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En suivant son ministre dans les Vosges, Françoise, l’attachée de presse n’imagine pas que sa vie va être bouleversée. Durant son séjour, une balade pourtant anodine en forêt lui ouvre un univers totalement méconnu. Sa rencontre avec un être étrange sera le point de départ d’une aventure insensée. De doutes en certitudes, elle fera face à des vérités qui n’étaient pas les siennes. Désormais, Françoise ne regardera plus les arbres de la même façon. Son amour pour l’organisation et son aversion pour les imprévus seront mis à l’épreuve lorsque sa routine sera complètement bouleversée.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Claude François est un amateur de littérature fantastique, car attiré par les créatures qui, dans notre quotidien, ne se montrent pas, mais sont à l’origine de nombreuses légendes à l’instar des loups-garous, vampires, elfes, etc. L’écriture de La guerre des chênes a débuté il y a presque trente ans. En raison de son activité professionnelle, Claude a dû faire une pause. Il a profité de sa retraite pour ressortir son manuscrit du tiroir et achever cette histoire.
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Seitenzahl: 540
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Claude François
La guerre des chênes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Claude François
ISBN : 979-10-377-9518-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
An de grâce 1775
Dans le duché de Lorraine près de la ville de Sarrebourg s’étend une forêt importante. Un chêne impressionnant trône au milieu d’une grande clairière.
En cette fin de matinée, un homme est assis au pied de cet arbre. Il tient dans ses bras un bébé, une petite fille endormie. On est au mois de novembre, il fait froid et cet enfant n’est vêtu que de haillons qui la laissent transie de froid. À l’orée du bois, un couple attend. Ils sont serrés l’un contre l’autre et observent l’homme qui tient leur petite fille dans les bras. Il leur a promis que cet arbre, sous lequel il se tient, guérira leur petite Madeleine. Celle-ci est chétive et ne mange presque rien. Elle pleure souvent et personne n’a pu leur dire de quoi elle souffrait. En désespoir de cause, ils l’ont confiée à Robert. C’est la dernière chance de sauver leur unique enfant. Cet homme, assis au pied de ce chêne, semble endormi. Il a la tête baissée, mais elle bouge, comme en cadence. Puis il se lève et commence à grimper dans l’arbre. Il tient la petite contre lui et s’aide uniquement de son autre main pour escalader le tronc impressionnant. Il disparaît aux yeux du couple. Enfin, après de longues minutes, il redescend seul. Il rejoint les parents qui n’osent pas l’interroger.
— Revenez demain matin, elle sera guérie.
Puis, il disparaît dans la forêt. Les parents sont anéantis. Leur fille va mourir de froid cette nuit. Elle n’a rien, même pas une couverture pour la réchauffer un peu. L’homme se détache alors de son épouse.
— Je vais la chercher. On ne peut pas la laisser là, elle va mourir.
Et il se dirige vers le chêne. Mais au bout de quelques pas, il est comme bloqué par un mur invisible. Il essaye de pousser le mur, mais rien ne bouge. Sa femme arrive pour l’aider, mais même à deux, ils ne peuvent rien. Très anxieux, ils finissent par retourner dans leur masure.
Le lendemain, ils retournent à la première heure auprès du chêne. En y arrivant, ils trouvent Robert assis au pied de l’arbre avec, dans les bras, leur petite Madeleine. Ils courent vers eux et constatent, soulagés, qu’elle est vivante. Robert l’a enveloppée dans une couverture et elle est protégée du froid. Il leur remet la petite. Elle dort paisiblement et a l’air en bonne forme, comme si ses maux avaient disparu. La mère, avec l’enfant dans les bras, fait un pas en arrière et met un genou à terre pour se prosterner devant l’arbre qui a guéri sa fille. Son mari, avec un temps de retard, fait de même.
Robert s’approche alors d’eux et leur pose la main sur l’épaule.
— Vous avez raison, il a guéri la petite. Mais il faudra le remercier. Vous viendrez ici chaque mois prier pour que cet arbre continue à veiller sur votre enfant.
— D’accord, dit l’homme. Mais toi, comment te remercier ? C’est grâce à toi si nous avons pu venir ici.
— Oh moi ! Vous savez, je n’ai pas besoin de grand-chose. Mais puisque vous voulez me remercier, et sachant que vous n’avez que très peu de biens, vous me fournirez une petite partie de votre récolte. Ça me permettra de me consacrer complètement à aider d’autres à profiter des soins de cet arbre.
Le couple donna son accord et repartit avec l’enfant. Robert se tourna vers l’arbre et entra en contact avec lui.
— Merci pour eux, dit-il.
— Tu n’es pas sincère. Tu ne fais pas ça pour eux, mais pour toi, tu veux être l’homme miracle.
— Et toi, que veux-tu ?
— Peu importe ce que je veux, mais grâce à toi et à cette petite humaine, j’ai appris quelque chose.
— Quoi donc ?
— Je vais pouvoir devenir l’Arbre-Empereur.
— C’est quoi ça ?
— Ce n’est pas ton problème. Contente-toi de me ramener des enfants à guérir. Je te promets qu’ils ne le regretteront pas.Puis le contact fut coupé.
Robert continue de jouer à l’homme providentiel et fournit régulièrement des enfants au chêne. Tout se passait bien et Robert fut bientôt considéré comme un homme médecine.
À quelques lieues de là, un autre chêne comprit aussitôt ce qui allait arriver. On l’appelait l’Arbre-Empereur. C’est lui qui veillait sur ce peuple de chênes. Il sentit que quelque chose de différent se passait. Un de ses membres venait de déclarer qu’il voulait prendre sa place. Depuis qu’ils existaient, cela ne s’était jamais produit. Qu’allait-il se passer ? Comme les humains, devraient-ils se battre ? L’Arbre-Empereur ne le souhaitait pas, mais il ne laisserait pas sa place. Si une guerre devait arriver, il la gagnerait.
An de grâce 1904
Émile avait pris son plaisir sur le chêne. À Eloyes, personne, ni sa famille ni les habitants ne savaient ce qui lui arrivait. Pourtant, un cri furieux le sortit de sa béatitude et il faillit tomber de la branche sur laquelle il était perché. Son père était sous l’arbre et avait compris ce qu’il faisait. Émile descendit aussi vite qu’il le put et s’enfuit en courant pour éviter la colère de son père. Arrivé à la ferme, il s’enferme dans l’étable au milieu des vaches et ne bouge plus. La cachette n’était pas la meilleure, car son père le repéra très facilement et lui demanda des explications. Émile ne put les lui fournir, car lui-même ne savait pas trop ce qui lui arrivait. Une voix lui avait suggéré de monter dans cet arbre et il avait obéi. Sur l’une des branches, une jolie fille l’avait enlacé et il n’avait pas résisté. Depuis, il revenait régulièrement retrouver cette fille. Seulement, elle disparaissait mystérieusement dès qu’il avait pris son plaisir. Et à chaque fois, il lui semblait que l’on essayait de lui dire quelque chose qu’il ne comprenait pas. Son père lui avait interdit de revenir vers ce chêne, mais Émile était trop amoureux de cette fille pour lui obéir et il revint en cachette. Cette fois-là, ce n’est pas son père qui passa sous l’arbre, mais une femme du village qui cherchait des champignons. Choquée par cette vision, elle courut au village et raconta à tous, la scène qu’elle avait vue. Le scandale provoqué fut fatal à la famille d’Émile qui dut quitter le village. Ils s’installèrent alors dans un autre village, près de Sarrebourg, non loin d’une forêt où vivait un chêne centenaire. Très vite, Émile se sentit attiré par cette forêt. Il commença à s’y promener régulièrement, toujours guidé par cet instinct qui lui disait de se diriger vers un endroit précis. Le chêne l’attendait. Il savait qu’Émile avait connu l’Arbre-Empereur. Il allait pouvoir, pensait-il, prendre un avantage sur l’Arbre-Empereur.
An de grâce 1990
Dring !
À peine le temps d’une sonnerie, le réveil est déjà arrêté. En effet, Françoise est réveillée depuis quelques minutes. L’habitude lui a donné une horloge dans la tête et presque chaque jour, elle se réveille avant la sonnerie de son radio-réveil. Gérard, par contre, n’a rien entendu. Elle le laisse dormir encore un peu.
Sous la douche, elle chantonne. Une nouvelle journée commence. Françoise déteste la nuit ou plutôt, le sommeil. Pour elle, c’est du temps perdu. Elle a tant de choses à faire. Elle se sèche, enfile une robe de chambre et part préparer le petit déjeuner. Dans une demi-heure, Patrice et Anne vont se lever. Cette demi-heure qu’elle s’octroie le matin pour elle seule, elle ne la laisserait pour rien au monde. C’est le moment où elle réfléchit à sa vie passée, présente et à venir.
Françoise ne se sent pas malheureuse. Au contraire, à 39 ans, elle a un mari qu’elle adore et qui le lui rend bien, deux enfants qui l’aiment et qu’elle aime et surtout un métier qui la passionne. Aujourd’hui, son planning est bien rempli. Attachée de presse auprès du ministre de l’Industrie, elle doit préparer une conférence de presse, mettre au point deux voyages en province et surtout superviser un discours que le ministre doit prononcer dans quelques jours à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle technopole.
— Maman, c’est prêt ?
Patrice vient de sortir de sa chambre. Dix-huit ans, il est en terminale C et voudrait entrer à l’ENA. Sérieux dans ses études, il n’a jamais eu de problèmes majeurs. Il s’entend bien avec le reste de sa famille. Françoise l’adore. C’est peut-être un peu son « chouchou », mais elle essaye de ne pas le montrer.
— Oui, tu peux venir, mais personne n’est encore levé. Il est trop tôt, non ? Oh ! Tu aurais pu passer une robe de chambre !
— Je n’ai pas le temps ! J’avale mon café, je prends une douche et je file. Je dois passer prendre Karine. Ce matin, nos cours commencent à 8 heures.
7 h 30 – Françoise a terminé son petit déjeuner. Patrice est déjà parti. Les deux autres ne sont pas encore levés. Elle entre dans la chambre d’Anne, allume, ouvre la fenêtre et les volets.
— Debout ! Il est l’heure de se lever.
Un grognement inaudible lui répond. Une tête blonde disparaît sous les couvertures.
— J’ai encore sommeil !
— Tu n’as qu’à te coucher plus tôt le soir. Allez debout !
Elle tire les couvertures découvrant Anne qui dormait dans le plus simple appareil.
— Décidément, c’est une manie dans cette maison. Dépêche-toi ! Il est 7 heures et demie et je pars dans une demi-heure. Si tu veux que je t’emmène, ne traîne pas.
— D’accord, je me lève. On pourra passer prendre Aurélie ? Son père est absent pour 2 ou 3 jours et elle n’a personne pour l’emmener.
— Raison de plus pour te dépêcher ! Il te reste 20 minutes pour être prête.
La pénombre règne toujours dans la chambre conjugale. Françoise se penche sur Gérard, persuadée qu’il dort encore. L’instant suivant, elle se retrouve enlacée dans des bras puissants, une bouche virile s’empare de ses lèvres et des mains qu’elle connaît bien partent à l’aventure sur son corps. Malgré l’envie de se laisser aller, elle se dégage.
— Non chéri ! Pas ce matin, nous sommes déjà terriblement en retard.
— Écoute, Françoise !
— Non ! Pas question ! Anne m’attend pour que je l’emmène au lycée. Et je te rappelle que tu dois être sans faute au bureau pour 9 heures.
— Bien ! Bien ! Je m’incline, dommage !
— Voyons, tu peux bien patienter jusqu’à ce soir !
Et, sous l’œil admiratif et un tantinet grivois de son mari, elle commence à s’habiller.
— Ne me regarde pas comme ça, tu vas me faire rougir !
— D’accord ! Je vais prendre une douche et mon petit déjeuner.
L’instant d’après, un hurlement retentit.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande Françoise.
— Rien, c’est ta fille qui n’avait pas fermé la porte de la salle de bains.
— Quelle famille ! pense Françoise.
Soudain, une douleur fulgurante lui perce le cerveau. Elle a failli tomber et s’est retenue de justesse à l’armoire. Cela n’a duré que quelques secondes, mais la laisse vidée. Pourtant, elle ne dit rien et après avoir repris ses esprits, finit de s’habiller et passe à la salle de bains achever de se coiffer et de se maquiller. Elle est désertée. Le père et la fille ont dû faire des concessions et sont en train de prendre leur petit déjeuner. D’ailleurs, elle les entend se chamailler pour savoir qui aura la dernière tranche de pain grillé.
Quelques minutes de répit qui vont lui permettre de se remémorer rapidement l’emploi du temps de sa journée.
— Alors ! Emmener Anne au lycée. 8 h 30 au ministère. Avant l’arrivée du ministre, vers 9 h 30, mettre la dernière touche à la conférence de presse. Répondre aux coups de téléphone, les journalistes s’y prennent toujours au dernier moment pour régler leurs détails. Ensuite, réserver les avions, les chambres d’hôtel et contacter les médias pour les deux voyages à faire cette semaine. S’il n’y a pas trop de problèmes, je devrais régler ça lundi au plus tard. Reste le plus difficile à faire : l’inauguration. Le discours n’est pas encore écrit et ça se passe dans huit jours. Il faut absolument que je m’y mette ce matin.
Un dernier coup d’œil dans la glace lui renvoie l’image d’une femme belle et épanouie. Elle porte magnifiquement ses 39 ans et une longue pratique lui permet de s’habiller avec un goût très sûr.
— Anne, tu es prête ? On y va.
— J’enfile ma veste et je viens !
Elle passe à la cuisine où Gérard est encore en train de manger.
— À ce soir, mon chéri ! Ne traîne pas trop ! N’oublie pas ton rendez-vous, lui dit-elle en l’embrassant tendrement.
En rejoignant la voiture où Anne est déjà installée, elle s’interroge sur ce qui vient de lui arriver. C’est la première fois qu’elle éprouve une telle douleur. Bon ! Pas le temps de s’interroger, elle doit y aller. Très vite, Françoise se retrouve dans la circulation de banlieue. Il est presque 8 heures et rouler vers Paris n’est pas toujours une partie de plaisir. Malgré tout, elle arrive à l’heure fixée au ministère après avoir déposé Anne à la porte de son lycée. Quelques poignées de mains aux collègues déjà présents et elle se retrouve dans son bureau. Cet endroit lui plaît. Depuis 2 ans qu’elle occupe ce poste, elle a pu se rendre compte de la difficulté qu’il y a à s’occuper de l’emploi du temps d’un ministre. Mais elle aime ça. Les responsabilités ne lui font pas peur et surtout, Monsieur le Ministre lui fait confiance et elle a la « faiblesse » d’en être fière. Sa première tâche, lire la presse et trier ce qui est intéressant. Avec l’habitude, une demi-heure suffit. D’ailleurs, ce matin, peu de choses importantes ressortent des journaux. Elle décroche le téléphone.
— Monsieur Bocquart, pouvez-vous m’apporter le texte de la conférence de presse de Monsieur le Ministre, je vous prie ?
— Tout de suite, Madame !
Quelques instants plus tard, il entre dans le bureau.
— Bonjour, Monsieur Bocquart, ça va ce matin.
— Très bien, merci, Madame Devigne ! Voici le texte.
— Parfait ! Je le relis et vous pourrez le faire taper pour la conférence de ce matin.
— Rien d’autre ?
— Non ! Ah si ! J’ai le discours de l’inauguration à mettre au point. Je n’ai aucun renseignement sur les travaux et les personnalités qui seront présentes. Pouvez-vous me faire un petit résumé sur tout ça pour ce soir ?
— Tout à fait ! Je crois avoir tous les renseignements nécessaires.
— Merci ! C’est tout.
Déjà, Françoise s’est plongée dans la relecture attentive du texte de la conférence. Femme très ordonnée, presque maniaque, elle ne veut laisser à personne le soin de mettre au point ce que va dire le ministre.
Quand ce dernier arrive, elle est toujours plongée dans sa lecture, pesant chaque mot et chaque phrase des réponses aux questions qui sont susceptibles d’être posées.
— Eh bien ! Françoise, déjà en pleine activité ?
— Ah ! Bonjour, Monsieur le Ministre ! Oui, je mettais la dernière main à ce que vous allez dire tout à l’heure aux journalistes.
— Parfait, parfait ! Apportez-le-moi rapidement pour que je puisse l’étudier avant cet après-midi.
— Monsieur Bocquart vous l’apportera tout à l’heure.
Ce soir, c’est le week-end, pense Françoise. Sa douleur matinale, elle n’y songe déjà plus. Quelques heures de répit vont faire le plus grand bien. Et rien n’est prévu au planning. Françoise va pouvoir se consacrer à sa petite famille. Pas très longtemps d’ailleurs, puisque dès mardi, elle part pour les Vosges.
Les Vosges, une région, des montagnes qu’elle ne connaît pas. L’Est de la France lui est totalement inconnu sauf par quelques lectures, prospectus ou reportages télévisés.
Mais ce n’est pas le moment d’y penser. Aujourd’hui, toute la famille part à Louviers. C’est en effet de cette région de Normandie qu’est originaire toute la famille Devigne. Françoise est née à Louviers et ses parents y habitent toujours. Retraités du commerce, Monsieur et Madame Leroy tenaient une épicerie dans un quartier périphérique. Depuis leur retraite, prise 5 ans plus tôt, ils vivent dans un coquet appartement du centre-ville. Leurs trois enfants sont tous montés à Paris pour leur travail. Françoise, la dernière, ils ne la voient plus souvent, trop accaparée qu’elle est par ses occupations.
C’est à Évreux, au lycée, qu’elle a rencontré Gérard. Ce ne fut pas le coup de foudre, loin de là. On peut même dire que le premier contact fut franchement désagréable. Gérard était en première quand Françoise entra en seconde au lycée d’Évreux. À l’époque, le bizutage était de rigueur, et les premières, qui y étaient passées l’année précédente, étaient aux premières loges pour faire subir les épreuves aux « bleus » de seconde. Françoise n’avait pas apprécié le traitement et gardait une rancune tenace envers celui qui dirigeait les opérations, en l’occurrence, Gérard.
Pourtant, ce dernier n’était pas resté insensible à l’attrait que pouvait avoir Françoise. Et au fil des mois, à l’occasion de « Boum », il avait essayé de revaloriser son image auprès d’elle. Cela prit du temps, mais, petit à petit, la carapace d’indifférence dont s’était protégée Françoise à son encontre se fissura. Son humour, son aplomb et surtout sa gentillesse vis-à-vis d’elle, malgré les rebuffades, finirent par conquérir la jeune fille. Après avoir été ennemis, ils furent copains. Quand l’amour s’en mêla-t-il ? Ni l’un ni l’autre ne le savent exactement. Leurs études respectives les menèrent à Paris et ils décidèrent alors de vivre ensemble.
Françoise voulait être journaliste. Elle entra dans une école menant à cette voie. Gérard, lui, fit une école de gestion. Et, pendant trois ans, ils vécurent ainsi, ensemble, mais se voyant peu, trop accaparés par leurs études et les différents stages à assumer, aussi bien à Paris que partout en Province.
Gérard, à la fin de ses études, entra comme directeur dans une agence importante d’une grande banque française. Aujourd’hui, il est au siège, comme directeur adjoint, responsable de toute la stratégie commerciale de l’entreprise.
Françoise, avant d’être au ministère, avait « navigué » pas mal. D’abord journaliste dans une radio libre, elle s’est ensuite beaucoup intéressée à la politique pour tenir une chronique dans un journal spécialisé. Ensuite, elle avait pu diriger la rubrique politique d’une radio périphérique importante, avant que le ministre lui demande de devenir son attachée de presse. Malgré la précarité de cet emploi, elle avait accepté, sachant qu’elle pourrait beaucoup apprendre et connaître en côtoyant les membres du gouvernement.
Ça y est. Pour aujourd’hui, tout est terminé. Les derniers détails du voyage sont au point. Quant à l’inauguration, Françoise a déjà pris un certain nombre de contacts aujourd’hui qui vont lui permettre de tout régler avant le départ pour les Vosges, mardi matin.
Mais maintenant, il est temps de penser à autre chose. Ce week-end est pour elle et sa famille. Il est 19 h et, dans 2 heures, tout le monde sera à Louviers et elle oubliera un peu ses soucis professionnels. Louviers, ses parents l’attendent, et là-bas, vraiment, avec son mari et ses enfants, elle goûte au repos sans arrière-pensées, elle réussit à tout oublier de son travail.
Il est environ 22 h lorsque la famille débarque à Louviers, dans la maison de Papi et Mamie. Bien sûr, on les attend avec impatience. Les enfants, bien qu’ils ne soient plus tout à fait des gosses, adorent venir ici. Papi et Mamie leur sont aussi indispensables que leurs parents. Ils représentent autre chose, une sorte de havre de paix dans la tourmente parisienne. Ici, tout le monde se ressource.
— Eh bien ! Vous êtes en retard ! On commençait à s’inquiéter !
Ça, c’est tout Mamie. Il ne faudrait jamais lui dire une heure d’arrivée. Si on a 5 minutes de retard, elle s’inquiète tout de suite.
— Mais non, répond Françoise. On avait dit neuf heures et demie et il est à peine dix heures.
— Bien sûr, répondit Papi, mais tu connais ta mère, à 9 h, elle commençait déjà à dire : qu’est-ce qu’ils font, ils devraient déjà être là.
— Allez, entrez, vous devez avoir faim.
Après les embrassades, tout le monde se retrouve autour de la table. Mamie est un fin cordon-bleu et elle adore faire plaisir à ceux qu’elle aime. Alors, quand elle attend sa fille, elle met les petits plats dans les grands.
La soirée est passée très vite. Il est déjà une heure du matin. Tout en mangeant, la discussion a roulé sur différents sujets. Mais, tacitement, on a évité tous les sujets « sérieux », notamment la politique. Ce n’est pas seulement pour des divergences de pensées, mais simplement personne n’a envie de parler travail. Tout de même, Françoise a demandé à son père de lui parler un peu des Vosges. Elle va y passer deux jours et, comme son père a fait son service militaire à Colmar, il pourra peut-être lui donner ses impressions sur la région.
— Mais mon petit, Colmar, c’est l’Alsace, pas les Vosges.
— Je sais, mais quand même, ce n’est pas très loin, et en dix-huit mois, tu as bien dû aller t’y balader quelquefois.
— Pas tellement, tu sais. À l’époque, j’avais un copain qui était originaire des Vosges. C’était un petit village à côté d’une station de ski : La Bresse. Je ne me rappelle plus le nom de ce village. J’ai dû aller chez lui deux fois. Et ça fait tout de même près de cinquante ans. Je n’y suis jamais retourné et je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. Je ne me rappelle même plus son nom. Les seuls souvenirs qui me restent, c’est des montagnes, des sapins et de la pluie. Les deux fois où j’y suis allé, il pleuvait.
— C’est très vague pour se faire une idée de la région.
— Je te l’avais dit. L’Alsace, j’ai plus de souvenirs. On y faisait des manœuvres et nos permissions nous permettaient de visiter un peu les alentours. Mais seulement la région de Colmar, car, avec les moyens financiers qu’on possédait à l’époque, on ne pouvait aller très loin, sauf pour revenir à la maison quand on avait des permissions longues.
— Et alors, ça te laisse quels souvenirs ?
— Très confus ! L’Alsace me laisse l’impression d’une région agréable. J’y ai passé de bons moments, mais qui ne m’ont pas laissé des souvenirs impérissables. Le fait que je sois à l’armée doit y avoir de l’importance. Je n’ai jamais eu vraiment l’envie d’y retourner. Mais après cette discussion, finalement, je crois que j’y retournerai, pour connaître l’Alsace dans un contexte différent.
— Tout ça ne m’avance pas beaucoup. Enfin, je verrai bien. Allez, il est tard, on va se coucher. À demain tout le monde ! Dormez bien !
Gérard s’était endormi, mais Françoise avait du mal à trouver le sommeil. Elle repensait à ce qui lui était arrivé le matin même. Elle n’avait pas de réponse et finit par sombrer à son tour dans les bras de Morphée. Pas pour longtemps ! Une image s’imposa à elle qui la réveilla en sursaut. Une vieille femme lui barrait le passage sur un sentier très étroit puis elle disparut. Françoise se leva sans bruit et se dirigea vers la fenêtre pour prendre un bon bol d’air. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle resta un long moment devant cette fenêtre à respirer et finit par se calmer et se recoucher. Elle se rendormit.
Le week-end se passa malgré tout sans problèmes et le lundi, tout le monde repartit pour son travail habituel. Le soir, Françoise prend le train pour Épinal, chef-lieu des Vosges. Elle devait arriver avant, afin de débroussailler un peu les choses. Une demi-journée lui était nécessaire. Le ministre n’arriverait qu’au début de l’après-midi.
Gare d’Épinal. Il est 22 h 10. Le train est à l’heure. Il n’y avait que peu de monde. Depuis Paris, elle a pu étudier les notes qu’elle avait prises en consultant les documents nécessaires au bon déroulement de cette visite. En principe, mardi soir, elle devrait être dans l’avion pour Paris. Elle n’aurait donc pas le temps de visiter cette région.
— Dommage, pensa-t-elle. Qu’est-ce que je connais de cet endroit ? Peu de choses, finalement. Les images d’Épinal, son député-maire, homme politique important et puis l’affaire Grégory. Mais je peux difficilement me faire une opinion avec aussi peu d’éléments. Mais dans toutes les régions, c’est la même chose. On ne connaît rien sinon les problèmes posés par les responsables au ministre.
Le taxi la dépose à son hôtel. Au centre-ville, construit au bord de la Moselle, il était confortable et bien aménagé. Le lendemain, le soleil brillait. On était mi-octobre et l’automne qui commençait s’annonçait très agréable. Françoise sourit en pensant aux paroles de son père. Des Vosges, il n’avait vu que la pluie. Elle avait déjà un avantage au moins sur lui, elle les connaissait ensoleillées.
Elle prit son petit déjeuner, puis se rendit à ses divers rendez-vous afin de terminer les préparatifs.
À 14 h, après un déjeuner pris dans un restaurant de la ville en compagnie de personnalités locales, tout ce petit monde partit accueillir le ministre à sa descente d’avion. Trois étapes étaient prévues au programme de cet après-midi. Une réunion avec le maire d’Épinal et le président du Conseil Général, la visite d’un site choisi pour l’implantation d’une nouvelle entreprise dans la vallée de la Moselle et l’inauguration d’une usine qui avait déjà créé une cinquantaine d’emplois et à terme en créerait environ 200 dans la périphérie d’Épinal.
C’est lors de cette dernière manifestation qu’un incident se produisit. Les ouvriers d’un tissage de la ville apostrophèrent le ministre. L’usine textile en question avait des difficultés, la chose n’étant pas rare dans ce secteur d’activité, et les ouvriers, qui craignaient pour leur emploi, demandèrent au ministre de faire quelque chose. Ce dernier décida de recevoir les délégués et après cette confrontation promit d’étudier le problème.
Il appela ses collaborateurs présents et leur demanda d’étudier la situation et d’essayer de proposer une solution. Il fallait donc que quelqu’un reste sur place quelques jours afin de négocier avec les partenaires sociaux de cette entreprise.
Françoise, au cours de la journée, avait éprouvé une attirance certaine pour cette région. Rien ne l’obligeait vraiment à rentrer à Paris. Gérard et les enfants se débrouilleraient bien sans elle pendant quelques jours. Elle décida de rester et d’essayer de résoudre les problèmes posés à cette petite ville des Vosges. Eloyes, c’est son nom, comptait un peu plus de 3500 habitants.
Elle s’installa dans un des hôtels de la ville après avoir raccompagné le ministre à l’aéroport. Elle loua une voiture afin d’être plus indépendante, mais elle ne commencerait vraiment sa mission que le lendemain. Elle avait déjà demandé aux partenaires sociaux de l’usine de lui préparer un maximum de renseignements afin de démarrer une première séance de travail dès le lendemain matin.
Quand elle put se libérer, une fois le ministre parti, elle se rendit à Épinal et, comme il était encore tôt, elle se promena dans la ville. Il faisait doux. L’automne commençait à peine. Elle aurait aimé visiter le musée de l’imagerie ainsi que l’imagerie, mais ils étaient déjà fermés. Alors elle flâna dans les rues. La plupart des magasins étaient fermés. Il y avait peu de monde. Elle alla jusqu’à la Roseraie. C’est un jardin public qui entoure un bâtiment à l’allure d’une villa romaine qui abrite la bibliothèque municipale. Elle est ainsi nommée à cause du nombre important de rosiers de toutes variétés qui y ont été plantés depuis des années. À cette époque, peu de roses étaient encore en fleurs. Cependant, des massifs avaient été aménagés et offraient à l’œil des badauds une harmonie de couleurs chatoyantes.
La nuit tombait. Les lumières de la ville, une à une, s’allument. Tout à coup, la Roseraie s’illumina. Cet éclairage soudain donne une autre dimension au bâtiment. Françoise l’avait pourtant admiré, mais là, la véritable beauté de la façade prenait tout son relief. Un long moment, elle contempla ce spectacle. Désormais, elle était seule dans le jardin, mais peu lui importait. Pourtant, un vent léger se leva qui la fit frissonner.
— Il est tard, se dit-elle et je n’ai pas encore dîné.
Elle sortit du jardin en quête d’un restaurant qu’elle ne mit pas longtemps à trouver d’ailleurs. Juste en face, il y avait un « chinois ». Françoise aimait bien cette cuisine et y allait souvent avec Gérard à Paris. Elle se dit alors que le hasard fait bien les choses et entra. Elle dîna très bien et rentra à son hôtel. Elle allait avoir besoin de tout son tonus demain et puis, pensa-t-elle, les distractions ne doivent pas être légion, un soir en semaine, dans cette petite ville.
Seule dans cet hôtel, sa douleur et son rêve lui revinrent en mémoire. Elle eut soudain peur de s’endormir dans cette chambre et d’être de nouveau importunée. Sans pouvoir expliquer pourquoi, elle savait que ces deux événements étaient liés. Elle n’en avait pas parlé à son mari. Pourquoi ? Elle était incapable de l’expliquer. Pourtant, elle passa une nuit sans problèmes.
Le lendemain, la journée passe très vite. Françoise avait pris une chambre dans un hôtel à Eloyes, pour être au plus proche des événements. Cependant, la situation était bloquée et Françoise, qui n’était pourtant pas de nature pessimiste, se rendit compte que trouver une solution ne serait pas une partie de plaisir. Les réunions se succèdent toute la journée. Et ce n’est que vers 23 h que se termine la dernière. Françoise était épuisée et affamée. La simple collation servie vers 13 h lui paraissait loin. Elle demanda si elle pouvait encore trouver un restaurant ouvert dans le village.
— Ça ne va pas être facile, lui répondit-on.
Monique, la secrétaire de direction, lui propose de venir dîner à la maison. Françoise hésita. Elle ne tenait pas à ce que les employés et ouvriers pensent qu’elle puisse être « achetée ».
— Allez-y ! lui dit le délégué syndical qui avait remarqué son hésitation, vous verrez, son mari fait très bien la cuisine.
Elle partit donc avec Monique, à pied. En effet, celle-ci n’habitait pas très loin, un petit pavillon construit dans les années 50 qu’ils avaient racheté, il y a quelques années. En arrivant devant ce pavillon, coquet, elle put voir que cette maison avait l’air très agréable. Un réverbère proche donnait un peu de lumière. Un jardin l’entourait et malgré l’automne, quelques fleurs y poussaient encore. Françoise avait enregistré ces petits détails d’un seul regard. Elles entrèrent et elle put constater que l’intérieur n’avait rien à envier à l’aménagement extérieur, du moins du peu qu’elle avait pu en apercevoir dans la pénombre. Une petite entrée, prolongée d’un couloir, desservait les pièces de la maison, tandis qu’un escalier partait au bout du couloir et accédait à un étage supérieur.
Le repas était prêt. Mais le mari de Monique avait déjà dîné avec les enfants et ceux-ci étaient couchés. À leur arrivée, il était en train de regarder la télévision. En les entendant, il se leva, l’éteint et vint à leur rencontre.
— Je vous présente Michel, mon mari, dit Monique.
— Très heureux de vous connaître, sourit Michel.
— Enchantée, dit Françoise.
— Si vous voulez faire un brin de toilette avant de manger, dit Michel, la salle de bain est au fond du couloir.
— Volontiers, répondit-elle.
Elle alla donc se rafraîchir un peu et se laver les mains. La salle de bain était à l’image du peu qu’elle avait vu de la maison, chaleureuse et fonctionnelle. Elles se mirent ensuite à table et Michel, en parfait maître de maison, les servit. Ce fut un repas simple, mais excellent.
— Votre délégué syndical avait raison, remarqua Françoise, vous faites très bien la cuisine, Michel.
— Merci, répondit celui-ci. Mais je n’ai pas grand mérite, Monique avait tout préparé avant de partir à midi.
À la fin du repas, ils passèrent au salon.
— Je suis désolé de vous avoir obligé à quitter votre film, dit Françoise.
— Non, je ne regardais pas vraiment. J’attendais Monique pour connaître les résultats des négociations.
— Je te raconterai tout à l’heure, répondit Monique, mais pour l’instant parlons d’autre chose.
— C’est une belle région, par ici, reprend Françoise. C’est la première fois que je viens dans les Vosges, mais je m’y sens bien. Je suis passée hier à Épinal, j’ai flâné un peu dans les rues, dans les jardins, c’est une très jolie petite ville.
— Oui, répondit Michel. Mais ce n’est pas la ville que je préfère dans la région.
— Ah bon !
— À 10 kilomètres d’ici, il y a Remiremont, plus petit qu’Épinal, mais bien aussi coquet et encore plus intime.
— Pourtant, dit Françoise, si on compare à Paris...
— Bien sûr ! répondit Michel, mais Paris ce n’est pas comparable.
— Non bien sûr ! Mais il y a beaucoup de forêts par ici. J’aimerais bien m’y promener un peu.
— Oh ! Vous pouvez, dit Michel, mais faites attention, vous pourriez vous y perdre. Malgré tout, si vous n’êtes pas imprudente, il n’y a pas de réel danger. Des sentiers ont été tracés, ils sont fléchés et si vous ne les quittez pas, vous pouvez vous promener en toute sécurité.
— C’est intéressant, dit Françoise, j’irai peut-être faire un tour demain matin. Les discussions ne reprennent qu’en début d’après-midi, ça me laissera le temps de m’aérer un peu. Le paysage me fait penser un peu à la région d’où je suis originaire, la Normandie, avec les montagnes en moins, bien sûr. Mais nous avons aussi quelques belles forêts.
— Je ne connais pas la Normandie, dit Michel. Mais je suis un peu casanier. J’aime bien les Vosges. Je suis né ici, je travaille ici, et mon rêve serait de finir mes jours ici.
— Pourquoi pas ? dit Françoise.
— On verra bien, répondit Michel.
Plus tard, Françoise prit congé de ses hôtes et rentra à son hôtel. Le lendemain, elle se décide à aller faire une promenade en forêt. Elle descend à la réception et s’entretient avec la propriétaire, Madame Souvaire. Elle lui dit ce qu’elle avait l’intention de faire. Cette dernière l’incite à la prudence. Françoise promit qu’elle ne ferait pas d’imprudence. Et, ainsi qu’elle l’avait décidé la veille, elle monta jusqu’à la forêt. Elle laissa sa voiture à la lisière, sur un petit parking qui y avait été aménagé. Il n’y avait personne. Elle emprunta le premier sentier qui se présenta. Elle marcha sans se préoccuper du temps ou de la distance. Elle se sentait bien. Respirant à pleins poumons, elle apprécie la solitude et la beauté un peu sauvage de l’endroit. Un soleil un peu pâle perçait les nuages. Quelques brumes matinales finissaient de s’effilocher çà et là parmi les arbres. Le sentier serpentait à travers la forêt, parmi différentes espèces végétales qu’elle ne reconnaissait pas toutes. Elle n’était pas très versée en botanique. Elle identifia malgré tout, quelques arbres comme les chênes ou les sapins. Au bout de deux heures de marche, elle commença à sentir un peu la fatigue. Une petite clairière se présenta. Un banc y avait été aménagé. Elle s’y assit. Elle souffla un peu, regarda sa montre et décida de continuer un peu sa promenade. Quelques dizaines de mètres plus loin, un autre sentier partait sur sa gauche. Curieuse, elle décida de l’emprunter. Aucune direction n’était indiquée. Mais elle ne s’inquiéta pas, si elle connaissait quelques problèmes, elle ferait demi-tour. Pourtant, très vite, le sentier ne fut plus qu’une sente. Françoise ne s’en rendit pas compte tout de suite. Ce n’est que lorsqu’elle eut quelques difficultés à se frayer un passage parmi les arbustes et les broussailles qu’elle se décida à faire demi-tour. Mais, en se retournant, elle fut prise de panique. Les buissons s’étaient refermés derrière elle, et elle ne vit aucune trace du sentier qu’elle avait emprunté.
— Restons calme ! se dit-elle. Je marchais dans cette direction. Si je repars tout droit dans l’autre sens, je vais retrouver mes traces.
Elle se remit donc en route dans la direction d’où elle venait. C’est effectivement ce qu’elle crût. Mais après avoir marché à travers les arbres pendant un bon quart d’heure, elle dut se rendre à l’évidence, elle ne retrouvait aucun sentier ni aucune des traces qu’elle aurait pu laisser. Elle sentit l’angoisse monter en elle. Michel, hier soir, lui avait pourtant recommandé de rester sur les sentiers fléchés. Elle s’assit au pied d’un arbre et essaya de réfléchir. Elle était perdue. Bon ! Elle n’allait pas paniquer. Elle respira un grand coup. Allons, on allait s’enquérir de ce qui lui était arrivé. Elle devait participer à une séance de travail à 14 heures. Si personne ne la voyait arriver, on s’inquiéterait. On partirait à sa recherche. Elle avait dit à Monique et Michel qu’elle irait se promener en forêt. Et puis on trouverait sa voiture.
— Allons, allons, se dit-elle, pas de panique. On va te retrouver. Tu en seras quitte pour passer quelques heures en forêt.
Malgré tout, cette perspective ne l’enchante pas vraiment. Autant elle avait trouvé les lieux magnifiques au début, autant, maintenant, ils lui paraissent hostiles. Il est vrai qu’elle était en pleine forêt, que le ciel commençait à se couvrir et que les arbres, assez serrés à cet endroit, atténuaient encore plus la lumière du jour.
— Il faut que je sorte de là, se dit-elle. C’est plus fort que moi, cet endroit me fait peur.
Elle se leva, respira un grand coup et se mit à marcher. Elle se retint pour ne pas courir. Il lui semblait entendre des bruits bizarres derrière elle.
— Ce n’est rien, pensa-t-elle pour se rassurer. Mais elle n’osait pas se retourner, de peur de se retrouver face à... elle ne savait quoi.
— Tu deviens complètement folle, ma fille !
Elle avait parlé très fort, presque crié. Et le son de sa voix lui redonna un peu de courage. Elle ralentit son pas qu’elle avait peu à peu accéléré, comme pour fuir un danger inconnu. Sans s’en rendre compte, elle était sortie de cette forêt noire, et se retrouvait dans un milieu plus clair. Les sapins avaient laissé la place à des feuillus beaucoup plus clairsemés. Elle regarda le ciel. Les nuages l’avaient complètement envahi.
— J’ai l’impression qu’il ne va pas tarder à pleuvoir !
Elle avait de nouveau parlé à haute voix et cela la réconforta un peu. Elle décida d’essayer de trouver un abri afin d’attendre les secours qui, pensa-t-elle, ne manqueraient pas de s’organiser. Elle s’arrêta pour essayer de se repérer. Elle s’aperçut que la forêt avait tendance à devenir de moins en moins touffue. Peut-être allait-elle en sortir, trouver une maison. Elle se dirigea dans la direction qui lui parut la plus lumineuse. Elle marcha longtemps. Elle n’en voyait plus la fin de cette forêt et plus elle avançait, plus la lisière potentielle paraissait s’éloigner. Pourtant, sans que rien ne l’ait annoncé, il n’y eut plus d’arbres. La forêt s’arrêtait net, comme si on l’avait tranchée. Elle crut être au bout de ses malheurs. Elle allait trouver une maison, des gens qui pourraient lui dire où elle se trouvait, appeler pour qu’on vienne la chercher.
Elle s’avança donc au-delà des derniers buissons qui lui cachaient encore la vue. Et alors, une immense déception assombrit de nouveau son visage. Elle n’était pas sortie de la forêt. Elle était dans une clairière. Une grande clairière, immense même, mais une clairière tout de même et sans la moindre trace de présence humaine, pas de maison ni même une cabane comme en font quelquefois les bûcherons.
Elle se laissa choir dans l’herbe. La déception, la fatigue et également la faim eurent raison de ses nerfs. Elle éclata en pleurs. Elle resta là, prostrée pendant longtemps, secouée par moments, par des sanglots qu’elle ne pouvait et ne voulait pas retenir.
Finalement, elle releva la tête. Sa crise de désespoir est passée. Elle n’allait tout de même pas se laisser abattre sans réagir. Elle observa les alentours. Tout de suite, une chose la frappa. La clairière où elle était arrivée lui parut bizarre. Elle était circulaire. Ce n’était pas vraiment extraordinaire, mais elle formait un cercle quasi parfait. Les arbres s’arrêtaient dans un alignement presque artificiel. Quelques buissons délimitent la lisière. La clairière était couverte d’une herbe rase, comme si elle avait été fauchée. C’était peut-être le cas, d’ailleurs. Mais le plus surprenant se trouvait au centre de ce cercle d’herbe. Un arbre était là, gigantesque, majestueux. C’était un chêne et il donnait l’impression d’être le maître des lieux.
La pluie s’était mise à tomber, fine et perçante, mais pas très froide malgré tout. Françoise se leva et s’avança vers le chêne. Elle pensa qu’il devait être très vieux. Il était énorme. Son tronc, à la base, devait faire au moins quatre ou cinq mètres de circonférence. Elle ne pouvait que deviner. En effet, des arbustes avaient poussé tout autour et cachaient toute visibilité. Un peu impressionnée, elle s’approcha de l’arbre. La pluie continuait de plus belle et Françoise pensa qu’elle pourrait se mettre à l’abri sous ce chêne. Elle se faufile donc entre les arbustes et se retrouve au pied de l’arbre. Effectivement, le sol à cet endroit était sec. Les branches très serrées forment comme une maison de verdure dont les murs étaient constitués par les buissons. Françoise s’assit au pied du chêne et observa ce monument végétal. Jamais elle n’avait vu un tel arbre. Elle se laissa aller contre son tronc et ferma les yeux pour essayer de réfléchir à sa situation. La fatigue et les émotions eurent raison d’elle. Comme une masse, elle s’endormit.
Tout d’un coup, elle ouvrit les yeux. Sans comprendre, elle regarda autour d’elle. Il faisait presque nuit. Où se trouvait-elle ? Puis la mémoire lui revint. Elle se rappela ses aventures. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Il était presque 18 heures. La nuit allait tomber. Personne ne l’avait trouvée. L’avait-on même cherchée ? Dans son désespoir, elle se posa la question. Mais elle devait se ressaisir. L’heure n’était pas aux hypothèses. Pour le moment, et son estomac se chargea de le lui rappeler, elle n’avait pas mangé depuis le petit déjeuner. Manger, mais comment et quoi ? Elle n’avait rien pris de comestible, sachant qu’elle rentrerait pour midi à son hôtel. En fouillant dans ses poches, elle découvrit deux bonbons. Ce n’était pas mirobolant, mais elle pourrait tromper un peu sa faim avec ça. Seulement, il fallait absolument trouver autre chose d’un peu plus consistant. Elle regarda les arbustes qui poussaient au pied du chêne. Elle ne reconnaissait pas toutes les essences qui poussaient là, mais elle en était sûre, il y avait des noisetiers. Peut-être pourrait-elle cueillir suffisamment de noisettes pour se caler l’estomac ? Elle se leva et partit pour sa récolte. Elle découvrit avec soulagement que les noisettes poussaient en abondance et qu’elles étaient mûres. Elle en cueillit autant que ses poches pouvaient en contenir et revint au pied du chêne. En effet, la pluie continuait à tomber et c’était le seul endroit à peu près sec. Maintenant, le problème consistait à ouvrir les noisettes. En faisant le tour de l’arbre, elle découvrit une pierre plate qui lui permettrait de les casser, un gros caillou ferait office de marteau. Mais les fruits secs lui donnèrent soif. L’eau ne manquait pas, mais elle n’avait aucun récipient pour récupérer la pluie qui tombait. Elle réfléchit. Comment fabriquer quelque chose qui puisse lui permettre de recueillir l’eau qui tombait du ciel ? Elle pensa à son coupe-vent. Ce vêtement était imperméable et, en s’y prenant bien, ferait un récipient convenable. Elle l’ôta, noua les manches et réussit à obtenir une sorte de vase qui lui permit de récupérer l’eau de pluie sur les feuilles des buissons. Elle en obtint presque deux litres, de quoi tenir un moment.
Tous ces événements l’avaient absorbée. Quand elle fut rassasiée, elle s’aperçut que la nuit était complètement tombée. À ce moment, de nouveau, la peur la submerge. Passer une nuit dans la forêt, dans le froid et l’humidité, elle ne s’en sentait pas le courage. Mais comment faire autrement ? Elle a la tentation de partir, marcher au hasard dans la nuit. Mais la vue de la clairière noyée dans le noir l’oblige à rebrousser chemin. Elle a réellement peur. La pluie, petit à petit, s’est arrêtée. Mais elle entend des bruits qui lui paraissent inquiétants. Pourtant, elle sait qu’aucun danger ne la menace, si ce n’est celui d’une grippe due au froid et à l’humidité. La faune n’est pas dangereuse et tout au plus risque-t-elle de rencontrer un renard ou un chevreuil qui aurait tout aussi peur d’elle, qu’elle de lui. Tout cela, elle le savait. Mais, au fil des minutes, l’angoisse monte en elle. Elle se rapproche de l’arbre, jusqu’à coller son corps contre le tronc moussu. Ce contact la rassérène un peu. La mousse douce de l’arbre, l’herbe rase qui pousse à son pied, lui procure une sensation agréable. Petit à petit, elle se pelotonne au pied de l’arbre et a pour lui une pensée reconnaissante. Au contact de son écorce, elle se sent moins seule. Elle a même une impression de chaleur se dégageant du tronc volumineux. Son anxiété s’estompe. Elle se sent en sécurité avec cet arbre. Les bruits de la forêt toute proche lui paraissent moins hostiles. Elle peut plus lucidement les analyser. C’était le vent qui faisait bruisser les feuilles, les gouttes de pluie qui tombaient sur le sol. Bien calée contre le tronc, elle écoute plus attentivement. De temps en temps, elle perçoit le cri d’un animal. Elle ne peut pas dire de quoi il s’agit, mais maintenant, elle n’a plus peur. Son arbre est là. Il lui donne le courage d’affronter la nuit qu’elle va être obligée de passer là. Petit à petit, les bruissements de la nuit, pour elle, se transforment en berceuse. Tous les événements de cette journée l’ont brisée. Elle s’endort sous la garde de ce chêne plus que centenaire.
Elle se réveilla avec le lever du soleil. Pendant la nuit, les nuages avaient disparu et un beau ciel bleu, totalement dégagé, avait pris leur place. D’un bond, elle est debout. Tous les événements de la veille lui reviennent en mémoire. Mais maintenant, il faut faire quelque chose. Elle ne va pas rester là éternellement. Elle regarda le chêne. Sans sa présence, Dieu sait ce qu’il serait arrivé. C’est un peu grâce à lui qu’elle a pu surmonter sa panique. Elle se sent en forme. Cette nuit de sommeil l’a remise en selle. Elle sortit dans la clairière et examina les alentours. Elle fit le tour de l’espèce de haie buissonneuse qui faisait comme une ceinture autour du chêne. Elle scruta la forêt qui l’entourait. Et brusquement, elle sourit. Un sentier partait de la lisière. C’était presque un petit chemin. Elle s’élança, traversa la clairière et s’y engagea. Il était parfaitement tracé et semblait bien entretenu. Elle se demande comment elle ne l’avait pas vu hier soir. Mais en réfléchissant, elle se remémore qu’elle était arrivée à la clairière alors que la pluie commençait à tomber. Il faisait sombre et le chemin était dissimulé par le chêne et sa ceinture de buissons.
Il était encore tôt, mais elle avait faim. Les noisettes d’hier soir n’étaient plus qu’un souvenir. Mais elle avait repris courage, le chemin la mènerait bien quelque part. Et cette fois, elle ne le quittera que pour un autre qui serait fléché. Elle marcha longtemps, du moins le pensa-t-elle et elle commençait à désespérer de trouver une indication, quand elle aperçut un carrefour. Et au milieu, un panneau et des pancartes indicatrices. Quand elle y arriva, elle lut les directions annoncées. Malheureusement, toutes lui étaient inconnues. Seule la direction d’Eloyes aurait pu lui donner la bonne voie à suivre. Mais elle ne figurait sur aucune des pancartes. Par contre, aucune pancarte ne donnait la direction de la clairière. Cela ne l’avançait pas beaucoup. Elle allait se décider à prendre un chemin au hasard, quand elle entendit des voix. Elle n’aurait pas pu dire d’où elles venaient, mais elles se rapprochaient. C’était peut-être des gens partis à sa recherche. Elle se mit alors à crier :
— Eh ! Oh ! Il y a quelqu’un ? Par ici s’il vous plaît !
— On arrive ! répondit une voix masculine.
Et Françoise vit déboucher de l’un des chemins un homme et une jeune fille avec chacun un sac à dos.
— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda l’homme en s’approchant.
— Comme je suis contente de vous voir, répondit Françoise. Je me suis perdue hier soir et j’ai dû passer la nuit dans la forêt. Je désespérais de revoir quelqu’un.
— Vous avez passé la nuit ici ? demanda la jeune fille.
— Non, au pied d’un chêne là-bas dans une clairière !
— « Le chêne des fous », alors vous n’êtes pas d’ici, dit l’homme.
— Non, je suis Parisienne, pourquoi ?
— Cette clairière a mauvaise réputation et les gens d’ici l’évitent. Mais vous logez bien quelque part.
— En ce moment, je suis pour quelques jours à Eloyes. J’ai voulu me promener un peu hier matin et je me suis perdue.
— Eloyes, dites-vous, vous avez fait un bout de chemin. Vous voulez y retourner.
— Oui ! On doit s’inquiéter là-bas. J’avais des réunions avec les gens de l’usine hier après-midi. C’est vraiment loin ? Dans quelle direction ?
— Il faut compter une dizaine de kilomètres. Mais vous ne pouvez pas le faire à pied.
— J’avoue que je ne m’en sens pas le courage, et puis, je n’ai rien mangé depuis hier matin, sauf quelques noisettes hier soir.
— Attendez, intervient la jeune fille. Voilà ce que l’on va faire. Toi, papa, tu iras chercher la voiture et on ramènera madame à Eloyes. Et en attendant, vous allez vous rassasier. On a des sandwichs que l’on avait préparés pour cette petite randonnée que l’on projetait de faire tous les deux.
— D’accord, j’y vais, dit l’homme.
— Mais... ! balbutia Françoise.
— Il n’y a pas de mais, on fait comme ça, coupa la jeune fille. En mangeant, vous me raconterez votre odyssée.
— Eh bien, d’accord ! dit Françoise. J’ai trop faim pour refuser plus longtemps.
L’homme s’éloigna rapidement et elles s’installèrent au bord du chemin, sur une large pierre plate.
— Comment vous appelez-vous ? demanda Françoise.
— Mylène, répondit la jeune fille. Et vous ?
— Moi, c’est Françoise. Je suis très heureuse de vous avoir rencontré. Je ne savais vraiment pas dans quelle direction aller.
Tout en discutant, elle avait attaqué un excellent sandwich au jambon. Mylène lui présenta une gourde remplie d’eau fraîche.
— Quand nous partons comme ça, s’excusa Mylène, nous ne buvons que de l’eau.
— C’est parfait. Mais, dites-moi, pourquoi votre père, c’est votre père n’est-ce pas, il me semble vous avoir entendu l’appeler papa...
— Non, ce n’est pas mon père, mais il m’a recueilli quand j’étais toute petite. Alors, je le considère comme mon père.
— Pourquoi a-t-il dit « chêne des fous » quand j’ai parlé de la clairière là-bas ?
— Oh, c’est une très vieille histoire, presque une légende !
— Racontez-moi ça, ça m’intéresse. J’aime bien connaître les histoires des endroits où je passe. Malheureusement, je peux rarement visiter ou faire connaissance avec les habitants.
— Pourquoi ?
— Je reste en général très peu de temps. Et ces séjours sont faits de réunions de travail.
— Ah bon ! Qu’est-ce que c’est votre métier ?
— Je suis attachée de presse du ministre de l’Industrie. Et je dois m’occuper de tous ses rapports avec les médias.
— C’est celui qui est venu, il y a quelques jours ?
— Oui !
— Mais il est reparti.
— Oui, mais il voulait que quelqu’un s’occupe du problème de l’usine textile à Eloyes. Alors je suis restée pour essayer de voir ce qu’il était possible de faire.
— Mais pourquoi vous êtes-vous retrouvée en pleine forêt ?
— Tout simplement parce que j’ai voulu faire une promenade hier et que je me suis perdue. Mais vous pouvez m’expliquer cette histoire de chêne des fous ?
— Oui, vous avez remarqué que dans cette clairière, au milieu, il y avait un arbre.
— Oui, il est gigantesque.
— Eh bien ! Les anciens disent que le chêne, car c’est un chêne, est maudit.
— Maudit ?
— Oui ! Il aurait été la cause de nombreux cas de folie.
— Ah bon ! Comment ça ?
— Je vous raconte ce qu’on dit. Mais ce n’est certainement que des racontars. Ce chêne aurait environ 500 ans. Et depuis qu’il existe, la clairière a toujours existé.
— À qui appartient-elle ?
— À la commune !
— C’est elle qui fait faucher l’herbe ?
— Non, du moins pas à ma connaissance, pourquoi ?
— Quand j’y suis arrivée hier soir, et ce matin aussi je l’ai remarqué, j’ai eu l’impression qu’elle venait d’être fauchée. L’herbe était rase, nette, presque aussi belle qu’une pelouse.
— Ah ! C’est bizarre, parce que je crois que personne ne vient ici. C’est très loin de toute habitation et pas très accessible pour les véhicules. Et la dernière fois que j’y suis passée, ce n’était pas fauché. Il y avait des arbustes partout.
— Pourtant là, il n’y avait des arbustes qu’autour du chêne et le reste, on aurait vraiment dit une pelouse. Ce n’est pas grave. Et votre père, il ne va pas avoir du mal avec sa voiture.
— Non, il a un 4x4. Il passe presque partout avec ça. Mais vous pouvez me tutoyer, je n’aime pas trop quand on me dit vous.
— D’accord ! Mais toi aussi, tutoie-moi.
— Je veux bien. Qu’est-ce qu’on disait ?
— Pour le chêne, tu ne m’as toujours pas expliqué. Il aurait été à l’origine de cas de folie ? Comment et il y a longtemps ?
— Oh oui ! D’après ce qu’on dit, le dernier cas aurait eu lieu au début du XXe siècle.
— Et comment sait-on que c’est à cause du chêne ?
— Eh bien voilà ! Pour ce dernier cas, justement, je vais te raconter ce que je sais.
— Je t’écoute.
— Ça se passait au printemps, dans les années 1900. À l’époque, habitait à Eloyes une famille de paysans. Il devait y avoir 7 ou 8 enfants. Le plus jeune avait alors dans les 18 ans. Les autres étaient mariés ou travaillaient à la ferme avec les parents, lui aussi d’ailleurs. Il s’appelait Émile. Un jour, il partit se promener en forêt. Il voulait ramasser des champignons. Le soir venu, il ne revint pas. Dans sa famille, on ne s’inquiéta pas trop. Il faisait beau et ce n’était pas la première fois qu’un gars ne rentrait pas le soir. À l’époque, il y avait quelques maisons disséminées dans la forêt et dans presque toutes, il y avait des filles à marier. On le revit le lendemain matin. On lui demanda où il avait passé la nuit. Il répondit « dans la forêt », sans préciser. Et on n’y pensa plus. Pourtant, au fil des jours et des semaines, Émile disparaissait de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. Ses frères et sœurs, ses parents cherchèrent à savoir quelle fille pouvait l’attirer ainsi. Ils interrogèrent leurs voisins, mais apparemment, Émile ne se rendait dans aucune des maisons des alentours. Alors on se posa des questions. Allait-il plus loin ? Dans un autre village ? Il fallait savoir. Car Émile était toujours aussi peu bavard sur le but de ses sorties.
— Et le chêne dans tout ça, demanda Françoise.
— J’y viens, répondit Mylène. Ils décidèrent alors de le surveiller et de le suivre lors de sa prochaine sortie. Un de ses frères fut chargé de cette mission. L’occasion se présenta bientôt. Émile repartit en forêt. Son frère le suivit sans se faire voir. Malgré toutes ses précautions, il fut sans doute repéré, car Émile lui faussa compagnie. Plusieurs tentatives se soldèrent par un échec. Mais Édouard, c’était le nom de son frère, remarqua que c’était toujours à peu près au même endroit qu’il perdait sa trace. Un jour, ils vinrent à plusieurs et ratissèrent la forêt à partir de l’endroit où Émile disparaissait. Après avoir tourné pendant plusieurs heures, ils ne trouvèrent rien, sinon une clairière avec un chêne immense au milieu.
— Ah ! On y vient, dit Françoise.
— Oui, c’est maintenant que le chêne va avoir son importance, car depuis sa première disparition, Émile avait changé. Il était devenu taciturne. Il ne plaisantait plus comme avant. Il n’avait plus de goût au travail et était souvent songeur. Tout le monde s’inquiétait, on lui posait des questions. Mais invariablement, il répondait « Je n’ai rien, ça va ».
Cette histoire d’Émile se répandit petit à petit dans le village. Et un jour un ancien vint voir son père et lui dit : « Je crois bien que ton fiston est allé voir le chêne des fous ». Ce dernier ne connaissait pas l’histoire du chêne. Le vieux la lui raconta. Depuis que cette clairière existait, environ 4 siècles, plusieurs fois, des jeunes gens avaient perdu la raison après s’être trop approchés du chêne. On dit même que certains se sont pendus à ses branches.
— Pendu ! interrompit Françoise.
— Oui, reprit Mylène. C’est ce qu’on raconte, mais c’est la rumeur qui le dit. Rien n’a pu être vérifié.
— Et Émile alors, que lui est-il arrivé ?
— J’y viens. Quand il fut mis au courant, son père d’abord ne voulut pas y croire. Pour l’époque, il avait les idées assez avancées et ne croyait pas facilement à ce genre d’histoire. Malgré tout, il décida d’en avoir le cœur net. Quand Émile disparut de nouveau, il partit seul vers la clairière. Il s’approcha du chêne. Apparemment, il n’y avait personne. Pourtant, quelqu’un était passé là peu de temps avant lui. Il avait repéré les traces de ce passage. Il chercha un peu et finit par le découvrir. Celui-ci était monté dans l’arbre, entièrement nu, et s’était allongé sur une des grosses branches du chêne. Tout d’abord, son père se demanda ce qu’il faisait. Puis très vite, il comprit. Émile se comportait avec cette branche comme avec une femme. Il faisait l’amour avec elle. Au cri que poussa son père, Émile, surpris, lâcha la branche et tomba. Heureusement pour lui, les branches basses amortirent le choc et il en fut quitte pour quelques ecchymoses. Ils rentrèrent à la maison et le père décida de ne rien dire. Mais il ordonna à Émile de ne plus venir dans cette clairière, sinon il serait obligé de le faire enfermer. Émile promit. Mais cette résolution ne dura pas. Il revint voir son arbre en cachette. Et un jour, il fut surpris par la femme de l’un de ses voisins. Celle-ci, effrayée, courut raconter l’histoire à son mari. Le scandale, cette fois, ne put être évité. On décida d’enfermer Émile dans un hôpital psychiatrique. Sa famille fut montrée du doigt et finalement dut vendre la ferme et partir dans une autre région. Voilà l’histoire !
— Et que devint Émile ?
— Je ne sais pas. Peut-être mon père pourrait-il te répondre, mais il ne parle jamais de cette histoire.
— Alors comment l’as-tu apprise ?
— C’est un ancien du village, il y a déjà longtemps, qui me l’a racontée.
— Il a connu Émile ?
— Non, il n’était pas né. Mais c’est son père qui la lui avait racontée pour l’empêcher d’aller dans cette clairière.
— C’est vrai que ce chêne est majestueux, mais de là à rendre les gens fous, il y a une marge. Il devait déjà être un petit peu malade avant, Émile.