La journée d’un vagabond - David Blonkowski - E-Book

La journée d’un vagabond E-Book

David Blonkowski

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Beschreibung

Se réveiller loin de chez soi, sans toit, sans repère, c’est basculer dans la réalité brutale de l’errance. Comment alors donner un sens aux journées qui s’étirent sans but ? Déambuler dans les allées du Père-Lachaise, croiser des âmes marquées par des parcours singuliers, observer l’incessant ballet des passants dans le métro ou sur le trottoir, échanger quelques mots fugaces avec un compagnon d’infortune dans un centre d’hébergement d’urgence… Ainsi se tisse le quotidien d’un vagabond, fait de solitude et de rencontres, où chaque instant oscille entre l’invisible et l’extraordinaire.

À PROPOS DE L'AUTEUR

David Blonkowski explore, à travers son écriture, la fine frontière entre fiction et réalité, puisant son inspiration autant dans son imagination que dans son expérience personnelle. Son œuvre s’attache à dépeindre sans fard la vie des sans-abri, entre errance, insécurité et survie dans un monde indifférent. Avec justesse et sensibilité, il donne voix à ceux que l’on ne voit plus, retranscrivant leur quotidien, fait d’attente, de luttes et d’horizons incertains.

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Seitenzahl: 118

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

David Blonkowski

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La journée d’un vagabond

Nouvelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – David Blonkowski

ISBN : 979-10-422-6581-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La journée d’un vagabond

 

 

 

 

 

La rue, cet espace qui appartient à tout le monde mais à personne en particulier, est le lieu de passage où l’on ne se parle pas et où l’on s’observe du coin de l’œil. Elle prend les individus pour un bref moment avant de les recracher dans une autre rue, elle-même endroit de passage éphémère.

 

La rue, certains la traversent et d’autres y vivent.

 

Les premiers regardent les seconds avec effroi. Ils n’aiment pas les sans domicile fixe, car ils en ont peur. Quant aux seconds, soit ils ont honte de leur situation et baissent les yeux, se déshumanisant un peu plus, soit ils se moquent du regard méprisant des premiers. Ceux-là ont dépassé le cap de la honte et, drogues et alcool aidant, ils vivent au grand air comme des animaux presque féroces.

 

 

 

 

 

Je me réveille subitement, je regarde ma montre : il est sept heures.

 

Ce qui m’a réveillé, c’est le cauchemar que j’ai fait dans lequel, sans que je sache pourquoi, on me refusait l’accès à une pièce où je devais absolument me trouver. C’était impératif pour ma bonne santé mentale et ma joie de vivre. Mais, malgré mes protestations, on continuait à m’interdire l’entrée. J’étais paralysé par le refus d’autorisation d’accéder à cet endroit, comme ligoté sans pouvoir faire quoi que ce soit d’autre que suffoquer dans l’angoisse et c’est ce qui m’a réveillé. Je chasse le souvenir de ce cauchemar en me demandant ce que je vais pouvoir faire cette journée qui ne s’annonce pas différente des précédentes. C’est ici la répétition du même qui rythme mon quotidien et lasse mon esprit en glaçant mon cœur. Peut-être irai-je au cimetière du Père-Lachaise pour m’y promener et surtout y passer le temps. En effet, je suis taphophile, amoureux des cimetières. J’aime le Père-Lachaise dont les allées sont ondoyantes, où la beauté des tombes est saisissante et donne presque vie aux couleurs grise et marron qui prédominent. Les arbres verdoyants et les fleurs qui poussent ici et là à l’improviste me sont apaisants. Ils me font oublier la misère de mon présent qui n’en finit pas de durer.

 

Je regarde autour de moi : certains de mes compagnons d’infortune sont réveillés, d’autres dorment encore. À ce moment-là, le surveillant de ce centre d’hébergement d’urgence passe dans le grand dortoir commun et réveille tous ces sans domicile fixe, ou plutôt, il essaie de les réveiller mais n’y arrive pas toujours car certains sont totalement plombés par l’alcool ou la fatigue.

 

Je grille instinctivement une clope roulée malgré l’interdiction de fumer dans le dortoir mais je me fous du règlement ; seuls comptent les bienfaits de la cigarette. Je fume assis sur mon lit les pieds posés sur le sol, encore embrumé par la léthargie du sommeil. Aujourd’hui, je n’ai rien à faire de spécial sinon passer le temps et tuer cette journée qui, je le sens, sera longue car je n’ai strictement aucun rendez-vous, sinon rendez-vous avec le temps qui passe et qui lasse à chaque seconde, ce temps où le non-faire domine.

 

Je regarde ma couverture froissée sur le lit. On nous a dit que les couvertures étaient lavées chaque jour mais je me demande si c’est vrai. Penser qu’un autre a utilisé ma couverture la veille me dégoûte mais c’est comme cela ici : on nous distribue les couvrantes quand on arrive au centre à dix-sept heures avec du savon, du shampoing, une brosse à dents et son dentifrice, un rasoir et une mini serviette toute fine pour sécher le corps après la douche.

 

 

 

Je continue à inhaler les poisons de la cigarette ; j’en ai consommé environ la moitié. Je ressens les bienfaits de la nicotine dans mon corps et mon cerveau. J’ai les idées un peu plus claires qu’il y a une minute.

 

Un type plutôt grand passe et me salue de la main droite sans me dire un mot. Ce gars-là, je l’ai dépanné d’une clope hier soir quand on regardait la télévision dans la salle commune et en me saluant, il me prouve qu’il ne m’a pas oublié, que je suis son bienfaiteur. Je lui rends son salut sans prononcer un mot non plus. Je n’ai pas envie de parler et puis un signe vaut bien une parole. Il passe et disparaît dans le couloir menant au réfectoire pour y prendre son petit déjeuner. Moi aussi, je ne vais pas tarder à y aller mais pour l’instant, je tire sur cette clope aux trois quarts déjà fumée. Mon voisin de lit dort encore, le surveillant n’a pas réussi à le réveiller. Il a le corps tourné vers la cloison, ce qui fait que je ne vois de sa tête que ses cheveux blonds mi-longs.

 

Hier soir, il m’a proposé de monter avec lui à Amsterdam pour dépouiller un dealer ! Il voulait voler un kilo de cannabis à ce dealer en se faisant passer pour un acheteur ayant des sous et au moment de la transaction, il voulait tout simplement l’assommer et le soulager de la drogue. Il m’a proposé de venir avec lui, prétextant qu’à deux, le coup était imparable et qu’on allait se faire du fric. Bien évidemment, j’ai décliné l’offre en lui disant que cela ne m’intéressait pas car je n’ai pas l’âme d’un bandit. Au contraire, je les exècre tout comme les menteurs, les truqueurs, les voleurs, les tricheurs et autres nuisibles. Je suis honnête et j’ai en horreur la malhonnêteté.

 

Ça y est, j’arrive au bout de la cigarette, plus que quelques tafs et j’en aurai fini avec ce poison qui assassine mes poumons à petit feu. Je mets mon pantalon et tire dessus en mettant mes chaussures. Les lacets sont faits en un rien de temps et j’enfile ma veste. Je suis prêt à affronter le monde, ou plutôt, je suis obligé d’aller affronter ce monde hostile. Je fume la dernière taf et j’écrase le mégot à même le sol. Je sais que ce n’est pas propre mais je me dis qu’il y a bien un agent de nettoyage dans cette structure. Je me lève du lit et je prends mon sac à dos que j’enfile sur mes épaules. Dans ce sac, il y a quelques vêtements, ma trousse de toilette, des papiers et des médicaments.

 

Je me dirige vers le couloir sans réveiller mon voisin malgré qu’il m’ait demandé de le tirer du sommeil. Je le laisse dormir, comme ça, je n’aurai pas à lui parler ; je n’ai pas envie de fréquenter cette raclure.

 

J’emprunte le couloir jusqu’au réfectoire qui est rempli aux trois quarts. Je ne regarde aucun de ces miséreux en particulier. Je me focalise sur le café à venir. Je vois le surveillant qui distribue le breuvage salutaire. Je prends un bol, une cuillère et deux sachets de sucre que je mets sur un plateau et je marche jusqu’au surveillant qui se tient derrière un chariot où une énorme cafetière trône en attendant de se vider. Je lui tends mon bol et il me verse le café. Je lui dis bonjour et il me répond de même. Ce type a une bonne tête ; sur son visage, la bonté transparaît. Il doit être pakistanais, afghan ou indien ; je ne sais pas au juste mais je ne vois que son sourire et ses yeux riants. Cela me fait du bien de voir un peu d’humanité là où les yeux des sans-abri sont le plus souvent éteints, sans saveur, fades et glauques. Je lui dis merci et je pars à la recherche d’une place où m’asseoir.

 

J’ai de la chance : juste devant moi, il y a une place de libre. Je saisis immédiatement l’occasion et je m’y assois. Je mets le sucre dans le café, je touille et je porte le bol à mes lèvres. La fumée chaude du café séduit d’emblée mes narines. Je le goûte, il est très chaud mais je réussis à avaler une toute petite gorgée. Ma langue s’habitue à la chaleur du breuvage ; c’est signe que je peux l’ingurgiter.

 

Mais avant, je dois prendre mes médicaments : un antidépresseur et deux anxiolytiques. Une fois la drogue chimique prise, je continue à boire doucement mon café qui me réveille peu à peu. Je ne suis pas pressé, je n’ai rien à faire aujourd’hui sinon à faire que le temps passe au plus vite mais que cela est compliqué.

 

Face à moi, un vieux mange une tartine de pain à la confiture en alternant avec le café. Il regarde son plateau en mâchant machinalement. Il est perdu dans ses pensées. Dans son mâchouillage, il y a toute la résignation du monde, il masticote en s’abandonnant impuissant à sa fatalité. Ce vieux a peut-être de la famille qui l’a rejeté, peut-être à cause d’un crime qu’il a commis ou bien, il n’a aucune famille et est seul au monde avec le poids de la misère comme unique viatique.

 

J’en suis là dans mes pensées, perdu dans l’expectative lorsque soudain, je sens une main sur mon épaule. Surpris, je tourne la tête et j’aperçois Slimane qui me fait un large sourire. Je l’ai connu il y a quelques mois dans un autre centre d’hébergement d’urgence. Je l’aime bien, Slimane. Il est gentil, intelligent et ouvert d’esprit. J’apprécie discuter avec lui, on parle surtout de politique. C’est un Algérien des montagnes, il est kabyle et parfois lorsqu’on parle, il me raconte son enfance en Kabylie. Je crois que ça lui fait du bien d’en parler. Il a fait une maîtrise de sociologie à Alger, il est cultivé et j’en apprends pas mal grâce à lui. Il me dit qu’il m’attend à l’entrée du centre, qu’il patiente en grillant une sèche. Je lui réponds que je le rejoins dans vingt minutes.

 

Je continue à boire mon café. Le vieux est dans la même position voûtée et avec la même mimique de mastication, les yeux toujours plongés sur le plateau. Il n’est pas pressé, le vieux ; seule l’attend la mort inéluctable et personne ne versera une larme sur sa disparition. Alors, en attendant l’heure dernière, il masticote sa misère et boit sa détresse à petites gorgées. Je termine mon café et remets le plateau sur l’un des chariots prévus à cet effet et je rejoins le couloir qui mène à la sortie. Je prends à droite et j’arrive aux douches. J’entre dans une cabine. Je me déshabille et fais couler l’eau. Cette dernière est chaude à souhait, c’est agréable. Je me savonne, me rince, m’essuie et me rhabille. Je sors des douches et je reprends le long couloir pour gagner la sortie. Je me sens propre et frais ; j’aime cette sensation qui me donne de la force pour affronter le monde, sans que je sache expliquer pourquoi.

 

Je suis à la rue mais je ne suis pas un clochard. Moi, je me lave tous les jours, je prends ma douche chaque matin et je me sens frais et dispos après. Je suis propre et je tiens à le rester tandis que le clochard, lui, ne se lave pas et porte tous les jours les mêmes affaires qui restent collées à sa peau pendant de longues semaines. Le plus souvent, il pue. Autour de son corps crasseux, il y a un chaud halo de mauvaises odeurs qui, puissant répulsif, dégoûte et effraie les gens propres. Ce halo de puanteur qui forme une véritable barrière tient chaud et sert de seconde peau, de bouclier pour protéger le clochard puant du monde extérieur. Ainsi, par sa puanteur, il s’écarte des gens et cette protection corporelle est un mécanisme de défense.

 

De plus, contrairement au clochard, je ne fais pas la manche ; je me contente de ce que les aides sociales me donnent. Je n’ai pas la force de caractère pour quémander la pièce aux passants toujours agacés qu’on les sollicite de la sorte. C’est même de la honte que je ressentirais à faire la manche et je ne m’y suis jamais résolu. Certes, je suis un sans domicile fixe mais j’ai encore toute ma dignité, je ne me suis jamais compromis. Pour faire la manche, il faut oser déranger les gens et tendre la main, il faut savoir trouver le bon discours bref mais émouvant pour les toucher. C’est tout un art dont je ne possède pas une once de talent.