La dormeuse du Couloumé - Dominique Giorgi - E-Book

La dormeuse du Couloumé E-Book

Dominique Giorgi

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Beschreibung

Des intrigues policières drôles ou dramatiques montrent qu'au creux des douces vallées du Gers, se déroulent aussi des aventures surprenantes et des péripéties insolites.Entre culture locale, imbroglios politiques, tentation monacale, jalousies musicales, entourloupes administratives, attentat terroriste, détresse paysanne ou affaires de moeurs, le Gers n'est pas à l'abri des dérives criminelles.

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Seitenzahl: 137

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Aux amoureux des terres gasconnes

Avertissement : il n’est pas exclu que certains personnages du présent recueil soient inspirés de la réalité gersoise. Ils sont traités ici en tant que héros de fiction. Qu’aucun ne prenne ombrage, s’il venait à se reconnaître, des traits qui lui sont prêtés.

TABLE DES MATIÈRES

La dormeuse du Couloumé

A la gare

Mano a mano

Le Grand cèdre

Yersinia pestis

L’autel disparu

Les simples du simple

La carte postale

La clef des champs

Non mais!

La dormeuse du Couloumé

Au nord d’Auch, sur les bords du Gers, s’étend le vaste parc du Couloumé, bien connu des auscitains qui viennent y déjeuner sur l’herbe, échanger un volant de badminton dans les clairières ombragées, ou mener leurs enfants aux nombreux jeux de plein air qui y ont été aménagés. Les tilleuls argentés, les chênes, les cornouillers, les peupliers, les cèdres, le magnifique sequoia américain constituent un ensemble remarquable pour les amateurs d’arbres. Les fruitiers ornent également la place, poiriers et pommiers en particulier s’y trouvent en nombre.

Au milieu du parc, s’élève le massif château du Couloumé en pierres calcaires typiques du Gers, doté de deux tours, une carré et une ronde, entouré de douves peu profondes cernant l’édifice sur deux de ses côtés. Le châtelain, autrefois propriétaire de l’ensemble des terres environnantes en avait cédé l’usage il y a fort longtemps, d’abord pour les besoins d’un terrain d’aviation qui dès le début du XXe siècle avait vu décoller et évoluer dans l’air, sous les yeux ébahis des curieux et passionnés, les "fous volants", dont les prouesses sidéraient. Puis la prairie avait été aménagée en hippodrome, où les courses attiraient les parieurs gersois. Enfin, une peupleraie avait été plantée dans les années 60, qui avait cédé la place au parc municipal, sur le terrain enfin rendu aux promeneurs et amateurs de moments bucoliques.

Le châtelain actuel avait perdu en calme ce que son château avait gagné en notoriété. Vieux monsieur aux moustaches et à la couronne de cheveux grisonnants, il portait le béret béarnais traditionnel en feutre noir qui dissimulait sa calvitie et le protégeait des intempéries comme du chaud soleil du sud-ouest. Il avait hérité de ses ancêtres une collection de cycles qu’il astiquait méticuleusement : une vieille draisienne, plusieurs vélocipèdes, et des bicyclettes plus récentes qu’il enfourchait quotidiennement pour se rendre en centre-ville. Il empruntait alors la promenade cyclable qui longeait le Gers et le menait au marché tous les jeudis ou aux commerces de l’avenue d’Alsace. Pantalon et veste de velours côtelé, fines lunettes sur le nez, il pédalait sans trop de peine, même si les départs et les arrêts du cycle faisaient parfois craindre aux observateurs des catastrophes évitées de justesse.

Sa petite silhouette au béret était bien connue en basse ville, et sa réputation de pingrerie mieux encore. « Un sou est un sou » aimait-il à répéter, lui que les conversions en francs et anciens francs n’effrayaient pas, et qui s’effarait sans cesse que les prix aient tant augmenté depuis l’euro. Le boulanger et le marchand de journaux savaient que chaque centime était compté, les pièces finement rangées dans un porte-monnaie en cuir noir usagé. Les achats plus onéreux, rares mais réalisés avec une attention d’autant plus vigilante, faisaient l’objet de marchandages sans concession. Vieux client, apprécié pour sa fidélité, lui qui n’irait jamais hanter les vastes hangars des centres commerciaux, le châtelain jouissait d’un traitement à part, avec des rabais exceptionnels et des soldes non autorisées. Au fond, on le voyait comme un vieillard un peu original, une de ces figures du coin, qui connaissent un peu tout monde, sans se lier vraiment avec personne.

Le vieux monsieur vivait seul au château, aucune famille pour le distraire des obligations quotidiennes qu’il s’était créées. Il avait bien fréquenté une cousine éloignée, en sa jeunesse, mais les choses ne s’étaient pas faites. La jeune femme était bien insouciante, trop de son temps, dans ces années 60 qui avaient marqué la libération des mœurs. Lui au contraire était décalé, trop traditionnel, n’aimant ni les Beatles, ni les chemises à fleurs. De retour de mobilisation en Algérie, il lui en avait voulu à cette petite sotte, de contester les traditions familiales, de s’éloigner de ses valeurs, bref, en un mot, de le laisser tomber. Le temps avait passé sans que d’autres occasions de mariage se présentent. La blessure s’était transformée en dépit, en rejet, puis sans doute en une certaine misogynie inavouée. Il ne partageait plus son temps qu’entre jardinage et gardiennage des environs, où se concentraient les pommiers du parc.

Le châtelain mettait à tout un soin scrupuleux, le ménage de sa demeure, l’entretien de ses cycles, le nettoyage de ses outils, le balayage de sa cour, où aucune feuille ne traînait jamais, le désherbage et l’arrosage de ses quelques ares de jardin où, selon les saisons, il cultivait salades et tomates, courgettes et potirons, haricots verts et choux fleurs. Célibataire endurci, il avait développé des manies que ses voisins moquaient régulièrement et qui le faisaient passer, selon les jours pour un homme organisé ou légèrement insolite. Parmi ses collections, il attachait un prix particulier aux armes de chasse, héritées de ses aïeux. Les plus récentes étaient parfaitement entretenues. Son grand-père lui avait ainsi légué un beau fusil à chiens extérieurs, percussion centrale et canons juxtaposés de la marque Lefaucheux. Son père chassait dans les années 1930 avec un Hammerless, dont la crosse en noyer était astiquée et luisante d’huile. Le petit arsenal était en état de marche, le châtelain écouvillonnait régulièrement les canons et passait le chiffon à poussière, les armes étaient rangées dans une armoire forte, avec les munitions assorties.

Les anciens de la réserve Saint Hubert se souvenaient d’un chasseur avisé et précis, et surtout d’un sacré tireur, qui ratait rarement sa cible en mouvement. Mais l’âge ne lui permettait plus de se déplacer aussi agilement dans les bois du Gers et il avait renoncé à ce plaisir de jeune temps. Que de souvenirs il avait accumulé, de marches harassantes dans les sous-bois, guettant la course zigzagante du lièvre qui détale, ou l’envolée furtive de la perdrix, du chien marquant l’arrêt comme une vigie attentive, puis ramenant la proie avec l’enthousiasme du devoir accompli, de retours, le carnier rempli et la cartouchière vide. Au fond, il y avait là des rites ancestraux, le chasseur et le chassé, la traque et le plaisir de débusquer l’animal, des moments que ses pères et grands-pères avaient connu de même, une tradition qu’il était fier d’entretenir.

De sa fenêtre à croisée, il surveillait jalousement les environs immédiats du château. Non qu’il fût inquiet que quelque voleur se soit introduit dans l’enceinte ou ait franchi les douves, mais « son » verger, bien que planté dans le parc municipal lui avait toujours paru rester sous sa garde. Il n’aimait pas que les « jeunes » des habitations à loyer modéré viennent s’installer à proximité pour s’y restaurer de frites et de ces sandwiches américains garnis de viande hachée et grillée, appelés hamburgers. Il veillait surtout, en automne, à ce que « ses » pommes ne soient pas cueillies par des petits « voleurs » sans scrupule et sans façon. Sans misanthropie véritable, le vieux monsieur avait quand même nourri une certaine animosité envers les promeneurs apparemment désœuvrés et attirés par les fruits du verger. Certains jours, sa voix caverneuse rappelait à l’ordre des audacieux trop tentés, et il était devenu, pour le voisinage adolescent, un objet de raillerie ou de moquerie.

De ses journées, une fois remplies ses obligations de propriétaire méticuleux et vigilant, il ne restait que peu de temps libre. Et le soir, pour celui qui ne possédait qu’un poste TSF en acajou d’où la voix de radio Londres avait résonné, la lecture restait un loisir important. Surprenant amateur de poésie, il lisait Rimbaud, dans un étonnant contraste avec l’adolescent révolté et le grand voyageur aux idées libertaires, là où la tradition, le célibat et les limites du Gers avaient constitué le cadre de vie étriqué du châtelain. Lui qui avait toujours été « guidé par ses haleurs », et n’avait navigué que sur la Baïse, voyait-il avec surprise ou envie les « bateaux ivres » sans attache ni guide ? Lui qui n’avait jamais connu les tempêtes et les « clapotements furieux des marées », regrettait-il d’avoir suivi « l’œil niais des falots », de n’avoir pour repère que les sommets des Pyrénées, qu’il apercevait par temps clair? Lui qui avait été baigné de la douce lumière gasconne, rêvait-il encore de « soleil bas, taché d’horreurs mystiques » ? Ces lectures lui laissaient un sentiment étrange, regret peut-être, mais il était trop tard, colère alors du temps perdu, et envie de ceux qui sans crainte se jetteraient dans l’aventure sous ces « cieux délirants… ouverts au vogueur ». Ces aventuriers, ces voyageurs ou même ces petits « voleurs de pommes », au fond, il les méprisait, les haïssait même, pour la liberté dont lui n’avait jamais su faire usage, drapé désormais dans l’orgueil et la certitude de ceux qui n’ont emprunté que les routes droites.

Et les jours succédaient aux journées. L’été avait été caniculaire. Heureusement les murs épais du château protégeaient de la trop forte chaleur. L’automne s’avançait. Les feuilles de l’orme résistant commençaient à roussir. Planté en 1989, l’arbre était immunisé contre la maladie qui décimait ses congénères. Fort bien. Mais qu’on l’ait nommé « arbre de la liberté », cela, le châtelain traditionaliste ne l’avait vraiment jamais compris.

Le jardin avait bien donné cette année. Le verger, après la floraison abondante du printemps portait des fruits en quantité, des chanteclercs, des clochards, mais aussi plusieurs variétés de reinettes.

Une jeune lycéenne de la cité proche surveillait leur mûrissement et se promettait déjà d’offrir à ses parents une tarte aux pommes du verger local. Elle le traversait matin et soir pour se rendre au lycée et en revenir. Ces trajets lui permettaient de vérifier la couleur des fruits, de regarder si certains ne se détachaient pas tout seuls des branches. Brunette au cheveux mi- longs, elle marchait vivement dans les allées du parc, parfois accompagnée de deux ou trois amis, parfois seule, toujours enlevée et insouciante.

Avec l’œil du chasseur, le châtelain surveillait les arbres, et rappelait à l’ordre les passants trop insistants, ces prédateurs en puissance. Il avait bien remarqué la jeune fille et son panier d’osier. Il avait deviné ses intentions. De son donjon, il la guettait, il avait noté ses heures de passage, repéré son allure, répertorié ses tenues, épié ses détours sous les feuillages. Il l’avait hélée déjà à deux ou trois reprises, des avertissements sans frais, auxquels la jeune fille, qui avait entendu parler du cerbère, n’avait pas vraiment prêté attention. Que le vieux bonhomme reste donc dans son château, après tout le parc était à tout le monde. Quelques jours encore et les pommes seraient bonnes à cueillir.

L’après-midi finissait et la cueillette avait été bonne. Allongée sur la petite bute, devant les douves, elle semblait maintenant assoupie, le profil doux et serein, les yeux mi-clos, les cheveux défaits, quelques mèches négligées sur le front, le teint pâle et le sourire surpris que conservent parfois les endormis. Le panier s’était renversé sur la pente douce à côté d’elle. Quelques pommes avaient même glissé hors du panier. La tête posée sur l’herbe, elle prenait le soleil du soir aux rayons rasants, les pieds chaussés de sandalettes écrasant négligemment quelques glaïeuls. Au loin on apercevait la silhouette imposante de la cathédrale. L’ombre des arbres s’allongeait peu à peu.

Le châtelain l’observait encore. Elle lui rappelait décidément beaucoup son amour déçu de jeunesse, même insouciance, même effronterie, même aplomb à défier les bonnes mœurs.

Il se récitait doucement quelques vers : « Les parfums ne font pas frissonner sa narine. Elle dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, tranquille. Elle a deux trous rouges au côté droit. », le fusil encore posé sur le rebord de sa fenêtre à croisée.

A la gare1

Melle Lajaunie dissimulait dans son sac à main l’arme du crime. Un petit pistolet à air comprimé, jolie réplique d’une arme à feu Glock J 17, mais propulsant seulement des billes en acier de 4,5 millimètres de diamètre, avec une puissance de deux joules. Suffisant pour faire mal, mais pas pour tuer. Oui, elle avait l’intention de l’humilier, de le blesser, de le quitter une bonne fois pour toute, ce macho mal emmanché, ce type épais, hagard et sans égard, cette brute éméchée et avinée. Sauf que l’affaire avait mal tourné. Mais était-ce un mal pour un bien ?

Quelle chute, quelle dégringolade depuis qu’elle l’avait connu, jeune rugbyman au torse avantageux, faisant une cour insistante mais presque galante, flattant la jeune et belle gasconne qu’elle était. Elle s’était laissée séduire. Ils s’étaient installés dans une de ces petites maisons en briques roses, sur le bord d’une rue passante de l’Isle-Jourdain. Le solide gaillard bossait chez un dépositaire de nourriture pour animaux de la ferme. Il conduisait le charriot élévateur, soulevait et maniait les sacs de graines et de croquettes. Le soir, il s’arrêtait avec ses collègues dans une brasserie de la place Gambetta, pour prendre une bière ou deux. Une troisième mi-temps sans grande élévation, mais dans la tradition locale. Melle Lajaunie allait parfois y rejoindre son Jules. Cachou, c’est ainsi qu’ils l’avaient surnommée, sans imagination, ne goûtait guère l’ambiance, mais donnait le change, et finissait par ramener son homme à la maison, avant que l’alcool lui montât trop à la tête. Mais elle y réussissait de moins en moins. Le whisky soda remplaçait de plus en plus souvent la bière blonde, avec des effets bien répertoriés par la science, regard embrumé, diction hésitante, démarche chaloupée, pensée alentie, réflexes amortis. Et le lendemain, maux de tête, mauvaise humeur, ressentiment général, tremblements incontrôlés.

Il fallait en finir. Cachou s’était procuré le Glock. Un soir de pluie, sur le chemin de la brasserie à la maison, le long de l’avenue déserte, elle l’avait poussé sur le trottoir mouillé. Il s’était affalé, la tête la première. Elle l’avait tenu à terre, un pied sur le dos empâté, le menaçant de l’arme, tirant quelques billes pour faire mal. Il criait grâce, autant qu’il le pouvait, la bouche écrasée sur la terre battue, le souffle coupé par la chute. Elle lui criait sa déception, son humiliation, sa déchéance. Il demandait pitié, promettait de changer, haletait, étouffé par les renvois d’alcool. Et puis, plus rien, le trou noir, les poumons privés d’air. Elle l’avait laissé là, allongé sur le ventre, la tête glaiseuse et les mains retournées, entre les feuilles mortes tombées des platanes et les déjections des chiens du quartier.

La voilà à la gare, changée, portant un petit tailleur chic, tirant une valise à roulettes, emportant ses effets, son petit sac à main avec le Glock enfoui sous les mouchoirs en papier et le porte-monnaie. Elle s’assied sur le banc, les jambes jointes, pose son sac sous son bras, installe la valise sur le côté. Le tableau des départs indique que le dernier train express régional pour Saint-Agne et Matabiau passera à 22h07. Elle est seule. L’horloge suspendue égrène les minutes, l’aiguille des secondes tourne sans faiblir, dans son mouvement circulaire inéluctable. Un moment à attendre.

Le couple s’est installé en face de Melle Lajaunie. Lui, vieillard bien conservé, cheveux jaunis coiffés en arrière, ajusté dans un complet gris, cravate bleue, chaussures noires étrangement maculées de boue. Elle, plus jeune, maquillée, cheveux blonds courts et lisses, l’aspect sévère dans un tailleur fuchsia. Rien de très gascon. Mais l’Isle Jourdain est depuis longtemps une banlieue de Toulouse, et les originaux du Boulevard de Strasbourg ont souvent une résidence secondaire dans le coin. Le couple devise à voix haute, dans une langue que Melle Lajaunie ne comprend pas. Ce n’est pas le patois gascon. L’homme ne ressemble guère au type gersois, tel que le décrit l’ethnologie officielle. Pas de béret, pas de veste en velours côtelé, pas de moustache. Pourtant, des sonorités qui rappellent une langue latine, mais avec des chuintements bizarres et des longueurs exagérées. Du portugais peut-être ? Les voix sont fortes. L’homme et la femme parlent sans retenue. De temps à autre, ils basculent de la langue incompréhensible au français.