s’en était d’ailleurs grandement renforcée.
Dans le rétroviseur, Will adressa un sourire amusé à son ami. Celui-ci lui répondit par un clin d’œil discret.
— Et le shérif adjoint Sheperd, que sait-on de lui? reprit Will, une fois l’incident du camionneur définitivement clos. Son rapport au paranormal? Ses convictions?
Travailler dans le paranormal, ce n’était pas si différent que d’avoir une identité de genre ou une orientation sexuelle qui sortait de la norme. Il fallait y aller à tâtons au départ, afin de chercher à connaître l’opinion de son interlocuteur sur la question. Qu’il s’agisse d’un homophobe assumé ou d’un agnostique convaincu, il valait mieux le savoir en avance pour éviter quelques déconvenues.
— Sheperd ne nous posera pas de problèmes. Il a déjà eu affaire à des fantômes dans sa jeunesse, il est donc plutôt enclin à croire au paranormal. Je serais plus méfiant envers le shérif. Un certain Peterson. Un vieux de la vieille qui ne semble visiblement pas très heureux de notre arrivée. Selon lui, notre petit couple aurait été attaqué par un lynx ou un loup. Rien d’autre.
Will grimaça. Un collaborateur récalcitrant, c’était un peu comme un oncle raciste à un repas de famille. Vous pouviez l’ignorer autant que possible, il n’avait de cesse de vous rabâcher ses croyances rétrogrades.
— Je vais faire des recherches à propos de ce shérif quand on fera une pause, intervint Alicia, levant enfin les yeux de son téléphone.
En plus d’être une détective talentueuse, Alicia était douée pour la pêche aux informations. Il leur arrivait régulièrement de passer au peigne fin l’historique de ce genre d’alliés. Car qui représentait un meilleur suspect que le type qui s’obstinait à mettre des bâtons dans les roues des enquêteurs?
— Pas de pause, leur annonça David d’une voix mêlant une pointe de gêne et un concentré d’autorité.
— Quoi? réagit rapidement Connor. Dix heures de trajet sans pause?
— On s’arrêtera pour changer de conducteur et pour prendre des burgers, mais c’est tout. Il faut à tout prix qu’on y soit ce soir. La police locale est sur les dents, nous devons calmer le jeu le plus vite possible.
— On a beau enquêter sur le paranormal, on n’est pas non plus des magiciens, répliqua Connor. Pourquoi tu ne leur as pas dit qu’on n’allait pas pouvoir accomplir de miracle?
— À cause du chèque qu’ils m’ont promis.
La réponse de David fit mouche. Connor se contenta de hocher lentement la tête avant de reprendre sa contemplation du paysage. Même si c’étaient surtout David et Will qui se chargeaient de la trésorerie de la brigade, ce n’était un secret pour aucun d’eux qu’elle était régulièrement au bord de la faillite. Chasser les créatures surnaturelles n’avait rien d’une activité abordable. Il fallait constamment se procurer du matériel dernier cri, ou remplacer celui qui avait été mis hors service par une créature hostile, voyager d’un bout à l’autre du pays, sans compter la location de leurs locaux et toutes les autres dépenses annexes. La BAP était sur la brèche, et tout le monde savait qu’ils ne pouvaient pas se permettre de refuser un chèque avec plus de trois zéros à la fin, même si cela nécessitait quelques sacrifices de leur part.
— Tu te sens de conduire encore une heure ou deux? demanda David à son voisin de gauche.
Will hocha la tête. Il adorait faire de la route. Et puis, il devait bien avouer qu’entre Connor qui manquait de s’endormir à chaque fois qu’il prenait le volant, et Alicia qui ne se souciait jamais de respecter les limitations de vitesse, il préférait garder les commandes le plus longtemps possible.
— Ça va le faire, répondit-il en adressant un sourire à David.
Il était vingt-deux heures passées quand Alicia referma enfin la portière du pick-up derrière elle. Ses jambes étaient en compote, tout comme son dos, et elle rêvait de prendre un bon bain pour détendre tous les muscles de son corps. Mais, à en juger par le vieux motel miteux digne du film Psychose dans lequel David leur avait réservé des chambres, elle ne risquait pas d’avoir accès à une baignoire ce soir. Peut-être même pas à de l’eau chaude.
Le parking était désert. En plus de l’énorme pancarte du Red Motel qui trônait sur le bord de la route, un néon rouge clignotait au-dessus de l’entrée, leur souhaitant la « Bienvenue », ou plutôt la « Benvene », puisque le i et le u n’émettaient plus aucune lumière. De chaque côté de la cabine d’accueil, les chambres sans âme aux façades brunes décrépies s’alignaient, totalement semblables les unes aux autres. Après avoir fait craquer sa nuque de chaque côté, David se dirigea directement vers l’accueil pour y récupérer les clés.
Connor contourna la voiture pour contempler les lieux à côté de sa collègue.
— Je vois que David nous a encore installés dans un palace, remarqua-t-il avec un sarcasme palpable.
— Tu connais sa philosophie…
— Mieux vaut dormir sur un matelas pourri que perdre son boulot, lancèrent-ils en chœur.
— Tu veux que je t’aide à décharger tes… démarra Connor, avant d’être interrompu par la sonnerie du téléphone d’Alicia.
Dust In The Wind. C’était la chanson qu’elle avait attribuée à Philip. La chanson préférée de la jeune femme, que son fiancé avait interprétée au karaoké lors de leur troisième rendez-vous. C’était ce soir-là qu’elle était définitivement tombée sous son charme. Ce n’étaient pas ses prouesses vocales qui l’avaient séduite, puisqu’il chantait comme une casserole. Mais il avait su la faire rire et profiter de l’instant, ce qui était assez incroyable pour une femme aussi sérieuse et disciplinée qu’Alicia.
— Désolée, lança-t-elle à son ami en faisant la moue.
Elle fit quelques pas avant de sortir le téléphone de sa poche pour décrocher.
— Oui, mon chéri? lança-t-elle d’une voix fatiguée.
— Tu es bien arrivée? lui demanda Philip.
— On vient tout juste de se garer au motel. David est parti chercher les clés des chambres.
— Très bien, lui répondit son fiancé d’une voix sèche.
Alicia ne connaissait que trop bien ce petit ton. Il ne pouvait signifier qu’une chose : il lui en voulait. Toutefois, elle ne savait absolument pas pourquoi.
— Quelque chose ne va pas? l’interrogea-t-elle d’une petite voix innocente.
— Non, non. C’est juste que…
Et c’est parti.
— Juste que…? l’encouragea-t-elle à poursuivre, malgré son envie folle de raccrocher pour éviter tout conflit.
— Le loueur de la salle de réception m’a appelé. Il m’a dit qu’il n’avait jamais reçu le chèque de caution que tu devais lui envoyer la semaine dernière.
Eh merde.
Alicia se sentit rougir et commença à frotter la paume de sa main gauche contre sa hanche.
— Je… je suis désolée, mon chéri. Je n’ai pas eu une seconde à moi, avec cette affaire de chien possédé, et puis j’avais accumulé du retard dans les comptes-rendus. Ça m’est complètement sorti de la tête.
La détective entendit un soupir presque imperceptible de l’autre côté de la ligne. Elle avait merdé, elle le savait. Elle savait aussi que ses justifications ne feraient qu’agacer encore plus Philip, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de s’expliquer. Son travail représentait une grande partie de sa vie, il l’avait toujours su et ne lui avait jamais reproché cette passion dévorante. Pourtant, à l’approche de leur mariage, cela semblait représenter une source de tension grandissante au sein de leur couple.
— Je m’en occuperai demain, lui annonça-t-il finalement d’une voix lasse. Repose-toi bien, et passe le bonjour au reste de l’équipe.
— Merci beaucoup. Je t’…
Il avait déjà raccroché.
Alicia rangea son téléphone dans sa poche, partagée entre colère et culpabilité. Elle avait le sentiment que Philip attendait de plus en plus d’investissement de sa part, alors que de son côté, elle se sentait de moins en moins capable de lui offrir cela. Elle se retourna vers le motel, désireuse de se mettre au travail pour oublier cette conversation et toutes les sensations désagréables qu’elle avait éveillées en elle.
Elle s’arrêta net en découvrant Connor qui l’attendait à quelques mètres de là, dans la nuit noire et silencieuse.
— Tu as tout entendu, pas vrai? lui demanda-t-elle.
— Ça résonne pas mal par ici, tenta-t-il de se justifier avec un sourire gêné, avant de finalement reprendre un air sérieux. Ça va aller?
— Moi ou mon couple?
— Les deux.
— On verra bien, répondit-elle laconiquement. En attendant, j’ai du boulot qui m’attend. Dis-moi que tu as au moins récupéré la clé de ma chambre avant de laisser traîner tes oreilles par ici?
Il sortit une clé de sa poche arrière, accrochée à une petite lanière de cuir sur laquelle était inscrit le nombre 23. Il la lui tendit en disant :
— C’est pour ça que je venais te voir à la base.
Elle attrapa la clé en lui adressant un sourire reconnaissant. Même s’il lui arrivait d’avoir une attitude assez étrange quand il s’agissait de la vie sentimentale d’Alicia, Connor ne s’était jamais montré mal intentionné envers elle. Au contraire, il avait toujours été prévenant à son égard. Depuis leur brève histoire quelques années plus tôt, il s’était comporté comme un grand frère avec elle. Toujours très protecteur et soucieux de son bonheur, il était un vrai gentleman. C’était une facette qu’il n’avait d’ailleurs dévoilé qu’après leur rupture. Peut-être se cachait-il derrière des artifices pour séduire ses conquêtes. Que ce soit le cas ou non, Alicia préférait amplement le Connor qu’elle avait découvert lorsqu’ils avaient décidé de n’être que des amis.
— Merci beaucoup, lui dit-elle en désignant la clé. Je serais bien restée discuter, mais il faut vraiment que je me mette au travail. Et que je dorme. Une grosse journée nous attend demain.
— Tu as raison, je vais faire pareil. Le connaissant, David risque de tous nous réveiller à cinq heures du matin.
La remarque de son collègue fit sourire Alicia. Elle passa devant lui en lui caressant délicatement l’avant-bras. Elle eut l’impression qu’il en eut la chair de poule. Mais c’était sûrement son imagination.
— Bonne nuit, Connor.
— Bonne nuit, Alicia.
* *
Il n’y avait effectivement pas de baignoire dans la chambre d’Alicia. Ni grand-chose d’autre, d’ailleurs : un lit queen-size au sommier creusé au milieu, un néon poussiéreux au plafond et une lampe de chevet à peine plus puissante qu’une veilleuse. Dans la salle d’eau, une minuscule douche côtoyait des toilettes à la propreté discutable et un lavabo qui dégageait une légère odeur de canalisations. Le strict minimum. Peut-être même moins que ça. Heureusement, le radiateur fonctionnait. Elle l’avait donc mis à fond avant d’aller prendre sa douche, profitant de la chaleur apaisante lorsqu’elle vint s’installer sur le lit, vêtue de son fin peignoir bleu.
Elle sortit son ordinateur de la pochette posée au pied du lit, et mit quelques minutes avant de trouver le code du Wifi. Après avoir réussi à se connecter au réseau, dont le signal était affreusement faible, elle se mit au travail.
Sa mission de la soirée : recueillir un maximum d’informations sur ce shérif Peterson qui risquait de les gêner dans leur travail dès le lendemain. Une rapide recherche Google lui suffit pour découvrir les fondamentaux. Le shérif Jeffrey Peterson Junior, âgé de cinquante-trois ans, occupait son poste depuis dix-huit ans après avoir été adjoint pendant six ans. Il avait grandi à Lewistown et n’en était jamais parti. Marié à une certaine Catherine, épicière en centre-ville, il était l’un des piliers de sa communauté, actif aussi bien auprès de la municipalité que de l’équipe de baseball du coin.
La pire situation possible pour la BAP. Cet homme faisait la pluie et le beau temps à Lewistown. S’il décrétait qu’il n’aimait pas David et son équipe, cela n’allait clairement pas leur faciliter la tâche. Il fallait donc parvenir à charmer ce cher Jeff.
Alicia creusa encore, interrogeant les bases de données de la police, fouillant sur les réseaux sociaux du shérif et ceux de ses proches. Elle y trouva des informations intéressantes et potentiellement utiles. Peterson était fan de bon vieux rock. Il vénérait notamment The Eagles qu’il avait vus au moins trois fois en concert, à en croire les multiples photos qu’il avait postées sur Facebook. Il avait un penchant pour la chasse et les barbecues, qu’il partageait avec un fidèle groupe d’amis. Que des hommes bedonnants, une bière à la main sur toutes les photos qu’elle dénichait. Son casier judiciaire était irréprochable, à l’exception d’une amende pour excès de vitesse trois ans plus tôt, qu’il était parvenu à faire disparaître grâce à ses contacts. Mais quel policier ne le faisait pas, après tout?
Au final, ce type avait tout du cliché du shérif de province. Chasseur du dimanche, viandard, investi dans sa communauté et doté de valeurs visiblement bien ancrées. Il s’était même fait tatouer Protect and Serve sur le bras gauche. Rien de tout ça n’était réellement utile pour Alicia, sauf si elle débarquait au poste le lendemain avec une entrecôte grillée sous le coude et une casquette de police sur la tête.
Désespérée par ses recherches infructueuses, elle décida de se pencher sur l’histoire paranormale du Montana. Elle connaissait désormais par cœur les sites spécialisés sur la question, qu’il s’agisse de forums remplis de témoignages plus ou moins vraisemblables ou bien de sites bien plus sérieux répertoriant les faits divers d’origine mystique.
Après quelques minutes de recherche, elle atterrit sur une page particulièrement intéressante.
— Bingo, dit-elle en se redressant, un large sourire sur le visage.
L’article qu’elle venait de dénicher datait d’avril 2003. Il était intitulé : Des loups-garous dans la région de Roundup? Cette ville de moins de deux mille habitants n’était située qu’à une heure de route de Lewistown. Près de vingt ans plus tôt, elle avait semble-t-il été le cadre d’une mystérieuse affaire de disparitions inquiétantes. Les disparus, ou plutôt ce qu’il en restait, avaient tous été retrouvés au bout de quelques jours dans des états affreux. Certains étaient démembrés, d’autres éventrés, mais tous avaient été sauvagement tués. Les ours avaient d’abord été suspectés, avant qu’une empreinte contradictoire soit découverte sur les lieux d’une nouvelle disparition. Certains experts du surnaturel avaient dès lors suspecté la présence de loups-garous dans la région. Les attaques avaient mystérieusement pris fin au bout de trois mois, et les choses étaient depuis revenues à la normale. Peut-être que la personne responsable de ces tueries avait mis fin à ces jours, ou peut-être avait-elle trouvé un moyen de se contrôler les nuits de pleine lune. La dernière hypothèse était qu’elle s’était retranchée dans les bois, comme le faisaient régulièrement les lycanthropes. Était-il possible que, pour une raison ou pour une autre, le tueur soit récemment revenu à la civilisation?
Alicia trépignait sur son lit, prête à passer les prochaines heures sur Internet en quête d’ermites revenus vivre dans les environs ces derniers mois. Mais un coup d’œil à son réveil calma ses ardeurs. Il était déjà minuit passée. Comme l’avait fait remarquer Connor un peu plus tôt, il y avait de gros risques pour que David vienne les réveiller à cinq heures tapantes. Il fallait qu’elle aille se coucher si elle voulait être efficace dans son travail le lendemain. Une grosse journée les attendait certainement.