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Ce célèbre jeu vidéo n'aura plus de secret pour vous...
Dragon Quest est une saga culte de jeu de rôle japonais. Si connue et si respectée qu’un mémorial lui a été consacré dans la ville de Sumoto, qui a vu naître le créateur de la série, Yûji Horii, aujourd’hui une légende tout autant que son œuvre. Journaliste depuis plus de vingt ans, Daniel Andreyev vous fera découvrir la saga
Dragon Quest sous un angle inédit, en tant que phénomène social majeur ayant influencé plusieurs générations de Japonais.
L'auteur nous offre toute son expertise en matière de jeu nippon pour décrypter l'histoire de cette saga.
EXTRAIT
On reconnaît une star à l’aura qui en émane. C’est ce qu’on ressent en présence de Yûji Horii. « Le boss ». Toutefois, il s’en dégage aussi une sorte de simplicité. Ma première entrevue avec lui s’est faite au Japon dans des conditions vraiment spéciales. Le prétexte était la sortie d’un
Dragon Quest Monsters. Personne n’était dupe, on était là pour rencontrer la star, pas discuter d’un énième épisode dérivé, même si, par courtoisie, on est un peu obligé d’en parler. Car « c’est pour cela qu’on est là ». L’aura qu’il dégage, on la sent aussi à la haie d’honneur incarnée par son équipe et les différentes personnes de l’organisation. Horii est arrivé d’un pas pressé, poli juste ce qu’il faut et s’est assis au centre de la table, devant les journalistes, souriant mais pas trop, vêtu d’une veste assez simple et d’une chemise à carreaux. Cette attitude n’est pas de la fausse modestie, Yûji Horii est totalement conscient de sa valeur. Il sait tout ce que lui doit son éditeur. Il veut aussi montrer que c’est « un gars à l’ancienne ». Et il aime parler de son travail.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Daniel Andreyev est auteur et journaliste. Il a fait ses premiers pas il y a vingt ans dans la presse jeu vidéo durant son âge d’or, pour
Player One,
Consoles + et également
Animeland avec une affinité particulière pour le Japon. Un temps traducteur, il se revendique aujourd’hui du mouvement du New Game Journalism qui met le joueur au cœur de l’expérience du jeu vidéo. Il produit les podcasts
After Hate et
Super Ciné Battle. Il brasse aussi ses souvenirs avec ses amis dans
Gaijin Dash, l’émission de
Gamekult consacrée aux jeux vidéo japonais.
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Seitenzahl: 407
Veröffentlichungsjahr: 2018
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La Légende Dragon Questde Daniel Andreyev est édité par Third Éditions 32, rue d’Alsace-Lorraine, 31000 TOULOUSE [email protected] www.thirdeditions.com
Nous suivre : : @ThirdEditions : Facebook.com/ThirdEditions : Third Éditions : Third Éditions
Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission, même partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.
Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit constitue une contrefaçon passible de peines prévues par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.
Le logo Third est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.
Édition : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi Textes : Daniel Andreyev Relecture : Zoé Sofer et Jérémy Daguisé Mise en pages : Julie Gantois Couverture de l’édition classique : Johann « Papayou » Biais Couverture de l’édition First Print : Tony Valente Montage des couvertures : Frédéric Tomé
Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions à la série de jeux Dragon Quest.
L’auteur se propose de retracer un pan de l’histoire des jeux vidéo Dragon Quest dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces titres à travers des réflexions et des analyses originales.
Dragon Quest est une marque déposée de Square Enix. Tous droits réservés. Le visuel de couverture est inspiré d’un artwork de la série Dragon Quest.
Édition française, copyright 2017, Third Éditions.
ISBN 979-10-94723-69-2
À Zina.
J’ai découvert Dragon Quest sur le tard. Après plusieurs décennies de succès au Japon, cette série de jeux vidéo fait partie intégrante de la culture nippone. Mais pour un Européen comme moi, elle a toujours été une sorte de curiosité exotique. J’ai joué aux premiers épisodes dans leurs versions Nintendo DS, au milieu des années deux mille, soit plusieurs dizaines d’années après leurs sorties originelles. Ils restent d’excellents jeux, mais prennent pour les joueurs d’aujourd’hui l’allure de trésors archéologiques restaurés et enfin accessibles grâce à la localisation.
Je laisse le soin d’étudier Dragon Quest dans son ensemble à l’auteur de ce livre, le courageux et passionné Daniel Andreyev. J’ai rencontré Daniel au Japon et il m’a régalé d’innombrables anecdotes sur les jeux nippons les plus obscurs. Mais sa passion pour Dragon Quest finissait immanquablement par revenir sur la table, et il se trouve que cette saga se montre toujours généreuse envers ses fans les plus enflammés, avec ses univers regorgeant de secrets n’attendant que leur découverte par les plus acharnés des explorateurs.
J’ai tout de même quelques souvenirs à partager au sujet de Dragon Quest. Cette série m’a frappé pour la première fois il y a une dizaine d’années, et le mérite en revient à une traduction anglaise. Dragon Quest IV est ressorti en 2007 sur Nintendo DS et sa version anglaise avait recours à treize dialectes différents pour donner une identité à chaque village du jeu. Au début de l’aventure, les personnages parlent avec l’accent écossais. Puis, en progressant, vous rencontrez des villageois parlant comme à Bristol, ou encore des anglophones à l’accent français. Il faut savoir que le jeu original était déjà sorti en anglais et que cette nouvelle traduction ne fut pas du goût de tout le monde.
À mon sens, cela a redonné vie au monde de Dragon Quest IV en rendant ses différentes régions uniques et crédibles. Je vis près de Bristol et cela m’a plu de retrouver ses accents dans le jeu, comme cela m’a plu de faire des efforts pour déchiffrer certains accents que je ne connaissais pas. Pour moi, cela retranscrit fidèlement les sensations que l’on peut ressentir en voyageant loin de chez soi : on peut parfois parler une langue sans en maîtriser toutes les variantes.
Cet exemple illustre bien la façon dont la série a su évoluer pour conquérir de nouveaux publics. Quelques années plus tard est sorti Dragon Quest IX : Les Sentinelles du Firmament, conçu spécifiquement pour la Nintendo DS avec l’ambition de proposer rapidement des versions traduites pour l’Occident. Un Dragon Quest totalement en phase avec son époque : si les précédents jeux de la série étaient de grandes aventures en solo, ce volet permettait de jouer en ligne avec d’autres joueurs et de faire à peu près tout en coopération.
Là où je travaille, Dragon Quest IX est devenu le compagnon idéal de nos pauses déjeuner. Avec mes collègues, nous y avons joué religieusement pendant des mois, nous retrouvant parfois après le travail pour poursuivre nos aventures jusqu’à tard le soir. Ensemble, nous accomplissions des quêtes, combattions d’énormes monstres pour les détrousser de leurs trésors, et il est clair que cette possibilité de jouer entre amis augmentait grandement la durée de vie du titre. Dragon Quest avait toujours été une série solo, mais avec cet épisode, le jeu devenait véritablement multijoueur et sa façon de mêler solo et multi avait quelque chose de terriblement avant-gardiste. Dragon Quest X ira encore plus loin dans cette direction en épousant le genre MMORPG, ce qui veut hélas dire que nous attendons toujours une sortie en Occident.
Bien sûr, ce genre de frustration est le quotidien d’un fan occidental de Dragon Quest. Nous découvrons ces jeux des années après leurs sorties et peu d’entre nous peuvent se vanter d’y avoir joué dans l’ordre de leurs parutions japonaises. Oui, tout cela est frustrant. Mais cela nous fait suivre un tempo différent de celui des sorties effrénées et des achats day one. J’ai rejoué à Dragon Quest VIII, lors de sa ressortie sur 3DS. Bien sûr, à l’époque de Zelda : Breath of the Wild, cette précoce tentative de monde ouvert peut sembler limitée. Mais je me suis accroché à mes souvenirs, et je suis retombé sous le charme.
Je n’ai pas pu lâcher le jeu, et cela n’avait rien à voir avec la nostalgie. En réalité, l’incroyable musique composée par Kôichi Sugiyama pour les phases d’exploration donnait à ces mornes plaines des airs de paradis chatoyant. Et puis, il y avait les villageois et leurs quêtes variées. Le style graphique inimitable de Toriyama au service de héros valeureux et de méchants sournois. Les ennemis parfois ridicules et les quêtes dérisoires, laissant rapidement place à des adversaires redoutables et à des combats épiques. Tous ces éléments étaient combinés avec talent par Yûji Horii pour vous plonger au cœur d’une aventure intime et grandiose.
L’évolution des jeux vidéo est liée à celle de la technologie et, avec cette dernière, certains classiques d’une époque finissent par être oubliés. Mais Dragon Quest continue de fasciner grâce à la qualité de sa conception. Ces jeux sont telles des toiles de maître. Quelle que soit l’époque à laquelle ils sont joués, ils brillent toujours de mille éclats.
Il n’y a pas de meilleur compagnon que Daniel pour vous accompagner dans ces aventures. Profitez bien du voyage, et que la Déesse vous protège !
Une des meilleures plumes du journalisme de jeux vidéo, Richard Stanton est un vétéran qui a officié pour la presse anglaise du magazine Edge à The Guardian en passant par Eurogamer, IGN et Rock Paper Shotgun. Il est l’auteur de A brief history of Video Games, un livre qui retrace le jeu vidéo à travers les âges, comme une épopée. Il travaille aujourd’hui pour Kotaku UK.
Daniel Andreyev est auteur et journaliste d’origine russe. Il a fait ses premiers pas il y a vingt ans dans la presse jeu vidéo durant son âge d’or, pour P/ayer One, Consoles + et également Animeland avec une affinité particulière pour le Japon. Un temps traducteur, il se revendique aujourd’hui du mouvement du New Game Journalism qui met le joueur au cœur de l’expérience du jeu vidéo. Il produit les podcasts After Hate et Super Ciné Battle. Il brasse aussi ses souvenirs avec ses amis dans Gaijin Dash, l’émission de Gamekult consacrée aux jeux vidéo japonais. Il est passionné par beaucoup trop de choses pour les résumer ici. Alors quand il n’écrit pas, n’est pas au ciné, quand il ne lit pas des comics et des bédés, quand il ne grimpe pas une montagne ou n’explore pas un bâtiment en ruine, il cuisine, fait du sport et rêve chaque jour d’avoir un chien.
LA SIMPLICITÉ n’existe déjà quasiment plus, et l’expliquer peut tout de suite devenir un enfer. On se perd dans les métaphores, les synonymes, quand tout est là, devant nos yeux, même dans les jeux vidéo. Alors commençons par un parfum de nostalgie, car c’est cela que j’aime et c’est cela le cœur de Dragon Quest.
C’était un jour d’été de l’an 2000 au Japon. Les habitués disent souvent qu’il ne faut pas y aller à cette saison, car on y crève de chaud. Et c’est la vérité. Chacun essaye de fuir comme il peut la ville où la fournaise s’installe durablement. On devient alors une masse de sueur, qui erre d’un magasin climatisé à l’autre. Mais à cette époque, j’avais une bonne raison de rester à Tokyo. Nous sommes précisément le 26 août à Akihabara et les files d’attente s’allongent dans le quartier des jeux vidéo. Les réservations ne sont pas généralisées dans les kombini, Amazon n’est pas le gros distributeur international que l’on connaît, il est donc encore utile de patienter dehors. Le Japon d’avant la 3G et les smartphones, un tout autre pays.
Seikimatsu. C’est un sentiment qui envahit souvent les voyageurs qui ont l’habitude du Japon. Il décrit cette impression de fin d’époque. C’est une nation condamnée par la nature elle-même à se reconstruire perpétuellement. Ce qui se dégage de ce moment étrange, c’est qu’il s’agit aussi de la dernière grande sortie d’un jeu vidéo, un événement ayant le pouvoir de rassembler autant de gens. Pour la PlayStation 2, quelques mois plus tôt, des hélicoptères survolaient le quartier. Les files d’attente s’allongent en colimaçon autour des immeubles, dans le parc derrière les grands magasins. D’ailleurs, ce parc et son terrain de basket n’existent plus, car il faut toujours changer quelque chose. Bientôt, les gens n’auront plus besoin de bouger de chez eux. Ce 26 août 2000 est donc une fête, c’est l’arrivée de Dragon Quest VII sur PlayStation.
Sur le trottoir, une caméra s’approche de moi, trop contente de trouver un gaijin. Dragon Quest est encore un phénomène purement japonais, tout juste un succès de niche en Occident qui remonte au temps de la NES. Alors qu’à la sortie de la PlayStation 2, les étrangers ont déferlé sur Akihabara pour acheter des consoles en plusieurs exemplaires, au mois d’août ils ont disparu, comme fondus au soleil. La grosse caméra fixe son objectif sur moi et me demande pourquoi je suis là et ce que je pense de Dragon Quest. Seul contre tous et pas encore habitué à la télé, dans une langue que je maîtrisais bien mal alors, je balbutie une réponse très bateau. Je crois que j’ai dit quelque chose du genre « parce que c’est génial ». Super, bravo.
Le soir même, dans mon petit « business hôtel » où je résidais cette fois-là, dans une chambre minuscule et pas très accueillante, j’allume la télé. Les jeunes touristes ne s’en rendent pas compte, mais à l’époque, presque tous les hôtels facturent l’usage du poste. Chaque télévision dispose d’un monnayeur, où l’on insère les pièces. Cent yens pour une heure. Une soirée télé au prix d’un ramen en somme. Là, je tombe sur la sortie de Dragon Quest VII à Akihabara. Plus intéressant que mes punchlines peu assurées, la jeune fille interrogée après moi, souriante, cheveux courts, hésite un instant, prend le temps de réfléchir avant de dire : « En fait, un Dragon Quest, c’est très simple... c’est même fondamental », comme si elle avait puisé dans ses souvenirs, dans sa propre nostalgie, pour répondre au journaliste. Cette jeune fille a tout à fait raison, un Dragon Quest, un simple jeu vidéo, parle avant tout à l’enfant qui est toujours en nous.
Durant l’écriture de ce livre, un ami cher m’a envoyé la nouvelle publicité pour la sortie de Dragon Quest XI. Il ajoute malicieusement : « Sympa, la campagne pour ton bouquin. » Cette pub affiche : « C’est alors que nous sommes devenus des héros. » On y voit des joueurs de Dragon Quest à travers les âges et les consoles. Elle commence par le même air de fanfare connu et présent dans tous les épisodes. Enfants, ados, adultes, tous les joueurs sont représentés : du salary man qui rentre en courant chez lui pour reprendre sa partie au petit gosse qui rêve de se téléporter ; du gars sous la pluie à attendre la sortie d’un épisode à la jeune fille qui révise, un mot écrit de sa main accroché au mur : « Pas de Dragon Quest avant la fin des exams » ; des gamins qui lisent le guide-book à la récré à la maman qui demande d’éteindre la console pour aller manger. Cette publicité vise juste à tous les niveaux, jusqu’à l’accident de la prise de courant débranchée par mégarde qu’on a sans doute tous connu. Cette série, plus que toutes les autres, est un appel à notre nostalgie. Ce que font ces deux minutes, c’est de rappeler qui on est à un moment donné, d’où l’on vient et ce qui nous réunit.
Voilà d’où je viens. Mon premier Dragon Quest est le V. Je me souviens encore de la boîte en carton défoncée. Le logo m’a tapé dans l’œil, dans le rayon des jeux d’occasion d’un magasin de République, le quartier des jeux vidéo de Paris, surtout dans les années quatre-vingt-dix. À l’époque, la France tout entière vibrait pour Dragon Ball Z. Tous les fans étaient en chasse de la moindre illustration évoquant Son Gokû et sa famille. L’Internet que l’on connait n’existait pas. La pêche aux infos était ouverte. D’habitude, on recollait les morceaux de l’histoire à venir avec le premier shitajiki1 venu ou une simple image tirée d’un magazine, et on laissait l’imaginaire parler. La jaquette de ce cinquième volet représente tant de choses à la fois : une invitation au voyage, une quête de longue haleine et une histoire d’amour. Les vêtements déchirés et la canne de marche du protagoniste supposent un périple compliqué. La cape rappelle les accoutrements post-apocalyptiques de Ken le Survivant tandis que son couvre-chef, un ruban enroulé sur lui-même, est une référence directe à l’uniforme de Son Gokû quand il revient, à l’âge adulte, d’un long entraînement. Le style si caractéristique de Toriyama se voit le plus dans le visage des deux héros, un regard posé sur l’horizon et des coupes de cheveux très « Yamcha et Bulma ». Le tigre, qu’on suppose à la fois agressif et fidèle, rappelle Gringer, le compagnon de combat de He-Man (Musclor) dans les Maîtres de l’Univers. Le petit dragon m’évoque volontiers Lockheed, l’animal de compagnie de Kitty Pryde des X-Men car, honnêtement, qui n’adore pas les mascottes bébés-dragons ? La palette des couleurs a ce bon goût caractéristique des beaux dessins de Toriyama de ces années-là. L’équilibre entre les taches de noir du tigre et le blanc de la tunique du héros y est sublime et fait ressortir les couleurs de l’ensemble. Il y a aussi cette composition parfaite. Au pied du protagoniste, le Slime, monstre iconique de la série, donne une dimension comique à l’illustration. Plus tard, je vais me rendre compte que c’est la première fois que ce « Pikachu de Dragon. Quest » est montré sur la couverture d’un jeu de la série. Akira Toriyama avait pris le soin de faire déborder très légèrement certains éléments du cadre qu’il s’était imposé. L’image profite parfaitement du format vertical des cartouches Super Famicom, une originalité à l’époque où tout était majoritairement rectangulaire. Encore aujourd’hui, je pense que c’est une des plus belles illustrations de jeux vidéo de tous les temps.
Me voilà donc à acheter un jeu pour sa jaquette. C’est un coup de tête et un coup de cœur, un peu comme quand on choisissait ses jeux en fonction des photos d’écran au dos de la boîte. Il faut bien avouer que, à l’époque, faute d’informations et de vendeurs expérimentés, on faisait souvent ça. Je pourrais poursuivre avec l’illustration de la notice. On y voit le même héros que sur la jaquette, mais plus jeune, accompagné par un moustachu baraqué qui, à première vue, a toutes les chances d’être son père.
Une fois chez moi, je me suis empressé de mettre la cartouche dans ma console. Là, les fantasmes ont été confrontés à la réalité. En 1992, Dragon Quest V est un RPG un peu triste à regarder. Comme on dit souvent alors : « Il a une bonne génération de retard. » Les graphismes n’étaient pas si éloignés de ce qu’on voyait sur la vieille NES. Il fallait faire preuve de beaucoup d’imagination pour déchiffrer dans ces petits conglomérats de pixels le brave voyageur de la jaquette du jeu. Malgré cette mise en bouche pas très emballante, j’ai persisté. Ce qui m’a fait persévérer dans un premier temps, c’est la perspective d’un récit sur plusieurs générations. À l’époque, on pouvait déjà jouer à Phantasy Star III : Générations of Doom sur Megadrive, qui proposait l’ivresse d’un poème épique avec un passage de relais sur plusieurs décennies. L’aventure de Dragon Quest V raconte une longue saga familiale s’écoulant sur une moitié de siècle. Je ne savais pas alors que les Dragon Quest tournaient autour d’un motif classique de « héros élus », évoquant Avatar, le protagoniste des Ultima.
J’ai ensuite acheté les guide books dans une librairie japonaise du centre de Paris, un peu pour la même raison que le jeu : les belles illustrations. Ils se sont révélés vitaux tant certains passages étaient ardus et peu évidents. Mon japonais était complètement balbutiant à l’époque, mais j’avais confiance : peu de temps avant, j’étais venu à bout de Breath of Fire en japonais. Il fallait quand même être motivé pour « se faire » Dragon Quest V. Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, l’engouement pour le retro-gaming aidant, ça passerait plutôt bien.
Même avec une connaissance limitée du japonais et des conditions techniques quelque peu austères, l’histoire était très bien racontée. C’est peut-être ce qui surprend le plus le joueur. Dragon Quest V est un grand cycle familial rempli d’émotions, limpide comme un roman d’aventure d’Alexandre Dumas. En fin de compte, j’ai eu de la chance de tomber sur ce très bon épisode pour ma première fois, le VI étant beaucoup plus baroque avec ses histoires de mondes parallèles et ses héros qui voyagent sur un lit volant. Un jeu un peu déroutant, mais qui ne manque ni de légèreté ni de second degré.
Un des grands moments d’émotion de Dragon Quest V, c’est quand on finit par remonter le temps pour changer son passé et ainsi sauver le futur. Le procédé du voyage temporel est tellement utilisé dans la science-fiction, principalement dans les années quatre-vingt, que ça aurait dû me laisser insensible. Ce n’était même pas la première fois que je vivais cela dans un jeu vidéo. Pourtant, là, devant moi, avec ses graphismes simples et ses mélodies entêtantes, une aventure touchait avec une infinie légèreté à ce sentiment qui ne peut nous laisser insensibles. « Qu’aurais-je fait différemment si on m’en donnait l’occasion ? » est une idée qui a largement été utilisée dans la fiction, de Quartier Lointain, de Jirô Taniguchi à la série Quantum Leap2. Bien amenée, elle est si simple, si efficace qu’elle parle à chacun de nous.
C’est aussi vers cette période que mon père est entré dans ma chambre pour regarder ce que je faisais. Je jouais à Dragon Quest. Il s’est moqué de moi, de mon jeu et de ses personnages qui marchent à la queue leu leu. C’est d’ailleurs comme ça qu’il surnommait les RPG, des « Binimes à la queue leu leu ». En bon héritier de l’intelligentsia russe, il détestait les jeux vidéo. Complètement réfractaire. Je n’ai jamais réussi à lui expliquer l’intérêt qu’il puisse y avoir à rester des dizaines d’heures enfermé face à son écran. Depuis, j’ai en moi cette envie de partager les choses que j’aime. J’essaye dans mon travail de comprendre pourquoi une œuvre peut toucher, de communiquer quelque chose. Voilà pourquoi je ne vous faillirai pas.
Au moment où je termine cet avant-propos, je fête mes vingt ans de vie journalistique et le double en âge. Hasard supplémentaire, Dragon Quest célèbre ses trente années d’existence. Plusieurs raisons donc de célébrer ça avec un ouvrage.
Si vous lisez ce livre aujourd’hui, je vous remercie de votre confiance. Je compte aussi sur vous, car je pars du principe que vous savez ce qu’est un RPG. Que vous avez aussi entendu parler d’Akira Toriyama. L’objectif de cet ouvrage n’est pas de revenir sur tous les jeux estampillés Dragon Quest. Hors de question de réaliser de petits résumés des aventures, parfois farfelues, que l’on peut traverser ; on ne va pas passer en revue tous les personnages de chaque épisode. Et ne comptez pas non plus sur une liste complète de tous les monstres classés par ordre alphabétique, cela vous ennuierait tout autant que moi. Les ventes et les énumérations de toutes les versions, ou toutes les informations disponibles ligne par ligne sur Wikipédia, même topo. Ce livre n’est pas un almanach, des bouquins japonais officiels font cela très bien. De plus, je ne peux pas compter sur une quelconque illustration pour appuyer mon propos, ce qui rend la tâche un peu délicate.
Ce qui m’a toujours intéressé dans le journalisme de jeux vidéo, ce n’est pas « Combien de niveaux », « Combien d’armes » ou « Combien de personnages jouables ? ». La vraie question est le pourquoi du jeu vidéo. Dans ces pages, c’est « Pourquoi Dragon Quest ? ». Mon but consiste à vous raconter la création et l’évolution d’une série, d’un mythe, d’un succès commercial, d’un phénomène sociologique et, en ce qui me concerne, d’une passion. En fait, de vous intéresser et de vous divertir.
« La simplicité, disait Bruce Lee, est la clef de la virtuosité. » Le plus simplement du monde, donc, je vous invite dans l’univers imaginaire de Dragon Quest.
1 Littéralement « sous-main », il s’agit d’un porte-documents en plastique plus ou moins souple et transparent selon les versions. Rarement utilisés pour la bureautique, ils sont pour la plupart du temps recherchés par les collectionneurs selon leurs illustrations et la série dont ils sont issus.
2 Sortie sous le nom de Code Quantum en France.
« Oublie ce que tu fuis. Garde tes inquiétudes pour ce vers quoi tu fuis. »
Michael Chabon, Les extraordinaires aventures de Kavalier & Clay.
C’EST une histoire qui commence en fanfare, littéralement. L’ouverture du tout premier Dragon Quest attaque avec des trompes de chasse synthétiques. Dix secondes précises d’instruments 8 bits. Une brève pause, et c’est parti. La mélodie principale s’engage, beaucoup plus imposante et grandiloquente, accompagnant un écran qui vous invite inlassablement à vous lancer dans l’aventure, à appuyer sur « Start ». Ces arrangements varient avec le temps et les épisodes, les trompes se muent en trompettes, le synthétique se fait orchestral, mais l’intention est la même. Pour des générations de Japonais, ces mélodies si caractéristiques vont devenir la signature de la plus grande série de jeux de rôle japonais. Il suffit de quelques notes afin de comprendre que l’on s’embarque pour un long périple. Ce thème nous rappelle qu’un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas, et que c’est au joueur de braver les dangers.
Chose très rare à l’époque, ce n’est pas un mais trois nom de créateurs qui sont associés à un jeu vidéo. À tel point qu’il devient coutumier de voir leurs patronymes s’afficher au début de chaque partie dans un silence respectueux, avant que le son des cuivres ne retentisse. Yûji Horii, Akira Toriyama, Kôichi Sugiyama. Dans cet ordre. Cette trinité d’artistes est l’âme de Dragon Quest, la série fondatrice du RPG japonais, celle qui a créé les clichés d’un style et même des expressions maintenant utilisées couramment. Leur œuvre se résume en trois modestes idées : de l’aventure, de la simplicité, du cœur.
Dragon Quest n’est pas le plus ancien jeu de rôle japonais, mais il a été très certainement le fer de lance et le premier phénomène culturel massif du genre au Japon. Trente ans plus tard, ce nom, devenu un style, une marque de fabrique, est célébré par les joueurs. Pour eux, il s’agit de la promesse d’une aventure homérique avec un zeste de nostalgie. C’est aussi, bien entendu, un label symbolisant un empire commercial colossal. En trois décennies, on compte une dizaine d’épisodes canoniques et tout autant de dérivés sur toutes les générations de consoles de jeux. Rien qu’au Japon, on dépasse les soixante millions d’exemplaires de Dragon Quest vendus, toutes versions confondues.
Ce titre, sobre mais percutant, vient de Yûji Horii. S’il a choisi ce nom, comme il l’explique lui-même1, c’est qu’il y a d’un côté le mot « Dragon », qui parle à tout le monde et de l’autre « Quest », qui signifie « quête », un mot énigmatique aux sens multiples. En choisissant ce nom, Yûji Horii s’est souvenu d’une leçon reçue lorsqu’il fréquentait l’école Gekigasonjuku fondée par Kazuo Koike2. Son mentor et ami lui avait un jour dit qu’il était intéressant d’associer un mot facile à retenir et un autre plus compliqué. De plus, selon lui, les titres commençant par les sons « T » et « D » sont beaucoup plus facilement mémorisables pour un Japonais. Le jeune Horii s’est souvenu de ces conseils avant de donner naissance à son œuvre majeure.
Une nuance d’importance, c’est d’avoir choisi le terme « Dragon », à l’occidentale. Il aurait tout aussi bien pu utiliser « Ryû » le mot japonais usuel. Il avait le choix. Qui plus est, ryû est un mot plein de nuances qui peut s’écrire avec deux kanjis bien distincts et . Le premier implique une nuance d’animalité, proche du gros lézard3, tandis que le second, le traditionnel, est plus complexe et apporte une dimension de sacralité et même de divinité4. Le paradoxe, c’est qu’il n’est pas tant question de dragons que cela dans Dragon Quest, tout du moins au début. Très vite, nous le verrons, le public japonais va s’emparer du phénomène. Comme tout ce qui est populaire, on va lui donner un surnom. On dira alors « DRAQUE » (prononcé « DRACOUET » – ), la tradition voulant que l’on reprenne les deux premières syllabes d’un nom composé. Une contraction efficace, affûtée et unique. Avec DraQue, aucun risque de confusion.
Premier RPG japonais grand public, Dragon Quest a défini les codes de tout un genre et de toute une industrie, ne serait-ce que du point de vue du héros. Tout comme le premier Zelda no Densetsu, sorti quelques mois avant Dragon Quest premier du nom, le protagoniste ne parle pas. Son implication dans la conversation se limite à un choix, « oui » ou « non ». Ce qui peut être considéré, parfois, si ce n’est comme une marque de paresse, tout du moins comme une solution économique. La démarche est pourtant la même, celle de placer le héros au centre de l’aventure. « D’une manière générale, je pense qu’un protagoniste qui s’exprime finit par aliéner le joueur. Il l’incarne comme s’il s’agissait d’une extension de lui-même. Dans ce cas, pourquoi donc cet avatar prendrait-il soudainement la parole ? », témoigne Yûji Horii dans un entretien croisé avec Shigeru Miyamoto, le légendaire créateur de Mario et de Zelda5. Horii développe son propos avec cette réflexion : « [Le joueur] part alors du principe qu’il est le personnage qu’il incarne jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il s’agit complètement de quelqu’un d’autre. Donner une voix au protagoniste pour qu’il choisisse comment l’histoire va se dérouler mettrait les joueurs mal à l’aise. »
Pour le trentenaire de Dragon Quest, son éditeur, Square Enix, a organisé un grand rendez-vous pour les fans avec une exposition consacrée à sa série6. À l’entrée étaient rassemblés dans une immense salle les dix portraits grandeur nature des héros de la saga. L’ironie, c’est que seul un chiffre romain était inscrit au-dessus de la tête des protagonistes, tous alignés dans le hall en ordre décroissant. Quand l’éditeur communique sur ses documents officiels, il indique systématiquement « Shûjinkô7 », ce qui signifie tout simplement « héros ». L’idée originelle de Yûji Horii a toujours été de mettre le joueur au cœur du jeu, à la manière des livres dont vous êtes le héros. Dans une autre pièce, des dioramas représentant les scènes importantes de différents jeux. Un gros marchand qui se fait poursuivre par une cascade en folie, un voyageur qui offre un ruban à un tigre-tueur, et bien entendu quelques combats majestueux contre des démons. Le message, c’est que l’important est de vivre l’aventure.
Le 27 mai 1986, plus de cinq cent mille exemplaires du premier épisode de la série sont mis en vente au Japon. À la fin de l’année, Enix en écoule un million, témoigne Yukinobu Chida8, le producteur de la série depuis son origine. Mais si l’avènement de Dragon Quest au Japon est un choc, l’Occident a dû attendre avant de pouvoir découvrir ces aventures fantastiques.
Les premiers épisodes sont bien sortis aux États-Unis, mais ils ont été rebaptisés Dragon Warrior pour des problèmes légaux9. En 1980, il existe déjà un jeu de rôle traditionnel médiéval fantastique appelé DragonQuest et publié par Simulation Publication. Cette situation a duré jusqu’en 2003, où Square Enix a enfin pu déposer son nom pour le marché américain.
Malgré une ouverture bien plus marquée sur les mangas et les anime en France, Dragon Quest n’est vraiment connu que par l’aura de son dessinateur, Akira Toriyama. Dans l’esprit des fans, c’est l’autre succès de l’auteur, en marge de Dragon Ball. La première œuvre liée à DraQue à débarquer en France est le dessin animé Fly, ou Dai no Daibôken dans sa version originale, d’après un manga édité par la Shûeisha10. L’ironie de cette modeste prise de contact avec le public français, c’est que le manga ne fait jamais mention de la série de jeux qui l’a inspiré, et sa filiation avec Toriyama n’est pas une seule fois mentionnée. Ce n’est même pas un épisode canonique qui ouvre le bal en Europe, mais un dérivé sur Game Boy Color, Dragon Warrior Monsters, le 25 janvier 199911. Il va falloir encore quelque temps avant que les liens logiques entre « Dragon », « Ouest », « Toriyama » et « RPG » ne se fassent pour le grand public12.
Avec le temps, ce qui a fini par définir le plus un Dragon Quest est la notion de simplicité presque rustique des jeux. Une façon de faire que je nomme « la ligne claire du RPG », en référence au langage graphique de l’école belge de bandes dessinées. Ce style décrit sa volonté d’aller toujours droit au but avec une économie de moyens et d’effets. Ce qui est primordial ici, et marque le parallèle évident avec la BD, n’est pas uniquement le trait simple, mais sa lisibilité. Il s’agit de choix précis et rigoureux, même pour des détails qui peuvent être considérés sans importance. Dragon Quest représente on va le voir à plusieurs reprises dans ce livre, l’incarnation de cette ligne claire du RPG.
Toute l’industrie pousse les jeux vers plus de sensationnalisme, les grosses productions à devenir de plus en plus cinématiques dans leur approche de la narration. Yûji Horii a voulu, tout au long de sa carrière, raconter ses histoires avec les moyens du bord, presque en décalage avec la technique de son temps. Ce n’est pas un hasard non plus si les bruitages n’ont quasiment pas changé au fil des années. D’un épisode à l’autre, c’est toujours le même son qui vient ponctuer une porte qui s’ouvre ou un escalier que l’on monte. Quand les personnages gagnent un niveau d’expérience, une mélodie de quelques notes part dans les aigus, invariablement la même. Cela peut paraître ringard d’utiliser toujours la même banque de sons, mais c’est aussi une stratégie très intelligente. Bien avant que le retro-gaming ne devienne une mode et un courant, ces sons sont autant de balises mémorielles qui parlent au public japonais.
Pour mieux comprendre l’importance de Dragon Quest dans l’inconscient collectif japonais, il convient d’abord de revenir sur sa genèse. Parler de cette série, c’est aussi faire le portrait de ses créateurs atypiques, au moment précis où l’industrie est en train de se former et de s’organiser. Saisir pourquoi DraQue demeure un phénomène, trente ans plus tard, pourquoi ce style si élémentaire et chaleureux fait encore recette, tels sont quelques-uns des objectifs de cet ouvrage.
À cette époque où dans la narration tout est décompressé, où les dialogues sont surécrits pour à la fois mettre de l’ambiance et faire de l’exposition, la saga de Yûji Horii leur oppose une simplicité toute naturelle, comme si ce qui définissait le mieux un Dragon Quest aujourd’hui était son infinie modestie.
1 Dans un épisode de Game Center CX « Special Yûji Horii, l’homme qui a créé Dragon Quest ».
2 Auteur de mangas cultes, Kazuo Koike a notamment travaillé sous la direction de Takao Saitô sur la série Golgo 13. Il a ensuite scénarisé le célèbre manga Baby Cart et participé à ses adaptations cinéma dans les années soixante-dix, en compagnie du dessinateur Gôseki Kojima. Plus tard, il va collaborer avec Ryôichi Ikegami à la création de Crying Freeman. Né en 1936, Kazuo Koike continue toujours d’enseigner. Ses anciens élèves de renom sont Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Urusei Yatsura, Inuyasha), Tetsuo Hara (Hokuto no Ken) ou encore le game designer Akira Sakuma, responsable de la série de jeux Momotarô Dentetsu. En compagnie de Yûji Horii, il a tenu des keynotes communes dans le but de promouvoir ses cours.
3 Ce distinguo vient d’un numéro de Famitsû de 1994, le plus important magazine japonais de jeux vidéo, dont la publication est hebdomadaire.
4 C’est d’ailleurs celui-ci que Son Gokû et ses amis invoquent dans Dragon Ball, un manga qui, lui aussi, a choisi d’avoir un titre avec « Dragon » à l’occidentale.
5 Entretien de 1989 retrouvé par la « Game Staff List Association Japan », se déroulant peu avant la sortie de Dragon Quest IV, alors que Shigeru Miyamoto travaille sur Zelda : A Link to the Past.
6 Dragon Quest Museum a eu lieu en 2016 au Shibuya Hikarie, à Tokyo, avant d’être déplacé à Osaka.
7 Cependant, dans les screenshots adressés à la presse, l’éditeur et le développeur jouent un peu avec les patronymes des héros. A la place du nom du joueur, on pouvait souvent lire « Enix », « Arus » ou, encore plus récemment, « Eito » (Eight) et « Naïn » (Nine).
8 Témoignage tiré du documentaire Dragon Quest30th Soshite Aratana Densetsu he, 2016.
9Dragon Warrior arrive en août 1989 sur NES aux Etats-Unis. La saga reste localisée jusqu’au quatrième épisode, en octobre 1992, avant de connaître un long hiatus, qui se termine le 25 janvier 1999 avec la sortie de Dragon Warrior Monsters. Il est à noter que ces versions occidentales respectent la tradition de toujours proposer des jaquettes immondes n’ayant strictement aucun rapport, même lointain, avec le design original et le style d’Akira Toriyama.
10 Édition française originale de J’ai lu. Véritable originalité née d’un hasard éditorial, Dai no Daibôken fera l’objet de plus amples présentations le moment venu dans ces pages.
11 Encore une fois, on peut trouver cette première approche de Dragon Quest assez absurde, mais en 1999, sortir quelque chose qui ressemble à un clone de Pokémon paraît plutôt logique. C’est l’éditeur Eidos Interactive qui se charge de cette première escarmouche en Europe.
12 Cependant, la France a aussi, en son temps, une tradition du jeu import. Dragon Quest était l’affaire d’une poignée d’initiés.
« Notre métier, Mistress Weldon, est de ceux qu’il faut commencer tout enfant. Qui n’a pas été mousse n’arrivera jamais à faire un marin complet, au moins dans la marine marchande. Il faut que tout devienne leçon et, par suite, que tout soit en même temps instinctif et raisonné chez l’homme de mer — la résolution à prendre aussi bien que la manœuvre à exécuter. »
Jules Verne, Un capitaine de quinze ans.
ON RECONNAÎT une star à l’aura qui en émane. C’est ce qu’on ressent en présence de Yûji Horii. « Le boss ». Toutefois, il s’en dégage aussi une sorte de simplicité. Ma première entrevue avec lui s’est faite au Japon dans des conditions vraiment spéciales. Le prétexte était la sortie d’un Dragon Quest Monsters. Personne n’était dupe, on était là pour rencontrer la star, pas discuter d’un énième épisode dérivé, même si, par courtoisie, on est un peu obligé d’en parler. Car « c’est pour cela qu’on est là ». L’aura qu’il dégage, on la sent aussi à la haie d’honneur incarnée par son équipe et les différentes personnes de l’organisation. Horii est arrivé d’un pas pressé, poli juste ce qu’il faut et s’est assis au centre de la table, devant les journalistes, souriant mais pas trop, vêtu d’une veste assez simple et d’une chemise à carreaux. Cette attitude n’est pas de la fausse modestie, Yûji Horii est totalement conscient de sa valeur. Il sait tout ce que lui doit son éditeur. Il veut aussi montrer que c’est « un gars à l’ancienne ». Et il aime parler de son travail.
Un peu dégarni, on l’imagine volontiers crapotant clope sur clope devant sa télé en train de réfléchir à sa prochaine action dans un wargame typiquement nippon1, vision influencée par le fait que, pendant des années, toutes les photos le montraient avec une cigarette au bec. Ou derrière son bureau, accoudé à une moto, répondant à des interviews, penché sur les documents de son jeu. Il avait toujours ce côté Easy Rider japonais, en plus gentil et plus poli. Pendant de longues années, il s’est défini comme un « free writer », un auteur free-lance, et il en a sans doute gardé toute l’attitude. Mais l’accessoire le plus important, chez lui, ce sont ses lunettes. Rectangulaires et fumées, elles complètent le personnage. On se le figure très bien en train de scanner les gens en sa présence, mais elles sont pourtant nettement moins intimidantes que ces lunettes noires qu’il avait souvent l’habitude de porter également. Beaucoup d’artistes japonais que j’ai eus la chance de rencontrer au fil des années y avaient recours : la timidité maladive est quelque chose de très courant chez eux. Parfois, ils refusent tout simplement les photos, même lors des entrevues publiques et des interviews.
Retour à l’entretien avec Yûji Horii. Un des nombreux attachés de presse occidentaux se tourne vers moi : « Vous avez de la chance, vous pouvez lui poser toutes les questions que vous voulez, même celles dont on rêve. » Le responsable est un peu optimiste : dans une salle avec trois journalistes, il y a cinq RP2 pour veiller sur le big boss. On ne peut justement pas tout lui demander, on fait attention à la moindre phrase. C’était en 2006 et Dragon Quest n’a alors ni l’aura ni le succès qu’on lui connaît en Occident en 2017. Le rapport de force entre la presse et la saga était un peu différent : la série avait besoin des journalistes pour se faire un nom.
D’une manière générale, Yûji Horii m’a toujours paru plus relax au cours des interviews suivantes. Au Japon, il y a une sorte de protocole à respecter, alors que l’on sent que la discussion pourrait être plus enjouée si la rencontre avait lieu à l’étranger. Ce jour-là, je lui ai demandé ce que ça lui faisait de voir que Pokémon s’était largement inspiré de l’un de ses jeux3. Il m’a rétorqué qu’il ressentait plutôt de la fierté, avant d’expliquer que, selon lui, les jeux sont très différents. Quand il se retire de la pièce, son escorte le suit à la trace, laissant derrière eux une grosse impression de vide. « C’était donc lui, le grand manitou de Dragon Quest », me suis-je alors dit.
C’est à ce moment que j’ai compris une chose sur Yûji Horii : il est véritablement un héros de manga. De sa naissance à la création de Dragon Quest, il a littéralement eu le parcours d’un protagoniste typique d’un de ses jeux vidéo ou d’un manga. Pour étayer cette métaphore, et mieux entrer dans le sujet Dragon Quest, je vais d’abord vous raconter la vie passionnante de ce héros de shônen.
Yûji Horii rappelle souvent qu’il est originaire de la préfecture de Hyôgo et donc du Kansai. Il a évoqué cette attitude toute personnelle qui l’anime. Au Japon, on la nomme : Ichibiri Seishin4. Littéralement, ça se traduit par « agité du bocal », une expression qui désigne à la fois quelqu’un de loufoque, burlesque et doté d’un penchant certain pour la déconnade.
Yûji Horii avait tout pour être un original. Il vient au monde le 6 janvier 1954 dans la ville de Sumoto. Situé dans la préfecture de Hyôgo, « Sumoto-shi » se trouve sur l’île naturelle d’Awaji. Le climat y est subtropical humide, les hivers frais et les étés violemment chauds, comme souvent dans la région du Kansai. Si d’aventure vous vous y rendiez, l’endroit est célèbre pour ses oignons et ses oranges dites « naruto », nommées d’après le détroit où se forme le fameux tourbillon de Naruto, un phénomène naturel causé par les marées contraires des îles de Shikoku et d’Awaji. Car oui, même face à la mer, le plus beau des paradis nous rappelle toujours que l’enfer n’est jamais loin, surtout au Japon. En plus des typhons fréquents, il y a aussi les tremblements de terre. L’épicentre du grand séisme de Hanshin5, qui a ravagé Kobe, se trouvait précisément dans l’île d’Awaji. Dire que la nature et la mélancolie d’une planète dévastée sont au cœur des préoccupations de bon nombre de créateurs japonais est une évidence. Chez Yûji Horii, cet attachement se matérialise non seulement dans son œuvre, mais plus concrètement, des années plus tard, par sa participation à la « taxe de la terre natale6. »
Malgré les turpitudes naturelles, l’endroit est paradisiaque. C’est entre les pins et les jonquilles, au bord de la mer, que le jeune Horii prend goût au rêve et à l’évasion. Ce n’est pas un hasard si bon nombre de ses héros commencent leurs aventures sur une île qu’ils finissent par quitter. C’est même un véritable archétype. Dans Dragon Quest VII, il met littéralement le joueur dans la peau d’un fils de pêcheur épris de grandes épopées qui découvre par la suite que le monde est beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît. Comme dans le manga Dragon Quest : Dai no Daibôken7, qu’il a supervisé, où Dai vit isolé sur l’île de Dermline, peuplée d’animaux et de monstres qui vivent en paix jusqu’à ce qu’un démon se réveille et brise cette harmonie. Les souvenirs d’enfance de Horii vont devenir un des matériaux de base dans ses créations.
Horii est également très joueur. Dès le primaire, il s’adonne au smartball (sorte de pachinko simplifié), puis découvre le mah-jong qui le passionne. Souvent, il détourne les règles de jeux de cartes pour inventer une nouvelle forme d’amusement. Issu d’un milieu modeste – son père est vitrier – , le jeune Yûji rêve déjà de réussite et il s’imagine faire une carrière d’avocat. Cela ne dure pas.
C’est en arrivant au collège qu’il se met à dévorer les mangas. Jusque-là, il suivait le cursus classique d’un garçon de son âge et fréquentait quelques clubs intrascolaires, mais rien de spécifique. Ces clubs sont très importants dans le fonctionnement social de l’école puisqu’en plus de s’y faire des amis, c’est souvent là-bas qu’on forme ses goûts et que l’on alimente ses passions. Il s’adonne à la natation, au saxophone et il apprend la cérémonie du thé avant de consacrer tout son temps au club de manga. Une fois arrivé au lycée, Yûji est déterminé : il veut devenir mangaka.
Le rêve de Yûji Horii a finalement toujours été de raconter des histoires et il a eu la chance de s’en rendre compte très tôt dans sa vie. Bien décidé à dessiner des mangas, il passe ses nuits à travailler sur le sujet, grignotant alors sur son temps de sommeil, ce qui lui vaut de multiples punitions pour ses retards en série. Alors qu’il n’est qu’à dix minutes de son école à vélo – ce qui est un vrai luxe au Japon – , il arrive en retard presque deux cent fois au cours de sa deuxième année de lycée8. C’est un passionné acharné.
Suivant les conseils de son frère, il profite des vacances d’été de sa troisième et dernière année de lycée pour essayer d’accomplir son rêve : il postule pour devenir assistant de Gô Nagai. À l’époque, le futur créateur de Mazinger Z, Devil Man, Cutey Honey et Grendizer9 est l’un des dessinateurs de mangas les plus populaires du Japon avec Shôtarô Ishinomori et Osamu Tezuka. On est en pleine explosion de l’animation à la télé japonaise et le jeune homme se prend à rêver de rentrer dans la prestigieuse liste des assistants de Gô Nagai, car ces derniers sont nombreux à s’être fait un nom par la suite. Yûji Horii rencontre enfin le maître... mais malheureusement, le courant ne passe pas et il essuie donc un refus. Ce destin avorté de mangaka peut presque se lire entre les lignes des jeux que Horii va concevoir. Dragon Quest n’est pas seulement le premier RPG japonais classique, c’est aussi l’archétype d’un récit shônen à l’instar de Dragon Ball. Il ne s’agit pas simplement de s’adresser aux jeunes garçons, c’est un genre qui exalte des valeurs positives comme l’abnégation, l’amitié, le courage, la volonté, où les anciens ennemis deviennent alliés. Horii n’aura de cesse de le répéter tout au long de son œuvre, « tout repose sur la manière de raconter l’histoire. »
C’est la question que s’est littéralement posée le jeune Horii, peu après ce refus, lorsqu’il ne lui restait plus que quelques mois pour choisir ce qu’il devait faire de sa vie. Il s’est alors dit : « Bon, en attendant, je vais aller à l’université » et jeta ainsi son dévolu sur celle de Waseda.
Dès la fin du lycée, les élèves japonais affrontent ces fameux examens d’entrée à l’université. C’est une épreuve redoutable, une véritable sélection drastique qui laisse sur le côté bon nombre de jeunes gens. En d’autres termes, on doit réviser spécifiquement pour l’établissement où l’on postule. Plus l’université est cotée, plus la concurrence est rude. C’est réellement le moment le plus difficile de toute la scolarité, où les élèves se rendent parfois malades pour y arriver.
Son absentéisme récurrent ou le récent refus de Gô Nagai auraient pu décourager Yûji Horii, le résignant à choisir un établissement de seconde zone, pourtant le garçon mène la vie en « mode difficile ». En effet, il opte pour Waseda, l’une des universités les plus prestigieuses du pays. Afin de donner une idée de la compétition, chaque année, plus de cent mille personnes se présentent à son examen d’admission pour quelque cinq mille places disponibles. Mais une fois accepté, rien n’est encore gagné car il faut payer l’inscription à cette université privée dont le droit d’entrée peut s’élever à un million de yens10, des sommes que la faculté redistribue en bourses aux plus nécessiteux. À la rentrée de 1972, c’est une victoire pour Yûji Horii ! Il réussit son examen et choisit naturellement la section littéraire. Pour le jeune homme, c’est aussi l’heure du grand changement : il quitte son petit coin de rêve de l’île d’Awaji pour aller à Waseda, dans le quartier nord de Shinjuku, à Tokyo.
Une des grandes fiertés de l’établissement de Waseda, c’est que ses anciens élèves sont devenus des notoriétés. Parmi eux, on compte tout de même sept Premiers ministres du pays. Vivier de la politique, on dénombre aussi pas mal de « capitaines de l’industrie » qui ont marqué leur temps. Tadashi Yanai, P.-D.G. d’UNIQLO, Lee Kun-hee, président de Samsung, ou encore un certain Hiroshi Yamauchi, l’ancien président de Nintendo, celui-là même qui a fait entrer sa petite société familiale sur le terrain du marché mondial du divertissement avec les consoles Nintendo. Bon nombre de sportifs et d’artistes sont aussi issus de Waseda et il est arrivé que de futurs créateurs de jeux vidéo y terminent leurs études dans un tout autre domaine. C’est le cas de Tomonobu Itagaki, designer, développeur et programmeur des séries Ninja Gaiden et Dead or Alive, diplômé de droit de Waseda dans les années quatre-vingt. On peut aussi noter que Waseda se voit en partie responsable, aux côtés de son éternelle rivale l’université de Keiô, du développement et de l’engouement du baseball au Japon.
