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Une jeune fille dans la quinzaine, enceinte, décide de garder l’enfant rejeté par son géniteur. Quelques années plus tard, grâce à sa pugnacité et son courage, elle est reconnue comme l’une des meilleures avocates engagées contre la maltraitance féminine. Sa vie suit son cours quand, soudain, son fils, jeune champion de ski, devient la victime collatérale d’un attentat politique. Entre doute, incertitude et espoir, elle découvre une affaire bien singulière le concernant…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Guy Ramond tient son affection pour les mots de sa mère, enseignante et férue de la langue française, qui a su lui transmettre cette passion. Avec
La lionne, il signe une intrigue forte et entraînante, une ode à la persévérance.
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Seitenzahl: 419
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Guy Ramond
La lionne
Roman
© Lys Bleu Éditions – Guy Ramond
ISBN : 979-10-377-8861-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Toute ressemblance, avec des personnages existants ou ayant existé, ne serait que pure coïncidence. Ceci est un roman purement imaginaire…
À Magali, ma nièce
Les élèves du collège privé Saint-François situé en plein cœur de la ville s’amusaient pour la plupart dans la cour de cette massive et grande bâtisse de deux étages construite depuis la fin du XIXe siècle. Elle en avait vu des centaines d’enfants user leur fond de culotte sur ses bancs. Avec les années, elle s’était agrandie et il avait été ajouté une aile à angle droit. Située au coin de la rue de la gare et de l’avenue d’Aléry, elle était à deux pas du centre-ville d’Annecy.
La capitale haut-savoyarde, que l’on nommait aussi la Venise des Alpes.
Ce lieu avait malheureusement servi aussi de refuge pour les troupes de la Gestapo qui avaient installé leur quartier général pendant la Deuxième Guerre mondiale et même utilisé les sous-sols pour en faire des cachots, dont certains martyres furent exécutés à peine plus loin.
Il y avait beaucoup d’histoire dans ses murs et aujourd’hui, le calme enfin revenu, ce n’était plus que des cris d’enfants joyeux que l’on entendait, protégés par de massives grilles en fer forgé.
Madame Lebrun était la surveillante de service ce jour-là dans la cour de récréation. Elle officiait à tour de rôle avec ses autres collègues pour cette responsabilité, étant non seulement professeur de français mais aussi la professeure principale pour les élèves de 4e et de 3e. Elle travaillait dans ce lieu depuis pas mal d’années et avait connu beaucoup d’enfants qui avaient grandi dans cette école. Leurs visages lui étaient familiers pour la plupart, les ayant eus dans d’autres classes précédemment. Il faut dire que les classes allant de la 6e à la 3e offraient une diversité d’enfants de tous âges qui se défoulaient, courant dans tous les sens pour les plus jeunes, alors que les plus grands formaient plutôt de petits groupes et s’éparpillaient un peu partout dans ce grand espace qui servait également pour l’éducation physique. Vêtue de son long manteau et d’une écharpe qui entourait ses cheveux grisonnants, elle regardait avec attention tout ce petit monde. Son regard fut attiré par une fille toute seule dans un coin, une belle et grande blonde qui ne faisait pas du tout son âge. Elle aperçut alors Annie. Elle ne la connaissait que trop bien, c’était « son élève », sa fierté. L’ayant déjà eue dans ses classes précédentes alors qu’elle n’était nommée que simple institutrice. Toujours première de sa classe, elle faisait la compétition depuis les petites classes de maternelle avec sa meilleure amie Émilie, pour savoir qui de l’une ou l’autre serait la première.
Élève très appliquée, studieuse et bonne dans toutes les matières, c’était la parfaite étudiante. Cependant, Madame Lebrun avait remarqué un changement radical ces derniers temps, une petite ampoule s’était allumée dans son cerveau. D’habitude toujours bien coiffée avec ses beaux cheveux blonds le long du corps, Annie était passée à une espèce de chignon à la BB, très sommaire avec une espèce de broche pour les maintenir, ses vêtements plutôt classes et ajustés avaient laissé place à des tenues style des années hippies, très amples. Mais surtout ses notes étaient tombées en chute libre et son attention pendant les cours n’était plus la même. Elle avait remarqué qu’elle était moins ponctuelle ces dernières semaines. Elle demandait fréquemment la permission de s’absenter du cours, revenant toujours très pâle. Son prochain cours était justement avec les élèves de 3e et Annie serait dans sa classe au premier rang comme d’accoutumée, elle voulait avoir des réponses à ses questions.
Le cours de français se passait assez bien, elle surveillait d’un œil « sa protégée » pendant la rédaction du contrôle et avait bien évidemment l’intention d’en savoir plus à la fin de cette heure, elle ramassa rapidement la copie d’Annie pour en voir le contenu avant de libérer toute la classe.
Ce qu’elle lut finit par lui confirmer qu’il y avait bien un problème, toutes les réponses étaient incomplètes et évasives, elle n’allait pas partir sans explications. La fin du cours venait de sonner, les élèves se levèrent et commencèrent à sortir. Madame Lebrun attrapa au vol Annie par le bras avant qu’elle ne s’échappe et se retrouva enfin seule avec elle.
— Rien, Madame Lebrun, un passage à vide peut-être, mais tout va bien… éluda Annie.
Avant d’avoir eu la moindre réponse, Annie se libéra de cette main de fer et s’enfuit à toutes jambes.
Madame Lebrun avait vu juste, il se passait bel et bien quelque chose, demain elle se jura d’obtenir une réponse…
Il faisait un temps maussade et frais en ce jeudi de novembre, la pluie de ces derniers jours avait fini de faire tomber les dernières feuilles des platanes de l’avenue d’Albigny. Un bel endroit où les touristes et les Annéciens aiment se balader à proximité du lac au beau milieu des montagnes qui l’entourent. La légère brume empêchait de voir la beauté de ce paysage carte postale par temps clair et la nuit commençait doucement à s’installer, aucun enfant ne traînait pour aller jouer dans les tas de feuilles.
Madame Lebrun n’était pas là pour faire du tourisme, elle avait décidé d’avoir des réponses à ses questions. Elle avait pris sa voiture en cette fin de journée afin de voir ce qui préoccupait Annie. Elle la suivait depuis un moment à bonne distance et le parcours qu’elle empruntait n’était en rien lié à son domicile. Elle marchait d’un pas lent, comme si elle ne voulait pas rentrer chez elle. Même si elle avait l’allure d’une jeune femme, elle n’avait qu’un peu plus de quatorze ans, que se passait-il dans sa tête, une révolte d’adolescente ? pensa-t-elle. Non, ce n’est pas le problème. Ses parents ? non plus. Drogue ? Pas le genre, mais elle avait quand même son idée. Pendant qu’elle se questionnait, elle décida d’aller dans le stationnement du parc de l’Impérial Palace, le majestueux hôtel entièrement rénové était déjà tout illuminé et se préparait pour les festivités du prochain passage à l’an 2000. Justement Annie arrivait à sa hauteur et cette fois elle n’allait pas s’échapper. D’abord surprise, Annie fit comme si elle n’avait rien vu.
— Bonjour Annie ! dit l’enseignante.
— Annie, il faut qu’on parle, monte avec moi dans cette voiture, lui désignant explicitement avec le doigt.
— Mais, mais parler de quoi ? répondit Annie d’une voix très mal assurée.
Annie s’exécuta sans rien dire, la voiture démarra aussitôt. Le silence régnait à bord, pas un bruit, à part celui du moteur qui était soumis à rude épreuve tant la nervosité de Madame Lebrun était palpable. Elle roulait dans les rues d’Annecy un peu trop vite et se dit qu’elle se devait de se contrôler, sa toute nouvelle Peugeot 206 n’était pas habituée à ce traitement d’autant plus que la chaussée était mouillée. Il fallait qu’elle se calme. Annie était à ses côtés, c’était déjà un bon point, mais le plus difficile restait à faire… la faire parler.
Elles arrivèrent dans le secteur où résidait la professeure. Un coin assez austère, des immeubles tout autour, sans trop d’étages mais pas vraiment très accueillants.
Le quartier de Novel n’était pas le meilleur des endroits, mais les commerces de proximité étaient tous là et les loyers acceptables, car les prix de la région en avaient depuis longtemps dissuadé plus d’un, et les tarifs, à l’égal de Paris, n’avaient certes pas les avantages des salaires. Pas d’élégance dans le style de construction des années 50, plutôt rudimentaire et fonctionnel pour l’époque.
Après avoir garé la voiture proche de son entrée, Madame Lebrun poussa la grande porte vitrée pour traverser le hall et appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Celui-ci s’ouvrit et les deux femmes s’engouffrèrent dans la petite cabine en direction du 3e étage sans aucune parole. Des odeurs de cuisine flottaient à l’étage.
La porte de l’appartement fit un grincement sinistre en s’ouvrant et laissa apparaître un espace bien rangé où rien ne traînait. Très méticuleuse, voire un peu maniaque, elle prit le temps de poser son manteau et fit signe à Annie de s’asseoir sur le canapé recouvert d’un plaid. Madame Lebrun lui proposa de faire du thé et lui dit de se mettre à l’aise pendant qu’elle était partie faire chauffer de l’eau dans la cuisine. Annie regardait tout autour d’elle.
Beaucoup de bibelots partout, des tableaux sur chaque mur, des coussins ici et là, un grand buffet foncé et massif, très haut du style Henri II sûrement, avec des petits verres en métal argenté, des pots décorés peints à la main, bref une déco assez chargée. Les fauteuils, mi-bois, mi-tissu, paraissaient neufs, peu de monde avaient dû poser leurs séants dessus. En face d’elle, une bibliothèque vitrée très garnie avec des livres classiques et des livres scolaires.
Il y avait de nombreuses photos sur ce meuble et cela attira son attention. On reconnaissait Madame Lebrun, jeune, avec un homme et un bébé dans les bras, et puis plein d’autres, mais là elle n’identifiait personne, surtout que c’étaient de très vieilles photos, sûrement ses parents, se dit-elle. Le thé était prêt. Elle arriva, servit deux tasses et en donna une à Annie dont les mains tremblaient, se demandant comment elle allait s’en sortir. Madame Lebrun rompit le silence.
— Tout d’abord, je m’appelle Gisèle, dit-elle sur un ton très posé et amical, tu vas voir que pour parler ce sera plus facile, on va laisser de côté le « Madame » pour l’instant. Je sais que tu as besoin d’aide et je suis là pour ça. Ce n’est pas vraiment un hasard si nous sommes là. J’ai très vite compris ce qu’il t’arrive. Alors bas les masques, on se parle franchement et pour toi cela sera un énorme pas en avant. Annie se décomposa en entendant Gisèle, elle ne s’était pas du tout préparée à ce cas de figure.
— Tu es enceinte de combien de temps ? lui assena-t-elle.
La question lui arriva en pleine figure, cinglante, et lui fit perdre en une seconde tous ses derniers espoirs de secret qu’elle protégeait. Elle s’effondra littéralement dans les bras de Gisèle. La jeune femme était redevenue une toute petite fille en un instant, de grosses larmes coulaient désormais sur son visage, des sanglots, des hoquets, une respiration haletante.
Gisèle la tenait maintenant comme son enfant, et Dieu sait qu’elle n’avait pas eu la vie facile par le passé. Elle-même avait perdu son bébé alors qu’il n’avait que quelques mois, elle ne s’en était jamais vraiment remise.
Sa vie avait basculé rapidement, laissant un vide énorme, entraînant le chaos qui mit fin à son mariage par la suite. Une longue période de dépression avait suivi et elle n’avait plus laissé de place pour un nouvel amour. Seul son métier l’intéressait et Annie représentait la fille qu’elle aurait toujours voulu avoir si la vie lui en avait laissé le temps.
C’est aussi pour ça qu’elle l’avait prise en affection. Elle lui caressa les cheveux pour la calmer et la laissa reprendre peu à peu son rythme avant de reposer doucement la question.
— Je suppose que tes parents ne sont pas au courant ? Pourtant il faut absolument le faire, tu ne vas pas pouvoir le cacher beaucoup plus longtemps, alors courage, même si c’est difficile.
— Je suis incapable de leur avouer, ils croient tellement en moi, et m’ont accordé toute leur confiance. Comment leur dire la vérité ? Je suis condamnée d’avance, je vais être considérée comme une pute !
Gisèle arriva à détendre l’atmosphère en choisissant des mots de réconfort, mais Annie avait déjà pris une grave décision. Elle voulait absolument garder cet enfant, les trois mois déjà écoulés compliquaient gravement tout avortement.
De toute façon, ce n’était pas dû à une question religieuse, elle étudiait depuis toute petite dans ce collège privé catholique, mais elle n’était même pas baptisée au grand dam de sa grand-mère très croyante, ses parents lui laissant le choix de le faire à sa majorité.
Le temps jouait contre elle et Gisèle se proposa de la raccompagner chez ses parents pour l’aider dans cette tâche difficile d’annonce pour atténuer ce qui allait être un choc immense pour ses parents. Elle prit le téléphone et appela les parents d’Annie afin qu’ils ne s’inquiètent pas de son retard, prétextant un quelconque exposé et la gardant avec elle pour le repas du soir. Il était évident qu’elle ne pouvait pas rentrer tout de suite dans son état.
Gisèle lui proposa une stratégie, elle l’accompagnerait pour lui donner de la force, mais se ferait discrète pendant qu’elle expliquerait sa situation, il fallait parler un peu aussi de l’avenir. Le principal étant bien entendu de l’annoncer. Même si elle n’avait absolument pas faim vu le contexte, il fallait qu’elle reprenne un peu de forces, elle avait la boule au ventre… mais pas seulement au figuré.
Les parents d’Annie habitaient un quartier plutôt résidentiel. De belles maisons bourgeoises et des immeubles de très bon standing aux alentours, proche de la clinique du Lac. En face on trouvait un supermarché « Carrefour », nom original donné justement grâce au croisement de ces rues et adopté par l’enseigne internationale.
L’appartement qu’occupaient les Perrillat, les parents d’Annie était au rez-de-chaussée d’un bel édifice avec un petit parc bien aménagé et arborisé. Ils avaient acheté cet appartement depuis déjà quelques années, leur situation financière le leur permettait.
Sophie, la maman, était fonctionnaire et travaillait à la mairie de la ville. Elle gérait les achats inhérents au fonctionnement de la cité, un gros travail vu la diversité de celle-ci, et rédigeait aussi les appels d’offres. Elle aimait beaucoup son travail. Marc, le papa, vivait de l’automobile. Après avoir travaillé de longues années dans son garage à réparer et entretenir les voitures, il gérait maintenant des centres pour leurs contrôles.
L’appartement était assez vaste, avec trois grandes chambres. L’une d’elles était maintenant souvent vide, Marie-Laure, sa sœur de quatre ans son aînée, faisait ses études d’infirmière à Grenoble. Elle avait loué un petit studio et ne rentrait plus très souvent, quelques week-end seulement par-ci par-là. Très complice avec Annie, depuis toute petite, elle partageait énormément de choses. Et pourtant cette fois, elle ne lui avait strictement rien dit, crainte d’un jugement de sa part, mais sûrement par peur. Peur de tout, simplement.
Gisèle et Annie avaient convenu de leur rôle. Gisèle, tout en soutien pour sa protégée, là en cas de défaillance et bien évidemment Annie au front.
Il était un peu plus de 20 h quand elles pénétrèrent dans le bâtiment. De grandes portes vitrées délimitaient une vaste entrée tout en marbre, des boîtes aux lettres de bonne facture, agencées en dégradé dans un coin, donnaient le ton légèrement chic de l’endroit.
Le cœur d’Annie battait de plus en plus vite, devant la porte d’entrée, Gisèle lui prit la main très fort et lui appuya un regard compatissant. Annie ouvrit rapidement la porte et donna l’impression qu’une seule personne était entrée.
Les parents étaient au salon devant la télévision regardant les informations. Gisèle se mit en stand-by dans l’entrée, silencieuse. Annie prit son courage à deux mains et pénétrant dans le salon se dirigea rapidement vers la télé. Attrapant au passage la télécommande posée sur la table du salon, elle coupa net les propos du journaliste. Avant que Marc et Sophie aient eu le temps de parler, malgré leurs grimaces réprobatrices, Annie prit la parole d’une voix mi-enrouée, mi-haletante.
— Maman, Papa, j’ai une chose extrêmement importante à vous dire ! dit-elle en appuyant sur les derniers mots.
Marc, le papa, lui répondit qu’elle aurait pu attendre au moins la fin du journal, mais en voyant son regard il comprit tout le sérieux de son propos.
— Papa, Maman, dit-elle, suivi d’un grand silence puis une profonde respiration, voilà, je suis en-cein-te, en détachant les syllabes. Cela fait un peu plus de trois mois que je vous le cache. J’aurais voulu que cela dure encore plus longtemps mais Madame Lebrun m’a convaincu de le faire. J’ai décidé de garder cet enfant quoi qu’il m’en coûte, même si je dois le faire seule. J’ai eu le temps de réfléchir aux conséquences. La tirade, répétée dix fois, cent fois, était dite et un poids énorme venait de s’envoler. Enfin…
Marc et Sophie eurent juste le temps de se lancer un regard, une gifle énorme venait de leur arriver en pleine figure. D’abord anesthésié par l’annonce, Marc eu du mal à se relever de son fauteuil, incrédule d’entendre les mots de la bouche de son « bébé ». Ce n’était pas possible, non pas elle ! se parlait-il, mais quand il croisa le regard d’Annie et vit ses yeux pleins de larmes, il sut alors à cet instant que ce n’était pas une mauvaise blague et que c’était la dure réalité.
Marc prit sans même hésiter son enfant dans les bras et Sophie se joignit immédiatement aux autres bras. Trois personnes pleuraient abondamment au milieu du salon, Gisèle regardait cette scène surréaliste, on entendait plus que les sanglots de cette famille. Secrètement, elle était fière de ce que venait de réaliser son élève, une épreuve inimaginable quelques heures auparavant.
Quand Marc releva enfin la tête encore pleine de larmes, il aperçut une ombre dans l’entrée, ses yeux embués l’empêchaient de voir la personne qui les observait. Gisèle fit un pas en avant pour passer dans la lumière. Il reconnut Madame Lebrun et s’avança pour lui serrer la main et la remercier, mais ses bras avaient pris la commande et se refermèrent sur elle.
— Merci, merci, merci, dit-il en la relâchant, je ne sais même pas comment vous remercier.
— Votre fille est magnifique, elle a du courage et du caractère, il ne lui manquait qu’un peu de confiance, elle l’a fait ! Le plus dur est passé, maintenant il faut gérer l’avenir. Il faut qu’elle se repose. Demain, gardez-la ici et restez ensemble tous les trois. Vous avez énormément de choses à vous dire.
Gisèle prit congé discrètement par un petit signe de la main. Satisfaite, elle était heureuse d’avoir réussi sa mission.
Une fois l’émotion dissipée, Annie se devait d’expliquer comment elle en était arrivée là. Cette soirée risquait d’être longue et difficile, mais nécessaire pour la compréhension des parents. Elle se mit en quête de raconter en détail son aventure.
Elle avait donc rencontré son « amoureux » en allant au lac pas très loin de chez elle, à la plage d’Albigny, pendant l’été. Elle y allait pratiquement tous les jours avec ses copines, Émilie bien sûr, Audrey, Valérie et Charlotte. Elles s’installaient toujours au même endroit. Une bande de gars qui écumait le secteur avait remarqué les filles et en avait fait leur cible.
Quatre filles toutes seules, c’était parfait. Les six garçons, un peu plus âgés apparemment, commencèrent à approcher les filles et s’installèrent à côté d’elles. Quelques blagues pour entrer en matière histoire de sympathiser et voir si l’effet était concluant.
Après les présentations d’usage de chacun d’eux, celui qui semblait être le chef de la bande prit la parole. Il parlait avec assurance et n’arrêtait pas de regarder Annie, sur qui il avait jeté son dévolu.
Six gars pour quatre filles, cela laissait plus de choix. Johnny, comme il se faisait appeler, avait un accent italien et, pour se justifier, il expliqua que ses grands-parents s’étaient installés en France après la guerre, et qu’avec ses parents ils maintenaient la langue dans la famille pour garder les traditions. Il avait plusieurs grandes chaînes en or autour du cou qu’il mettait bien en évidence, un discours volubile, les mains toujours très agitées, assez grand, la chevelure ondulée, le stéréotype du séducteur italien en somme.
Il habitait du côté de Seynod, « la banlieue », ville qui avait vu sa démographie accélérée avec la construction du quartier de Champ-Fleuri dans les années 70. Un fort taux d’immigration très cosmopolite était venu remplir ces nombreux immeubles de béton. Au fil des jours, toute cette joyeuse bande se retrouvait sur cette plage.
À force de se voir régulièrement, chacune des filles s’était trouvé un petit copain, sauf pour deux d’entre eux qui leur demandaient si elles n’avaient pas d’autres copines, histoire de ne pas être en reste.
Les choses évoluaient assez vite, après les histoires drôles et autres discussions d’adolescents, de premiers gestes très amicaux, puis premiers bisous et bien sûr premiers baisers. Ce fut ensuite des petites ballades en scooter en bande, Annie serrait son pilote contre elle, déjà amoureuse, insouciante et heureuse. Que de beaux moments de bonheur, normal son premier amour !
Johnny, de son côté, était très satisfait de sa conquête, mais avait envie de passer à l’étape supérieure. À l’âge de dix-sept ans, on ne se contente plus seulement de baisers et de caresses, la testostérone faisait bien son effet, il avait une autre vision.
Quelques jours plus tard, il faisait un temps très gris, et il se dit qu’au lieu d’aller à la plage, ils pourraient passer l’après-midi ensemble enfin seuls. Il l’appela, et Annie lui dit de venir la rejoindre chez elle. Ses parents étaient au travail, donc ils seraient tranquilles. Johnny était arrivé en début d’après-midi, ils avaient passé du temps au salon à parler de tout et de rien et elle lui avait offert un rafraîchissement.
Après quelques baisers et caresses, tous deux excités avaient rapidement pris la direction de la chambre d’Annie. Là, très vite, la température avait subitement grimpé dans la pièce. Annie s’était retrouvée à moitié nue sur son lit en un temps record, le simple flirt avait atteint un autre stade. Des mains agiles exploraient son corps de jeune fille et elle se dit que le moment était arrivé, sa respiration augmentait mais elle ne se sentait pas prête pour l’instant, c’était trop tôt, même si elle le désirait.
Johnny, lui, n’avait plus envie d’entendre ses hésitations et tentait bien de poursuivre son but, assouvir son désir. Malgré ses supplications et ses nombreux « non, non, s’il te plaît » implorants, Johnny n’en tint pas compte.
On n’était plus au stade des caresses. Il la maintenait solidement sur le lit, l’empêchant de se débattre, lui écartant les jambes, et la pénétra sans aucun ménagement, heureux d’avoir enfin réussi. Pour lui c’était une victoire de plus. J’ai enfin pu « baiser » cette fille, se dit-il !
Une de plus à mon tableau de chasse ! C’était ça l’important, il ne regardait même plus le visage d’Annie dont les larmes perlaient au coin de ses yeux, les siens étaient fermés et il se concentrait sur son plaisir, ce qui le fit rapidement jouir…
Le calme et la tension étaient revenus dans la pièce après que chacun a repris un rythme et un souffle normal. Si c’était ça faire l’amour, se dit Annie, ce n’était pas vraiment une superbe expérience, c’était pratiquement un viol. Non seulement elle avait cédé sous la pression insistante de son amant, mais elle n’y avait pris aucun plaisir.
Plutôt très angoissée et déçue de s’être donnée aussi facilement.
Le temps était passé très vite et Sophie, la maman, allait rentrer du travail. Après s’être rhabillé, Johnny prit alors congé rapidement, il avait obtenu ce qu’il désirait et fit comme si rien de spécial ne s’était passé, il l’embrassa brièvement et lui dit qu’il l’appellera demain. Le temps de remettre la chambre en état et d’aller se refaire une beauté, Sophie arrivait déjà.
Le lendemain il faisait beau et elle retrouvait ses copines à la plage comme convenu, mais mit sous silence son aventure sexuelle. Pas un seul membre de la bande ce jour-là n’était venu et pas un coup de téléphone non plus, bizarre quand même. Il était prévu qu’elle devait partir passer quelques jours chez sa tante Françoise et appela Johnny pour le lui dire. Il n’avait pas eu de temps libre à lui consacrer, ni à l’appeler. Le son de sa voix paraissait différent, beaucoup moins enjoué. Elle se dit que l’ayant appelé au domicile de ses parents, il était moins à l’aise, peut-être.
Finalement elle était restée une quinzaine de jours chez Tatie Françoise et cela lui avait fait un grand bien. Elle avait besoin de prendre du recul et passer du bon temps avec sa cousine Magali, un peu plus âgée qu’elle, mais toujours contente de se retrouver.
Cela lui avait mis la pression de « faire l’amour » pratiquement sous la contrainte, mais à qui en parler ? Même avec sa tante pourtant très cool, elle ne se voyait pas aborder le sujet.
Le temps était venu de rentrer et de retrouver ses copines. Les vacances touchaient à leur fin et la rentrée scolaire n’était plus loin. Johnny se faisait vraiment très rare et, quand ils se voyaient, c’était au centre-ville avec ses copains et pas vraiment de moment d’intimité. Une vague impression emplissait le petit cœur d’Annie, comme si elle le sentait détaché, maintenant qu’il avait eu ce qu’il convoitait. La rentrée des classes s’était bien passée et il fallait se recentrer sur les cours, les nouvelles de Johnny se faisaient de plus en plus rares.
Les jours passaient, elle était concentrée sur son travail quand machinalement ce soir-là elle regarda son agenda posé sur le bureau, elle y notait chaque fait important. Elle vit alors que la date de ses dernières règles était vraiment très éloignée. J’ai oublié de les noter, pensa-t-elle ! Puis elle se mit en quête de se souvenir quand était-ce la dernière fois.
D’abord inquiète, elle se dit finalement que tous ces évènements l’avaient perturbée. Puis au bout d’une semaine, son inquiétude recommença. Si rien n’arrivait dans la nuit, elle irait chercher un test à la pharmacie. Le lendemain, légèrement contrariée, elle alla à la sortie des cours vers la plus proche officine et demanda très poliment un test de grossesse. La pharmacienne ne fut pas surprise, souvent de jeunes filles venaient en chercher.
Annie, belle et grande jeune fille, ne faisant pas son âge, elle n’avait pas besoin d’en savoir plus, elle lui préconisa le meilleur et lui indiqua son utilisation, rien de plus. Pendant le parcours qui la ramenait chez elle, Annie se posait mille questions.
C’était sûrement un retard, rien de grave, essayant de se convaincre. Elle arriva enfin chez elle, jeta précipitamment son sac et courut à la salle de bain.
Il ne lui fallut guère de temps pour se rendre à l’évidence, plus aucun doute le test était positif.
Fiable à quatre-vingt-dix-neuf pour cent, c’était écrit en majuscule sur l’emballage !
Elle avait fait l’amour pour la toute première fois, et pour sa première fois elle se retrouvait enceinte.
Il ne manquait plus que ce soit le premier avril, pour faire un poisson, tellement cela paraissait impensable mais il n’y avait rien de risible.
À partir de cet instant, la vie d’Annie venait de prendre un virage à angle droit. Il fallait qu’elle gère ce bouleversement en ne donnant pas le change vis-à-vis de tout son entourage. Plus les jours passaient et plus cela devenait difficile de faire semblant.
Elle avait appelé Johnny pour le lui dire, et avait été très mal reçue, prétextant que ses parents n’aimaient pas ce genre de fille qui insiste auprès d’un garçon et qu’elle devait lui foutre la paix. C’était le comble, elle n’avait même pas eu le temps de lui dire qu’elle se retrouvait enceinte qu’il avait déjà raccroché. Ce fut le plus dur à encaisser, la descente en enfer venait de commencer.
Inlassablement elle faisait le tour des questions et des réponses qu’elle pouvait y apporter, qu’avait-elle fait pour mériter cela ? Son esprit était désormais embué. Les jours et les semaines commençaient à passer, pour l’instant personne n’avait rien vu, mais pour combien de temps encore. Et puis est arrivé ce jour de novembre où Madame Lebrun ayant finement détecté un comportement anormal avait mis fin à ce suspense. Finalement, grâce à elle, elle avait enlevé tout ce poids et toute cette douleur qu’elle s’était infligée.
Quand elle eut terminé son récit, un grand silence s’installa. Marc et Sophie n’en revenaient pas ! Même eux, parents, n’avaient rien vu venir et ne s’étaient rendu compte de rien. Oui bien sûr elle avait changé de coiffure et de look, mais à cet âge-là rien d’anormal. Cela ne servirait à rien de l’accabler davantage. Elle avait suffisamment souffert, et l’engueuler n’aurait rien changé ! La détresse devait stopper immédiatement. Le problème était ailleurs. Il fallait régler le cas de ce Johnny.
La soirée avait été rude dans la famille Perrillat et la nuit risquait d’être délicate pour les parents. Dans leur lit, ils se prirent dans les bras, la gorge serrée, juste avec leurs regards, ils se comprenaient parfaitement et feraient tout pour aider leur fille. Demain ils avaient prévu de rester ensemble tous les trois et réconforter Annie, la tâche ne faisait que commencer.
Tous les deux eurent du mal à trouver le sommeil, leur vie aussi allait changer et eux aussi se posaient des questions. La nuit fut courte mais réparatrice, ce matin, le temps avait l’air d’être dégagé, une nouvelle journée intense se profilait. Il fallait attendre la fin de soirée pour pouvoir parler aux parents et à Johnny surtout.
Le trajet fut silencieux, ni l’un ni l’autre n’avait envie de parler et c’était angoissant pour Annie.
Le quartier de Champ-Fleuri n’avait pas très bonne réputation, un peu surfait tout de même, dû surtout à des mixages de populations et pas forcément très aisés.
On parlait beaucoup de délits commis par la jeunesse dans le secteur.
Elle n’était venue qu’une fois ou deux mais elle reconnut l’endroit. Ils arrivèrent dans la rue de la Donzière devant le 10, Marc trouva une place à proximité et se stationna dans le sens du départ.
L’entrée de l’immeuble était sinistre et peu éclairée.
La famille Bortolini habitait sur le palier du premier étage. Ils montèrent par l’escalier. Devant la porte de l’appartement, Marc prit une profonde respiration, Annie était en retrait, il sonna. Des bruits peu discrets filtraient à travers la porte, on parlait très fort chez les Bortolini.
La porte finit enfin par s’ouvrir. Un homme dans le début de la cinquantaine, le ventre bedonnant, les cheveux en bataille, vêtu d’un maillot du type marcel, comme les anciens camionneurs, avec une bière dans la main.
Il leur fit signe d’avancer mais ils restèrent dans le couloir de l’entrée.
L’information mit sûrement un peu de temps à pénétrer dans le cerveau un peu imbibé, avant que la réponse ne se fasse entendre.
— Johnny, hurla-t-il, Vieni qui… presto (viens tout de suite) dans son italien. Le jeune homme fit son apparition immédiatement dans le couloir. Il paraît que tu as couché avec la ragazza et son padre dit qu’elle est enceinte.
— Ah bon ! fit Johnny, d’un air goguenard, sans un regard pour Marc et Annie. J’ai couché qu’une seule fois avec elle, tu penses bien que je ne suis pas tout seul à l’avoir fait. Tous les gars lui tournent autour depuis longtemps et comme je ne l’ai pas revue, elle a dû s’en faire mettre par plein d’autres….
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Marc avait fait un pas en avant pour lui faire ravaler ses dernières paroles. Le père Bortolini s’interposa, pas très grand mais avec une poigne d’enfer, l’alcool lui donnait de la force et ce n’était ni le lieu ni l’instant de se battre.
Cette fois, Marc, n’en pouvait plus d’entendre traiter sa fille comme une moins que rien, il attrapa violemment le bras du père et lui présenta sa main devant le visage.
Ironiquement Bortolini père, lui sourit :
Allez, cassez-vous de là. Sinon, sinon… La phrase resta en suspens, il attrapa la poignée de la porte et les poussa à l’extérieur sans ménagement. Ne t’avise pas de te repointer là, dit-il avant que la porte ne claque sèchement sur eux.
Marc et Annie se retrouvèrent à l’extérieur de l’édifice. Marc était décontenancé, Annie pleurait.
Arrivés à leur domicile, c’est Marc qui raconta l’histoire, avec un grand H. Les yeux de Sophie étaient grands ouverts, écarquillés, écoutant incrédule le récit de son mari. Pour l’instant, l’essentiel était de s’occuper d’Annie, de sa santé et surtout de leur nouvel enfant.
Sophie avait préparé le repas du soir, même sans un réel appétit, ils avaient dîné tous trois et l’atmosphère s’était peu à peu détendue.
Finalement Sophie, heureuse, souhaitait à sa fille qu’elle lui donne un garçon en se demandant ce qu’allait être son rôle : mère ou grand-mère ? Une question qui n’aurait pas pu être posée voilà deux jours. Désormais cet enfant avait un foyer, la famille Perrillat allait avoir un membre de plus, et surtout un membre complètement inattendu.
Rendez-vous fut pris chez le médecin, il ne fallait rien négliger. Sophie accompagna Annie pour qu’elle puisse passer tous les examens nécessaires et recommandés, mais surtout qu’on leur apporte des nouvelles rassurantes sur leurs états de santé. Tout allait pour le mieux, l’enfant se développait tout à fait normalement, Annie avait insisté sur le fait de ne pas connaître le sexe, elle-même allait bien malgré tout le stress accumulé. Une deuxième phase commençait et celle-là serait sûrement plus facile à vivre, maintenant que la pression était redescendue.
Le retour en classe, qu’elle appréhendait, fut finalement assez simple. Bien que les professeurs ne soient pas au courant pour l’instant, elle était contente de reprendre les cours après ces quelques jours de tumulte. Lorsqu’elle pénétra dans la salle du cours de Madame Lebrun, un léger frisson lui traversa le corps. Elles ne s’étaient pas revues et elle se demanda quelle serait sa réaction. Elle alla s’asseoir à sa place habituelle, soit devant. Madame Lebrun était plongée dans ses documents, tous les élèves étaient maintenant rentrés. Lorsqu’elle releva enfin la tête pour démarrer son cours, son regard fut immédiatement attiré par une élève au premier rang à gauche. Un sourire discret mais complice s’inscrit sur son visage. On sentait plus de légèreté dans le regard de ce professeur, contente que sa protégée soit de retour, elle allait redoubler d’attention pour qu’elle se sente bien. Dès qu’elle le pouvait, c’est-à-dire souvent, elle la couvait du regard. Enfin le cours fut fini. Annie ne se pressait absolument plus de sortir de la classe.
Les questions fusaient et elle était suspendue aux lèvres d’Annie. On voyait bien que ce n’était plus le professeur qui parlait, mais l’amie, la confidente. Leurs rapports avaient complètement changé depuis l’incursion dans sa vie. Après avoir donné quelques infos, elle devait changer de classe pour le prochain cours et n’avait guère de temps. Gisèle lui donna rendez-vous à l’extérieur et la ramènerait chez elle.
Annie attendait sur le trottoir vers l’arrêt de bus situé juste à proximité de son école. Madame Lebrun avait rapidement expédié toutes les corvées qui habituellement faisaient partie du rituel après ses cours. Elle avait même soigneusement évité toutes ses collègues de travail avec qui elles partageaient beaucoup de discussions sur les élèves. D’habitude très polie, elle avait fait un simple signe de la main et marmonné quelque chose dont le seul mot audible était : pressée !
Gisèle sortit du stationnement souterrain et arriva pile en face de l’arrêt de bus. Un petit coup de klaxon, Annie l’aperçut et s’installa dans la voiture.
Annie s’installa et allongea ses grandes jambes, cela lui faisait du bien de s’étendre. Elle se mit donc à raconter l’historique depuis qu’elles ne s’étaient pas revues, ne cachant plus aucun détail entre les visites chez le médecin et surtout la visite chez Johnny.
Gisèle écoutait mais commentait, au fur et à mesure en entendant l’énoncé des propos d’Annie, lui coupant sans cesse la parole.
Étonnement, consternation, incrédulité, toutes les mimiques passaient sur son visage, le tout ponctué par ses expressions favorites, qu’elle répétait inlassablement, sans se rendre compte bien sûr.
Les « Ah bon ! les Oh ! et les ben d’accord ! » sans parler des « Woilà » qu’elle affectionnait. Elle avait du mal à se concentrer sur sa conduite, parler et conduire ne faisait pas bon ménage. Ne regardant pas suffisamment la route, la voiture avait tendance à zigzaguer. Enfin, elle arriva sans encombre devant chez Annie. Non sans ayant reçu quelques noms d’oiseaux et des coups de klaxon distillés par des automobilistes sûrement sexistes. Il est vrai qu’elle avait complètement « oublié » de signaler ses changements de direction ! Qu’importe, elle avait bien d’autres préoccupations.
Annie lui dit de rentrer à l’intérieur, afin de parler posément. Une fois installées au salon, cette fois c’est elle qui lui proposa une tasse de thé. Alors qu’elle était en train de le préparer, elle entendit la porte de l’appartement s’ouvrir. Sophie rentrait du travail et aperçut Madame Lebrun, elle se dirigea pour lui faire la bise, on en était plus à la poignée de main maintenant, surtout après les émotions des derniers jours. Une chaleureuse accolade entre les deux femmes, heureuses de se retrouver au calme. Annie servit le thé et quelques petits gâteaux sablés pour l’accompagner.
Après avoir commenté les derniers évènements, Gisèle proposa qu’il était temps de mettre au courant la direction de l’établissement scolaire. De toute façon que pouvait-il se passer ? Personne n’allait la renvoyer, surtout dans ce genre de situation. Et puis au moins pas de rumeurs, une explication simple serait la meilleure. Il fallait que les parents soient présents avec Annie. Gisèle allait se charger de synchroniser le tout avec la direction et les professeurs concernés, mais surtout d’assurer sa défense, au cas où l’un d’eux aurait de mauvaises intentions.
On avait l’impression que Madame Lebrun s’était trouvé un nouveau rôle, devenue soudainement un peu maman poule, très concernée par cet enfant, qu’elle chérissait secrètement. Cela redonnait un peu de sens à sa vie monotone et ce n’était pas pour lui déplaire. Qu’on ne touche pas à son Annie !
La semaine suivante, les Perrillat s’étaient retrouvés dans la grande salle du conseil, lieu de conférence pour les professeurs du collège. Tous les intéressés étaient présents, se demandant bien ce qu’ils faisaient là. La réponse à leur question fut assez rapide. Marc, le papa, exposa rapidement les faits sans aller dans le détail. Il exprima bien entendu que rien ne devrait changer et qu’il attendait une certaine tolérance à l’égard de sa fille. Il espérait également que l’ensemble des professeurs ne portent pas un jugement néfaste sur sa condition.
Madame Lebrun prit ensuite la parole et mit en garde directement ses collègues, leur expliquant qu’elle était déjà au courant de sa situation et qu’ils étaient tous là pour la soutenir. Puis en se tournant vers les deux commères habituelles, elle précisa qu’il serait inutile d’aller faire de quelconques commentaires indécents. Se sentant visées directement, elles élevèrent à peine la voix, juste le temps que le directeur n’intervienne et mette fin à une quelconque provocation.
Sophie tenait Annie par la main, elle ne s’était même pas encore exprimée. Elle prit la parole avec une petite voix et promit surtout de se remettre au travail pour rattraper son retard, pour que l’ensemble de ses notes s’améliore à nouveau. Elle sentait le regard lourd de tous les enseignants sur elle, mais il fallait qu’elle en passe par là.
Après l’effet de cette ahurissante nouvelle, le directeur, qui n’avait jamais eu à faire d’un tel cas, se permit d’imposer la suppression des cours d’éducation physique pour cet élève. Il ne manquerait plus qu’il arrive un incident à une jeune fille enceinte dans son établissement, ce à quoi l’intéressée des sports fut tout à fait d’accord.
La réunion se termina et les plus curieux s’approchèrent d’Annie pour prendre de ses nouvelles espérant avoir une confidence ou un indice à se mettre sous la dent. Les deux commères en furent pour leurs frais. Enfin tout le monde put partir, maintenant ils allaient pouvoir jaser, ils avaient du grain à moudre !
Maintenant que le problème de l’école était réglé, il était temps de mettre au courant la future tante Marie-Laure. C’est Annie qui se chargerait d’informer sa grande sœur. Après l’effet surprise, Marie fit preuve d’un enchantement incroyable, et elle viendrait absolument la voir pour la fin de semaine. Elle allait pouvoir lui prodiguer quelques précieux conseils maintenant qu’elle était dans le milieu médical.
Ce fut ensuite le tour de sa meilleure amie Émilie. Elle était présente depuis tellement longtemps qu’elle faisait presque partie de la famille. Préférant passer du temps dans celle-ci, plutôt que de le faire dans la sienne désunie. Elle allait être très surprise et sûrement déçue de ne pas avoir été mise dans la confidence, vu qu’elle se considérait comme sa sœur. Finalement, Émilie comprit très bien la situation, elle-même n’avait plus de contact avec les autres copains de la bande ni ses autres copines. Elle n’avait pas franchi le pas comme Annie, elle préférait se réserver pour un vrai amour et puis c’était bien trop tôt pour elle. Quand ce sera le temps, elle regarderait à deux fois, voyant ce qui était arrivé à Annie.
Une nouvelle dynamique s’était installée dans la famille redevenue encore plus soudée.
Les grands-parents avaient vraiment évolué ! avalant la nouvelle assez facilement, ils allaient quand même prendre un sacré coup de vieux en passant à la nomination d’arrière-grands-parents. Mais de tout temps, des grossesses surprises arrivaient sans crier gare ! À leur époque cela arrivait aussi, mais les conséquences n’étaient pas les mêmes, heureusement la société avait évolué. La vie reprenait son cours, on revenait presque dans une routine, peu de choses avaient changé, mis à part le ventre d’Annie qui commençait à bien s’arrondir.
Les fêtes de fin d’année approchaient à grands pas. Noël, bien entendu, mais c’est surtout le passage à un nouveau millénaire qui mobilisait la population, un évènement important. On allait changer de monde, enfin tout cela n’était que d’hypothétiques prédictions. L’an 2000, un chiffre magique, le seul monde qui allait changer était surtout celui d’Annie avec son nouvel arrivant prévu pour le mois de mai.
Annie avait redressé rapidement la barre, elle s’était bien reprise et ses notes étaient revenues au standard habituel. Madame Lebrun était satisfaite et très fière d’elle. Les bruits de couloir et les chuchotements, lorsque la nouvelle avait été répandue dans tout le collège, avaient laissé place maintenant à un début de vedettariat. Annie avait changé de statut en peu de temps. Pendant les récréations, il se formait autour d’elle un public grandissant, pour avoir des nouvelles, même les enfants des petites classes voulaient lui toucher son ventre, on la regardait comme une célébrité. Les quelques professeurs médisants s’étaient rangés dans la case compassion. Ce n’était pas tous les jours qu’une élève aussi jeune tombe enceinte, et eux n’avaient pas eu à gérer ce cas.
Les fêtes de Noël s’étaient déroulées dans une bonne ambiance, surtout avec les repas festifs pris en famille. L’ensemble de la famille proche avait déjà adopté le futur petit cousin ou cousine, plus pressé que les principaux intéressés de voir ce nouveau-né. Annie avait été au centre de toutes les conversations, finalement tout le monde était très heureux, chacun apportant son soutien.
Le passage au Nouvel An était aussi passé rapidement, rien d’exceptionnel n’était arrivé non plus pour cette année 2000, alors qu’on nous prédisait tout un tas de malheurs de toutes sortes, la vie reprenait son fil. La seule chose particulière, c’est que l’on portait toute l’attention sur la future maman et son devenir.
L’hiver s’était installé, la neige était tombée, enfin ! Mais cette année il n’y aurait pas de vacances de neige. La tradition familiale d’aller tous ensemble au ski serait mise à mal.
Mais là, c’était un cas de force majeure. Il était évident qu’Annie ne monterait pas sur les planches cette saison, malgré son envie, il était question de ne prendre aucun risque.
La grossesse se passait plutôt bien et les visites régulières chez le médecin confirmaient un excellent diagnostic. Sophie se revoyait quinze ans plus tôt, lorsqu’elle était enceinte d’Annie. Après tout, ce n’était pas si loin, pourtant il en avait coulé de l’eau sous les ponts et avec les derniers événements, elle avait quand même du mal à se projeter dans quelques mois. Sa fille à son tour allait être mère et pourtant c’était une fille-mère, heureusement que l’on parlait de moins en moins en ce terme désormais désuet. Elle essayait d’imaginer sa future situation, est-ce elle qui serait finalement la mère de ces deux enfants ? Et Marc serait-il le père ou le grand-père ?
Toutes ces pensées la perturbaient et elle avait du mal à se concentrer au travail, sa collègue de travail, Geneviève, le lui avait fait gentiment remarquer déjà plusieurs fois. Heureusement qu’elles avaient une très bonne complicité, elle-même avait dû élever son enfant seule et comprenait bien son dilemme. Une situation qu’elle ne voudrait revivre pour rien au monde, mais il fallait bien qu’elle s’adapte désormais.