La dissidente destinée ou La première mésaventure d’Analea Stedlana - Charlotte Gaborieau - E-Book

La dissidente destinée ou La première mésaventure d’Analea Stedlana E-Book

Charlotte Gaborieau

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Beschreibung

Analea Stedlana, traquée par des troupes sanguinaires dès avant sa naissance, découvre que sa vie est une véritable bombe à retardement. Condamnée par une fatalité implacable, elle entreprend un voyage épique contre des forces vengeresses et brave les barrières supposées séparer les créatures de son monde. Son espoir réside dans la possibilité de se libérer des superstitions du destin. Une aventure réussie pourrait réparer son univers en lambeaux, tandis qu’un simple revers la plongerait dans l’horreur. Dissidente enchaînée à son sort, parviendra-t-elle à déjouer les desseins qui ont déjà tracé sa vie ainsi que celle de milliers d’autres ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

À neuf ans, Charlotte Gaborieau commence à rêver d'écrire un roman, et pendant dix ans, elle travaille sur de nombreuses ébauches. Finalement, son rêve se réalise avec la création de la dilogie mettant en scène Analea Stedlana, un hommage à la fantasy, son premier amour littéraire depuis sa jeunesse.





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Charlotte Gaborieau

La dissidente destinée

ou

La première mésaventure

d’Analea Stedlana

Roman

© Lys Bleu Éditions – Charlotte Gaborieau

ISBN : 979-10-422-1496-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Partie première

La fin de l’hiver

Chapitre premier

La naissance

Ses yeux s’ouvrirent pour la première fois de son existence sur un monde bleu et trouble. Un sifflement suraigu, incessant et insupportable envahit son esprit alors qu’elle tentait désespérément d’accrocher son regard quelque part. Impossible, tout était résolument bleu et flou, rien n’attirait son attention.

Elle pivota sur elle-même avec une aisance surprenante. Après tout, elle n’avait jamais fait cela auparavant. Elle n’avait jamais rien fait auparavant. Mais rien à faire, toujours rien à l’horizon.

Alors que le sifflement continuait de torturer son esprit, elle leva ses mains devant elle et les examina. Elles étaient fines, d’une peau incroyablement blanche et laiteuse. Elle fut soulagée d’avoir enfin de quoi pouvoir poser son regard.

Elle baissa les yeux et détailla le reste de son corps. Il était mince, recouvert d’une robe blanche qui semblait danser autour d’elle. Ses pieds nus ne touchaient pas le sol. Était-elle en train de voler ?

En levant son regard vers ce qui aurait dû être le ciel, elle ne vit que le même bleu agité, et ses cheveux qui formaient une large couronne autour de sa tête.

Où était-elle ? Et pourquoi volait-elle ?

Elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps à ses questions, car le sifflement dans sa tête s’amplifia. Au même moment, elle sentit quelque chose lui écraser la poitrine. Comme si quelqu’un s’amusait à piétiner son thorax pour l’empêcher de respirer. On voulait donc la tuer !

Terrorisée, elle se débattit comme une folle, agitant bras et jambes dans un ballet mouvementé. Elle voulut hurler, mais lorsqu’elle ouvrit la bouche, seules quelques bulles s’en échappèrent.

Au même instant, une silhouette sombre se profila au loin. De plus en plus paniquée, elle continua de lutter contre son bourreau invisible, tout en essayant de s’éloigner le plus possible. Mais la silhouette était bien trop rapide, en quelques secondes elle se retrouva à quelques mètres d’elle. Et la panique céda à la stupéfaction.

Au lieu d’un monstre qu’elle avait légitimement imaginé à partir de sa silhouette imposante, apparurent des centaines de petites créatures multicolores. Elles agitaient leurs membres pour se déplacer à toute vitesse. Elles agitaient leurs nageoires. Et la stupéfaction rendit sa place à la panique lorsqu’elle comprit.

Elle était dans l’eau. Et cette eau allait la noyer si elle ne trouvait pas immédiatement une issue.

Le sifflement la rendait folle, et l’eau continuait de faire pression sur sa poitrine. Son esprit s’embruma, sa vue se troubla tandis qu’elle commençait à nager vers le haut. L’air s’évanouissait peu à peu dans ses poumons, il lui restait très peu de temps.

Elle ne voyait à présent plus rien, n’entendait plus que le sifflement strident lorsqu’elle atteignit finalement la surface.

Soulagée et suffocante, elle se laissa porter par l’eau. Le sifflement l’avait abandonnée au contact de l’air. Mais elle ignorait qu’elle venait de s’engager dans le courant d’une rivière tumultueuse, dangereux slalom ponctué de gros rochers taillés comme des couteaux.

Le torrent l’attira dans sa course folle. Elle aurait voulu se débattre, mais toute force l’avait abandonnée depuis sa remontée. Elle n’arrivait plus à lutter.

Sombrant peu à peu dans la torpeur, elle laissa le violent cours d’eau la malmener. Elle but la tasse, plusieurs fois. Elle crachota de l’eau en essayant de capturer de l’air. Plusieurs rochers tracèrent de larges entailles ensanglantées dans sa peau pâle. Pétrifiée, elle laissa l’eau l’achever. Elle emplit ses poumons une dernière fois, laissa son esprit mourir lentement. Et dans un ultime effort, elle entrouvrit les paupières.

Là, elle distingua une silhouette sur le côté. Mais peu lui importait. Elle voulait en finir avec toutes ces souffrances.

Pourtant, une main saisit son bras gauche avec une telle force qu’elle crut qu’il allait se décrocher. On la tira hors de l’eau.

Elle suffoqua, cracha de l’eau à plusieurs reprises. Quelqu’un se pencha sur elle, très près de son visage, mais elle n’en distinguait aucun trait. À travers sa vue trouble, elle n’apercevait que deux lumières argentées, deux yeux peut-être. On lui tapota les joues, on lui parla, même, d’après les sons qu’elle pouvait entendre.

Avec une étrange sensation de sécurité, elle s’abandonna aux bras de l’inconnu. Sa vue se réduisit, les sons s’éloignèrent et elle perdit connaissance.

***

Elle se réveilla de ce qu’il lui apparut comme une sieste de quelques minutes à peine. Elle n’ouvrit pas les yeux tout de suite. Elle laissa ses autres sens la guider.

Elle prit une grande inspiration, et un air glacé lui picota le nez. En passant ses mains sur sa poitrine, elle ne rencontra qu’une épaisse couverture qui lui procurait une chaleur apaisante. Le sol était doux et froid. Elle y enfonça ses doigts, et les retira aussitôt. C’était de la neige.

Au loin, un hibou hulula. Un autre sembla lui répondre.

Elle ouvrit finalement les yeux et fut émerveillée par le spectacle qui l’attendait. Elle était adossée contre un arbre, enroulée dans une énorme couverture aux motifs étranges. Des runes, sûrement. Tout autour d’elle, une forêt s’étendait, emmitouflée dans son manteau de neige. Des traces de pas apparaissaient de-ci, de-là. Certaines menaient au feu de camp installé à quelques mètres d’elle, d’autres partaient au loin. Certaines, encore, venaient en sa direction.

Il faisait nuit noire, et outre la neige, le paysage était composé d’arbres nus aux troncs et aux branchages rougeoyants. En se concentrant un peu, elle perçut au loin la rumeur d’une rivière colérique. Cela lui remémora les évènements passés, de la veille peut-être, et elle frissonna.

Tout en resserrant la couverture autour de ses épaules, elle se leva lentement. Ses fines jambes mirent quelques minutes à se stabiliser.

Elle frissonna à nouveau, mais ce n’était pas à cause de souvenirs cette fois-ci, ni à cause du froid. Son premier sentiment de sécurité disparaissait à mesure que le monde se dévoilait sous ses yeux. Immobile, tous les sens en alerte, elle jeta un regard circulaire autour d’elle. Ses yeux bruns vinrent immédiatement se poser sur une masse sombre au fond de la clairière.

Surprise, elle sursauta et recula de quelques pas. La silhouette frémit mais ne se manifesta pas plus que ça. Encouragée, elle resserra à s’en étouffer la couverture autour d’elle et se mit à marcher vers l’étrange masse sombre.

Une petite voix en elle l’incitait à faire demi-tour, à s’enfuir dans la forêt. Mais où cela la mènerait-elle ? Elle n’avait nulle part où aller. Elle ne connaissait personne. Ni son sauveur, ni personne d’autre. Et elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait. Sa curiosité dévorante lui intimait de continuer, et elle n’était pas décidée à la contrarier.

Enhardie, elle continua sa marche légère vers l’inconnu. Ses pieds nus s’enfonçaient à peine dans la neige. Étrangement, le froid n’avait aucun effet sur elle. La neige ne brûlait pas ses pieds, elle agissait comme une caresse. Elle rejeta la couverture qui ne lui servait plus à rien. De légers flocons commençaient à tomber.

Ce ne fut que lorsqu’elle se trouva tout près de la silhouette sombre qu’elle remarqua qu’il s’agissait d’un homme assoupi. Elle s’agenouilla à côté de lui, et sa longue robe blanche se confondit avec la neige. Intriguée, elle commença à détailler son apparence.

Au premier abord, elle le trouva plutôt effrayant. Peut-être était-ce à cause de sa tenue de combat sombre, des nombreuses sangles qui se croisaient sur son torse robuste, et des épaulettes argentées qui élargissaient ses épaules. Peut-être était-ce à cause de cette longue cape qui jetait une ombre menaçante sur son visage, caché de surcroît par un foulard sombre. Ou peut-être était-ce simplement parce qu’il était armé jusqu’aux dents.

Ne pouvant résister plus longtemps à sa curiosité qui lui intimait d’aller plus loin, elle approcha une main tremblante de l’inconnu et retira sa capuche avec soin. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. L’homme qu’elle redoutait arborait le plus beau visage du monde. Existait-il sur cette terre un démon au visage d’ange ? Ses cheveux mêlaient à la fois du blond, du châtain et des mèches noires. Intriguée, elle s’appliqua à retirer le foulard qui masquait la partie inférieure de son visage. Sur chacune de ses pommettes saillantes était tracé un étrange trait noir, horizontal.

Soudain, deux iris bleu ciel jaillirent de nulle part. L’inconnu se réveillait. Il cligna plusieurs fois des yeux, et elle se rendit compte qu’elle était en train de le fixer. Confuse, la jeune fille recula prestement.

Lui se leva lentement sans la quitter des yeux. Elle heurta un arbre et cessa de reculer. Alors il entreprit de réduire la distance qui les séparait.

Elle paniqua, persuadée que le jeune homme était un meurtrier. Chaque pas, alourdi par son armure sombre, faisait s’entrechoquer ses armes nombreuses dans un tintement menaçant. Ses yeux étaient indéchiffrables.

À mesure que l’inconnu avançait, balayant la neige de sa cape, la jeune fille se persuadait qu’il était celui qui avait tenté de la noyer. Sa curiosité nocturne lui offrait une seconde chance inespérée.

Une étrange sensation s’insinua en elle. Comme une vague de chaleur qui prit place dans chaque parcelle de son corps. La colère et la douleur montèrent, son corps s’arracha au sol. Un vent violent se leva et sa robe se mit à virevolter. La neige s’amassa autour d’elle et elle se retrouva au cœur d’un tourbillon vertigineux. Elle serra les poings, enfonça sauvagement ses ongles dans sa peau et leva ses bras avec difficulté. Enfin, elle ouvrit largement ses mains, paumes dirigées vers le garçon, et déversa sur lui une véritable tempête de neige.

Un vent nouveau soufflait sur la clairière. Un vent ravageur, animé d’une violence meurtrière. Les flocons de neige laissaient soudainement leur délicatesse et leur douceur de côté pour venir agresser le pauvre garçon.

Mais alors qu’elle semblait arriver à l’apogée de son cataclysme, le regard de la jeune fille se posa sur le malheureux. Elle relâcha tout. Ses bras, sa tête, son corps tout entier retomba lourdement dans la neige, soulevant au passage un nuage blanc. Ses paupières forcèrent leur fermeture, et à peine l’obscurité se fut-elle installée, un flot d’images se déversa dans son esprit.

Spectatrice de son propre malheur, elle se vit en train de se noyer dans les eaux de la rivière. Elle se vit lutter en vain, agiter ses bras et ses jambes sans vraiment savoir quoi en faire. Et puis elle le vit. Lui. Celui qu’elle prenait pour un meurtrier. Elle le vit arriver sur son cheval ailé. Sauter en urgence de sa monture et se précipiter vers le torrent. Elle le vit s’accrocher d’un bras à une branche et de l’autre l’attraper fermement avant de la déposer sur la berge. Elle le vit s’occuper d’elle, toute la journée durant. L’envelopper d’une couverture, vérifier son pouls, ranimer sans cesse le feu de camp. Elle assista à son propre réveil, à la découverte de son sauveur. Et enfin, elle s’observa avec horreur jeter une immense tempête de neige sur ce sauveur.

***

Elle hurla, sans trop savoir pourquoi. Les images quittèrent son esprit en même temps que ses paupières se rouvrirent.

Elle se redressa le plus rapidement possible, ignorant le mal qui lui martelait le crâne. Tout ce qu’elle voulait savoir à présent, c’était que l’inconnu était en vie, sain et sauf. Et ce qu’elle vit lui laissa quelques doutes…

Le jeune homme était là, étalé dans la neige, l’air inconscient. Ses yeux azur étaient clos, ses cheveux parsemés de petites particules glacées. Un mince filet de sang s’échappait de sa bouche entrouverte.

Elle accourut à ses côtés. À ce moment, quelqu’un vola tout l’air environnant, et elle se trouva incapable de respirer. Son estomac se noua. L’avait-elle tué ? Elle tendit son bras frêle et tremblant et approcha sa main de la bouche du jeune homme. Le peu de souffle chaud qui entra en contact avec ses doigts suffit à la rassurer. Il était vivant.

Avec une force dont elle ne se serait jamais crue capable, elle le retourna sur le dos. Au départ immobile, son torse commença à se lever et se baisser au rythme d’une respiration nouvelle. Le voleur avait bien voulu laisser une part de son butin, semblait-il. Lentement, le jeune homme commença à s’agiter, et les paupières closes cédèrent leur place à deux yeux bleus. Il se redressa péniblement en position assise, cracha un peu de neige et posa son regard sur la jeune fille.

Cette dernière était déjà en train de se répandre en excuses, que l’autre balaya d’un geste de la main avant de murmurer :

— Je n’ai jamais vu de magie aussi puissante de toute ma vie.

Loin d’avoir l’air effrayé, on lisait davantage d’admiration et de stupéfaction dans sa voix que de rancune.

— Je… je vous demande pardon ? bredouilla la jeune fille
— Je disais simplement que ta magie est d’une puissance stupéfiante, reprit le garçon. Quel genre de créature es-tu ?

Elle réfléchit longuement à la question. Un brouillard épais semblait voiler certains recoins de sa mémoire, et aucune réponse satisfaisante ne lui vint à l’esprit. Elle répondit en riant :

— Je ne sais pas… je ne sais plus. Je dois être une sorte d’erreur de la nature !

Le garçon sourit gentiment, mais une étrange teinte argentée passa quelques secondes dans son regard.

— Tu connais sûrement ton prénom, alors ! lança-t-il.

De nouveau, la jeune fille dut se creuser la cervelle. Cette fois-ci, cependant, la recherche ne fut pas vaine. Elle se souvint de son nom, comme on se souvient avoir oublié quelque chose. Un souvenir brumeux, surgi de nulle part, mais bien réel.

— Je m’appelle Analea Stedlana, dit-elle.

Le jeune homme sourit et lui tendit la main.

— Je suis Aeron Ircas, ravi de te connaître Analea – même si tu as une manière toute particulière d’accueillir les étrangers.
— Je suis désolée…
— Oh ! Ne t’excuse pas ! l’interrompit-il. Aujourd’hui, j’aurai au moins découvert que l’avenir de Lewsyn n’est peut-être pas totalement perdu.

La curiosité de la jeune fille fut violemment piquée. Un flot de questions désordonnées menaçait de sortir de sa bouche, et elle dut se faire violence pour n’en poser qu’une.

— Excusez-moi, mais… qu’est-ce que Lewsyn ?

Le garçon fronça les sourcils et prit un air dubitatif. Un long silence s’installa, et dut faire ses valises lorsque la parole revint enfin à Aeron.

— C’est étrange que tu ne le saches pas, mais je vais mettre ça sur le compte du choc et de l’énergie que tu as dépensée. (Il marqua une pause.) Lewsyn est le nom de la planète sur laquelle nous vivons. C’est notre monde, celui où – normalement – tu es née.

Ce fut à cet instant qu’Analea se rendit compte qu’elle n’avait eu, quelques secondes plus tôt, aucune idée de l’endroit où elle se trouvait.

— Et où sommes-nous ici ? Je veux dire… cette forêt doit bien porter un nom !
— Nous nous trouvons dans la forêt Alihuën, dans le royaume Elucy.

Il ajouta d’une voix plus sombre, teintée de tristesse :

— Enfin… dans le Secteur d’Arminath…

Analea lui jeta un regard en biais.

— Je ne comprends pas…
— Avant, Lewsyn était découpé en territoires autonomes aux gouvernements variés, expliqua Aeron. Mais il y a eu… quelque chose et… ces territoires n’existent plus aujourd’hui…
— Que sont-ils devenus ?
— Des secteurs.
— Je ne saisis pas… que s’est-il passé exactement ?

Aeron parut soudain agacé. Il n’avait visiblement pas envie de répondre à cette question. La jeune fille se tut. Il dit enfin :

— Je ne peux pas te parler de ça ici. C’est une longue histoire, tu sais ? Ton amnésie me rend la tâche assez difficile comme ça…
— Je ne suis pas amnésique ! s’écria Ana, outrée.

Aeron la regarda d’un air désolé. Elle-même devait s’avouer qu’elle ne connaissait pas grand-chose au monde qui l’entourait, mis à part les choses simples – comme la neige, ou le feu de bois.

— Tu sauras toutes ces choses bien assez tôt, dit le jeune homme, mais sincèrement, je ne suis pas sûr que mon récit te réjouisse beaucoup.

Il voulut se lever mais se rassit en criant de douleur. Sans un mot, Analea s’approcha et examina sa jambe, qui semblait le faire atrocement souffrir. Sur son mollet gauche se découpait une profonde entaille écarlate. Des débris glacés y étaient incrustés. Analea jura intérieurement : elle se sentait responsable. Et elle l’était, vraisemblablement.

Elle hissa son bras gauche autour de ses épaules et aida le garçon à s’installer contre un arbre. Une idée surgit soudain des tréfonds de sa mémoire amnésique. Le rideau qui persistait à masquer tous ses souvenirs se souleva légèrement et elle entrevit une manière de soigner Aeron. Elle s’activa, cala un peu de neige au creux de ses mains. Et tandis qu’elle l’appliquait sur la plaie, plusieurs incantations fusèrent de sa bouche sans qu’elle ait à y réfléchir.

Aeron se retint de hurler en cramponnant le bras de la jeune fille. Lorsqu’il se calma, elle retira la neige de la blessure et un merveilleux sourire naquit sur ses lèvres. Il se redressa sur ses coudes pour voir de lui-même. La profonde entaille avait laissé place à une peau neuve et blanche, intacte.

— Gratie esla Navea, murmura-t-il, émerveillé. (Merci, fille de la Neige.)

Chapitre second

Il faut partir

— Ana…
— Ana !

Analea sortit brusquement de son sommeil à l’appel de son nom. C’était un murmure à peine perceptible, mais son sommeil trop léger ne la protégeait pas de ces cris d’alerte chuchotés dans la nuit.

Elle ouvrit les yeux avec difficulté et leur laissa le temps de s’habituer à l’obscurité.

— Il faut partir, Ana, chuchota la voix dans le noir.

À mesure que le temps passait, elle se faisait plus pressante. Chaque seconde semblait pour elle un supplice. Analea tâtonna, aveugle, à sa recherche. Elle s’attendait à voir apparaître Aeron à tout moment, mais le bleu azur de ses yeux ne brisa pas la monotonie du noir nocturne.

La voix continuait de murmurer ses plaintes, ses avertissements. Si ses paroles n’avaient pas été aussi distinctes, la jeune fille aurait pu croire aux appels du vent, pris au piège dans les ramures des arbres environnants. Mais cette nuit-là, la menace ne venait pas des arbres…

— Ils arrivent ! Ne les laisse pas t’atteindre ! Il faut partir…

De qui cette voix parlait-elle ? Et qui lui parlait ? Ces questions se perdirent trop vite dans les méandres de son esprit engourdi, et elle se sentit sombrer de nouveau dans un sommeil profond.

***

Rien.

Aucun rêve ne peupla son sommeil vide. Et d’ailleurs, où était le sommeil ? Où était l’éveil ? La voix était-elle rêve ou réalité ? Et ce monde vide et brumeux dans lequel elle divaguait à présent, où se situait-il ? S’il existait une frontière entre repos et éveil, c’était peut-être précisément là qu’elle se trouvait.

***

— Ana…

Analea sursauta. Cette fois-ci, ses yeux n’eurent aucun mal à s’habituer à l’opacité de la forêt. À présent, ce n’était plus une, mais des milliers de voix qui scandaient son nom en un écho mal dissimulé. Un mal de crâne transperça son front jusqu’à sa nuque, comme si toutes ces voix malicieuses s’acharnaient à y enfoncer un à un les sabres de leur désespoir.

La jeune fille porta machinalement ses mains à ses oreilles. Ses mouvements avaient la lourdeur d’une personne usée par les siècles d’une vie impitoyable. Par ce simple mouvement que son cerveau à peine réveillé lui autorisait, elle pensait s’isoler des marmonnements incessants. Pourtant, cela ne fit que les amplifier.

— Il faut partir, Ana, crois-moi, criaient-elles tout bas, ils arrivent, et tu ne pourras rien contre eux.

Face à cette voix qui s’insinuait impunément dans votre esprit, Analea ferma les yeux, relâcha tous ses muscles et se mura dans son silence.

Elle pensa à Aeron. Il ne devait pas être loin d’elle. Avec un peu de courage, elle pouvait le réveiller.

Les yeux toujours clos, elle se mit péniblement debout. Là, elle posa consciencieusement un pied devant l’autre, visualisant la clairière telle qu’elle l’avait vue à la lumière du feu de bois. Lorsqu’elle pensa être arrivée auprès de son sauveur, elle s’accroupit et tendit la main. Cette dernière rencontra immédiatement l’épaule chaude et endormie d’Aeron.

Elle le secoua, murmurant son prénom.

— Aeron ! Aeron, il faut partir, réveille-toi !

« Il faut partir. » Voilà qu’elle se mettait à parler comme elles. Comme les voix. Elle se surprit à ajouter :

— Ils arrivent, Aeron. Réveille-toi !

Un murmure retentit alors tout près de son oreille. Les autres se firent plus sourds, plus éloignés tandis que son nouvel interlocuteur s’appliquait à détacher chaque mot de l’avertissement.

— Ce n’est pas lui qu’il faut réveiller, Ana. Ce n’est pas lui.

Elle marqua une pause. Comme pour l’imiter, les autres se turent également. Enfin, elle ajouta :

— Ils arrivent, Ana. Il faut partir.

***

La voix fut lentement engloutie par le silence tandis qu’Ana succombait une fois de plus au sommeil.

Lorsqu’elle se réveilla, la forêt était toujours aussi sombre. La jeune fille savoura le silence bienfaisant qui l’emplissait à présent. Puis, comme elle l’avait fait – consciemment ou pas – quelques instants plus tôt, elle se leva et alla à l’aveuglette réveiller Aeron.

Il dormait profondément : sa respiration régulière avait quelque chose d’apaisant. Le cœur de la jeune fille, lui, battait la chamade.

Doucement, elle pressa l’épaule de son jeune sauveur. Comme il ne réagissait pas, elle le secoua un peu plus.

Deux sphères argentées s’allumèrent dans le noir. Analea se souvenait avoir déjà vu cette teinte aux yeux d’Aeron. C’était un souvenir flou, incertain, mais chaque fois qu’elle y repensait elle voyait les mêmes iris d’argent la fixer.

Ses yeux s’agitèrent un instant avant de se poser sur Ana. Là, ses pupilles se rétractèrent et l’argent laissa peu à peu place au bleu azur habituel. Intriguée par cette étrange métamorphose, la jeune fille mit un certain temps avant de prendre la parole.

Elle ne savait même pas pourquoi elle avait peur. Après tout, c’étaient juste des mots, juste des voix. Était-ce seulement un rêve ? Tout avait paru si réel… Elle mit de l’ordre dans ses idées : il fallait qu’elle parvienne à convaincre Aeron de partir de la forêt. Rapidement. Il fallait qu’il la suive, même si elle-même n’avait qu’une idée abrégée, incomplète de ce qui les poussait à partir. Il fallait qu’il lui fasse confiance.

Le plus calmement qu’elle put, elle dit :

— Aeron… j’ai comme l’impression que quelque chose nous veut du mal ici. Il vaudrait mieux partir…
— Nous partirons demain, ne t’inquiète pas, répondit-il en se redressant.
— NON ! Je veux dire… C’est maintenant qu’il faut partir.

Elle se tut, incapable d’en dire plus. De toute manière, elle ne savait quoi dire d’autre. Elle n’avait que son esprit un peu fantasque comme preuve de ce qu’elle avançait.

Aeron la fixa un long moment. Il semblait sonder son regard, comme s’il était capable d’y lire quelque chose. Enfin, il baissa les yeux avant de murmurer :

— Il faut partir. Maintenant.

Il se leva et commença à rouler son étrange couverture.

Soudain, ils l’entendirent. Un bruit sourd et régulier. Le martèlement étouffé de dizaines de sabots sur la neige.

Ils arrivent.

Sans prendre le temps de réfléchir, tous deux se mirent à fourrer tout ce qu’ils purent dans un grand sac qu’Aeron balança sur son épaule. Il alla ensuite réveiller son cheval ailé qui dormait dans un coin de la clairière et aida Ana à monter sur son dos, avant de la rejoindre.

Ils approchent. Le claquement sourd des sabots se faisait plus fort, plus intense.

Aeron se pencha et murmura quelque chose d’inaudible à l’oreille de son cheval. Aussitôt, ce dernier se mit en marche, déposant lentement ses sabots dans la neige poudreuse. On eut dit qu’il ne voulait pas abîmer cette grande étendue blanche. Ses sabots agissaient comme une caresse pressée et apeurée. Derrière, d’autres montures montraient moins de scrupules à tracer leur chemin.

Analea, agrippée à Aeron pour ne pas glisser, se demanda à quoi rimaient toutes ces précautions. Ils arrivaient. À chaque pas que faisait le cheval ailé, les autres progressaient de dix pas. La distance qui les séparait s’amenuisait, et le cœur de la jeune fille battait désormais au rythme des sabots de leurs poursuivants.

Si son sauveur partageait les mêmes inquiétudes, il se montrait particulièrement doué pour les cacher. Grâce à ses murmures d’encouragement, il guidait le cheval à travers une forêt qui se faisait de plus en plus dense. Tantôt il tournait à droite, tantôt à gauche, sans que la logique de l’itinéraire ne saute aux yeux de la jeune fille.

Ils sont là.

Alors qu’ils continuaient leur slalom appliqué, le silence nocturne fut percé de longs hurlements, des râles rauques assourdissants. D’un même mouvement, Aeron et sa monture tournèrent la tête vers l’origine de ce vacarme. La précision de leur synchronisation avait quelque chose d’étrange. Comme s’ils étaient liés.

Les yeux d’Aeron luisaient à tel point qu’ils en éclairaient presque le taillis. Coulés dans de l’argent, ils donnaient une lueur inquiétante à son regard, qui fut rapidement accentué lorsque son visage se décomposa. Redoutant ce qu’elle allait découvrir, Ana tourna, elle aussi, la tête.

Il n’y avait rien, derrière. Rien qu’un infini englouti par la nuit. La rumeur des cris se tut. Les poursuivants ne poursuivaient plus. Ils sont là. Le silence était revenu et pourtant, Analea aurait tout donné pour qu’il parte. Au moins, avant, avait-elle eu une notion de la distance qui les séparait. À présent, ils étaient séparés par le néant.

Il y eut un craquement. Infime. Mais au cœur de la forêt devenue muette, ce murmure était semblable à une menace. À peine quelques secondes après, des arbres à une centaine de mètres de là s’embrasèrent. La clairière revêtit son costume vermeil, accompagnée par les déclamations rauques des pyromanes.

Quelques instants passèrent durant lesquelles ils observèrent les arbres se consumer. Ana tremblait. C’était eux – Aeron et elle – qui auraient dû leur servir de brasier, et cette perspective l’effrayait.

C’est alors que des formes sombres surgirent des flammes, fonçant droit sur eux. Aeron hurla par-dessus la clameur :

— Onanei !

Pas de murmure. Pas de caresse. Un unique grand cri qui fit partir le cheval au galop. À présent, il ne s’agissait plus de masquer les traces, mais de s’éloigner le plus possible du convoi des ténèbres duquel cinq mètres à peine les séparaient. La forêt était trop dense pour que le cheval déploie ses ailes, aussi se contenta-t-il de répéter le même slalom effréné.

Le regard d’Analea ne cessait de se poser sur leurs poursuivants. De cette demi-douzaine de masses sombres qui se détachaient sur un fond enflammé, elle ne parvenait à distinguer ni cavalier ni monture. Leurs râles se confondaient en une cacophonie de cris gutturaux. Et malgré la vitesse du cheval ailé, ils se rapprochaient à vue d’œil.

Soudain, un éclat argenté perça l’écran noir de la cavalerie. Ana se tourna vers Aeron, intriguée, au moment même où un projectile frôlait son oreille droite pour aller se ficher deux mètres plus loin, dans un arbre frêle et courbé par la neige.

L’objet était une sorte de petit disque métallique muni d’un œil rougeoyant en son centre. En atteignant l’arbre, il déploya des pattes semblables à celles d’une araignée – sauf que celles-ci étaient munies de longues pointes acérées, qui transpercèrent l’écorce avec une brutalité affolante.

Du corps sphérique de ce petit monstre émergèrent de longues racines brunâtres et crépitantes. Elles s’enroulèrent tout autour du tronc, coururent le long des branches jusqu’à la cime, puis d’arbre en arbre.

L’explosion partit de l’œil. Toutes les flammes qu’il contenait se propagèrent le long des racines entortillées, grignotant petit à petit chaque parcelle de l’écorce mordorée. Bientôt, toute la végétation alentour s’alluma d’une lueur d’enfer, illuminant une seconde fois la forêt mutilée.

Le cheval se cabra, refusant de s’enfoncer dans la fournaise qui lui était destinée. Dorénavant, ils étaient encerclés par d’immenses torches devant, et par la meute des ténèbres derrière.

Analea ne voyait aucune issue à ce piège incendiaire. Les flammes atteignaient une telle hauteur, elles brillaient d’une telle intensité que toutes les étoiles du ciel auraient paru bien pâles, si au moins elle avait pu les voir.

Jusque-là, la neige avait été sa meilleure amie. Mais cette dernière se laissait passivement dévorer par les flammes, comme si le sort des deux jeunes gens ne l’intéressait plus. À la manière de cette neige indifférente, Analea se laissa fondre, elle se laissa abattre par sa peur qui dansait perfidement devant ses yeux.

Malgré l’air suffocant qui se risquait à entrer dans ses poumons, malgré la fumée opaque et l’éclat ocre des flammes qui brouillait son regard, elle parvint à suffisamment se concentrer pour voir son compagnon d’infortune. Ce dernier sauta du cheval ailé et dégaina dans son dos un sabre courbé et un manche qui se déploya en une longue lance chargée de lames. Il n’eut même pas à s’avancer pour rejoindre ses adversaires. Ils étaient déjà là. L’araignée de feu leur avait simplifié la tâche.

Alors, avec une facilité évidente, Aeron se mit à combattre. Il maniait ses armes avec tellement de grâce qu’on eut dit qu’il pratiquait une danse. Un à un, les sinistres inconnus tombaient sous ses coups. D’après ce qu’Ana avait compté, ils devaient être douze en tout, peut-être plus.

Au cinquième adversaire, Aeron perdit son sabre, qui s’envola en tournoyant quelques mètres plus loin. Parmi les dizaines d’armes cachées dans son armure, il saisit une épée oblongue et pointue et poursuivit son offensive.

Alors qu’il s’attaquait à son septième rival, quelque chose transperça le bras gauche d’Analea. Une courte fléchette, trop large pour ressortir. Ana hurla de douleur et se laissa tomber du cheval. Une rivière écarlate naquit dans son bras et creusa son lit dans la neige.

Aeron se tourna vers elle une fraction de seconde, le temps d’évaluer la situation. Ce fut la seconde de trop. Les adversaires en profitèrent pour reprendre le dessus. Ils s’unirent contre le jeune homme et d’un coup l’expédièrent contre un arbre où il se fracassa, avant de s’affaisser mollement sur lui-même.

Malheureusement, il était encore vivant et les cavaliers noirs avaient décidé qu’il mourrait. Ils s’avancèrent lentement, prêts à immoler le jeune homme. Ils n’avaient pas besoin de se presser. Il fallait faire cela dans les traditions, respecter l’art de l’assassinat, lui infliger le plus de souffrance possible. De toute manière, il ne se défendrait pas, et ce ne serait pas la gamine brune qui s’en mêlerait. Elle était trop faible.

Ils se trompaient. Analea n’était pas faible. Elle n’était simplement pas entraînée. Elle ne gérait pas la force de son pouvoir, ne calculait pas la précision de ses coups, mais une chose était sûre : elle était extrêmement puissante. Elle explosa, littéralement.

Elle se mit debout, pantelante. Elle fixa ses rivaux de ses yeux marron. Soudain, ils virèrent à l’ambre et une détonation retentit. Elle écarta les bras, quelques instants avant qu’une vague de neige ne survienne derrière elle, couchant les arbres sur son passage. La vague ondula pour épargner sa créatrice, et alla déferler sur les assaillants.

Lorsqu’ils furent suffisamment ensevelis, Ana baissa les bras pour rompre l’enchantement. Elle alla en titubant retrouver Aeron qui gisait toujours contre son arbre, brisé mais les yeux grands ouverts.

— Aeron ! Par tous les dieux, tu es vivant !

Un mince sourire s’élargit sur les lèvres du jeune homme.

— Ces muscles, dit-il en frappant son torse toujours recouvert d’une armure, c’est du solide !

Ana rit doucement avant de sombrer. Ce fut comme si elle était soudainement vidée de toute son énergie. Elle s’écroula sur la neige qui lui offrit un lit moelleux et glacé.

À travers ses paupières entrouvertes, elle fut capable de voir Aeron se lever péniblement et se précipiter – se traîner – vers elle. Il lui fit boire quelque chose. Un liquide âpre et sec dégringola dans sa gorge et malgré ce goût affreux, Analea fut heureuse de sentir l’énergie lui revenir. Elle voulut se relever mais il posa une main sur sa poitrine.

— Attends ! Ce que je viens de te faire boire est un élixir d’onys. Cette potion a l’avantage de te redonner toute ton énergie mais… l’un des ingrédients qui la composent a un effet néfaste. Oh, ce n’est pas bien long ! Une ou deux heures au maximum, mais je dois te prévenir. Durant le temps que cet élixir fera effet, tes jambes seront anesthésiées. Tu ne pourras plus marcher, compris ?

Analea commençait à paniquer à mesure que ses jambes s’engourdissaient. Bientôt, elle ne les sentit plus du tout.

— Compris, souffla-t-elle.
— Tout va bien se passer, dit-il en souriant.

Il la porta, non sans difficulté, jusqu’au dos de son cheval ailé qu’il enfourcha à son tour.

— Onanei !

Le cheval partit au galop dans la vaste piste de décollage aménagée par la vague de neige. Il déploya ses longues ailes ivoire et s’élança. Alors, il commença à survoler la forêt Alihuën.

 

 

 

 

 

Chapitre troisième

Alvea Umriea

 

 

 

— Maintenant, dis-moi, qui étaient-ils ?

Aeron leva ses yeux azur vers elle. En presque trois heures, ils avaient survolé l’intégralité de la forêt. À présent ils se trouvaient dans un champ à la lisière du bois. Tous deux offraient un spectacle pitoyable. Ils étaient maculés de sang et le bas de la robe d’Ana avait été dévoré par les flammes. Ils n’avaient pas parlé depuis leur départ, et cette intervention de la jeune fille brisa pour la première fois le silence de l’aube.

Aeron reporta son regard sur la galette de blé qu’il tenait dans ses mains.

— Des Traqueurs, je suppose, murmura-t-il.
— Qui traquent-ils ?
— Moi. Toi. Nous deux, peut-être. Ils traquent les indésirables.
— Les indésirables ? Crois-tu que j’en suis une ? s’inquiéta Ana.
— Toi, je ne sais pas. Moi, c’est une certitude.
— Pourquoi ?

Aeron parut soudain gêné. Il lança un regard circulaire avant de la regarder à nouveau.

— Disons que… j’appartiens à un groupe qu’ils n’apprécient pas trop.
— Dis-moi…
— Je ne peux pas en parler ici ! la coupa-t-il, sèchement.

Ana laissa son regard se perdre dans le champ. Baigné dans la lumière matinale, il était d’une innocence émouvante.

— Excuse-moi, dit finalement Aeron. Mais de nos jours, même les champs de blé ont des oreilles ! Je ne voudrais pas nous attirer des ennuis. Je t’expliquerai tout à la Base.

Devant le regard interrogateur de la jeune fille, il ajouta :

— La Base, c’est un lieu sécurisé où les gens comme moi vivent. Il y a encore un peu de route, mais demain on devrait y être.

Ana acquiesça. Puis elle tourna la tête vers l’horizon. Peu à peu, le soleil prenait place dans le ciel, tout en y appliquant des teintes rosées.

— C’est magnifique, murmura-t-elle, je n’ai jamais vu cela auparavant.

Aeron ne répondit pas tout de suite. Enfin, il se risqua :

— Tu as quel âge, exactement ?
— Dix-sept ans, répondit Ana sans hésiter. Cela faisait partie des « souvenirs » ancrés dans son cerveau.
— C’est drôle, dit-il, le regard dans la vague, à dix-sept ans tu découvres le monde comme une enfant de cinq ans…

Il y eut un silence. Ce n’était pas que la jeune fille était particulièrement blessée par ces paroles. Elle aussi, elle était perdue. Pourquoi n’avait-elle aucun souvenir d’avant sa noyade ? S’était-elle cognée ? Était-elle amnésique ?

— Tu ne te souviens vraiment de rien ?

Ana hocha la tête en signe de négation.

— Je n’ai aucun souvenir. Seulement certaines connaissances basiques – mon nom, mon âge, et des éléments simples comme la neige, l’eau et les arbres. Mais tout ce qui sort de l’ordinaire, toute la magie, tous ces gens qui veulent ma peau – ou la tienne – ça, ça me dépasse.

Un silence, de nouveau. Ils n’avaient pas dormi de la nuit et commençaient à fatiguer. L’aube approchait et Aeron espérait arriver rapidement à la Base. Enfin, la jeune fille ajouta en riant :

— Je crois qu’au départ, tu vas devoir faire comme si j’étais une enfant de cinq ans.
— Je n’ai pas de livre d’images sur moi, répondit Aeron avec un grand sourire, mais je te promets que je ferai tout mon possible pour t’instruire !

Elle sourit en guise de remerciement. Si elle ne se souvenait pas de sa vie antérieure, elle était très excitée à l’idée de découvrir ce monde qui, pourtant, devait être le sien depuis bien longtemps.

Ils finirent tranquillement de manger les galettes de blé. Puis ils repartirent en direction de la Base.

Le voyage fut silencieux, seulement rythmé par le battement des larges ailes du cheval. Le vol dura de l’aurore jusqu’au crépuscule. Sous les yeux ébahis d’Ana se succédèrent forêts, champs et minuscules villages enveloppés dans leur manteau d’hiver. Elle vit le ciel troquer ses couleurs roses pour un bleu digne des yeux d’Aeron, avant de reprendre des nuances orangées et s’endormir.

La brise glacée faisait danser ses cheveux avec les flocons. C’était cette fraîcheur qu’elle adorait, mais Aeron ne semblait pas partager cet avis ; les nombreuses couches de vêtements qu’il accumulait en disaient long sur son amour pour l’hiver.

Lorsque la forêt Alihuën fut hors de vue, lorsqu’ils eurent dépassé les plaines rouges d’Ila et que le Bois des Ombres apparut devant eux, ils s’arrêtèrent afin de passer la nuit. Aeron refusait d’y pénétrer à la nuit tombée – et au vu du nom que portait le bois, Analea n’opposa aucune résistance. Ils se contentèrent donc d’un petit champ où perçaient quelques fleurs téméraires. Ils dormirent peu, alternant des tours de garde. Ils ne voulaient pas se faire surprendre une nouvelle fois par des Traqueurs.

Aucun cavalier aux mauvaises intentions ne vint troubler la nuit percée d’étoiles. Pour la première fois depuis son sauvetage de la rivière, Analea put se reposer normalement. Elle était complètement désorientée, pourtant. Trop d’informations se présentaient à elle pour la première fois, et elle devait faire des efforts considérables pour tout comprendre. À la manière de quelqu’un qui tenterait de se rappeler quelque souvenir d’enfance, son esprit n’assemblait que des souvenirs fragmentés, mélangés et brumeux, parfois incohérents.

Elle profita alors de ce moment de répit pour tout classer, mettre en ordre. Elle avait besoin d’avoir les idées claires, ou la folie ne ferait qu’une bouchée d’elle. Elle devait se préparer pour le lendemain, pour la découverte de la Base qui, encore une fois, l’assaillirait d’informations plus étonnantes les unes que les autres.

Mais elle ne pouvait pas nier son besoin d’aventure, d’adrénaline. Elle le sentait au plus profond d’elle. Elle se devinait exploratrice, et toute cette agitation l’empêchait de dormir.

 

Ce fut seulement lorsque le ciel fut assez clair que les deux jeunes gens s’engouffrèrent dans le bois. De jour, il n’était pas aussi menaçant que lorsque les ombres de la nuit l’engloutissaient. En revanche, les rayons matinaux ne parvenaient pas à masquer son organisation labyrinthique. Sans Aeron, Analea aurait été incapable de s’y retrouver. Tous les cinq mètres environ, un petit chemin terreux apparaissait à droite ou à gauche du chemin principal et s’éloignait en ondulant entre les arbres. Afin de ne pas se perdre, elle suivait donc le conseil qu’Aeron lui avait précieusement donné : « Suis les gemmes bleues. Hormis moi-même, elles sont les seules à qui tu peux faire confiance dans cette forêt. »

Analea n’avait pas bien compris pourquoi ils devaient traverser cette forêt alors que la survoler aurait pris dix fois moins de temps. Aeron avait prétexté que Sande – c’était le nom de son pégase – était trop fatiguée. Mais cela faisait vingt minutes que le cheval ailé gambadait sur le chemin, trépignant d’impatience de déployer ses ailes. Ana était presque sûre qu’il y avait une autre raison.

Depuis leur entrée dans la forêt, Aeron comptait les gemmes à voix basse. Tous les chemins étaient semblables, c’était donc le seul moyen pour retrouver le leur.

Après une demi-heure de marche soutenue, il haussa le ton avant de s’arrêter :

— Trois cent soixante-quatorze… trois cent soixante-quinze, on y est !

Le fameux chemin était donc le trois cent soixante-quinzième sur la gauche. Envahi par l’herbe, il ne devait pas accueillir beaucoup de marcheurs. Ils s’y engagèrent sans ralentir.

Ils n’eurent pas à marcher longtemps avant qu’Aeron ne s’arrête à nouveau. Là, il se retourna vers Analea et posa ses yeux droit dans ceux de la jeune fille.

— C’est là, chuchota-t-il en indiquant quelque chose sur sa droite.

Analea s’approcha, et ce qu’elle vit lui coupa le souffle.

Le grand arbre se confondait incroyablement bien dans les nuances brunes des autres. Pourtant, il était très loin de leur ressembler. Dès qu’elle le vit, Ana sut qu’il avait quelque chose de plus que les autres.

Ce n’était pas seulement à cause de sa couleur – étrangement ambrée. Il y avait aussi ces petites veines qui couraient gracieusement sur son écorce. On eut dit qu’elles voulaient communiquer. Chaque nœud, chaque boucle ressemblait à une rune d’un alphabet lointain. Le tronc d’une finesse élégante avait la courbure d’une arche ; on eut dit l’encadrement d’une porte.

Aeron vint se poster à gauche de l’arbre et, tout en caressant l’écorce du bout des doigts, il dit :

— Voici un portail. Celui-ci s’appelle Nemeth. C’est un portail secret qui a la possibilité de nous faire voyager jusqu’à la Base, bien qu’elle se trouve très loin de là. Seuls… hum… les gens de… mon groupe en ont la connaissance et peuvent l’emprunter.

Émerveillée, Analea s’approcha à son tour. De près, les sortes de runes étaient encore plus stupéfiantes. Elle avait la certitude qu’elles signifiaient quelque chose.

— Que signifient ces signes ? interrogea-t-elle Aeron.
— C’est du vieil elucylen, ancêtre de notre langue. L’écriture aujourd’hui est un peu moins effilée, un peu moins… pittoresque !
— C’est absolument magnifique, murmura la jeune fille.
— J’aimerais qu’on ne s’attarde pas trop ici, je n’aime pas trop ces bois.

Analea détacha son regard du portail et se tourna vers Aeron. Ce dernier avait détaché le haut de son plastron et de sa chemise. Il en sortit une chaîne très fine à l’extrémité de laquelle s’agitait un pendentif métallique.

— Voici la clé, dit-il avec un sourire. C’est le seul moyen d’activer le Portail. Il n’en existe que très peu dans notre monde.

Ana contempla la clé. Pointue à l’extrémité, en forme de losange, c’était un très joli ouvrage. Aeron détacha la chaîne de son cou et dirigea la clé vers une fente que la jeune fille n’avait pas vue. C’était une minuscule serrure qui adoptait exactement la forme de la clé. Aeron y introduisit l’objet et l’effet fut immédiat.

Il y eut un infime craquement et la terre se mit à trembler faiblement. L’espace sous l’arche se troubla. Bientôt, les arbres qui se trouvaient derrière furent complètement masqués par un écran opaque et blanc. Et puis, lentement, un paysage complètement différent apparut.

La jeune fille pouvait distinguer de grandes plaines enneigées et des bâtiments plutôt élevés. Elle n’avait qu’une seule envie : foncer dans ce portail et découvrir ce qui se trouvait de l’autre côté. Elle regarda Aeron. Le jeune homme acquiesça avec un sourire et elle s’engagea dans le portail.

Lorsqu’elle le traversa, elle eut l’impression de passer au travers d’une cascade d’eau chaude. C’était une sensation agréable et étrange à la fois. En apparaissant de l’autre côté, elle fut étonnée de ne pas être trempée.

Aeron et Sande émergèrent quelques secondes plus tard. Analea se retourna vers le portail et eut tout juste le temps de voir le petit bois sombre avant qu’il ne disparaisse. De ce côté-là, l’arche ne ressemblait en rien à celle de l’autre côté. C’était, à ce qui lui semblait, le dernier vestige d’un château ou d’un temple. Les grosses pierres grisâtres étaient recouvertes de lierre envahissant, qui rivalisait franchement avec la neige.

— Bienvenue à Alvea Umriea ! lança Aeron.

La jeune fille se retourna et contempla la fameuse Base. Elle se trouvait dans une sorte de cirque rocheux confiné dans une haute chaîne de montagnes. Tout autour de cette petite vallée circulaire, les hauts pics où s’attardaient les neiges éternelles lui servaient de muraille naturelle. Au plus bas se trouvaient de nombreuses tours d’une hauteur admirable. La plupart étaient en partie en ruines, mais, reliées entre elles par des petites collines, des arches et des ponts de pierre, Analea leur trouva un charme incontestable.

On aurait pu penser qu’un tel endroit, où la nature avait repris une partie de ses droits, serait désert, seulement habité par quelques animaux sauvages. Ce n’était pas le cas, loin de là. Le lieu fourmillait d’individus tous vêtus des mêmes vêtements sombres qu’Aeron. À cette petite population se mêlaient quelques chevaux, pégases et autres équidés pour une bonne partie hybrides. Pour un endroit en apparence abandonné, cela faisait beaucoup de monde.

Aeron, Ana et Sande prirent donc le chemin qui descendait vers Alvea Umriea. Lorsqu’ils arrivèrent en bas, la jeune fille réalisa qu’elle n’avait jamais été en présence d’un nombre aussi important d’étrangers, et elle se sentit rougir. Beaucoup se retournèrent, interrogèrent du regard et détaillèrent les nouveaux venus de haut en bas, mais personne ne fit la moindre réflexion. Une sorte de respect flottait dans l’air, une retenue et une patience qui la rassurèrent.

Un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de dix ans accourut vers eux. Ses cheveux et ses yeux arboraient la même teinte turquoise. Il les salua poliment avant de s’adresser au jeune homme :

— Cavalier de premier ordre Clay Ehreth, j’ai pour ordre de vous emmener au cabinet de Maître Evy Silve.
— Dis-lui que j’arrive, Apprenti Thémis, répondit Aeron en ébouriffant la tignasse bleue du petit garçon, je dois emmener Sande à son pré.
— Je peux le faire pour vous, Cavalier Ehreth, dit le garçon.
— T’es un ange, Thémis, répondit Aeron avec un sourire attendri.

Le petit ange lui rendit son sourire et trottina jusqu’à Sande. Il caressa le pégase et l’entraîna sans encombre vers les larges prés saupoudrés d’hiver.

Aeron se tourna vers Ana.

— Viens avec moi, dit-il en se remettant en marche.
— Attends ! l’interrompit Ana en le retenant par la manche. Attends, qui est Clay Ehreth ?

Aeron parut un instant troublé, mais il se ressaisit vite.

— Clay Ehreth, c’est moi. C’est mon pseudonyme, lorsque je suis Cavalier de l’Ombre.
— Cavalier de…
— Suis-moi, la coupa-t-il, je t’expliquerai après.

Intriguée, Ana suivit celui qu’elle ne savait plus comment appeler. Aeron ou Clay ? Elle ne dit plus un mot alors qu’il la guidait au fil des chemins de terre et de pierre.

Ils arrivèrent finalement devant une haute bâtisse de pierre noire. Sur la porte de bois, à côté d’un heurtoir en forme de renard, était accrochée une plaque de cuivre. Analea parvint presque à la déchiffrer, mais Aeron dut finalement la lui traduire. « Maître Evy Silve, équipe Gathere. »

Aeron entra sans frapper. Ils débouchèrent sur une très large pièce carrée décorée de tapisseries orange et blanches aux liserés noirs. D’immenses fenêtres éclairaient à elles seules la pierre sombre, et, derrière la table de bois aux pattes griffues, se dressait une chaleureuse cheminée. À la suite d’Aeron, Ana monta l’escalier en colimaçon, avant de sortir au premier étage.

Cette fois-ci, Aeron frappa, après quoi ils pénétrèrent dans le cabinet de Maître Evy Silve. La pièce, plus allongée que la première, semblait être construite avec des livres pour seul matériau. Trois des murs étaient tapissés d’une haute bibliothèque, et le quatrième avait laissé place à une verrière qui donnait sur l’extérieur. Le plafond élevé était peint d’un bleu nuit, et de minuscules étoiles y avaient été dessinées.

— Il y a autant d’étoiles que d’anciens Cavaliers de l’Ombre, fit une voix grave.

Analea sursauta. Elle s’était laissé emporter par sa contemplation, et n’avait pas remarqué l’homme assis au bureau, face à la verrière. Il ne s’était même pas retourné. Il parlait, tout en griffonnant quelques lignes sur un ouvrage épais.

— Lorsqu’un Cavalier périt, poursuivit l’homme, une étoile s’allume. Intéressant, non ?

Ana acquiesça timidement. L’homme se leva et vint à leur rencontre.

— Maître Evy Silve, dit-il en serrant la main de la jeune fille.
— Ana… Analea Stedlana.
— Maître, fit Aeron en inclinant la tête, auquel l’intéressé répondit.

Maître Silve avait une carrure costaude. Ses cheveux poivre et sel étaient coupés court. Il avait les yeux clairs et sur son visage carré on lisait à la fois une profonde sévérité, une intelligence évidente, mais aussi une sincère tristesse. Son uniforme de combat sombre s’autorisait une légère spécificité : il portait un insigne en forme de blason, orange et blanc, bordé de noir. C’était la marque réservée aux Maîtres de chaque équipe.

Il se retourna sans un mot et alla se poster à côté d’un objet étrange. C’était une demi-sphère en verre, posée sur une petite table ronde. Son socle semblait avoir été fait d’or, et on y avait utilisé le même alphabet que sur le portail de Nemeth. À l’intérieur de l’objet tourbillonnait une épaisse fumée pourpre. Les lueurs qui en émanaient projetaient des symboles sur le mur le plus proche. Ils formaient un mot qu’Analea ne pouvait lire.

— J’espère que tu as une excellente raison de l’amener ici, dit le Maître d’une voix dure en tapotant le verre. L’Asla ne s’était pas allumé depuis des années. Je ne veux aucun problème ici. Ni pour toi ni pour moi.

Aeron s’avança d’un pas. Sans quitter son Maître du regard, il répondit.

— Je l’ai trouvée à Alihuën, dit-il, dans la rivière, en train de se noyer. Elle n’avait aucun souvenir et n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle faisait là.

Il marqua une pause. Un contact visuel intense s’était établi entre les deux Cavaliers, comme l’avait fait Aeron avec Ana. Maître Silve devait essayer de deviner la véracité de ses propos.

Soudain gênée, Ana songeait à quitter la pièce – après tout, personne ne l’aurait remarqué – quand Aeron reprit :

— Vu son état, je ne pouvais pas la laisser seule. J’ai décidé de passer la nuit là-bas. Mais nous avons été surpris par une attaque de Traqueurs, et nous avons dû fuir. Nous les avons tous éliminés, il n’y a aucun problème là-dessus.

Maître Silve se racla la gorge et, tout en s’approchant d’Aeron, il haussa le ton.

— Je ne te le répéterai pas éternellement, Cavalier Ehreth ! Aucun étranger dans l’enceinte, sauf si j’en ai donné l’ordre !
— En fait, si je ne me trompe pas, quelqu’un d’autre en a donné l’ordre.

Maître Silve commença à tordre nerveusement ses mains. Ana craignit qu’il ne s’emporte contre son sauveur, mais il se contenta de demander froidement :

— Et qui en a donné l’ordre ?
— Le… le Grand Cavalier, répondit Aeron d’un ton hésitant.

Le Maître mit un certain temps à réagir. Son visage était devenu complètement fermé.

— Je t’écoute. Sois bref.

Aeron toussota.

— Je pense… qu’Analea Stedlana est la mission dont est chargée l’équipe Falenro de Maître Eysoh. Je pense que c’est elle, l’Arme que nous devons trouver avant Yrazia-Ada.